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Géopolitique de l’espace extra-atmosphérique
Géopolitiques de l'espace

La nouvelle économie spatiale à la croisée de plusieurs enjeux sécuritaires : Une analyse des politiques d’innovation en Europe et aux États-Unis

The New Space Economy at the Intersection of Multiple Security Challenges: An Analysis of Innovation Policies in Europe and the United States
Patrick Schembri

Résumés

Le développement récent de l’économie spatiale s’inscrit dans un contexte où les questions de sécurité ont beaucoup évolué durant les dernières décennies. Tenant compte de ce contexte, l’article a pour objet d’étudier la dynamique de l’innovation dans le secteur de l’aérospatial. Même si des tendances communes peuvent être relevées, l’analyse souligne des différences importantes entre les approches américaines et européennes en matière d’innovation. L’article est structuré en deux temps. Tout d’abord, les grandes tendances partagées de la nouvelle économie spatiale sont analysées par référence à un cadre d’analyse centré sur la notion de sécurité. Dans un second temps, une analyse de la politique d’innovation conduites par les Agences spatiales américaine et européenne souligne la diversité des approches.

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Texte intégral

Introduction

1Depuis 20 ans, on observe un renouveau de la conquête spatiale et la volonté des États d’associer des acteurs du secteur privé à l’observation et l’exploitation de l’espace. Puisqu’il n’est plus possible de financer les projets spatiaux par les seuls fonds publics, la réglementation en vigueur est alors adaptée afin de permettre aux agents privés d’investir dans ces projets à travers le développement d’activités commerciales. Dans ce contexte, de nouveaux acteurs arrivent parmi lesquels les pays en développement qui entrevoient l’opportunité de devenir de véritables puissances spatiales. Nous pensons notamment à la Chine, à l’Inde, au Japon et aux Émirats Arabes Unis qui souhaitent jouer un rôle important sur ces nouveaux marchés. Le développement rapide de ce secteur s’opère dans un environnement qui lui est favorable : besoin d’applications dans les domaines de l’agriculture et la gestion de l’eau, de l’énergie (réseaux et synchronisation), de la robotique et de la sécurité par référence notamment à la gestion des risques environnementaux, de la politique publique, des transactions bancaires, ainsi que des activités d’assurance : une réglementation qui favorise les partenariats publics-privés. Selon le Space Report, les revenus du secteur de l’aérospatial sont passés de moins de 200 milliards de dollars en 2005 à plus de 400 milliards en 2022, avec un taux de croissance de 8 % par rapport à 2021 et près de 91 pays « travaillant » dans l’espace (Space Foundation, 2023). Selon les prévisions proposées par la banque américaine Morgan Stanley, le marché pourrait atteindre près de 1 000 Milliards de dollars à l’horizon 2040, bien plus que l’aviation commerciale et le transport logistique terrestre. Dans ce contexte particulièrement porteur, l’enjeu réside dans le financement privé des investissements requis. En 2022, les applications spatiales ont reçu près 216,5 milliards de dollars d’investissements contre seulement 18 milliards en 20141. Cela étant, les acteurs privés dépendent encore fortement des États qui garantissent près de 90 % de leurs revenus.

  • 2 La National Aeronautics and Space Administration, plus connue sous son acronyme NASA, est l’agence (...)
  • 3 L’Agence spatiale européenne (European Space Agency - ESA) est une organisation internationale qui (...)

2Dans la perspective d’un passage vers une économie spatiale développée à grande échelle (Big Space) et grandement autosuffisante, la transition du domaine public au domaine privé (Commercial Space) paraît être un objectif incontournable pour la plupart des acteurs concernés. À ce titre, sur la période récente, les progrès technologiques qui autorisent pareille transition ont été exceptionnels (Metzger, Muscatello, Meuller et Mantovani, 2013). En effet, les politiques d’innovation conduites dans le secteur de l’aérospatial reposent désormais sur la création de nouveaux marchés. Les agences publiques telles que la NASA2 et l’ESA3 développent ces politiques avec pour objectif de répondre aux grands défis sociétaux et à l’émergence d’une nouvelle vague d’entreprises intervenant dans le secteur, tenant compte de la tendance globale vers la montée en puissance des industries interconnectées. Le développement de cette « nouvelle économie spatiale » (New Space) se traduit par un élargissement/enchevêtrement des enjeux de sécurité en lien notamment avec le marché et la société, qui témoigne de nouvelles imbrications entre les domaines public et privé. Pareille dynamique nous conduit à étudier les approches américaines et européennes et à comparer les politiques conduites par les agences spatiales en matière d’innovation technologique. Ces dynamiques entraînent un changement dans la nature même des politiques d’innovation portées par le secteur public (Robinson et Mazzucato, 2019). Traditionnellement, ces politiques étaient orientées vers des défis et objectifs clairement identifiés avec une approche centralisée des systèmes d’innovation. Aujourd’hui, les défis sont évoqués dans un sens plus large et les systèmes d’innovation sont définis de manière décentralisée combinant les dimensions ascendante et descendante pour définir les problèmes. Les objectifs visés par les agences portent alors davantage sur la mise en relation et le renforcement des liens entre les acteurs et les secteurs. Toutefois, ces mêmes agences révèlent des différences notables quant à la manière de conduire la politique d’innovation et au regard des enjeux sécuritaires qui définissent son orientation.

  • 4 Le mode d’organisation sociale des activités de production et de consommation fait écho aux modalit (...)

3Cet article a pour objet d’étudier la dynamique de développement de la nouvelle économie spatiale, laquelle est caractérisée par des tendances communes aux différentes approches, mais aussi par des différences qui reposent notamment sur le modèle d’organisation sociale des activités économiques4 et la manière dont les questions de sécurité sont traitées. L’article est structuré en deux temps. Tout d’abord, les grandes tendances partagées de la dynamique de développement du secteur sont analysées par référence à un cadre d’analyse centré sur la notion de sécurité. Dans un second temps, une analyse comparative du rôle des Agences spatiales américaine et européenne dans le développement de l’économie spatiale souligne la diversité des approches.

Les enjeux sécuritaires de la nouvelle économie spatiale

  • 5 Il s’agit notamment de la Cour Internationale de Justice, créée par la déclaration des Nations Unie (...)

4Les questions de sécurité interrogent la nature des activités et des produits du secteur de l’aérospatial. Or il est difficile de définir la notion de sécurité, laquelle est souvent approchée par référence à son contraire, celle d’insécurité. La sécurité désignerait alors l’absence de menaces (Serfati, 2009). De surcroît, il s’agit d’une notion qui fait intervenir à la fois la réalité d’une situation et sa perception. Traditionnellement, la sécurité renvoie à l’échelle nationale, et demeure principalement centrée sur les menaces militaires extérieures (Serfati, 2024 ; Dufour, 2021). Pareille sécurité doit alors être assurée par les États souverains dans la tradition des travaux de Max Weber (1904, 1917, 1919 ; Du Gay et Scott, 2011). On peut observer une première rupture après la seconde guerre mondiale, avec le développement du droit international et la création d’institutions en charge de son application5. La seconde rupture remonte aux années 1980, avec l’émergence de nouvelles notions telles que la sécurité universelle, commune ou sociétale qui excèdent la seule dimension militaire. L’accent est alors porté sur les phénomènes d’interdépendance entre les États (Gleditsch et Ward, 2006), mobilisant une approche plurielle de la sécurité. Au demeurant, c’est durant la décennie 1990 que la notion de sécurité humaine apparaît (PNUD, 1994), laquelle vise la protection contre les menaces chroniques et contre tout évènement brutal susceptible de perturber la vie quotidienne. Cette approche de la sécurité appelle une nouvelle forme de gouvernance globale qui ne peut reposer sur la seule souveraineté des États et la séparation traditionnelle entre sécurité extérieure et sécurité intérieure. Toutefois, la période actuelle marquée par des dynamiques de transformation profonde des activités économiques dans un contexte de crises, de conflits et d’urgence au regard des différents agendas environnementaux, interroge la notion de sécurité face aux poly-risques et autres menaces hybrides. En effet, les menaces contre la sécurité ne sont plus seulement militaires, mais également d’ordre économique, social, sanitaire et environnemental. Ces préoccupations sécuritaires qui fournissent aux gouvernements l’opportunité de réaffirmer une certaine primauté de la sécurité nationale, mettent en cause les protocoles de sécurité actuels et les modalités courantes de gestion des risques. Elles imposent une relecture des principaux enjeux sécuritaires par référence notamment aux évolutions d’ordre géopolitique en lien avec les droits humains, ainsi qu’au rôle des acteurs territoriaux dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques qui accompagnent la transformation. À ce titre, la reconfiguration des politiques de sécurité sont issues d’un double mouvement caractérisé par la prise de conscience des acteurs de la société civile de leur vulnérabilité face certains risques qui renforce le sentiment d’insécurité et par l’élargissement des missions définies et mises en œuvre par les États au titre de l’agenda en matière de sécurité nationale.

5Dans ce contexte, le cadre d’analyse proposé pour traiter de la nouvelle économie de l’espace et de la diversité des approches en matière de politique d’innovation, évoque une économie politique fondée sur l’hypothèse que les dynamiques structurelles et institutionnelles, ainsi que les rapports de pouvoirs qui sont à l’œuvre dans le contexte actuel, justifient le caractère prioritaire des enjeux de sécurité. Il repose également sur les interactions entre les facteurs économiques, qui témoignent de la conjoncture historique générée par le mode d’organisation social des activités, et politiques par référence aux rapports de pouvoir qui sont à l’œuvre (Serfati, 2009). A cet égard, les dynamiques de transformation que l’on observe actuellement tracent les contours d’une nouvelle trajectoire historique du capitalisme et de ses modes de régulation (Aglietta, 2019 ; Aglietta et Espagne, 2024).

  • 6 Dans ce contexte, la France a créé le Commandement de l’espace (CDE) en 2019. Il s’agit d’un servic (...)
  • 7 Il s’agit d’un programme proposé par le gouvernement américain durant les années 1930, qui vise à s (...)

6Les tensions relevées à l’échelle mondiale sur la période récente, font écho à l’importance des risques de nature systémique qui résultent notamment de la numérisation des économies, de l’instabilité climatique et de la rupture des approvisionnements en ressources vitales, critiques ou stratégiques. Dans certains secteurs d’activité tels que l’énergie et l’espace, l’intérêt porté sur la résilience requise des entités critiques conduit à un rapprochement entre la sécurité d’approvisionnement et la politique de défense. À l’échelle de l’Union européenne, l’adoption d’une position commune sur les questions de sécurité demeure difficile car ces dernières relèvent de la souveraineté des États-membres et de la diversité des approches6. Le cas des Etats-Unis est quelque peu différent à la fois en termes d’agenda de sécurité et quant à leur statut dans les relations économiques et géopolitiques internationales. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, le mobile sécuritaire porte principalement sur des facteurs économiques, dans la continuité de l’objectif de sécurité économique établi durant la période du New Deal7. La sécurité nationale (1947) remplace alors la défense nationale (1946) dans la perspective de maintenir l’ordre économique international et ses fondements. Nous retrouvons pleinement cet agenda sécuritaire dans la première dynamique de conquête spatiale par référence notamment au programme Apollo qui a été conduit par la NASA durant la période 1961-1972.

La conquête spatiale et son évolution récente

  • 8 Le Conseil international des unions scientifiques est une organisation non gouvernementale internat (...)
  • 9 En France, on peut citer le service d’aéronomie, un laboratoire du CNRS qui a été créé en 1958 (Cha (...)

7C’est en 1967 que naît le droit international de l’espace. Pour les deux puissances économiques et militaires de l’époque que sont les USA et l’URSS, il s’agit de garantir la non-appropriation du corps céleste par le premier arrivé. Puisque la course à la Lune était sur le point de se terminer et que les acteurs ne savaient pas qui allait emporter la conquête spatiale, il fallait clarifier les règles du jeu dans un contexte de guerre froide et éviter une guerre dans l’espace. Deux principes fondateurs sont inscrits dans ce premier traité. Tout d’abord, celui qui a trait à la propriété de l’espace – À qui appartient l’espace –, qui interdit toute forme d’appropriation. Ensuite, le principe de l’utilisation de l’espace extra atmosphérique, lequel porte notamment sur le développement des activités militaires. Au bilan, l’un des premiers motifs de la conquête spatiale durant cette période était de montrer la puissance. Toutefois, la recherche scientifique a également été un vecteur important de l’exploration spatiale. À cet égard, les « missions Apollo » ont générées des retombées particulièrement importantes en matière d’innovations technologiques et organisationnelles. De surcroît, pareil exercice de résolution de problèmes à très grande échelle a reposé sur une forte coopération entre les pouvoirs publics, les entreprises et les universités aux niveaux national et international (Mazzucato, 2021). À titre d’exemple, on peut citer le Committee on Space Research (COSPAR) créé en 1958 par le Conseil international pour la science8. Il s’agit d’un groupe scientifique international dont l’objectif est d’organiser les travaux scientifiques en relation avec l’exploration spatiale9. Dans le contexte de la guerre froide, la création du COSPAR avait pour vocation de développer des coopérations Est-Ouest dans le domaine scientifique.

  • 10 Il s’agit principalement des ressources en eau pour les équipages, de la production de carburant et (...)
  • 11 Il s’agit d’un concept issu du droit international public qui a émergé à partir de la deuxième moit (...)
  • 12 Le traité de l’espace s’inspire grandement des régimes existants en droit terrestre. Il s’agit des (...)
  • 13 À l’heure actuelle, la surveillance de l’espace est principalement assurée par les États-Unis. L’hi (...)

8En 1979, une extension au traité de l’espace est proposée, laquelle vise à définir ce dernier comme l’expression d’un patrimoine commun de l’humanité. Cet accord inédit est proposé après l’annonce de la fin du programme lunaire des États-Unis. Il porte principalement sur la Lune et ses ressources. Il impose un partage équitable de ces dernières et des revenus tirés de leur exploitation10. Or le concept de patrimoine commun de l’humanité11 n’a pas été pleinement compris. Bon nombre d’États n’ont donc pas ratifié le traité de 1979. Ce dernier est interprété comme un obstacle à l’exploration spatiale, alors que l’ambition visée était aussi de protéger les pays en développement, lesquels n’avaient pas les moyens (financiers, technologiques et humains) d’accéder à l’espace (Nakahodo, 2021)12. Le concept d’utilisation pacifique de l’espace et des ressources spatiales n’interdit pas les activités spatiales militaires13 (Gaillard-Sborowsky, 2023). Dès les années 1960, les deux puissances lancent des satellites d’observation à des fins militaires. De surcroît, ces activités militaires interviennent comme des leviers importants pour développer l’industrie spatiale. Il s’agit principalement de contrats captifs : lorsqu’un pays ouvre un programme spatial militaire, il s’agit d’un programme/contrat pour son industrie. Au demeurant, les activités spatiales sont très risquées. Par conséquent, toutes les activités publiques ou privées réalisées dans ce domaine doivent être réalisées sous le contrôle et la responsabilité internationale des États, (activité sans risque pour les personnes, les biens et l’environnement).

