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Dossier

Le paysage industriel : un défi patrimonial ?

Industrial landscape: a heritage challenge?
Simon Edelblutte

Résumés

Initialement restreinte à des objets et à des bâtiments, la notion de patrimoine a ensuite été élargie jusqu’au paysage. Dans le domaine de l’industrie, le retard de la prise en compte du paysage s’est ajouté au retard de la patrimonialisation du domaine puisqu’il faut attendre 1980 et l’ouvrage fondateur de M. Daumas, « L’archéologie industrielle en France », pour voir la notion scientifiquement reconnue. Les recherches et actions poussées dans le domaine du paysage industriel ne sont donc réellement développées qu’à partir de la toute fin du XXe siècle. Or, l’approche par les paysages est particulièrement pertinente pour patrimonialiser l’industrie car elle est à la fois systémique, géohistorique et pédagogique. Néanmoins, patrimonialiser un paysage industriel n’est pas chose facile, car le paysage est à la fois matériel et culturel et, surtout, reflet de systèmes socio-territoriaux vivants et donc évolutifs. Ainsi, et autour de cette idée de la difficulté de patrimonialiser un paysage, ce travail définira d’abord ce qu’on peut entendre comme paysage industriel, avant de montrer l’intérêt de le patrimonialiser pour finir sur les obstacles à ces actions qui en font un défi permanent.

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Texte intégral

1Les deux premiers chapitres de l’ouvrage de référence de Maurice Daumas, « L’archéologie industrielle en France », paru en 1980, sont intitulés « le paysage industriel » et « les éléments singuliers du paysage industriel ». La réflexion quant à l’affirmation progressive de l’industrie dans le paysage y est particulièrement novatrice et pertinente, avec une proto-industrie qui se fond dans le paysage (L. Bergeron et G. Dorel-Ferré évoquent, en 1996, une industrie « immergée »), puis une industrie qui se déguise pour ressembler aux autres grands bâtiments de l’époque comme les châteaux, les couvents ou les casernes (l’industrie « travestie »), avant de s’affirmer jusqu’à s’imposer dans le paysage, voire construire son propre paysage (l’industrie « au grand jour »).

Maurice Daumas : paysage industriel ou techno-paysage ?

  • 1 La définition proposée ici laisse un flou sur la limite entre industrie, proto-industrie et artisan (...)

2Il existe donc bien un paysage né autour de l’industrie, activité entendue ici comme toute activité qui transforme des produits entrants en des produits sortant de nature différente, le tout en série, avec une main d’œuvre abondante et à l’aide de machines1. L’industrie a produit et produit, comme toute activité, des territoires fonctionnels, c’est-à-dire des espaces appropriés par un industriel, utilisés et maillés par des réseaux, bien au-delà de la technique seule, pour le bon fonctionnement de la production. Ces territoires sont visibles et perçus à travers un paysage, sorte de partie émergée d’un territoire dont les diverses composantes ne se résument pas qu’à des choses visibles (jeu des acteurs, sous-sol, flux-financier, limites culturelles, politiques, etc.). En effet,

« Le paysage est l’expression observable par les sens, à la surface de la Terre, de la combinaison entre la nature, les techniques et la culture des Hommes » (Pitte 1983, rééd. 2001 : 19).

3Il peut être vu comme « un système qui chevauche le naturel et le social. Il est une interprétation sociale de la nature » (Bertrand 1978 : 249) et « la résultante de dynamiques spatiales et temporelles à l’interface nature/sociétés qui aboutissent à son état observable à un moment donné » (Ballouche 2015). Il est donc à la fois un construit et un perçu et ce second aspect a longtemps tenu les réalisations industrielles à l’écart de la catégorie « paysage », en raison de considérations esthétiques, comme l’écrit P. Guinard : la notion

« en vient aujourd’hui à être utilisée pour des espaces qui, jusque-là, n’étaient pas désignés comme tels, à l’image des paysages urbains ou industriels, précisément parce qu’ils n’étaient pas ou peu associés à des valeurs esthétiques, culturelles ou sociales positives » (Guinard 2019 : 82).

4Combinaison d’éléments matériels visibles (naturels et anthropiques), mais aussi construction sociale et culturelle perçue par les individus et, plus globalement, par la société, le paysage évolue sans cesse. Son utilisation est ainsi particulièrement bien adaptée à l’approche du fait industriel sur un temps long, reliant donc l’activité industrielle actuelle aux héritages et patrimoines liés à l’activité industrielle passée, marquée notamment par la période paternaliste. Le paysage mélange en effet éléments hérités, éléments patrimonialisés et éléments liés à l’activité et la vie actuelle d’un territoire.

5Cependant, dans l’ouvrage de Daumas, mis à part quelques paragraphes sur l’intégration du site industriel dans un environnement plus large et une photo de cités ouvrières p. 178, le paysage industriel est en fait limité au site industriel lui-même, voire aux seules usines. Les éléments indirects du paysage industriel – et donc son aspect profondément systémique – ne sont pas ou très peu évoqués. Un court avant-dernier chapitre (30 pages sur 464), intitulé « Les équipements collectifs », traite essentiellement des annexes productives et mentionne en introduction que

« les retombées sociologiques et urbanistiques ne peuvent pas non plus être dissociées du phénomène d’industrialisation » (p. 397),

6Mais Daumas choisit en réalité de ne pas les traiter et surtout de ne pas relier les éléments du système industriel entre eux, ce qui est une des propriétés du paysage. Cela cantonne ainsi le paysage industriel à sa seule composante productive directe et, bien plus succinctement, indirecte. L’auteur du premier ouvrage français sur la question du patrimoine industriel choisit ainsi d’assimiler le paysage industriel à un techno-paysage, terme adapté de l’anglais technoscape, utilisé par M. Okada (2005) et qui fait référence à des paysages dominés par les machines, les outils et les bâtiments industriels, tous liés à la technique utilisée dans les process industriels.

7Cette domination de l’aspect technique de l’industrie n’est pas étonnante de la part d’un historien des techniques comme M. Daumas et sa conception du paysage industriel, volontairement retreinte, s’inscrit dans ce qui avait déjà été écrit en 1936 à propos du paysage industriel du Creusot (Le Brun, Lasseray 1936), où ce dernier est exclusivement centré sur le techno-paysage. Il faut donc attendre la toute fin du XXe et le début du XXIe siècle pour que la vision du paysage industriel s’élargisse avec des études plus nombreuses et plus spécifiques (Crouzet 1997 ; Woronoff 2003 ; Edelblutte 2010 ; Fluck 2020). En effet, même avec l’élargissement rapide de la notion d’archéologie industrielle vers celle de patrimoine industriel, les publications des deux dernières décennies du XXe siècle sont surtout le fait d’historiens ou d’architectes qui ciblent essentiellement les lieux de production, c’est-à-dire les usines et, au plus vaste, les sites industriels comprenant l’usine et ses annexes productives proches (Bergeron, Dorel-Ferré 1996 ; Belhoste, Smith 1997).

