Écrire et lire les violences sexuelles aujourd’hui : un mouvement #Metoo littéraire ?
Résumés
À partir d’un corpus récent de récits évoquant l’expérience d’un viol ou d’une agression sexuelle, cet article étudie l’imbrication entre écriture littéraire et mouvement féministe actuel et questionne les défis épistémologiques induits par de telles productions. La réflexion porte d’abord sur la façon dont la réception universitaire légitime les textes, en particulier lorsqu’elle participe de l’institution d’un sous-genre autobiographique : le témoignage littéraire. Quant aux fictions, les articuler aux affaires de viol médiatisées dont elles s’inspirent suppose une méthodologie qui rende justice à l’implication des écrivain·es, ce que permettraient les outils de la sociocritique.
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- 1 Voir par exemple Vanessa Springora, Le Consentement, Paris, Grasset, 2020 ou Camille Kouchner, La F (...)
- 2 Voir le roman choral de Marcia Burnier, Les Orageuses, Paris, Cambourakis, 2020.
- 3 Voir Loulou Robert, Zone grise, Paris, Flammarion, 2020.
- 4 Voir Adélaïde Bon, La Petite fille sur la banquise, Paris, Grasset, 2018 et Karine Tuil, Les Choses (...)
- 5 « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », tribune parue dan (...)
- 6 Christine Angot, L’Inceste, Paris, Stock, 1999 et Une semaine de vacances, Paris, Flammarion, 2012 (...)
- 7 Voir à ce sujet l’article de Joséphine Vodoz, « Le corps comme marchandise ? », Revue critique de f (...)
- 8 Pour reprendre le titre de l’ouvrage collectif Réarmements critiques de la littérature contemporain (...)
1Plusieurs témoignages littéraires se sont ajoutés aux prises de parole de femmes ayant subi des violences sexuelles depuis le déferlement des hashtags #Metoo et #BalanceTonPorc sur les réseaux sociaux1. D’autres écrivaines ont pris la plume pour explorer par la fiction diverses formes de résistance symbolique2, sonder les « zones grises » qui entourent les abus sexuels3 ou les procédures judiciaires auxquelles ils peuvent donner lieu4. Ces textes s’ancrent dans un contexte social marqué par de vives polémiques, entre dénonciation massive des agressions sexuelles et prise de conscience collective d’une part, et réactions fustigeant la « victimisation » des femmes et prônant une nécessaire « liberté d’importuner »5 d’autre part. Certes, des récits contenant des viols ou des incestes ont été publiés avant #Metoo, notamment ceux des grands noms du paysage littéraire contemporain que sont Christine Angot, Virginie Despentes ou Annie Ernaux6, ou ceux des récits autobiographiques et fictionnels des travailleuses du sexe – « cas particulier » de violence sexuelle non reconnue comme telle7. On observe toutefois une explosion des romans ou des témoignages sur la question depuis la médiatisation de l’affaire Weinstein. C’est ce corpus publié dans le sillage du mouvement #Metoo qui constitue l’objet de notre réflexion. Quelles en sont les caractéristiques ? Quelle peut être sa réception universitaire ? Comment renouvelle-t-il les rapports entre littérature et politique, entre littérature et justice, entre les œuvres et leur contexte d’émergence et de réception ? Bien qu’une telle production de textes semble commandée par l’actualité, les questionnements suscités par les récits de violence sexuelle s’enracinent dans des réflexions amorcées voilà longtemps sur les dimensions éthique et politique de la littérature. Ils illustrent l’une des modalités du « réarmement critique de la littérature contemporaine »8, la politisation des expériences vécues de la domination étant le fondement épistémique de la théorie féministe, vivement renouvelé par le mouvement mondial qu’est #Metoo.
- 9 Voir note 42.
- 10 Voir les volumes Les Désirs comme désordre, Paris Fayard/Pauvert, 2020 et Sororité, dirigé par Chlo (...)
2Dans cet article, nous souhaitons réfléchir à l’effet « mouvement », c’est-à-dire aborder le phénomène dans ce qu’il a de collectif, de pluriel, et observer comment il redéfinit les limites du littéraire. Nous retenons le terme de « mouvement » car il est à la fois doté d’un sens politique et d’un sens littéraire, et parce qu’il ménage une part de désordre et de spontanéité : il n’est ni école littéraire ni organisation politique. De la même façon que le mouvement #Metoo lui-même est né de l’anarchie des réseaux sociaux, observer l’effet mouvement d’une littérature post #Metoo permet de penser ensemble l’émergence de thématiques communes et la convergence des positionnements politiques sans pour autant présupposer l’homogénéité des formes littéraires ni la concertation entre écrivain·es9. La dimension collective du phénomène est d’ailleurs à interroger car, outre quelques ouvrages collectifs10, on dénombre surtout parmi ces publications des récits d’expérience individuelle. Si l’on observe bien une forme de mouvement #Metoo littéraire, il s’agit avant tout d’une somme de voix singulières, pluralité marquée par des diversités poétiques, politiques et générationnelles qu’il ne faudrait pas aplanir.
3Après avoir observé les contours du phénomène éditorial post #Metoo, nous aborderons deux des enjeux qu’il fait émerger au sein de la critique universitaire. D’une part, nous questionnerons la réception des témoignages de violence sexuelle, qui dénoncent parfois nommément l’agresseur, parce qu’une partie du lectorat les perçoit comme des règlements de compte et non comme des objets littéraires. D’autre part, nous nous interrogerons sur les outils méthodologiques nécessaires pour appréhender un fait littéraire qui travaille explicitement sa référence à un mouvement sociopolitique très présent dans l’actualité médiatique.
Un phénomène scriptural, éditorial et littéraire
- 11 L’expression « rape culture » apparaît en 1974 dans le volume signé par le collectif des New York R (...)
- 12 Geneviève Fraisse, « Les bavardes : féminisme et moralisme », Christiane Dufrancatel, Arlette Farge (...)
- 13 Audrey Lasserre cite par exemple Vu du Ciel de Christine Angot (1990), Baise-moi de Virginie Despen (...)
- 14 Nous renvoyons à l’évolution du féminisme observée par la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, (...)
- 15 Jian Ghomeshi, musicien et animateur de radio populaire au Canada, a été accusé d’agression sexuell (...)
- 16 Nous renvoyons aux notes 1, 3 et 4.
- 17 Inès Bayard, Les Malheurs du bas, Paris, Albin Michel, 2028 ; Lola Lafon, Chavirer, Arles, Acte sud (...)
- 18 Pascale Robert-Diard, La Petite menteuse, Paris, L’Iconoclaste, 2022.