  • 14 Cependant, après la dernière des missions Apollo en 1972, la NASA – et donc le secteur spatial amér (...)
  • 15 Au début de l’ère de la navette, le président Ronald Reagan a signé le Commercial Space Launch Act (...)
  • 16 Le programme Ariane est le nom générique d’une famille de lanceurs civils européens de satellites. (...)

9Traditionnellement, les développements et autres applications technologiques qui sont principalement financés par le gouvernement et les corps institutionnels, concernent de faibles niveaux d’activité caractérisés par des coûts unitaires de production particulièrement élevés. L’attention porte alors principalement sur des technologies haut de gamme qui révèlent un haut niveau de fiabilité. Quant aux marchés, ils sont de petite taille, proposant des services de type « entreprise à gouvernement » ou « entreprise à entreprise ». Le secteur public y intervient au titre de financeur et d’usager principal avec pour objectif premier de fournir des biens publics tels que la sécurité nationale, la fierté nationale et la science fondamentale, lesquels ne seraient pas suffisamment « produits » s’ils étaient laissés au marché. À cet égard, la NASA a été fondée dans la perspective de fournir de tels biens dans un contexte de guerre froide. Sa structure de commandement et de contrôle a été conçu en fonction de cet objectif14. Toutefois, le modèle centralisé révèle des problèmes d’efficacité en matière d’allocation des ressources, d’agrégation des informations et d’incitation à l’innovation sur des marchés faiblement concurrentiels (Weinzierl, 2018). Pareils problèmes ont conduit, dans un premier temps, à une décentralisation partielle de certaines activités spatiales15. En effet, durant la décennie 1980, après la phase d’exploration, des activités commerciales autour des satellites de communication se développent. Or le secteur du satellite fut pendant longtemps le domaine réservé d’organisations internationales, principalement financées sur fonds publics. La tutelle étatique des opérateurs internationaux était alors assurée par les opérateurs téléphoniques nationaux qui étaient aussi leurs seuls clients. À ce titre, le consortium Intelsat en était l’illustration, lequel contrôlait les marchés américain et transatlantique des communications par satellite. La création, au début des années 1980, de l’opérateur privé PanAmSat va fortement bouleverser l’organisation du secteur (Blom, Sennequier, 2000). Pareil changement qui concerne bon nombre d’applications en lien avec l’espace, explique pour une bonne part la dynamique de privatisation des activités spatiales. Dans ce contexte, les États vont accompagner le développement d’un secteur commercial en intégrant les principes du traité international de l’espace dans leur droit national. L’espace devient alors plus facilement accessible avec près d’une cinquantaine de pays qui ont lancé au moins un satellite, sans disposer d’un moyen de transport spatial. Les activités de construction et de transport des satellites dans l’espace connaissent également un développement notable. Il s’agit aussi d’une époque particulièrement intéressante pour l’Europe avec Ariane16.

10La période actuelle est marquée par l’émergence d’acteurs privés, lesquels investissent également les domaines militaires et de la sécurité. Leur importance éclaire de manière notable l’évolution récente des relations entre l’État et le marché. Cette dynamique de privatisation des fonctions de sécurité prend la forme d’une délégation d’activité dans le cadre d’une relation contractuelle entre l’État et une entreprise. Cette relation d’agence qui se traduit par une externalisation de fonctions, révèle un enjeu d’ordre financier. Elle permettrait aussi un déploiement plus véloce de l’activité. Pareille dynamique interroge la capacité des États et la performance publique dans l’exercice de production de la sécurité traitée ici au titre d’un bien collectif. La délégation d’activité contribue-t-elle à compléter ou affaiblir la puissance publique ?

  • 17 À ce titre, la NASA propose un projet en 2019 visant à retourner sur la lune. Il ne s’agit pas d’un (...)
  • 18 À ce titre, les prévisions récentes (Henry, 2016) prévoient des revenus à hauteur de 22 milliards d (...)

11Depuis les années 2000, on observe des dynamiques particulièrement structurantes en lien avec la privatisation des ressources spatiales et l’entrepreneuriat privé. Ces dynamiques sont portées par des initiatives réglementaires très fortes aux États-Unis et au Luxembourg qui visent à attirer des industriels et des entreprises non spécialisées dans le spatial, pour développer des projets spatiaux17. Cette période est également marquée par l’arrivée de nouveaux acteurs privés issus principalement de la silicone Valley, qui proposent des projets particulièrement innovants, mais également des méthodes de management qui rompent avec l’industrie spatiale traditionnelle. L’inspiration vient notamment du monde du numérique à l’image du modèle de la start-up avec pour volonté de réduire très fortement le coût des technologies (d’Armagnac et al., 2021 ; Bailetti, 2012). Selon Space Foundation (2023), la grande majorité des revenus qui proviennent des activités spatiales, lesquels s’élèvent à hauteur de 464 milliards de dollars en 2022, est liée à la technologie des satellites pour les télécommunications et d’autres services, (près de 362 milliards de dollars). Le reste est constitué des budgets spatiaux des gouvernements (États-Unis et autres) et des revenus commerciaux des services spatiaux hors satellites. Cette domination du secteur des satellites dans les revenus de l’espace devrait se maintenir dans un avenir prévisible, compte tenu notamment des projections de croissance substantielle des petites constellations de satellites pour l’observation de la Terre18. Au demeurant, dans une perspective de long terme, on anticipe des revenus croissants liés à la production dans l’espace ou à l’extraction minière sur des astéroïdes. Ces deux domaines font l’objet de recherches à des fins commerciales lesquelles sont financées par des acteurs privés. Au bilan, de fortes incertitudes demeurent quant aux gains économiques tirés d’un accès à moindre coût à une infrastructure permettant de travailler dans l’espace.

  • 19 L’approche pigouvienne fait référence à l’économiste britannique A. C. Pigou (1920) qui a fortement (...)
  • 20 Cette théorie repose sur les travaux de l’économiste britannique Ronald Coase (1937), lequel a mont (...)
  • 21 La théorie de l’agence issue de la nouvelle microéconomie, tire son nom de la relation d’agence ou (...)
  • 22 Nous faisons référence à la théorie de marchés contestables proposée par l’économiste américain Wil (...)
  • 23 Nous pensons notamment au rôle Elon Musk dans le conflit ukrainien.
  • 24 À ce propos, on peut relever que le système américain Global Positioning System ou GPS propose une (...)

12L’essor des acteurs privés dans le secteur de l’aérospatial témoigne de manière notable d’un processus plus global de reconfiguration des domaines dédiés au marché et à l’État depuis près de trois décennies. Sur le plan de l’analyse économique, le champ de l’économie publique et le cadre d’analyse pigouvien fondent la lecture traditionnelle par la « défaillance » des marchés quant à la fourniture de certains biens (publics), qui justifie l’intervention publique19. Depuis le courant des années 1970, d’autres approches dénoncent au contraire les « défaillances gouvernementales » et le comportement opportuniste des représentants de l’État qui justifieraient l’introduction du marché et une transformation du rôle de la puissance publique, laquelle devrait alors principalement veiller à la mise en place et au maintien des règles du jeu marchand. En matière de sécurité, la question porte désormais sur le type d’activités qui pourrait faire l’objet d’une privatisation et sur la localisation de la frontière entre les diverses formes de régulation marchande et publique. A cet égard, les courants de pensée qui reposent sur la théorie des coûts de transaction20 et la théorie de l’agence21 proposent un fondement théorique aux politiques gouvernementales qui visent à mettre en place des partenariats de type public-privé. La délégation de l’État (le principal) à l’agent (l’acteur privé) doit s’opérer dans un contexte où les transactions marchandes font l’objet d’une réglementation particulière. Toutefois, des questions demeurent quant aux coûts associés aux conditions de contractualisation et aux régimes de concurrence sur les marchés dédiés ; certains dénoncent des marchés qui ne sont pas suffisamment concurrentiels ou « contestables » au sens de William Baumol22 pour permettre une véritable baisse des coûts à l’entrée. De surcroît, la délégation permet-elle à l’État de se concentrer sur ses missions fondatrices en matière de sécurité ? Là également, certains soulignent que des acteurs privés vont au-delà de leur mission, débordant sur les domaines réservés à l’action publique23 (Singer, 2004). Dans le secteur de l’aérospatial, les forces armées et l’industrie de la défense dépendent de manière croissante de technologies civiles qui sont déployées dans le cadre de marchés de plus en plus diversifiés. Dans le même temps, les entreprises civiles achètent des technologies qui révèlent un intérêt certain pour les entreprises du secteur de la défense. Par ailleurs, les besoins croissants exprimés sur les marchés pour répondre aux grands défis sociétaux actuels influencent de manière notable l’industrie, laquelle joue un rôle significatif en matière de développement technologique dans de nombreux domaines. Ces dynamiques conduisent les entreprises du secteur privé et les administrations publiques à développer de nouvelles stratégies dans le domaine des technologies à double usage24 (Institut Montaigne, 2023), également appelées technologies duales dans le sens où elles peuvent être utilisées à des fins civile et militaire.

13La reconfiguration des activités de sécurité pose la question des relations entre l’économique et le politique dans un contexte actuel marqué par le retour en force de certains enjeux en matière de sécurité nationale. Cette question demeure au cœur des débats quant au niveau optimal de privatisation de ces activités. Par ailleurs, le capitalisme définit ici en tant que forme d’organisation sociale des échanges et de la production fondée sur l’autonomie entre l’économique et le politique, s’inscrit dans une perspective historique qui témoigne de changements quant au rôle respectif de l’État et du marché dans la régulation des activités économiques (Serfati, 2024 ; 2009). Ces changements résultent aussi de dynamiques transnationales qui font écho à la financiarisation des économies, à l’innovation technologique dans le secteur du numérique et aux problèmes globaux d’environnement. Ces dynamiques exercent une influence importante sur le mode d’organisation sociale de la production. Elles contribuent notamment à reconsidérer les différents niveaux de gouvernance de la sécurité, qui vont du local au global, et les relations de pouvoir entre ces derniers.

Les ruptures associées au développement de la nouvelle économie spatiale

  • 25 Astrobiologie/origine de la vie.
  • 26 La mission martienne des Émirats ou Al-Amal est une sonde spatiale appelée Hope lancée en orbite au (...)

14La transition vers la nouvelle économie spatiale résulte de pressions qui s’exercent sur les acteurs et les activités. Tout d’abord, des pressions internes issues de contraintes budgétaires qui imposent de valoriser les biens et les services produits en termes économiques. La commercialisation des services spatiaux et la création d’activités marchandes deviennent alors prioritaires. Les agences spatiales doivent orienter leurs activités dans la perspective de produire des biens et des services commercialisables, de créer des emplois et de permettre l’émergence de nouvelles entreprises, contribuant ainsi à la croissance économique du pays (Besha et McDonald, 2016). Ces activités ont contribué à déplacer la demande croissante de technologies spatiales, d’infrastructures et de services intermédiaires vers les applications situées en aval de la chaîne de valeur, à destination de l’usager final. Toutefois, cette dernière reste encore étroitement liée aux activités amont, lesquelles sont au cœur des compétences essentielles des agences spatiales publiques. Ces pressions internes résultent aussi de la concurrence croissante des nouvelles nations spatiales non européennes et des entreprises spatiales. En effet, aux côtés des acteurs nationaux ou régionaux traditionnels tels que les États-Unis et la NASA par référence notamment au projet Perseverance dédié à l’exploration de Mars25, de nouveaux pays émergents apparaissent à l’image des Émirats Arabes Unis26, de la Chine, de l’Inde et de Dubaï.

  • 27 Réagissant aux pressions décrites ci-dessus, la NASA a chargé un groupe d’économistes d’analyser le (...)

15De surcroît, le secteur est fortement influencé par de nouvelles formes d’innovation qui se déploient à grande échelle dans d’autres secteurs d’activité. Ces retombées, appelées effets de spin-in, résultent de la dynamique de transformation des modes de production impulsée par la révolution digitale qui génère des industries plus de plus interconnectées, labellisées sous l’expression Industrie 4.0. De surcroît, la volonté de répondre aux grands défis sociétaux actuels, (tels que la migration, le changement climatique et la sécurité alimentaire), génèrent de nouvelles pressions auquel le secteur doit faire face. Dans ce contexte, les agences publiques spatiales doivent s’adapter aux pressions internes au secteur en améliorant l’efficacité de leur mode d’allocation des ressources dans un contexte de concurrence mondiale accrue, tout en répondant aux défis et aux opportunités qui apparaissent à l’échelle de la société. Ces agences agissent au sein d’un système de gouvernance qui met en relation les autorités politiques et les acteurs de l’innovation, créant des politiques et des programmes d’innovation qui relient les objectifs stratégiques des gouvernements aux activités spécifiques des acteurs de l’innovation dans le secteur27.

  • 28 L’entreprise américaine Planet Labs peut être un exemple. Il s’agit d’une société qui exploite un c (...)

16Ces diverses pressions engendrent une nouvelle économie des applications spatiales caractérisée par l’émergence d’une chaîne de valeur mondiale qui fait intervenir de nouveaux acteurs, mais également par une diversité des modèles d’affaire conçus par des entreprises qui considèrent l’espace comme l’un des moyens de répondre aux besoins de leur clientèle (Barbaroux, 2016). Ces acteurs révèlent une certaine forme de rapidité et d’agilité, proposant des systèmes évolutifs qui demeurent en rupture avec la tradition28. À ce titre, les gains les plus élevés sont attendus dans le traitement, la diffusion et la fourniture des données. Pareilles activités sont effectuées par des start-ups à croissance rapide qui proposent de nouvelles idées afin d’exploiter les données issues de l’Observation Terrestre (OT). Par ailleurs, en matière de politique d’innovation, la nouvelle économie de l’espace se caractérise aussi par des changements notables passant d’une approche centrée sur la mission visant des retours sur investissement garantis (en lien avec la réalisation de la mission), à une approche beaucoup plus souple plutôt orientée vers le marché, avec des potentiels de gains qui demeurent plus diffus, en lien notamment avec le développement d’un secteur de l’aérospatial privé particulièrement dynamique (Robinson et Mazzucato, 2019).

