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Tribune

Un bilan controversé. Le point de vue des historiens égyptiens

Ramadân al-Khûlî et ‘Abd al-Râziq ‘Îsâ
p. 25-46

Texte intégral

« C'est en Égypte, avec l’ouverture de l'École des langues (Madrasat al-alsun) et l’inscription à son programme d’un enseignement d’histoire, dispensé par un professeur spécialement nommé à cet effet, que, pour la première fois dans l’histoire de l’éducation en pays musulman, l'histoire est reconnue comme une science à part entière. »1

1C'est en ces termes que Gamâl al-dîn al-Shayyâl formulait ce rappel dans son ouvrage sur l'histoire et les historiens en Égypte au xixe siècle. Et Anwar ‘Abd al-Malik d'ajouter :  

« Grâce à Tahtâwî et à ses disciples, grâce à la précision et à la rigueur de la méthode adoptée, le recueil des faits historiques quittait la chronique pour devenir de l'histoire au sens plein du terme. En s’ouvrant sur le monde, en s’appliquant à tous les âges, cette conception nouvelle de l'histoire, conforme au projet poursuivi par le cheikh Rifâ’â al-Tahtâwî dans tous ses ouvrages, mettait aussi fin à l'isolement dans lequel avait vécu l'Égypte ottomane. Il offrait à l'élite, c'est-à-dire à la "classe politique", une vision du cadre général dans lequel s'opérait la renaissance du pays. En décrivant l’Égypte comme une nation, il ouvrait également la voie à une histoire spécifique de l'Égypte. »2

2Le développement du mouvement national, aux lendemains de la révolution de ‘Urâbî et de l'occupation britannique (1882), influença profondément l'historiographie de la fin du xixe siècle, pour recentrer l’intérêt des historiens sur les affaires intérieures : l’histoire du mouvement national lui-même, la formation de l’Égypte moderne ou l’histoire de la famille khédiviale retinrent seules leur attention3. Et la tendance s'intensifia encore avec la formation du Parti de la Nation (Hizb al-Umma), en 1908. La culture sécularisée qui dominait alors le débat politique accrédita l’idée que le mouvement de sécularisation plongeait ses racines dans les quelques années de l’occupation française et s’était renforcé avec Muhammad ‘Alî, au détriment de la pensée religieuse.

3C’est sur ces prémisses que se fonde l’initiative prise par le roi Fu’âd, après la disparition de l’Empire ottoman et l’institution de la monarchie égyptienne (1922). Soucieux de lier, de manière indissoluble, la modernisation de l'Égypte à la dynastie de Muhammad ‘Alî, soucieux aussi d’effacer tout souvenir de ce qu’elle devait à l’Empire ottoman et d’ancrer l'idée de la formation autonome d’une « nation égyptienne moderne » plus liée à l'Europe qu’à l’Empire, il constitua un comité d’historiens, doté de tous les moyens nécessaires et chargé de réunir les documents relatifs à l’histoire de la dynastie dans les archives consulaires européennes. Cette immense entreprise donna naissance à trente volumes, publiés aux frais de sa majesté, par la Société égyptienne de géographie4.

4Elle explique l’abondance et la précocité des travaux consacrés à l’Égypte khédiviale, qui contraste avec l'intérêt très limité accordé à l'Égypte ottomane, aujourd’hui encore largement méconnue, et explique la rupture faite, dans le traitement historiographique, entre l'époque ottomane et celle qui l’a suivie. Le règne de Muhammad ‘Alî reste, en effet, perçu par de nombreux historiens comme le début d'une ère n'ayant rien à voir avec les âges obscurs qui l’ont précédé. Un retour vers le passé s'impose donc.

5La première mission scolaire envoyée en Europe (1915) pour se spécialiser dans les études d'histoire était formée de diplômés de l'École normale supérieure (Madrasat al-mu‘allimîn al-sultâniyya) ; elle fut suivie de plusieurs autres, formées de diplômés de l'université d’État créée en 1925. À leur retour au pays, tous ces boursiers occupèrent des chaires d'histoire à l’Université égyptienne et formèrent des générations d’historiens, contribuant ainsi au développement des études historiques en Égypte5. Dans les années trente émergent, avec trois pionniers de l'école historique égyptienne, de timides tentatives d'étude de l'Égypte ottomane. En dépit des divergences de leurs options intellectuelles, y compris celles relatives à l’époque ottomane, et en dépit de l’influence de leur formation européenne, ces trois pionniers constituent un courant historiographique purement égyptien, parallèle au courant européen.

6Le premier, Muhammad Muhammad Tawfîq, présente dans sa thèse sur l’écriture qirma (Khatt al-qirma, inédite) et dans deux articles sur « Le chaînon manquant de l’histoire moderne de l’Égypte » (al-Halaqa al-mafqûda fî wathâ'iq târîkh Misr al-hadîth)6, une première synthèse sur les sources de l’histoire ottomane. L’intérêt de Muhammad Tawfîq pour cette époque tenait surtout à sa sympathie pour le courant islamiste : il était donc très favorable à l'État ottoman, dans lequel il voyait un modèle politique toujours pertinent.

7Le deuxième, Hasan ‘Uthmân, est l'auteur du Mugmal fî-l-târîkh al-misrî fî-l-‘asr al-’Uthmânî (Précis de l'histoire de l'Égypte à l’époque ottomane)7 qui, malgré la simplicité de son contenu informatif, représentait à l'époque une œuvre d'un intérêt considérable. Hasan ‘Uthmân y encourageait l'étude de l'Égypte ottomane en ces termes : « Il existe, aux Archives nationales (Dâr al-mahfûzât al-misriyya), des milliers de documents inédits portant sur des aspects essentiels de l'histoire de l'Égypte, depuis le début de la période ottomane jusqu'au règne de Muhammad ‘Alî, et des milliers d'autres dans les archives européennes. Pour la plupart, ils n'ont encore jamais été consultés, du moins par les chercheurs arabes. »8

8Le troisième, Muhammad Shafîq Ghurbâl, était conscient de l'intérêt que présentait l'étude de l'histoire de l'Égypte ottomane, période de l'histoire d'Égypte toujours restée dans l'ombre, alors qu'il était impossible de comprendre les xviiie et xixe siècles sans avoir étudié au préalable la période antérieure. Il a donc édité et publié les sources premières de cette époque, dont un manuscrit de Husayn effendi al-Rûznamgî, auquel il a donné un titre significatif : Misr ‘inda muftaraq al-turuq (L'Égypte à la croisée des chemins)9, l'expédition d'Égypte marquant pour lui un tournant décisif dans l'histoire moderne du pays. Son projet d'édition critique du Mazhar al-taqdîs bi-dhahâb dawlat al-faransîs de ‘Abd al-Rahmân al-Gabartî10, resté inabouti, et son livre sur le général Yacqûb (al-général Ya‘qûb wa-l-fâris Lascaris wa mashrû‘ Misr fî sanat 1801)11, témoignent d’un même souci d'étudier la personnalité historique de l’Égypte et la formation de son identité nationale.

9La création de la Ligue des États arabes en 1945 ouvrit une nouvelle page dans le débat houleux engagé autour de la question de la « nation égyptienne ». L'Égypte était-elle une nation à part entière, ou simplement une province égyptienne (al-iqlîm al-misrî) au sein de la nation arabe ?12 La plupart des historiens optèrent pour l'étude de la nation arabe, en essayant de relever, dans l’histoire, les points communs aux différents pays de la région. L'arrivée au pouvoir des Officiers libres en 1952, pour lesquels tout ce qui était antérieur à cette date était révolu, eut pour effet non seulement d'amener les historiens à se désintéresser de l'histoire de l’Égypte ottomane ou khédiviale, mais parfois même à en dénaturer les faits. À titre d'exemple, la célèbre phrase d’Ahmad ‘Urâbî : « Sa’îd pacha a semé dans le cœur de la noble nation égyptienne les germes de la renaissance nationale », qui figurait dans la première édition de ses mémoires, a été supprimée de l'édition publiée en 1953, avec une préface de Muhammad Nagîb13.