4Les premières dénonciations militantes des violences sexuelles contre les femmes ont lieu au début de la décennie 1970, au cours de ce que l’on a coutume d’appeler la « deuxième vague de féminisme ». En mai 1972, le Mouvement de libération des femmes (MLF), avec d’autres associations féministes, organise des « Journées de dénonciation des crimes contre les femmes » qui visent notamment à faire reconnaître le viol comme moyen d’oppression systémique des femmes. En 1978 a lieu le procès d’Aix-en-Provence : Gisèle Halimi défend deux jeunes campeuses violées et obtient que le viol soit jugé aux Assises (en 1980). En parallèle émerge aux États-Unis la notion de « culture du viol »11, qui renvoie à toutes les croyances, les actes, les discours et les représentations qui nient, normalisent, minimisent ou excusent le viol. Dans ce contexte d’émulation féministe, raconter les expériences de violences sexistes était déjà primordial. À cet égard, Geneviève Fraisse expliquait que « dans les luttes de femmes, ce sont d’abord la parole et l’écrit qui dominent. Pourquoi ? Peut-être parce qu’avant d’agir, les féministes ont toujours à savoir quelle est l’oppression qu’elles dénoncent et qui d’entre elles ou plutôt comment chacune est concernée par cette oppression »12. Le partage d’une expérience personnelle de violence sexuelle en tant qu’acte de conscientisation politique n’est donc pas apparu dans les années 2010 – loin de là. Dans le champ littéraire, notons à la suite d’Audrey Lasserre que la mise en scène de la violence sexuelle est un trait commun à de nombreux romans publiés par de jeunes autrices françaises entre 1985 et 200013. Le moment #Metoo, en politique comme en littérature, ne surgit donc pas ex nihilo. Depuis le début des années 2010 néanmoins, il semble qu’une nouvelle sensibilité féministe ait vu le jour et se soit réemparé des sujets liés au corps des femmes et à la vie sexuelle14. Dans ce contexte, une vague de récits de violence sexuelle a d’abord émané d’Internet, et ce même avant l’affaire Weinstein, comme l’illustre en France le Tumblr « je connais un violeur » créé en 2013 ou le hashtag #BeenRapedNeverReported lancé au Québec en 2014 à la suite de l’affaire Ghomeshi15. À partir du mouvement #Metoo, le contexte de réception a changé et a sans doute orienté l’intérêt des éditeurs, si bien qu’un foisonnement de textes sur la violence sexuelle est apparu en librairie. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous souhaitons en mentionner quelques exemples. La modalité d’écriture la plus visible est sans doute le récit autobiographique centré sur l’expérience du viol et sur la nécessité d’apprendre à vivre avec le trauma, dans la honte et le silence que fissure la publication du livre. Aux titres d’Adélaïde Bon, Camille Kouchner, Loulou Robert et Vanessa Springora cités plus haut16 peuvent s’ajouter La Retenue de Corinne Grandemange (2021), Capitale de la douleur de Sophie Fontanel (2021), De mon plein gré de Mathilde Forget (2023), Parle tout bas d’Elsa Fottorino (2021) ou encore Triste tigre de Neige Sinno, succès de la rentrée littéraire 2023 salué par de nombreux prix. Certains textes se présentent comme le droit de réponse d’une personne impliquée dans un processus judiciaire ou une tourmente médiatique, comme #Balancetonporc de Sandra Muller (2018), la journaliste qui a lancé la version française (et animalière) du hashtag #Metoo en 2017, ou les témoignages d’Hélène Devynck, Impunité (2022), de Florence Porcel, Honte (2023) et d’Alessandra Fra, PPDA et moi. 2005-2023 (2023), qui livrent sans fard leur point de vue sur les accusations de viol et d’agression sexuelle visant Patrick Poivre d’Arvor. Quant à Inès Bayard et Lola Lafon, ou encore Mazarine Pingeot, Karine Tuil et Tanguy Viel17, iels ont mis en scène des affaires de viol fictives, explorant par le roman tantôt les abus de pouvoir et les ravages du silence qui pèsent sur les victimes, tantôt la judiciarisation de la violence sexuelle et l’irréductible décalage entre plaignante et accusé. Même si Karine Tuil s’est inspirée de l’affaire de Stanford pour Les Choses humaines et si l’on reconnaît dans Se taire de Mazarine Pingeot la situation décrite par Pascale Mitterrand dans sa plainte contre Nicolas Hulot, les personnages de ces romans sont imaginaires et les correspondances entre fiction et réalité se limitent à quelques similitudes. Parti pris plus embarrassant à l’ère #Metoo, Pascale Robert-Diard ausculte la prise en charge judiciaire des violences sexuelles à travers le roman d’une accusation de viol mensongère18.
- 19 La réception du livre de Camille Kouchner illustre ce refus de considérer le témoignage comme un ré (...)
- 20 C’est une position soutenue par un écrivain et professeur d’université à laquelle l’écrivaine québé (...)
- 21 Voir l’article « Affaire Matzneff : le parquet de Paris s'autosaisit », mis en ligne le 3 janvier 2 (...)
- 22 Marie-Pier Lafontaine, Armer la rage, op. cit. (édition numérique non paginée).
5Une telle vue d’ensemble des parutions fait saillir, en dépit d’un thème commun, la variété des genres pratiqués, qui vont du roman choral au témoignage personnel, en passant par le manifeste féministe, le recueil collectif ou le récit inspiré d’une affaire médiatico-judicaire réelle. Dans ce panorama cependant, la publication de récits autobiographiques exposant des faits de violence sexuelle compose un sous-ensemble qui n’est pas sans susciter débats et questionnements au sein de la critique. Certains lecteurs, journalistes comme universitaires, refusent en effet de leur accorder une valeur littéraire19 ; d’autres réprouvent la conception de la littérature qui les sous-tend, celle-ci étant, selon eux, envisagée à tort comme un espace de dénonciation20. Il faut souligner que le statut littéraire de telles productions est rendu problématique par les réceptions judiciaires et journalistiques dont elles peuvent faire l’objet. Par exemple, la parution du roman autobiographique Histoire de la violence d’Édouard Louis a relancé en janvier 2016 le procès contre l’agresseur supposé de l’auteur, alors qu’Édouard Louis avait porté plainte immédiatement après les faits en 2012. Plus récemment, le récit de Vanessa Springora a été le point de départ d’une enquête menée par l’Office central de répression des violences faites aux personnes. Vingt-quatre heures après la sortie du livre, le parquet de Paris a ouvert une enquête à l’encontre de Gabriel Matzneff pour « viols commis sur la personne d’un mineur de quinze ans au préjudice, notamment, de Vanessa Springora », le procureur de la république de Paris, Rémy Heitz, expliquant dans un communiqué avoir « analysé l’ouvrage Le Consentement »21. Un épisode similaire s’est produit un an plus tard à la sortie du livre de Camille Kouchner, La Familia grande – tous ces rebondissements judiciaires étant abondamment relayés par les médias, prompts à faire de ces accusations des « affaires » souvent aguicheuses. Ce type de réception redéfinit drastiquement le statut de l’œuvre, mettant à distance le travail poétique au profit de la référentialité du récit. Marie-Pier Lafontaine, autrice d’une autofiction sidérante sur les violences qu’elle a subies toute son enfance, affirme pourtant qu’« il est politique et esthétique de donner une forme à l’informe des expériences déshumanisantes »22. Ce sont les critères d’évaluation de ce travail esthétique que nous souhaitons désormais mettre au jour.