  • 29 Ce changement de paradigme résulte de la difficulté pour les États-Unis de reposer sur un schéma da (...)
  • 30 L’achat patrimonial vise à développer des capacités spatiales que les agences opèrent elles même.
  • 31 Il s’agit du projet Star Link qui a trait au lancement de près de 1200 satellites de télécommunicat (...)

17Parmi les caractéristiques les plus notables de la nouvelle économie de l’espace, les connexions recherchées entre l’usage en aval, les acteurs intermédiaires et les chaînes d’approvisionnement spatiales témoignent d’une grande diversité des relations entre le secteur de l’aérospatial et les autres secteurs (Hertzfeld, 2013). À ce propos, le marché des nouvelles applications spatiales tend à privilégier les services de type « entreprises à usagers », à travers notamment l’imagerie satellitaire fournie au titre d’un service qui résulte d’un accord entre une entreprise du secteur de l’aérospatial et une entreprise du secteur du numérique. Il s’agit là d’un véritable changement de paradigme29. Les agences envisagent désormais une approche non patrimoniale30, portée par la commande de services, des activités spatiales en confiant des contrats commerciaux à des agents privés. Cette approche est source d’attractivité pour ces entrepreneurs qui ont désormais pour perspective la commande publique et son caractère particulièrement rémunérateur, qui incite à des investissements privés financés par du capital risque (Baumann et al., 2018). L’ambition visée est de vendre un service complet à travers une logistique spatiale comprenant à la fois le lanceur, la capsule et les produits dérivés. L’entreprise SpaceX en est la parfaite illustration, laquelle réutilise ses lanceurs pour déployer une constellation de satellites de télécommunication à grande échelle31 (Agan, 2013)

  • 32 A cet égard, Weinzierl (2018) rappelle que le principal canal par lequel la NASA et le secteur émer (...)
  • 33 Nous pensons notamment à Elon Musk, Jeff Bezos, Richard Branson, Paul Allen et d’autres – qui ont u (...)
  • 34 Eutelsat est une société française qui développe ses propres satellites sans passer par la commande (...)
  • 35 On doit aussi souligner le rôle majeur des sociétés de capital-risque et des grandes entreprises, à (...)
  • 36 Aux États-Unis, l’innovation clé du programme Commercial Orbital Transportation Services était de f (...)

18Cette forte réduction des coûts repose sur un montage financier particulier qui s’inscrit dans le cadre d’un partenariat public-privé contribuant à financer les activités de ces start-ups par des contrats publics passés avec l’agence publique spatiale, telle que la NASA32 pour les États-Unis. En d’autres termes, la puissance publique, en l’occurrence le gouvernement américain, contribue grandement au financement des activités spatiales, (à l’image d’une forme de subvention). Les acteurs institutionnels sont donc toujours incontournables dans la nouvelle économie de l’espace. La commande publique représente encore plus de 90 % de la demande. En revanche, la période actuelle est marquée par l’émergence de nouveaux acteurs du secteur privé, à l’image de ces entrepreneurs milliardaires, qui sont prêts à investir massivement dans l’espace et ses nouvelles applications33. Cela étant, la nouvelle économie de l’espace ne porte pas seulement sur cette nouvelle génération d’entrepreneurs. En effet, des entreprises bien établies comme Airbus, Boeing, Eutelsat34, Orbital Sciences et Thalès restent encore aujourd’hui des acteurs importants du secteur35. De surcroît, elle ne saurait être réduite à la seule image de revenus en forte croissance. Elle évoque plutôt une nouvelle approche. Dans le modèle centralisé, les entreprises privées travaillant avec l’agence publique spatiale sont en grande partie couvertes contre le risque d’échec des investissements réalisés dans l’espace par le biais de contrats à prix coûtant majoré. En revanche, cette assurance contre pareil risque a pour contrepartie le faible accès aux gains potentiels d’un marché spatial commercialisé. A l’inverse, l’approche fondé sur le modèle décentralisé permet aux entreprises privées de partager à la fois les risques et les gains (potentiels) des investissements réalisés dans le secteur36 (Saran et Weinzierl, 2021 ; Weinzierl et Acocella, 2016).

  • 37 Aux Etats-Unis, il s’agit notamment de la forme contractuelle COTS.

19Ce changement de paradigme a déplacé le risque initialement supporté par la puissance publique vers les entreprises privées, réduisant ainsi la nécessité pour l’agence spatiale d’utiliser des dispositifs combinant une surveillance accrue des activités spatiales et des contrats à prix coûtant majoré pour contrôler les coûts et encourager l’innovation. Dans le cadre du modèle décentralisé, les entreprises privées ont donc la liberté de concevoir et de fabriquer leurs produits comme elles l’entendent, l’État n’apparaissant plus comme un agent de surveillance mais plutôt comme une organisation fournissant des informations. Par ailleurs, de nouvelles formes de contractualisation sont proposées, lesquelles permettent aux acteurs privés de conserver la propriété intellectuelle des innovations créées37, alors que dans le cadre du modèle centralisé, le contrat qui détermine la relation entre l’acteur (privé) qui « remplit » la mission et celui (l’État) qui la commandite, octroie le droit de propriété intellectuel au second en raison même de son statut de commanditaire.

  • 38 À ce titre, Elon Musk avait déclaré : « Si l’on peut trouver un moyen de réutiliser efficacement le (...)
  • 39 Le projet d’Elon Musk révèle une ambition qui va au-delà de la seule connectivité avec Google et Al (...)

20Les programmes de partenariat public-privé ont stimulé l’activité et l’innovation, fournissant ainsi un nouvel élan à l’activité de lancement commercial privé qui repose sur la « réutilisation », c’est-à-dire la capacité d’utiliser plusieurs fois des composants de véhicules de lancement et d’engins spatiaux38. La réutilisation permet la rentabilité de l’activité et demeure particulièrement rémunératrice pour financer d’autres projets encore plus ambitieux en matière d’exploration spatiale. De surcroît, le service proposé renvoie à des enjeux sociétaux importants tels que la fracture numérique et les besoins en matière de défense39. Avec cette nouvelle mission visant à orienter les investissements privés vers les infrastructures et les services spatiaux (Mazzucato, 2018), l’État peut conduire de nouvelles formes d’achat (passation de marchés) pour créer un marché destiné à des lanceurs construits et exploités par le secteur privé. A ce titre, les exemples récents de lanceurs et d’utilisation de la Station Spatiale Internationale montrent que l’agence spatiale américaine est passée d’un contrôle fort de la construction et de l’exploitation de grandes infrastructures spatiales publiques à la délégation du pouvoir pour définir les orientations quant à l’usage et la construction de ces d’infrastructures, lesquelles sont financées par des fonds publics transmis au secteur privé ; les profits éventuels de ces activités revenant au seul secteur privé.

  • 40 Bryce Tech, Bryce Start Up Space Report: Update on Investment in Commercial Space Ventures 2023, p. (...)
  • 41 À titre d’exemple, la société Planet Labs développe une offre à grande échelle de nano satellites b (...)
  • 42 À ce titre, l’entreprise SpaceX contrôle l’ensemble de la chaîne.

21La perspective de gains importants qu’autorise le modèle décentralisé attire de nombreux acteurs extérieurs lesquels souhaitent investir dans le secteur spatial et ses nouvelles applications. Selon Bryce Space & Tech.40 (2023), les investissements extérieurs dans les nouvelles entreprises du secteur spatial sont passés de moins de 500 millions de dollars par an entre 2001 et 2008 à près de 8 milliards de dollars 2022. Dans ce contexte, le modèle décentralisé introduit un éthos de l’industrie de masse fondée sur des modèles d’affaire caractérisés par des flux de production élevés et des coûts unitaires faibles. Pareils modèles n’imposent pas la fiabilité comme premier critère de la performance41 ; l’effet de masse tend à privilégier le modèle du « prêt à porter » qui vise l’accès au plus grand nombre au détriment de celui du « tailleur » exigeant sur la qualité et bien plus coûteux (Denis et al., 2020). De nouveaux acteurs tentent alors de pénétrer les marchés malgré des coûts à l’entrée importants. Ces coûts baissent avec l’arrivée de nouveaux acteurs qui proposent des équipements, des plateformes satellitaires et des services avec la volonté de verticaliser la chaîne de valeur42, ce qui génère une grande variété de modèles d’affaire (Attour et Barbaroux, 2016). Par ailleurs, la forte diminution des coûts repose sur la miniaturisation nécessaire des technologies et des objets dédiés aux applications spatiales, ce qui demeure une constante de l’industrie spatiale (Denis et al., 2020). En revanche, le secteur de l’aérospatial exige toujours une dotation importante en capital humain par référence à des niveaux de qualification requis particulièrement élevés. En effet, la connaissance fine des technologies spatiales et des contraintes associées aux activités dans l’espace contribue à la crédibilité des acteurs concernés, laquelle représente un véritable avantage concurrentiel dans le contexte de marchés fortement concentrés.

  • 43 Rappelons que le premier spoutnik est apparu en 1957.
  • 44 Selon le bureau d’études Euroconsult, le chiffre d’affaires passerait de 300 milliards de dollars e (...)

22L’éthos de l’industrie de masse renvoie également à la dynamique de diversification des activités spatiales ouvertes à la commercialisation (Crane et al., 2020). Parmi les principales entreprises actuellement actives dans la commercialisation de l’espace, on peut citer celles spécialisées dans « l’accès à l’espace » qui œuvrent au lancement de personnes et de charges utiles dans l’espace. Par ailleurs, les sociétés de « télédétection » fournissent des images de la Terre et sont étroitement liées aux sociétés « de données et d’analyse satellitaires », qui s’adressent à d’autres clients. À cet égard, le satellite43 qui demeure une activité traditionnelle, repose sur des enjeux économiques en lien avec les grands défis sociétaux et le développement des télécommunications qui peuvent contribuer à y répondre. On y ajoute désormais les technologies d’observation de la terre à des fins militaire, environnementale et de gestion des catastrophes naturelles. D’autres technologies sont également concernées, lesquelles concernent la filière de l’imagerie optique et de l’imagerie radar, qui permettent une observation nuit et jour, et les satellites de navigation pour le système de positionnement mondial, (à l’image du système américain Global Positioning System ou GPS). Les revenus potentiels les plus importants sont associés à la collecte et au traitement des données qui révèlent des enjeux importants en matière de diffusion et de transmission de l’information44. L’idée serait de constituer un continuum internet terre-espace via des méga-constellations de satellites, ce qui pose la question de la manière dont on opère les liens entre les satellites, mais aussi entre les satellites et la terre. Pareil continuum serait facilité par la constitution d’un cloud spatial, (assurant la connectivité entre la terre et l’espace). Sur un plan concurrentiel, il y a la volonté d’être plus rapide que les communications terrestres.

23Les satellites du secteur privé peuvent être utilisés à des fins multiples couvrant les trois communautés d’usagers que l’on recense aujourd’hui dans le secteur du spatial : les scientifiques, les militaires et les acteurs économiques. L’enjeu réside ici dans la diversité des usages pour un même satellite, contribuant à la rentabilité de l’activité d’observation et de production de données. Ces usages qui ont trait à l’observation terrestre et spatiale, peuvent contribuer à la connaissance scientifique tout en répondant à différents enjeux en matière de sécurité. Ces usages renvoient désormais à de nouveaux secteurs et enjeux. Ils peuvent contribuer à la gestion des ressources naturelles à des échelles nationale, territoriale et locale. Ils concernent aussi les télécommunications, le traitement et la diffusion des données, ainsi que le GSM orbital qui représente la norme numérique pour le téléphone mobile. Au demeurant, ils peuvent intégrer des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance. L’imagerie satellitaire peut alors fournir des données relatives aux activités des entreprises et à leurs impacts, contribuant ainsi à l’orientation des investissements. De surcroît, les applications satellitaires peuvent contribuer à la surveillance des émissions de gaz à effet de serre des entreprises, des villes et des régions, aidant alors les services publics et les collectivités territoriales à optimiser les infrastructures d’énergie renouvelable et les activités d’exploitation minière. Ces applications permettraient également d’anticiper les impacts du changement climatique et des politiques climatiques sur certaines industries ou secteurs d’activité. Enfin, face à la difficulté croissante rencontrées par certaines agences gouvernementales pour suivre les débris orbitaux, les entreprises privées pourraient contribuer à la surveillance et à la gestion de ces déchets spatiaux potentiellement catastrophiques. Il s’agit là encore d’une demande potentielle importante.

24Parmi les autres activités du secteur, les entreprises spécialisées dans les « habitats et stations spatiales » prévoient de fournir des installations sécurisées pour la fabrication, la recherche et même le tourisme en « orbite terrestre basse », (l’espace compris entre 160 km et 2 000 km d’altitude). À ce titre, les premiers projets d’engins et de vols suborbitaux remontent aux années 2000. On pense notamment au projet Virgin galactique qui propose en 2021 un vol de 45 minutes, avec le franchissement de l’espace atmosphérique permettant au touriste de prendre le statut d’astronaute pour un coût de 200 000 dollars. Il s’agit également du transport spatial privé vers des orbites basses habitées, telles que la Station Spatiale Internationale qui a déjà accueilli des touristes sur des vols publics. Il va s’agir désormais de proposer des vols privés pour des personnes privées qui vont séjourner dans la station. On pense ici à l’entreprise Axiom Space qui souhaite créer le premier « hôtel spatial » ; la première station spatiale privée proposant un tourisme orbital et non suborbital. Dans ce domaine, la question de la sécurité des vols demeure centrale pour le déploiement de l’activité touristique.

  • 45 Voir le film de James gray, Adastra, 2019, dans lequel la Lune est présentée comme un grand centre (...)
  • 46 Les astéroïdes contiendraient de l’or, du fer, du platine, du titane, du nickel, de l’aluminium, de (...)