10Les choses en restèrent là jusqu'au moment où, dans les années soixante-dix, Ahmad ‘Izzat ‘Abd al-Karîm, disciple de Shafîq Ghurbâl, redonna à l'étude de la période ottomane toute son importance. La fin du régime nassérien, qui faisait obstacle à la reprise des études ottomanes, et l’influence des travaux des orientalistes européens, dont un grand nombre était disponible en Égypte14, encouragèrent la naissance d’une nouvelle école historique, dite « archivistique » (al-madrasa al-tawthîqiyya) parce qu’elle donnait la primauté à l’étude des documents d’archives. Bien qu'il n'ait produit aucun ouvrage sur cette époque, ‘Izzat ‘Abd al-Karîm fut le chef de file de ce mouvement, dont les pionniers sont ‘Abd al-Rahîm ‘Abd al-Rahmân et Layla ‘Abd al-Latîf, qui formèrent de nombreux élèves.

11Les enjeux idéologiques ne disparurent pas pour autant de l’historiographie de l'Égypte ottomane et les opinions politiques continuèrent d’y jouer un rôle prépondérant. Deux tendances s’opposèrent – un courant de gauche et un courant islamique –, jusqu’à susciter une violente querelle intellectuelle dans la presse égyptienne. Les deux camps étaient représentés par Louis ‘Awad et Mahmûd Shâkir. Ayant pour objet, au départ, la littérature arabe, la querelle ne tarda pas à s'étendre à l'histoire de l'expédition d'Égypte. Pour Louis ‘Awad, l'expédition marquait le début de la modernisation de l'Égypte15. Dans un article paru dans les revues al-Risâla et al-Hilâl, Mahmûd Shâkir réfuta ses arguments et tenta de prouver que la modernisation remontait à plus loin dans l'histoire. Ainsi se trouvèrent fondés deux courants de pensée dont l’influence gagna l'université :

  • d’abord représenté par Muhammad Muhammad Tawfîq que l'on peut considérer comme son véritable fondateur, le courant islamique s’incarne désormais dans ‘Abd al-’Azîz al-Shannâwî. Après avoir été, dans les années soixante – sous l’influence du régime nassérien et à la faveur des « matières nationales » imposées aux programmes d’histoire, l’un des détracteurs les plus actifs de l’Empire ottoman, cet historien en est devenu, dans le courant des années quatre-vingt, l'un de ses plus grands défenseurs. Son ouvrage le plus célèbre, intitulé al-Dawla al-’Uthmâniyya dawla islâmiyya muftarâ calay-ha (L'Empire ottoman, un État musulman calomnié), fit école et plusieurs de ses élèves, à l'université d'al-Azhar, suivirent son chemin. S’attirant de nombreux partisans qui, de par leur formation religieuse, sont naturellement réservés à l’égard du parti adverse, qualifié de laïc, ce courant connaît aujourd’hui un grand succès ;

  • – à l’opposé, l’autre courant, emmené par Muhammad Anîs et formé principalement de gauchistes, considère que l'Égypte ottomane n’est que le prolongement du féodalisme médiéval. Mais en dépit des divergences qui les séparent, ces deux courants présentent aussi, paradoxalement, un certain nombre de points communs. Tous deux, par exemple, mettent en exergue le rôle joué dans l’Histoire par des figures égyptiennes, comme ‘Umar Makram pour al-Shannâwî et Humâm pour Louis ‘Awad.

12Face à ces deux lectures radicalement opposées de l’époque ottomane, une question se pose avec un acuité particulière : y a-t-il eu, durant l'époque ottomane, l’ébauche d’une renaissance culturelle (nahda) que l'expédition française aurait étouffée ? Ou faut-il penser, au contraire, que c'est l'occupation française qui a donné le coup d'envoi à la renaissance ? Gamâl al-dîn al-Shayyâl fut l'un des premiers à penser que les germes d’un renouveau intellectuel existaient en Égypte avant l'expédition16. Cette idée ne reçut cependant aucun écho chez les historiens égyptiens, avant que l’ouvrage d’un historien américain, Peter Gran, ne vienne relancer le débat sur la question. Dès sa parution et pendant vingt ans, Islamic Roots of Capitalism. Egypt, 1760-1840 17 suscita de vives polémiques et l'on peut dire qu'il donna naissance à une nouvelle interprétation de l’histoire de l'Égypte ottomane et du rôle joué par l'expédition dans la modernisation du pays.

13Cet aperçu sur l’évolution des études historiques et la place qu’elles font, dans l'histoire, à la dynastie de Muhammad ‘Alî, à l'Égypte ottomane et à la charnière que constitue entre elles l'expédition d'Égypte, montre à quel point elles restent sensibles aux changements politiques et à la demande sociale. Sur la base de ce constat, nous avons voulu faire, avec les historiens égyptiens d’aujourd’hui, un nouveau tour d’horizon. Pour échapper aux polémiques, souvent très partisanes, qui ont jalonné, tout au long de l’année 1998, la célébration des relations franco-égyptiennes, nous avons choisi de ne retenir que des historiens professionnels, pour la plupart enseignants d'histoire moderne et contemporaine des universités égyptiennes, sans égard à leurs positions historiographiques (voir en annexe la liste des historiens rencontrés, avec leurs titres et la liste de leurs principales publications). Ne pouvant organiser une table ronde les réunissant tous, nous avons procédé par entretiens, individuels ou collectifs, lorsque l'occasion se présentait de réunir plusieurs d'entre eux. La plupart des entretiens ont été enregistrés sur bandes magnétiques, puis retranscrits littéralement. Sur la base de ces documents, qui ont été soumis aux intéressés, nous avons ensuite tenté de dégager la synthèse qui suit.

14Il nous fallut d'abord définir les principaux axes du débat. Si l’actualité commandait de centrer les rencontres sur l'expédition d’Égypte, il s’avéra vite, pour les raisons évoquées plus haut, qu’il était impossible d’en débattre sans aborder aussi d’autres points. L’évaluation de l’état politique, social, économique et culturel du pays avant l'expédition, par exemple, cristallisait les oppositions les plus nettes et nourrissaient les thèses les plus contrastées, des plus passionnées aux plus réservées. Ce point alimenta donc un premier ensemble de questions.

15S'agissant de l'événement lui-même, entrer dans les détails de la campagne aurait eu pour seul effet de nous y noyer. Il nous paraissait préférable de donner une vision globale de sa perception. Ce choix était encouragé par l’expérience de l’un d’entre nous, professeur dans les écoles secondaires, et à qui un élève de troisième année préparatoire demanda un jour pourquoi les Égyptiens manifestaient une telle opposition à l'expédition française, puisqu’elle avait eu des effets aussi positifs et amené des progrès aussi considérables que l’introduction de l'imprimerie ou le déchiffrement de la pierre de Rosette. Il reprenait là des idées diffusées par les manuels scolaires pré-universitaires, tels que conçus par l'État. Il nous parut donc essentiel que le deuxième axe de nos entretiens portât sur l'enseignement de l'histoire de l'expédition d'Égypte dans les écoles et établissements universitaires.

