1La commune de Machecoul, dans le département de Loire-Atlantique (44), possède toujours une corderie du nom de Plantive.
2Aujourd’hui devenue écomusée, cette ancienne fabrique a fourni pendant un peu moins d’un siècle des cordes et des ficelles à Machecoul et ses alentours. D’abord à destination des agriculteurs, la production s’est diversifiée au fil des évolutions techniques du XXe siècle et des héritiers de la famille Galard-Plantive qui sont succédé à la tête de l’entreprise.
- 1 La mise en valeur de la corderie Plantive ne constitue pas une première en France. Elle a été précé (...)
3Cet article propose de revenir sur l’histoire de la corderie Plantive, mais également sur la façon dont cette dernière a su se réinventer1. L’écomusée, qui a remplacé les ouvriers dans l’ancien atelier, se décline désormais sous une nouvelle forme de médiation historique : un documentaire produit par trois étudiants et étudiantes du Master Histoire publique de Nantes, en partenariat avec la corderie Plantive. C'est un moyen de se renouveler et de toucher un public plus large, notamment lors des diffusions, mais également à partir de YouTube où le documentaire est visible.
4L’écomusée situé à Machecoul (44) est le résultat du réinvestissement d’une ancienne fabrique de cordes active durant la majeure partie du XXe siècle. S’entremêlent différents thèmes et sujets que nous tâcherons d’expliciter. De la première fabrique de cordes sur la place du champ de Foire du village à une organisation patronale rodée, en passant par le métier de cordier en lui-même, la corderie Plantive nous permet d’aborder un large panorama.
Fig.1. Vue intérieure de la corderie Plantive, Machecoul (44)
Cette vue intérieure de la corderie rend compte de la longueur de l’atelier (50m).
Photo Quentin RAYNAL, Océane SIMON-CHAVIN, Laura LAILLER
5Il a semblé essentiel ici de replacer notre objet d’étude que fut la corderie dite Plantive de Machecoul dans un cadre historique. Celui-ci est à la fois centré sur l’histoire propre de cet atelier, mais aussi sur le contexte mouvementé qu’a pu connaître le XXe siècle rural français.
- 2 L’atelier se situe 4 bis, rue des Marais à Machecoul-Saint-Même, 44270. Le site de l’écomusée de la (...)
6Le bâtiment actuel de la corderie naît de la volonté de Jean-Marie Galard2. Ce dernier commence à travailler en 1862, à Nantes, dès l’âge de 13 ans. Il quitte l’entreprise qui l’emploie en 1865 afin de débuter un tour de France pour apprendre toutes les ficelles du métier de cordier. Après avoir été ouvrier dans différentes entreprises de Loire-Inférieure, désormais Loire-Atlantique, il choisit, en 1887, de s'installer à Machecoul, dans une maison qui donne sur la place du Champ de Foire.
7Jean-Marie Galard, accompagné de son épouse, travaille à la porte de son domicile ; il profite de toute la place que lui offre l’espace urbain situé devant sa maison pour produire des cordes de tous les calibres. Néanmoins, la contrainte du mauvais temps pousse la famille à acheter en 1899 un terrain afin d’y bâtir un futur bâtiment pour la corderie. Jean-Marie Galard choisit d’investir un terrain en longueur, un préalable indispensable pour l’artisanat qu’il souhaite mettre en œuvre. Un autre facteur vient peser lourd dans la balance : le terrain est accolé à la ligne de chemin de fer desservant le village. Le train, arrivé à Machecoul en 1876, a été l’un des éléments clés pour l’installation de diverses entreprises dans cette commune, et la corderie ne fait pas exception. Le contexte est donc propice. Machecoul connaît un fort développement durant toute la seconde moitié du XIXe siècle. L’activité de ficellerie est quant à elle déclarée le 1er janvier 1900. Pendant vingt ans, les époux Galard rejoints par leur fille Marguerite travaillent à la corderie.
8En 1911, Marguerite Galard épouse Louis Eugène Plantive (père) ; l’affaire fonctionne parfaitement. Mais les parents Galard ainsi que Louis Plantive père décèdent. Marguerite reprend l’affaire seule pendant neuf ans, par nécessité et avec un enfant à élever. Celui-ci, nommé Louis Plantive fils, part contre son gré à 14 ans en apprentissage, à Rezé près de Nantes (44), pour s’initier au métier de cordier. Il revient plus tard pour travailler avec sa mère à la corderie.
Fig.2. Pochoir de la Corderie
Plaque en métal utilisée pour personnaliser les paquets de cordes. Elle témoigne de l’importance jouée par les femmes, en particulier les veuves, dans la continuité des entreprises locales. Un rôle sous-estimé, pour ne pas dire méconnu, par l’historiographie (ndr).