25Des entreprises du secteur visent des activités situées « au-delà de l’orbite terrestre basse », avec des objectifs allant de la fabrication spatiale à l’extraction minière sur des astéroïdes, en passant par la colonisation de la Lune et de Mars. Actuellement, les programmes d’exploitation des ressources extraterrestres portent principalement sur une exploitation dans l’espace avec pour ambition d’implanter l’être humain sur des sites extraterrestres. Ces ressources seraient alors exploitées pour construire les structures d’accueil sur place et pour produire du carburant. Pareille forme d’exploitation nécessite de mettre en place des escales afin d’alimenter en ressources et énergies les projets spatiaux. Pour réduire le coût du lancement et du transport spatial, il s’agirait établir des zones de ravitaillement sur la Lune45. Ces activités contribueraient au développement d’une nouvelle économie de l’espace dans l’espace avec des services dédiés aux futures stations spatiales, aux usines de production dans l’espace, et aux futures chaînes logistiques qui seraient implantées dans l’espace avec pour fonction de desservir des objets qui transitent dans l’espace (vers la Lune et Mars). Enfin, certaines ressources rares particulièrement intéressantes sont présentes sur les astéroïdes, pas seulement sur les corps célestes46. Actuellement, l’activité d’extraction de métaux rares sur ces astéroïdes et leur transfert sur terre demeurent particulièrement difficiles et coûteuses. La perspective de moyen-long terme serait de prendre possession de ces corps et de les rapprocher de l’orbite terrestre pour permettre leur exploitation et le retour des ressources extraites sur terre. À ce titre, la question de la compatibilité de ces activités avec le traité de l’espace et son premier principe est posée. Comment encadrer juridiquement les activités d’extraction minière ? Ce sont des activités qui entrent en contradiction avec le traité de 1979. Or ce traité n’a été que peu ratifié. Par ailleurs, certains disent qu’il n’y a pas de contradiction puisque, dans les années 1970, il était impossible d’anticiper de telles avancées sur la période récente, lesquelles transforment en profondeur le secteur, les modèles qui lui sont associés, ainsi que les acteurs.

  • 47 Dans le présent article, nous ne traitons pas de la littérature abondante sur les débris spatiaux, (...)

26Au demeurant, avec la démultiplication du nombre d’objets et autres satellites dans l’espace, les activités de suivi, de maintenance et de démantèlement devraient se développer. La nécessité de se débarrasser des débris de l’espace apparaît comme une opportunité : « éboueurs » ou « recycleurs » de l’espace spécialisés dans la captation et valorisation d’objets spatiaux47.

Le rôle de l’innovation dans la nouvelle économie spatiale

27Les priorités et autres enjeux sécuritaires évoluent selon les contextes géopolitique et économique, ainsi que selon la perception des agents et le cadre institutionnel dans lequel ils décident et agissent. A ce titre, la nouvelle économie de l’espace et les stratégies récentes portées par les agences spatiales révèlent des particularités qui témoignent de la diversité des formes d’organisation sociale des échanges et de la production (Pasco, 2017) ; une diversité qui permet d’éclairer certaines des différences relevées entre les approches américaine et européenne, mais également des divergences au sein même de l’Europe entre la France, l’Allemagne et l’Italie quant aux grandes orientations de leur politique spatiale (Darnis, 2020, 2021).

28La littérature qui traite de la diversité des capitalismes s’est fortement développée depuis les travaux de Shonfield (1965), avec de nombreuses contributions de l’école française de la régulation (Aglietta, 1976 ; Boyer, 1986, 2003 ; Amable, 2005, 2009). Notre attention vise principalement celle centrée sur la notion de crise qui se développe à partir des années 1990, laquelle traite de l’émergence de nouveaux modèles de production et de la diversité des institutions collectives créées pour répondre aux grandes questions de société. Partant d’une typologie des capitalismes fondée sur la structure des États et sur le degré de planification des activités économiques, le dualisme traditionnellement relevé entre la logique de « l’État fort » et celle de « l’État faible » repose sur des structures institutionnelles, (telles que les systèmes bancaire et financier, les entreprises publiques, les représentations salariales,…), qui influencent grandement les mécanismes de coordination et autres procédures de décision aussi bien dans le domaine public que dans le domaine privé. Ces structures impriment également leur marque sur les dynamiques technologiques qui sont à l’œuvre, générant ainsi une grande diversité des trajectoires historiques nationales et régionales (Piore & Sabel, 1986). La notion de crise est alors associée à l’évolution des techniques et au contexte institutionnel dans lequel elle s’opère. Elle exprime un point de bifurcation ou encore l’expression d’un « clivage industriel » entre plusieurs stratégies ou politiques de production et de diffusion de l’innovation, lesquelles doivent être accompagnées par des mécanismes de gouvernance/régulation multiniveaux.

La diversité des activités spatiales et des politiques d’innovation

  • 48 Il s’agirait de la plus ancienne origine, laquelle se situe dans les hautes vallées des Alpes où le (...)
  • 49 L’assurance d’origine maritime se développe à partir du XIVe siècle, à l’initiative des négociants (...)
  • 50 À ce titre, le modèle allemand fondé sur la cogestion à travers celui de l’entreprise communauté, a (...)

29Dans ce contexte, la nouvelle économie spatiale révèle une diversité quant aux modalités de régulation et aux politiques qui sont mises en œuvre. Si l’on considère la gouvernance des risques et la conception de l’assurance, on peut alors opposer l’assurance alpine fondée sur le principe de solidarité et la neutralisation des risques48 à l’assurance anglo-saxonne d’origine maritime49 qui s’appuie sur « le prêt à la grosse aventure » et sur une gestion spéculative du risque (Albert, 1991a ; Diemer, 2010). Ces deux conceptions de l’assurance permettent d’éclairer la diversité des modèles d’affaire qui sont à l’œuvre dans le secteur du spatial. D’un côté, une approche européenne plutôt centrée sur le temps long qui privilégie le modèle de l’entreprise communautaire et l’esprit d’appartenance à une communauté d’intérêt. De l’autre, l’approche américaine caractérisée par l’entreprise marchandise, mettant l’accent sur l’actionnariat et le profit, lesquels sont étroitement liés à la réussite individuelle. Ces deux approches se distinguent aussi quant à l’importance qu’elles accordent aux biens marchands qui dépendent principalement des conditions du marché, et aux biens mixtes qui relèvent pour partie de l’initiative publique (Hall et Soskice, 2001). Au demeurant, elles témoignent de l’hétérogénéité des institutions qui contribuent à la régulation des activités économiques. Aux côtés de l’État et de l’entreprise, les associations officielles telles que les chambres de commerce et d’industrie, les communautés et autres réseaux informels tels que les groupements d’entreprises, ainsi que les entreprises institutionnelles qui créent une certaine forme de communauté interne, peuvent compléter ou même remplacer le marché (Crouch et Streeck, 1996). Les liens formels et informels que ces institutions initient et développent peuvent révéler une certaine efficacité dans les domaines de la production et de l’innovation technologique50.

30Cette diversité croissante des activités spatiales influence grandement le système d’innovation et sa dynamique. Pareille dynamique repose sur de nouveaux arrangements institutionnels entre les différentes nations spatiales, le secteur public et le secteur privé, l’industrie spatiale et d’autres industries, ainsi qu’entre le secteur spatial et la société qui est confrontée à de nouveaux défis allant du changement climatique à l’immigration (McGrath et al., 2014 ; European Commission, 2013). À cet égard, le développement d’une économie spatiale décentralisée qui repose sur une commercialisation plus poussée de l’espace, dépend de la nature des relations entre les secteurs public et privé ; faut-il renforcer les partenariats public-privé ou, à l’inverse, séparer plus clairement les deux secteurs ? Cette question interroge le rôle des agences publiques spatiales sur les dynamiques d’industrialisation de l’espace commercial, ainsi que sur leur capacité à produire des biens publics en réponse aux grands défis sociétaux.

  • 51 Ces problèmes sont souvent illustrés en théorie des jeux via le jeu de la chasse au cerf dans leque (...)
  • 52 Il s’agit de technologies qui permettent le lancement fréquent et peu coûteux, la fabrication dans (...)
  • 53 Voir la note 32, page 10 du présent texte.

31Dans ce contexte, les agences publiques visent notamment à corriger différentes formes de défaillances en lien, tout d’abord, avec la présence d’externalités positives qui ne sont pas prises en compte par les marchés. En effet, les activités spatiales sont à l’origine d’effets de report conséquents sur d’autres activités économiques. Or le taux de retour sur investissement engendré par les technologies spatiales demeure très difficile à évaluer en raison notamment de la nature diffuse du « retour » positif sur la société, de sa référence au temps long et de son caractère hautement incertain. Ce problème d’évaluation témoigne de la forte complémentarité51 entre les activités (Brynjolfsson et Milgrom, 2013). De nombreuses entreprises de la nouvelle économie spatiale proposent des modèles d’affaire qui n’ont de sens que lorsque d’autres activités sont déjà en place. Les lancements seraient chers s’il n’y avait que peu à faire et nulle part où aller dans l’espace. Par conséquent, les technologies qui contribuent à la commercialisation de l’espace52 ne peuvent révéler un rendement élevé qu’en tant que composantes d’un ensemble plus large qui comprend d’autres technologies et activités. Toutefois, la possibilité de tirer profit de ces complémentarités peut inciter certains acteurs à intégrer les différents segments de la chaîne de valeur de manière à bénéficier d’économies d’échelle et de gamme, lesquelles peuvent conduire, en retour, à une concentration plus forte des marchés et à une acuité plus faible de la concurrence sur ces derniers. De telles dynamiques sont bien connues dans le secteur de l’aérospatial. À ce titre, les récents efforts de la NASA pour coordonner la commercialisation de l’espace ont remporté quelques succès. En effet, le programme COTS53 et ceux associés n’ont pas seulement subventionné les lanceurs commerciaux, ils ont également maintenu une structure de marché concurrentielle grâce à un ensemble diversifié de contrats d’attribution.

32Les asymétries d’information, le niveau de risque élevé et le problème quant à la prise en compte de telles complémentarités appellent à une coordination de ces activités par l’entremise des agences publiques spatiales. Ces dernières peuvent alors contribuer à renforcer les relations entre les différents acteurs des systèmes d’innovation, contribuant ainsi à en améliorer l’efficacité. Au demeurant, les agences publiques peuvent intervenir de manière à « corriger » l’orientation des activités d’innovation, par la mise en place de politiques centrées sur des objectifs, avec pour perspective d’initier un changement transformatif qui répondrait aux grands défis sociétaux (Mazzucato, 2017). Ces politiques permettraient alors de créer de nouveaux marchés qui n’auraient pu émerger via la seule correction des défaillances des marchés et des systèmes d’innovation. Cela étant, des questions demeurent quant à la politique publique qu’il s’agirait de mettre en œuvre. Si l’on entrevoit un soutien par voie de subvention à ces technologies interdépendantes, quelle serait alors la forme de subvention la plus efficace, (un partage des coûts, des garanties de revenus ou un prix) ? Comment le surplus d’un tel système pourra-t-il être partagé entre les acteurs ? Si la fourniture de ces technologies engendre une situation de monopole naturel, comment les décideurs politiques devraient-ils réagir ?

L’approche américaine

33L’approche américaine porte principalement l’attention sur le développement de l’économie spatiale décentralisée, autorisant en cela l’exploitation à grande échelle de l’espace dans toutes ses dimensions, avec une interrogation toutefois quant à la manière de prendre en compte l’intérêt public (Hertzfeld, 2007). En effet, la dynamique de commercialisation des produits et services spatiaux, ainsi que l’efficacité des marchés qui leur sont associés, ne garantissent en rien l’alignement entre les intérêts privé et public et le respect de jugements d’ordre éthique exprimés dans le domaine public. Il s’agit d’une approche fondée sur les valeurs d’usage qui doit arbitrer les éventuels conflits d’intérêt entre les différents « usagers » de l’espace. À ce titre, Krolikowski et al. (2021) évoquent le conflit potentiel entre les tenants de l’intérêt commercial pour les astéroïdes et ceux qui portent un intérêt pour ces mêmes astres au titre de l’exploration scientifique ou de la colonisation de l’espace ; l’exploitation minière peut détruire le matériel d’intérêt pour les scientifiques tout en extrayant des ressources qui pourraient être utiles aux futurs colons. La question qui est alors soulevée réside dans la manière d’octroyer des droits d’usage, faisant appel à la réglementation pour réguler ces derniers.

  • 54 Voir l’article 2 du traité de 1967 qui ne mentionne pas ces ressources.

34À cet égard, les traités spatiaux internationaux existants n’approuvent ni n’interdisent l’utilisation privée des ressources dans l’espace. Depuis 2015 et l’adoption du Commercial Space Launch Competitiveness Act, les États-Unis autorisent la possibilité d’accorder un droit de propriété sur les ressources d’un corps planétaire à celui qui « y arrive le premier » (Leon, 2018). Il s’agit d’un régime d’autorisation nationale de licence qui permet l’exploitation des ressources extraterrestres. Ce traitement par la loi des droits de propriété reflète le principe selon lequel le premier acteur à utiliser une ressource gagne le droit de « posséder, transporter, utiliser et vendre ». À ce propos, la loi américaine de 2015 s’inspire grandement de celle fédérale en lien avec la conquête de l’ouest, (the Home State Act, 1852). Les Américains sont persuadés que la conquête spatiale s’inscrit dans la continuité de la conquête de l’ouest (Achilleas, 2016 ; de Man, 2016). En d’autres termes, ils appliquent à l’espace des principes qui régissaient la conquête de l’ouest. Même si pareil droit de propriété accordé de la sorte peut être utilisé d’une manière qui s’oppose aux intérêts de la société, l’absence de ce dernier révèle aussi un coût d’opportunité en lien avec des ressources qui ne seraient pas exploitées. Aux côtés des États-Unis, le Luxembourg et d’autres pays considèrent que les lois nationales qui régissent les activités d’exploitation des ressources spatiales n’entrent pas en contradiction avec le traité de l’espace de 1967, car ce dernier ne porterait que sur les corps célestes, non sur les ressources de ces corps54. Il ne s’agit donc pas de privatiser la Lune et d’autres astres, mais bien d’autoriser des acteurs économiques à exploiter les ressources spatiales au nom de la liberté de l’espace. Ces pays évoquent aussi les opportunités que pourraient générer ces activités d’exploitation des ressources spatiales. Ces dernières contribueraient à développer bon nombre de marchés dédiés à la donnée spatiale, à l’orbite basse et au grand nombre de satellites qu’il s’agirait de lancer dans l’espace pour répondre à diverses demandes en lien notamment avec les grands défis sociétaux. Au demeurant, ces activités permettraient davantage d’autonomie vis-à-vis des ressources terrestres pour la conquête spatiale.