16Un troisième axe s’imposa de lui-même, en raison de la confusion et des ambiguïtés qui entachaient les jugements portés sur l’événement lui-même. Ce manque de clarté nous parut tenir au flottement des outils conceptuels utilisés pour rendre compte des causes de l'expédition et évaluer ses résultats. Entre le « projet impérialiste » invoqué pour les unes et « l’impact culturel » censé résumer les autres, un recentrage s’imposait.

17Il fallait aussi mettre l'expédition en perspective. Les liens qui l’unissent à la politique de modernisation ouverte par le règne de Muhammad ‘Alî paraissaient, à cet égard, une question centrale. Non seulement par l’importance que lui reconnaissent les historiens, mais aussi par la place qu’elle occupe dans l'imaginaire collectif : ainsi, par exemple, en octobre 1991, la télévision diffusa un ballet intitulé « Les trois nuits du Sphinx », qui mettait en scène Bonaparte et Muhammad ‘Alî dansant ensemble, mais sans que l'on puisse savoir exactement s'il s'agissait d'une étreinte ou d'une lutte.

18Le dernier des thèmes retenus portait sur les réinterprétations présentes du passé. La « célébration » (ihtifâl) ou la « commémoration » (ihtifâ’) de l'expédition venaient, en effet, de susciter un violent débat. Les manifestations prévues pour l’année franco-égyptienne avaient été négociées par les autorités égyptiennes (le ministère des Affaires étrangères et celui de la Culture) sans que les historiens n'aient jamais été invités à donner leur point de vue. La question des usages politiques de l'histoire nous servit donc de conclusion.

L'Égypte ottomane entre décadence et renaissance

19Si quelques historiens soutiennent que l'expédition d’Égypte est venue interrompre un mouvement de modernisation amorcé dans l'Égypte ottomane, la plupart nient l'existence de tout mouvement, ou même de toute initiative allant dans ce sens, avant l'arrivée des Français. « La situation politique ne le permettait pas, explique ‘Abd al-Wahhâb Bakr : l'Égypte se trouvait sous le duumvirat d’Ibrâhîm et de Murâd, qui s'étaient emparés du pouvoir et émancipés de l'autorité ottomane centrale ; celle-ci envoya, en 1788, une expédition punitive sous le commandement du grand-amiral (capitan pacha) Hasan pacha, mais il fut rappelé au bout d'un an en raison de la reprise des hostilités avec la Russie. Ibrâhîm et Murâd reprirent le pouvoir et fondèrent leur autorité sur les rapines et la violence. Dire que cette époque a connu un mouvement de modernisation est impensable : on pourrait peut-être parler d'un tel projet pour ‘Alî bey al-Kabîr ou Muhammad bey Abû al-Dahab, qui ont tenté d’arracher l'Égypte à la suzeraineté ottomane. Mais dans l'un et l'autre cas, le projet échoua et l'expédition française arriva en un temps où l'Égypte était, de fait, sous le duumvirat d’Ibrâhîm et de Murâd, dont le seul souci était de piller le pays ; l'Empire ottoman n'exerçait qu'une autorité nominale et n'avait aucun projet civilisateur ou de modernisation. Rien n'indique, ni chez les Ottomans ni chez les Mamelouks, une quelconque initiative qui permette de penser qu'un projet de modernisation se construisait. »

20Reprenant le même point de vue, ‘Âsim al-Disûqî le justifie par un argumentaire plus économique : « Je suis bien d’accord qu’il ne faut pas toujours chercher des explications exogènes à la transformation de la société égyptienne. Mais regardons la situation du pays avant l'expédition française. Sous domination ottomane depuis près de trois cents ans, l'Égypte était réduite à l'isolement. Les Ottomans étaient à l’origine et jusqu'à leur sédentarisation en Asie mineure, des nomades menant une vie errante. Ils n'avaient rien à offrir à la société égyptienne. Par ailleurs, à leur arrivée en Égypte, l'ancienne route du commerce avait été déviée vers le cap de Bonne-Espérance et les Ottomans, qui craignaient que le commerce ne permette aux Européens de s’infiltrer dans leur empire, interdirent le passage des navires européens en mer Rouge. Même si le motif en était juste, cette mesure était une faute, car l’impact du commerce dépassait de beaucoup, à cette époque, le simple transport des marchandises : les commerçants, en passant plusieurs mois dans l'un ou l'autre port, amenaient avec eux des cultures et des civilisations diverses. En Égypte, du reste, les habitants des zones côtières, habitués au contact avec le monde extérieur, se distinguent nettement, sur le plan culturel, de ceux de l’intérieur du pays. Nomades sans civilisation, les Ottomans laissèrent la société égyptienne en l’état : ils maintinrent, par exemple, le système des corporations de métiers (tawâ’if), parce qu’il leur facilitait le contact avec les dirigeants. »

21Pour Ra’ûf ‘Abbâs,

« il faut tout d'abord préciser ce que l'on entend par projet modernisateur. À mon sens, on désigne ainsi le mouvement d’une nation donnée qui, sous l’influence d'une élite ou sous l’effet d'un courant général dans la société, tend vers un idéal visant à améliorer sa situation. L'histoire nous apprend qu’une telle situation ne se trouve que lorsqu’un changement objectif s’est produit dans la société ; il faut qu'apparaissent des forces nouvelles qui estiment que le changement est à son avantage. En Europe, par exemple, l’idéologie des Lumières ouvrit la voie, au xviiie siècle, à une évolution sociale et intellectuelle servant l'industrialisation. L'Égypte a-t-elle connu semblables changements ? La question nous invite aussitôt à nous interroger aussi sur les objectifs de l'expédition. En partant de France, avait-elle un projet civilisateur ou culturel ? Ce projet a-t-il laissé des traces en Égypte ? Pour moi, la réponse est négative : l'expédition n'avait qu'un objectif politique et ne devait servir que l'intérêt de la France. Mais bien qu'elle n'eût, au départ, aucune visée civilisatrice pouvant profiter à l'Égypte, elle a eu, néanmoins, des effets incontestablement positifs. La description que Gabartî fait de l'Institut d’Égypte (al-Magma’ al-misrî) fournit une juste réponse à la question. Le transfert de la science moderne suppose chez le receveur certaines prédispositions. Cette attitude positive, on la trouve, par exemple, chez Hasan al-’Attâr, alors jeune homme, qui décida d’apprendre le français et qui, par la suite, encouragea son élève, Rifâ’a al-Tahtâwî, dans la même voie. C'est ainsi que naquit, chez quelques Égyptiens, le désir de comprendre ce qui se passait chez l'Autre et ce désir, c’est le premier pas sur le chemin du savoir et du progrès. Être disposé à faire preuve d'humilité, reconnaître qu'une chose peut exister sans que je la connaisse, vouloir la connaître et progresser, voilà déjà une attitude positive. C'est sur elle que Muhammad ‘Alî a fondé son projet de modernisation. Par contre les gardiens de la tradition, les ulémas d'al-Azhar, ont toujours adopté une position hostile et agressive. Mais à ceux qui accusaient « le maître des faveurs » (waliyy al-ni’am) de faire appel aux chrétiens pour assurer le progrès des connaissances, Tahtâwî répondait par ce hadîth : « Cherchez la science, jusqu’en Chine s’il le faut. » Un tel changement d’attitude s’accompagne aussi d’une nouvelle conception de ce que doit être l’autorité politique, dont on attend qu’elle soit associée à la justice. Au moment de l’expédition, l’autorité politique, telle qu’elle était établie, se révéla incapable de protéger ses sujets : ils durent eux-mêmes assurer la résistance à l’occupant. Cela, c’était nouveau. De la même manière, l’élection de Muhammad ‘Alî par les dirigeants populaires serait inconcevable sans la rupture opérée par l'expédition et cette représentation nouvelle, qu’elle fit naître, de ce que devait être l’autorité politique. L'expérience vécue fit prendre conscience à tous que l’on ne pouvait plus avoir confiance ni dans les Mamelouks, ni dans les Ottomans et qu'un nouveau contrat social devait être conclu. »