Cliché Quentin Raynal, Océane Simon-Chauvin, Laura Lailler
9Louis reprend l’atelier dans les années 1930, pour tenir l’affaire d’une main de maître et accentuer sa prospérité. Il l’a également modernisé grâce à l’achat de nouvelles machines, que nous détaillerons dans une autre partie. Concernant la clientèle, nous savons qu’entre 1937 et 1939, les principaux acheteurs de cordes sont des bourreliers, des voiliers, des marchands forains, voire des particuliers. Durant la Seconde Guerre mondiale, Machecoul est quelque peu à l’arrêt. La ville est occupée et un siège de la Kommandantur y est installé. Louis Plantive travaille à l’hôpital militaire implanté à Machecoul où il rencontre le père de Jean-Noël Fortineau, personnage essentiel de notre documentaire que nous mentionnerons en seconde partie de notre développement.
10Après la guerre, la corderie connaît un renouveau. En 1946, le bâtiment est agrandi et le processus de production modernisé. Les années 1950 sont marquées par l’apparition des fibres synthétiques, telles que le polypropylène, le polyéthylène ou le nylon ; ces dernières s’imposent aux dépens des fibres naturelles. En parallèle à l'atelier, la boutique implantée au Champ de Foire de Machecoul connaît une période de prospérité. La femme de Louis Plantive, Bernadette, a la responsabilité de vendre les produits issus de la corderie.
11Contrairement à ce que l’imaginaire collectif pourrait croire, des entreprises à taille humaine telle que la corderie Plantive étaient intégrées dans des réseaux étendus, à l’échelle nationale, voire internationale. Le contexte dans lequel s'intègre l’entreprise l’oblige, d’une certaine façon, à diversifier sa production et créer des relations commerciales plus larges. Dans les années 1950 et 1960, l’organisation du patronat nécessite une intégration rapide dans les réseaux professionnels. Bien qu’ils s’agissent d’entreprises de petite taille, il est important pour leur prospérité qu’elles visent au-delà de l’échelle locale.
12Les lieux que Louis Plantive, le dernier cordier, côtoient durant son apprentissage lui ont certainement permis de constituer un réseau professionnel solide. L’école est un levier d’intégration puissant dont les effets perdurent même après la fin des études. Ces effets se ressentent tout au long des carrières des patrons comme celle de Louis Plantive. La logique des marchés locaux permet de limiter la concurrence entre les différents producteurs. Néanmoins, cela ne les empêche pas de s’associer techniquement afin de faire perdurer leurs entreprises et d’en élargir les horizons.
13Nous avons eu la preuve de cette organisation particulière lorsque nous avons trouvé des clichés d’un dîner mondain (fig.2). Sur ces derniers, Louis Plantive était entouré de ce que nous avons supposé être des négociants et patrons d’entreprises similaires à la sienne. Cette découverte parmi les archives familiales nous a poussé à approfondir ce sujet. Durant ces dîners, Louis Plantive a pu parler des récentes innovations de machines ou encore négocier pour obtenir l’une d’entre elles. La présence à la corderie Plantive de structures techniques pour fabriquer des cordes vient appuyer cet argument abordé dans le documentaire. L’achat de pareilles machines constitue une réponse au contexte d’évolution technique qui s’est opérée à partir des années 1950. On constate également le développement d’une économie de grande consommation et l’apparition de nouvelles fibres sur le marché de la corde. Ces transformations amènent inévitablement les patrons de petites entreprises tel que Louis Plantive à s’adapter, et donc à s’intégrer à des réseaux plus importants.
Fig.3. Les entrepreneurs et négociants de la corderie en banquet
Les banquets étaient des lieux majeurs pour la constitution et l’entretien des réseaux entrepreneuriaux de l’époque. La photo, sans doute prise entre le milieu des années 1950 et le début des années 1960, témoigne de l’insertion de l’entreprise Plantive dans le réseau national des cordiers.
Sources : archives de la famille Plantive. Cliché : Océane Simon-Chauvin
14Tous ces éléments nous ont permis de percevoir la corderie Plantive sous un autre angle. Elle n’est pas seulement une entreprise locale de fabrication de cordes, mais aussi un établissement intégré à un réseau large et dense de contacts.
15À la fin des Trente Glorieuses, le monde rural connaît un véritable appauvrissement. L’industrialisation massive des campagnes a entraîné une mécanisation et motorisation de l’agriculture. Ces avancées ont provoqué une baisse des besoins en main d’œuvre, mais aussi un recul du travail manuel. Ce cercle de causes à effets s’est manifesté à la corderie par la diversification de la production de Louis Plantive : cordes pour le loisir, cordes à nœuds, cordes lisses et trapèzes. Pour l’artisanat de la corde, ce changement de cap s’explique par une résistance accrue des cordages ainsi que par leur longévité d’utilisation, le tout rendu possible par l’emploi des fibres synthétiques. Commence alors une période de déclin pour cette corderie artisanale, qui tente, tant bien que mal, de résister aux grandes évolutions économiques et sociales.
16La corderie ferme définitivement ses portes en 1983, mais Louis Plantive continue à fabriquer des cordes pour ses proches clients jusqu’à sa mort en 1996.
17Le cordier est défini selon le CNRTL comme étant « celui, celle qui fabrique et/ou vend des cordes3 ». Un cordier fabrique donc des cordages qui sont, d’après l’article « cordage » du Dictionnaire de Marine à voiles :
« la réunion par tortillement ou le commettage et dans une longueur voulue d’éléments tels que des fils carets et torons dont la matière première consiste en fibre de chanvre » (Bonnefoux, 1848 :228).
