Editorial
Texte intégral
- 1 Programme « Politiques territoriales et développement durable » du Ministère de l’Écologie, du Déve (...)
1Espace, Populations, Sociétés a proposé en 1998 un numéro thématique Population et Environnement dans le monde aride, sous la coordination de Daniel Noin et Michel Picouët. Les articles, rédigés par des démographes et des géographes, analysaient les impacts des dégradations de l’environnement sur les populations et les impacts subis par les populations du fait des dégradations de l’environnement. Depuis dix ans, en lien notamment avec les nombreuses interrogations sur l’impact des changements climatiques, la mondialisation et le développement durable, l’intérêt des chercheurs et enseignants-chercheurs en sciences humaines et sociales pour l’analyse des relations entre les populations et l’environnement s’est considérablement développé. Pour répondre à ces questions ou enjeux de société relativement complexes, l’analyse d’une seule dimension de cette relation ou le regard d’une seule discipline scientifique ne sont plus suffisants. Quelques notions ou concepts au contenu polysémique ont permis de renouveler les questionnements, les méthodologies et de proposer des résultats innovants sur les interactions entre populations et environnement. Le risque, la vulnérabilité, la justice environnementale, l’inégalité écologique et l’inégalité environnementale représentent le fil directeur de ces recherches qui apportent, généralement par la mise en œuvre d’une pluridisciplinarité ou interdisciplinarité, des éclairages nouveaux sur les enjeux de société en rapport avec les interactions entre les questions environnementales et sociales. Plusieurs publications récentes ont proposé des synthèses sur les recherches mobilisant ces notions ou concepts [Cornu P., Bauler T., Zaccaï E. (eds.), (2007), Environnement et inégalités sociales, Presses de l’Université de Bruxelles, 214 p. ; Deléage J.-P. (2008), Des inégalités écologiques parmi les hommes, Écologie & Politique, vol. 35, 160 p. ; Donze J. (2007), Le risque :de la recherche à la gestion territorialisée, Géocarrefour, vol. 82, n° 1-2, pp. 3-5 ;Morel V., Deboudt P., Meur-Férec C., Herbert V. et Hellequin A.-P. (2006), Regard rétrospectif sur l’étude des risques en géographie à partir des publications universitaires (1980-2004), L'Information Géographique, vol. 70, pp. 6-24. ; Scarwell H., Roussel I. (2006), Le développement durable, un référentiel pour l’action publique entre attractivité et tensions, Territoires en mouvement, n° 1, pp. 23-33. ; Villalba B., Zaccaï E. (2007), Inégalités écologiques, inégalités sociales : interfaces, interactions, discontinuités ? », Développement durable et territoire, Dossier 9, http://developpementdurable.revues.org]1.
2Ce numéro 2008-1 propose treize articles abordant une diversité de sujets de recherche sur les relations entre les populations et l’environnement : diversité de lieux (Afrique, Union européenne, États-Unis), d’échelles (État, région, commune, quartier) et de points de vue disciplinaire ou pluridisciplinaire (aménagement, démographie, géographie, philosophie, sciences politiques, sociologie, urbanisme). Les deux premiers articles privilégient une approche démographique (dynamiques migratoires) pour analyser les relations entre les populations et l’environnement. Gabriel Tati montre l’impact des migrations internationales sur l’environnement du pays d’accueil à partir d’une catégorie précise de migrants, celle des pêcheurs au Congo-Brazzaville. La vulnérabilité de la société d’accueil est accentuée par la pression démographique, par l’arbitrage difficile des autorités locales et surtout par les conflits avec d’autres groupes d’intérêts dont la perception de l’environnement marin est différente. Dominique Roquet s’intéresse davantage aux causes du déclenchement migratoire dans un pays, le Sénégal, touché par plusieurs décennies de sécheresse. L’accumulation des déficits pluviométriques affecte le couvert végétal et réduit les potentialités agricoles. L’accentuation des contraintes perturbe les systèmes agricoles et pousse la population à quitter la terre. L’auteur dresse le tableau des stratégies mises en œuvre pour faire face au déséquilibre climatique et agro-pastoral. À partir de sources bibliographiques et d’enquêtes lignagères, il décrit notamment les caractéristiques sociales des migrants et les motivations de leur départ. L’article d’Antoine Le Blanc privilégie l’étude de la dimension sociale de la vulnérabilité. La gestion municipale dans les villes italiennes de Noto et d’Assise représente un facteur d’aggravation de la vulnérabilité des populations. L’intérêt patrimonial du centre historique justifie la mise en place d’une politique antisismique plus rigoureuse. Cette