Critères d’évaluation d’un néogenre autobiographique : le témoignage littéraire
- 23 Gérard Genette, Fiction et diction, précédé de l’Introduction à l’architexte, Paris, Éditions du Se (...)
- 24 Barbara Havercroft, « Questions éthiques dans la littérature de l’extrême contemporain : les formes (...)
- 25 Alexandre Gefen, « Justesse et justice », conférence donnée à l’Université du Québec à Montréal (UQ (...)
- 26 Idem.
- 27 Idem.
- 28 Marie-Pier Lafontaine, Armer la rage, op. cit., édition numérique non paginée.
6Parmi les ouvrages du corpus sur lequel s’appuie cette réflexion, les témoignages sont ceux dont la littérarité est le plus fréquemment remise en cause, alors que les fictions ne sont pas soumises au même soupçon. Cela s’explique par le fait que la dimension esthétique de la prose non fictionnelle dépend d’une appréhension subjective. Dans Fiction et diction, Gérard Genette soulevait ce problème en distinguant un régime de littérarité constitutif, garanti par des critères stables (celui des poèmes et des fictions en tous genres), et un régime de littérarité conditionnel, instable, celui du texte non fictionnel qui « ne peut être perçu comme littéraire […] qu’en vertu d’une attitude individuelle, comme celle de Stendhal devant le style du Code civil »23. Cette opposition se double d’une distinction entre deux modes de littérarité : d’une part la fiction, littérature définie par le caractère imaginaire de ses objets, et d’autre part, la diction, qui renvoie soit à la poésie, soit à la prose non fictionnelle. Le fondement théorique que constitue la narratologie genettienne permet donc de concevoir la littérarité d’un témoignage, quoique de façon précaire, comme une « diction » pensée en termes de recherche stylistique. Dans un article sur les formes discursives des traumas relatifs à la corporéité féminine, Barbara Havercroft a d’ailleurs analysé quelques moyens d’esthétisation du récit déployés par les écrivaines, mettant au jour « un faire textuel, une écriture engagée qui revisite les blessures du passé pour rendre plus supportables le présent et l’avenir »24. Aujourd’hui, contre les critiques qui ne voient dans les récits d’abus sexuel qu’un règlement de compte privé, la notion de « justesse littéraire » a commencé d’être mobilisée par certains universitaires soucieux de rendre justice à toute une littérature qui met à l’honneur des formes de vies meurtries et des voix marginalisées. Dans une conférence consacrée à la manière dont la littérature performe ou complète la justice, Alexandre Gefen explique l’opération symbolique que serait la justice littéraire par la justesse du texte. Empruntée à la philosophie du langage ordinaire, la notion de justesse renvoie à la façon dont un récit peut ressaisir une situation conflictuelle en produisant « l’acquiescement intérieur »25 de celui ou celle qui le reçoit. Une description est juste, dit encore Alexandre Gefen, si « nous jugeons qu’elle fait écho à notre vision intime du monde, qu’elle la concentre en produisant l’impression qu’elle dit mieux que nous ce que nous disons »26, et c’est ce sentiment d’adéquation qui nous permet d’être convaincu·es de la justesse morale ou politique d’une œuvre. La justesse, « qui n’est ni la vérité, ni la beauté, mais est à la fois la beauté et la vérité »27, permet ainsi de dépasser le dilemme entre jugement esthétique et jugement politique. La valeur d’un témoignage résiderait dans sa façon de sonner juste, de trouver les bons mots, le ton idoine pour dire l’expérience. Plus que sur sa vérité, la réussite littéraire d’un témoignage tiendrait à sa capacité d’exposer la violence sans inciter au voyeurisme, de trouver une voix qui assume à la fois la précarité de son rapport au langage et la nécessité de raconter. Marie-Pier Lafontaine, tout en revendiquant la dimension dénonciatrice de l’entreprise, épouse cette conception de la littérarité du témoignage : la parole littéraire est, selon elle, « un dévoilement libéré des contraintes testimoniales juridiques (bonne foi, cohérence, vérité factuelle…) qui ne nomme pas l’agresseur, voire le dénomme, et qui répond aux exigences de la justesse bien avant celles de la vérité, toute la vérité, dites : “je le jure” »28.
- 29 Dans sa critique du Consentement, Laélia Véron a mis en avant le « style cru qui dévoile, qui nous (...)
- 30 Vanessa Springora, « “Rien n’est normal dans ma vie depuis janvier”, entretien avec Anne Diaktine » (...)
- 31 Vanessa Springora, Le Consentement, op. cit., p. 111.
7Pour illustrer la façon dont est mobilisée la justesse comme critère d’évaluation de la prose non fictionnelle, prenons un exemple de réception critique d’un témoignage salué pour ses qualités littéraires : Le Consentement, récit que fait Vanessa Springora de la relation qu’elle a entretenue avec l’écrivain Gabriel Matzneff alors qu’elle avait quatorze ans. Précisons que sa réception comme objet littéraire tient sans doute en partie aux activités respectives de Matzneff et Springora, ainsi qu’à l’effet « réponse » du livre aux textes déjà littérarisés de Gabriel Matzneff. Certains lecteurs ou lectrices ont pu dire que sa justesse résidait dans l’explicite, voire la crudité du récit29 ; d’autres ont mis en avant l’exploration des contradictions, du trouble de l’expérience. Contre les interprétations préconçues, Vanessa Springora oppose un propos nuancé qui cherche à rendre justice à ce qu’elle a vécu. Dans un entretien, elle affirme avoir voulu « chercher la distance à tâtons, régler la focale »30. Sa quête de « la voie de la justesse », du « bon mot »31, fait de son livre une réussite littéraire aux yeux, notamment, d’Hélène Merlin-Kajman. Dans la lecture qu’elle fait du Consentement, la critique adhère a priori à la conception de la littérarité comme justesse. Selon elle,
- 32 Hélène Merlin-Kajman, La Littérature à l’heure de #Metoo, Paris, Ithaque, coll. « Theoria Incognita (...)
Écrire, […] c’est traduire quelque chose avec justesse pour toucher le lecteur comme on désire qu’il soit touché. C’est chercher en soi-même un destinataire qui se dérobe à l’interpellation directe, chercher à faire un effet « vrai » sur lui en cherchant les mots justes « à tâtons »32.
- 33 Idem.
- 34 Marie-Jeanne Zenetti, « Que fait #Metoo à la littérature ? ». Revue critique de fixxion française c (...)