22‘Imâd Ghâzî estime, lui, que

« la rupture est ancienne et bien antérieure à l'expédition d'Égypte. Pour l'Égypte comme pour la Syrie, c’est l'occupation ottomane qui interrompit le développement de la civilisation. Elle bloqua les mécanismes de dissolution de la société médiévale et la maintint dans l'inertie pendant trois siècles, du xvie au xviiie siècle, sans permettre qu’aucun changement ne vînt de l'intérieur. Lorsque vint le choc de la confrontation avec l'Autre – avec l'expédition de Bonaparte à la fin du xviiie siècle, celle de Frazer ensuite –, il était déjà trop tard pour que se réalise un développement endogène dans la région. Au temps des sultans mamelouks, les progrès réalisés dans le domaine de la médecine et des soins thérapeutiques, dont attestent le grand hôpital construit au Caire par le sultan Qalâwûn ou les travaux des médecins d'Orient, prouvent, entre autres choses, que l'Égypte et la Syrie étaient plus avancées que l'Europe. Au début du xixe siècle, nous en étions réduits à adopter la médecine de l'Occident – devenu la référence incontournable du progrès –, en raison de la déchéance de notre modèle local de développement, détruit par l'occupation ottomane.

« L’historiographie est un autre exemple. Il existait au xve siècle (ixe de l'hégire) une école historique proprement égyptienne, dont Maqrîzî est le meilleur représentant, et qui avait atteint un certain degré de développement par la méthode, l'analyse et le traitement de phénomènes complexes, comme les lois de l’économie. Elle disparaît avec l'occupation ottomane. Il n’y a pas de comparaison possible entre tous les historiens ottomans de Syrie ou d’Égypte et des historiens de la stature de Maqrîzî ou Ibn Khaldûn. Il fallut attendre bien longtemps la renaissance des humanités, plus tardive encore que la renaissance des sciences de la nature. Et elle nous vint d'Occident, comme le modèle même de l'université moderne.

« Et que dire du domaine des arts. Il suffit d’une visite au musée d'art islamique pour se persuader que l’évolution des arts a été continue de l’âge pré-islamique à la fin du sultanat mamelouk. Avec l'occupation ottomane, tout change : les arts sont d'inspiration européenne, les techniques, les styles suivent des modèles importés de l'Europe orientale. C’est le goût de la classe dominante et il entraîne derrière lui la société entière. La rupture, dans ce domaine encore, se fait avec l'occupation ottomane et non avec l’occupation française. Les traits européanisant de certaines gravures de la Description de l'Égypte, que certains tiennent pour des erreurs d'artistes incapables de s’arracher aux canons européens du Beau, tiennent en réalité à l’adoption par les Ottomans de ce goût européanisant. »

23Enfin, pour Yûnân Labîb Rizq,

« il suffit de regarder une carte de l'époque, pour rejeter totalement l’idée d’une renaissance ottomane, à moins que l'on entende par là un projet oriental, essentiellement fondé sur une renaissance religieuse et le retour à l’âge d’or. Mais s'il s'agit d'un projet de modernisation à la manière occidentale, qui suppose un État centralisé, une science expérimentale, une économie capitaliste, etc., alors un tel projet n'existait pas : il n'y avait ni culture séculière, ni méthode scientifique expérimentale, ni économie capitaliste, sauf à considérer que la présence de commerçants étrangers suffit à constituer une économie capitaliste ».

24Pour les tenants de l’opinion contraire, comme ‘Abdallâh ‘Azabâwî, « il y eut bien un réveil intellectuel dans le dernier quart du xviiie siècle. La première manifestation en fut les reproches adressés à la composition de gloses et de commentaires, accusés d’être une simple reconduction d’idées anciennes. Les ouvrages de Sabbân en grammaire arabe, et toute l’œuvre de Zabîdî – notamment le Tâj al-‘arûs, gigantesque encyclopédie, ou le commentaire du Ihyâ' ‘ulûm al-dîn de Ghazâlî –, constituent un véritable bond en avant. Un peu plus tard, Gabartî renouvelle l’histoire en rompant radicalement avec le système des « chaînes de transmetteurs » (al-isnâd) de l’historiographie traditionnelle. C’est enfin le cheikh Hasan al-’Attâr, le maître de Rifâ’a al-Tahtâwî, qui introduit de nouvelles orientations intellectuelles. Ce renouveau culturel, toutefois, touchait plus les sciences musulmanes traditionnelles, désormais soumises à critique, que les sciences appliquées. Celles-ci, pourtant, ne furent pas totalement négligées à l’époque ottomane : Hasan al-Gabartî, le père de l’historien, était passionné par l'astronomie, tout comme l’émir ‘Abd al-Rahmân Katkhuda ; d'autres s'intéressent aux mathématiques. Ces deux sciences étaient enseignées à domicile, loin de la mosquée d’al-Azhar, où ces disciplines n'étaient pas admises. Cet enseignement privé était, évidemment, chèrement payé. Le mot du cheikh al-Mahallî, qui enseignait les mathématiques : « Je ne dispense pas la science à bon marché », témoigne bien que l’on demandait des honoraires importants aux étudiants de ces cours privés de calcul ou de mathématiques. On oublie trop souvent que ce système d'enseignement parallèle, très éloigné de celui dispensé dans les écoles coraniques (madrasa) ou à la mosquée d’al-Azhar, remonte à la chute des Fatimides et à la fermeture du Dâr al-Hikma, où était enseignée la philosophie. Il n’exista plus, dès lors, d’établissement officiel spécifiquement dédié à l’enseignement des sciences. C’est pour compenser la disparition du Dâr al-Hikma que les ulémas prirent l’habitude d’enseigner à domicile. L’État, en tant que tel, ne subventionnait pas les établissements scientifiques. La mosquée d’al-Azhar tirait ses revenus des biens de mainmorte (waqf) qui lui étaient affectés. Ces biens, elle les tenait pour l’essentiel des classes dirigeantes dont la légitimité dépendait des ulémas et de leur monopole sur les sciences de la Loi (al-‘ulûm al-shar’iyya). À la fin du xviiie siècle, le droit musulman (fiqh) lui-même connaît une évolution importante. Le cheikh Muhammad al-Amîr, muftî malikite, en est le promoteur. Revenant à la doctrine des premiers jurisconsultes musulmans, il ne fonde ses jugements et ses consultations juridiques (fatwâ) que sur les deux sources fondamentales du droit que sont le Coran et la Sunna. En rétablissant l’usage qui avait prévalu jusqu’au xe siècle (ive siècle de l’hégire), il se distingue de ses contemporains qui étayaient aussi leurs avis des interprétations de leurs prédécesseurs.