18L’Encyclopédie de Diderot précise, à l’article Corderie :
« on commence par ourdir les fils, dont on fait trois faisceaux ou longis, que l’on tord ensuite pour en faire les torons, & enfin on commet ces torons pour en faire des cordages » (t. 4, 1751 : 215-238)4
19Dans le développement qui vient, nous allons revenir sur ces définitions, tout d’abord en faisant un retour historique sur cette profession, pour ensuite traiter d’éléments inhérents au métier de cordier.
Fig.4. Ce qu’était une corderie de marine au XVIIIe siècle
Cette planche de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert donne à voir une corderie liée à un arsenal de la marine royale. Le bâtiment mesurait 200 toises de long sur 8 toises de large, soit 390m de long sur 15,5 mètres de large. Cette longueur était indispensable pour fabriquer les divers cordages et aussières des vaisseaux de la marine royale. L’accent est mis sur les divers gestes des cordiers, et leurs instruments principaux, le rouet, pour l’obtention du fil et le toupin, pour le commettage.
Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Planches, t. 3, par une société de gens de lettres. Mis en ordre & publié par M. Diderot..., & quant à la partie mathématique, par M. d'Alembert. URL : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark :/12148/bpt6k321849m
20Il est important de prendre conscience que les cordiers existent depuis dès la Préhistoire. Effectivement, les premières traces attestées de cordes ont été découvertes à Saint-Martin d’Ardèche (07), dans le site de l’abri du Maras, un lieu connu des préhistoriens pour avoir été fréquenté par l’homme de Néandertal, il y a 90 000 ans. En analysant les artéfacts présents sur site, l’anthropologue Bruce Hardy et ses collègues ont découvert un fragment de corde, dont l’élaboration montrait qu’elle était nécessairement le résultat d’une action humaine. Les cordes servaient alors pour la chasse, le piégeage, la construction d’habitats et le transport d'objets. A l’époque antique, elles ont joué un grand rôle dans la construction des pyramides égyptiennes. Les cordes faites en fibres de palmier, lin, herbe, papyrus, cuir ou laine, servaient au déplacement des blocs de pierre nécessaires pour ériger les monumentales bâtisses d’Égypte. Les cordes, cordages et ficelles étaient utilisées dans le quotidien des sociétés anciennes, autant pour la musique ou la guerre que pour les activités triviales.
- 5 « Une corde, explique encore l’Encyclopédie, est un composé long, cylindrique, plus ou moins flexib (...)
- 6 Le toronnage consiste à tordre les faisceaux de fils qui ont été ourdis pour constituer le cordage, (...)
21C’est au XIIIe siècle qu’on trouve trace en France d’une corporation des cordiers. Un réel perfectionnement de la technique permet de confectionner des cordes bien plus longues qu’auparavant. Elles furent fabriquées à la main jusqu’à la création d’une machine à tresser au XVIIIe siècle. Néanmoins, la façon de procéder n’a pas sensiblement évolué5. À regarder l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (fig.3), le toronnage6 de l’époque moderne est identique à celui pratiqué par Jean-Noël Fortineau, ancien ouvrier de la corderie, lors de ses démonstrations de fabrication de corde à l’écomusée.
22Le commettage de la corde, explique Jean-Noël Fortineau, c’est-à-dire le tressage des fils entre eux, est précédé de deux étapes, le peignage et la production du fil. Les fibres naturelles sont trempées puis peignées sur un séran, qui est une sorte de peigne en métal. Les fils sont quant à eux obtenus sur un rouet (fig.4)
Fig.5. Le rouet
Le rouet permet de créer le fil de caret. (filage des fibres végétales) ou de tresser des cordes.
Cliché Quentin Raynal, Océane Simon-Chauvin, Laura Lailler
23Les fils pouvaient être faits de deux façons : à la quenouille ou à la ceinture. Cette tâche, effectuée avec des fils secs, permet d’avoir des fils de caret (fig.5).
Fig.6. Fil de caret sur une bobine
Cliché Quentin Raynal, Océane Simon-Chauvin, Laura Lailler
24Une fois atteinte la longueur désirée, les fils sont enroulés sur un touret, et soumis au toronnage (fig.6).
Fig.7. Toronnage des fils de caret
Cliché Quentin Raynal, Océane Simon-Chauvin, Laura Lailler
25Vient alors le commettage, étape clé de la fabrication (fig.7) :
« quatre fils déroulés du touret puis noués ensemble d’une part à un crochet : l’émerillon et d’autre part fixé aux crochets du métier à commettre. Cette mise en place des fils est ce que l’on appelle ourdir la corde. Il fallait ensuite positionner le toupin entre les fils, un objet en forme de cône tronqué à encoches (une par fil). La machine est ensuite mise en mouvement ; les fils s’entortillent. Le toupin est déplacé vers l’extrémité de la machine au fur et à mesure que la corde se forme »7.
Fig.8. Le commettage d’une corde
- 8 Voici la définition qu’en donne Goussier dans l’Encyclopédie : « morceau de bois tourné en forme de (...)
