1Le périurbain, cet espace flou, a longtemps souffert d’un déficit de définition et de délimitation. Espace d’entre-deux, entre rural et urbain, à l’identité vagabonde, il atteint aujourd’hui le seuil d’une reconnaissance à défaut d’une connaissance qui demeure encore partielle.
2Né de la ville, cet espace périphérique a eu une incidence considérable sur l’organisation globale du système urbain auquel il s’intègre indéniablement. En effet, la facilitation de la mobilité a fait éclater les limites de la ville conduisant à l’émergence de nouveaux espaces périphériques, à la transformation profonde de la ville elle-même mais aussi de la notion « d’urbain ». Les zones périurbaines correspondent aujourd’hui, à de nombreux points de vue, aux espaces les plus dynamiques du système urbain, remettant de fait en cause le modèle classique sur lequel la majorité des approches antérieures avait été basée, un centre dynamique dominant et une périphérie dominée. Cette évolution nous pousse aujourd’hui à porter sur ces espaces un regard neuf. La dynamique démographique exogène qui anime l’espace périurbain lui a permis au fil du temps le développement d’une organisation interne. L’amélioration des mobilités, en rapprochant ce qui était lointain, est à la base même de ce processus. Chacun peut désormais construire son espace de vie en fonction de ses attentes. Cette liberté atomise les espaces de vie qui deviennent spatialement discontinus. La structuration interne des périphéries, voire leur territorialisation, aboutissent de plus en plus à un ensemble hétérogène loin des concepts et définitions initiales.
3La mobilité sera au cœur de notre étude car elle participe activement à cette réorganisation structurelle différenciée qui anime les périphéries urbaines. C’est aujourd’hui un élément constitutif majeur de l’espace périurbain et de la périurbanité.L’approche proposée est issue d’un travail de plus grande ampleur sur la périurbanisation lilloise. Aussi, adopterons-nous comme postulat de départ le découpage spatial défini lors de cette précédente investigation. Ce dernier basé sur l’analyse à l’échelle communale des déplacements domicile/travail a permis la délimitation d’une aire d’étude légèrement plus vaste que le découpage administratif de l’arrondissement de Lille traditionnellement adopté. La cohérence de ce découpage a été éprouvée par d’autres éléments, comme par exemple les mobilités résidentielles. Cette aire d’étude regroupe 147 communes périphériques distribuées autour du cœur urbain dense de la métropole lilloise qui s’étire le long du continuum urbain central nord-est/sud-ouest reliant Mouscron(Belgique)/Tourcoing à Lille (figure 1). Le versant belge de la métropole lilloise dans son acception transfrontalière ne sera pas pris en compte ici, du fait de la faible cohérence périurbaine qui unit pour l’heure ces deux secteurs. Nous nous attacherons essentiellement à la mise en évidence de discontinuités internes agissant comme autant de coupures locales au sein d’une aire métropolitaine apparemment homogène. Le clivage majeur engendré par la frontière franco-belge, mais résolument gommé par la volonté politique, resurgit à cette échelle de la pratique spatiale et isole le versant français du versant belge, la périurbanisation métropolitaine ne passant pas ou encore très peu la frontière.
Figure 1. L’aire d’étude et son contexte administratif
S. Letniowska-Swiat – 2002
4L’étude sur les espaces périurbains menée ici s’est essentiellement appuyée sur les mobilités des populations au sein de l’ensemble du système urbain. Individuellement, chaque mobilité nous éclaire sur les comportements, sur les pratiques spatiales des populations périurbaines de la métropole lilloise. Elles renvoient à des échelles spatiales mais aussi temporelles différentes, et sont chacune à leur niveau, révélatrices des imbrications territoriales tissées par les populations. Celles-ci vivent leurs espaces dans des dimensions et des temporalités variables.
5Ainsi, les déplacements liés à l’emploi ou plus encore à la recherche d’un service se déroulent dans un laps de temps court et induisent des répétitivités qui participent notamment pour ces seconds à l’appropriation territoriale. Les mobilités résidentielles occasionnent d’autres implications, plus lourdes, car entraînant l’installation des personnes pour un temps plus long, souvent plusieurs années [Bonvalet,2001]. À des échelles et à des temps différents, ces mobilités façonnent aussi l’espace. Elles ont un impact sur les relations entre les espaces périphériques et les espaces centraux plus denses.