25Ce réveil que connaît l’Égypte à la fin de l’époque ottomane n’a, précise Latîfa Sâlim, rien de surprenant :

« C’est une réaction, comme il s’en produit toujours au sortir d'une période de déclin et de faiblesse, lorsque s’amorce une reprise. Il ne fait aucun doute que la fin du xviiie siècle connut une sorte d'espoir et de regain. C'est le résultat d'une réévaluation des ulémas d'al-Azhar. On le voit au rôle qu’ils jouent dans la société égyptienne, aussi bien à la fin de l'époque ottomane que durant l'occupation française. Il est vrai qu'il existait bien des failles, on en a de multiples attestations. Pour autant, tout n’était pas sombre. On ne peut nier que l’expédition fut un choc, non pas un conflit de civilisation comme le soutient la théorie actuelle, mais un choc culturel : des hommes nouveaux arrivaient, apportant avec eux leurs idées et leurs valeurs, dans une société radicalement différente de la leur et qui, en conséquence, ne pouvait avoir de son renouveau qu’une représentation radicalement différente des valeurs européennes. On le voit chez Gabartî qui s'étonne, par exemple, de l'uniforme militaire et se demande comment les soldats peuvent se mouvoir sur le champ de bataille dans une telle tenue, ou qui s’amuse de la manière de s'habiller, de boire ou de manger des Français. Dans sa relation de voyage à Paris, Rifâ’a al-Tahtâwî en fait également le constat. Les Français, dit-il, sont venus avec une culture différente qui a provoqué des réactions diverses : pour les uns, il fallait s'en protéger ; pour les autres, il fallait les imiter, parce qu'ils étaient, de fait, plus avancés que nous sur la voie du progrès et qu’il n’y avait pas de raison de ne pas s’en approcher. Muhammad ‘Alî eut l’intelligence de le comprendre et c’est ainsi qu’après le départ de l'expédition, il a pu faire son chemin. »

« Ce renouveau, commente Muhga Gawda, peut-être daté de la charte de 1795 dans laquelle se cristallise, pour la première fois, une aspiration nationale et constitutionnelle. Avec l'expédition d'Égypte, cette prise de conscience se transforme en appel à la lutte contre l'impérialisme occidental. »

« Il est exact, ajoute en conclusion Ahmad ‘Abd al-Rahîm, que plusieurs études récentes ont, en effet, montré qu’il y eut, à la fin du xviiie siècle, ce que l'on peut considérer comme les prémisses d'un réveil intellectuel, touchant aussi bien les disciplines traditionnelles (naqliyya) que celles de la raison (‘aqliyya). Mais la question demande peut-être à être réexaminée à la lumière des sources nouvelles qui ont été exhumées ces dernières années. »

L’expédition d'Égypte dans les manuels scolaires et l’enseignement universitaire

26En guise de prélude, rappelons avec Hamâda Ismâîl que peu de travaux ont été consacrés à l’expédition d’Égypte ; les seules études qui en traitent ont été menées à titre individuel et avec des moyens personnels ; en dépit de son importance dans l'histoire de l'Égypte, le sujet n’a jamais suscité le moindre intérêt des institutions scientifiques. Elles manifestent ainsi, ajoute Azabâwî, leur manque de maturité : c’est à elles, en effet, qu’il devrait incomber de soutenir des projets de recherche, particulièrement sur des sujets sensibles. La recherche historique, en outre, s'appuie nécessairement sur des archives ; or, comme le soulignent Nâsir Sulaymân et Yahyâ Mahmûd, l’essentiel des archives de l'expédition (plus des deux tiers) se trouve à Paris. Les documents disponibles au Caire ne permettent pas de dégager de l'événement un tableau complet : ils sont trop peu nombreux, souvent lacunaires, et difficiles à déchiffrer parce que ce ne sont pas des originaux mais des copies faites à l’époque roi Fu’âd. Les chercheurs devraient pouvoir aller se documenter en France, mais ils ne peuvent obtenir aucune aide des institutions auxquelles ils appartiennent. Dans ces conditions, les universités égyptiennes sont bien mal outillées pour contribuer au renouvellement du savoir sur l’expédition et, a fortiori, pour former l’opinion.

« Dans la vision dominante, résume Âsim al-Disûqî, l'expédition d'Égypte n’est qu’une campagne militaire impérialiste et l’image qu’on en a se limite à celle de Bonaparte à cheval foulant le sol de la mosquée d'al-Azhar après la première insurrection du Caire. Pourtant, à en croire Ibn Iyâs, Salîm Ier avait été plus brutal encore, puisqu’il avait poursuivi ses adversaires jusque dans les minarets pour les massacrer. Mais, selon le cas, l'événement est jugé selon des critères différents et les préjugés l’emportent sur l’information scientifique. »

« Ces préjugés, ajoute Ra’ûf Abbas, tiennent à la formation même de l'historien, à la connaissance et la culture qu’il a de l'époque historique qu'il étudie. Pour parler de la résistance à l’oppression, par exemple, il faut avoir une parfaite connaissance de la personnalité égyptienne, des points sur lesquels des concessions peuvent ou ne peuvent pas être faites. Une  augmentation des impôts n'entraîne pas forcément une insurrection : la surexploitation fiscale a été de règle tout au long de l’époque ottomane. En revanche, le sentiment qu'a l'Égyptien moyen du danger qui le menace, lui et sa famille, lorsque son domicile est violé ou que ses croyances religieuses sont profanées, peut être un détonateur puissant. »

27A priori, la première éducation conceptuelle et méthodologique devrait se faire dans l'enseignement pré-universitaire, durant lequel se forment la sensibilité des jeunes et la conscience qu’ils auront de leur passé, quel que soit le domaine dans lequel ils se spécialiseront par la suite. L'élaboration, par l’État, des programmes et des manuels est donc un enjeu d’importance et qui peut prendre une tournure inquiétante si les options pédagogiques varient en fonction du régime au pouvoir. L'histoire est, d’après Kamâl Mughîth, particulièrement maltraitée :

« Elle est perçue par l'État comme un "dépôt" rempli d'objets divers, où il puise à sa guise ce que bon lui semble. Depuis longtemps, l'idée s’est établie qu’elle a d’abord pour fonction de justifier le régime politique en place. Sous l'occupation britannique et la monarchie, l'expédition était considérée comme marquant le début de la modernisation du pays. Avec la révolution des Officiers libres, en revanche, elle n’était plus que la première invasion occidentale impérialiste. Aujourd'hui, les bonnes relations franco-égyptiennes obligent à n’en retenir que les résultats positifs. »

28Pour Âsim al-Disûqî, l'un des auteurs du manuel de troisième secondaire,

« la difficulté qu'il y a à se libérer de l'ancienne terminologie, héritée de l’ère socialiste, constitue un obstacle au développement d’une approche scientifique. Notre manuel contient toujours les généralités habituelles, mais nous y accordons plus d’intérêt à l'effort de modernisation (binâ' hadâri) qu'aux conflits et aux guerres. Nous avons mis l'accent sur le fait que l'expédition a semé les germes du conflit de souveraineté entre pensée religieuse et pensée laïque, conflit qui s’est achevé sous Muhammad cAlî, avec la création des écoles civiles et l’établissement d’un dualisme culturel ». L’intervention de la puissance publique dans le contenu des manuels ne se limite pas, du reste, au maintien d’une phraséologie inadéquate ou à la coloration politique donnée à la narration des faits. Elle peut aller beaucoup plus loin, comme le raconte Abd al-cAzîz Sulayman Nawwâr, coauteur du même manuel, qui eut la surprise de découvrir, lors de la réédition du livre, que les chapitres relatifs à l’histoire des Croisades en avaient été supprimés « conformément aux directives du ministre », précisaient en première page les remerciements des auteurs ! Tous les historiens s’accordent sur la médiocrité du bilan. Abd al-Latîf al-Sabbâgh et Khâlid al-Nâghya, particulièrement, soulignent la gravité de la confusion ainsi générée dans l’esprit des jeunes, y compris ceux qui se destinent aux études historiques : « Quelque effort que l’on puisse faire pour rectifier les idées reçues, ils restent convaincus de ce qu'on leur a inculqué à l'école. »

L’expédition d'Égypte entre projet colonial et influence culturelle

29Pour la plupart des historiens, le projet colonial qui donne naissance à l’expédition l’emporte de beaucoup sur sa dimension culturelle.