Démonstration de commettage (tressage des fils) manuel à l’aide d’un « toupin8 », que le cordier tient dans sa main, un cône muni d’enchoches (une par fil), dans lesquelles on positionnait les fils.
Cliché Quentin Raynal, Océane Simon-Chauvin, Laura Lailler
- 9 L’épissure est l’assemblage de deux cordages ou de deux brins d’un cordage pour former une boucle p (...)
26Les deux dernières étapes de finition que sont la réalisation des épissures9 (fig.8) ainsi que l’encollage permettent de sécuriser les cordes et de leur donner une plus grande longévité. Les épissures constituent l’extrémité de la corde. Elles peuvent être confectionnées différemment selon l’usage qui en sera fait. Pour finir, l’encollage rend inaltérable le cordage, sensible à l’humidité. Les fils de caret étaient d’abord encollés, ce qui correspond à l’apprêt, pour ensuite enduire la corde. Différentes colles pouvaient être utilisées comme la colle de peau de lapin, ou encore la colle à tapisserie, moins onéreuse.
Fig.9. Épissure
Dernière étape de la confection de la corde : l’épissure. La machine à commettre est visible en arrière-plan avec les crochets de la toronneuse.
Cliché Quentin Raynal, Océane Simon-Chauvin, Laura Lailler
27N'omettons pas ici la diversité des fibres utilisées. Il s’agissait bien souvent de chanvre, mais aussi de sisal (à base d’agave), de jute et, par la suite, de polypropylène, polyéthylène ou de nylon. Si nous prenons le cas de la corderie de Machecoul, celle-ci se fournissait en chanvre auprès de l’entreprise Bessonneau, installée à Angers (49).
28En définitive, à la corderie Plantive, les principaux produits fabriqués étaient des cordes à vaches, des guides pour les chevaux, des cordages plus imposants, pour attacher le foin ou le bois. Des cordes mesurant parfois plus de cent mètres de long pouvaient être réalisées pour les circassiens de passage à Machecoul. Les cordes fabriquées par les Galard-Plantive étaient principalement à destination de l’agriculture, contrairement à celles de la corderie de Paimboeuf (44), bourg situé en bordure de Loire, non loin de Machecoul.
29L’histoire publique est un domaine récemment arrivé en Europe, en provenance des pays anglophones. Le terme est apparu dans les années 1970 aux États-Unis et au Canada, et bien plus tard en France, au début du XXIe siècle. Elle constitue au sens large une nouvelle manière de pratiquer l’histoire à destination de ce que l’on nomme le « grand public », et peut prendre plusieurs formes selon le contenu proposé. Émissions radios et télévisuelles, romans, bandes dessinées, jeux vidéo, séries ou films, etc., toutes ces « nouvelles » formes de transmission des savoirs historiques permettent de dépasser les codes imposés par le milieu universitaire. Les enjeux de diffusion des savoirs sont depuis des années au cœur des institutions qui peuvent accueillir des publics.
30Les contenus historiques ont d’abord été rendus accessibles par les musées, puis les historiens et historiennes se sont dotés de nouveaux moyens de transmission en accord avec les nouvelles demandes des publics. Longtemps comparée à de la vulgarisation historique, l’histoire publique se veut ambitieuse. Loin des clichés véhiculés par les anciens modes de communication et de médiation, l’histoire dispose désormais de plusieurs cordes à son arc pour envahir la scène publique et diffuser ses savoirs.
31Notre projet de médiation s’inscrit donc dans cette nouvelle discipline historique. Il est pensé pour satisfaire un public large et l’amener à découvrir l’histoire de la corderie Plantive. Nous avons placé au cœur de nos objectifs la transmission et le partage d’une histoire aux contours détaillés et complexes. Le documentaire permet également de créer une fenêtre sur l’histoire des techniques et les façons dont cette dernière a été incarnée durant le siècle passé.
32Les recherches archivistiques et les éléments trouvés constituent la base historique du documentaire. Étant donné les enjeux de transmission qui incombent à notre médiation, nous nous devions d’apporter des bases historiques solides échafaudées à partir de sources fiables.
33Nous avons d’abord interrogé les Archives Départementales de Loire-Atlantique. Néanmoins, à l’exception de quelques pistes découvertes au sujet de Machecoul, ces recherches ont été infructueuses. La corderie Plantive semblait être un nom parfaitement inconnu dans les ouvrages consultés. Cet échec nous a mené à préciser notre recherche en identifiant des structures à échelle locale. La Nouvelle Maison de l’Histoire dans la commune de la Bernerie-en-Retz est un centre de ressources qui dispose d’un nombre assez important d’archives concernant la commune et ses alentours. Là encore, la documentation n’a pas livré les informations espérées. Il existe quelques ouvrages sur Machecoul, mais, une nouvelle fois, il n’y avait aucune trace de la corderie Plantive. Ces recherches ont tout de même permis d’établir le contexte général de la commune au XXe siècle.