8Par ailleurs, dans le domaine des études sur le paysage en général et notamment de son histoire, le paysage industriel est certes mentionné bien plus tôt, dès les années 1950 (Hoskins 1955) et tout au long des Trente Glorieuses, mais souvent note F. Borsi,

« en négatif, par opposition à une conception du paysage arrêtée au simple pictural, au pittoresque conventionnel » (Borsi 1975 : 7).

9De plus, en un temps où les approches quantitatives dominent, il est surtout montré comme un résultat (le plus souvent déploré) du productivisme plus qu’en lien avec une patrimonialisation possible.

  • 2 Sachant que les résultats de telles recherches varient constamment puisque le nombre et l’ordre des (...)
  • 3 Il n’existe pas d’émoji « paysage industriel ».

10Enfin, la vision du paysage industriel par Maurice Daumas n’est finalement pas très différente des représentations dominantes actuelles dans le grand public. En effet, une rapide recherche de l’expression « paysage industriel », dans la catégorie « images » du moteur de recherches Google, donne un résultat très majoritairement dominé par des images d’usines tubulaires, clichés du techno-paysage2. Une recherche similaire, mais cette fois centrée sur l’expression « émoji industrie »3 amène vers des dessins quasi-exclusifs d’usines au toit à sheds ponctuées des inévitables cheminées. Quelques ouvriers et un hangar fonctionnaliste complètent les résultats de la recherche. La recherche d’émojis est particulièrement intéressante car ces isotypes reflètent les représentations dominantes des contemporains sur toute la planète (Kimura-Thollander, Kumar 2019).

11Or, la notion de paysage industriel est en réalité infiniment plus large que toutes ces acceptions anciennes ou représentations actuelles et les paysages industriels sont bien plus variés que ces seuls techno-paysages. Si ces derniers en sont bien emblématiques, l’activité industrielle, au fil des trois derniers siècles, a non seulement construit de très nombreux éléments annexes aux sites industriels eux-mêmes, mais a aussi construit des identités territoriales autour d’une culture industrielle. Cette culture a imprégné les paysages et a été façonnée par eux, le paysage étant à la fois empreinte et matrice (Berque 1995).

12Ainsi, l’approche paysagère de l’industrie autour de thématiques patrimoniales est aujourd’hui de plus en plus utilisée et documentée (Edelblutte 2010 ; Dorel-Ferré (dir.) 2011 ; Fluck 2020 et 2021). Elle s’inscrit dans l’élargissement de la notion de patrimoine de l’objet à l’immatériel en passant par le bâtiment, le quartier, la ville ou encore le paysage (Veschambre 1998). Le patrimoine de l’industrie a suivi ce mouvement, avec certes un peu de retard, et certains paysages industriels sont, depuis le début du XXIe siècle, inscrits sur la liste du patrimoine mondial par l’Organisation des Nations-Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).

13La notion de patrimoine, restreinte au départ à des « biens d’héritage qui descendent, suivant la loi, des pères et des mères à leurs enfants » (Choay 2010 : 543), a été peu à peu élargie pour devenir

« un ensemble d’attributs, de représentations et de pratiques fixé sur un objet non contemporain (chose, œuvre, idée, témoignage, bâtiment, site, paysage, pratique) dont est décrétée collectivement l’importance intrinsèque […] et extrinsèque […] qui exige qu’on le conserve et le transmette » (Lazzarotti 2003 : 692).

14Cet élargissement, notamment à l’échelle du paysage, multiplie les enjeux d’une éventuelle patrimonialisation en imposant de tenir compte d’un nombre et d’une variété d’acteurs toujours plus grands, ce qui complique la gestion des biens protégés. Cela est particulièrement vrai pour le paysage industriel, dont la reconnaissance même comme paysage a été tardive ; sa patrimonialisation peut donc parfois être considérée comme un véritable défi, en ce sens qu’elle est complexe et semée d’obstacles. Elle n’est cependant pas impossible et des exemples fameux seront présentés dans le développement.

15Ce travail vise ainsi à questionner ce paysage industriel, tard venu dans le champ patrimonial, et qui pose des défis inédits quant à sa préservation, sa mise en valeur et la transmission des héritages matériels et culturels dont il est porteur.

16Pour cela, l’instrument principal est l’utilisation de photos liées à de très nombreux travaux de terrain en Europe impliquant visite de sites, documentation bibliographique et internet, ainsi qu’entretiens avec les acteurs locaux. Les photos au sol sont complétées par des photos aériennes obliques récentes qui permettent une vue à la fois différente et plus large des paysages industriels, introduisant le caractère de palimpseste du paysage, dont il sera question dans le développement. Ainsi, dans un premier temps, la matérialité (ce que l’on voit) du paysage industriel, autour de ses composantes et de leur combinaison, sera questionnée, avant d’aborder, dans un deuxième temps, son inscription tardive dans le champ patrimonial, lié au développement d’une culture industrielle, pour enfin présenter, dans une partie finale, des exemples de patrimonialisation du paysage industriel à divers degrés et échelles.

Le paysage industriel revisité

17Il s’agit ici de revisiter la notion de paysage industriel, trop communément réduite à la simple image de l’usine, en en présentant les différentes composantes (ce que M. Daumas qualifiait « d’élément significatifs » pour la partie productive seule), leurs combinaisons et les différentes propriétés du paysage lui-même, dont la patrimonialisation éventuelle devra tenir compte.

Les composantes du paysage industriel

18L’usine (fig. 1) est au cœur du paysage industriel. C’est par elle, composante productive essentielle de ce paysage, que tout commence et que tout est organisé. Elle obéit à des contraintes techniques qui peuvent aboutir à l’identification de quatre modèles principaux : à étages, au toit à sheds (toit en dents-de-scie lié à la nécessité d’un éclairage zénithal), tubulaire (usine dont les structures et les bâtiments-machines, comme les hauts-fourneaux, sont apparents) et fonctionnaliste (bâtiment moderne – à partir des années 1960 – en béton, métal et agglos, qualifié péjorativement de « boîte à chaussures », aveugle, passe-partout, adapté à sa fonction et donc utilisé pour toutes sortes d’activités). Chacun de ces modèles donne une teinture particulière et reconnaissable au paysage industriel dont l’usine est le cœur. Autour de l’usine, sur le site industriel (bâtiments et parcs de stockage, entrepôts, bâtiment de bureaux) mais aussi parfois plus loin, notamment pour des raisons d’approvisionnement en énergie ou en matière première, les annexes productives (fig. 1), à l’amont (mines et leur carreaux, forages et sondages), à côté (canaux usiniers, voies ferrées et embranchements ferroviaires) ou à l’aval (bassins de décantation, crassiers, stations d’épuration) du processus productif, participent également au paysage industriel par leur répétition et leur rythmique. Enfin, dans le cadre du paternalisme, les industriels, à la fois par l’obligation pragmatique d’attirer une main d’œuvre peu mobile au quotidien et par volonté de la contrôler, construisent des logements (avec en premier lieu les cités ouvrières) et des services extrêmement divers autour de leurs usines ; ce sont les annexes non-productives du paysage industriel (fig. 1).