« Dire que l'expédition est venue en Égypte avec un projet de civilisation à l'intention de la population égyptienne, estime Abd al-Hamîd Sulaymân, manque totalement d'objectivité. Dans la situation politique, sociale et économique où se trouvait la France, aussi bien en Europe qu’à l’intérieur de ses frontières, elle ne pouvait prendre le risque de dégarnir ses armées ou de les lancer dans un projet aussi risqué pour la seule raison d’arracher l'Égypte aux mauvais traitements que lui infligeaient Mamelouks et Ottomans. La réalité est que Bonaparte, après ses victoires au-delà des Alpes, en Italie et en Autriche, nourrissait le rêve d'un grand projet, d'un empire outre-mer. Le Directoire, de son côté, rêvait moins de conquêtes ou d’aventures coloniales, que de se débarrasser d'un général trop ambitieux. »

« L'expédition d’Égypte, surenchérit ‘Abd al-Wahhâb Bakr, est une expédition militaire purement coloniale. Elle n'avait pas d'objectifs culturels. De tels objectifs ne s'imposent pas par les armes. Une mission scientifique ou culturelle s'affirme par la conviction, les paroles ou les actes, et non par l'épée ou le canon. Or Bonaparte est arrivé avec des armes, c’était un militaire venu pour réaliser les objectifs des dirigeants politiques de son gouvernement, pour exécuter la volonté du Directoire. »

« Il est vrai que l'expédition française a apporté l'imprimerie, complète Sa’îda Husnî ; après tout, la chose était normale puisqu'elle venait dans un pays de langue arabe et qu'elle en avait besoin pour imprimer les proclamations à la population, les décrets ou les ordres destinés à ses soldats. Mais il n'est pas moins vrai qu'elle l'a reprise en quittant le pays. Si Bonaparte s'est fait accompagner de nombreux savants, c'est bien parce que leur présence à ses côtés servait ses objectifs. Dans le meilleur des cas, ce que l'expédition offrait sur le plan culturel était comme un cadeau empoisonné. »

30Pour ‘Âsim al-Disûqî, au contraire, les deux termes du débat sont inséparables :

« L'impérialisme se définit comme la politique d'un État visant à réduire un autre État à sa sujétion et c'est ce qu'a fait l'expédition d'Égypte. Mais l’autre volet de la question est que l'expédition n'était pas que militaire. À la différence de toutes les invasions que l'Égypte avait connues jusque-là, l'expédition française comprenait aussi des savants : Bonaparte lui-même était épris de l'Orient qu'il avait découvert à travers Volney. Il visait un établissement durable et ne se proposait pas uniquement de couper la route des Indes à l’Angleterre. Mais il s'attachait à connaître la société, exigeait de ses savants des mémoires détaillés sur les prix, les poids et mesures, le régime des terres, les mœurs et les coutumes. Toutes les études qui étaient faites étaient destinées à servir le décideur. Les informations recueillies dans le cadre de ce projet culturel étaient un investissement politique. La guerre, d'autre part, ne peut pas être évaluée selon des critères moraux puisque, d'une manière générale, toute guerre est immorale. Se proposer d’évaluer l’impact culturel de l’expédition, c’est vouloir juger des résultats moraux d'un événement immoral. »

31Dans le même sens, Kamâl Mughîth conclut que « l’expédition est incontestablement une expédition coloniale, mais l'histoire n'est pas une affaire de valeurs et d'idées. Elle se limite à l’examen de faits. Et il faut bien admettre, sur la base de ces faits, que l'expédition française a, en effet, amené des changements profonds dans la société égyptienne. La campagne de Bonaparte en Égypte n'est en rien comparable à celle de Hûlâgû à Bagdad. Prétendre le contraire serait par trop simpliste. »

Bonaparte et Muhammad ‘Alî aux pieds du sphinx

32L'idée que Muhammad ‘Alî a repris, en bon disciple de Bonaparte, l’essentiel de ses projets de modernisation de l'Égypte fait aujourd’hui figure de lieu commun. Analysant plus profondément ce rapprochement, Ra’ûf ‘Abbâs l'interprète de la manière suivante :

« Le lien entre les deux personnages existe et n'existe pas tout à la fois. Muhammad ‘Alî fut le seul à comprendre l'objectif politique de l'État ottoman. Témoin de la décadence de cet empire et de la supériorité des armées françaises, il a senti le danger que représentait une telle situation si elle venait à se prolonger. Il était profondément ottoman et, en conséquence, cherchait le moyen d'y remédier. Mais il a aussi compris quelle était la force réelle sur laquelle il pouvait s’appuyer et dont l’émergence était le produit de l'expédition : le peuple. Tandis que les Ottomans pensaient que la puissance des chefs populaires était passagère et que tout rentrerait à nouveau dans l'ordre, tandis qu'ils exigeaient le paiement de l’impôt des trois années de l’occupation française, Muhammad ‘Alî avait su tirer la leçon de l'expérience française. Il s’était également construit une vision de la réforme imitée du modèle français. Sur tous ces points, on peut trouver un lien entre l'expédition d'Égypte et Muhammad ‘Alî. Mais il resta toujours respectueux de la légitimité de l'État ottoman, même durant les guerres de Syrie. C'est ce qui se dégage de ses entretiens avec les consuls. Si Muhammad ‘Alî a bien souhaité la déchéance du Sultan Mahmûd, c’était pour le remplacer par son fils, encore enfant, dont il serait le régent.

« Pour le reste, il n’y a pas de véritable lien entre l’expédition et sa politique de réformes. Muhammad ‘Alî était surtout soucieux d’acquérir la technologie nécessaire à l’établissement de sa puissance militaire. Tout le reste était au service de cet objectif, la centralisation des ressources de l'État comme la transformation des structures de production. Il voulait réaliser son projet sans se placer sous la dépendance de quiconque. Ce que beaucoup ignorent, c'est que Muhammad ‘Alî fit d’abord appel aux Italiens, pour les premiers enseignements modernes, comme pour les premières traductions. Il ne s’est tourné vers les Français qu'à partir de 1825, après la chute de l'Empire. Il n’a donc fait appel à la France et à l’expertise française que lorsqu’il n’avait plus rien à en craindre. Du reste, qu’il s’agisse de la France ou de l'Italie, il ne traitait jamais directement avec les États, mais agissait par l’intermédiaire de ses agents de commerce à Marseille. Il traitait avec eux à titre individuel et selon ses conditions. Le projet de Muhammad ‘Alî doit bien peu, en réalité, à l'expédition. »

33Muhammad al-Hinnâwî estime que

« le rapprochement ne se justifie que parce que les deux hommes sont des chefs de guerre. La comparaison est intéressante, mais par les différences plus que par les ressemblances qu’elle révèle entre les deux projets. En dépit de la proximité dans le temps, les deux hommes s’opposent d’abord par le contexte de leur intervention. Muhammad ‘Alî est un officier albanais, musulman, sujet de l'Empire ottoman, et c’est en simple soldat de l'Empire, sous le commandement de Mustafâ pacha, qu’il vient en Égypte pour combattre les Français. Bonaparte vient à la tête d'une armée mise au service d’un projet d’expansion coloniale. Le premier, ensuite, s'appuie sur les chefs populaires, leur demande conseil et gagne leur estime ; le second se défie du peuple et ne s’en approche que par l’intermédiaire des cheikhs, sans réussir à se gagner leur loyauté. Une fois son pouvoir consolidé, Muhammad ‘Alî réussit à vaincre toutes les oppositions, populaires aussi bien que mameloukes, et soumet tout le pays à son autorité. Bonaparte, que tout sépare des Égyptiens – l’origine, la religion, les croyances, la mentalité –, ne put jamais achever la pacification d’un pays en proie à de continuelles insurrections. Le projet égyptien de Bonaparte ne visait qu'à réaliser les objectifs, les intérêts et le rêve expansionniste d'un État européen. Celui de Muhammad ‘Alî avait une forte dimension personnelle, l’établissement d’une dynastie. Si l'un et l'autre entendaient mettre les ressources de l’Égypte au service de leurs objectifs, ils n’eurent pas les mêmes opportunités et Muhammad ‘Alî réussit là où Bonaparte ne pouvait qu’échouer. Enfin, dans les deux cas, la résistance populaire joua un rôle décisif, mais en sens contraire, pour déstabiliser le premier, pour consolider le pouvoir nouvellement établi du second. »

