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Special Feature

Faire garage dans les rues du Caire : l’entreprenariat collaboratif dans les interstices du domaine public

The World of Garages in the Streets of Cairo: Collaborative Entrepreneurs Working in Public Space’s Gaps
عالم الجراچات في شوارع القاهرة: كيف تستقر ريادة الأعمال التعاونية في ثغرات المجال العام؟
Abou Ndiaye
p. 97-123

Résumés

L’activité des mécaniciens de rue est souvent réprimée dans de nombreux pays, dans lesquels l’utilisation du domaine public est réglementée – y compris dans les quartiers populaires en France. En Égypte, en revanche, deux districts du centre-ville du Caire abritent en plein air une zone de forte activité en mécanique. Paradoxalement, c’est à quelques centaines de mètres de la place Tahrir hautement contrôlée qu’une foisonnante activité de réparation automobile se déploie dans l’espace public et semble y être tolérée depuis un demi-siècle. Aussi, cet article souhaite rendre compte des résultats d’un travail empirique montrant comment, à partir de l’occupation de la devanture de petites échoppes, des mécaniciens ont constitué des espaces collectifs de travail « en accordéon ». Il s’agira aussi de comprendre comment ces appropriations de segments contigus du domaine public permettent de coaliser plusieurs micro-ateliers, en des garages sans murs, dotés d’une certaine unité socio-économique. Comment construit-on un garage dans la rue et, le cas échéant, comment ces espaces restent-ils accessibles à tous les citadins ? Dès lors, comment et à quelles conditions cet empiètement dans les interstices de l’espace public fait-il naître un entreprenariat collaboratif sans amplifier les conflits d’usages ? Quels sont les modes de régulation spécifiques visant à aplanir les tensions sui generis de l’espace public ?

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Texte intégral

Cet article est la version remaniée d’un texte extrait d’un livre que l’auteur finalise.

Introduction

1À Stains, en France, des mécaniciens de rue ont été condamnés avec sursis par le tribunal pour avoir travaillé dehors sans autorisation et pour travail dissimulé... (Ndiaye et al. 2016). À Saint-Denis (93), les vendeurs de brochettes et de cigarettes du parvis de la gare RER, comme les vendeurs de bibelots du métro parisien ou de la tour Eiffel à Paris, font régulièrement l’objet d’opérations coup de poing de la police (Costes 1988). L’administration publique française veut éradiquer du domaine public – c’est-à-dire tout domaine foncier non privé – toute pratique économique informelle (Lautier 1994). À Dakar, au Sénégal, des mécaniciens qui avaient installé des ateliers dans une voie ouverte à la circulation ont été délogés par la police, aidée par les riverains. On pourrait ainsi multiplier les exemples d’éviction de travailleurs « informels » (Jacquot et al. 2020 ; Giordano 2018 ; Ndiaye et al. 2019) du domaine public dans différents contextes socio-politiques et donc s’interroger sur ce qui fait la singularité du Caire.

  • 1 Nous avons choisi dans cet article de translittérer les noms de lieux en nous référant à Google ma (...)

2Dans la capitale égyptienne, de nombreux espaces situés non loin de la place Tahrir, au centre-ville, sont occupés par des pratiques « informelles » (vente, réparation automobile en plein air, etc.). Comment comprendre la permanence de ces pratiques au regard des spécificités de la régulation du domaine public dans le contexte urbain cairote après l’épisode révolutionnaire ? Faut-il y relever une sorte de relâchement sécuritaire, ou voir, dans ces espaces informels de travail, des libéralités nécessaires à la survie de l’autoritarisme ? Nombre de travaux mettent en exergue l’importance des interstices laissés dans la reprise en main du Caire (Ben Othmane et al. 2015 ; Stadnicki 2015). Par un simple exemple, nous pouvons mesurer combien un espace public comme la place Tahrir a été complètement remodelé en moins de deux ans, pour prévenir tout risque de retour à une occupation citoyenne. Comme une injonction contradictoire, de nombreux bancs ont été aménagés sur ladite esplanade, donnant l’impression d’une invitation à s’installer. Pourtant, dès qu’une personne s’assoit, un agent de sécurité lui signifiera que c’est interdit. Le statut des espaces publics et les malentendus qui découlent de leur aménagement interpellent, surtout au regard de quartiers proches de la place – Champollion et Torgoman en particulier1 – où les modes d’occupation de la rue sont courants et paraissent échapper à un tel contrôle.

  • 2 Un grand garage est une catégorie de garage indépendant, c’est-à-dire un établissement commercial (...)

3Cet article se fonde sur une enquête empirique exploratoire menée dans ces quartiers. Nous avons étudié comment, à partir de l’occupation de la devanture de leurs boutiques, des réparateurs automobiles ont constitué des lieux collectifs, sortes de garages virtuels que nous nommerons dans ce texte des « garages sans murs ». L’objectif ici est de comprendre comment les appropriations individuelles de tronçons de rue – donc de segments du domaine public – permettent de coaliser des micro-ateliers (cantines-ateliers), en des garages sans murs, dotés d’une certaine unité spatiale, sociale et économique. Qu’est-ce que la concentration et la diversité de l’offre technique produisent-elles sur la qualité des réparations réalisées dans chaque secteur ? Au Caire, chaque « grand garage »2 est de fait un ensemble de micro-ateliers fonctionnant en réalité comme une alliance entre réparateurs (Catel-Duet 2007) dans laquelle la concurrence est périodiquement conjuguée à de la collaboration. La seconde caractéristique de ces ensembles est le fait d’exister en s’appropriant des portions importantes de l’espace collectif (chaussée, trottoir, allée/contre-allée…) – espace public, espaces privés ouverts à la circulation (Florin 2019). Pour visualiser ces modes d’appropriation des espaces collectifs, on peut songer ici à la notion de « quiet encroachment » ou d’empiètement silencieux/tranquille (Bayat 2009). Ces alliances se révèlent fertiles pour entreprendre collectivement dans un garage sans murs. La question est donc de savoir comment on construit un garage dans la rue. Et, le cas échéant, comment ces espaces restent-ils des lieux accessibles à tous les citadins ? Autrement dit, comment et à quelle condition cet accaparement du domaine public, qui fait naître des espaces collectifs de travail, est-il possible, sans amplifier des conflits d’usages ou des conflits d’intérêt avec les autres usagers des lieux ? Conséquemment, quels sont les modes de régulation spécifiques visant à aplanir ces tensions sui generis ?

4Précisons d’emblée la différence que nous faisons entre les boutiques, cantines-ateliers, et garages sans murs. Par boutique, nous entendons tout local où l’on vend de la marchandise (pièces détachées, consommables et accessoires auto), alors qu’une cantine-atelier est une échoppe où le mécanicien peut proposer un service, s’isoler, recevoir un client, exposer une partie de son savoir-faire, ranger ses outils, faire de petites réparations de pièces détachées, etc., mais dont la superficie et l’aménagement empêchent de rentrer un véhicule. Un garage sans murs, c’est un ensemble de cantine-ateliers qui fonctionnent répartis en plusieurs espaces proches, sans constituer une même entité juridique, tout en étant capables de collaborer pour prendre en charge des chantiers complexes qu’aucun d’eux ne peut assumer seul (techniquement). Cette capacité de s’allier pour travailler en complémentarité donne l’impression que ces micro-ateliers, rassemblés en accordéon, constituent de fait de grands garages.