Fig.1. Exemples de composantes du paysage industriel

Fig.1. Exemples de composantes du paysage industriel

Sources : Edelblutte 2008-2023 ; Bailoni 2009

19La forme de ces composantes habituelles des paysages industriels est certes dictée par la technique, le pragmatisme et les nécessités économiques, mais l’aspect culturel y joue aussi un rôle très fort, à tel point que des tentatives pour se distinguer existent. Elles sont non seulement liées à une volonté de l’industriel d’affirmer sa puissance et sa réussite dans le paysage et donc dans la société, mais aussi à des raisons commerciales, pour se démarquer de la concurrence. Usines « travesties », tant au XIXe qu’au XXe ou au XXIe siècles, cités ouvrières soignées (les cités jardins), bâtiments sociaux à l’architecture originale, sont des éléments, certes plus rares, que les productions industrialo-paysagères banales, mais spectaculaires et donc marquant le paysage (fig. 2).

Fig. 2. Le paysage industriel est aussi composé d’éléments originaux

Fig. 2. Le paysage industriel est aussi composé d’éléments originaux

Sources : Edelblutte 2008-2014

Un paysage construit par des systèmes socio-territoriaux nés de l’industrie

20La combinaison et l’agencement des composantes présentées ci-dessus, en lien avec le milieu d’accueil de l’industrie (rural, urbain, périurbain), ou encore avec l’époque de construction, ont produit des paysages industriels plus ou moins affirmés, tous issus de systèmes industriels.

21L’un des plus emblématiques est celui de la ville-usine (Edelblutte 2020), organisme urbain modèle du temps du paternalisme, planifié entièrement par un industriel autour de son usine et rassemblant toutes les composantes vues dans la partie précédente. L’usine est au centre du système et au cœur du paysage qu’elle a créé (fig. 3). Ces villes-usines ont des croissances démographiques rapides (Edelblutte 2023a) et ont pu atteindre des tailles très importantes (Arvida au Canada - Morisset 1998 et 2017) voire gigantesques, comme Togliatti en Russie (Bellat 2015) où est mis en place, au temps du communisme sous l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), une sorte de paternalisme d’État. Née au bord de la Volga dans les années 1960 autour de l’usine AvtoVAZ produisant les célèbres Lada et employant 54 000 personnes sur un site industriel de 6 km², la ville, répartie en trois gros quartiers d’habitations autour de l’usine, s’étend sur 30 km et ressemble à « une forêt de collectifs de 6 à 25 étages […] d’une grande monotonie » (Radvany 2000 : 332). Malgré les difficultés du groupe AvtoVAZ (propriété de Renault de 2012 à 2022 et qui employait encore 110 000 personnes en 2012) renforcées depuis la guerre en Ukraine, l’usine fonctionne toujours et la ville-usine compte, en 2017, un peu plus de 710 500 habitants.

Fig. 3. Tavaux, une ville-usine de la chimie

Fig. 3. Tavaux, une ville-usine de la chimie

Source : Collé 2015

  • 4 Une vallée industrielle héritée est visible sur la figure 7 (« Vallée de l’Orne, Meurthe-et-Moselle (...)

22La coalescence de ces modèles, le long d’un cours d’eau ou encore sur un gisement houiller ou ferrifère, amène une dilatation des paysages industriels à l’échelle de vallées4 ou de bassins entiers :

« L’industrialisation est une secousse pour le paysage qui, brusquement, est atteint de gigantisme » (Pitte 1983, rééd. 2001 : 267).

23Ces formes paysagères bien connues, pays noirs tels que les Lowlands écossaises, la Ruhr en Allemagne, le Black Country des Midlands de l’Ouest au Royaume-Uni ou encore les vallées textiles vosgiennes, les vallées sidérurgiques et houillères du Sud gallois, le sillon Sambre-Meuse en Belgique, la vallée de l’aluminium de la Maurienne, etc. sont autant de références de ces paysages industriels ponctués de carreaux miniers, d’usines, de cheminées ou de groupes de cités ouvrières.

24Cependant les paysages industriels ne se résument pas qu’à ces formes emblématiques bien connues et liées à un système territorial paternaliste dominant et s’affirmant puissamment dans le paysage. D’autres formes de paysages industriels, plus discrètes et surtout plus insérées dans un paysage rural ou urbain dominant, sont abordées ci-dessous.

25Un cran en dessous de la ville-usine en matière de taille, de diversité des équipements paternalistes et de polarisation, le village ouvrier (Dorel-Ferré 2016) ou village-usine (fig. 4), parfois même encore plus petit et qualifié d’isolat industriel (Schwartz 2019), est un modèle en réduction de la ville-usine. Souvent plus ancien, d’origine proto-industrielle et progressivement constitué, il est une composante du paysage rural auquel il donne une touche industrielle. Plus diffus encore sont les paysages liés aux districts industriels (Marshall 1898), déclinés en systèmes productifs locaux, industrie diffuse ou clusters depuis la fin du XXe siècle. Ces formes industrielles en milieu rural se caractérisent par la progressivité de leur constitution depuis les temps proto-industriels (ce qui minimise le besoin de paternalisme, donc il y a peu de cités ouvrières par exemple), la discrétion (petits ateliers, petites usines - fig. 4), la spécialisation et la diffusion par essaimage de petits établissements dans plusieurs villages ou petites villes sur un territoire assez réduit. Les exemples du Värmland en Suède avec le bois et le papier, de la région de Villingen avec l’électro-mécanique dans le Bade-Wurtemberg en Allemagne, du Choletais autour du textile et de la chaussure, du Vimeu centré sur la robinetterie et la serrurerie ou de la montagne manufacturière du Haut-Beaujolais (Houssel 1971) en France, et, surtout, de nombreux districts de la Troisième Italie où ils sont mis en exergue par G. Becattini (1992), sont parmi les plus documentés. Dans ces territoires, le paysage est industrialo-rural (Edelblutte 2023b), à tel point que G. Baron écrit en 1985 :

« L'usine s'estompe dans l'écrin de verdure […]. En Vimeu, l'usine se fait discrète, intégrée au cœur même des bourgs ; elle semble s'être insérée peu à peu à une structure villageoise à vocation agricole » (p. 319).

