France Guérin-Pace, Olivia Samuel et Isabelle Ville : En quête d’appartenances
France Guérin-Pace, Olivia Samuel et Isabelle Ville (sous la direction de) : En quête d’appartenances
Les Éditions de l’Ined, Paris 2009, 222 pages
Texte intégral
1Cet ouvrage collectif, qui réunit une bonne douzaine d’auteurs, sociologues – pour l’essentiel – mais aussi démographes, économistes, géographes et statisticiens, présente les résultats de l’enquête « Histoire de vie », conduite par l’Insee en 2003. Reposant sur un échantillon de 8403 personnes représentatives des habitants de la France métropolitaine, cette enquête se propose de mieux cerner la perception que les individus se font de leur identité, dans une période où les diverses mutations de la société ont bien souvent brouillé les repères traditionnels que constituaient la famille, le travail, la religion, les partis politiques, etc.
2Parmi les multiples renseignements obtenus lors de l’enquête, il y a, d’une part, des données objectives comme celles qui concernent la mobilité géographique, la situation familiale ou les trajectoires professionnelles et, d’autre part, des données plus subjectives qui correspondent aux perceptions et sentiments d’appartenance des personnes interrogées. Les résultats, regroupés en neuf chapitres, permettent aux chercheurs de présenter les principales composantes, qui concourent à forger et ancrer le sentiment d’appartenance, individuelle ou collective, à des classes sociales, des professions, des espaces, à la famille, aux langues parlées, à l’engagement et aux croyances.
3Les trois premiers chapitres sont consacrés à la sphère du travail et aux classes sociales. La moitié des personnes enquêtées n’ont pas le sentiment d’appartenir à une classe sociale : c’est parmi les cadres que l’on recense le plus fort sentiment d’appartenance à une catégorie sociale, alors que la référence à la classe ouvrière se fait de plus en plus rare dans les milieux populaires. Dans le monde du travail, on constate un essor des « professions intermédiaires » qui rassemblent des salariés du secteur public et du secteur privé travaillant dans l’enseignement, l’administration, les services sociaux et de santé, le commerce ou comme techniciens et contremaîtres : il s’agit de professions où l’on accède d’emblée, notamment par concours ou formation reconnue, ou par promotion après un début de carrière comme personnel d’exécution. Si cette catégorie correspond bien à une réalité en termes de rattachement à un groupe social, elle s’avère peu homogène dans le rapport effectif au travail et dans la répartition par sexe des diverses branches qui la composent. La différenciation des carrières selon le genre est abordée dans le troisième chapitre ; les auteurs précisent et nuancent un certain nombre de constats bien connus : la moindre rémunération des femmes à formation et activité équivalentes et la difficulté pour la plupart d’entre elles à concilier vie professionnelle et vie familiale. Autre résultat à souligner : la faible satisfaction au travail des hommes non qualifiés et notamment ceux qui ont des horaires décalés.
4Les trois chapitres suivants sondent l’intimité des individus qui sont invités à dévoiler leur positionnement politique et religieux, leur sentiment par rapport à la famille et à la vie de couple. Dans une société où individualisme et individualisation des comportements sont devenus des valeurs fortes, on observe cependant que le besoin de spiritualité reste pour beaucoup une aspiration indéniable, même si elle ne s’accompagne pas d’une pratique régulière au sein d’une communauté religieuse. Il en va de même pour l’engagement politique : nombreux sont ceux qui revendiquent une « conscience politique », mais se refusent à franchir le pas pour devenir militants d’un parti. L’engagement associatif fait moins peur et il apparaît souvent comme une forme de civisme, au point que certains n’hésitent pas à faire partie de plusieurs associations. Si la famille subit de plein fouet les bouleversements sociétaux avec l’éloignement des enfants pour cause d’études ou de travail, avec la croissance des séparations et des recompositions et l’augmentation de la monoparentalité, elle n’en demeure pas moins un espace de référence pour la majorité des individus, « qu’il s’agisse de la famille d’origine et/ou de la famille conjugale ». Le chapitre 6 s’intéresse à la construction d’une « identité de couple » chez les jeunes, qu’elle se fasse par l’intermédiaire du mariage ou de l’union libre : il s’agit d’appréhender comment la mise en couple conduit les personnes concernées à infléchir leur identité pour se présenter comme conjoint/conjointe de ou mari/épouse de.
5Les chapitres 7 et 8 se focalisent sur les marqueurs identitaires que constituent l’ancrage territorial et les langues parlées. À une époque où les migrations sont de plus en plus fréquentes, on observe que la grande majorité des personnes interrogées restent très attachées à un territoire dans lequel elles estiment avoir leurs racines. Ainsi beaucoup se réfèrent à la région d’origine des parents, même si ceux-ci l’ont quittée depuis longtemps ; de même, des enfants d’immigrés citent généralement le pays de leurs parents, où parfois ils n’ont jamais mis les pieds. Néanmoins, on constate que certains revendiquent une « identité spatiale multiforme » : à côté du lieu d’origine, le lieu de vie, avec son tissu de liens sociaux, est aussi un repère territorial fort. Quant au plurilinguisme, dans un pays où « l’unique langue nationale détient une valeur symbolique forte que les instances politiques veillent à maintenir », il est la résultante d’un double courant : la difficile survivance de langues régionales et l’apport de langues issues de l’immigration. Le maintien de ces formes de plurilinguisme est largement conditionné par le statut social dont jouissent leurs locuteurs et par la vive concurrence de l’anglais en tant que langue internationale.
6Le dernier chapitre est consacré à un sujet particulièrement sensible puisqu’il concerne le positionnement des personnes enquêtées face à la maladie et au handicap. L’analyse des biographies permet aux chercheurs de proposer une typologie des conséquences de la maladie sur les états de santé des individus et sur leur personnalité. Elle permet de montrer comment certains réussissent à « positiver » les évènements de santé, alors que d’autres restent marqués « par une acceptation traditionnellement négative de la maladie et du handicap. »
7Au total, l’enquête « Histoire de vie » a donné naissance à un ouvrage riche et dense, tant par la variété des thèmes abordés que par la multiplicité des résultats, présentés sous forme de tableaux chiffrés, ainsi que par la pertinence des commentaires qui en sont faits. Il devrait intéresser un large public et orienter les réflexions, à un moment où les débats sur l’identité des populations vivant en France sont d’actualité.
Pour citer cet article
Référence papier
Alain Barré, « France Guérin-Pace, Olivia Samuel et Isabelle Ville : En quête d’appartenances », Espace populations sociétés, 2009/3 | 2009, 570-572.
Référence électronique
Alain Barré, « France Guérin-Pace, Olivia Samuel et Isabelle Ville : En quête d’appartenances », Espace populations sociétés [En ligne], 2009/3 | 2009, mis en ligne le 09 décembre 2016, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eps/3873 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/eps.3873
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