Figure 1. Vues de cantines-ateliers

Figure 1. Vues de cantines-ateliers

a: Vulcanisateur (pneus) à Imbaba ; b : Mécanicien général et spécialiste d’amortisseurs à Torgoman ; c : Ensemble de cantines faisant garage à Torgoman.

Source : Auteur, Le Caire, juillet 2021

  • 3 L’existence de ces « grandes familles » a été évoquée par plusieurs de nos informateurs, mais par (...)
  • 4 Cela dit, administrativement, c’est l’application d’un barème fiscal par l’administration qui bouc (...)

5À Torgoman, être détenteur d’une cantine-atelier vaut déclaration d’offre commerciale de service mécanicien. Autrement dit, c’est être reconnu socialement comme un professionnel quelle que soit la superficie de l’atelier en question. À Champollion, ce qui engendre la professionnalité, c’est moins la détention d’une cantine que la reconnaissance sociale d’une compétence par ceux qui seraient fondés de contester au prétendant la possibilité d’avoir un atelier en plein air dans la proximité. Mais le facteur prépondérant serait ici l’allégeance à l’une des grandes familles3 de mécaniciens qui octroie une légitimité4. Par ailleurs, le contrôle collectif des modalités d’installation d’un nouveau professionnel montre, dans les deux quartiers, l’existence d’une conscience partagée de former un groupe professionnel qui a des intérêts à protéger, c’est-à-dire une capacité à exercer son métier dans un territoire à préserver soit en micro-unité, soit en garages sans murs. Comment donc ce groupe professionnel parvient-il à exister par l’appropriation de ce territoire public ? Comment les réparateurs font-ils groupe en faisant garage dans la rue ? Et comment se positionnent-ils par rapport aux autres usagers de la rue ?

6Pour explorer et élucider ces questionnements, nous commencerons par décrire comment les espaces publics sont utilisés par ces ateliers de mécanique. Ensuite nous expliquerons les dispositifs qui permettent ces empiètements sur les espaces collectifs (marquage, stationnement) et leur régulation. Enfin nous montrerons comment chacun des deux quartiers se maintient dans une gestion collective des espaces publics et mettrons en rapport ces modes de gestion avec une étude de l’emprise au sol par les ateliers.

Encadré 1. Note méthodologique 
Dans une posture inductive, un travail de terrain a été mené, divisé en plusieurs séquences d’observation empirique, réalisées entre 2020 et 2021. L’observation directe a permis d’identifier les types de pratiques de dépannage automobile et des catégories d’usages de l’espace public. L’étude a porté sur trois zones d’activité mécanique automobile (ZAMA), que nous avons tantôt dénommées : secteurs, zones ou clusters (la définition sera donnée plus loin). Cet article ne portera que sur les deux secteurs enquêtés dans les quartiers Champollion et Torgoman. Pour réaliser un relevé le plus exhaustif possible, nous avons compté rue par rue et des deux côtés le nombre de cantines-ateliers ou de boutiques implantées, puis nous avons fait de même pour les ateliers de mécanique à l’extérieur. Nous avons identifié des points repères qui ont permis avec les applications (de Google Maps et OpenStreetMap…) d’avoir une mesure de la longueur et de la largeur de chaque voie et avec nos repères de définir la partie de chaque voie qui fait partie d’une ZAMA. Cela permet de calculer le périmètre et la superficie de chaque voie et sa part dans le cluster. Nous avons aussi mesuré plusieurs ateliers et boutiques et avons décidé d’une mensuration moyenne pour une boutique (3 m sur 3 m), une cantine-atelier (2,5 m sur 3 m) et pour la superficie du domaine public empruntée par un atelier de mécanique (6 m2). Ainsi en multipliant ces dimensions moyennes par le nombre d’unités recensées, nous obtenons l’emprise de chaque catégorie sur la voie concernée et nous pouvons en faire le cumul soit en mètre linéaire (part de la longueur, de la largeur) soit en mètre carré (surface). Dès lors, des ratios ont pu aussi être dégagés : ratio d’ateliers au mètre linéaire (longueur occupée/longueur totale) et taux d’accaparement d’une voie publique (superficie accaparée/superficie totale). Plus le taux d’accaparement est fort (proche de 1), plus la densité est forte. Les contacts avec les mécaniciens se sont d’abord noués dans une posture de client avant de passer dans une position d’enquête à découvert, sans jamais parler d’enquête, mais en nous présentant comme un professeur intéressé par la mécanique avec le projet d’écrire un livre sur ce travail de dépannage automobile pour le comparer avec le travail que nous avons réalisé en France. Aussi, nous avons réalisé des séquences d’observation directe et avons fait des relevés. Nous avons échangé principalement avec des mécaniciens ou assimilés et avec leurs clients et quelques rares fois, avec des riverains. Les propositions qui n’ont pas pu faire l’objet d’une confrontation des points de vue ou d’une saturation des données empiriques, sont formulées comme des hypothèses à valider. Le cas échéant, nous parlerons au conditionnel. Nous avons bénéficié de l’assistance en traduction arabe égyptien-français d’une étudiante bilingue, Mona Salem, que nous remercions chaleureusement. Nous signalons enfin que tous les noms cités dans ce travail ont été anonymisés dans un souci de protection des individus.

Le garage sans murs, une forme entrepreneuriale « en accordéon »

7Comment des mécaniciens exerçant dans des cantines-ateliers alignées en un archipel de micro-espaces d’activité ont-ils réussi à conquérir et à convertir d’importantes portions du domaine public en un garage sans murs ? Ces réseaux d’ateliers forment des clusters. Par « cluster », nous entendons ici, la présence sur un même territoire et dans un périmètre relativement restreint dans un secteur géographique, d’un regroupement suffisamment dense de petites activités, réalisées dans de petites unités plus ou moins complémentaires autour d’une filière industrielle et/ou artisanale (Fanchette et al. 2009). Dans chaque cluster, les périmètres de ces garages sont partout physiquement ouverts, tout en étant partiellement et symboliquement cloisonnés. L’occupation de l’espace public se fait par extension successive du périmètre de dizaines de micro-ateliers vers la rue. A priori cela confirme l’hypothèse selon laquelle le manque d’action collective conflictuelle n’empêche pas l’existence d’un activisme de base (Bayat 2009) qui s’avère plus propice à lutter contre le verrouillage autoritaire d’autres formes de participation collective. Dans le contexte d’une forte spéculation foncière, cette conquête de l’espace libre (trottoir, chaussée ou contre-allée) par les mécaniciens se fait tout en douceur et dans la durée, jour après jour, mètre par mètre jusqu’à ce que cette coprésence à l’extérieur de chaque atelier devienne « expansée » comme un accordéon. Lorsque chaque micro-atelier s’est étendu aussi loin que possible, qu’il n’y a pas d’obstacle entre les micro-unités et que leurs surfaces d’extension se touchent pour former un ensemble, bref, lorsque tout l’espace dont les réparateurs peuvent envisager l’exploitation est utilisé, se forme alors un ensemble économique qui a une certaine unité de lieu, sans générer de coût additionnel de loyer ou de fiscalité.