26Enfin, autour des villes préindustrielles, où l’industrie vient s’accoler dès le XIXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, les paysages industriels sont un élément d’un système urbain plus vaste plutôt qu’un paysage à l’identité propre comme pour les villes-usines ou les vallées industrielles par exemple. Dès le XIXe siècle, la concentration d’usines en bordure du centre, près de voies d’eau et de voies ferrées, crée des faubourgs industriels où se mêlent, en grand désordre, usines, entrepôts, dépôts, stockages, services dévoreurs d’espace rejetés par la ville (abattoirs, traitement des déchets), mais aussi habitations, commerces et bistros (Barbier 2023). Cela génère un paysage où l’anarchie et le fouillis, sous emprise industrielle, dominent à l’apogée du faubourg (fig. 4), pour laisser la place à de lourdes opérations de renouveau urbain depuis la fin du XXe siècle.

Fig.4. Les paysages industrialo-ruraux et industrialo-urbains

Fig.4. Les paysages industrialo-ruraux et industrialo-urbains

Sources : Humbert 2004 ; Archives municipales Nancy années 1960 ; Edelblutte 2017

27Plus récemment, la planification urbaine et la généralisation du modèle architectural du hangar fonctionnaliste ont dilué l’image de l’industrie, autrefois très forte, dans le paysage suburbain des Zones d’Activités Économiques (ZAE), passe-partout où toutes sortes d’autres activités se mélangent aux usines (fig. 5). Cette banalisation de l’image de l’industrie fonctionnelle et les destructions des héritages (cf. partie 2) ont, à la charnière des XXe et XXIe siècles, exagéré dans la société le sentiment d’une désindustrialisation par ailleurs bien réelle. Cela a renforcé l’idée de l’entrée des pays anciennement industrialisés dans un monde post-industriel débarrassé de toute usine et uniquement centré sur les services. La prise de conscience, avec les crises sanitaires et géopolitiques récentes, des dangers de cet effacement à la fois réel et fantasmé de l’industrie, est à l’origine à la fois de la volonté de réindustrialiser ces territoires comme de celle de protéger les héritages industriels actifs ou non. Cela sera abordé dans les parties 2 et 3.

28La variété des paysages industriels s’estompe donc derrière la planification urbaine qui a généré les anonymes et banales ZAE. Néanmoins, l’industrie a laissé de très nombreux héritages, directs et indirects, qui marquent toujours le paysage, ce qui le rend particulièrement adapté à une approche géohistorique de l’industrie, essentielle pour son éventuelle patrimonialisation.

Le paysage industriel palimpseste et mosaïque

  • 5 Un palimpseste est un parchemin de l’Antiquité, gratté et réutilisé au Moyen-âge pour d‘autres écri (...)

29L’intérêt d’utiliser le paysage dans une démarche de mise en valeur des héritages, voire de patrimonialisation, est justement qu’il conserve, comme un palimpseste5, les traces d’aménagements et d’activités passés (entretenus ou en friches et même si leur raison d’être a disparu) aux côtés d’aménagements actuels.

30Sur la figure 5, l’analyse du paysage actuel permet de bien comprendre l’empilement des strates industrielles et l’évolution des paysages de l’industrie. De l’usine tubulaire et à sheds du XIXe aux hangars fonctionnalistes industriels actuels utilisés par toute une gamme d’activités diverses, en passant par les extensions modernes de l’usine ancienne ou par de petits groupes de cités ouvrières, l’évolution de l’industrie et des paysages qu’elle a produits depuis plus d’un siècle forme une mosaïque diachronique bien visible sur ce cliché de la banlieue nord de Nancy dont l’étalement urbain est, lui aussi, bien sensible.

Fig. 5. Dilution et banalisation d’un palimpseste de l’industrie dans un paysage suburbain : la ZAE de Champigneulles (Meurthe-et-Moselle)

Fig. 5. Dilution et banalisation d’un palimpseste de l’industrie dans un paysage suburbain : la ZAE de Champigneulles (Meurthe-et-Moselle)

Source : Humbert, Renard-Grandmontagne, 2008. Incrustations : Edelblutte, 2023

31Malgré cette dilution, le paysage, à la fois palimpseste et mosaïque, contribue à permettre une géohistoire de l’industrie. En effet, qu’elle soit active ou non, l’industrie a non seulement laissé et laisse des traces multiples, directes et indirectes, dans le paysage actuel, mais a aussi construit une culture particulière qui a imprégné les sociétés locales, ce qui a ouvert la voie à sa patrimonialisation et à celles de ses paysages.

Culture, patrimoine et paysage industriels

32L’éventuelle patrimonialisation tardive des héritages industriels, de l’objet au paysage, est liée au caractère récent de la reconnaissance d’une culture industrielle (Daviet, 2005) dans la société.

Des représentations principalement négatives

  • 6 La représentation des usines et annexes productives sur les tableaux est à la fois ancienne (« Coal (...)

33Lors des révolutions industrielles (de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle), l’industrie et, au-delà, le paysage industriel, bénéficient d’une perception globalement positive. En effet, cette activité apparait alors comme symbole de la modernité et du progrès. Elle exerce une certaine fascination sur les contemporains, même s’ils sont conscients des conditions de travail et de vie très difficiles des ouvrières et ouvriers. Ainsi, les usines (avec les cheminées qui fument signalant le dynamisme de l’activité), les trains, les carreaux miniers, etc. et, plus globalement, l’industrie et ses paysages, figurent sur les tableaux6, les cartes postales ou, de façon magnifiée, sur les papiers à lettres des entreprises industrielles (fig. 6).

Fig. 6. Le paysage industriel, symbole de modernité au XIXe siècle

Fig. 6. Le paysage industriel, symbole de modernité au XIXe siècle

Carte postale centrée sur une usine sidérurgique à Neuves-Maisons (Meurthe-et-Moselle) en 1903 et entête du papier à lettres de la clouterie de Bainville-aux-Miroirs (Meurthe-et-Moselle) à la fin du XIXe siècle : une toute petite usine agrandie et magnifiée par le dessin

Sources : Atelier Mémoire Ouvrière de Neuves-Maisons (haut) ; Archives de la famille Enel (bas)

34Cependant, cette image positive de l’industrie en général se dégrade, au cours du XXe siècle, avec la prise de conscience des contraintes que l’activité impose (conditions de travail difficiles conduisant à de dures luttes sociales) et des nuisances qu’elle provoque (pollutions diverses, notamment des cours d’eau et de l’atmosphère). De plus, en un temps où les approches quantitatives dominent dans toutes les sciences humaines et condamnent son utilisation comme approche scientifique, le paysage, ici industriel, est surtout montré comme un résultat (le plus souvent déploré) du productivisme plus qu’en lien avec une patrimonialisation possible (cf. citation de F. Borsi en introduction).

35Cette vision négative de l’industrie est encore renforcée avec la crise et l’effondrement industriel de la fin du XXe siècle. En effet, en lien avec le déclin industriel, se développent des friches industrielles qui marquent très durablement et négativement les paysages. La friche industrielle, « espace bâti ou non, terrain ou local, autrefois occupés par l’industrie et désormais en voie de dégradation par suite de leur désaffectation, c’est-à-dire de l’abandon total ou partiel de leur activité industrielle » (Cabanne 1984 : 197), inclut donc les ruines industrielles (anciens bâtiments de production ou annexes inutilisées et dégradées), mais aussi des terrains non-bâtis, issus de démolitions et végétalisés, mais trop dégradés (c’est-à-dire aux sols et sous-sols pollués et encombrés) pour être réutilisés (fig. 7).

