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Comptes rendus

Martin Rathgeb, Markus Helmerich, Ralf Krömer, Katja Lengnink, Gregor Nickel, Mathematik im Prozess: Philosophische, historische und didaktische Perspektiven

Thomas Morel
p. 185-188
Référence(s) :

Martin Rathgeb, Markus Helmerich, Ralf Krömer, Katja Lengnink, Gregor Nickel (dir.), Mathematik im Prozess: Philosophische, historische und didaktische Perspektiven, Wiesbaden, Springer, 2013, 366 p.

Texte intégral

  • 1 Rathgeb et al., Mathematik im Prozess, Wiesbaden, Springer, 2013, introduction.

1Cet ouvrage collectif, dont la direction est assurée par des enseignants des universités de Siegen et Gießen, constitue la publication des actes de la XIIe conférence de mathématiques générales. Le but de cette manifestation, inaugurée en 1995, est d’encourager une réflexion interdisciplinaire sur les mathématiques. Intitulée Processus en mathématiques : perspectives philosophiques, historiques et didactiques, cette douzième édition a eu lieu à l’université de Siegen du 10 au 12 mai 2012. La notion de processus est le fil conducteur qui réunit au sein de cet ouvrage dense pas moins de 24 articles, écrits par 28 contributeurs issus de l’espace germanophone. Les contributions sont regroupées au sein de trois grandes parties philosophique, historique et didactique. On n’y trouve cependant aucun cloisonnement disciplinaire, bien au contraire. L’introduction pose d’ailleurs une thèse très forte en affirmant que le concept de processus, qui apparaît dans ces trois domaines, permet d’ouvrir de nombreuses passerelles. Les directeurs de l’ouvrage entendent ainsi étudier « dans quelle mesure les méthodes d’un domaine de recherche se laissent transposer dans les problématiques d’autres champs »1.

2La plupart des articles font ainsi appel à des considérations aussi bien historiques que philosophiques, en particulier dans la troisième partie consacrée aux problématiques de didactique des mathématiques. Selon les sujets et l’utilisation des différentes méthodologies, cette interdisciplinarité produit des résultats plus ou moins heureux. La louable ambition d’une approche pluridisciplinaire se heurte en effet par endroits à la nécessaire brièveté des contributions, qui dépassent rarement une quinzaine de pages. Sans prétendre couvrir ici l’ensemble des articles ou des questions soulevées par cet ouvrage, nous en ferons ressortir les points saillants, en insistant plus précisément sur les questions relatives à l’histoire de l’enseignement et à la didactique des sciences.

3La première partie, consacrée aux perspectives philosophiques, est globalement la plus variée. Plusieurs contributions sont consacrées à des problèmes très précis qui, lorsqu’ils abordent effectivement la notion de processus, laissent généralement de côté les considérations historiques et didactiques. L’article de Gerhard Heinzmann, professeur à l’université de Lorraine, est ainsi consacré au rôle de l’intuition (Anschauung) dans la connaissance mathématique (mathematische Erkenntnis). Il propose un travail important de clarification des concepts et définit l’intuition comme utilisation intuitive. La contribution de Martin Rathgeb sur l’analyse mathématique de la logique par Boole est utile, car il décortique les interprétations successives – souvent anachroniques – qui se sont mises en place après les travaux du mathématicien anglais, et cherche à retrouver le sens premier de son projet. Un bon exemple d’une contribution mêlant philosophie et didactique est proposé par Willi Dörfler, dans son article Que diraient Peirce ou Wittgenstein des modèles de compétence ? L’auteur discute ce que veut dire « comprendre les mathématiques » et soutient que la tendance actuelle est à l’effacement de la frontière entre les mathématiques proprement dites et leur contexte d’utilisation : « comprendre » devient progressivement « savoir utiliser » les signes et les formules ! Son étude du rôle des diagrammes chez Peirce et des jeux de langage chez Wittgenstein montre cependant les limites de cette conception moderne en didactique des mathématiques. Pour les deux philosophes, l’utilisation des signes a certes un rôle justifiant (Rechtfertigungscharakter), mais ne doit pas remplacer ou occulter une réflexion sur la construction des signes eux-mêmes.