8À terme, la concentration de ces multiples unités artisanales et leur proximité donnent naissance quotidiennement à de l’interconnaissance et à de l’entraide. La poursuite, la régularité et surtout l’intensification de ces interactions finissent par produire entre mécaniciens une acculturation réciproque aux spécificités de leurs différents champs de spécialité. Ces expériences font émerger des intérêts économiques congruents, sources d’une unité sociale et/ou économique. Cette prise de conscience engendre un groupement potentiellement apte à faire une offre globale de prise en charge de réparations automobiles complexes, impossibles sans l’apport des autres ateliers. Cette action collective constitue dès lors le socle d’une forme entrepreneuriale.

9La façon d’entreprendre qui émerge de cette coexistence dynamique consiste à construire une alliance par l’union symbolique, non pas d’individus qui vendent leurs forces de travail à un employeur, mais par une mobilisation de micro-unités de production en accordéon (alignés, souples, et extensibles). Néanmoins, à l'intérieur de chaque micro-atelier, les réparateurs doivent perpétuellement se défendre des assauts extérieurs de la concurrence. Cette coalition fait aussi fonction de bouclier collectif contre les menaces des forces de sécurité (police, armée…) sur le foncier, d’autant plus qu’il ne suppose aucun nouvel aménagement en dur. À l’instar de l’urbanisme dit transitoire (De Gouvello et al. 2021), on ne fait que des installations provisoires. De plus, ce collectif fait advenir une organisation souple et fluctuante entre les ateliers, en instituant un management tournant et relativement horizontal, c’est-à-dire sans chef d’entreprise. Cette forme entrepreneuriale en accordéon pourrait être rapprochée de la notion « d’économie collaborative », souvent mise en avant dans la sphère des start-ups. Dans ce mode de production, de nombreux individus collaborent à la réalisation de projets, sans aucun lien formel de subordination. Dans le cas des ateliers mécaniques étudiés, cet entreprenariat collaboratif en accordéon ne peut prospérer que grâce à l’action de « chefs de projets » – dénomination empruntée à l’un d’eux – qui, alternativement, prennent des risques économiques non socialisés. Chaque chef de projet coordonne et ordonne les chantiers dont il est le seul contractant et pour lesquels d’autres micro-ateliers interviennent comme des sous-traitants/co-traitants, moralement solidaires, mais non contractuels.

  • 5 En économie ou en science de gestion, « l’expérience client » relève de la perception de la qualit (...)

10Ce sont donc des agrégations d’ateliers, des alliances économiques et/ou techniques informelles. Néanmoins, dans « l’expérience client »5, le chaland n’a affaire qu’à un seul interlocuteur. C’est d’ailleurs pour cette raison principale qu’un automobiliste peut décider de prendre le risque de confier à un dépanneur des travaux qui débordent des compétences de celui-ci. Par exemple, lorsqu’un client souhaite faire rénover à la fois la carrosserie, la sellerie et le moteur de sa voiture, il ne contracte pas avec chacun des micro-ateliers désignés. S’il est déjà un client connu, il passe sa commande globale auprès de son réparateur habituel. Si ce mécanicien se sent suffisamment compétent pour endosser le chantier, il lui fait un devis global (comprenant la part de l’ensemble des intervenants) et coordonne l’ensemble du chantier. Il se concerte et élabore avec chacun de ses confrères l’agenda général du chantier, dont il assurera le suivi. C’est toute cette mission de management horizontal d’un projet global qui a été qualifiée de fonction de « chef de projet ». D’après ce mécanicien, à l’issue de la prise en charge et la livraison du véhicule réparé, le client non satisfait se tournera vers son correspondant exclusif qui se chargera de faire faire les corrections nécessaires par l’atelier concerné. C’est cette espèce de guichet unique qui encourage l’automobiliste à solliciter l’un des mécaniciens en qui il a confiance pour lui confier un chantier qu’il sait déborder les compétences de ce dernier. Au fond, le client partage la croyance que tel réparateur saura mobiliser tous les confrères nécessaires à la réalisation de l’intégralité du chantier, tout en assurant le service après-vente. L’encadré ci-dessous restitue un cas de collaboration pour la rénovation d’un véhicule.

Encadré 2. Un cas de chantier complexe à Torgoman
Après un accident de la circulation arrivé au véhicule de Noura, celle-ci demande au mécanicien de faire redresser la tôle froissée, de changer la sellerie (sièges, rembourrage des portières, des accoudoirs, du plafond, du tableau de bord – avec la réinscription des marquages par un atelier local ayant une imprimante pour cuir et capable de marquer l’emplacement des airbags, du logo ou de la marque du véhicule…), de procéder à la réparation des organes de direction, de refaire entièrement la peinture en changeant la couleur, de réparer et lustrer les pneumatiques, les éclairages et les plaques d’immatriculation... Tous ces travaux ont été chiffrés, organisés et supervisés par Ibrahim. Bien que mécanicien généraliste, ce dernier connaît suffisamment le travail des autres pour savoir à qui confier chaque lot, dans un bon rapport qualité prix et tout en respectant le calendrier imparti. L’ensemble du chantier a été divisé en une dizaine de lots qu’il a confié à des ateliers spécialisés. Ils sont situés dans un périmètre de 100 m. Certains ont dû travailler simultanément sur des parties du chantier, tandis que d’autres ne pouvaient intervenir que dans une certaine chronologie. Dans cette zone à Torgoman plus qu’ailleurs, il est possible de se faire une idée plus claire du fonctionnement d’un ensemble d’ateliers organisés en cluster. Dans des voies très proches les unes les autres, le véhicule qui fait l’objet de travaux importants passe ainsi d’un atelier à un autre à quelques dizaines de mètres de distance. De plus, à côté des ateliers, se trouvent des boutiques de ventes de pièces détachées, de consommables et d’accessoires... Cette très forte concentration permet de distinguer les qualités d’un cluster.

11C’est ainsi que collaborent entre eux les différents types de micro-ateliers, chacun contribuant à la richesse des plateaux techniques qui se dressent et s’élargissent selon les besoins de la clientèle. Ils constituent des cartels techniques (Catel-Duet 2007) dans lesquels chacun apporte sa contribution. De fait, ces mécaniciens ont des relations sociales qui surpassent les simples rapports de voisinage, de sociabilité entre collègues/voisins et qui ne sont pas des rapports de subordination. Ils tissent des liens de solidarité qui autorisent de nombreux modes de régulation (Cadoret 2011). Ainsi, un projet de réparation complexe peut réunir simultanément ou successivement l’ensemble des capacités techniques disponibles localement. Les participants sont rigoureusement sélectionnés par le chef de projet du chantier en préparation, selon ses propres affinités et en prenant en compte les compétences qu’il valide chez chacun. Ce type d’espace de production de services automobiles, par sa configuration et son aménagement « reflète certaines normes organisationnelles et certaines valeurs » de la branche professionnelle (Appel 2002, 3). Selon Violaine Appel, l’aménagement des espaces de travail est « le résultat d’une volonté stratégique liée à des impératifs organisationnels. Il est même un enjeu managérial au sein duquel s’inscrivent les logiques des différents acteurs en présence » (ibid., 2). Ici, c’est l’opportunité née de la coprésence dans une même rue de petites unités de production qui permet de faire collectif, en empruntant gratuitement au domaine public des bouts de foncier. Le collectif émerge en jouant sur la complémentarité des offres de services et sur les qualités de l’ensemble du plateau technique, matériel et imaginaire constitué. Cet agencement des lieux a une influence sur « la façon de contrôler et de diriger » l’organisation et par là-même, de favoriser « des modes de communication et des comportements spécifiques » chez les acteurs (ibid., 3).