34La dernière étape fût l’étude des archives familiales, dont nous tirons la plupart des informations présentées dans le documentaire. Les archives de la famille Plantive sont composées de plusieurs cartons dans lesquels nous avons retrouvé des photos, des documents administratifs ou encore des publicités datant du XXe siècle. Détenues par l'héritier Plantive, elles sont riches et variées. Elles ont notamment permis d’en apprendre davantage sur les histoires personnelles des cordiers qui se sont succédé à la tête de l’entreprise. Au-delà de ce pan familial, nous avons aussi découvert le métier de cordier et l’environnement dans lequel la corderie Plantive était intégrée.
35Ainsi, à l’aide des informations récoltées lors de nos recherches, nous avons pu apporter un socle historique et scientifique sérieux au documentaire. Le défi fût ensuite de faciliter l’accès de cette histoire à un public novice.
36En septembre 2022, un nouveau master en histoire publique ouvre à Nantes, à l’initiative de Yann Lignereux, professeur des universités en histoire moderne à Nantes Université. Un projet annuel d’histoire publique doit être réalisé en lien avec une association locale de Loire-Atlantique. Cinq associations ont été choisies par Yann Lignereux, dont celle pour la sauvegarde de la corderie Plantive de Machecoul.
37Très vite, nous rencontrons Véronique Triger. Cette dernière, épouse de Bernard Plantive, héritier de la corderie, constitue la pierre angulaire de l’écomusée de la corderie. Une fois la fabrique visitée, comment mettre en valeur l’histoire publique de ce lieu ? Cette dernière est d’ailleurs déjà présente. En effet, lors de la reprise du bâtiment pour le rénover, l’idée d’en faire un lieu de visite et de démonstration de fabrication de cordes a tout de suite été évoquée. Par ailleurs, les anciennes machines ont été conservées. La famille Plantive a gardé de nombreuses archives, celles-ci servant à proposer un parcours muséographique. Enfin, une ancienne étudiante de Nantes Université y a déjà effectué un stage. Elle devait assurer la mise en place d’un parcours consacré à l’histoire de la corderie et de la famille Galard-Plantive, notamment via la rédaction de cartels.
38Une fois ce constat réalisé, plusieurs questions se présentent. Quel apport peut avoir l’histoire publique alors qu’un parcours muséographique existe déjà ? Comment mettre à profit les compétences acquises lors de notre licence d’Histoire ? Comment garantir une place à une histoire scientifique au sein d’une association où les bénévoles n’y sont pas tous sensibles ? Comment peut-on rendre ce discours scientifique accessible ?
39Pour répondre à ces questions, nous avons élaboré notre propre définition de l’histoire publique. Qu’est-ce qu’elle représente ? Quels en sont ses piliers ? Tout simplement, pour quelles raisons sommes-nous intéressés par cette approche de l’Histoire ? Des réponses ont été assez vite trouvées. L’histoire publique, c’est avant tout une question d’engagement. Dans une période où les discours scientifiques sont remis en cause, il s’agit de les rendre accessibles au plus grand nombre, de les (re)connecter aux personnes qui s’en éloignent, ou du moins qui semblent s’en éloigner, de montrer que l’histoire la plus locale possible n’est absolument pas dénuée d’intérêt. En fait, notre objectif principal consiste à raconter l’histoire des populations pour les populations et par les populations. Durant un an, cela a été notre principal leitmotiv.
40Notre enjeu principal a donc consisté à réfléchir à une médiation qui pourrait être accessible au plus grand nombre, où l’on donne la parole aux acteurs et actrices locaux ainsi qu’aux scientifiques. Il existe un second enjeu, non des moindres : sauvegarder le geste d’un métier disparu. En parallèle de ces réflexions, nous réunissons la documentation autour des écomusées et de l’histoire de l’ancienne fabrique de cordes machecoulaise. Le déclin de la corderie est lié aux mutations qui ont existé dans le monde rural tout au long du XXe siècle. Le système productiviste s’imposant progressivement, associé à la mécanisation des machines agricoles, les agriculteurs n’utilisaient plus les cordes comme auparavant. Parallèlement, les campagnes connaissent également une chute de leur population. Les ruraux réfléchissent alors à la manière de trouver de nouvelles formes de dynamisme. C’est dans ce contexte que le concept d’écomusée naît. L’histoire de la corderie peut donc être vue à travers une grille de lecture plus large que la simple histoire d’une fabrique locale. Se présente une nouvelle problématique : comment décrire ces mutations nationales tout en conservant l’échelle locale qui nous semble essentielle ?
41C’est alors que l’idée du documentaire apparaît. Il donne la parole aux personnes qui ont participé à l’histoire de la corderie, tout en interrogeant des scientifiques qui travaillent sur le sujet. Cela permet de faire des allers-retours entre un contexte national et local. L’accessibilité optimale doit reposer sur des codes traditionnels du documentaire, tout en y intégrant des éléments plus contemporains, liés à la culture internet. Un documentaire permet, par ailleurs, de mettre des visages sur cette histoire et de l’humaniser. Véronique Triger accepte sans hésiter l’approche proposée, pour toutes les raisons évoquées précédemment.