6Différentes bases de données ont été utilisées pour ce travail : la matrice exhaustive des déplacements domicile/travail pour les mobilités professionnelles, l’inventaire communal pour les mobilités engendrées par la recherche de services et la matrice résidence/résidence antérieure pour les mobilités résidentielles. L’ensemble de ces données sont issues des différentes enquêtes et recensements de l’INSEE.
7La méthode d’analyse est identique pour les trois bases de données considérées : à savoir un questionnement qualitatif relatif au déplacement « Qui va où ? » ou « Qui vient d’où ? ». Pour chaque commune de l’aire périurbaine lilloise nous nous sommes penché sur l’origine des nouveaux résidents ou la direction que prenaient les habitants lors de leurs recherches de services ou leurs déplacements de travail. Pour interpréter plus aisément ces déplacements nous les avons organisés selon trois catégories :
-
se déplaçant depuis ou vers une commune du cœur urbain dense,
-
depuis ou vers une commune de la périphérie,
-
depuis ou vers une commune extérieure à l’aire d’étude,
8ces catégories ayant été préalablement délimitées [Letniowska-Swiat, 2002]. Les communes ayant des tailles très variables, c’est l’orientation majoritaire du déplacement qui qualifie la commune et non sa quantité.
9Ce travail s’est concentré sur l’orientation des directions prises par les mobilités plus que sur le nombre des navettes. L’homogénéité de traitement des différentes bases de données a permis une mise en parallèle pour une même commune des différentes mobilités pratiquées par les populations. Les différentes investigations ont montré que la périurbanisation est toujours un phénomène d’actualité, complexe et encore en évolution.
10Au-delà des classiques relations centre/périphérie, l’analyse des mobilités a révélé des logiques spatiales plus compliquées au sein même des périphéries. Celles-ci se structurent autour de pôles secondaires créant ainsi des « sous-espaces » de la « quotidienneté ». Ces relais spatiaux de rang inférieur dans la hiérarchie urbaine participent activement à l’organisation du système urbain global. Le sentiment d’appartenance à une métropole, à une grande agglomération est une chose, sa pratique au jour le jour en est une autre. À ce second niveau, les pôles secondaires prennent toute leur importance.
11Au-delà de ces considérations de structurations spatiales et de hiérarchies urbaines bien souvent non perçues directement par les populations, l’impact de l’environnement local et les représentations semblent acquérir une dimension toute particulière dans l’attractivité des espaces périurbains. Les notions de qualité, de cadre de vie, d’image sociale des lieux, de « ruralité périurbaine » sont primordiales pour les populations et influent directement sur le choix du lieu de vie mais aussi, par ricochet, sur le développement plus intense de certains secteurs périurbains. L’image des lieux joue désormais un rôle tout aussi important que le coût du foncier ou l’accessibilité dans l’attractivité des espaces périphériques, induisant de fait un nouveau degré d’hétérogénéité cette fois tout à fait subjectif dans le périurbain.
12Les modalités de l’attractivité des espaces périurbains changent, nous rappelant la dimension temporelle de la périurbanisation. Le phénomène s’est incontestablement transformé. Le recul temporel dont nous bénéficions nous permet un regard rétrospectif qui nous fait prendre conscience des modifications de propagation et de développement. En une trentaine d’années, les espaces périurbains ont trouvé une identité, une place dans le système urbain, une réelle existence spatiale, voire territoriale. Nous sommes passés, de l’émergence à la maturation, ce qui s’est traduit par des vitesses et des types de diffusion différents. D’une extension rapide et massive, le phénomène a évolué vers une extension spatiale contenue à laquelle ne participent plus aujourd’hui d’importants flux de populations. Les mouvements actuels de diffusion de l’espace périurbain sont spatialement restreints. Le jeu spatial se déroule désormais à l’interne. Après une période de diffusion très large, entraînant une population nombreuse du centre vers la périphérie, nous assistons à une composition essentiellement interne, une « recomposition » non homogène des zones périurbaines.
13La confrontation des mobilités au sein de l’aire d’étude peut se révéler intéressante pour mieux saisir l’impact du phénomène périurbain sur la structure du système urbain.
14Reprenant les trois types de mobilités étudiés, mobilités liées au travail, à la recherche d’un service ou d’une résidence, nous allons tenter de repérer les similitudes ou les discordances spatiales existant entre elles afin d’apprécier leurs éventuelles organisations spatiales. Ces types de comportements ne se répartissent pas de manière aléatoire sur l’ensemble de l’aire d’étude. Une spatialisation existe pour chaque mobilité. Des secteurs se définissent en fonction des orientations majoritaires des déplacements de leurs populations. Il existe donc bien un lien entre les phénomènes étudiés et la spécificité de l’espace considéré.