  • 6 Par similarité, on peut penser ici à une ferme, à un marché qui ont des qualités spatiales similai (...)

12En somme, un espace de travail n’est jamais ni à proprement parler un espace privé, ni un espace public. Thierry Paquot fait la différence entre espace public (au singulier) et espaces publics (au pluriel). L’espace public renvoie à l’espace des opportunités de rencontre avec l’altérité, à la démocratie et à l’idée de sphère publique alors que les espaces publics correspondent aux lieux ouverts à la libre circulation du public, indépendamment du statut du foncier (Paquot 2009, 3-9). Généralement, pour devenir un lieu de travail, un espace se dote entre autres d’un périmètre plus ou moins fermé6, identifié, qui rassemble avec régularité et de manière durable des professionnels qui collaborent à une production et des outils pour produire ces biens et services. Dès lors, à partir des qualités intrinsèques du cadre, ce sont les conditions de la production, les dispositifs mobilisés, l’aménagement physique et/ou symbolique etc., qui achèvent le façonnement de l’espace de travail. La deuxième partie de cet article décrit les dispositifs les plus mobilisés, à Champollion et à Torgoman, pour transformer progressivement le domaine public en un espace collectif de production de services, un garage sans murs.

Des dispositifs de cloisonnement et de marquage spécifiques à chaque cluster

  • 7 Il faut souvent déplacer un véhicule pour laisser passer un autre.

13À Torgoman, dans le quartier de Boulaq, au nord-est du centre-ville du Caire, le témoin est d’abord frappé par la configuration scénarisée de l’espace réapproprié par les dépanneurs automobiles. C’est très clairement la conséquence d’un « urbanisme de barres » (Boucheron et al. 2021) constitué par les grands ensembles de logement social où l’espace collectif n’est pas clairement qualifié, ce qui facilite de fait les formes de réappropriation pour les profanes. Cette absence de précision rend l’espace plus modulable pour d’autres usages. Les dépanneurs automobiles ont l’habitude de poser toutes les formes de clôture possibles de l’espace extérieur. Ceci passe par l’invention de plusieurs dispositifs : d’abord une saturation de la chaussée par un stationnement dense en double ou triple file, mais aussi des types de verrouillage des voies par des véhicules garés pour signifier l’impossibilité de passer. Les dépanneurs parviennent ainsi à rendre invisibles les passages, même pour une petite voiture, voire une moto. Seul un piéton peut se faufiler entre les véhicules stationnés7. Ce cumul d’encombrement intentionnel a un but dissuasif : persuader les automobilistes de ne pas s’y engager. De fait, les mécaniciens contribuent à cloisonner une partie importante et centrale de cette zone.

14Ce dispositif de clôture diffuse aussi un sentiment d’entre-soi. Les mécaniciens mentionnent avoir le sentiment d’être physiquement dans un même espace, de former un seul et même grand garage. C’est ce que signale Ibrahim, l’un de nos enquêtés : « Nous sommes plus que des voisins, nous formons ensemble un très grand garage, à la différence près qu’ici tout l’espace que nous partageons est gratuit. Il nous serait impossible de payer des locaux de cette superficie » (Ibrahim, mécanicien généraliste, Torgoman, 50-55 ans). Chacun peut voir ce que l’autre fait et chacun est présent dans la même temporalité que son collègue et voisin. Cette configuration est propice à la multiplication des interactions, qu’il s’agisse d’échanger des conseils, des coups de main, des outils, des « renvois d’ascenseur » ou de faire des confidences, voire à l’inverse, de développer des controverses ou des conflits (Tricot et al. 1999). Ici, tous les emplacements sont relativement stables et fixes. En tant qu’observateur, on perçoit une certaine continuité d’une unité de réparation à une autre, on voit des regards complices et des attitudes de bienveillance des uns envers les autres. La clôture de l’espace public est ici collectivisée et collectivement acceptée.

15C’est un autre type de clôtures et de marquages que l’on trouve dans la rue Champollion, au centre-ville du Caire. Cette zone est un cas d’école de l’« empiètement silencieux ». Les mécaniciens s’installent dans les espaces vacants, contrairement à Torgoman où ils sont fixes. La première chose qui interpelle, c’est la très grande largeur de la chaussée. La rue Champollion pourrait être facilement transformée en une route à trois voies et pourtant, les véhicules ne circulent que dans une seule file. Sur la chaussée, les voitures sont stationnées en double ou triple file. Ces véhicules sont soit en cours de réparation ou garés le temps du diagnostic ou pour la durée de l’acquisition des pièces de rechange. Tout est organisé autour d’un dispositif symbolique de fermeture et d’appropriation de l’espace public (Besozzi 2014). Dans cette rue, à hauteur du célèbre restaurant Abou Tarek, on peut relever l’existence d’un dispositif qui fonctionne comme une porte d’entrée. Sur une cinquantaine de mètres se tiennent des groupes de rabatteurs. Ils sont payés en fonction des clients qu’ils fournissent. Dès qu’un automobiliste ralentit, immanquablement, un rabatteur lui demande quel problème l’amène et lui propose un accompagnement, voire un emplacement provisoire. Sous l’apparence d’une collaboration indifférenciée, les rabatteurs se livrent une très forte concurrence pour détecter et orienter les clients vers leurs partenaires-réparateurs. L’automobiliste qui s’engouffre dans ce corridor est hélé de toute part et croule sous les propositions. S’il a un réparateur habituel, alors les rabatteurs guident le client jusqu’à l’atelier du dépanneur. Dans le cas contraire, le client devient objet de disputes et il convient alors de trouver quelque chose (un réglage, une réparation, une fourniture) à facturer.