42Nous continuons de réunir la documentation sur ces différents sujets. Il est aisé d’en trouver sur les écomusées. Malheureusement, il est plus compliqué d’aborder les mutations et le travail rural au XXe siècle. Fabrice Boudjaaba résume ainsi la situation dans son livre Le travail et la famille en milieu rural, XVIe-XXIe siècle :
« [...] Quand on regarde les sources et la bibliographie du “travail” au sens très large d’activité professionnelle exercée, le monde rural semble assez absent sauf comme élément d’une histoire de la productivité et du développement économique des campagnes. Le travail dans l’historiographie est largement associé à l’histoire de l’industrie et du monde ouvrier et pour le monde moderne à l’artisanat urbain pour l’essentiel » (Boudjaaba 2019 :20).
43Nous nous sommes alors tournés vers la géographie. Le livre Plouc Pride de Valérie Jousseaume, par exemple, a été d’une grande aide. Cette étude montre notamment comment le système productiviste a changé le visage des campagnes au XXe siècle.
44Comme évoqué précédemment, ces questions et réflexions sont laissées volontairement de côté, afin de les insérer dans le documentaire. Le scénario retenu est chronologique, afin de montrer la continuité qui se manifeste de la création de l’entreprise à sa fermeture, puis sa réouverture en tant qu’écomusée. Le futur public disposera de plusieurs clefs de lectures. Nous ferons donc appel à des historiens et historiennes, sociologues et géographes.
45Commence donc la recherche de participants. Cette phase a été plus longue que prévu, en raison du nombre de refus. Les premiers à accepter d’apparaître dans le documentaire sont la famille héritière de la corderie, Bernard Plantive et Véronique Triger ; des bénévoles, Gaston Leroy (président de l’association) et Jean-Noël Fortineau (ancien ouvrier de la corderie, il fait désormais des démonstrations de fabrication de cordes) ; et l’adjoint au patrimoine de la ville de Machecoul, Yannick Le Bleis. Ils ont en commun d’avoir participé à l’histoire et/ou à la sauvegarde de ce bâtiment. Jean-Noël Fortineau sera au centre du documentaire. Mémoire du geste de cordier, il est le dernier ouvrier vivant de la corderie, d’où l’intérêt de se focaliser sur ses gestes et ses routines.
46La participation d’universitaires a été plus compliquée, car elle s’est traduite par plusieurs refus. Notre démarche a tout de même retenu l’attention de Serge Chaumier, sociologue travaillant sur les questions des musées et de leurs mutations en France. Il a écrit de nombreux articles sur les écomusées et apporte son expertise dans la seconde partie du documentaire associé à ce thème. Concernant la première partie sur l’histoire de la corderie et des mutations rurales, sur le conseil de Martine Cocaud, de l’Université Rennes 2, nous nous sommes tournés vers Anne-Françoise Garçon, qui est intervenue sur l’histoire des métiers et son évolution. Concernant l’histoire de Machecoul, nous avons décidé de contacter une association locale d’histoire : Machecoul Histoire. Emmanuel Le Duc, professeur d’histoire-géographie retraité, interviendra sur la présentation de Machecoul au moment de l’installation de la corderie. Enfin, Michel Béranger, lui aussi membre de Machecoul Histoire, reviendra sur l’histoire de la corderie en tant que telle.
47Avec ces approches, les différentes problématiques doivent trouver une réponse, grâce à l’équilibre obtenu entre bénévoles et scientifiques. Les bénévoles sont au centre du documentaire sans pour autant négliger les apports des SHS. La sauvegarde du geste du cordier est bien au cœur du documentaire.
48Afin de réaliser ce documentaire, nous avons dû apprendre les ficelles du métier. Les méthodes employées sont multiples, mais elles reposent toutes sur l’objectif de transmission et de partage de l’histoire de la corderie.
49Lorsque l’idée du documentaire est venue, il a fallu imaginer toutes les étapes de production nécessaires pour parvenir à l’objectif final, alors que nous étions tous les trois novices à propos des techniques de réalisation. Fabriquer un documentaire repose avant tout sur une organisation rigoureuse, à partir d’un rétro planning qui a connu de nombreuses adaptations pour jongler entre la préproduction, la production et la post-production du documentaire.
Fig.10. Le tournage du documentaire à la corderie
Océane et Quentin, pris en photo par Laura, sont en train de régler le stabilisateur qui va servir à filmer le geste de Jean-Nöel Fortineau.
Cliché : Laura Lailler
50La préproduction a été dédiée à l’écriture des interviews. Celles-ci s’inscrivent dans un scénario articulé autour de quatre parties évoquées précédemment. Il fallait aussi obtenir le matériel nécessaire pour réaliser ces interviews et autres prises de vue qui se retrouveront dans le documentaire. Cette période est déterminante pour la suite des événements, car elle représente les fondations de ce travail. Est venue ensuite la production du documentaire qui passait par l’apprentissage du tournage. Ne possédant pas de formation technique, il nous a fallu apprivoiser le matériel prêté par les services de la faculté d’Histoire à laquelle nous sommes affiliés.