8La notion de justesse est donc mobilisée pour justifier de la qualité littéraire du texte. Toutefois, dans la suite de son analyse, Hélène Merlin-Kajman explique la littérarité du Consentement par une forme d’ambiguïté textuelle. Selon elle, le récit demeure suspendu entre le plan référentiel – à savoir l’expérience que le récit communique – et « sa textualité, sa signifiance », qui est une ouverture du sens. C’est ce « flottement » qui, pour elle, confère au texte sa littérarité33. Celle-ci tiendrait donc à la fois à la justesse et à l’ambivalence énonciative. Cette seconde conception de la littérarité est discutée par Marie-Jeanne Zenetti, qui invite à dépasser l’opposition binaire entre une lecture « littérale » et une lecture « littéraire » supposée préserver la polysémie des textes34. Cette distinction, dit-elle, n’est pas pertinente au regard de la production littéraire contemporaine, qui comporte une large part de non-fiction, dont il ne faudrait négliger ni la dimension esthétique ni l’ambition documentaire. Qu’ils soient fictifs ou issus de l’histoire de personnes réelles, les récits de violence sexuelle publiés dans le sillage du mouvement #Metoo font directement référence à la réalité sociale de leur contexte d’écriture. Leur lecture peut donc difficilement se passer d’une attention particulière portée aux discours sociaux qu’ils reprennent et auxquels ils répondent. Ce sont ces rapports entre textes et hors texte, mais surtout les outils méthodologiques que ces rapports imposent aux études littéraires, que nous souhaitons désormais aborder.
#Metoo en littérature : nécessité d’une approche sociocritique
Textes, paratextes et hors-texte
- 35 Voir par exemple la discussion entre Vanessa Springora et François Busnel dans La Grande librairie (...)
9Comme elles l’explicitent dans nombre d’entretiens35, la plupart des autrices ayant publié un récit de violence sexuelle après le mouvement #Metoo assument pleinement la référence à la réalité extra-littéraire. Outre l’épitexte médiatique, une étude détaillée des péritextes le démontre. Les titres choisis par Loulou Robert et Vanessa Springora, respectivement Zone grise et Le Consentement, ancrent tous deux le propos du livre dans le débat contemporain sur la frontière qui sépare les relations réellement désirées des cas où le supposé consentement dépend d’une emprise ou d’un abus de pouvoir. Dans les avant-propos et prologues aux récits, les autrices font directement référence aux actualités du mouvement féministe de dénonciation des violences sexistes et sexuelles :
- 36 Loulou Robert, « Introduction », Zone grise, op. cit., p. 9.
Hier, l’affaire Adèle Haenel a fait la une des médias.
Hier, Vanessa Springora a écrit Le Consentement.
Hier, Polanski a remporté le César du meilleur réalisateur.
Hier, la haine sur les réseaux sociaux36.
- 37 Mazarine Pingeot, « Prologue », Se taire, op. cit., p. 11.
Ici ou là, les femmes commencèrent à révéler les agressions dont elles avaient été victimes. C’était au début un bruissement, amplifié par la Toile, puis devenu raz-de-marée. […] Tout commença par un flash d’information : un personnage haut placé était accusé d’agression sexuelle37.
- 38 Loulou Robert, Zone grise, op. cit., p. 6.
- 39 Chloé Delaume, citée par Vanessa Springora, Le Consentement, op. cit., p. 183.
- 40 Bertolt Brecht, cité par Adélaïde Bon, La Petite fille sur la banquise, op. cit., p. 9.
- 41 Il s’agit d’une citation tirée de L’Innommable de Samuel Beckett. Parle tout bas, op. cit., p. 11.
- 42 Audrey Lasserre, « Histoire d’une littérature en mouvement : textes, écrivaines et collectifs édito (...)
10L’affaire Weinstein, le raz-de-marée des réseaux sociaux, l’affaire Adèle Haenel ou encore le scandale Polanski aux Césars 2020 apparaissent comme une motivation de l’écriture de Loulou Robert et de Mazarine Pingeot. Cette dernière présente son roman comme une prise de parole complexe et nuancée qui répondrait au ton simpliste et polémique du traitement médiatique de ces affaires. Parfois le péritexte éditorial double la parole des autrices, un avertissement de l’éditeur de Zone grise précisant : « Ce récit apporte aussi sa pierre aux révélations qui concernent tous les milieux, le cinéma, le sport, la politique et bien entendu la mode, domaine dans lequel il existe une particulière vulnérabilité »38. Écrire revient donc à faire entendre sa voix individuelle en se sachant partie d’un élan collectif. Loulou Robert appuie son récit sur les prises de paroles publiques d’Adèle Haenel et de Vanessa Springora qui, elle-même, choisit une citation de Mes biens chères sœurs, le manifeste féministe de Chloé Delaume, comme épigraphe de l’un des chapitres du Consentement – citation qui affirme : « Le langage a toujours été une chasse gardée. Qui possède le langage possèdera le pouvoir »39. Par cette intertextualité, l’autrice s’inscrit dans un féminisme résolument sororal en même temps qu’elle fait sienne l’idée que la maîtrise du logos et la possibilité de raconter sont pour les femmes victimes d’abus les piliers d’une éventuelle reprise de pouvoir. La solidarité des femmes entre elles se lit d’ailleurs dans les dédicaces des livres, Loulou Robert adressant le sien « à toutes celles qui… », Adélaïde Bon dédiant de la même façon La Petite fille sur la banquise « à toutes les victimes de violences, / [s]es héroïnes », et nommément à Muriel Salmona, « l’enquêtrice au long cours », psychiatre spécialiste des violences sexuelles qui l’aurait visiblement suivie. L’épigraphe de La Petite fille sur la banquise, une citation de Brecht, prend soin de souligner la pluralité des crimes sexuels et des souffrances restées longtemps inaudibles : « Lorsque les crimes commencent à s’accumuler, ils deviennent invisibles. Lorsque les souffrances deviennent insupportables, les cris ne sont plus entendus. Les cris, aussi, tombent comme la pluie en été »40. La volonté de faire entendre la souffrance, et plus généralement de partager l’expérience de la domination, est au fondement du mouvement #Metoo comme elle était déjà au cœur du féminisme des années 1970. Les titres des récits de Mazarinée Pingeot et d’Elsa Fottorino (Se taire et Parle tout bas), de même que l’épigraphe qui ouvre Parle tout bas – « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais donc continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire »41 – font de la parole un enjeu éthique de premier plan, depuis l’injonction à garder le silence à la nécessité de le briser, en passant par la difficulté de raconter l’expérience du viol. L’ensemble des paratextes et des intertextes montrent ainsi que le phénomène éditorial et littéraire observé est étroitement intriqué au mouvement contemporain de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ils témoignent d’un engagement de l’écriture, notamment sous la forme d’une forte politisation des traumas personnels qui renoue avec la démarche féministe de la deuxième vague. L’ancrage explicite des publications dans l’actualité sociopolitique allié au souci de participer d’une communauté de voix relèvent d’une manière de faire mouvement, au sens où l’entend Audrey Lasserre, c’est-à-dire une dynamique où « un mouvement politique [se fait] littéraire, et [où], dans le même élan, une littérature [se fait] politique »42.
Les Choses humaines de Karine Tuil : une reprise romanesque du discours social
- 43 Mathilde Barraband, « Quels lecteurs l’université forme-t-elle ? », Regards interdisciplinaires sur (...)