Figure 2. Vue sur un groupe de rabatteurs

Figure 2. Vue sur un groupe de rabatteurs

Source : Auteur, Champollion, février 2022

16Après cette « porte d’entrée », c’est un tiers de la longueur totale de la rue Champollion qui fait partie du cluster (voir Figure 7), qui se termine juste après le palais Champollion. Cette rue fonctionne comme une galerie commerciale de services automobiles, dans laquelle la circulation est contrainte (Goffman 1973). Sous les effets combinés d’actions et de dispositifs, la circulation est très fortement ralentie dans la rue, pour sécuriser un peu plus les travaux qui se font tout au long et pour marquer spatialement les ateliers. La zone de chalandise s’étend à toutes les rues adjacentes. L’ensemble forme une sorte de losange qui se referme plus bas sur la rue Ramsès.  La police est omniprésente, mais ne parait pas être dérangée par cette activité mécanique qui se fait sur la chaussée. C’est un univers particulièrement masculin (Raibaud 2015) dans lequel les rares femmes qui sont actives dans la rue principale sont vendeuses de produits alimentaires et de nourriture pour les travailleurs du cluster. Tout le monde a l’air de s’accommoder de cette cohabitation entre ces diverses activités autour de l’automobile et les autres usages de l’espace (converser, passer, flâner, se poser, acheter, vendre, etc.). Les mécaniciens semblent s’être approprié les lieux comme si cela découlait d’une convention officielle qui leur aurait attribué la pleine capacité à être présents et à exercer leur art dans ce périmètre. Selon eux, l’accord d’installation aurait été convenu depuis de longues décennies, avec le président Nasser.

17Dans l’ensemble du périmètre des offres de services automobiles, nous avons noté plusieurs manières de marquer l’emplacement : a) Tout d’abord garer un véhicule, que l’on déplacera si un client arrive ; b) Poser des plots (cônes de Lübeck, demi tonneau) ; c) Disposer des pneus reliés ensemble par une ficelle et délimitant une place de stationnement pour un véhicule ; d) Placer des récipients remplis d’huile ou d’eau ; e) Poser des malles à outils sur le sol, de sorte à montrer les contours de son atelier éphémère ; f) Plusieurs individus se tiennent debout devant un emplacement stratégique convoité et font la conversation en attendant l’arrivée d’un client. Le premier mécanicien qui a une tâche s’y installe et procède à ses travaux. Chacun se fait aider à tour de rôle par les autres. Par ailleurs, les espaces situés devant les boutiques d’accessoires tiennent lieu aussi d’espaces de rangement des outils des mécaniciens. Ils sont de facto bornés par l’extension de la boutique.

Figure 3. Dispositif d’appropriation de place de stationnement

Figure 3. Dispositif d’appropriation de place de stationnement

Source : Auteur, janvier 2021

Figure 4. Atelier extérieur de carrosserie à Champollion

Figure 4. Atelier extérieur de carrosserie à Champollion

Source : Auteur, janvier 2021

18La gestion des emplacements des ateliers ne se limite pas seulement à s’assurer de trouver un emplacement où travailler le jour même; c’est aussi tout un dispositif humain qui est mobilisé le soir à Champollion. Tous les soirs, après leur journée de travail, chaque unité de réparation rétribue des veilleurs du soir qui ont pour mission de s’assurer que le nombre d’emplacements marqués pour chaque équipe puisse être conservé le lendemain matin. Ce mode d’organisation est spécifique au cluster Champollion. Nous ne connaissons pas de système équivalent ailleurs. Ils s’assurent que ceux qui stationnent dans les places convoitées à la fin de la journée les libèrent le lendemain avant que les mécaniciens ne reprennent service. Tous les matins, les premiers rabatteurs qui arrivent prennent la relève pour la journée, pendant que les veilleurs de nuit partent dormir ou occuper un second emploi.

19Le stationnement fait aussi l’objet d’un système local de gestion particulier auquel participent les automobilistes, les boutiquiers, les mécaniciens, les habitants et autres usagers réguliers du quartier. Chaque habitant motorisé ou usager régulier du quartier connaît les places à libérer tous les matins pour que les activités mécaniques puissent y avoir lieu. Chacun semble le faire volontiers, même s’il peut y avoir des heurts occasionnels. À chaque fois qu’un automobiliste ayant l’habitude de stationner son véhicule dans la journée sur un emplacement « stratégique » du quartier doit s’absenter ou cesse d’avoir l’utilité de sa place de parking, il se sent obligé de le signaler à ses voisins mécaniciens. Les emplacements libérés sont ainsi remis dans la bourse locale des places de parking. C’est ainsi que, par exemple, le patron d’un café qui n’a plus de voiture a dû le signaler à l’équipe de mécaniciens qui travaillent en face de son local. Jusqu’à nouvel ordre, il leur donne l’autorisation d’utiliser l’emplacement qui lui était destiné. Les signalements d’emplacements libres tendent à faire diminuer la tension sur le stationnement que les habitants du secteur peuvent vivre dans la journée. Néanmoins, nous ne sommes pas parvenus à savoir s’il existe aussi d’autres types de dédommagements, d’arrangements matériels ou symboliques ou même des réciprocités différées. D’expérience, nous pouvons imaginer qu’un jour si l’une de ces personnes a besoin d’un service, elle sait vers qui se tourner pour un conseil, un dépannage, un diagnostic. Ce type de réciprocité s’observe ailleurs où certains riverains serviables peuvent bénéficier de services gratuits sur leurs véhicules. Par exemple, la surveillance de l’emplacement, ressource cruciale tant pour la profession mécanicienne que pour les résidents.

20Cette activité de surveillant de stationnement est appelée « munadi » en arabe. C’est une occupation informelle qui consiste à réserver quelques places de « stationnement officiellement non payantes, en posant des pierres ou d’autres dispositifs pour bloquer l’accès aux véhicules et surveiller ceux qui vous sont confiés. La tarification varie de 0,50 à 20,00 LE « selon le quartier, la disponibilité d’un parking et aussi le modèle de la voiture qui reflète le niveau social de son propriétaire. Normalement, le munadi n’a pas le droit de réserver les places disponibles non-payantes, mais celui qui refuse de payer pourrait retrouver sa voiture bloquée par une autre ou bien dans certains cas, endommagée » (Abo Elela 2011, 108). À Champollion, espace public pourtant très masculin, Aïcha tient le rôle de munadiya. Elle se déplace avec des dizaines de clés de véhicules. Elle fait payer le stationnement au forfait, selon que l’on reste toute la journée ou juste quelques heures, toute la matinée ou l’après-midi. Elle gère plusieurs dizaines de stationnements par jour et semble à l’aise dans cet environnement très viril. Elle en impose à tous ceux qui essaient de lui prendre une place. Inutile d’essayer de jouer des coudes avec elle. Son emplacement clôture la zone de chalandise. Cette gestion du stationnement participe à la construction d’un espace global (tous les services sont proposés) de prise en charge des véhicules. Les munadiyin pourront aussi garder les véhicules confiés aux mécaniciens et libérer des places si les mécaniciens en ont besoin.

Figure 5. Une munadiya devant son parc de stationnement informel

Figure 5. Une munadiya devant son parc de stationnement informel

Source : Auteur, Champollion, février 2022

Des clusters aux configurations spatiales et professionnelles différenciées

21Essayons de comprendre à présent comment l’activité de mécanique et les professions associées permettent à ces voies d’osciller entre le statut d’espace public et celui d’espace de travail soumis à des modes d’appropriations productives. L’organisation et la division des tâches qui prévalent dans ces deux clusters sont contrastées et interrogent sur la malléabilité de l’espace public. Les caractéristiques du bâti et des voies, la densité et la répartition des activités configurent différents modes de coopération entre mécaniciens par-delà leurs unités de réparation, et influent sur les rapports aux autres usagers.

