Le stockage de l’énergie (1850-2050). Problème de techniciens, concept de technologues, désir de technocrates
Résumés
L’énergie est la colonne vertébrale du capitalisme industriel. La gestion des flux d’approvisionnement et des réserves fossiles structure profondément les économies occidentales depuis le XIXe siècle. Elle fait du stockage de l’énergie un problème spécifique et central de la modernité à travers la construction des temporalités et des espaces contemporains. Cet essai de sciences humaines et sociales analyse de multiples aspects de la régulation sociale, culturelle et écologique en jeu dans le stockage de l’énergie en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord sur la période 1850-2020. Il examine la mise en place d’infrastructures matérielles et de contraintes administratives et la mise en forme de désirs collectifs. et d’imaginaires énergétiques et, ce faisant, documente l’emprise de la technique sur les sociétés contemporaines. L’exploration d’un tel régime technicien s’appuie sur la mise en dialogue interdisciplinaire et contradictoire de professionnels de la technique, techniciens, technocrates et technologues. En montrant combien les sociétés et les mondes de demain (2020-2050) sont déjà en partie fabriqués et organisés par les milieux techniciens et technocratiques d’hier et d’aujourd’hui, elle suggère que la technologie comme réflexion sur les hommes et les techniques en société est un enjeu politique fondamental dans la perspective d’une réappropriation populaire du temps présent.
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Mots-clés :
histoire des techniques, histoire de l’énergie, modernité occidentale, régime technicien, imaginaire technologiqueKeywords:
history of technology, technology, history of energy, Western modernity, technician regime, technological imaginaryRubriques :
Positions de thèseTexte intégral
Thèse : références bibliographiques
Pierre TEISSIER, Le stockage de l’énergie (1850-2050). Problème de techniciens, concept de technologues, désir de technocrates, Habilitation à diriger des recherches en épistémologie, histoire des sciences et des techniques, Université de Technologie de Belfort-Montbéliard (France), soutenue le 26 juin 2023, un volume de texte (434 p.)
Garant HDR
LAMARD, Pierre, Professeur, Université de Technologie de Belfort-Montbéliard
Jury :
ARNOUX, Mathieu, Professeur, Université Paris Diderot
BENSAUDE-VINCENT, Bernadette, Professeur, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
CLECIO MOCELLIN, Ronei, Professeur, Université Fédérale du Paraná (Brésil)
GARÇON, Anne-Françoise, Professeur, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
GUCHET, Xavier, Professeur, Université de Technologie de Compiègne
MATHIS, Charles-François, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
PÉRA, Marie-Cécile, Professeur, Université de Franche-Comté
- 1 Ce texte n’est pas une retranscription littérale de la soutenance qui n’a pas été enregistrée. Il e (...)
1Mesdames et messieurs les membres du jury, je vous remercie d’avoir accepté d’évaluer cette habilitation à diriger des recherches intitulée Le stockage de l’énergie (1850-2050). Problème de techniciens, concept de technologues, désir de technocrates. Ma présentation développera trois points : tout d’abord l’idée de départ, comment je suis arrivé au sujet ; puis la méthode pour construire ce mémoire original ; enfin, les principaux résultats du mémoire1.
2Le point de départ, si l’on veut, est le croisement de deux interrogations. La première tourne autour d’une envie de comprendre les sociétés industrielles capitalistes de l’époque contemporaine, depuis le XIXe siècle, à travers le prisme des techniques ; donc essayer de rentrer dans ces sociétés occidentales par la spécificité technique : les formes et les rythmes de la technique, sans oublier ce qu’on retrouvera un plus tard dans le manuscrit la question du rapport entre le corps humain et la technique, entre les groupes sociaux et la technique ; c’est-à-dire la technique comme expérience vécue du monde. On retrouve là le triptyque d’Henri Lefebvre entre espace conçu (infrastructures), espace perçu (imaginaires) et espace vécu (quotidiens). Ça, c’était la première envie, si l’on peut dire.