- 44 Notre lecture diffère en cela de celle de Sylvie Cadinot-Romerio qui, tout en reconnaissant « qu’un (...)
- 45 Dominique Viart, « “Fictions critiques” : la littérature contemporaine et la question du politique (...)
- 46 Karine Tuil, Les Choses humaines, op. cit., p. 249. Il s’agit de la tribune intitulée « Nous défend (...)
11Étudier l’imbrication d’un phénomène littéraire et d’un mouvement social implique de « rompre avec la conception de la littérature comme corpus clos, clairement distinct des autres pratiques discursives et artistiques »43. Une telle démarche suppose une approche résolument interdisciplinaire qui tranche avec le cœur formaliste des études littéraires, d’où émane la réflexion d’Hélène Merlin-Kajman sur la textualité du Consentement. Ce problème méthodologique est posé à nouveaux frais par le phénomène littéraire #Metoo parce qu’il touche non seulement la réception d’écritures du réel, inspirées d’un vécu, mais aussi celle de fictions qui dialoguent explicitement avec le mouvement social, comme c’est le cas des Choses humaines de Karine Tuil. Dans ce roman, l’écrivaine met en scène une affaire d’accusation de viol médiatisée, fictive mais ancrée dans le contexte social que nous connaissons. Le lendemain d’une soirée entre étudiant·es, la jeune Mila Wizman porte plainte pour viol contre Alexandre Farel, fils de la nouvelle compagne de son père, âgé de quelques années de plus qu’elle. L’enquête devient très vite « l’affaire Farel » car les parents d’Alexandre sont des personnalités publiques : son père est un journaliste influent, sa mère une essayiste reconnue. Après un exposé précis de la situation de chacun des personnages et de ce qui mène à la rencontre de Mila et d’Alexandre, près de la moitié du roman est consacrée au déroulement des cinq jours du procès. Le moment précis du rapport sexuel entre les deux personnages fait quant à lui l’objet d’une ellipse narrative. Les faits sont évoqués pour la première fois lorsqu’Alexandre se remémore, à son réveil, les événements de la soirée de la veille. L’épisode incriminé est narré en focalisation interne, épousant le point de vue de l’accusé qui, malgré un vague malaise et la culpabilité d’avoir couché avec Mila seulement pour accomplir un gage, ne considère pas ce qui s’est passé comme une agression. Plus loin, les faits sont dévoilés selon le point de vue de Mila, à travers la transcription de l’échange téléphonique qu’elle a eu avec la police au moment de porter plainte ainsi que par les auditions menées au cours du procès, toutes livrées au discours direct. Si le témoignage de Mila est construit pour être on ne peut plus crédible, et si son traumatisme est attesté par plusieurs éléments factuels dans l’univers du roman (pleurs, signes d’anxiété, troubles du comportement alimentaire…), il reste qu’aucun passage du récit ne montre « objectivement » le viol, qui n’est jamais raconté selon un point de vue externe ou omniscient. Même si ce que l’on sait de la culture du viol nous incite à avérer la version de Mila, en toute rigueur (et indépendamment des intentions de l’autrice), on ne peut pas affirmer positivement que le viol a eu lieu car nous n’avons – fiction oblige – aucun événement auquel nous référer hors des deux paroles qui s’opposent44. Le récit se concentre en fait sur la manière de faire apparaître l’innocence ou la culpabilité du jeune homme accusé et sur les propos échangés dans la salle d’audience et hors du tribunal. La romancière ne règle pas la focale sur le traumatisme de la plaignante mais sur le procès médiatique qui suit les faits et sur l’économie des discours entourant l’affaire. En arrière-plan, Karine Tuil met en scène l’opposition entre les partisans et les adversaires du mouvement #Metoo. La pluralité des points de vue permet en outre de dévoiler les contradictions et les conflits intérieurs des proches d’Alexandre et de Mila (en particulier le cas de conscience de Claire Farel, la mère de l’accusé, féministe engagée qui prend immédiatement le parti de son fils contre Mila). Ce cas #Metoo imaginé par Karine Tuil se lit à bien des égards comme une « fiction critique »45 qui ausculte les conflits sociaux noués autour des dénonciations des violences sexuelles. Ce qui nous intéresse dans ce roman est qu’il inclut des bribes de discours ayant fait polémique dans le monde réel en les mêlant à la vie et aux propos de personnages fictifs. Ainsi, Claire Farel se souvient de « la tribune signée par certaines femmes qui réclamaient le droit d’être importunées »46, tandis que devant les portes du Palais de justice où se tient le procès de son fils,
- 47 Ibid., p. 195.
une soixantaine de femmes arboraient des pancartes sur lesquelles elles avaient inscrit « stop impunité. » « #MeToo. non au silence ! » À proximité du passage réservé aux professionnels, des adolescentes postées devant le kiosque à journaux agitaient de grandes photos de porcs sur lesquelles elles avaient imprimé les mentions « Farel » et « BalanceTonPorc ». Les Femen étaient là aussi, scandant ces mots : « Farel, violeur ! Pas d’honneurs aux agresseurs ! »47
- 48 Marc Angenot, « Que peut la littérature ? Sociocritique littéraire et critique du discours social » (...)
- 49 Créée à partir de l’intertextualité, la notion d’interdiscours se définit comme l’« ensemble des un (...)
12Le réalisme de ce passage tient au fait que les jeunes femmes fictives emploient littéralement les expressions de la mobilisation féministe de 2017 (les formules « Metoo » et « BalanceTonPorc »). La voix narrative impute à un groupe féministe existant bel et bien (les Femen) une prise de position contre l’accusé fictif, Alexandre Farel. De tels procédés peuvent être analysés grâce aux outils de la sociocritique, qui envisage le texte littéraire dans ses interactions avec la sémiotique sociale. Autrement dit, il s’agit d’observer comment le roman reprend les discours, les savoirs et les représentations qui forment l’image qu’une société a d’elle-même, dans une situation sociohistorique donnée. Ce programme de lecture semble commandé par l’écriture de Karine Tuil, qui intègre à sa narration des fragments du discours social suscité par le mouvement #Metoo immédiatement reconnaissables pour le lectorat contemporain. Comme le souligne Marc Angenot, le discours littéraire vient après le discours social, il formule une réponse qui implique une prise de position, fût-elle une simple orientation du regard48. Le roman de Karine Tuil non seulement répercute l’écho des discours sociaux sur les violences sexuelles, mais aussi les interroge-t-il en les confrontant. Deux exemples d’interdiscours49 le montrent.
13Au début du roman, Claire Farel est invitée à se prononcer sur une multitude d’agressions sexuelles et de viols commis à Cologne lors du réveillon du 31 décembre 2015. Cette série d’attaques violentes, qui ont réellement été perpétrées ce soir-là en Allemagne, a donné lieu à de vives polémiques car les hommes accusés étaient en majorité des immigrés originaires d’Afrique du Nord. Dans un entretien, le personnage de Claire Farel prend position contre des féministes qui, selon elle, minimisent la violence sexiste par crainte d’une instrumentalisation raciste du drame. La voix narrative explique :
- 50 Karine Tuil, Les Choses humaines, op. cit, p. 39.