  • 55 Dans le contexte du traité international de 1979 sur la Lune et les autres corps célestes, le désac (...)
  • 56 Il s’agit du nouveau programme lunaire américain qui a été lancé le 16 novembre 2022 avec le premie (...)

35Selon Weinzierl (2018), une solution à ce conflit serait offerte par John Locke (1689) et la « proviso lockéenne » proposée par le philosophe Robert Nozick (1974). Selon cette théorie de la propriété, l’appropriation d’une ressource peut être justifiée si chaque individu connaît un niveau de bien être similaire à celui observé dans un monde où toutes les ressources étaient restées sans propriété. Cette justification demeure au cœur de la position portée par les partisans de la loi américaine de 2015. Il n’en demeure pas moins que les questions relatives à la répartition des gains et des ressources tirés de l’exploitation de l’espace, lorsqu’elle est définie dans le cadre de structures de régulation non coordonnées, demeurent hautement controversées. Ces questions ont également trait au régime de concurrence à l’œuvre entre les acteurs privés et parmi les nations, avec le risque d’une course vers le « bas » de la réglementation. Dans pareil contexte, quelle devrait être la meilleure structure de droits de propriété de l’espace qui serait définie et mise en œuvre sous un contrôle d’ordre politique veillant au respect de l’intérêt public ? Par ailleurs, les activités spatiales ne sont pas entre les seules mains des acteurs privés. Certains pays critiquent la création de droits de propriété dans l’espace, arguant que les ressources spatiales non appropriables devraient être la propriété commune de l’humanité. Les négociations internationales qui se déroulent actuellement au sein du comité du traité de l’espace, une institution des Nations Unies dédiée au développement du droit de l’espace, prennent une dimension hautement diplomatique. Les États-Unis ne veulent pas engager de discussion avec des pays qui ne seraient pas en accord avec leur approche, (il s’agit notamment de la Russie et de certains pays en développement55). En parallèle, ils ouvrent des négociations bilatérales dans le cadre du programme Artémis56, proposant des partenariats si le partenaire potentiel s’engage à reconnaître l’interprétation américaine du traité de l’espace. Il faut donc épouser les mêmes valeurs si l’on souhaite exploiter les ressources extraterrestres. Ces valeurs communes sont partagées par un certain nombre de pays tels que l’Italie, l’Australie, le Luxembourg, l’Ukraine, les Émirats Arabes Unis, le Canada, le Royaume-Unis et le Japon. La Chine, quant à elle, demeure relativement silencieuse, dans l’attente du « bon moment » pour affirmer son intérêt vis-à-vis des ressources extraterrestres, avec pour perspective de possibles conflits autour de l’accès à ces ressources plus ou moins concentrées dont la disponibilité reste limitée (Goswami, 2018).

  • 57 Le programme de la navette a été annulé en 2011, laissant les États-Unis dans la position embarrass (...)

36Pendant près de cinquante ans, la NASA a occupé une position centrale dans le « système d’innovation » spatial américain, contribuant au financement direct de l’innovation technologique pour réaliser ses propres missions. De surcroît, cette position l’a conduit à fixer les orientations du changement et à superviser les entreprises du secteur privé qui fournissait les technologies. Toutefois, après deux accidents tragiques, avec la navette Challenger en 1986 et la navette Columbia en 2003, l’approche s’est détournée de la navette57 et du modèle centralisé qu’elle représentait. La Commission présidentielle qui détermine les grandes orientations de la politique d’exploration spatiale des États-Unis (2004) a précisé que le rôle de la NASA devait être limité aux seuls domaines où il existe une démonstration irréfutable que seul le gouvernement peut exécuter l’activité proposée. La stratégie de décentralisation qui est alors adoptée par le gouvernement américain durant les années 2000 et 2010, concerne principalement les services de transport orbitaux, la commercialisation de l’orbite terrestre basse et l’utilisation de la Station spatiale internationale. L’évolution du système d’innovation spatiale civil qui en résulte repose sur le partenariat public-privé et des arrangements institutionnels qui permettent à l’agence spatiale américaine d’adopter un rôle plus ciblé avec pour priorités l’exploration spatiale et les sciences fondamentales (Hertzfeld, H.R., 2002) ; il s’agit de biens publics dont la production relève de ses compétences de base. En revanche, elle délègue le développement économique de l’espace en grande partie au secteur privé, même si le degré de décentralisation diffère selon les composantes du système d’innovation spatiale.

  • 58 En 2005, la création du Bureau du programme d’équipage et de fret commercial de la NASA (C3PO) a do (...)
  • 59 A ce titre, Weinzierl (2018) rapporte que selon la NASA, le coût total pour livrer un kilogramme de (...)
  • 60 A ce propos, en appliquant les Space Act Agreements (SAAs) aux programmes COTS et CCDev, l’Agence s (...)

37Avec sa nouvelle approche des achats pour les lanceurs, la NASA confie la responsabilité de la conception et de la livraison au secteur privé, tout en accordant des prêts et en garantissant les ventes à l’avance58. Pareille approche permet à l’agence de mobiliser/lever des capitaux privés pour fournir ses services de transport à un coût nettement inférieur à celui des vols précédents de la navette spatiale59. Deuxièmement, elle permet à la NASA de réorienter son temps et son budget vers des projets visant à créer un actif stratégique autour des lanceurs, fondé sur la tarification au coût marginal de l’usage de ses installations et sur de nouvelles modalités en matière d’indemnisation du risque, (à l’image de la garantie proposée sur les ventes). En laissant la direction du développement et la décision quant à la fourniture des services de lancement au secteur privé, la NASA s’éloigne d’un rôle de direction fort, où la conception et le développement étaient sous sa seule responsabilité, vers une approche plus souple où le secteur privé devient un acteur de premier plan, non seulement dans la production de technologies et de services sous contrat, mais aussi en décidant de l’orientation du développement technologique et de celles ayant trait à certaines parties du système d’innovation spatiale (Deleidi et Mazzucato, 2021 ; Mazzucato et Robinson, 2017). En mars 2017, le secteur spatial américain a décidé d’aller plus loin dans la décentralisation avec la signature du NASA Transition and Authorization Act, lequel demande désormais aux fournisseurs commerciaux privés d’effectuer des missions de l’Agence spatiale américaine, telles que le transport de personnes et de charges utiles vers la Station spatiale internationale. Ce cadre juridique permet également au secteur de céder la direction des activités en orbite terrestre basse à des fournisseurs spatiaux commerciaux. Concernant l’usage de la Station spatiale internationale, le Center for the Advancement of Science in Space (CASIS), une organisation à but non lucratif créée en 2011, a pour mission de gérer près de 50 % des activités du Laboratoire national de la Station, the ISS US National Laboratory, ainsi que les masses amont et aval associées. Ce dernier fournit gratuitement au secteur privé (et à tout autre acteur) 50 % de la charge utile du lanceur, 50 % du temps scientifique de ses astronautes à bord de la Station et 50 % de la livraison de la charge utile de retour, sans qu’il soit nécessaire de fournir un retour à la NASA. Dans le cadre de cet arrangement institutionnel novateur, les conditions d’utilisation de la Station spatiale internationale repose sur une délégation du contrôle confiée à des organisations intermédiaires qui négocient les accords entre l’agence et les usagers potentiels60. La NASA paie généralement la facture en fournissant un accès à l’espace grâce à ses lancements vers la Station spatiale, ainsi qu’un accès gratuit au Laboratoire national américain. Le CASIS agit comme un courtier dans cette allocation avec un rôle décisionnel fort et un pouvoir quant à l’usage de la partie américaine de la Station spatiale internationale. Là également, l’Agence spatiale américaine s’éloigne de son rôle de directeur dominant des activités de recherche et développement (Foray et al., 2012), privilégiant des politiques davantage axées sur la diffusion (Chiang, 1991), avec pour perspective de soutenir la création des conditions propices à l’émergence des marchés.

L’approche européenne

  • 61 Il s’agit de l’article II.d de la Convention. Par ailleurs, l’article VII de cette même Convention (...)

38Au regard du contexte actuel, la politique spatiale européenne prend une dimension importante, prenant part à la couverture de plusieurs enjeux sécuritaires en lien avec le climat, l’énergie, l’alimentation, la santé et la défense, lesquels font écho à la multiplication récente de crises qui ont frappé le continent (Madan et Halkias, 2020). Pareille politique contribue à la construction d’une vision géopolitique commune qui viendrait appuyer la transition vers des modèles économiques qui répondent aux divers agendas environnementaux et de développement. Elle est principalement financée par le Programme spatial de l’Union européenne, le Programme-cadre pour la recherche et l’innovation et, depuis 2021, le programme d’Infrastructure de Résilience, d’Interconnectivité et de Sécurité par satellite, (IRIS). La coordination des activités de recherche et de développement est assurée par l’Agence spatiale européenne (ESA) ; une agence publique paneuropéenne qui fournit également des infrastructures dédiées aux opérations spatiales européennes. Dans la Convention signée en 1975 qui définit les contours de ses missions, l’ESA avait pour objectif majeur de définir et mettre en œuvre la politique industrielle du secteur spatial en Europe61. Il s’agissait alors de construire une industrie européenne compétitive fondée sur les activités de recherche et développement et l’efficacité dans le recours à des sous-traitants externes. Cette politique centrée sur la « correction des défaillances du marché », se concentrait sur les activités amont à fort investissement et à haut risque. Par la création d’une véritable chaîne d’approvisionnement, l’Agence spatiale européenne contribua à la croissance de bon nombre des plus grandes entreprises aérospatiales européennes.

  • 62 Selon Thierry Breton, commissaire européen en charge du marché intérieur, l’autonomie stratégique s (...)
  • 63 Galileo est un système de positionnement par satellites lancé par l’Union européenne dans le cadre (...)
  • 64 EGNOS est employé pour améliorer la performance des systèmes mondiaux de navigation par satellite, (...)
  • 65 Copernicus est un programme de l’Union européenne qui collecte et restitue des données de qualité e (...)

39Sur la période récente, l’attention porte sur l’autonomie stratégique de l’Union européenne62 par référence aux dépendances et autres vulnérabilités qui peuvent affecter les infrastructures spatiales, mais aussi la société. A cet égard, l’autonomie stratégique s’applique aux différents domaines de la navigation par satellite, avec Galileo63 et EGNOS64, et l’observation de la terre (OT), par référence au programme Copernicus65. Elle concerne également les capacités en matière de télécommunication gouvernementale qui contribuent à la protection des infrastructures critiques dans les secteurs de l’énergie, de la santé et du spatial. Cette mission s’inscrit dans une dynamique de développement des activités de commercialisation qui accordent une attention croissante aux applications, produits et services situés en aval des diverses chaînes de valeur spatiales. Pareille dynamique résulte de la volonté d’inclure dans la politique européenne d’innovation des produits et services destinés aux consommateurs, ainsi que des biens publics qui répondent aux défis de société, en plus de la fourniture traditionnelle des technologies et des services scientifiques. Toutefois, la politique d’innovation n’a pas pour finalité de promouvoir les activités marchandes en tant que telle, mais plutôt de solliciter ces dernières comme une source importante d’effets de report (retombées) à long terme. L’ESA s’oriente vers une approche plutôt centrée sur les défis sociétaux (Clormann, 2021). À ce titre, l’effort réalisé dans l’observation de la Terre et la fourniture de données en libre accès qui profitent au monde entier en est une illustration.

  • 66 Il s’agit d’appliquer un principe de réciprocité dans l’accès aux marchés publics, excluant les ent (...)
  • 67 Cette nouvelle stratégie a été adoptée durant le premier semestre 2023.
  • 68 L’essor des activités spatiales observés en Allemagne et en Italie se reflète fort bien dans le bud (...)

40Cette attention portée sur l’aval (services et applications), plutôt que sur l’offre (satellites, lanceurs et autres technologies et infrastructures), apparaît comme une rupture dans la politique spatiale européenne. Les agences spatiales civiles européennes doivent alors définir les services et les applications souhaitables, rechercher des stratégies pour soutenir la création de chaînes de valeur s’étendant de l’amont à l’aval, et les créer de manière à combiner la fourniture de biens publics, ainsi que la création d’une industrie spatiale européenne forte et compétitive à l’échelle mondiale qui apporte des emplois, de la croissance et d’autres avantages aux citoyens européens ; une mission clairement énoncée dans sa Convention fondatrice. Dans ce contexte, l’exigence d’autonomie revendiquée par l’Union européenne sur l’ensemble des chaînes de valeur, conduit à privilégier les prestataires européens, sans déroger toutefois aux engagements internationaux. Par ailleurs, de nouvelles réglementations visent à établir les conditions d’une concurrence loyale vis-à-vis des pays tiers66. L’enjeu de la politique spatiale européenne réside alors dans la manière d’atteindre ce double objectif : se rapprocher de l’usager final via la commercialisation des applications spatiales, tout en répondant aux besoins des acteurs gouvernementaux en matière de défense et de sécurité, lesquelles émergent aujourd’hui comme les nouveaux piliers de la stratégie spatiale européenne67. À ce titre, la recherche de synergies entre les domaines privé et public s’inscrit dans la volonté de renforcer la résilience collective de l’Union, laquelle nécessite une réponse commune aux menaces et la protection des biens et des services spatiaux. Dans ce registre, la stratégie adoptée par l’ESA consiste à soutenir des systèmes d’innovation régionaux destinés à répondre aux défis sociétaux. Il s’agit ici d’entretenir et de développer des pôles qui peuvent rivaliser à l’échelle mondiale sur chacun des segments de la chaîne de valeur spatiale. Toutefois, les politiques spatiales européennes doivent s’inscrire dans la nécessité de répondre à des objectifs d’ordre national, tout prenant part à des cadres communs de collaboration. Or, sur la période récente, de grands pays membres de l’Union européenne tels que l’Allemagne et l’Italie ont développé une politique spatiale dans un contexte de redéploiement des questions sécuritaires autour d’enjeux nationaux68. De surcroît, l’Union européenne souhaite également aligner la politique spatiale à des enjeux de sécurité en lien avec l’autonomie stratégique recherchée. Cette dynamique de fragmentation du paysage européen dans le secteur du spatial risque fort de pénaliser les acteurs économiques qui sont confrontés à forte concurrence mondiale (Darnis, 2021).