3La deuxième interrogation est basée sur des travaux que j’ai effectués depuis ma thèse de doctorat sur l’histoire de la chimie [2004-2007], en particulier l’histoire de la chimie du solide, sous la direction de Bernadette Bensaude-Vincent. Elle interroge l’existence sociale d’objets qualifiés de « techno-scientifiques » parce qu’ils s’inscrivent dans une théorie scientifique relativement subtile et qu’ils ont une fonction opératoire en société. J’en citerais trois, qui sont importants dans ma démarche : d’abord, les batteries développées par l’entreprise Ford dans les années 1960 pour fabriquer des voitures électriques, conduisant aux batteries lithium-ion aujourd’hui utilisées dans les appareils électroniques portatifs. Ensuite, le deuxième objet est quasiment une machine : la pile à combustible dont on parle beaucoup en ce moment à propos des mondes hydrogène, mais dont le premier fait glorieux a été la conquête de l’espace (lunaire) par la mission Apollo. Lorsque, durant la guerre froide, la NASA veut envoyer un vol habité sur la Lune dans les années 1960, la pile à combustible est choisie pour générer l’électricité dans les navettes spatiales Apollo.
4Enfin, le troisième objet qui me tient à cœur et qui, d’une certaine manière, se distingue des deux autres, c’est le mur solaire Trombe. Ce dispositif sert à chauffer des bâtiments, notamment des maisons en hiver et en montagne. Il a été développé par le chimiste Félix Trombe et son équipe à partir des années 1950 à travers des principes thermodynamiques assez simples, dont l’effet de serre. L’air touché par les rayons du soleil à travers une vitre chauffe directement l’intérieur des maisons par convection et réchauffe également des murs en béton, qui rayonnent ensuite la chaleur emmagasinée durant le jour, de manière décalée pendant la nuit. On peut ainsi atteindre une température agréable à l’intérieur des bâtiments sans passage par l’électricité. Ces trois objets techno-scientifiques représentent des modes de stockage d’énergie différents : électro-chimique pour la batterie ; chimique pour la pile à combustible à travers l’hydrogène ; thermique pour le mur solaire Trombe. Ils présentent également trois fonctions différentes : propulsion électrique pour la première ; génération d’électricité pour la seconde ; climatisation pour la troisième. Ces trois objets s’inscrivent aussi dans des enjeux politiques et économiques très différents : l’industrie automobile pour les batteries ; la guerre froide et le militaire pour les piles à combustible ; l’environnement pour le mur Trombe.
5Ces trois dispositifs de stockage et l’interrogation générale sur la modernité technicienne m’ont conduit à l’histoire de l’énergie, à la croisée des fonctions sociales et des propriétés matérielles de l’énergie. L’énergie est un phénomène spécifique parce qu’elle recouvre un processus de transformation entre chaleur et travail – on parle de conversion de chaleur en travail – dont la théorie scientifique a été formalisée au milieu du XIXe siècle. La thermodynamique s’appuie alors sur un principe de conservation (de l’énergie) et un principe d’évolution (de l’entropie ou désordre). Alors que l’historiographie de l’énergie est fort riche et diverse, le problème du stockage de l’énergie est peu étudié jusqu’à présent, en partie parce qu’il recouvre une multiplicité de formes sociales et matérielles. On peut penser à la nourriture des animaux et des humains, aux gisements d’hydrocarbures et d’uranium, aux barrages de montagnes également, qui sont autant de réserves d’énergie.
6Ce polymorphisme du stockage de l’énergie en fait, à mon avis, un « fait social total » au sens de Marcel Mauss, c’est-à-dire un phénomène transversal aux sociétés industrielles capitalistes. Le problème est récurrent dans le temps, distribué dans l’espace et relativement irrésolu dans les sociétés industrielles contemporaines. Les pratiques industrielles de stockage peuvent ainsi rapprochées, et distinguées sur le temps long de l’histoire, des usages de l’énergie des premiers États néolithiques étudiés par James Scott, ou encore des sociétés médiévales que connaît bien Mathieu Arnoux. La conjonction de ces deux intérêts – l’appréhension des sociétés industrielles capitalistes ainsi que les modalités et fonctionnalités de la mise en magasin de l’énergie – m’a mené à cette interrogation générale relative à la manière dont la technique contemporaine construit des mondes, organise des sociétés et fabrique des espaces-temps habités.