La maire de Cologne elle-même, redoutant une stigmatisation des immigrés, avait mis en garde contre les amalgames avant de conseiller maladroitement aux femmes de « s’éloigner des hommes ». C’était cette expression – « s’éloigner des hommes » – qui avait motivé la réponse de Claire. Elle souhaitait, disait-elle dans l’entretien, « vivre dans une société où les femmes ne devraient pas être obligées de s’écarter des hommes pour être tranquilles »50.
- 51 Voir l’article « Cologne New Year gang assaults: Mayor says women should have code of conduct to pr (...)
14Les propos de la femme politique du roman se lisent comme une reprise du discours tenu par la bourgmestre réelle de Cologne, Henriette Reker, qui, dans la conférence de presse du 5 janvier 2016, a suggéré aux femmes de se tenir à distance des hommes qu’elles ne connaissent pas (« eine Armlänge », littéralement « à un bras de distance »51). C’est à ces propos que répond directement Claire Farel, dans un dialogue tissé par l’autrice entre discours réel et personnage fictif. En livrant les motivations profondes de l’engagement et des prises de paroles de son personnage, Karine Tuil pointe obliquement la faiblesse de la réponse politique apportée aux milliers de femmes victimes du nouvel an 2016.
15Un autre exemple d’interdiscours signifiant intervient bien plus loin dans le récit, dans un moment d’acmé narrative. Il s’agit du témoignage à la barre de Jean Farel, le père de l’accusé, le dernier jour du procès Farel. Dans le roman, son intervention est très attendue du public puisqu’il est une personnalité aussi influente que controversée. C’est donc une scène à faire également très attendue du lectorat. La tirade de Jean Farel, entièrement livrée au discours direct, se termine ainsi :
- 52 Karine Tuil, Les Choses humaines, op. cit., p. 281.
Alexandre est une bonne personne, tous ses amis l’ont dit : il est sain d’esprit, loyal, courageux, combatif, c’est pourquoi je pense qu’il serait injuste de détruire la vie d’un garçon intelligent, droit, aimant, un garçon à qui jusqu’à présent tout a réussi, pour vingt minutes d’action52.
- 53 Sur le retentissement de l’affaire de Stanford, voir l’article « Comment un viol à l'université de (...)
- 54 Karine Tuil, Les Choses humaines, op. cit., p. 283.
- 55 Pour reprendre la notion développée par Bruno Blanckeman, « De l’écrivain engagé à l’écrivain impli (...)
16Pour cette scène, la romancière puise directement dans la polémique de l’affaire de Stanford. Le père de l’étudiant reconnu coupable de viol a en effet choqué une partie de l’opinion en défendant son fils en ces termes, dans une lettre adressée au juge en charge du dossier : « Sa vie ne sera plus jamais la même, celle dont il rêvait et pour laquelle il avait travaillé si longtemps. C’est un lourd prix à payer, vingt ans de sa vie pour vingt minutes d’action. »53 Là encore, l’autrice oppose à ce discours d’autres discours, comme le manifeste fictif publié dès le lendemain du témoignage de Jean Farel, intitulé : « Non, un viol, ce n’est pas vingt minutes d’action, mais une vie détruite – celle de la victime »54 ou encore le texte publié par Mila sur son blog, dans lequel elle expose sa souffrance et dit pourquoi les propos tenus par la défense et notamment Jean Farel ne rendent pas justice à ce qu’elle a traversé. Le dialogisme romanesque, qui joue ici à plein, met en avant la circulation des discours, les effets de reprise, de réponse que suscite une accusation de viol – la fiction littéraire étant elle-même une réponse apparente aux prises de position sociales rendues parfois schématiques par les logiques partisanes et la temporalité accélérée des médias. Lire le roman de Karine Tuil en sociocritique a le double intérêt de mettre au jour les dynamiques en jeu dans la cacophonie #Metoo et d’illustrer une forme toute contemporaine d’« implication littéraire »55.
Conclusion
- 56 Dominique Rabaté, « Récit ou roman ? », Vous avez dit contemporain ? Enseigner les écritures d’aujo (...)
17Ce qui affleure sans conteste, c’est que les écrivain·es d’aujourd’hui formulent des réponses non seulement aux violences sexuelles, mais aussi aux discours sur la sexualité qui émanent de #Metoo, partisans et adversaires du mouvement. Si importante qu’elle soit, cette dynamique entre texte et hors-texte ne doit pas faire oublier que la critique universitaire se donne pour objectif de « poursuivre l’enquête sur les formes, […] sans jamais s’inféoder à l’actualité pour elle-même »56. La réflexion se cristallise sur l’émergence d’un sous-genre littéraire : cette modalité de l’écriture de soi qu’est le témoignage. Avec la prise de conscience collective qu’est #Metoo, on assiste à une évolution de la littérature du trauma pensée en termes de résilience vers une politisation plus explicite de la souffrance vécue. Dans sa variété et sa complexité, le corpus appréhendé nous invite à forger de nouveaux critères d’évaluation de la littérature. Ainsi, la littérarité du témoignage semble adossée à son éthique et résider dans la justesse avec laquelle il restitue l’expérience. Du côté de la fiction romanesque, la mise en scène des sphères policière et judiciaire s’accompagne d’un dialogue inédit avec le discours social, ce qui trace les contours d’un hyperréalisme contemporain au service d’une critique de la culture du viol.
18Ouvrons ultimement la réflexion sur la question de la réception publique du corpus : quels effets peut-on attendre de la lecture des ouvrages cités ? En tant que laboratoire de réflexion sur les rapports de force dans la sexualité, sur le désir et le consentement, cette littérature permettrait d’éclairer les lecteurs et lectrices sur un sujet sensible qui semble difficilement trouver sa place dans les institutions éducatives. La littérature se trouverait là investie comme instance de partage, d’empathie et d’éducation morale. Lire les récits de violence sexuelle participerait-il à forger une responsabilité plus grande de chaque lecteur et lectrice, étape nécessaire à la mise en place d’une lutte pour la justice efficace ? Pour utilitariste qu’elle puisse paraître, cette approche de la littérature n’est pas contradictoire avec les projets des autrices mentionnées, dont une large part dit avoir pris la plume pour contribuer à la prise de conscience générale et ainsi lutter contre la perpétuation des abus qu’elles ont subis ou dont elles sont témoins. L’essor contemporain de cette thématique littéraire nécessite en tout cas une recherche engagée, une forme de justesse de lecture que nous espérons contribuer à élaborer.
Notes
1 Voir par exemple Vanessa Springora, Le Consentement, Paris, Grasset, 2020 ou Camille Kouchner, La Familia grande, Paris, Éditions du Seuil, 2021. Ce mouvement de dénonciation est mondial, mais cette étude porte sur les seules publications françaises.