51L’une des grandes questions reposait sur notre capacité, ou non, à pouvoir réaliser le montage. Cette étape cruciale demandait des compétences que nous n’avions pas et difficiles à acquérir par notre seule débrouillardise. La situation s’est débloquée lorsque Madame Triger nous a mis en contact avec une monteuse professionnelle. Sa participation a débouché sur une qualité audiovisuelle supérieure à celle envisagée au début du projet, socle d’une production sérieuse, à la hauteur des attentes de l’écomusée.
52À la question, que veut dire réaliser un documentaire ? Nous pouvons répondre qu’il s’agit de faire preuve d’une grande organisation, de dépasser ses propres limites pour envisager d’autres moyens de réaliser un tournage, et surtout de savoir communiquer. Ce projet consistait d’abord à mettre en avant des personnages qui avaient une histoire à raconter. Elle peut se raccrocher à une formation universitaire et professionnelle, tout comme elle peut parler de sentiments et de souvenirs. C’est une grande chance d’avoir pu assister à des moments de joie et des échanges riches en découvertes.
53Exposer un projet comme celui de la rénovation d’une ancienne corderie, et plus tard de sa transformation en écomusée, revêt une importance de premier plan auprès de celles et ceux qui l’ont porté. Travailler avec une matière telle que les souvenirs a également rappelé que l’histoire n’était pas uniquement une question d’archives et de personnes du passé. Dans le cas des écomusées, il s’agit d’abord d’une affaire d’histoires personnelles, mais aussi partagées. Il est question de transmission auprès des populations locales ou qui viennent de plus loin. Il était essentiel de conserver cet état d'authenticité tout en lui apportant le soutien d’une médiation historique. Il fallait rendre hommage à la corderie Plantive et au patrimoine dont elle est garante, tout en lui permettant d’attirer un autre genre de public.
54Le concept d'écomusée apparaît en France dans les années 1970. De façon très spontanée, de nombreux établissements fleurissent dans les communes, villages et villes où le besoin de préserver un patrimoine se fait sentir. Ce terme « écomusée », attribué à Hugues de Varine en 1971, porte la volonté d’imaginer un musée vivant, en lien avec son environnement naturel et humain.
55Selon lui, l’écomusée s’éloigne du concept de musée classique en faisant participer la communauté́ et les populations locales à leur propre développement. Son rôle est de fédérer la population autour d’un projet, transformer les habitants en acteurs et usagers de leur propre patrimoine, développer une base de données pour la communauté, favoriser les discussions, rencontres et initiatives, participer au développement local, etc.
56Hugues de Varine a pu théoriser et mettre en pratique ce concept grâce à l'élaboration d'un « musée nouveau » qui couvrirait tout le territoire de la Communauté urbaine nouvellement créée du Creusot-Montceau. D’après Morgane Moëllo, Pauline Corrias et Typhaine Le Foll, dans leur article « L’Écomusée Creusot Montceau : métaphore d’un modèle exemplaire », l’institution du Creusot peut être considérée à bien des égards comme un « exemple incitatif » pour les autres écomusées français. Conçu sur le même moule que les musées de plein air des années 1960, il a pour vocation, tout comme les autres écomusées qui émergeront à la même période, de conserver un patrimoine industriel fortement menacé par la désindustrialisation. Il est, par ailleurs, le premier établissement en France à prendre conscience du potentiel patrimonial du savoir-faire industriel. Il est le premier à se penser comme une institution communautaire.
57Ce concept est né dans une société post-soixante-huitarde. La population française cherche une manière de revaloriser un milieu rural qui fait face à une société urbaine en pleine expansion. Il fallait inventer un nouveau type de muséographie en opposition avec les musées d’art et d’histoire classique. Selon Georges-Henri Rivière, il était nécessaire de se reconnecter avec les populations locales. Cela constitue la base sur laquelle repose l’écomusée, car il met en lumière un savoir-faire autrefois au cœur de la vie rurale, mais également industrielle. On y trouve, ici, des enjeux communs avec l’histoire publique.
58À leur début, les écomusées, à l'instar des centres d'interprétation contemporains, se pensent sans collection. Il s'agit de mettre avant tout au cœur du processus les habitants et leur territoire. Véritable levier de développement social et communautaire, l’Écomusée se veut être un lieu pensé par les habitants d'un territoire et pour eux.
59Néanmoins, si l'écomuséologie a pris racine il y a désormais plus de 50 ans, la question de sa pérennité dans le paysage culturel peut être abordée. Effectivement, dans le cadre de notre documentaire, nous avons eu l'occasion d'interviewer Serge Chaumier, professeur des Universités en Muséologie à l'université d'Artois. Ce dernier avait repris les propos d'Hugues de Varine, sur le fait que les écomusées n'étaient pas voués à demeurer. Ils servent à un moment donné, car ils sont utiles au territoire, mais une fois qu’ils ont joué leur rôle, ils peuvent disparaître, même si, dans la réalité, de nombreux écomusées perdurent, pour se transformer ensuite en musées plus « classiques » ou en musées de société.
60L'écomuséologie actuelle a donné naissance à une muséologie nouvelle dans les années 1980, avec comme vocation première de travailler pour les publics. Cette logique s’est poursuivie jusqu’à la loi « Musée de France » de 2002 qui vient replacer le public au centre des préoccupations. Il se produit alors une convergence entre les écomusées et les musées ; les premiers influençant les seconds.