7Deuxième point de ma présentation : j’en viens aux méthodes. La modernité technicienne a été étudiée par de nombreux auteurs sous différents angles de vue. On peut citer la force de la technique pour forger des valeurs : l’efficacité, la nature comme ressource, etc. Martin Heidegger parle d’un « arraisonnement de la nature » par exemple pour dire que, d’une part, la nature est transformée par la science moderne en complexe mesurable et calculable et, d’autre part, elle est prise d’assaut, exploitée, arraisonnée par l’industrie capitaliste. Mais la technique fabrique aussi des formes sociales, des morphologies sociales. On ne peut pas ignorer l’importance du réseau dans les sociétés contemporaines : réseaux de transport, de communication, réseaux sociaux plus récemment, mais aussi réseaux d’énergie. Thomas Hughes et Bertrand Gille sont ici des auteurs incontournables. La technique façonne aussi les temps. La technique comme rythme : ici, on peut penser, avec François Hartog ou Harmut Rosa, à la technique comme outil d’accélération des temps sociaux.
8À partir de ces héritages, très variés, j’ai voulu forger un nouveau concept que j’appelle « le régime technicien ». Cette notion recouvre un ensemble de régulations, de contraintes, mais aussi de désirs, structurés par les objets, les dispositifs et les infrastructures techniques, et s’exerçant sur le corps social et sur le corps humain de manière plus ou moins inconsciente. C’est une notion difficile à observer directement – on pourrait la comparer à l’« habitus » de Pierre Bourdieu, inobservable mais dont les symptômes sont bien identifiables et saisissables – l’un des symptômes du régime technicien, il me semble, c’est l’expansion et l’adoption très rapides du smartphone par exemple dans les sociétés du temps présent, qui s’inscrivent dans une longue habituation des populations industrialisées aux objets techniques. Dans cette perspective, j’ai été favorablement marqué par la réflexion philosophique de Daniel Cérézuelle sur les relations entre « la technique et la chair ».
9Comme la notion de régime technicien recouvre des phénomènes collectifs mais difficiles à saisir parce qu’en partie inconscients, comment peut-on l’étudier ? J’ai fait le pari de prendre les professionnels de la technique comme guides, à travers leurs discours et leurs pratiques, pour comprendre comment se structurent et fonctionnent les régimes techniciens. J’ai sélectionné trois catégories a priori : technicien, technocrate, technologue. Les techniciens sont des opérateurs, des transformateurs du monde physique. Les technocrates, forts de leur expertise technique, en viennent à organiser des populations entières, c’est un mode de gouvernement très répandu en « démocratie technique ». Les technologues enfin, par leurs discours, analysent les sociétés contemporaines à l’aune des techniques. Ces catégories recouvrent trois aspects fondamentaux des techniques dans les sociétés humaines : opération, organisation, discours. Elles ne sont pas pour autant des catégories empiriques strictes.
10Le dialogue constructif et amical que j’ai développé avec Pierre Lamard durant toute l’HDR m’a permis de clarifier l’ambiguïté historiographique et de préciser ma méthode d’investigation. Les trois catégories – technicien, technocrate, technologue – sont bien des outils méthodologiques pour mettre en perspective une réalité complexe, non une typologie d’acteurs stables sur l’époque contemporaine. Elles forment la base du dialogue que je cherche à susciter, dans le mémoire d’HDR, entre techniciens, technocrates et technologues : une sorte de dialogue interprofessionnel et interdisciplinaire entre sciences de l’homme et sciences de l’ingénieur, traversant également la cité à travers l’articulation des savoirs, des savoir-faire et des pouvoirs. À ce sujet, j’ai pu apprécier l’intérêt de prendre « technologie » dans le sens fort d’une « science humaine », comme le proposait Georges Haudricourt à partir des années 1950 et comme le mettent aujourd’hui en pratique les enseignants-chercheurs en humanités des universités de technologie. Je citerais là encore Pierre Lamard, à Belfort, ainsi que Xavier Guchet, à Compiègne, dont les réflexions historiques et philosophiques m’ont stimulé dans l’appréhension des « démocraties techniques ». La focalisation sur les professionnels de la technique révèle ainsi plusieurs facettes du régime technicien.
11J’ai complété le corpus par trois ensembles de bibliographie. J’ai utilisé des cas d’études menés seul ou avec des camarades de recherche depuis une dizaine d’années. Je me suis ensuite autorisé une exploration « indisciplinée » des sciences humaines et sociales en empruntant indistinctement à l’histoire, la philosophie, la sociologie, l’anthropologie, l’économie et la géographie, sans me positionner dans un cadre disciplinaire strict ou dans une école de pensée particulière. Le dernier élément du corpus est la littérature qui me semble fondamentale pour deux raisons : l’écrivain comme témoin de son époque – et en cela il rend compte du point de vue des usagers – mais également l’auteur de littérature comme critique de son époque – et en cela il dégage des perspectives et des alternatives d’interprétation.