2 Voir le roman choral de Marcia Burnier, Les Orageuses, Paris, Cambourakis, 2020.
3 Voir Loulou Robert, Zone grise, Paris, Flammarion, 2020.
4 Voir Adélaïde Bon, La Petite fille sur la banquise, Paris, Grasset, 2018 et Karine Tuil, Les Choses humaines, Paris, Gallimard, 2019.
5 « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », tribune parue dans Le Monde le 9 janvier 2018, signée par une centaine de femmes.
6 Christine Angot, L’Inceste, Paris, Stock, 1999 et Une semaine de vacances, Paris, Flammarion, 2012 ; Virginie Despentes, Baise-moi, Paris, Florent Massot, 1994 et King Kong théorie, Paris, Grasset, 2006 ; Annie Ernaux, Mémoire de fille, Paris, Gallimard, 2016. Sur l’emploi du terme viol par Ernaux et l’évolution des cadres d’interprétation de l’expérience qu’elle relate, voir Anne Grand d’Esnon, « “Vous avez raison et maintenant j’ai raison de dire viol”. La part de la réception dans le discours auctorial sur Mémoire de fille », Revue critique de fixxion française contemporaine [En ligne], 24 | 2022, mis en ligne le 15 juin 2022. URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/fixxion/2085#tocto1n5, consulté le 07 février 2024.
7 Voir à ce sujet l’article de Joséphine Vodoz, « Le corps comme marchandise ? », Revue critique de fixxion française contemporaine [En ligne], 24 | 2022, mis en ligne le 15 juin 2022. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/fixxion/2239, consulté le 07 septembre 2023.
8 Pour reprendre le titre de l’ouvrage collectif Réarmements critiques de la littérature contemporaine, Jean-Pierre Bertrand, Frédéric Claisse, Justine Huppe (éd.), Liège, Presses universitaires de Liège, coll. « Situations », 2022.
9 Voir note 42.
10 Voir les volumes Les Désirs comme désordre, Paris Fayard/Pauvert, 2020 et Sororité, dirigé par Chloé Delaume, Paris, éditions Points, coll. « Féministes », 2021.
11 L’expression « rape culture » apparaît en 1974 dans le volume signé par le collectif des New York Radical Feminists, Noreen Connell et Cassandra Wilson (éds.), Rape: The First Sourcebook for Women, New York, New American Library.
12 Geneviève Fraisse, « Les bavardes : féminisme et moralisme », Christiane Dufrancatel, Arlette Farge, Christine Faure et al., L’Histoire sans qualités, Paris, Éditions Galilée, 1979, p. 194.
13 Audrey Lasserre cite par exemple Vu du Ciel de Christine Angot (1990), Baise-moi de Virginie Despentes (1994) ou Truismes de Marie Darrieussecq (1996), « Mauvais Genre(s) : une nouvelle tendance littéraire pour une nouvelle génération de romancières », in Marie-Odile André, Johan Faerber (éds.), Premiers romans 1945-2003, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2005, p. 66-67.
14 Nous renvoyons à l’évolution du féminisme observée par la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, notamment dans son essai Un corps à soi, Paris, Seuil, 2021, p. 19.
15 Jian Ghomeshi, musicien et animateur de radio populaire au Canada, a été accusé d’agression sexuelle par plusieurs femmes en 2014. Les reportages médiatiques se sont multipliés, d’autres accusations se sont ajoutées en 2015. Le procès qui a eu lieu en 2016 a été très médiatisé.
16 Nous renvoyons aux notes 1, 3 et 4.
17 Inès Bayard, Les Malheurs du bas, Paris, Albin Michel, 2028 ; Lola Lafon, Chavirer, Arles, Acte sud, 2020 ; Mazarine Pingeot, Se taire, Paris, Robert Laffont, 2019 ; Karine Tuil, Les Choses humaines, op. cit. ; Tanguy Viel, La Fille qu’on appelle, Paris, Éd. de Minuit, 2021.
18 Pascale Robert-Diard, La Petite menteuse, Paris, L’Iconoclaste, 2022.
19 La réception du livre de Camille Kouchner illustre ce refus de considérer le témoignage comme un récit à valeur littéraire : selon Nicolas Gastineau et Frédéric Martel, on ne peut pas « [parler] de littérature, d’abord parce que le livre n’est pas très bien écrit, ni d’ailleurs d’ambition littéraire, mais surtout parce qu’il dit la vérité, du moins sa vérité – et que ça, ce n’est pas de la fiction » (site de France Culture, URL : https://www.radiofrance.fr/franceculture/comment-qualifier-la-familia-grande-9790890, consulté le 20 juin 2024). Voir aussi le propos tenu par Sabine Prokhoris dans son essai anti-mouvement #Metoo, qui considère La Familia grande comme une « entreprise […] quelque peu gauchie », « impudique », dont les « bénéfices » sont surtout « pécuniaires », et qualifie même un passage de « chef-d’œuvre (involontaire sûrement) d’obscénité morbide », Le Mirage #MeToo : réflexions à partir du cas français, Paris, Le Cherche Midi, 2021, p. 294-305. Par ailleurs, Marie-Dominique Garnier estime que « l’écriture de Springora ne ménage que peu ou pas de lignes de fuite, [qu’elle] parle la phallogolangue des corps et des mots découpés selon les pointillés les plus patriarcaux », « #MeToologies ou les ciseaux de Vanessa Springora », Multitudes, 2020, vol. 2, n° 79, p. 216.
20 C’est une position soutenue par un écrivain et professeur d’université à laquelle l’écrivaine québécoise Marie-Pier Lafontaine dit s’être confrontée lors d’un colloque, voir son essai Armer la rage : pour une littérature de combat, Montréal, Héliotrope, 2022 (édition numérique non paginée).
21 Voir l’article « Affaire Matzneff : le parquet de Paris s'autosaisit », mis en ligne le 3 janvier 2020 URL : https://www.liberation.fr/france/2020/01/03/affaire-matzneff-le-parquet-de-paris-s-autosaisit_1771595/, consulté le 27 mars 2023.
22 Marie-Pier Lafontaine, Armer la rage, op. cit. (édition numérique non paginée).
23 Gérard Genette, Fiction et diction, précédé de l’Introduction à l’architexte, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2004 [1991], p. 88.
24 Barbara Havercroft, « Questions éthiques dans la littérature de l’extrême contemporain : les formes discursives du trauma personnel », Les Cahiers du CERACC, n° 5, 2012, p. 34.
25 Alexandre Gefen, « Justesse et justice », conférence donnée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le 21 septembre 2022, enregistrement disponible en ligne. URL : https://oic.uqam.ca/fr/node/73803, consulté le 07 juin 2023.