gestion différenciée du risque introduit des degrés de vulnérabilité différents dans la ville. Plusieurs articles proposent des réflexions théoriques ou des résultats de recherches mobilisant les concepts de justice environnementale, d’inégalité écologique et d’inégalité environnementale. Ces contributions apportent un éclairage utile car ces notions possèdent un contenu polysémique et sont l’objet de débats entre les différents champs scientifiques mobilisés pour son étude. La justice environnementale a été plus anciennement et plus largement étudiée par les géographes français, notamment en lien avec les recherches sur les villes en Amérique du Nord et latine [Bailly, 1996, Le concept de justice environnementale aux États-Unis, L'Espace géographique, n° 4, pp. 289-292 ; Gorrha-Gobin C. (2006), Justice environnementale et intérêt général aux États-Unis, Annales de la Recherche Urbaine, n° 99, pp. 15-20] ou anglo-saxons [Cutter S. (1995), Race Class and Environmental Justice, Progress in Human Geography, vol. 19 (1), pp. 107-118. ; Rees J. (1991), Equity and Environmental Policy, Geography, vol. 76, pp. 292-303]. La justice environnementale a émergé aux États-Unis dans les années 1980, en lien avec la dénonciation des recouvrements spatiaux entre les formes de discrimination raciale et les contraintes environnementales (exposition à des nuisances, aux pollutions, aux risques naturels ou industriels). Avant d’être un objet de recherche, elle représente un mouvement social et militant (grassroots movement) en lien avec la lutte pour les droits civiques et la dénonciation d’un « racisme environnemental » à l’égard des populations noires ou des minorités principalement exposées aux pollutions industrielles, aux déchets toxiques et aux risques. Les travaux de Robert Bullard, sociologue à l’Université de Californie, ont démontré, d’un point de vue scientifique, les dénonciations de ce mouvement et contribué à la construction de politiques publiques fédérales en lien avec la justice environnementale [Bullard R. D. (1990a), Dumping in Dixie : Race, Class and Environmental Quality, 2000, 3rd Edition, Westview Press ; Bullard R. D. (1990b), Ecological Inequities and the New South: Black Communities Under Siege, Journal of Ethnic Studies, vol. 17 (4), pp. 101-115 ; Bullard R. D., Beverly H. W. (1990), The Quest for Environmental Equity: Mobilizing the African-American Community for Social Change, Society and Natural Resources, (3), pp. 301-311]. L’article de Julie Gobert porte sur la compensation territoriale, un aspect de la notion plus générale de justice environnementale. Cette politique vise à limiter les inégalités environnementales ou plus exactement à les faire accepter par la population résidente socialement défavorisée. L’auteur développe la politique de compensation territoriale à l’aide de l’exemple de l’aéroport de Los Angeles pour en montrer l’évolution et les limites. En Europe, et notamment en France, aucun mouvement social et militant associé à des revendications de justice environnementale, ne s’est développé comme aux États-Unis. C’est très récemment, au début des années 2000, que des travaux scientifiques se sont intéressés aux liens entre la géographie des contraintes environnementales (exposition aux risques, aux pollutions, aux nuisances…) et les caractéristiques socio-économiques et sociologiques des populations. Les inégalités environnementales représentent cet objet de recherche scientifique, non lié à un mouvement social ou revendicatif et associant les problématiques sociales et environnementales. Les principales recherches mobilisant cette notion d’inégalité environnementale se situent en géographie de la santé (liens entre santé, contraintes environnementales et conditions de vie). À l’échelle internationale, les rapports entre inégalités de développement (Nord-Sud) et inégalités écologiques (inégalités de pression, de prélèvement et d’accès aux ressources naturelles) sont présents dans les préoccupations des institutions internationales (PNUE) et des mouvements altermondialistes. L’article de Thomas Heyd suggère une approche originale dans la façon d’appréhender et de limiter les inégalités environnementales créées par le réchauffement global. Face aux changements rapides de la nature, Thomas Heyd défend l’idée d’une recherche de réponses basées sur des pratiques culturelles, moins anthropocentrées et non exclusivement technico-scientifiques. En Grande-Bretagne, les travaux du géographe Gordon Walker ont démontré les liens entre les pollutions industrielles et l’exposition des populations les plus défavorisées à celles-ci [Walker G., Mitchell G., Fairburn J., Smith G. (2005), Industrial pollution and social deprivation: evidence and complexity in evaluating and responding to