15• En ce qui concerne les mobilités liées au travail pour les périodes 1982/1990 et 1990/1999, nous sommes en présence d’une distribution pseudo-concentrique des différents types de déplacements de la population, organisée selon un gradient restituant la diminution progressive de l’attractivité du cœur urbain dense en fonction de la distance. Ce modèle de distribution concentrique est perturbé à l’est par la prégnance de l’attractivité du cœur dense, mettant en évidence une dichotomie de comportement entre les communes de l’est et de l’ouest de l’aire d’étude. L’attractivité du cœur urbain dense en matière de navettes de travail est moins importante à l’ouest. Sur ce versant ouest s’emboîte une série de nuances s’organisant selon un gradient dégressif d’appartenance à l’espace périurbain lillois. Ainsi, nous passons d’un ensemble attiré par des communes de périphérie, avant d’en arriver aux communes attirées préférentiellement par des communes extérieures à l’aire d’étude. À l’est ce système de transition, de l’attractivité du cœur urbain dense à l’attractivité d’une commune extérieure à l’aire d’étude n’apparaît pas réellement (figure 2) .
Figure 2. Organisation spatiale des navettes domicile-travail entre 1982-1990 et 1990-1999
S. Letniowska-Swiat, 2004
- 1 Ce phénomène est apparu lors de l’inventaire communal de 1988.
16• Pour les mobilités non professionnelles analysées sur la période 1979/1998, la distribution concentrique précédemment évoquée se retrouve, plus marquée encore. Trois auréoles s’emboîtent de manière plus ou moins régulière. Les communes dont la population est par préférence attirée pour ses déplacements liés à la recherche d’un service par une commune du cœur urbain dense se positionnent au plus près de l’aire urbaine centrale. Puis se développent des auréoles plus ou moins continues composées de communes attirées par des communes de périphérie ou par des communes extérieures à l’aire d’étude. Au sein de ces différentes auréoles nous pouvons remarquer deux éléments perturbant l’organisation du modèle. D’une part, on pourra distinguer quelques pôles périphériques qui dénotent au sein de leur auréole par une attractivité contrastée. C’est le cas par exemple d’Armentières ou Orchies, attirées par le cœur urbain dense alors qu’elles appartiennent à un ensemble de communes plutôt attirées par des communes de périphérie. D’autre part, le comportement des communes de marges n’est pas homogène. Aux extrémités géographiques, à l’est comme à l’ouest, nous retrouvons une transition assez nette entre l’aire d’étude et les communes extérieures. Les communes de marges sont dans ces secteurs plutôt attirées par des communes de périphérie, ce qui n’est plus tout à fait le cas pour les communes de la partie centrale de l’aire d’étude, qui sont majoritairement des communes du département du Pas-de-Calais. Dans cette zone la transition est beaucoup moins tranchée. En effet se concentre dans ce secteur un ensemble de communes qui ont basculé depuis peu d’une attractivité anciennement plutôt orientée vers l’extérieur de l’aire périurbaine lilloise à une attractivité périphérique1. Cette particularité met en évidence l’intégration moins forte, mais aussi plus récente, de ces communes à l’espace métropolitain et souligne de fait l’impact de la limite départementale sur notre aire d’étude (figure 3).
Figure 3. Organisation spatiale des déplacements non professionnels entre 1979 et 1998
S. Letniowska-Swiat, 2004
17• Spatialement les mobilités résidentielles s’inscrivent aussi dans une distribution concentrique déformée par des interactions locales. Les communes dont les populations, arrivées entre 1990 et 1999, sont majoritairement originaires du cœur urbain dense se retrouvent au plus proche de l’aire urbaine centrale. L’opposition est flagrante entre l’est et l’ouest. L’est est plus fortement lié au cœur urbain dense que l’ouest où les populations nouvelles arrivent de préférence de la zone périphérique elle-même. Nous retrouvons aussi l’a-typicité de certains pôles comme Orchies, et l’impact de la limite départementale autour de laquelle l’interaction avec les communes extérieures à l’aire d’étude est plus importante, créant une zone tampon. Dans ce secteur les nouvelles populations arrivent en plus grand nombre de l’extérieur de l’aire d’étude et notamment du Pas-de-Calais (figure 4).