61Si nous mettons notre cas d'étude en parallèle avec cette approche, la corderie Plantive et Jean-Noël Fortineau se sont parfaitement inscrits dans ces dynamiques écomuséales. J-N. Fortineau anime la corderie comme si l'ancien atelier venait à peine de fermer ses portes. Pour parler d’un savoir-faire ancien, la médiation des ouvriers, des artisans comme Monsieur Fortineau est d’autant plus précieuse. Il place son expérience au service du public.
62En effet, comme nous l’avons vu précédemment, l’histoire publique doit se faire pour les populations et avec les populations. Elle peut aussi être considérée comme une manière de les connecter entre elles. Les écomusées répondent depuis longtemps à cette problématique. Cette approche est plus large que celle de musées traditionnels, mais doit tout de même s’inspirer de ce qui a pu être fait avec ce mouvement en termes de participation citoyenne. C’est d’ailleurs ce qu’a souhaité l’État avec la loi relative aux musées de 2002. S’inspirant de cette branche muséale, elle oblige les musées à mettre au centre de leur réflexion la participation et l’accessibilité citoyennes.
63Par ailleurs, l’histoire publique doit également servir ces écomusées et l’histoire des techniques qu’ils peuvent représenter. En effet, malgré tous les efforts apportés, les bénévoles des écomusées n’ont, souvent, pas de formation scientifique. Parfois, l’émotion d’un passé peut prendre le dessus sur la rigueur requise. La mémoire des lieux incite à rendre la perception de ceux-ci subjective. L’histoire publique prend alors tout son sens. Elle doit permettre, comme nous l’avons fait pour le documentaire, d’apporter une réponse scientifique, trouver l’équilibre entre cet aspect et la participation de bénévoles parfois novices. C’est un rôle de médiation au sens très large : médiation historique et humaine.
64Enfin, le second enjeu de l’histoire publique dans ces écomusées consiste à les sortir d’une histoire figée. En effet, ils sont pour la plupart la création d’une génération. Ils peuvent parfois figés dans le temps parce qu’ils sont intimement liés au phénomène générationnel. Ils présentent une histoire du territoire à un moment précis et se servent comme témoin de la population locale. Les bonnes articulations entre les différentes générations doivent donc être identifiées pour que l’écomusée continue de vivre auprès de la population locale, au sein du territoire dans lequel il est implanté et en accord avec le patrimoine qu’il valorise.
65Ces défis sont partagés par l'ensemble des écomusées de France, qu’importe l’histoire exposée au public. Ils sont à la croisée des histoires personnelles et communes. Contrairement aux musées d’art ou d’histoire, les écomusées transmettent une mémoire qui peut parfois être encore incarnée par des personnes l’ayant vécues, comme c’est le cas avec Jean-Noël Fortineau. Ils possèdent une organisation qui leur est propre, des enjeux de transmission et des méthodes bien différentes de celles des musées dits « classiques ». L’histoire publique doit prendre cela en compte pour les faire évoluer.
66Certaines communes ont, par ailleurs, déjà commencé à en changer le modèle. C’est le cas à Saint-Nazaire. L’écomusée de la ville a été créé par la commune elle-même. Cette professionnalisation constitue une source d’extension et de renouvellement des compétences – comme celle de l’histoire publique – et de financements que les bénévoles d’une simple association ne peuvent réunir. Cependant, les attentes des deux côtés sont généralement différentes. Effectivement, les motivations initiales ne sont, souvent, pas les mêmes. C’est là tout l’enjeu actuel des écomusées que de tuiler des intérêts qui peuvent être contradictoires.
67Certains sites parviennent malgré tout à concilier tous ces objectifs. C’est le cas de celui de Guédelon qui n’est certes pas un écomusée. Son fonctionnement s’en inspire, en revanche, fortement. L’idée du projet a germé en 1995. À la suite de découvertes archéologiques sous le château de Saint-Fargeau (Yonne), Michel Guyot, son propriétaire, Nicolas Faucherre, spécialiste des fortifications, et Christian Corvisier, castellologue, émettent l’idée de construire un château du début du XIIIe siècle, en s’appuyant sur les méthodes contemporaines du type de château retenu.
68Depuis 1996, le château de Guédelon est donc en construction. Il allie les différents enjeux que nous avons abordés précédemment. Tout d’abord, il s’appuie sur les populations locales. Le chantier est composé d’artisans de la région qui font vivre au quotidien cette construction. Des métiers disparus, comme celui de cordier, revivent auprès du grand public. Par ailleurs, des ateliers sont proposés pour découvrir et tenter de reproduire le savoir-faire. Un comité scientifique pilote le projet. Le site est aussi suivi par les archéologues, pour l’étude grandeur nature de la construction de fortifications du XIIIe siècle. Des institutions, comme l’INRAP, interviennent sur le site. Le projet forme donc un condensé de ce que l’on a présenté tout au long de cet article : un projet de transmission auprès et avec les populations locales, accompagné d’une activité scientifique rigoureuse.