  • 2 En particulier Wilhelm von Humboldt, Über die Aufgabe des Geschichtsschreibers, Berlin, 1821, tradu (...)

4La seconde partie s’ouvre, de manière tout à fait judicieuse, par une réflexion philosophique de Thomas Zwenger sur le concept d’histoire. S’appuyant sur les travaux du pédagogue Wilhelm von Humboldt2, il refuse toute prétention objective à la science historique en montrant qu’elle procède toujours d’une orientation particulière. Cela est illustré par les cinq articles suivants, qui étudient chacun des points particuliers de l’histoire de l’enseignement des mathématiques, éventuellement mis en rapport avec des considérations didactiques actuelles. La plupart des auteurs parvenant à éviter les écueils d’une simple étude comparée anachronique, cette seconde partie constitue probablement le point fort de l’ouvrage. Gabriele Wickel étudie la tension qui existe entre l’enseignement théorique et pratique de la géométrie dans l’Angleterre du XVIe siècle. Elle apporte ainsi une contribution notable à l’étude des mathematical practitioners, en se focalisant sur un ouvrage d’arpentage publié par Aaron Rathborne. Ce livre, destiné à former des arpenteurs, possède une partie théorique très développée (dans laquelle les Éléments d’Euclide figurent en bonne place), alors même que ces connaissances ne sont pas nécessaires pour la mesure des terrains. L’auteure y voit le signe d’un attachement à une formation théorique qui apprend à apprendre, enseigne un style ainsi qu’une approche des problèmes, au lieu d’une simple collection de formules et de résultats.

5L’article de Desirée Kröger, consacré aux Éléments de mathématiques (mathematische Anfangsgründe) d’A. G. Kästner (1719-1800), vient combler une lacune de l’historiographie actuelle. Si Kästner est reconnu comme poète et comme professeur de mathématiques, ses manuels ont souvent été jugés médiocres et n’ont pas fait l’objet d’études approfondies, alors même qu’ils ont été utilisés dans l’ensemble des universités allemandes pendant toute la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ils sont ici décrits et mis en relation avec d’autres manuels allemands, ce qui ouvre la porte à une éventuelle comparaison avec leurs équivalents français de la même époque. Il aurait cependant été souhaitable que cette étude s’accompagne d’une réflexion sur les rapports entre les manuels et l’enseignement proprement dit d’une part, et entre ces Éléments et des manuels plus ambitieux comme ceux de L. Euler de l’autre. L’article suivant traite de la conception de l’enseignement de la géométrie chez J. H. Pestalozzi (1746-1827). Mêlant une approche historique large et des conceptions proprement didactiques, Hans-Joachim Petsche y explique comment le pédagogue suisse a particulièrement influencé le système prussien, et son évolution jusqu’au milieu du XIXe siècle. Puis Martin Winter, dans une communication intitulée Theorema Pythagoricum, étudie le mémoire publié par un enseignant de mathématiques dans le secondaire en 1853, qui rassemble 21 preuves du théorème de Pythagore. Il tente de reconstruire le rôle de ces démonstrations dans les exercices et la réalité de l’enseignement, ici encore envisagé comme processus. L’auteur fait preuve d’une réflexivité bienvenue en soulignant les limites de sa reconstruction et son intérêt méthodologique.

  • 3 Un texte de référence, abondamment discuté dans les contributions de cette troisième partie, est le (...)
  • 4 Voir par exemple Annika Wille, Activation of inner mathematical discourses of students about fracti (...)