36Si les abandons et non-traitements sont fréquents en zone rurale et dans les endroits peu accessibles, les destructions rapides dominent en milieu urbain où la pression foncière et la phase dite « de deuil » sont les plus fortes. En effet, les sociétés affectées par les fermetures d’usines, souvent massives dans le dernier quart du XXe siècle, entrent dans ce que les sociologues (Grossetti et al. 1998) appellent une phase de deuil. Durant cette phase, les différents acteurs du territoire (anciens industriels, population, élus…) veulent tourner la page, passer à autre chose, c’est-à-dire faire leur deuil de l’industrie, alors synonyme d’échec socio-économique. On ne veut plus en voir les traces dans le paysage et, d’un point de vue territorial (Edelblutte, 2014), cela aboutit à de très nombreuses destructions qui laissent le paysage industriel orphelin de son créateur. Le tissu urbain est alors marqué par des espaces végétalisés (fig. 7) qui sont issus de la destruction des sites industriels et du traitement sommaire des terrains, au milieu des anciennes cités ouvrières, des services et de la voirie de plus en plus abîmés car leur entretien était autrefois assuré par l’industriel. Cela dégrade encore l’image du territoire et condamne encore plus le paysage industriel qui oscille alors, comme l’écrit M. Daumas dans son premier chapitre, entre, au mieux, indifférence et, au pire, rejet.

Fig. 7. Friches bâties et friches nues au cœur de la perception négative du paysage industriel

Fig. 7. Friches bâties et friches nues au cœur de la perception négative du paysage industriel

Sources : Edelblutte 2013 ; Humbert, Renard-Grandmontagne 2009

La culture industrielle ouvre la voie

37Cependant, au fur et à mesure que l’activité industrielle disparait du paysage par destruction ou par banalisation, la phase de deuil s’estompe et la perception de l’activité industrielle évolue positivement. L’industrie est menacée, devient rare, moins visible, et suscite à nouveau l’intérêt, voire fascine, comme un élément d’un passé glorieux et regretté. De plus, face aux nombreuses destructions et surtout échecs des premières reconversions qui ne traitaient en urgence que le site industriel lui-même sans se préoccuper du cadre, de la société et du territoire, on comprend que l’industrie n’est pas que matérielle, mais comporte aussi un aspect culturel (Daviet 2005). Il ne suffit donc pas d’effacer les usines pour que le paysage comme la société perde un caractère industriel jugé comme passéiste et que les territoires concernés se redéveloppent spontanément. En effet, l’industrie et le paysage qu’elle avait créé étaient devenus, avec le temps, des éléments de l’identité locale. Les systèmes industrialo-paternalistes impliquaient une relative fermeture et un entre-soi favorisé par une reproduction sociale sur plusieurs générations d’ouvrières et d’ouvriers. S’étaient ainsi constituées des communautés très fortes, aux cultures et aux identités spécifiques très liées au travail industriel ou minier. Ces communautés oscillaient toujours entre reconnaissance et ressentiment vis-à-vis du « patron », industriel fournissant emplois, logements et services, mais contrôlant ainsi la vie économique, sociale, et très souvent politique, en tant que maire de la commune (Edelblutte 2011).

38Cette facette culturelle de l’industrie, et notamment du paysage industriel, transparait dans la culture populaire de toute l’Europe occidentale à la fin du XXe siècle : films, tels que The Full Monty (1997), de P. Cattaneo, qui fait de la friche industrielle et de la ville-usine en déliquescence, où d’anciens ouvriers métallurgistes s’essayent au strip-tease, un personnage à part entière de l’action ; bandes-dessinées qui ont pour décor des paysages industriels hérités, comme celles de Baru (La piscine de Micheville en 1985, L’autoroute du soleil en 1994) ; pochettes de disques à l’esthétique industrielle (Pink Floyd : Animals en 1977 ; Big Country : Steeltown ; Depeche Mode : Some Great Reward en 1984) et mise en chanson de sons industriels (les bruits de la raffinerie de Stanlow au Royaume-Uni qui constituent l’introduction de la chanson éponyme, par Orchestral Manœuvres in the Dark en 1980) ; romans comme ceux de N. Mathieu, prix Goncourt en 2018, dont l’action se déroule dans des territoires anciennement industrialisés ; voire décoration intérieure de plus en plus portée sur le mobilier métallique ou les verrières typiques des intérieurs d’usines. Cet intérêt, voire cette fascination, aboutissent à une volonté récente de reconnaitre, voire de protéger par la patrimonialisation, les héritages de l’industrie.

Une inscription tardive de l’industrie dans le champ patrimonial

  • 7 This was witnessed between the wars by the foundation of numerous special interest societies such (...)

39En raison de cette évolution des représentations, envisager de patrimonialiser un héritage tel que les héritages industriels (et, a fortiori, les paysages industriels) est arrivé très tardivement dans l’histoire du mouvement patrimonial. Ainsi, les premiers travaux concernant le patrimoine industriel sont, au Royaume-Uni, premier pays concerné par les Révolutions industrielles, des études de cas réalisées par de multiples sociétés et associations locales7. Ces travaux, liés à des vestiges de la première révolution industrielle, voire de la proto-industrie, sont effectués sous forme de fouilles dégageant les ruines d’un bâtiment ou d’un haut-fourneau du XVIIIe siècle par exemple. Le terme consacré à cette époque est donc celui d’archéologie industrielle, utilisé pour la première fois dans les années 1950 par M. Rix (Falconer 2006).

40Cependant, et bien qu’utilisée au début du mouvement en Belgique, en Allemagne, aux États-Unis ou en France par M. Daumas lui-même, l’expression « archéologie industrielle » devient, dès la fin des années 1980, insuffisante car « le terme met l’accent sur la démarche, non sur un champ conceptuel » (Dorel-Ferré 2007 : 124) ; elle est donc trop réductrice face au développement de la nouvelle activité. En effet, celle-ci s’étend très vite, au-delà des fouilles, à l’étude des objets et des techniques, puis des bâtiments industriels encore debout et de leurs annexes et, enfin, de plus vastes territoires encore pour toucher au paysage produit par l’industrie dans son ensemble. Cet élargissement ouvre d’ailleurs la porte du patrimoine industriel à des chercheurs autres que les historiens, les archéologues ou les historiens de l’art, comme les géographes, qui « s’intéressent à l’objet patrimoine avec un retard considérable par rapport aux autres sciences sociales » (Gravari-Barbas, Guichard-Anguis 2003 : 10), car il a trop longtemps été limité aux objets et aux bâtiments seuls, notamment dans le champ industriel. L’expression « patrimoine industriel » finit donc par s’imposer vers la fin des années 1980, tout au moins sur le continent car le Royaume-Uni reste plutôt fidèle à l’expression « archéologie industrielle », enracinée depuis plus longtemps, et bien que le concept y soit tout aussi englobant que sur le continent.