Des usages politiques de l’histoire

34Les violentes polémiques qui firent récemment la une de la presse égyptienne, autour de la commémoration du bicentenaire de l'expédition, nous imposaient d’établir, pour finir, un lien entre l'événement historique et le présent politique. Partisans et adversaires de la commémoration en appelèrent également à l'opinion publique. Paradoxalement, le point de vue officiel des deux parties, égyptienne et française, resta absent de cette querelle médiatique. Lorsqu'ils eurent à intervenir dans le débat, pour répondre des accusations portées contre eux, les responsables égyptiens adoptèrent une position qui ressemblait plus à une autodéfense qu'à l’exposé raisonné de leurs motivations.

35Le premier point contesté par les opposants à la commémoration était le lien établi entre l’expédition d'Égypte et les Lumières. Bien des arguments avancés étaient pertinents : la justification de l’expansion européenne en Asie et en Afrique par le discours humaniste sur la « mission civilisatrice » de l'Europe pouvait être crédible aux temps des empires coloniaux, mais elle ne peut guère servir aujourd'hui à en écrire l'histoire. La principale réponse des défenseurs du projet consistait à nier que les manifestations de l’année franco-égyptienne eussent pour but la commémoration de l'expédition d'Égypte. Présentant un programme de traductions littéraires qui devait être inscrit dans le cadre des manifestations (commémoratives) intitulées « Horizons partagés », Hudâ Wasfî, directrice du centre d'art et d'essai de Hanager, expliquait ainsi que « l'objectif était, d’une part, de rendre justice à tous les auteurs français de documents inédits ou méconnus, qui ont pris part à la modernisation de l'Égypte à l'époque de Muhammad ‘Alî et, d’autre part, de publier des traductions d’œuvres littéraires de ou vers l'arabe. Nous nous proposions également de présenter l'Égypte sous tous les aspects de sa civilisation, non seulement la civilisation pharaonique déjà connue, mais aussi l'Égypte hellénistique, par exemple, dont le rayonnement intellectuel est beaucoup moins connu des Européens »18.

36Du débat d’idées, la querelle se porta vite sur un terrain plus politique. « Toute l’affaire, disaient les opposants de l’année franco-égyptienne, ne tient qu’à un petit groupe de personnalités francophones et francisées qui constituent un lobby n’ayant pour sa communauté nationale aucune loyauté, mais qui domine toute la politique culturelle de l’Égypte » (Salâh ‘Inânî dans la revue Akhbâr al-adab). Ce à quoi leurs adversaires répondaient : « Et pourquoi pas ? Après tout, nous pouvons bien, comme tout un chacun, défendre nos intérêts. Et puis ces attaques sont seulement le fait d’un groupe restreint, opposé à tout échange avec l'Occident ou partisan de la culture américaine, et qui, en conséquence, s’inquiète du renforcement des relations franco-égyptiennes. » Une logique consternante conduisit ainsi chacune des deux parties à considérer que l'intérêt de l'Égypte était en jeu. Encore fallait-il s’entendre sur sa définition. Mais avec qui ? et comment ? Les deux parties s’étaient établies sur des positions extrêmes qui ne laissaient aucune place au débat et aucun arbitrage n’était disponible : « À qui pouvons-nous nous plaindre de ceux qui tentent de nous impliquer dans ce scandale ? », demandait Fahmî Huwaydî, dans une critique à peine voilée de la complicité du pouvoir politique.

37Les historiens auraient pu offrir une médiation et aider l’opinion à sortir du « qui n'est pas avec moi est contre moi ». Mais, à quelques exceptions près, ils furent remarquablement absents du débat. Nous leur avons demandé pourquoi. Leur première réponse fut que l’affaire était strictement politique :

« Les manifestations du bicentenaire n’étaient qu’un hochet au service de la politique de la France dans le monde arabe, explique ainsi Muhga Gawda. Il s’agissait de la justifier par l’ancienneté des relations entre l'Égypte et la France. » « Au départ, ajoute ‘Imâd Hilâl, il s'agissait simplement de brandir la carte culturelle pour servir d’autres intérêts. Par la suite, le choix peu judicieux du moment, fait par les organismes officiels, a instauré un climat favorable à toute sorte de règlements de compte d'ordre personnel. »

« L'État voulait insister sur la solidité de ses relations avec la France, estime Muhammad ‘Afîfî, et il allait de son intérêt de les renforcer, disons-le franchement, par pique contre l'Amérique. Cela correspondait aussi aux aspirations de certains Français et de certains Égyptiens. Le reste est un simple règlement de compte. »

38La responsabilité, dans cette collusion entre le politique et le débat d’idées, est imputable, selon ‘Abd al-Wahhâb Bakr, au gouvernement égyptien qui, aveuglé par les bonnes relations franco-égyptiennes, aurait adopté la proposition de la France sans égard à la nature de l'événement lui-même, et créé, par là-même, une profonde dissidence entre l’opinion éclairée et les politiques.

39Ra’ûf ‘Abbâs, lui, ramène tout ce tapage

« d'une part, à l'inertie de la vie politique et culturelle en Égypte : les gens n'ont plus de sujet de discussion » ; et, d'autre part, « au fait que certains s’étaient mis en tête d'abattre coûte que coûte le ministre de la Culture, Farûq Husnî : ils ne pouvaient trouver meilleure occasion. Ce sont de simples motifs personnels qui ont poussé les uns et les autres à se ranger dans le camp des partisans ou dans celui des adversaires de la commémoration ». Dans un débat aussi biaisé, on comprend que les historiens aient eu du mal à trouver leur place. Si Latîfa Sâlim explique leur retrait par leur passivité, la plupart estiment avec Mahmûd Sâlih Mansî ou Hamâda Ismâ‘îl que c’est la virulence du débat médiatique qui les a découragés. « Il n'est pas coutume, rappelle Muhammad ‘Afîfî, que l'historien se fasse journaliste et prenne parti dans les médias. »

40Deux remarques, en revanche, font l’unanimité. La date retenue pour la célébration de ces « Horizons partagés » était particulièrement inopportune. Il eût été plus adroit de choisir la découverte de la pierre de Rosette, ou la parution de la première édition de la Description de l'Égypte, ou encore l’envoi de la première mission scolaire en France, que le débarquement de Bonaparte sur les plages d’Alexandrie. On pouvait ainsi insister sur la profondeur historique des échanges entre les deux pays, sans heurter les sentiments de l'une ou l'autre partie, et appeler, sans réserve, à leur développement futur. Enfin, tous les avis s'accordent sur le moyen de sortir de ce malentendu : la constitution d’équipes de recherche chargées de mener des études sérieuses sur l'expédition d'Égypte, placées sous le double patronage des universités égyptiennes et françaises et offrant aux chercheurs des deux pays le soutien dont ils ont besoin.