6La dernière partie rassemble les articles de didactique. Elle est la plus conséquente, avec un total de 10 contributions, dont plusieurs se basent sur des expériences concrètes menées auprès de classes de mathématiques de différents niveaux. Dans la plupart des cas, l’arrière-plan est assez naturellement l’étude des méthodes actuellement recommandées par le ministère de l’éducation, en particulier la pédagogie des compétences3. Si l’on a parfois affaire à des comptes-rendus de séminaires plutôt qu’à de véritables contributions, il n’en reste pas moins que cette partie présente un panorama large, la plupart du temps bien documenté, des débats actuels en didactique des mathématiques. Katja Lengnink s’intéresse à la notion de processus en pédagogie différenciée, et au concept d’échange intersubjectif entre apprenants, en faisant appel à de nombreux exemples. Annika M. Wille propose une synthèse de ses nombreux travaux sur les dialogues imaginaires (selbst erdachte Dialoge)4. Ce type particulier d’exercices, dans lequel un élève doit traiter une question ou un sujet sous forme de dialogue imaginaire, fait intervenir selon elle deux types distincts de processus d’apprentissage. L’écriture constitue un mise en forme lente des idées et des solutions, qui est ensuite réinterprétée au cours d’une phase d’écoute active. Les nombreuses expériences qu’elle intègre à sa réflexion cherchent à comprendre, au travers de ces dialogues, la manière dont s’organise la réflexion de l’élève. L’article d’Andreas Vohns, sur le rôle de l’enseignement des mathématiques dans la formation générale de l’élève, peut encore être signalé en raison de sa bibliographie fournie : il propose un riche panorama des diverses conceptions et orientations actuelles.

7Cet ouvrage volumineux aurait mérité une conclusion des directeurs de publication. Ils auraient ainsi pu examiner dans quelle mesure l’hétérogénéité des contributions a effectivement permis de mettre en place les échanges méthodologiques annoncés en introduction. Les sujets abordés, les méthodes utilisées et le lien avec le thème général – c’est-à-dire le concept de processus mathématique – sont, il faut le reconnaître, d’un niveau et d’un intérêt parfois inégal. Il est en particulier regrettable qu’un petit nombre de contributions manquent cruellement d’indications bibliographiques, ou se limitent à collationner des anecdotes historiques ou pédagogiques. La plupart des articles proposent cependant des résultats récents ou des panoramas critiques des champs disciplinaires étudiés, et se révèlent tout à fait précieux. Cet ouvrage permet ainsi d’obtenir un aperçu de la diversité des directions actuelles de la philosophie, de l’histoire de l’enseignement et de la didactique mathématique en langue allemande.

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Notes

1 Rathgeb et al., Mathematik im Prozess, Wiesbaden, Springer, 2013, introduction.

2 En particulier Wilhelm von Humboldt, Über die Aufgabe des Geschichtsschreibers, Berlin, 1821, traduit en français par A. Disselkamp et A. Laks, La tâche de l’historien, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1985.

3 Un texte de référence, abondamment discuté dans les contributions de cette troisième partie, est le rapport Klieme : Eckhard Klieme (éd.), Zur Entwicklung nationaler Bildungsstandards: Eine Expertise, Bundesministerium für Bildung und Forschung, 2003.

4 Voir par exemple Annika Wille, Activation of inner mathematical discourses of students about fractions with the help of imaginary dialogues, in Proceedings of the 35rd Conference of the International Group for the Psychology of Mathematics, vol. 4, 2011, p. 337-344.

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Pour citer cet article

Référence papier

Thomas Morel, « Martin Rathgeb, Markus Helmerich, Ralf Krömer, Katja Lengnink, Gregor Nickel, Mathematik im Prozess: Philosophische, historische und didaktische Perspektiven »Essais, 4 | 2014, 185-188.

Référence électronique

Thomas Morel, « Martin Rathgeb, Markus Helmerich, Ralf Krömer, Katja Lengnink, Gregor Nickel, Mathematik im Prozess: Philosophische, historische und didaktische Perspektiven »Essais [En ligne], 4 | 2014, mis en ligne le 17 janvier 2022, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/10180 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/essais.10180

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Auteur

Thomas Morel

EA 4574 SPH
Universités Bordeaux et Bordeaux Montaigne
thomas_morel@msn.com

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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