  • 69 Par exemple, pour Spot Image, les cinq premiers satellites ont été entièrement financés par le sect (...)
  • 70 Il s’agit notamment des satellites Spot 6 et Spot 7 avec Atrium comme principal financeur.
  • 71 Dans ce secteur en forte croissance, des entreprises comme Orbital Insight, se spécialisent dans la (...)
  • 72 Le marché mondial de l’image spatiale est dominé par DigitalGlobe, une entreprise basée aux États-U (...)
  • 73 L’initiative CASSINI vise à soutenir les entrepreneurs innovants, les start-ups et les PME de l’ind (...)

41Partant de l’idée qu’il est dans l’intérêt des partenaires européens de travailler ensemble, plutôt que dans un cadre purement national, l’ESA fonde sa politique d’innovation sur les technologies satellitaires d’observation de la Terre et de l’exploitation des données spatiales. Les données et leurs applications apparaissent au cœur des transformation du secteur spatial. Jusqu’à une date récente, les activités d’OT avec satellites étaient entièrement financées par le secteur public69, en particulier à des fins de défense, lequel couvrait l’ensemble des risques en termes de débouchés. En revanche, depuis une période récente, le secteur privé contribue au financement des satellites OT, sans qu’il n’y ait d’accord préalable avec le secteur public pour que ce dernier achète des images70, ce qui implique un transfert du risque vers le domaine privé. Dans ce contexte, l’émergence de grandes entreprises de métadonnées, agrégeant et ajoutant de la valeur aux images de l’espace, et le développement des fabricants privés de satellites pour l’OT, contribuent à la création d’une chaîne de valeur qui demeure désormais dominée par le secteur privé71. Toutefois, le marché de l’OT reste hautement concentré avec quelques acteurs principalement soutenus par le secteur public72. Afin de rendre les marchés davantage « contestables », la politique spatiale européenne propose une nouvelle approche en matière de soutien de l’industrie du spatial, encourageant l’entrée de nouveaux acteurs et une meilleure prise en compte du risque. À ce titre, l’initiative CASSINI73 lancée tout récemment par la Commission européenne fournit différents dispositifs et autres outils d’appui à l’entrepreneuriat spatial. Elle s’adresse à tous les acteurs de la filière, couvrant à la fois l’amont et l’aval des chaînes de valeur. Elle doit aussi permettre un meilleur accès aux marchés publics pour les nouveaux entrants, contribuant ainsi à une diminution des coûts à l’entrée. L’approche par la passation de marchés en ligne, appelée Dynamic Purchasing System (DPS), proposée tout pour garantir des conditions dites équitables d’accès pour l’ensemble des fournisseurs européens de données OT, ainsi que l’initiative Flight Ticket visant à répondre aux besoins en services de lancement et en validation des technologies utilisées dans l’espace, s’inscrivent pleinement dans cette volonté de développer une économie des applications spatiales centrée sur les marchés, avec toutefois l’Union européenne comme client de référence (anchor customer).

  • 74 Le programme Copernicus permettra de suivre la réalisation des objectifs nationaux en matière de dé (...)
  • 75 La notion de bien commun fait référence à des ressources partagées par plusieurs usagers qui font l (...)
  • 76 Certains secteurs ou domaines d’activité commence à prendre conscience de l’utilité des données spa (...)

42Le programme Copernicus de l’ESA s’inscrit pleinement dans cette dynamique, lequel est désormais ouvert au dispositif de passation de marchés en ligne. Ce programme est le produit d’efforts combinés de l’ESA, de la Commission européenne et de l’Union européenne pour construire une constellation de satellites et d’instruments de classe OT pour surveiller la Terre. L’objectif du programme est de garantir un accès continu aux données sur les problèmes d’environnement et de sécurité, via des plateformes d’OT spatiales dédiées connues sous le nom de Sentinel. À l’échelle de l’Union européenne, l’enjeu en matière de sécurité est important. Il s’agit de disposer d’une information à la fois unique et indépendante qui contribuera notamment à évaluer l’efficacité des politiques publiques visant à répondre aux besoins sociétaux74. De surcroît, l’Union européenne veut apparaître comme une référence mondiale dans le suivi des actions qui s’inscrivent dans le respect des grands agendas. Le mobile sécuritaire qui fonde le programme autour de la surveillance des maux et autres biens communs75, repose sur une mise à disposition gratuite des données pour tout utilisateur partout dans le monde. Or la production de ces données au titre de la fourniture de biens collectifs, nécessite des investissements importants, sans aucune garantie quant à leur taux de retour. Ce dernier dépend notamment de l’utilisation de ces images, lesquelles peuvent faire l’objet d’une valorisation économique via le développement d’algorithmes spécifiques dédiés à leur application. Cette valorisation résulterait aussi d’effets d’entraînement sur d’autres industries ou d’autres secteurs qui peuvent bénéficier de l’imagerie à haute résolution. L’enjeu réside alors dans la volonté d’approcher de nouveaux usagers au sein des systèmes industriels76, tout en s’assurant que ces derniers utilisent les données produites par l’Union européenne, et dans le décloisonnement souhaité des transitions écologique et numérique (Frischauf et al., 2018). Toutefois, comment susciter ces effets d’entraînement tout en garantissant la gratuité de l’accès aux données ? La gratuité ne risque-t-elle pas de réduire les perspectives de débouchés sur d’autres marchés qui proposent des produits ou services similaires ? Pareille gratuité pourrait-elle engendrer une pression à la baisse sur le prix de l’image spatiale ?

  • 77 A cet égard, l’agence européenne pour le Programme spatial (EUSPA) a fortement contribué à l’adopti (...)
  • 78 À titre d’illustration, on peut citer le réseau des centres d’incubation d’entreprises (BIC) de l’E (...)
  • 79 Robinson et Mazzucato (2019) évoquent à titre d’exemples les districts spatiaux comme Harwell (Roya (...)
  • 80 Cette situation est particulièrement évidente aux États-Unis, et ne se limite pas à l’imagerie, ave (...)

43L’approche proposée par l’Agence spatiale européenne consiste à « rapprocher » l’observation terrestre de la demande initiée par les grands défis sociétaux. Il s’agit de créer un système d’innovations et de services liés à l’OT qui permettrait de valoriser/capitaliser le système Sentinel et autres plateformes, en générant de la valeur à l’échelle mondiale. A cet égard, la disponibilité gratuite et ouverte des services de Copernicus pourrait améliorer la prise de conscience de l’existence d’une large gamme de produits issus de l’OT, augmentant ainsi la demande pour des produits similaires tels que les images à plus haute résolution, et celles de produits ou services à haute valeur ajoutée situés en aval de la chaîne de valeur77. À ce titre, Copernicus propose une nouvelle plateforme publique d’accès aux données d’OT, lesquelles pourront alimenter les systèmes d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique des utilisateurs (Rapport Schuman, 2023). Ce rapprochement repose également sur une réorientation de la stratégie de spécialisation des systèmes régionaux d’innovation (Foray et al. 2009). L’intelligence stratégique recherchée réside alors dans la manière d’associer, à l’échelle d’un territoire, les chaînes d’approvisionnement spatiales et les besoins socio-économiques qui découlent de ces défis78. À cette fin, l’ESA s’appuie sur un réseau de courtiers qui jouent le rôle d’intermédiaires entre les utilisateurs potentiels et l’offre technologique issue des activités de l’Agence. Ces courtiers qui sont répartis dans près de 15 pays, sont également utilisés pour évaluer les besoins du marché dans lesquels il existerait un potentiel d’effets de retombée de type spin-off (Winch et Courtney, 2007 ; Klerkx et Leeuwis, 2009). Ils apparaissent alors comme des acteurs majeurs du transfert de technologies spatiales des programmes spatiaux de l’ESA vers d’autres secteurs. Toutefois, Robinson et Mazzucato (2019) soulignent que ce transfert doit s’opérer selon un mélange de politiques verticale – la direction du changement – et horizontale – les conditions de l’innovation – visant à générer une expérimentation ascendante, qui intègre la demande et les opportunités de spin-in au niveau des territoires. Pareille dynamique peut être à l’origine de nouveaux arrangements institutionnels entre les domaines public et privé79 qui devraient permettre une mutualisation de la charge d’investissement, ainsi que des gains et des risques qui leur sont associés (Laplane et Mazzucato, 2020). Dans ce contexte, la valorisation économique de la donnée spatiale traitée ici au titre d’un actif créé par des fonds publics soulève la question du partage des risques et des avantages de l’approche européenne, dans un contexte où d’autres régions du monde révèlent des compétences certaines pour exploiter un tel actif80. Ce partage nécessite la mise en place de politiques dédiées qui doivent proposer des mécanismes alternatifs de valorisation des investissements réalisés. Parmi les mécanismes évoqués, on peut citer l’application d’un prix plafond pour les services utilisant des infrastructures financées par des fonds publics et son application aux services proposés par le secteur privé qui exploite la donnée spatiale. Il peut également s’agir d’un pourcentage de remboursement par le secteur privé situé en aval de la chaîne, lequel viendrait alimenter un « fonds d’innovation » destiné aux futurs investissements réalisés en amont.

Conclusion

  • 81 L’EUSPA qui a été créée en 2004, a pour objectif de gérer les intérêts publics relatifs aux program (...)

44Le développement récent de l’économie spatiale s’inscrit dans un contexte où les questions de sécurité ont beaucoup évolué durant les dernières décennies, partant de l’échelon national avec la menace militaire extérieure comme préoccupation première, à l’échelle mondiale par référence à des situations qui associent plusieurs menaces de nature différente. Cette évolution témoigne aussi d’une reconfiguration des domaines public et privé, laquelle est partagée entre les « défaillances » du marché et celles des États quant à la régulation efficace des activités économiques. À ce titre, la nouvelle économie spatiale révèle des particularités communes aux différents modèles. Elle témoigne de ruptures d’ordres technologique, managérial et téléologique si l’on considère les projets qui sont proposés. Un consensus apparent semble donc s’établir quant à l’émergence d’un nouveau paradigme porté par les États-Unis qui affecterait l’ensemble des activités spatiales. Toutefois, la nouvelle économie spatiale révèle aussi une grande diversité des modalités de régulation et des politiques qui sont mises en œuvre. L’approche américaine fondée sur la promotion et la correction des marchés contribue à créer une nouvelle génération d’entrepreneurs spatiaux. Cette approche permet de générer un véritable effet de masse qui concourt fortement à la rentabilité de l’industrie spatiale américaine. Cependant, des interrogations demeurent concernant les perspectives de débouchés, les risques associés à la commercialisation des produits et services sociaux, et le rôle de la NASA concernant les activités spatiales commerciales qui s’étendent désormais au-delà de l’orbite terrestre basse. L’approche européenne, quant à elle, vise à orienter les marchés vers les grands défis sociétaux actuels et les enjeux de sécurité qui leur sont associés. Le développement de la nouvelle économie spatiale repose sur des systèmes d’innovation décentralisés qui révèlent un véritable ancrage territorial afin de mieux répondre à la demande. Dans le cadre de cette approche, le nouvel élan de la conquête spatial paraît indissociable de l’esprit d’appartenance à une communauté d’intérêt. Or les initiatives nationales et communautaire récentes tendent à fragiliser pareil esprit, laissant entrevoir certaines vulnérabilités qui pourraient être dommageables dans une perspective de long terme. À l’échelle de l’Europe, le développement des activités spatiales dépend de l’effort combiné de l’ESA, de la Commission européenne et de l’agence de l’Union européenne pour le programme spatial81.

45En plus des défis d’ordre économique et institutionnel que nous venons d’évoquer, la nouvelle économie spatiale doit tenir compte des différents agendas environnementaux dictés par l’urgence. Reprenant les travaux de Piore & Sabel (1986), la période actuelle annoncerait l’arrivée d’un troisième « clivage industriel » en lien avec la recherche d’un nouveau régime de croissance qui doit respecter les conditions de la transition écologique. Pareille rupture centrée sur l’exigence de sobriété nécessite de penser l’innovation au regard du couple « technologie-usage » et de l’importance des cas d’usage pour orienter les choix en matière de technologie, ainsi qu’au désinvestissement programmé des actifs carbonés (De Perthuis, 2023). Ce clivage interroge de manière notable le critère de compétitivité qui repose traditionnellement sur une massification rapide et conséquente de la production, à l’image du modèle des « gigafactories », et des usages, par référence à la taille des marchés, afin de réduire le coût des technologies. Cet effet d’échelle qui suppose une forte croissance de l’offre et de la demande, impose d’établir un calendrier des usages, (on commence par quoi ?), tenant compte du rôle des infrastructures et des institutions, (avons-nous vraiment le temps ?). A ce titre, le caractère hautement inertiel des infrastructures témoigne de l’importance des spécificités locales et du poids de l’histoire sur les trajectoires futures. Par ailleurs, la diffusion de l’innovation et les conditions de son déploiement dépendent des effets d’expérience et de complémentarité entre les activités concernées. Enfin, au regard de l’exigence de sobriété, la massification ne peut revêtir qu’un caractère « local », puisant sa « légitimité » dans la disparition programmée d’autres usages et d’activités jugés désormais impropres vis-à-vis des grands agendas environnementaux. Les politiques d’innovation dans le secteur de l’aérospatial devront donc surtout miser sur les effets qualité et composition, bien moins sur l’effet volume, afin permettre le déploiement des solutions proposées ; en seront-elles capables ?

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Notes

1 Space Capital, 2023 : https://www.spacecapital.com/quarterly.

2 La National Aeronautics and Space Administration, plus connue sous son acronyme NASA, est l’agence fédérale responsable de la majeure partie du programme spatial civil des États-Unis.

3 L’Agence spatiale européenne (European Space Agency - ESA) est une organisation internationale qui compte 22 États membres. Sa mission consiste à façonner les activités de développement des capacités spatiales européennes et à faire en sorte que les citoyens européens continuent à bénéficier des investissements réalisés dans le domaine spatial.

4 Le mode d’organisation sociale des activités de production et de consommation fait écho aux modalités de création et de partage des revenus et des formes de régulation, marchande ou étatique, qui président à la dynamique économique.

5 Il s’agit notamment de la Cour Internationale de Justice, créée par la déclaration des Nations Unies du 26 juin 1945, et de l’article 42 de la Charte des Nations Unies. Au regard de la notion de souveraineté, le développement du droit international met en perspective la dimension dite interne, celle des États fondée sur un principe de hiérarchie que l’on retrouve dans les écrits de Jean Bodin (1583), et celle dite externe qui renvoie à la charte des Nations Unies (art. 2 § 1) et à un principe d’égalité souveraine entre les États qui ne tiendrait pas compte des inégalités entre ces derniers. On peut également relever le développement d’organisations régionales à l’image de l’Union Européenne qui dispose d’un ordre juridique propre auquel un droit de décision peut être transféré. À ce titre, certains interrogent la notion de souveraineté par référence à une responsabilité partagée par différents acteurs qui couvrirait un spectre plus large que celui des seuls États (Badie, 1999).