Champollion : un cluster extensif dans des rues entravées

22Dans le cluster Champollion, l’activité de mécanique automobile est concentrée dans un périmètre assez étendu borné par six rues : rue Champollion, rue Mohamed Helmi Ibrahim, rue Ma‘rouf, rue ‘Abd Al-Hamid Sa‘id, rue du Souq Tawfiq et rue Al Borsa Al-Qadima. Dans la journée, tout espace disponible est occupé par une profusion de pratiques autour de la voiture : mécanique automobile, vente d’accessoires auto, concessionnaires, garages, parkings, lavage… Les frontières entre les pratiques formelles et celles qui le sont moins sont plus que floues. Il se dit que tous ceux qui exercent sur ce territoire, bien plus qu’ailleurs, sont cousins ou des collaborateurs des cousins de ces grandes familles. Tout au long des mois nous n’avons jamais vu un policier intervenir pour dire quoi que ce soit à un mécanicien même devant une rue verrouillée. Les véhicules de police passent régulièrement dans le quartier, tout comme sont présents des agents à pied. En combinant nos propres constats, les confidences des mécaniciens et l’attitude des policiers, tout porte à croire qu’il y a des modes de régulation qui se font dans d’autres temps, en d’autres lieux et par d’autres personnes que celles qui sont présents sur place, mais dans le cadre de notre enquête d’observation, nous n’avons pas eu accès à ces grandes familles et aux lieux où ces négociations se font. Cependant, dans ce cluster, la profusion et la similarité des ateliers situés dans les rues très passantes, toujours à ré-accaparer, accentuent la précarité des conditions de la pratique professionnelle, tout en intensifiant les relations de concurrence entre ateliers. En dépit des supposées solidarités familiales, il en résulte une baisse des échanges entre des mécaniciens, plus préoccupés par la clientèle qu’à coopérer.

Figure 6. Plan masse du centre-ville avec localisation du cluster Champollion

Figure 6. Plan masse du centre-ville avec localisation du cluster Champollion

Source : Auteur, fonds de carte OpenStreetMap

Figure 7. Un cluster configuré autour d’un axe central

Figure 7. Un cluster configuré autour d’un axe central

Source : Auteur, fonds de carte OpenStreetMap

23La métamorphose de ces rues en ateliers à ciel ouvert commence tôt le matin, dans les expansions des boutiques/ateliers. Les premiers mécaniciens déploient leur espace de travail, en prenant les emplacements qui sont libérés par les veilleurs de nuit et en soustrayant d’autres espaces aux autres usagers, au fur et à mesure. Ainsi, des plots, des pneus, des briques et d’autres objets sont posés par terre, à mesure que des emplacements sont libérés. Dans cette valse d’objets, des véhicules plus ou moins en panne sont placés ou déplacés d’un point à un autre pour occuper ou libérer des espaces. Ces agencements servent à délimiter des espaces réservés aux différents ateliers éphémères qui vont se succéder tout au long de la journée de travail, mais aussi verrouiller un passage et obliger les automobilistes à faire le tour. Aux côtés de ces cantines-ateliers, la majorité des échoppes vendent des accessoires de « tuning » et de confort. Seules quelques boutiques proposent des consommables : huiles, autres fluides, ampoules, plaquettes de frein... Certains magasins sont spécialisés sur un type de pièce de rechange : rétroviseurs, parechocs, pneus, vitres, amortisseurs, organes de direction. Alternativement, ils proposent des outils, vendent des pièces neuves ou des produits d’occasion. Quelques enseignes récupèrent et remettent à neuf eux-mêmes des pièces hors-service (bobine grillée refaite à neuf, amortisseurs, pompes à eau…) qui sont vendues : « reconditionnés », « remis en état » ou « d’occasion ».

24Dans l’ensemble du cluster Champollion, l’activité de réparation automobile occupe un peu plus de 12 % de l’ensemble de la surface de la chaussée. La densité de l’occupation des sols (exprimée en pourcentage de superficie occupée) est très variable d’une rue à l’autre, avec une amplitude allant de 5 à 30 %. Dans une même voie, les deux côtés de la chaussée peuvent connaitre des situations très distinctes. Il suffit de regarder le taux d’occupation de chaque bord d’une rue pour s’en convaincre. Dans les six rues prises en compte dans cette étude et constituant le périmètre du cluster, les ateliers occupent en moyenne une surface d’environ 500 m, soit 13 % de la superficie d’une voie. Mais comme le montre le graphique ci-dessous (Figure 8), d’importantes disparités existent d’une rue à l’autre. Dans la rue Souk Tawfik, c’est 32 % de la voie qui est pris par les cantines-ateliers, alors que cela représente 5 % de la superficie de la rue Helmy. De même le nombre d'enseignes (cantines-ateliers ou boutiques de vente) par rue varie entre à peine une dizaine jusqu’à plus d’une centaine.

25Une autre mesure de l’empiètement de l’espace par les activités automobiles est celle de la longueur, en mètre linéaires, des voies impactées. Ici, c’est en moyenne plus de 22 mètres sur 100 de chaque voie qui sont occupés par cette activité. Le léger décrochage entre la part de la longueur (en mètres linéaires) et la part de la surface occupée (en mètres carrés) dans les rues du quartier indique une relative spécialisation de chaque voie qui peut accueillir soit plus d’ateliers de réparation (qui occupent plus de mètres carrés), soit plus de boutiques (qui occupent plus de mètres linéaires). Ainsi sur la rue Souk Tawfik, on recense plus de points de vente que d’ateliers et à l’inverse, la rue El Borsa connaît le plus fort taux d’occupation par des ateliers sur toute sa longueur.

Figure 8. Occupation de l’espace par l’activité mécanique dans les rues du cluster Champollion

Figure 8. Occupation de l’espace par l’activité mécanique dans les rues du cluster Champollion

Source et conception : Auteur

26Dans la configuration spatiale du cluster Champollion autour d’un axe central, l’observation des usages des rues par les mécaniciens a montré l’existence de « portes d’entrée » et de « portes de sortie », appariées à des rabatteurs, des veilleurs de nuit, des dispositifs de cloisonnement, etc. De tous ces paramètres découle une très forte concurrence entre des mécaniciens qui ont majoritairement les mêmes spécialités. L’esprit sous-jacent de l’offre de dépannage à Champollion, c’est le pari que tout client soit assuré d’être pris en charge dans les cinq minutes de son arrivée. Nous avons vu plus haut à quelles conditions cela était possible et que cela comportait aussi le risque de facturation de services plus ou moins fictifs. De plus, le taux d’appropriation du domaine public est très fort à Champollion. Nous avons dénombré plus de 260 enseignes, des centaines de mécaniciens et d’agents des activités connexes qui se sont greffées à l’action centrale qu’est la mécanique automobile (rabatteurs, veilleurs, prestataires, vendeurs de pièces détachées ou d’accessoires, laveurs de véhicules, gestionnaires de place de stationnement…), dont le recensement est rendu difficile par la configuration de l’espace et aussi de la mobilité des emplacements. L’accessibilité de la rue centrale aux piétons, aux personnes à mobilité réduite et mêmes aux automobilistes ordinaires, reste très entravée. Tout ceci caractérise indubitablement des conflits d’usages de l’espace public qui ne sont pas explicitement formulés sous la forme d’une plainte ou d’une contestation ouverte.