41Ainsi, le développement de la culture industrielle et de l’idée de protéger voire de mettre en valeur, non seulement des héritages industriels ponctuels, mais aussi des paysages entiers, s’est imposée récemment et a abouti à des réalisations concrètes.

Le paysage industriel, un héritage mis en valeur et parfois patrimonialisé

42Ces réalisations concrètes sont autant de formes de mise en valeur d’héritages industriels, parfois patrimonialisés au plus haut degré. Au sein de ces mises en valeur, quelquefois spectaculaires mais plus souvent vernaculaires, la patrimonialisation des paysages industriels soulève des difficultés spécifiques.

Héritage et/ou patrimoine ?

43Comme l’expliquent Linossier, Russeil, Verhage et Zepf en 2004, le patrimoine n’existe pas a priori ; il est le fruit d’une double reconnaissance, sociétale (une association de protection par exemple) et institutionnelle (un label, un classement). Il est donc de plus en plus nécessaire de distinguer héritage et patrimoine pour éviter de tomber dans le « tout patrimoine » (Neyret 2004) et donc de considérer automatiquement que tout ce qui vient du passé est un patrimoine. En effet, si le mouvement d’élargissement du patrimoine a bien permis la prise en compte de nouveaux champs peu explorés auparavant (comme l’industrie et le paysage), il comporte un risque de muséification rendant impossible d’opérer des sélections d’éléments à l’intérieur de ce qui vient du passé. Pour pouvoir continuer à évoluer, la société peut donc considérer tout ce qui vient du passé comme des héritages et, à l’intérieur de cette masse d’héritages, opérer des sélections patrimoniales pour ce qui peut être considéré comme digne d’intérêt, devant être protégé, valorisé, et donc labellisé, c’est-à-dire reconnu officiellement.

44Cette distinction entre héritage et patrimoine, certes globalement opérationnelle et de plus en plus utilisée en géographie, sociologie, urbanisme, aménagement du territoire… n’est pas exempte de défauts et ouvre des questionnements (Morisset 2012). Par exemple, comment désigner des héritages mis en valeur d’une manière ou d’une autre (et donc préservés) sans être pour autant labellisés donc reconnus officiellement ? Enfin, sa transcription en anglais est difficile car, dans cette langue, patrimoine se dit heritage, ce qui prête à confusion avec le français. La difficulté de distinction est encore plus vive au niveau des paysages car ils combinent justement plusieurs types d’héritages, ici industriels, et divers degrés de mises en valeur, patrimoniales ou non. Ainsi, le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, mélange, sur un territoire d’environ 100 km d’Est en Ouest et de 25 km du Nord au Sud, sites classés UNESCO (chevalements, terrils, cités ouvrières, etc.), zone tampon et espaces non classés comprenant aussi des éléments industriels hérités plus ou moins mis en valeur ou négligés ainsi que des éléments industriels actifs (usines en fonction).

Quand le paysage industriel devient patrimoine : une action de redéveloppement territorial

45Dans les domaines civil, militaire, ou religieux, la patrimonialisation des bâtiments ou monuments seuls, aménagés de façon muséale autant pour des raisons didactiques de transmission de la mémoire qu’économiques pour répondre au développement du tourisme culturel, a longtemps été dominante. Si cette configuration peut fonctionner dans ces domaines, c’est plus difficile dans le champ industriel où l’usine seule peine à être même considérée comme digne d’intérêt patrimonial. Ainsi, très vite, en matière industrielle, les mises en valeur d’une seule usine pour en faire un musée ont montré leurs limites et il a fallu passer à des échelles plus englobantes, telles que celles du territoire et du paysage.

46La prise en compte des paysages ou des impacts paysagers de l’industrie dans la patrimonialisation s’est d’abord et essentiellement incarnée autour d’éléments spectaculaires, s’imposant dans le paysage, plus que par la protection du paysage dans sa diversité systémique en tant que telle et présentée dans la première partie. Ces héritages représentent des signatures paysagères pour les territoires auxquels ils appartiennent et sont donc patrimonialisés, c’est-à-dire officiellement reconnus par un label et mis en valeur comme des symboles de l’identité locale. Les termes géosymbole, totem territorial ou encore landmark peuvent être utilisés (fig. 8). Ces réalisations industrialo-patrimoniales n’ont pas qu’un objectif mémoriel et ils doivent devenir des leviers d’action pour enclencher un redéveloppement territorial (Daviet, 2006), en attirant l’attention sur un territoire et en cristallisant l’identité locale autour d’elles. Elles doivent agir comme un moteur urbain (Del Biondo, Edelblutte, 2016) du développement local. Cependant, si elles sont immanquables dans le paysage et jouent un rôle territorial, elles ne sont pas toujours des protections et mises en valeur de paysages industriels entiers car elles restent, pour la majeure partie d’entre elles, ponctuelles.

Fig. 8. Les landmarks industrialo-patrimoniaux : des marqueurs paysagers

Fig. 8. Les landmarks industrialo-patrimoniaux : des marqueurs paysagers

Sources : Del Biondo 2014, Edelblutte 2012, Edelblutte 2014

47De plus, ces exemples ne fonctionnent que pour des héritages industriels et miniers exceptionnels, avec des éléments spectaculaires, les fameux géosymboles. Comment faire pour mettre en valeur, sans forcément les patrimonialiser officiellement (ce qui implique une lourde procédure), les héritages industriels plus discrets, vernaculaires, du quotidien (cités ouvrières isolées et dispersées, petites usines, petits bâtiments de services ou de commerce, petit canal usinier, etc.) qui sont, tout autant que les éléments spectaculaires, des composantes d’un paysage industriel. Comment faire pour que ces héritages, sans même les patrimonialiser, participent au développement du territoire ?

48L’exemple traité sur la figure 9 ouvre une piste pour répondre à ces questions. À La Bresse (Vosges), a été réalisé en 2018 un sentier du textile qui met en réseau, par un itinéraire balisé et des panneaux explicatifs, des éléments hérités (donc non patrimonialisés) de l’histoire de l’industrie textile locale (ancienne usine, cité ouvrière, canal usinier, etc.), mais aussi des éléments textiles encore actifs (usines actuelles). Cela permet donc d’interpréter et de comprendre le paysage industriel hérité et actif local. Il ne s’agit pas ici d’attirer des milliers de touristes, mais bien de valoriser l’identité industrielle locale et redonner fierté et confiance aux habitants dans leur territoire et de le rendre ainsi plus attractif. Le paysage industriel hérité et mis en valeur, de facto patrimonialisé, participe donc au redéveloppement du territoire.