environmental inequality, Local Environment, vol. 10 (4), pp. 361-377]. À une échelle plus fine, celle de l’agglomération urbaine et du quartier, Abdellah Messahel évoque la politique de « recasements » des populations pauvres aux marges périurbaines de la ville d’Oran. L’inégalité environnementale trouve ici une illustration fréquente. C’est en effet dans les sites les plus contraignants que l’État et les collectivités locales ont installé la population ajoutant à ce nouveau quartier un caractère ségrégatif supplémentaire par rapport au reste de la ville. C. Emélianoff [2005, Connaître ou reconnaître les inégalités environnementales ? Colloque International « Les villes au défi du développement durable : quelle maîtrise de l’étalement urbain et des ségrégations associées ? », 24-25 novembre 2005, Université de Sfax, laboratoire SYFACTE, Université du Maine, laboratoire GREGUM UMR 6590 ESO CNRS] a précisé le sens de la notion d’inégalité écologique en la différenciant de l’inégalité environnementale : « l’inégalité environnementale met ainsi en lumière une inégalité d’exposition et de vulnérabilité vis-à-vis des pollutions, nuisances et autres risques environnementaux cumulée à une inégalité d’accès aux ressources et aménités environnementales renvoyant selon elle à une question de justice distributive. L’inégalité écologique quant à elle ajoute à l’inégalité environnementale l’émission de polluants et plus largement toutes les dégradations causées par l’homme à son environnement naturel (ce que certains appellent les « risques environnementaux »). En d’autres termes, l’inégalité écologique traduirait une vulnérabilité couplée à une dangerosité des populations vis-à-vis de l’environnement. Pour Marianne Chaumel et Stéphane La Branche, inégalités environnementales et inégalités écologiques se différencient nettement, celles-ci faisant partie intégrante de celles-là, ce que d’aucuns pourront contester. Les auteurs insistent aussi sur le lien indissociable entre inégalités écologiques et inégalités sociales et politiques. En France, les espaces urbains et métropolitains sont les terrains de recherche privilégiés pour l’étude des inégalités écologiques à partir d’une approche territoriale. « Les politiques d’attractivité économique et urbaine menées par des agglomérations engagées dans la métropolisation peuvent provoquer des processus de fracture sociale et de dégradation environnementale qui accentuent la vulnérabilité et favorisent la constitution d’inégalités écologiques. Les politiques urbaines mises en œuvre en lien avec le processus de métropolisation peuvent conduire à des effets cumulatifs entre inégalités sociales et écologiques » [Laigle L. (2006), Métropolisation et développement durable, Pouvoirs locaux, vol. 70, n° 3, pp. 33-40]. Les travaux de Lydie Laigle et Vincent Oehler (2004 a, b) ont analysé ces relations dans les métropoles régionales françaises et identifié quatre types d’inégalités écologiques : les inégalités territoriales, les inégalités dans l'accès aux facilités et aménités urbaines, les inégalités dans l'exposition aux risques et nuisances urbaines et les inégalités dans la capacité d'influence sur les politiques environnementales et urbaines. Les inégalités écologiques peuvent désigner selon L. Laigle et V. Oelher [Laigle L., Oehler V. (2004a), “How to integrate social and environmental aspects in housing and urban policies : some experiences from France and Germany”, in Marchettini, Brebbia, Tiezzi, Wadhwa (Eds), The Sustainable City, Urban regeneration and sustainability, WIT PRESS, pp. 443-452 ; Laigle L., Oehler V. (2004b), Les enjeux sociaux et environnementaux du développement urbain : la question des inégalités écologiques, Rapport final pour le PUCA-MELT, Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, Paris, 100 p. (http://desh.cstb.fr/ ; Laigle L. (2005), Les inégalités écologiques de la ville : caractérisation des situations et de l’action publique, Rapport Intermédiaire pour le PUCA – MEDD, Programme « Politiques Territoriales et Développement Durable », 122 p. (http://desh.cstb.fr/)], un cumul de disparités d’accès à la qualité du cadre de vie et d’exposition aux nuisances engendrées par l’expansion urbaine et aux risques, industriels et naturels, elles ne sont pas indépendantes des autres formes d’inégalités sociales (inégalités de revenu, d’emploi, ou de consommation). Les réflexions développées par Guillaume Faburel relèvent d’une problématique proche. Cet auteur explore le rôle des logiques et priorités d’action des politiques publiques dans l’émergence de situations socio-environnementales inégalitaires en ville et identifie les moyens des pouvoirs publics locaux et les capacités d’action individuelle pour lutter contre la vulnérabilité environnementale.