Figure 4. Organisation spatiale des mobilités résidentielles entre 1990 et 1999
S. Letniowska-Swiat, 2004
18L’empreinte spatiale de ces trois types de mobilités montre des similitudes, dégageant de grands secteurs au sein de l’aire d’étude. Mais retrouve-t-on de telles analogies à l’échelle communale?
19Cette question est primordiale si l’on veut, au sein des espaces périurbains lillois, déterminer plus précisément les pratiques territoriales et les recompositions spatiales qu’elles entraînent. Pour répondre à cette interrogation, nous pratiquerons une lecture croisée de ces trois grands types de déplacements.
20Avec la lecture croisée de ces différents comportements face aux déplacements nous cherchons à définir un comportement général en matière de mobilité pour chaque commune de la périphérie lilloise afin d’apprécier dissemblances et ressemblances. Pour cela, nous avons tenté la synthèse des différentes analyses initiales, relatives aux mobilités professionnelles, non professionnelles et résidentielles.
21Ces dernières ont débouché sur des typologies primaires, basées sur l’orientation géographique principale des déplacements considérés. Pour les trois typologies, nous dénombrons trente et un types, répartis comme suit :
-
6 types pour les mobilités professionnelles ;
-
19 pour les mobilités non professionnelles ;
-
6 pour les mobilités résidentielles [Letniowska-Swiat, 2002].
22Dans un objectif de lisibilité, nous avons décidé de réduire le nombre de types en amont du croisement, en synthétisant dans la mesure du possible ces typologies initiales.
23À l’issue du croisement de ces différents types, il s’avère qu’il existe quarante-six combinaisons. Chacune rassemble un nombre très variable de communes. Vingt-sept ne représentent en fait qu’une seule commune, et quatre de une à deux communes. Dans un souci d’interprétation nous avons choisi de regrouper sous un seul et même type l’ensemble des cas ne décrivant qu’une ou deux communes. Cet ensemble correspondra, dans notre analyse, à un type indifférencié mais évidemment très composite. Nous arrêtons donc le seuil de formation des types à une combinaison de comportements en matière de mobilité commune à au moins trois entités communales.
24Quatre types particuliers décrivent chacun le comportement similaire de plusieurs communes et un type hétéroclite réunissant l’ensemble des communes qui ont un comportement atypique, unique à la commune ou au maximum à deux communes. Cette typologie générale reprend l’ensemble des comportements de déplacements au départ ou en direction de la zone périurbaine de la métropole lilloise versant français en fonction de leurs orientations : vers le cœur dense, au sein de la périphérie ou vers une commune située hors de l’aire d’étude.
25La typologie obtenue met ainsi en valeur les gradients de relations existant entre chacune des communes de l’aire d’étude et le cœur urbain dense, l’espace périphérique auquel elles appartiennent de fait et l’extérieur de l’aire d’étude, c’est-à-dire le reste de la région Nord - Pas-de-Calais voire le reste du pays ou encore la Belgique voisine. Ces quatre types rassemblent 101 communes, soit 68,7% de l’ensemble des communes de la zone périurbaine lilloise.
26Les populations d’une large part des communes étudiées ont des cheminements de déplacements communs. Des groupes se dessinent autour de trois orientations principales : une attractivité ou une origine principale du cœur urbain dense, de la périphérie ou de l’extérieur de l’aire d’étude. Leur répartition spatiale nous emmène de communes qui développent des relations intenses avec le cœur urbain dense vers des communes qui apparaissent marginales au sein de l’aire d’étude car plutôt tournées vers d’autres agglomérations.
27La figure 5 permet la visualisation de cette typologie concrétisant l’éclatement des pratiques spatiales périurbaines.
Figure 5. Organisation spatiale des mobilités résidentielles entre 1990 et 1999
S. Letniowska-Swiat, 2004
28Au vu de ce document, les mobilités croisées apparaissent belle et bien spatialisées. Les types ne se répartissent pas de manière totalement aléatoire sur l’ensemble de l’aire d’étude. Nous retrouvons, comme dans le cas des comportements liés à la mobilité résidentielle, une disposition concentrique dégradée, qui prend la forme d’une écharpe bipolarisée autour du cœur urbain dense.