Le cluster Torgoman : un espace public résiduel sur-occupé

27Ce cluster réputé en mécanique est localisé à côté de la gare routière Torgoman, mais cette proximité avec la station n’a pas d’effet sur l’intensité des interactions dans le cluster. Dans ce quartier, la plupart des bâtiments y sont d’usage mixte, résidentiel dans les étages – il s’agit ici d’ensembles de logements sociaux - et d’activités économiques au rez-de-chaussée. Les ateliers de mécanique occupent les rez-de-chaussée de tous les bâtiments de la zone délimitée sur la carte ci-dessous (Figure 10) ainsi que tous les espaces libres devant et entre les immeubles. La majorité des ateliers sont ouverts autour de 10 h en matinée et ferment le soir dans un intervalle de 19 à 23 h. Ce cluster est différent de celui de Champollion, puisqu’il ne comprend que des ateliers de mécanique, en fait cachés des rues principales. Ces ateliers sont installés exclusivement dans l’extension des cantines-ateliers tenues par eux-mêmes. En revanche, les boutiques d’accessoires sont implantées dans les rues latérales derrière les lieux de réparation. En quelque sorte, il y a complémentarité et imbrication entre légal/illégal, formel/informel et visible/caché.

Figure 9. Intérieur d’une cantine-atelier d’un mécanicien

Figure 9. Intérieur d’une cantine-atelier d’un mécanicien

Il range dans la cantine tout ce qui est précieux (outils, pièces détachées, chaises…) avant de rentrer chez lui, alors que dans la journée, la quasi-totalité des réparations se feront dans l’espace extérieur autour du lieu.

Source : Auteur, Torgoman, avril 2021

Figure 10. Carte du cluster Torgoman, avec identification des voies et des spécialités

Figure 10. Carte du cluster Torgoman, avec identification des voies et des spécialités

Source : Auteur, juillet 2021, fonds de carte Google Maps

28Le cadre spatial est immuable : dans chaque bâtiment, les logements sont à l’étage, un espace de travail (boutique ou cantine-atelier) au rez-de-chaussée, un parking-atelier devant et une étroite voie de circulation pour voitures et piétons. Cette configuration donne l’impression d’un climat de dialogue entre de multiples pratiques urbaines. Cependant, des conflits d’usage (Phamet et al. 2008) remontent périodiquement à la surface et, à Torgoman, les mécaniciens se cotisent « pour acheter » la paix sociale et pour dédommager collectivement ceux qui, agents ou voisins, se plaignent des débordements, des mésusages (de l’emprise au sol, du bruit et des autres nuisances liées aux activités autour de l’automobile) et de l’accaparement du domaine public. Collectivement, ils disent avoir le souci de laisser les espaces collectifs accessibles à d’autres usages.

29Nous avons ici une architecture de barres, constituée de bâtiments en forme de « U » séparés par cinq allées principales et de petites contre-allées qui tiennent lieu ici d’espaces publics. Loin d’être laissés vacants, les espaces résiduels « d’entre-barres » font ici l’objet d’une sur et d’une mono-occupation. Cette configuration est beaucoup plus propice à donner le sentiment de l’entre-soi qu’à Champollion. L’espace ouvert a la forme d'un ensemble intégré qui offre aux ateliers un espace de travail extensible, dans lequel ils sont capables de prendre en charge des travaux complexes avec des spécialités complémentaires. Tous les mécaniciens se voient mutuellement en train de travailler, mais en dehors des habitants/riverains, aucun autre acteur n’est directement présent. Cet agencement physique et la distribution viaire contribuent à faire advenir ce que nous nommons ici l’effet cluster. Cet effet consiste en une émulation réciproque entre mécaniciens du fait de la richesse du plateau technique ; il est renforcé par la concentration plus forte des cantines-ateliers, comme le montrent nos indicateurs chiffrés. Puisque les allées et contre-allées ne semblent pas avoir de noms, nous utilisons l’annotation : TV1 à TV5 pour « secteur Torgoman, voie no 1, 2, 3 etc. ».

30Dans les cinq voies constitutives du cluster, les ateliers occupent en moyenne 50% de la superficie d’une voie. On peut noter d’importantes disparités là aussi, car l’emprise au sol va du simple (26 % TV3) au triple (73 % TV2). Dans certaines allées on peut dénombrer 8 cantines-ateliers ; d’autres en accueillent 24. Or chaque atelier de mécanique occupe trois fois plus de surface à l’extérieur de chaque atelier qu’à Champollion, ce qui pourrait augmenter le risque de conflits d’usage s’ils n’étaient pris en charge par le collectif de dépanneurs, au fur et à mesure qu’ils disent en avoir connaissance. En outre, le cluster de Torgoman est caractérisé par la concentration plus forte des cantines-ateliers au mètre linéaire (2,88) qu’à Champollion (9,62). Ici, on relève un atelier tous les trois mètres, contre un presque tous les dix mètres à Champollion. Dans l’allée TV1, on dénombre même un atelier tous les 1,6 m. Ce ratio de concentration élevé renforce l’effet cluster déjà induit par la configuration spatiale en U.

Figure 11. Occupation de l’espace par l’activité mécanique dans les allées du cluster Torgoman

Figure 11. Occupation de l’espace par l’activité mécanique dans les allées du cluster Torgoman

Source et conception : Auteur

31A l’inverse de Champollion, à Torgoman, la densité du cluster encourage à avoir des interactions plus nombreuses, ainsi que des pratiques coopératives plus régulières et moins éphémères. C’est aussi parce que l’essentiel des enseignes sont des ateliers de réparation avec des spécialités techniques complémentaires, répartis selon les allées, et ils sont donc moins en concurrence qu’ailleurs. La configuration spatiale, le regroupement d’un nombre plus important de spécialités, ainsi que la très forte concentration en ateliers au mètre, crédibilisent cette forte volonté des mécaniciens de faire garage dehors, sans constituer de nouvelles entités juridiques. Ainsi, ils profitent gratuitement de cet entreprenariat en accordéon et gèrent ensemble les règles de la concurrence, en limitant l’installation dans un même secteur géographique de plusieurs mécaniciens de même spécialité ou métier (par exemple, mécanicien général, carrossier, sellerie, etc.).

Conclusion

32Nous sommes partis de l’observation d’un mode d’occupation du domaine public par une catégorie d’activités pour démontrer que grâce à ces empiètements les mécaniciens développent entre eux, une qualité productive, de la solidarité, des compétences collectives et une offre globale qu’ils ne pourraient faire, séparés en micro-ateliers. Bien que moins visible à Champollion qu’à Torgoman, il semble y avoir une forme d’autogestion collective de l’occupation du domaine public pour prévenir les conflits d’usages ou les conflits d’intérêt. À bien des égards, on pourrait penser que cette manière d’entreprendre dans le domaine public en construisant un espace de travail collectif s’approche de la gestion par les principes des communs (Ostrom 2010). Cependant, un regard plus approfondi permet d’écarter cette hypothèse, car les comportements individuels dans l’espace collectif – comme ressource à préserver – montrent que ne sont pas exclues les tentations de captages abusifs de l’espace public au bénéfice de certains usagers. En effet, la gestion des communs impliquerait l’existence d’instances de délibération collectives avec tous les usagers où pourraient s’évaluer les mésusages de l’espace, pensé comme une ressource à sauvegarder collectivement.