6 Dans ce contexte, la France a créé le Commandement de l’espace (CDE) en 2019. Il s’agit d’un service interarmées de l’Armée française dépendant du Chef d’état-major de l’Armée de l’air et de l’espace. Son objectif est de « disposer d’une défense spatiale renforcée » et d’une autonomie stratégique spatiale (Dabila, 2021).

7 Il s’agit d’un programme proposé par le gouvernement américain durant les années 1930, qui vise à sortir l’économie américaine de la grande dépression par une politique d’investissement public de grande ampleur et par une réforme innovante des marchés financiers (Berle, 1935).

8 Le Conseil international des unions scientifiques est une organisation non gouvernementale internationale fondée en 1931 pour promouvoir l’activité scientifique internationale dans les différentes branches des sciences et techniques et son utilité sociale pour l’humanité.

9 En France, on peut citer le service d’aéronomie, un laboratoire du CNRS qui a été créé en 1958 (Chanin, 2008). Il s’agit du premier laboratoire français dédié à la recherche scientifique depuis l’espace. Il développe ou contribue au développement de nombreux instruments embarqués. En 2009, le laboratoire fusionne avec le Centre d’étude des environnements terrestres et planétaires (CETP) pour former le Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales (LATMOS).

10 Il s’agit principalement des ressources en eau pour les équipages, de la production de carburant et de ressources plus rares comme l’hélium 3.

11 Il s’agit d’un concept issu du droit international public qui a émergé à partir de la deuxième moitié du 20e siècle. Il s’inscrit dans la volonté de règlementer l’accès aux ressources situées au-delà des juridictions nationales des États.

12 Le traité de l’espace s’inspire grandement des régimes existants en droit terrestre. Il s’agit des régimes qui s’appliquent à l’Antarctique et à la haute mer, dans lesquels on retrouve les deux principes, (traité de Washington, 1959 ; convention des Nations Unies, 1982).

13 À l’heure actuelle, la surveillance de l’espace est principalement assurée par les États-Unis. L’histoire de l’US Space Force remonte à 1954, lorsque l’US Air Force a créé une division chargée de superviser les missiles balistiques de l’armée américaine. Cette division a évolué à plusieurs reprises au cours des décennies suivantes. Toutefois, c’est en 2019 qu’elle est véritablement créée, dans la continuité du National Defense Authorization Act, devenant ainsi la première nouvelle branche des forces armées américaines depuis 1947. Cette création résulte de l’idée que l’espace devient un impératif de sécurité nationale. Combiné à la menace croissante posée par de nouveaux concurrents stratégiques dans l’espace, il paraît alors nécessaire d’avoir une force militaire principalement dédiée au contrôle du domaine spatial. En 2023, le 75ème escadron d’intelligence, de surveillance et de reconnaissance est créé, lequel a pour mission de collecter des renseignements avancés sur les capacités spatiales de pays hostiles, dans la perspective éventuelle de les détruire.

14 Cependant, après la dernière des missions Apollo en 1972, la NASA – et donc le secteur spatial américain – a eu du mal à trouver un deuxième acte. Une partie de la raison était que le lien étroit entre le programme Apollo et la concurrence avec l’Union soviétique rendait le budget de la NASA vulnérable au sentiment que la mission avait déjà été accomplie (Logsdon, 2015).

15 Au début de l’ère de la navette, le président Ronald Reagan a signé le Commercial Space Launch Act en 1984, déclarant : « L’un des objectifs importants de mon administration a été et continuera d’être l’encouragement du secteur privé dans les efforts de l’espace » (cité par Weinzierl, 2018). Cette même année a vu la création de l’Office of Commercial Programs de la NASA et de l’Office of Commercial Space Transportation du Department of Transportation (NASA, 2014).

16 Le programme Ariane est le nom générique d’une famille de lanceurs civils européens de satellites. Il trouve son origine dans la volonté politique des pays européens d’accéder d’une façon autonome à l’espace. Il est lancé en 1973 par le Centre National des Etudes Spatiales. 

17 À ce titre, la NASA propose un projet en 2019 visant à retourner sur la lune. Il ne s’agit pas d’une nouvelle version du programme Apollo. Il s’agit d’un projet qui se veut pérenne avec une attention portée sur les ressources de manière à assurer la durabilité dans le temps du projet spatial dans la perspective aller sur mars. L’enjeu est de garantir l’autonomie du projet vis-à-vis des ressources terrestres, (voir le projet ARTEMIS1).

18 À ce titre, les prévisions récentes (Henry, 2016) prévoient des revenus à hauteur de 22 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie.

19 L’approche pigouvienne fait référence à l’économiste britannique A. C. Pigou (1920) qui a fortement contribué à l’économie du bien-être en lien avec la notion d’externalité (Baujard, 2017). Par référence à l’économie publique qui étudie la formation des décisions publiques à travers les rapports entre l’État et le marché, l’intervention publique doit répondre à des situations où les mécanismes de marché ne fonctionnent pas correctement, (défaillances de marché ou market failures), dans le sens où ils ne prennent pas en compte les conséquences involontaires de l’activité économique ; il s’agit notamment des problèmes de pollution et des transactions financières par référence à la crise financière de la fin des années 2000 et au risque financier systémique (de Bandt, 2018). La prise prendre en compte les externalités repose sur un régime fiscal particulier comprenant une taxe définie à hauteur des dommages subis par la société. L’instrument fiscal a pour vocation de modifier les comportements économiques tout en restant dans le cadre de mécanismes de marché.

20 Cette théorie repose sur les travaux de l’économiste britannique Ronald Coase (1937), lequel a montré que le recours au marché génère un certain nombre de coûts liés à la coordination entre les agents économiques ; il s’agit associés à la collecte de l’information, à la négociation des contrats, etc.

21 La théorie de l’agence issue de la nouvelle microéconomie, tire son nom de la relation d’agence ou de délégation entre deux agents (ou groupe d’agents). Elle suppose la présence d’une asymétrie d’information. Cette théorie situe donc la détention de l’information et son partage entre les contractants au cœur de l’analyse de l’entreprise. Elle s’inspire notamment des travaux de Berle et Means (1932, réédition en 1991).

22 Nous faisons référence à la théorie de marchés contestables proposée par l’économiste américain William Baumol, lequel étudie des marchés sur lesquels se trouvent des entreprises en situation de monopole ou quasi-monopole, qui sont animées par la crainte que des concurrents potentiels ne soient attirés par la rente de monopole, ce qui les amène à modérer leurs prix (Baumol, 1982).

23 Nous pensons notamment au rôle Elon Musk dans le conflit ukrainien.

24 À ce propos, on peut relever que le système américain Global Positioning System ou GPS propose une résolution différente selon l’usage.

25 Astrobiologie/origine de la vie.

26 La mission martienne des Émirats ou Al-Amal est une sonde spatiale appelée Hope lancée en orbite autour de Mars.

27 Réagissant aux pressions décrites ci-dessus, la NASA a chargé un groupe d’économistes d’analyser les défis liés à l’implication de la NASA dans la création d’une économie spatiale en orbite (Besha et Macdonald, 2016). Dans la même veine, et suivant peu après la publication de cet ouvrage, le groupe Space Economy de l’Agence spatiale européenne a commandé une étude sur les enjeux de la création de marchés dans le secteur de l’aérospatial (Robinson et Mazzucato, 2019).

28 L’entreprise américaine Planet Labs peut être un exemple. Il s’agit d’une société qui exploite un certain nombre de nouveaux modèles commerciaux dans l’imagerie satellitaire, lesquels s’inscrivent en rupture avec les approches traditionnelles. Planet Labs, un opérateur d’imagerie spatiale qui vend aussi des services, crée des satellites de très petite taille qui sont lancés via des lancements superposés et payants. Ils peuvent être également lancés depuis l’ISS via le lanceur NanoRacks cubesat. Le modèle économique consiste à créer de nombreux satellites petits et bon marché, qui peuvent être facilement remplaçables en cas de défaillance. Planet Labs a récemment acquis une entreprise satellitaire européenne importante, RapidEye, qui dispose de plateformes d’observation terrestre en orbite.

29 Ce changement de paradigme résulte de la difficulté pour les États-Unis de reposer sur un schéma dans lequel ils ne sont plus indépendants pour accéder à l’espace et à la station spatiale internationale. Le pays dépendait principalement des fusées russes. La recherche d’une alternative a débouché sur l’émergence de sociétés de services de lancement, non de lanceurs.

30 L’achat patrimonial vise à développer des capacités spatiales que les agences opèrent elles même.

31 Il s’agit du projet Star Link qui a trait au lancement de près de 1200 satellites de télécommunication.

32 A cet égard, Weinzierl (2018) rappelle que le principal canal par lequel la NASA et le secteur émergent du New Space se sont réunis pour résoudre le problème d’accès à l’espace – et ainsi fournir un exemple de la façon dont la décentralisation peut fonctionner – était un ensemble de partenariats public-privé appelés Commercial Orbital Transportation Services (COTS). En 2005, le Congrès a financé le COTS avec 500 millions de dollars (moins de 1 %) du budget quinquennal de la NASA, dans le but de « défier l’industrie privée pour établir des capacités et des services qui peuvent ouvrir de nouveaux marchés spatiaux tout en répondant aux besoins de transport logistique de la Station spatiale internationale » (NASA, 2014).

33 Nous pensons notamment à Elon Musk, Jeff Bezos, Richard Branson, Paul Allen et d’autres – qui ont utilisé leur richesse pour surmonter les barrières à l’entrée à coûts fixes élevés, lançant des entreprises fondées sur de nouvelles approches en matière de technologie et de gestion de l’accès à l’espace.

34 Eutelsat est une société française qui développe ses propres satellites sans passer par la commande publique.

35 On doit aussi souligner le rôle majeur des sociétés de capital-risque et des grandes entreprises, à l’image de Google, Apple, Facebook, Virgin, qui contribuent grandement au financement du secteur.

36 Aux États-Unis, l’innovation clé du programme Commercial Orbital Transportation Services était de faire de la NASA un client et un partenaire, non un superviseur, de ses sous-traitants privés. En particulier, les contrats COTS qui ont remplacé les achats conventionnels à prix coûtant majoré, ont permis de commercialiser des produits sur la base d’une tarification fixe, laquelle contribue à renforcer la capacité de livraison, d’élimination ou de retour de la cargaison et de transport des équipages en orbite terrestre basse.

37 Aux Etats-Unis, il s’agit notamment de la forme contractuelle COTS.

38 À ce titre, Elon Musk avait déclaré : « Si l’on peut trouver un moyen de réutiliser efficacement les fusées tout comme les avions, le coût d’accès à l’espace sera réduit d’un facteur cent. Un véhicule entièrement réutilisable n’a jamais été fait auparavant. C’est vraiment la percée fondamentale nécessaire pour révolutionner l’accès à l’espace » (SpaceX, 2015). Les démonstrations réussies par SpaceX concernant la réutilisation de son lanceur (en 2016), de sa capsule cargo (en 2017) et plus récemment de son lanceur lourd (en 2018) ont donc été considérées comme des moments décisifs à la fois dans la technologie aérospatiale et la commercialisation de l’espace.

39 Le projet d’Elon Musk révèle une ambition qui va au-delà de la seule connectivité avec Google et Alphabet qui n’est autre que la maison mère de Google, laquelle avait pris des parts dans SpaceX depuis 2015 et dans Sky Box Imagin devenu depuis Planet Labs, avait trouvé un accord avec Google pour alimenter son moteur de recherche à l’aide des données issues de l’imagerie spatiale. Ce projet apparaît comme un futur de l’information sous toutes ses formes (imagerie, radar,…), permettant l’accès et la diffusion de l’information via Star Link.

40 Bryce Tech, Bryce Start Up Space Report: Update on Investment in Commercial Space Ventures 2023, p.3. file:///Users/patyasschembri/Downloads/Bryce%20Start%20Up%20Space%202023.pdf

41 À titre d’exemple, la société Planet Labs développe une offre à grande échelle de nano satellites bon marchés qui peuvent être facilement remplacés s’ils ne fonctionnement pas de manière souhaitée.

42 À ce titre, l’entreprise SpaceX contrôle l’ensemble de la chaîne.

43 Rappelons que le premier spoutnik est apparu en 1957.

44 Selon le bureau d’études Euroconsult, le chiffre d’affaires passerait de 300 milliards de dollars en 2018 à 500 milliards de dollars en 2028 (Henry, 2016).

45 Voir le film de James gray, Adastra, 2019, dans lequel la Lune est présentée comme un grand centre commercial.

46 Les astéroïdes contiendraient de l’or, du fer, du platine, du titane, du nickel, de l’aluminium, des traces de cobalt, ainsi que des métaux rares tels que le gallium, le rhodium, le silicium et le palladium. Ces ressources qui apparaissent dans la composition des technologies dites vertes et digitales qui sont déployées à grande échelle dans le contexte des transitions écologique et numérique actuelles, s’amenuisent rapidement sur Terre.

47 Dans le présent article, nous ne traitons pas de la littérature abondante sur les débris spatiaux, laquelle a trait aux problèmes de congestion, de valorisation économique des activités de traitement, ainsi que des problèmes d’ordres scientifique et géopolitique (Paladini et al., 2021 ; Phillips et Pohl., 2020 ; Rao et al., 2020 ; Rouillon, 2020).

48 Il s’agirait de la plus ancienne origine, laquelle se situe dans les hautes vallées des Alpes où les villageois ont organisé les premières sociétés de secours mutuel (Albert, 1991b). Ce modèle d’assurance est donc d’origine continentale. Il apparaît au tournant du XVe et du XVIe siècle. On retrouve pareille filiation dans l’organisation communautaire de la prévoyance : guildes, corporations, syndicats professionnels, mouvements mutualistes. Par référence à ce modèle d’assurance, Michel Albert évoque le capitalisme « rhénan », celui d’une économie sociale de marché que l’on retrouve notamment en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Autriche, dans des pays du Nord de l’Europe, ainsi qu’en Suisse (Albert, 1991a, chap. 4). Un modèle de capitalisme qui comporterait des ressemblances avec le Japon.