29L’espace périurbain n’est pas homogène. De grands secteurs faisant référence à des comportements spatiaux spécifiques se dégagent. Il apparaît dès lors évident que l’on ne peut uniquement parler d’un espace périurbain, mais plutôt « des » espaces périurbains. L’homogénéité décrite dans les années soixante-dix, lors de la mise en place du phénomène, paraît dépassée. Les populations périurbaines ne pratiquent ni les mêmes espaces, ni de la même manière lorsqu’elles vivent aux marges externes ou aux limites internes de l’auréole périurbaine. Les pratiques spatiales et l’appropriation territoriale qui se mettent en place avec le temps ainsi que l’implication au local, se réalisent surtout dans une sphère de proximité. L’influence du cœur urbain dense décroît avec la distance. Les communes dont les déplacements de population sont majoritairement orientés vers le cœur urbain dense se localisent à son contact direct. De même les communes majoritairement polarisées par d’autres communes de la périphérie se retrouvent à une distance plus importante du cœur urbain dense.
30Une organisation interne des espaces périurbains se met progressivement en place, dépassant les schémas classiques. En effet, jusqu’à une période récente, la périurbanisation n’était décrite que selon un modèle centre/périphérie, basé sur une relation classique dominant/dominé. Les relations internes aux espaces périurbains étaient alors complètement occultées. Cette logique s’appuyait sur le fait que nous étions en présence de zones dépourvues de pôles pouvant servir de relais dans la recherche de services. Nous avons démontré, lors de l’analyse des mobilités non professionnelles, que cette approche de la situation était dépassée. Au sein de la zone périurbaine métropolitaine, des pôles dits « secondaires », tels Orchies, Bailleul, Armentières ou encore Seclin, ont été mis en évidence. Ces communes périphériques captent une large partie des flux engendrés par la recherche d’un service banal. Dès lors pour ce type de besoin, le recours au centre n’est plus indispensable. Les pôles secondaires deviennent des points structurants de l’espace périurbain, dont l’utilité est admise par tous les élus locaux, qui y voient le moyen de dynamiser leur espace, mais aussi les populations. La pérennisation ou le développement de tels pôles participe au mouvement d’appropriation de l’espace périurbain par ses populations. La pratique régulière d’un espace engendre connaissance et reconnaissance. Sur ces bases, un espace peut devenir un territoire.
31L’organisation spatiale des types repérés sur la figure 5 présente un gradient des niveaux de relation développée avec l’espace central. Ce dernier évolue clairement du centre vers la périphérie. Les espaces en relation avec le cœur dense se dispersent dans l’espace selon un modèle de diffusion initiée par le centre. La périurbanisation dans une approche globale, c’est-à-dire systémique suit ce principe de diffusion de l’innovation. Le centre urbain dense agit comme un pôle de diffusion, projetant dans une certaine mesure vers l’espace environnant sa population, mais surtout son mode de vie. Le phénomène périurbain a largement suivi ce type de développement. On a parlé successivement de tache d’huile, d’onde de périurbanisation, modifiant in situ la structure de la population, ses modes de vie, ses pratiques spatiales mais aussi le paysage. Cette dynamique périurbaine semble à l’heure actuelle marquer le pas, du moins dans l’aire étudiée [Dekneudt, 1999]. En effet, le fonctionnement de ce mode de développement doit aussi tenir compte de la donnée « distance-temps » qui apparaît comme un facteur limitant à la diffusion de la périurbanisation. Les temps de parcours routiers et autoroutiers s’allongeant au-delà de 45 minutes semblent devenir dissuasifs et ainsi participer à la stabilisation récente et relative des franges externes de l’aire périurbaine lilloise. La saturation des axes autoroutiers, maintenant bien connue, ne permet plus de réduire la distance-temps, quelle que soit la direction empruntée par le navetteur.
32Comment maintenir un sentiment d’appartenance à une structure métropolitaine par la pratique, voire même occasionnelle, des espaces centraux, si elle n’est plus clairement identifiée par les populations comme un espace de vie. Ce problème de l’éloignement au centre se complique encore dans le cas de notre aire d’étude. La structure urbaine de la partie centrale de la région Nord - Pas-de-Calais est très dense et présente une imbrication complexe des formes urbaines. Les marges de l’aire métropolitaine lilloise semblent aujourd’hui stabilisées, même si dans la zone centrale, au contact avec le Pas-de-Calais, des communes ont montré un développement de leur pratique spatiale à destination de la métropole. Ces communes se situent à une distance plus restreinte que d’autres secteurs périurbains lillois, tels les environs d’Orchies ou de Bailleul. Cependant cette zone attractive ne devrait pas s’accroître outre mesure, limitée par une distance-temps rapidement dissuasive, et surtout l’attractivité concurrente de l’agglomération lensoise doublée de l’impact de la limite départementale.