3Plusieurs articles prolongent la réflexion à partir d’études de cas. Deux articles concernent un terrain d’étude situé en Belgique. Joël Dozzi, Moritz Lennert et Grégoire Wallenborn explorent les inégalités environnementales dans l’ensemble du pays en établissant des relations statistiques entre différentes variables socio-économiques. Les auteurs estiment insuffisantes les bases de données statistiques existantes pour traiter correctement cette problématique. Frédéric Dobruzkes analyse le cas d’une catégorie d’inégalités environnementales, celle qui touche la population subissant les nuisances sonores aériennes de l’aéroport de Bruxelles. Il montre que les inégalités environnementales ne reposent pas uniquement sur l’exposition aux nuisances elles-mêmes mais aussi sur la capacité des groupes sociaux à contester et se mobiliser contre celles-ci. L’organisation des quartiers aisés tranche significativement avec celle des quartiers populaires. En région Île-de-France, Guillaume Faburel et Sandrine Gueymard proposent une géographie des inégalités environnementales à l’échelle communale à partir du croisement entre deux typologies environnementales et socio-urbaines. Il existe bien à cette échelle une correspondance entre les caractéristiques sociales et environnementales des territoires (les facteurs environnementaux répulsifs sont plus discriminants que les attractifs). Néanmoins, si une correspondance entre ces caractéristiques est visible à une échelle agrégée, la lecture de ces inégalités par facteur d’environnement nuance le propos. Dans leur analyse d’un quartier de Boulogne-sur-Mer (Nord-Pas-de-Calais), le Chemin Vert, Philippe Deboudt, Valérie Deldrève, Vincent Houillon et Didier Paris montrent que l’accumulation des difficultés sociales ne coexiste pas toujours et parfaitement avec des « désaménités » ou des contraintes environnementales. La construction des inégalités écologiques répond à des processus évolutifs. Dans le contexte géographique d’un territoire littoral, les aménités environnementales représentent un atout pour les politiques de rénovation urbaine et l’atténuation de l’exclusion sociale et de la marginalisation urbaine. Une approche sociologique permet de nuancer l’appropriation des politiques de rénovation urbaine et l’évolution de la relation entre les inégalités écologiques et sociales. Parallèlement à l’échelle territoriale, les recherches sur les inégalités écologiques se réfèrent aussi à l’espace du logement. Sont étudiés les rapports entre les conditions de logement, les caractéristiques socio-économiques des populations et leur relation avec l’environnement. L’accès au logement représente une condition de vie de base dont le coût financier s’est considérablement renchéri ces dernières années et est devenu un facteur important d’inégalité sociale. Les caractéristiques géographiques du lieu du logement, pondérées par des processus de valorisation ou de dévalorisation, qui évoluent dans le temps, sont susceptibles d’accentuer ces inégalités sociales. L’interaction entre le logement et l’environnement revêt deux dimensions complémentaires : d’une part, la qualité « environnementale » du lieu de vie (comportement énergétique, usage des ressources, élimination des déchets) et, d’autre part, la relation entre le lieu de vie et les aménités environnementales. La prise en compte de ces deux dimensions dans l’évaluation de la qualité de l’habitat peut contribuer à renforcer les inégalités sociales liées à l’accès au logement. L’article d'Isolde Devalière se réfère à cette échelle spatiale très fine d’analyse des inégalités environnementale à partir de la notion de précarité énergétique. Se situant à l’échelle du logement et du ménage, elle la met en lien avec la situation sociale, l’état du logement et le coût de l’énergie.
Notes
1 Programme « Politiques territoriales et développement durable » du Ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement Durables (MEDAD) et du Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) ; Programme « Risque, Décision, Territoire » du MEDAD.
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Référence électronique
Philippe Deboudt et Vincent Houillon, « Editorial », Espace populations sociétés [En ligne], 2008/1 | 2008, mis en ligne le 28 novembre 2016, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eps/2333 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/eps.2333
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