12L’application de la méthode que je viens d’exposer – la composition d’un corpus pluriel et l’approche interdisciplinaire – m’a permis d’établir cinq principaux résultats, qui sont de plusieurs ordres. Premièrement, l’ambition historiographique dont j’ai déjà parlé : la proposition d’un concept nouveau, de « régime technicien », exposé dans le premier chapitre de l’habilitation à diriger des recherches. Le régime technicien articule plusieurs concepts déjà existants : le « système technicien » de Jacques Ellul ; le système socio-technique de Bertrand Gille et Thomas Hughes ; les « modes d’existence » des objets techniques d’Étienne Souriau, Gilbert Simondon et Bruno Latour ; les « espaces énergétiques » que l’on doit aux géographes essentiellement ; des schèmes techniciens qui sont là utilisés plutôt par des philosophes ; le concept de « nébuleuse innovante » que l’on doit à Anne-Françoise Garçon. J’ai également caractérisé le régime technicien en utilisant deux concepts, que j’avais développés avec deux collègues proches : les « sacs de nœuds » avec Anaël Marrec ; les « rivages et horizons techniques » avec Ronei Clecio Mocellin. En somme, ce qui m’intéresse à travers le régime technicien, c’est la question de la réalisation historique : comment les choses adviennent et prennent place dans le processus historique ou, au contraire, disparaissent sans laisser de traces ?
13Le deuxième niveau de résultat est un essai de démonstration de la validité du régime technicien à travers le cas de l’énergie et, plus particulièrement, du stockage de l’énergie. La démonstration est déployée selon cinq chapitres. Le chapitre 2 pose une typologie des temps, des espaces et des fonctions du stockage de l’énergie sur la période 1850-2020. Cette ossature est complétée par quatre chapitres montrant la mise en place du régime technicien de manière chronologique et thématique. Le chapitre 3 aborde la question des imaginaires techniciens stratifiés sur un temps long dont hérite la période contemporaine : imaginaires de la technique, imaginaires de l’énergie, l’énergie en magasin, mais également l’énergie comme anxiété collective. Je pense notamment aux problèmes de pénuries d’énergie, analysés par Charles-François Mathis dans son travail sur l’économie du charbon dans l’Angleterre victorienne. Deuxième structuration du régime technicien, la question des espaces énergétiques. Le chapitre 4 traite, en particulier, la construction des voisinages électriques au début du XXe siècle, par le déploiement de lieux, de réseaux et d’échelles de l’électricité et leurs interconnexions. On voit se mettre en place un couplage entre les centrales électriques aux charbons et les barrages hydroélectriques des montagnes – couplage entre houille noire et houille blanche – comme compléments de production énergétique et de stockage de puissance.
14Troisième niveau : les schèmes techniciens, que j’analyse dans le chapitre 5, sont autant de manières de faire, d’être et de penser le monde, portés et exportés par le milieu technicien au cours du XXe siècle. Ils se propagent ensuite, par capillarité sociale facilitée par la puissance technicienne, au reste de la société industrielle capitaliste. J’en identifie trois : la cosmologie des flux et des stocks ; la régulation des temps, passé, présent et futur ; la porosité des frontières entre nature et culture. Ces trois schèmes tournent autour du totem qu’on pourrait appeler l’« énergétisme » pour expliquer l’organisation des mondes contemporains. La dernière mise en œuvre empirique du régime technicien concerne le cas actuel de l’hydrogène. Dans le chapitre 6, je reprends les différents éléments du régime technicien – imaginaires, espaces, schèmes – pour montrer comment la technique fait monde, construit des mondes, habitables et peut-être habités dans le futur. Les mondes hydrogène se construisent à partir d’héritages du capitalisme industriel et du régime technicien, déploient des modes d’habitation, et requièrent, peut-être, des ruptures avec les tendances lourdes qui structurent les sociétés contemporaines depuis les débuts de l’industrialisation.