- 2 Ceci a été mis en évidence par l’analyse longitudinale des déplacements domicile/travail qui ont se (...)
33Si la diffusion du phénomène périurbain semble marquer le pas sous l’influence du facteur temps2, elle est aussi sujette à perturbations en fonction des spécificités des espaces sur lesquels elle se projette. En effet, l’organisation des espaces périurbains autour de l’aire urbaine dense lilloise prend globalement la forme d’une auréole concentrique régulière. Cependant, cette régularité ne se retrouve pas dans l’intégralité des comportements migratoires des populations. Les types dégagés par l’analyse croisée des mobilités ne s’organisent pas de manière rigoureusement concentrique, mais plus selon une large opposition est/ouest.
34Cette opposition est/ouest semble être un clivage marquant de l’espace périurbain lillois. Nous la retrouvions déjà au niveau des analyses individuelles des mobilités professionnelles, non professionnelles et résidentielles. Les populations des communes périurbaines de l’est et de l’ouest ne pratiquent pas le système urbain métropolitain de la même manière.
35À l’est, les communes privilégient un certain nombre de relations avec le cœur urbain dense. Le type « Les déplacements s’effectuent de manière partagée entre le cœur urbain dense et la périphérie. » est dominant. Les populations de ces communes effectuent de préférence leurs navettes de travail à destination de l’aire urbaine centrale, espace dont sont aussi majoritairement originaires les populations nouvellement installées dans ce secteur depuis 1990. Seuls les déplacements non professionnels, liés à la recherche d’un service banal s’organisent dans une sphère de plus grande proximité, vers d’autres communes de périphérie. Dans le cas précis qui nous intéresse, ces flux se portent largement sur Orchies, déjà décrit comme pôle secondaire majeur de ce secteur est.
36À l’ouest, la situation est toute inverse, les mobilités de ces populations s’effectuent au sein même de la périphérie. Le traditionnel lien avec le cœur dense est relégué au second plan. Le modèle d’organisation spatiale centre/périphérie n’est plus dominant. Cette nouvelle organisation interne de l’espace périurbain remet en cause un certain nombre de définitions et de délimitations du phénomène. C’est aussi le constat d’un nouvel agencement au sein des zones périphériques. La dynamique est désormais autochtone, du moins dans certains secteurs. On pourrait alors émettre l’hypothèse d’une structuration interne des espaces périurbains, initiée par les populations périurbaines elles-mêmes. Cette nouvelle organisation passe par l’appropriation de l’espace périurbain par les populations nouvellement installées, impliquant dès lors sa territorialisation. [Fourny, Pagand, Pradeilles, 1997].
37De nombreux facteurs quantitatifs interviennent pour tenter d’expliquer ces disparités spatiales, tels le prix et la disponibilité du foncier, l’offre immobilière, la desserte routière, mais aussi tout un ensemble de facteurs qualitatifs dont il est plus difficile d’appréhender le réel impact. Ces facteurs qualitatifs font appel aux perceptions spatiales, à l’appréciation de la qualité d’un lieu, des rapports d’équilibre entre la fonctionnalité d’un lieu et son image, et plus généralement à tout ce que l’on peut mettre derrière la notion « d’image » [Calenge, Jean, 1997]. Cette part de qualitatif basée sur la représentation que chacun peut se faire de l’espace qui l’entoure est très importante pour l’étude des espaces périurbains, car elle conditionne largement les déplacements et l’installation des populations. La création d’une ZAC, d’une ligne TGV, un projet de nouvelle autoroute peuvent aussi avoir des effets dissuasifs sur l’attraction d’un lieu périurbain. Pour tenter d’expliquer les oppositions relevées entre l’est et l’ouest de l’aire d’étude, nous devrons faire appel à ces critères subjectifs.
38En effet, ces deux secteurs, est et ouest, se situent à distance et temps équivalents du centre du cœur urbain dense. L’accessibilité ne semble donc pas être un élément explicatif suffisant. Le prix des terrains à bâtir et du marché immobilier demeure dans des ordres de grandeur similaires et n’expliquent pas non plus à eux seuls cette dichotomie.