Fig. 9. Le sentier du textile à La Bresse, une mise en valeur aboutie d’un paysage industriel textile vernaculaire

Fig. 9. Le sentier du textile à La Bresse, une mise en valeur aboutie d’un paysage industriel textile vernaculaire

Source : Edelblutte 2018

49Qu’il s’agisse d’éléments symboliques parfois isolés ou d’un petit patrimoine vernaculaire « immergé » mis en réseau, les paysages industriels sont de plus en plus considérés comme des héritages dignes d’être patrimonialisés. Ils sont d’ailleurs parfois reconnus au plus haut niveau par des inscriptions sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, tout en demeurant des éléments phares du redéveloppement territorial.

Le paysage industriel à l’UNESCO : culturel, évolutif et vivant

50Il faut attendre 1992 et la Convention de la 16e session du comité du patrimoine mondial pour que l’UNESCO décide de prendre en compte les paysages dits culturels (c’est-à-dire liés à des réalisations humaines). Cette notion est précisée (et donc rendue plus opérationnelle) dans les Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial de 2008 avec la définition des différentes catégories de ces paysages culturels, dont celle de paysage culturel évolutif vivant. Ce dernier est défini comme « un paysage qui conserve un rôle social actif dans la société contemporaine, étroitement associé au mode de vie traditionnel et dans lequel le processus évolutif continue » (UNESCO 2008 : 89). Cette catégorie est particulièrement bien adaptée aux héritages industriels qui comprennent, sur un système territorial plus ou moins étendu, des éléments toujours actifs, d’autres inactifs (dont les friches), le tout s’insérant dans un territoire qui fonctionne aujourd’hui différemment (urbain, rural, périurbain…).

  • 8 Ainsi, la fiche UNESCO du village-usine classé de New Lanark au Royaume-Uni présente le site en l’i (...)

51Les inscriptions sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO dans le domaine industriel, au demeurant tardives par rapport à la création de la liste en 1975, ont en fait rapidement intégré, autour de l’usine elle-même, le site industriel dans sa totalité (usine sidérurgique de Völklingen, Allemagne, classée en 1994) ou mieux encore, le village ouvrier ou la ville-usine entière (Crespi d’Adda, Italie, 1995 ; Saltaire ; New Lanark, Royaume-Uni, 2001), voire des réseaux de sites industriels proches (gorge d’Ironbridge, Royaume-Uni, 1986 ; usines de la vallée de la Derwent, Royaume-Uni, 2001 ; sites miniers majeurs de Wallonie, Belgique, 2012 ; filature de soie de Tomioka, Japon, 2014). Certes, le mot paysage n’apparait pas dans le libellé de ces classements ou n’est pas évoqué en lien avec l’industrie dans les conventions initiales, mais il s’agit d’ensembles assez vastes pour que cet aspect paysager soit en fait implicitement contenu dans le classement8.

52Plus récemment, le paysage industriel est explicitement reconnu au niveau de l’UNESCO au sein de cette catégorie des paysages culturels évolutifs vivants. Cinq sites sont classés à ce titre : le paysage industriel de Blaenavon (Royaume-Uni, classé en 2000) ; le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais (France, 2012) ; le paysage industriel de Fray Bentos (Uruguay, 2015) ; le paysage d’ardoise du nord-ouest du Pays-de-Galles (Royaume-Uni, 2021) et le paysage minier de Roşia Montană (Roumanie, 2021). Cependant, les parties inscrites constituent en réalité plus des archipels d’éléments industriels et miniers ponctuels qu’un paysage proprement dit. Néanmoins, leur mise en exergue et la mise en place d’une zone tampon reliant certains des éléments inscrits, contribue à donner une ambiance particulière au paysage local.

53Enfin, cette appellation admet qu’un paysage évolue toujours, qu’il est vivant et qu’il peut être transformé, autorisant ainsi des modifications des héritages. On rejoint-là les débats, très anciens dans le domaine du patrimoine en général, entre preservation et conservation (Cullingworth, Nadin 2006) ; la première impliquant le maintien de l’état original, la seconde acceptant modifications et améliorations de cet état orignal. Cela illustre aussi les difficultés de gestion de ces ensembles vastes qui vont bien au-delà du monument seul. Cette gestion patrimoniale relève en effet d’un certain défi, car elle demande un dialogue et des négociations permanentes entre les différents et nombreux acteurs de ces ensembles vastes et donc soumis à des intérêts et représentations multiples. Ces difficultés et complexités de gestions ont d’ailleurs abouti au retrait de la liste du patrimoine mondial d’un de ces sites (non industriel) classé au titre de paysage culturel évolutif vivant. Le paysage de la vallée de l’Elbe à Dresde, en Allemagne, a en effet été déclassé en 2009 car de nouvelles constructions ont dénaturé, selon l’UNESCO, la nature exceptionnelle du site.

Conclusion

54L’inflation patrimoniale initiée à la fin du XXe siècle touche donc aussi les paysages industriels, à divers degrés, dans une grande diversité de réalisations dont certaines ont atteint une reconnaissance internationale par le biais de l’UNESCO et de ses paysages culturels évolutifs vivants. C’est en réalité dans cette formulation que la possibilité de réussite de ces classements, inscriptions, reconnaissances ou mises en valeur diverses, réside. En effet, les paysages nés de l’industrie sont liés à un système productif (Carroué 2015) utilitaire et ne sont pas, à part quelques exceptions évoquées en partie 1.1 autour des usines « travesties », donnés à voir. Ils s’inscrivent donc en contraste avec des paysages ruraux, urbains, militaires, touristiques ou encore religieux, pour lesquels le « donné à voir » et le symbolique sont consubstantiels, des plazza mayores espagnoles aux gratte-ciels de Dubaï, en passant par les clochers des églises de village, ou les châteaux de la Loire. M. Daumas le pressentait lorsqu’il illustrait sa première partie sur « les paysages industriels » par une remarquable photo d’usine chimique et tubulaire sur fond de ville médiévale à Provins (Daumas 1980 :22, figure 8).

55Certains éléments du paysage industriel sont en fait devenus symboliques (un haut-fourneau, un quartier de cités ouvrières, etc.) d’une époque, d’une société, d’une manière de vivre et d’une culture dont on a compris, depuis la fin du XXe siècle, l’importance de protéger et de transmettre au moins certains de ses éléments. Ces paysages sont en effet issus du travail des humains, de leur capacité à tirer parti des ressources locales et de leur intelligence pour améliorer leur confort et leur bien-être. En cela, ils ne doivent pas ou plus être opposés à une dernière catégorie de paysages, d’ailleurs elle aussi reconnue par l’UNESCO, les paysages naturels, dont on déplore la détérioration par toutes les activités humaines, au premier rang desquelles l’industrie. En effet, l’industriel d’aujourd’hui, comme l’architecte ou l’urbaniste, doit tenir compte, dans une perspective de soutenabilité de son activité et de son développement, de son milieu d’implantation et donc du paysage naturel qu’il va contribuer à modifier.