15Le troisième niveau de résultat concerne ce que j’appelle des analogies structurelles. Le stockage de l’énergie permet de jeter des ponts entre des époques et des domaines économiques différents. À une époque donnée par exemple, je fais un parallèle entre le déploiement de la chaîne du froid pour la conservation alimentaire et celle des réseaux électriques dans la France des années 1920. Mais on peut aussi retenir des similitudes entre des époques différentes. Les débats d’économie politique du début du XXe siècle, entre Charles Gide, M. Audebrand, Bernard Brunhes et Émile Cardot, au sujet de la houille noire et blanche, présentent des similitudes avec les controverses écologiques du temps présent. Il est frappant aussi de voir comme l’électricité joue un rôle de vecteur énergétique fondamental – pour ne pas dire universel – tout au long du XXe siècle. Il y a des éléments de similitude très forts entre l’électricité au XXe siècle et l’hydrogène au XXIe siècle, notamment la manière dont certains acteurs de l’hydrogène voudraient lui faire jouer un rôle de vecteur universel d’énergie pour les sociétés futures. Enfin, l’interconnexion des espaces interrégionaux de l’électricité dans la France des années 1920 fait écho à la construction économique et politique du réseau transnational de l’électricité dans l’Europe des années 1990. Le problème du stockage de l’énergie permet de jeter des ponts entre sociétés et époques en identifiant des analogies structurelles pertinentes.
16Quatrième type de résultat, ce sont les débats épistémologiques que j’engage et que je propose au sein des sciences humaines et sociales, et entre les sciences de l’homme et les sciences de l’ingénieur. Il y a là toute une réflexion épistémologique à poursuivre sur le rôle et la validité des analogies dans la construction des savoirs et dans l’administration de la preuve. Je pense, en particulier, à un certain nombre d’analogies relevant de « l’énergétisme » et de ce que Georges Basalla a appelé « l’équation énergie-civilisation ». Ici, le témoignage des acteurs du temps présent, comme Marie-Cécile Péra, est primordial pour comprendre l’organisation du « système de systèmes » qu’est le monde hydrogène. Il dit les doutes et les incertitudes, voire les critiques des techniciens eux-mêmes, vis-à-vis des sociétés futures en construction à travers les dispositifs techniques.
17Ces interrogations et doutes épistémologiques nous mènent finalement au cinquième niveau de conclusion : la discussion qu’il me semble important de susciter en termes de responsabilité collective et de décisions politiques à prendre pour les sociétés de demain. Les professionnels de la technique (et de la politique), en construisant et organisant les mondes contemporains, structurent les vies des populations sans que soient menés de réels débats démocratiques sur les manières de vivre dans les mondes d’aujourd’hui et de demain. La modalité de régulation par les techniciens et technocrates d’un système socio-technique existant est tout à fait différente d’un problème social posé et débattu de manière collective et contradictoire, puis décidé de manière démocratique. Il y a des dissonances importantes, notamment en termes qualitatifs, sur la formulation des problèmes de société et des solutions pour y remédier. Il me semble important de s’interroger sur la manière dont le stockage de l’énergie, en organisant les sociétés contemporaines, pose, ou devrait poser, un certain nombre de débats de société dans nos démocraties techniques. Il est temps de prendre sérieusement en compte les effets du régime technicien, à travers le déploiement d’infrastructures et d’imaginaires dominants, sur l’expérience collective du monde, d’hier à aujourd’hui, et de réfléchir à la manière dont les sociétés contemporaines pourraient se réinventer en rompant avec la modernité technicienne et en imaginant d’autres mondes habitables pour demain.
18Je vous remercie pour votre attention et je suis maintenant tout à fait heureux de pouvoir dialoguer avec vous.
Notes
1 Ce texte n’est pas une retranscription littérale de la soutenance qui n’a pas été enregistrée. Il est une retranscription a posteriori d’un enregistrement préparatoire de la soutenance d’une durée de 21 minutes, lissée et complétée par des prises de notes avant et durant la soutenance. Il reste très proche sur la forme et le fond de ce qui a été prononcé le 26 juin 2023 avant la discussion avec les membres du jury.
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Référence électronique
Pierre Teissier, « Le stockage de l’énergie (1850-2050). Problème de techniciens, concept de technologues, désir de technocrates », e-Phaïstos [En ligne], XII-2 | 2024, mis en ligne le 26 novembre 2024, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ephaistos/13363 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12rzi
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