39D’autres éléments explicatifs plus subjectifs interviennent. L’est de l’aire périurbaine métropolitaine bénéficie d’une image tout à fait particulière, liée à la fois à son cadre paysager, mais aussi à la proximité de Villeneuve-d’Ascq. Parmi ces éléments explicatifs qualitatifs, ce dernier paraît important. L’agglomération lilloise est une conurbation organisée autour de différentes villes, Lille qui en est le centre indéniable, Roubaix, Tourcoing et à l’origine Armentières, les éléments périphériques structurants [Bruyelle, 1981]. Au fil du temps, un cinquième pôle s’est imposé, la ville nouvelle de Villeneuve-d’Ascq, supplantant même Armentières dans son rôle de quatrième pilier de la conurbation. Villeneuve-d’Ascq se situe à l’est du cœur urbain dense, à la limite de l’aire périurbaine proprement dite. Ce positionnement géographique rapproche dans la perception spatiale des personnes, le cœur urbain dense de leur espace de vie. Ainsi, les populations de la périphérie Est ont encore des liens majoritaires avec l’espace urbain dense en partie au travers de Villeneuve-d’Ascq. Le décalage à l’est de la zone dense de la conurbation, dû au positionnement géographique de Villeneuve-d’Ascq, modifie les perceptions spatiales. De la même manière, les populations de l’aire urbaine dense portent sur ces espaces Est un regard particulier. Le cadre champêtre de ce secteur et plus largement de la Pévèle, plait particulièrement aux populations urbaines. On peut réellement parler de « prime » au paysage pour cet espace. Le léger vallonnement, le boisement de son semi-bocage résiduel, quelques sites paysagers de qualité comme la vallée de la Marque, la présence peut-être moins évidente qu’à l’ouest d’une agriculture active et productive enlèvent les suffrages en toute subjectivité.
- 3 D’ailleurs, l’aire d’étude s’étend peu sur ce secteur.
40On ne retrouve pas tout à fait les mêmes conditions à l’ouest. Tout d’abord, dans notre étude, Armentières a été classée en zone périphérique, ce qui se justifie du fait de sa position géographique. De fait, les mobilités à destination d’Armentières sont des mobilités entre communes périphériques. Armentières apparaît comme un cas un peu particulier dans cet espace. Par sa taille et son rôle initial dans la conurbation lilloise, son classement en zone périurbaine peut se discuter. Mais il est indéniable que dans la pratique des populations, Armentières n’est plus assimilée à un des centres de la métropole et ne bénéficie pas de la même dynamique que Villeneuve-d’Ascq en matière d’emploi ou d’attractivité commerciale. Son rayon d’attraction demeure très local. D’autre part cet espace rural ouest n’a pas la même aura que l’espace rural de l’est, hormis peut-être au-delà de Bailleul, dans le secteur des Monts de Flandres. Mais dans ce cas précis, la distance joue un rôle prohibitif dans l’éventualité d’une installation périurbaine3. Le cachet rural est ici moins « champêtre », mais plus agricole, sans doute moins attractif pour le périurbanisant. L’openfield domine ce paysage plat de la plaine limoneuse qui s’étend entre la Lys et le Deûle.
41Au-delà de ces considérations subjectives qui, si elles influent sur l’organisation interne des espaces périurbains, sont difficilement quantifiables, notons tout de même que le secteur Est de la métropole lilloise a été touché plus précocement par le fait périurbain, comme en atteste l’analyse des soldes migratoires. Les flux les plus importants dans les années soixante-dix et quatre-vingt, période de mise en place du phénomène, s’orientaient de préférence du cœur vers ce secteur. L’antécédence du lien entre ce secteur Est et le cœur urbain dense peut aussi avoir un impact sur des rapprochements toujours privilégiés.