26 Idem.
27 Idem.
28 Marie-Pier Lafontaine, Armer la rage, op. cit., édition numérique non paginée.
29 Dans sa critique du Consentement, Laélia Véron a mis en avant le « style cru qui dévoile, qui nous ramène brutalement au caractère concret des faits ». Comme elle le souligne, ce parti-pris esthétique se charge d’un sens éthique parce qu’il s’oppose au style « ampoulé et onctueux [de Matzneff], surchargé de références qui cherchent moins à dire qu’à maquiller des propos clichés ou des descriptions pornographiques répétitives », voir sa critique sur le site de la revue Contretemps. URL : https://www.contretemps.eu/chronique-springora-consentement/#_ftnref4, consulté le 08 février 2024.
30 Vanessa Springora, « “Rien n’est normal dans ma vie depuis janvier”, entretien avec Anne Diaktine », Libération, 9 avril 2020.
31 Vanessa Springora, Le Consentement, op. cit., p. 111.
32 Hélène Merlin-Kajman, La Littérature à l’heure de #Metoo, Paris, Ithaque, coll. « Theoria Incognita », p. 158. Nous soulignons.
33 Idem.
34 Marie-Jeanne Zenetti, « Que fait #Metoo à la littérature ? ». Revue critique de fixxion française contemporaine [En ligne], 24 | 2022, mis en ligne le 15 juin 2022. URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/fixxion/2148, consulté le 29 mars 2023.
35 Voir par exemple la discussion entre Vanessa Springora et François Busnel dans La Grande librairie du 15 janvier 2020 ou l’interview croisée de Mazarine Pingeot et Karine Tuil publiée dans Paris Match. URL : https://www.parismatch.com/Culture/Livres/Karine-Tuil-et-Mazarine-Pingeot-au-nom-des-femmes-1642096, consulté le 08 février 2024.
36 Loulou Robert, « Introduction », Zone grise, op. cit., p. 9.
37 Mazarine Pingeot, « Prologue », Se taire, op. cit., p. 11.
38 Loulou Robert, Zone grise, op. cit., p. 6.
39 Chloé Delaume, citée par Vanessa Springora, Le Consentement, op. cit., p. 183.
40 Bertolt Brecht, cité par Adélaïde Bon, La Petite fille sur la banquise, op. cit., p. 9.
41 Il s’agit d’une citation tirée de L’Innommable de Samuel Beckett. Parle tout bas, op. cit., p. 11.
42 Audrey Lasserre, « Histoire d’une littérature en mouvement : textes, écrivaines et collectifs éditoriaux du Mouvement de libération des femmes en France (1970-1981) », thèse de doctorat, Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle, soutenue le 3 décembre 2014, p. 1. Thèse disponible en ligne. URL : https://theses.hal.science/tel-01635187v1, consultée le 20 juin 2024.
43 Mathilde Barraband, « Quels lecteurs l’université forme-t-elle ? », Regards interdisciplinaires sur les publics de la culture, in Marie-Claude Larouche, Jason Luckerhoff, Stéphane Labbé (éd.), Québec, Presses de l’Université du Québec, coll. « Culture et publics », 2017, p. 51.
44 Notre lecture diffère en cela de celle de Sylvie Cadinot-Romerio qui, tout en reconnaissant « qu’un doute n’est pas exclu », choisit de considérer le viol pour lequel Mila porte plainte comme une « vérité romanesque ». Voir « La zone dissimulée du non-consentement », Revue critique de fixxion française contemporaine [En ligne], 26 | 2023, mis en ligne le 15 juin 2023. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/fixxion/10810, consultée le 07 février 2024. En revanche, nous pouvons estimer que l’adaptation cinématographique d’Yvan Attal est fidèle au roman sur ce point car l’ellipse est conservée : la scène du local à poubelle où se déroulent les faits est la grande absente du film.
45 Dominique Viart, « “Fictions critiques” : la littérature contemporaine et la question du politique », Jean Kaempfer, Sonya Florey, Jérôme Meizoz (éds), Formes de l’engagement littéraire (XVe-XXIe siècle), Lausanne, éditions Antipodes, 2006, p. 185-204.
46 Karine Tuil, Les Choses humaines, op. cit., p. 249. Il s’agit de la tribune intitulée « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » mentionnée en introduction (voir note 5).
47 Ibid., p. 195.
48 Marc Angenot, « Que peut la littérature ? Sociocritique littéraire et critique du discours social », in La Politique du texte, enjeux sociocritiques pour Claude Duchet, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1992, p. 21. Il définit le discours social comme « tout ce qui se dit, tout ce qui s’écrit dans un état de société donné […], tout ce qui se narre et s’argumente », dans « Le discours social : problématique d’ensemble », Cahiers de recherche sociologique, vol. 2, n° 1, 1984.
49 Créée à partir de l’intertextualité, la notion d’interdiscours se définit comme l’« ensemble des unités discursives (relevant de discours antérieurs du même genre, de discours contemporains d’autres genres, etc.) avec lesquelles un discours particulier entre en relation implicite ou explicite », Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, Dictionnaire de l’analyse du discours, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p. 324.
50 Karine Tuil, Les Choses humaines, op. cit, p. 39.
51 Voir l’article « Cologne New Year gang assaults: Mayor says women should have code of conduct to prevent future assault », mis en ligne le 5 janvier 2016. URL : https://www.independent.co.uk/news/world/europe/mayor-of-cologne-says-women-should-have-code-of-conduct-to-prevent-future-assault-a6798186.html, consulté le 21 juin 2024. Au total, ce sont environ 1200 femmes qui ont été agressées par 2000 hommes dans la même soirée (« Allemagne : les terribles chiffres des agressions sexuelles du Nouvel an », mis en ligne le 11 juillet 2016. URL : https://www.lexpress.fr/monde/europe/allemagne-les-terribles-chiffres-des-agressions-sexuelles-du-nouvel-an_1811303.html, consulté le 09 février 2024).
52 Karine Tuil, Les Choses humaines, op. cit., p. 281.
53 Sur le retentissement de l’affaire de Stanford, voir l’article « Comment un viol à l'université de Stanford est devenu une affaire nationale aux États-Unis », mis en ligne le 12 juin 2016. URL : https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/comment-un-viol-a-l-universite-de-stanford-est-devenu-une-affaire-nationale-auxetats-unis_1493009.html, consulté le 05 février 2024.
54 Karine Tuil, Les Choses humaines, op. cit., p. 283.
55 Pour reprendre la notion développée par Bruno Blanckeman, « De l’écrivain engagé à l’écrivain impliqué : figures de la responsabilité littéraire au tournant du XXIe siècle », Des écritures engagées aux écritures impliquées : littérature française (XXe-XXIe siècles), Dijon, Presses universitaires de Dijon, 2015.
56 Dominique Rabaté, « Récit ou roman ? », Vous avez dit contemporain ? Enseigner les écritures d’aujourd’hui, Jean-Luc Bayard, Anne-Marie Mercier-Favre (éds), Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. « Travaux du CIEREC », 2007, p. 24.
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Référence électronique
Claire David, « Écrire et lire les violences sexuelles aujourd’hui : un mouvement #Metoo littéraire ? », Essais [En ligne], 22 | 2024, mis en ligne le 09 décembre 2024, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/13912 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12wqi
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