49 L’assurance d’origine maritime se développe à partir du XIVe siècle, à l’initiative des négociants florentins, génois et flamands. C’est « l’Ordonnance sur la marine » rédigée en 1681 à l’initiative de Colbert qui pose les grands principes de l’assurance maritime actuelle. Toutefois, l’expansion maritime de l’Angleterre, à partir du XVIIe siècle, contribue à imposer le droit anglo-saxon issu des usages commerciaux et de décisions judiciaires. Les règles de droit maritime anglais, codifiées en 1906 sous le nom de Marine Insurance Act, ont fortement influencé l’assurance maritime mondiale (Albert, 1991b). Dans son ouvrage, M. Albert (1991a) souligne l’ancrage américain du capitalisme anglo-saxon, qu’il qualifie aussi de modèle « néo-américain ». L’auteur relève qu’il n’y a pas de modèle européen au sens étroit du terme. Un constat qui sera partagé par d’autres auteurs tels que B. Amable (2005) et R. Boyer (2003).

50 À ce titre, le modèle allemand fondé sur la cogestion à travers celui de l’entreprise communauté, a révélé une capacité à solliciter une main d’œuvre qualifiée et à produire des biens de qualité, ce qui lui permet d’échapper à la concurrence par les prix. En 2018, le secteur de l’aérospatial allemand initie trois grandes initiatives industrielles autour de la technologie des lanceurs avec pour ambition de positionner l’Allemagne comme un acteur majeur du marché. Il s’agit de trois start-up : Hylmpulse issue du Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique, Isar Aerospace qui est un produit de l’université technique de Munich, et Rocket Factory Augsbourg. Ces initiatives qui résultent d’effets de report (spin-off) importants, témoignent de cette volonté pour l’Allemagne de se positionner en champion national en misant sur la qualité de son industrie. En Europe, l’Italie révèle une ambition similaire avec le programme de lanceur Vega porté par le constructeur italien Avio. Côté français, on peut citer la start-up MaiaSpace.

51 Ces problèmes sont souvent illustrés en théorie des jeux via le jeu de la chasse au cerf dans lequel un équilibre inférieur mais moins risqué est sélectionné plutôt que l’équilibre coordonné plus efficace. Dans ce jeu, deux individus partent à la chasse. Chacun doit choisir de chasser un cerf de grande valeur ou un lièvre de faible valeur. Alors que le choix d’un lièvre garantit la réussite, le choix d’un cerf ne peut réussir que si l’autre personne choisit également « cerf ».

52 Il s’agit de technologies qui permettent le lancement fréquent et peu coûteux, la fabrication dans l’espace, les habitats évolutifs, l’extraction de ressources dans l’espace et la collecte d’énergie, une protection fiable contre les rayonnements et la diminution des débris.

53 Voir la note 32, page 10 du présent texte.

54 Voir l’article 2 du traité de 1967 qui ne mentionne pas ces ressources.

55 Dans le contexte du traité international de 1979 sur la Lune et les autres corps célestes, le désaccord repose sur l’interprétation du concept de patrimoine commun de l’humanité (Zell, 2006). Les États-Unis portant la voix de l’occident, proposent une interprétation du concept qui autoriserait l’appropriation et l’exploitation de l’espace à condition que cela soit fait à des fins pacifiques et que l’humanité en profite d’une manière ou d’une autre. En revanche, les pays en développement soutiennent que le concept devrait interdire toute forme d’appropriation et exigent que les bénéfices tirés de l’exploitation doivent être répartis de manière égale entre toutes les nations. Au regard du contexte actuel caractérisé par l’arrivée des acteurs économiques et l’émergence de nouvelles puissance spatiales, le Space Act témoigne d’une volonté de prise d’initiative unilatérale des États-Unis, comme l’illustre fort bien le programme Artemis. Les accords de coopération qui en résultent, lesquels sont issus de négociations bilatérales entre les États-Unis et chaque pays partenaire, participent d’une vision commune de l’utilisation et de l’exploitation de l’espace (Lavarde et Paoli-Gagin, 2023). La Chine et l’Inde ne figurent pas dans les pays signataires. On notera aussi que l’Allemagne ne fait pas partie des 24 signataires. La France a signé l’accord en 2022.

56 Il s’agit du nouveau programme lunaire américain qui a été lancé le 16 novembre 2022 avec le premier décollage de la fusée SLS. Ce programme s’inscrit dans cette nouvelle conquête spatiale qui oppose notamment les États-Unis et la Chine.

57 Le programme de la navette a été annulé en 2011, laissant les États-Unis dans la position embarrassante de ne plus pouvoir transporter des humains depuis le sol national.

58 En 2005, la création du Bureau du programme d’équipage et de fret commercial de la NASA (C3PO) a donné lieu à deux programmes qui offrent au secteur privé national une capacité de transport de fret et d’équipage vers la Station spatiale internationale. Le premier programme était le Programme de services de transport orbital commercial (COTS), qui a été lancé en 2006 pour assurer le transport de fret vers la station spatiale. Le second était le Commercial Crew Development Program (CCDev), lancé en 2009 pour assurer le transport des équipages vers l’ISS, après le programme Shuttle (NASA 2014).

59 A ce titre, Weinzierl (2018) rapporte que selon la NASA, le coût total pour livrer un kilogramme de fret à la Station spatiale internationale était d’environ 89 000 $ via SpaceX et 135 000 $ via Orbital Sciences, un tiers et demi du coût estimé de 272 000 $ par kilogramme qui aurait été possible avec la navette spatiale.

60 A ce propos, en appliquant les Space Act Agreements (SAAs) aux programmes COTS et CCDev, l’Agence spatiale américaine peut transférer à l’entreprise sous-traitante la charge du contrôle de la conception et du développement ; les procédures et le prix associé sont alors définis par l’entrepreneur privé, lequel doit livrer à temps s’il veut être payé. En octroyant à l’entreprise la liberté de définir et de fournir un service ou une capacité technique, la NASA réduit de manière notable son implication dans le processus, engendrant ainsi une réduction plus large des coûts.

61 Il s’agit de l’article II.d de la Convention. Par ailleurs, l’article VII de cette même Convention précise la mission de l’ESA en matière de politique industrielle.

62 Selon Thierry Breton, commissaire européen en charge du marché intérieur, l’autonomie stratégique serait l’expression d’un compromis vertueux : ni autarcie, ni dépendance, mais la promesse pour l’Europe de conserver sa liberté d’action et la maîtrise de son destin (Rapport Schuman sur l’Europe, 2023, p. 141). De surcroît, cette quête d’autonomie répond à de nouveaux enjeux sécuritaires concernant l’espace comme lieu de conflictualité, avec la nécessité de pouvoir agir dans l’espace afin de se défendre.

63 Galileo est un système de positionnement par satellites lancé par l’Union européenne dans le cadre du programme de même nom. Le déploiement de la première génération de satellites devrait s’achever en 2024. Il annonce l’arrivée d’une seconde génération de satellites.

64 EGNOS est employé pour améliorer la performance des systèmes mondiaux de navigation par satellite, tels que le GPS et Galileo. Il est déployé pour fournir des services de navigation en toute sécurité aux usagers aériens, maritimes et terrestres dans la majeure partie de l’Europe.

65 Copernicus est un programme de l’Union européenne qui collecte et restitue des données de qualité et actualisées de manière continue aux citoyens européens concernant l’état de la planète et la protection de l’environnement. Copernicus joue un rôle clé dans l’observation de la terre, de la mer et de l’atmosphère pour aider à comprendre le changement climatique ainsi que l’environnement européen. Il est ainsi conçu pour accompagner les politiques climatiques et soutenir l’aide humanitaire et le bien-être général des citoyens européens.

66 Il s’agit d’appliquer un principe de réciprocité dans l’accès aux marchés publics, excluant les entreprises qui fausseraient la concurrence en recevant des subventions de la part d’États tiers.

67 Cette nouvelle stratégie a été adoptée durant le premier semestre 2023.

68 L’essor des activités spatiales observés en Allemagne et en Italie se reflète fort bien dans le budget annuel alloué au secteur de l’aérospatial ; pour l’année 2023, il est de l’ordre de 3,9 milliards d’euros en Allemagne contre 2,9 milliards en Italie, sachant qu’en France, le CNES dispose d’un budget de 3 milliards d’euros. À l’échelle mondiale, l’ESA dispose d’un budget de l’ordre de 7,3 milliards d’euros issu des versements réalisés par les 22 États membres, alors que celui de la NASA s’élève à hauteur de 24 milliards de dollars. On comprend mieux la raison pour laquelle l’industrie spatiale américaine repose grandement sur les marchés gouvernementaux pour son développement, alors qu’en Europe, les acteurs privés du spatial dépendent plutôt des marchés commerciaux, lesquels souffrent d’une faible demande.

69 Par exemple, pour Spot Image, les cinq premiers satellites ont été entièrement financés par le secteur public avec ce dernier comme premier client.

70 Il s’agit notamment des satellites Spot 6 et Spot 7 avec Atrium comme principal financeur.

71 Dans ce secteur en forte croissance, des entreprises comme Orbital Insight, se spécialisent dans la transformation de l’imagerie terrestre en intelligence stratégique, dans l’achat de satellites Rapid Eye produits par Planet Labs, et dans le lancement de leurs propres satellites « jetables ». Il est clair que la croissance du traitement des métadonnées, (big data analytics), à l’image de ces entreprises spécialisées dans les métadonnées issues de l’observation terrestre, contribue grandement à la diversification de la chaîne de valeur.

72 Le marché mondial de l’image spatiale est dominé par DigitalGlobe, une entreprise basée aux États-Unis qui est devenue le leader mondial des images spatiales. Le modèle de croissance de l’entreprise repose principalement sur des contrats de vente avec des organismes publics, notamment la National Geospatial-Intelligence Agency (NGA), qui fait partie du département américain de la Défense. En Europe, les principaux acteurs sont Astrium et e-GEOS, lesquels contrôlent près de 70 % du marché.

73 L’initiative CASSINI vise à soutenir les entrepreneurs innovants, les start-ups et les PME de l’industrie spatiale sur la période 2021-2027. Elle couvre l’ensemble du cycle entrepreneurial, de la génération d’idées à la commercialisation et aux conditions de financement. En 2022, plus de cent entreprises ont bénéficié de ce soutien.

74 Le programme Copernicus permettra de suivre la réalisation des objectifs nationaux en matière de décarbonation des activités économiques en lien avec les politiques climatiques qui sont mises en œuvre pour respecter l’Accord de Paris sur le climat.

75 La notion de bien commun fait référence à des ressources partagées par plusieurs usagers qui font l’objet de dilemmes sociaux (Hess et Ostrom, 2007). Ces dilemmes font écho à un risque de compétition entre les usagers qui, en l’absence de règles d’usage acceptées, peuvent conduire à la dégradation de ces ressources. Dans ce cadre d’analyse, le climat révèle les propriétés de ces communs de grande dimension ou d’accès potentiellement universel, tels que les mers, les pôles et l’atmosphère, qui nécessitent des modes de gouvernance adaptés (Ostrom, 2014). À cet égard, dans la continuité des travaux de V. Ostrom, E. Ostrom préconise un mode de gouvernance polycentrique par référence à la multiplicité requise des niveaux de décision et d’action (V. Ostrom et al., 1961 ; V. Ostrom, 1999). Les données d’observation qui portent sur des échelles spatio-temporelles de plus en plus fines devraient alors contribuer à améliorer la performance publique dans la gestion des biens communs, lesquel concernent aussi les ressources en eau et en énergie, la qualité des sols et la biodiversité. Pour les « maux communs », le raisonnement demeure quelque peu le même. Il s’agirait de proposer des règles d’usage afin d’éviter que la somme des comportements individuels n’aboutisse à des pollutions ou des dommages irréversibles dont le monde entier souffrirait. Le réchauffement climatique en est une illustration. Dans cet ordre d’idées, la surveillance des transactions financières devrait permettre d’éviter une crise systémique.

76 Certains secteurs ou domaines d’activité commence à prendre conscience de l’utilité des données spatiales lorsqu’elles sont associées avec d’autres données d’ordre public ou privé. Nous pensons notamment à l’urbanisme, à l’agriculture numérique, aux services d’assurance et aux transactions financières dont certaines sur la blockchain (David, 2019 ; Torben 2017) ou le crowdfunding (Pomerois et al., 2019).

77 A cet égard, l’agence européenne pour le Programme spatial (EUSPA) a fortement contribué à l’adoption par le marché de Galileo. Le travail conjoint avec l’industrie mondiale des microprocesseurs permet aujourd’hui d’assurer la compatibilité de plus de 3,5 milliards de smartphones avec Galileo. L’agence œuvre actuellement à la diffusion des programmes EGNOS et Copernicus à travers les différents marchés concernés.

78 À titre d’illustration, on peut citer le réseau des centres d’incubation d’entreprises (BIC) de l’ESA, actuellement situé sur 16 sites européens, lequel contribue à l’essor des technologies spatiales de l’ESA par le biais d’une approche plutôt centrée sur l’offre dans la tradition du technology push.

79 Robinson et Mazzucato (2019) évoquent à titre d’exemples les districts spatiaux comme Harwell (Royaume-Uni) pour les applications satellitaires et Aerospace Valley (France).

80 Cette situation est particulièrement évidente aux États-Unis, et ne se limite pas à l’imagerie, avec la montée en puissance d’entreprises telles que Planet Labs, SpaceX et Nanoracks.

81 L’EUSPA qui a été créée en 2004, a pour objectif de gérer les intérêts publics relatifs aux programmes européens de système global de navigation par satellite (GNSS), au système européen de navigation par recouvrement géostationnaire (EGNOS), à Galileo, à l’observation de la terre, au programme Copernicus et au programme de télécommunications gouvernementales par satellite (Govsatcom). Elle doit s’assurer que l’UE réalise ses objectifs en matière de système global de navigation par satellite (GNSS) et que les citoyens tirent pleinement parti du système européen de navigation par satellite (EGNOS et Galileo).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Patrick Schembri, « La nouvelle économie spatiale à la croisée de plusieurs enjeux sécuritaires : Une analyse des politiques d’innovation en Europe et aux États-Unis »L’Espace Politique [En ligne], 51-52 | 2023-3/2024-1, mis en ligne le 01 septembre 2024, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/espacepolitique/12469 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ddw

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Auteur

Patrick Schembri

Économiste, Université Paris-Saclay, UVSQ, CEARC (UR 4455/OVSQ)
patrick.schembri@uvsq.fr

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