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SCHWARTZ, Franck. Les isolats industriels en Alsace. In: DOREL-FERRÉ, Gracia (éd.). Le patrimoine industriel dans tous ses états. Un hommage à Louis Bergeron, Université de Savoie-Mont Blanc, 2019, p. 256-265.

UNESCO, Comité du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations-Unies pour l’Éducation la Science et la culture -. Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, 16ème session, Santa Fe, 1992.

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VESCHAMBRE, Vincent. Le patrimoine, de la pierre au paysage. In : FOURNIER, Jean-Marc, RAOULX, Benoît (dir.). Environnement, aménagement, société en Basse-Normandie, Les documents de la maison de recherche en sciences humaines de Caen, 1998, no 6, p. 55-76.

WORONOFF, Denis. La France industrielle ; gens des ateliers et des usines 1890-1950. Paris : Éditions du Chêne, 2003.

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Notes

1 La définition proposée ici laisse un flou sur la limite entre industrie, proto-industrie et artisanat, activités productives générant territoires et donc paysages aux caractéristiques parfois communes, parfois originales, par rapport au paysage industriel.

2 Sachant que les résultats de telles recherches varient constamment puisque le nombre et l’ordre des images est liée au nombre de clics des internautes, la recherche effectuée le 24 mars 2024 donne pas loin de 1000 références très largement dominées par des usines tubulaires aux cheminées fumantes. Il faut attendre la 19ème place pour avoir une photo d’usine tubulaire sans cheminée et la 36ème place pour avoir une usine non tubulaire (des halles du XIXème siècle). Les usines présentées sont très majoritairement dans un cadre urbain (quand on voit ce cadre) et les représentations d’annexes non-productives, telles les cités ouvrières, sont extrêmement rares.

3 Il n’existe pas d’émoji « paysage industriel ».

4 Une vallée industrielle héritée est visible sur la figure 7 (« Vallée de l’Orne, Meurthe-et-Moselle, Moselle.

5 Un palimpseste est un parchemin de l’Antiquité, gratté et réutilisé au Moyen-âge pour d‘autres écrits, mais dont on retrouve plus récemment les écrits originels sous les écritures médiévales. L’analogie peut donc être faite avec le paysage qui conserve à côté ou sous de éléments actifs, des traces d’héritages inactifs.

6 La représentation des usines et annexes productives sur les tableaux est à la fois ancienne (« Coalbrookdale by night » de Philip James de Loutherbourg en 1801 représente le site des premiers hauts-fourneaux à coke d’A Darby dans les Midlands au Royaume-Uni) et célèbre (le tableau « Impression, soleil levant » de C. Monet en 1874, qui a donné son nom à l’impressionnisme, montre en arrière-plan cheminées et grues du port du Havre).

7 This was witnessed between the wars by the foundation of numerous special interest societies such as the Newcomen Society (the national society for the study of the history of technology) and the Wind & Watermill Section of Society for the Protection of Ancient Buildings” (Falconer 2006).

8 Ainsi, la fiche UNESCO du village-usine classé de New Lanark au Royaume-Uni présente le site en l’insérant « dans un pittoresque paysage écossais près des chutes de la Clyde » (https://whc.unesco.org/fr/list/429/), mais n’évoque pas le paysage industriel à propos du site lui-même qui en constitue pourtant bien un.

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Table des illustrations

Titre Fig.1. Exemples de composantes du paysage industriel
Crédits Sources : Edelblutte 2008-2023 ; Bailoni 2009
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ephaistos/docannexe/image/13173/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 399k
Titre Fig. 2. Le paysage industriel est aussi composé d’éléments originaux
Crédits Sources : Edelblutte 2008-2014
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ephaistos/docannexe/image/13173/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 511k
Titre Fig. 3. Tavaux, une ville-usine de la chimie
Crédits Source : Collé 2015
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ephaistos/docannexe/image/13173/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 231k
Titre Fig.4. Les paysages industrialo-ruraux et industrialo-urbains
Crédits Sources : Humbert 2004 ; Archives municipales Nancy années 1960 ; Edelblutte 2017
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ephaistos/docannexe/image/13173/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 408k
Titre Fig. 5. Dilution et banalisation d’un palimpseste de l’industrie dans un paysage suburbain : la ZAE de Champigneulles (Meurthe-et-Moselle)
Crédits Source : Humbert, Renard-Grandmontagne, 2008. Incrustations : Edelblutte, 2023
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ephaistos/docannexe/image/13173/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 289k
Titre Fig. 6. Le paysage industriel, symbole de modernité au XIXe siècle
Légende Carte postale centrée sur une usine sidérurgique à Neuves-Maisons (Meurthe-et-Moselle) en 1903 et entête du papier à lettres de la clouterie de Bainville-aux-Miroirs (Meurthe-et-Moselle) à la fin du XIXe siècle : une toute petite usine agrandie et magnifiée par le dessin
Crédits Sources : Atelier Mémoire Ouvrière de Neuves-Maisons (haut) ; Archives de la famille Enel (bas)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ephaistos/docannexe/image/13173/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 230k
Titre Fig. 7. Friches bâties et friches nues au cœur de la perception négative du paysage industriel
Crédits Sources : Edelblutte 2013 ; Humbert, Renard-Grandmontagne 2009
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ephaistos/docannexe/image/13173/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 259k
Titre Fig. 8. Les landmarks industrialo-patrimoniaux : des marqueurs paysagers
Crédits Sources : Del Biondo 2014, Edelblutte 2012, Edelblutte 2014
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ephaistos/docannexe/image/13173/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 233k
Titre Fig. 9. Le sentier du textile à La Bresse, une mise en valeur aboutie d’un paysage industriel textile vernaculaire
Crédits Source : Edelblutte 2018
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ephaistos/docannexe/image/13173/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 135k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Simon Edelblutte, « Le paysage industriel : un défi patrimonial ? »e-Phaïstos [En ligne], XII-2 | 2024, mis en ligne le 26 novembre 2024, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ephaistos/13173 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12rzd

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Auteur

Simon Edelblutte

Simon Edelblutte est professeur de géographie à l’Université de Lorraine. Il est spécialiste des paysages et territoires de l’industrie : leur genèse, leur développement, leur évolution vers de nouvelles formes, notamment dans leurs rapports avec l’urbain, autour de thématiques telles que la ville-usine, les faubourgs industriels ou les zones d’activités. Les héritages multiples de l’industrie après fermeture, niés, valorisés ou éventuellement patrimonialisés, sont analysés autour des thématiques de la reconversion industrielle et du redéveloppement territorial dans le cadre plus global de la transition. Si les entrées paysagères et géohistoriques sont privilégiées, les approches quantitatives et sociales ne sont pas négligées, le tout permettant analyses et caractérisations utiles à l’aménagement de ces territoires industriels, post-industriels ou néo-industriels.

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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