42L’analyse croisée de l’évolution des différentes mobilités de ou à destination des zones périphériques métropolitaines lilloises nous a permis de mieux cerner l’évolution de ces espaces. Ces derniers sont complexes car composites. Nous ne pouvons pas parler d’espace périurbain au singulier mais bien au pluriel. Par ailleurs ces marges de l’espace périurbain lillois tendent à se stabiliser. L’extension périurbaine longtemps décrite comme une onde, un front pionnier conquérant sans réelle borne, se tasse. Il semblerait que nous soyons entrés dans une phase de stabilisation du phénomène. Les marges de l’aire d’étude connaissent encore quelques logiques de déplacements alternés entre la périphérie et l’extérieur de l’aire d’étude, mais dans des proportions restreintes. Cette stabilisation peut s’expliquer dans le cas précis de notre étude par deux facteurs. Le facteur « distance-temps » a atteint ses limites (un seuil de l’ordre de 45 minutes de temps de parcours). Cette considération est largement applicable à d’autres métropoles françaises. Au-delà d’une certaine distance-temps, la pérennisation du phénomène n’est plus assurée, les déplacements devenant trop contraignants, coûteux, voire pénibles pour l’usager. En outre il peut y avoir dilution du sentiment d’appartenance à un espace métropolitain devenu trop vaste pour les individus. Cette limite culturelle et sociale à l’extension périurbaine est renforcée dans le cas de la métropole lilloise par des conditions locales spécifiques. L’extension de l’auréole périurbaine lilloise peut apparaître relativement restreinte comparée à d’autres métropoles françaises, comme Toulouse par exemple. En effet, ici, la structure urbaine régionale est tellement dense qu’elle limite naturellement l’extension de l’auréole périurbaine lilloise. Cette dernière est bornée par l’aire d’attractivité d’autres agglomérations de taille comme Lens ou Béthune dans une moindre mesure. Les identités locales sont telles que pour l’instant, les zones d’extension de chaque agglomération, même si elles se touchent, ne se mélangent pas.
43La mise en place de l’aire périurbaine lilloise s’est effectuée selon un principe de diffusion. Le pôle initiateur étant le cœur urbain dense et la périphérie le lieu de réception du processus. Ce modèle ne s’est pas propagé de manière homogène sur l’ensemble de l’aire d’étude. Il existe un gradient d’intensité de relations entre les communes périphériques et le cœur urbain dense qui évolue en fonction de la distance. D’autre part, les relativités liées au lieu, comme l’image, le cadre de vie, la dimension socialisante de l’espace perturbent ce modèle de diffusion.
44Le modèle classique de diffusion à partir d’une aire centrale s’applique à notre aire d’étude, mais des nuances doivent y être apportées. Dans l’ensemble de l’espace périurbain les relations de périphéries à périphéries se développent. De secondaires dans les secteurs préférentiellement polarisés par le cœur urbain dense, elles deviennent dominantes dans le reste de l’aire d’étude et notamment dans les secteurs un peu plus éloignés de l’aire urbaine centrale. Ces déplacements sans recours au centre sont révélateurs de dynamiques nouvelles qui jusqu’alors n’étaient pas ou mal identifiées dans les espaces périurbains. Les populations périurbaines pratiquent et ainsi s’approprient leur espace local de vie qui, mieux identifié, devient leur territoire.
- 4 Parmi les différentes mobilités périurbaines, ce sont pour les mobilités non professionnelles que l (...)
45L’espace métropolitain lillois fonctionne en fait à deux échelles : une échelle métropolitaine et une échelle locale ou interne. À l’échelle métropolitaine, son fonctionnement se fait dans un rapport classique centre/périphérie. Les populations périurbaines ne se sentent pas réellement urbaines, du moins métropolitaines, mais ont le sentiment d’appartenir à un ensemble plus vaste, la métropole, même si elles ne le pratiquent que peu et rarement dans son intégralité. À l’échelle locale, la population se reconnaît dans sa sphère de proximité. La vie s’organise autour de points forts de l’espace périurbain, les pôles secondaires. Ces pôles peuvent être assimilés aux centres de services décrits pour l’espace rural. Cette organisation interne permet aux espaces périurbains d’être autonomes vis-à-vis du cœur urbain dense pour tout un ensemble de services banaux4. Dans la pratique, ces deux échelles de fonctionnement se superposent, ce qui complique la perception de l’organisation des espaces périurbains.
46L’espace périurbain est bel et bien un sous-ensemble du système urbain, au même titre que le cœur urbain dense. L’urbain n’est plus uniquement un espace dense, gris et minéral, mais un ensemble de paysages variés. La densité seule n’explique plus le fait urbain, les critères de l’urbanité étant devenus beaucoup plus complexes. Aujourd’hui, des espaces à caractères ruraux font aussi partie du système urbain. Ce nouveau regard sur ce qu’est devenue la « ville », a permis de mieux positionner les zones périurbaines entre urbain et rural.