33La question qui est posée ici est donc celle des marges de manoeuvres dont disposent les citadins d’une mégapole d’un pays à régime politique centralisé, sans gouvernement local élu pour rendre des comptes à ses administrés. L’exemple des mécaniciens montre que ce sont parfois les corporations professionnelles qui, grâce à la protection relative que leur confère leur poids social et économique, endossent le rôle de cogestionnaire du domaine public. Elles offrent à leurs membres des morceaux de territoire, et par là, de pouvoir – fût-il économique – et de citoyenneté. Cependant, chaque acteur semble avoir connaissance de règles implicites à respecter et de limites à ne pas franchir pour conserver l’équilibre et/ou le statu quo avec les forces de sécurité. Sur ce point, une enquête complémentaire permettrait d’interroger les usagers, les voisins et les autorités pour connaître les règles qui président aux accommodements relevés et donc mieux cerner les limites et l’envergure de l’action publique. En outre, les réparateurs ne peuvent pas assurer seuls le rôle de garants contre les mésusages de l’espace public, car ils seraient en position d'être juges et parties. Nous avons souligné aussi les vertus socioéconomiques de l’entreprenariat collaboratif qui a vu le jour. Les pratiques professionnelles des mécaniciens reposent sur un très haut degré de réparabilité et de réemploi de pièces détachées automobiles, ensemble qui est à la base de l’économie circulaire en France (Ndiaye et al. 2019).

34Toute cette analyse ouvre sur une hypothèse qui reste à être validée autour des qualités spécifiques de l’entreprise sans murs. La forme entrepreneuriale horizontale qui prévaut en l’état actuel subsisterait-elle si les lots du domaine public utilisés pour le travail collectif venaient à être régulés différemment par les autorités publiques, et a fortiori s’ils n’étaient pas gratuits mais facturés proportionnellement à leur usage ?

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Notes

1 Nous avons choisi dans cet article de translittérer les noms de lieux en nous référant à Google maps afin d’en faciliter le repérage.

2 Un grand garage est une catégorie de garage indépendant, c’est-à-dire un établissement commercial de mécanique auto, comportant un ensemble d’outils et de compétences techniques, habilitant à prendre en charge les réparations automobiles polyvalentes sur une pluralité de marques de véhicule.

3 L’existence de ces « grandes familles » a été évoquée par plusieurs de nos informateurs, mais par prudence, nous n’avons pas cherché à rencontrer ces notables de la mécanique.

4 Cela dit, administrativement, c’est l’application d’un barème fiscal par l’administration qui boucle ce processus d’agrément. La fiscalisation ne sera pas abordée dans le cadre de cet article.

5 En économie ou en science de gestion, « l’expérience client » relève de la perception de la qualité et de l’intensité des interactions d’un commanditaire, client avec un prestataire, une entreprise (Rolland 2015, 11-24).

6 Par similarité, on peut penser ici à une ferme, à un marché qui ont des qualités spatiales similaires ayant un périmètre circonscrit, souvent ouvert, pour pouvoir accueillir du public.

7 Il faut souvent déplacer un véhicule pour laisser passer un autre.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Vues de cantines-ateliers
Légende a: Vulcanisateur (pneus) à Imbaba ; b : Mécanicien général et spécialiste d’amortisseurs à Torgoman ; c : Ensemble de cantines faisant garage à Torgoman.
Crédits Source : Auteur, Le Caire, juillet 2021
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/esma/docannexe/image/700/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 603k
Titre Figure 2. Vue sur un groupe de rabatteurs
Crédits Source : Auteur, Champollion, février 2022
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/esma/docannexe/image/700/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 505k
Titre Figure 3. Dispositif d’appropriation de place de stationnement
Crédits Source : Auteur, janvier 2021
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/esma/docannexe/image/700/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 466k
Titre Figure 4. Atelier extérieur de carrosserie à Champollion
Crédits Source : Auteur, janvier 2021
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/esma/docannexe/image/700/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 487k
Titre Figure 5. Une munadiya devant son parc de stationnement informel
Crédits Source : Auteur, Champollion, février 2022
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/esma/docannexe/image/700/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 545k
Titre Figure 6. Plan masse du centre-ville avec localisation du cluster Champollion
Crédits Source : Auteur, fonds de carte OpenStreetMap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/esma/docannexe/image/700/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 649k
Titre Figure 7. Un cluster configuré autour d’un axe central
Crédits Source : Auteur, fonds de carte OpenStreetMap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/esma/docannexe/image/700/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 1,3M
Titre Figure 8. Occupation de l’espace par l’activité mécanique dans les rues du cluster Champollion
Crédits Source et conception : Auteur
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/esma/docannexe/image/700/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 576k
Titre Figure 9. Intérieur d’une cantine-atelier d’un mécanicien
Légende Il range dans la cantine tout ce qui est précieux (outils, pièces détachées, chaises…) avant de rentrer chez lui, alors que dans la journée, la quasi-totalité des réparations se feront dans l’espace extérieur autour du lieu.
Crédits Source : Auteur, Torgoman, avril 2021
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/esma/docannexe/image/700/img-9.jpg
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Titre Figure 10. Carte du cluster Torgoman, avec identification des voies et des spécialités
Crédits Source : Auteur, juillet 2021, fonds de carte Google Maps
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Titre Figure 11. Occupation de l’espace par l’activité mécanique dans les allées du cluster Torgoman
Crédits Source et conception : Auteur
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Pour citer cet article

Référence papier

Abou Ndiaye, « Faire garage dans les rues du Caire : l’entreprenariat collaboratif dans les interstices du domaine public »Égypte Soudan mondes arabes, 24 | 2023, 97-123.

Référence électronique

Abou Ndiaye, « Faire garage dans les rues du Caire : l’entreprenariat collaboratif dans les interstices du domaine public »Égypte Soudan mondes arabes [En ligne], 24 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/esma/700

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Auteur

Abou Ndiaye

Abou Ndiaye est sociologue, docteur de l’EHESS. Il est actuellement directeur d’études et directeur de l’ARESS (Atelier de Recherches en Sciences Sociales), groupe de recherches domicilié à la FMSH à Paris. Abou Ndiaye a mené plusieurs recherches-action autour de la mécanique dite « sauvage » ou mécanique de rue ou sur d’autres pratiques urbaines informelles d’économie populaire, en France. Parmi ses publications : avec A. Deboulet, K. Mamou, « La mécanique de rue : vertus cachées d’une économie populaire dénigrée », Métropolitiques, 9 mai 2019 ; L’ordre vestimentaire. De la distinction par l’habillement à la culture de l’élégance, Paris, L'Harmattan, 2014 ; avec Dan Ferrand-Bechmann (dir.), Violences et société. Regards sociologiques, Desclée de Brouwer, 2010.

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