41Traduit de l’arabe par Samia Rizk.

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Annexe

Annexe : Liste des participants

Nous donnons ici, dans l’ordre alphabétique, une présentation rapide des personnalités ayant participé aux entretiens et les titres de leurs principaux travaux.

‘Abbâs Ra’ûf, professeur d'histoire moderne et contemporaine, vice-doyen de la faculté des lettres, université du Caire :

al-Haraka al-‘ummâliyya fî Misr, 1899-1952  (Le mouvement ouvrier en Égypte, 1899-1952), Le Caire, Dâr al-kitâb al-carabî, 1968.

al-Nizâm al-igtimâ’î fî Misr fî zill al-milkiyya al-zirâ’iyya al-kabîra, 1838-1914 (Le système social en Égypte à la lumière des grands domaines, 1838-1914), Le Caire, Dâr al-fikr al-hadîth, 1993.

Târîkh gâmi’at al-Qâhira (Histoire de l'université du Caire), Le Caire, al-Hay’a al-‘âmma li-l-kitâb, silsilat Târîkh al-misriyyîn (coll. « Histoire des Égyptiens »), n° 73, 1994.

Abû Ghâzî ‘Imâd, professeur d’archivistique et de documentation, faculté des lettres, université du Caire :

‘Alî Bahgat, hayâtu-hu wa-a’mâlu-hu (‘Alî Bahgat, sa vie, son œuvre), en collaboration  avec Diyâ’ Abû Ghâzî, Le Caire, 1974.

– « Gadal hawla sikka iskandariyya tahmal hilâlân yahtadinu salîban » (À propos d'une monnaie alexandrine portant un croissant entourant une croix), Revue d'études archéologiques, n° 2,  Le Caire, 1981.

Ismâ‘cîl al-Khashshâb : akhbâr ahl al-qarn al-thânî ‘ashar (Le recueil de biographies d’Ismâ‘îl al-Khashshâb), édition critique et commentaire en collaboration avec ‘Abd al-‘Azîz Gamâl al-dîn, Le Caire, Maktabat al-‘arabî, 1992.

Tûmân bey al-sultân al-shahîd (Touman bey, le sultan martyr), Le Caire, Dâr merit li-l-nashr, 1999.

‘Afîfî Muhammad, maître de conférences d'histoire moderne et contemporaine, université du Caire :

al-Awqâf wa-l-hayât al-iqtisâdiyya fî Misr fî-l-‘asr al-’Uthmânî (Les Waqfs et la vie économique en Égypte à l'époque ottomane), Le Caire, al-Hay’a al-‘âmma li-l-kitâb, silsilat Târîkh al-misriyyîn  (coll. « Histoire des Égyptiens »), n° 44, 1991.

al-Aqbât fî Misr fî-l-‘asr al ‘Uthmânî (Les coptes en Égypte à l'époque ottomane), Le Caire, al-Hay’a al-‘âmma li-l-kitâb, silsilat Târîkh al-misriyyîn  (coll. « Histoire des Égyptiens »), n° 54, 1992.

‘Ashmâwî Sayyid, maître de conférences d'histoire moderne, faculté des lettres, université du Caire :

al-Yûnâniyyûn fî Misr (Les Grecs en Égypte), Le Caire, Dâr ‘Ayn, 1997.

al-Haraka al-siyâsiyya fî Misr 1945-1952 (Le mouvement politique en Égypte 1945-1952), thèse de doctorat non publiée, faculté des lettres, université du Caire.

‘Azabâwî ‘Abdallâh, professeur d'histoire moderne et contemporaine, faculté de pédagogie, université du Caire, branche du Fayyûm :

Tatawwur al-haraka al-fikriyya fî Misr fî-l-qarn al-thâmin ‘ashar (L’évolution du mouvement intellectuel en Égypte au xviiie siècle), thèse de doctorat non publiée, faculté des lettres, université de cAyn Shams.

cAzabâwî a en outre participé à la coordination du projet de collecte et d'édition des archives de l'expédition au Centre d'études humaines, université de cAyn Shams.

Bakr ‘Abd al-Wahhâb, professeur d'histoire moderne, faculté des lettres, université de Zaqâzîq :

al-Dawla al-’Uthmâniyya fî-l-nisf al-thânî min al-qarn al-tâsi’ ‘ashar (L'empire ottoman dans la seconde moitié du xixe siècle), Le Caire, Dâr al-ma’ârif, 1982.

– « al-Dabt al-ijtimâ’î fî-l-Qâhira al-’Uthmâniyya fî-l-qarn al-thâmin ‘cashar » (Le contrôle social dans le Caire ottoman au xviiie siècle), Magallat kulliyyat al-âdâb, n° 57, université du Caire, 1993.

Al-Disûqî ‘Âsim, professeur d'histoire moderne, ex-doyen de la faculté des lettres, université de Hilwân :

Misr fî-l-harb al-‘âlamiyya al-thâniya (1939-1945) (L'Égypte durant la seconde guerre mondiale : 1939-1945), Le Caire, Machad al-buhûth wa-l-dirâsât al-‘arabiyya, 1967.

Kibâr mullâk al-arâdî al-zirâ’iyya wa dawrihim fî-l-mugtama’ al-misrî, 1914-1952 (Les grands propriétaires terriens et leur rôle dans la société égyptienne, 1914-1952), Le Caire, Dâr al-thaqâfa al-gadîda, 1975.

– « al-Faransiyyûn fî misr wa istinârat al-‘aql » (Les Français en Égypte et l’éclairement des esprits), Ibdâ’, n° 10-11, oct.-nov., 1996.

Fu’âd Sayyid Ayman, conseiller du Conseil d’administration de la Bibliothèque nationale :

al-Dawla al-fâtimiyya, qirâ'a jadîda (L'époque fatimide, une nouvelle lecture), Le Caire, al-Dâr al-misriyya al-lubnâniyya, 1996.

Ibn ‘Abd al-Zâhir : khitat al-Qâhira, édition critique et commentaire, Le Caire, al-Dâr al-misriyya al-lubnâniyya, 1996.

Masâdir târîkh al-Yaman fî-l-‘asr al-islâmî (Sources de l’histoire du Yémen à l’époque islamique), Le Caire, IFAO, 1974.

Dâr al-kutub al-misriyya : târîkhuha wa tatawwuruha (La Bibliothèque nationale égyptienne, son histoire et son évolution), Beyrouth, Awrâq sharqiyya, 1996.

Gawda Muhga Muhammad, doctorante d'histoire moderne, faculté des lettres, université de ‘Ayn Shams.

Hanna Nelly, professeur d'histoire moderne, université américaine du Caire :

An Urban History of Bulaq in the Mamluk and Ottoman Periods, Le Caire, IFAO, 1983.

Construction Work in Ottoman Cairo, Cairo, 1984.

Buyût al-Qâhira fî-l-qarnayn al-sâbic cashar wa-l-thâmin cashar, traduction de Habiter au Caire : les maisons moyennes et leurs habitants aux xviie  et xviiie  siècles (Le Caire, IFAO, 1991), par Halîm Tûsûn, Le Caire, Maktabat al-carabî, 1993.

Tuggâr al-Qâhira fî-l-casr al-’Uthmânî, traduction de Making Big Money in 1600: The Life and Times of Ismacil abu Taqiyya, Egyptian Merchants (Cairo, AUC Press, 1998 (rééd.), par Ra’ûf ‘Abbâs, Le Caire, al-Dâr al-misriyya al-lubnâniyya, 1997.

Hilâl ‘Imâd, doctorant d’histoire moderne, faculté des lettres, université de Zaqâzîq, branche de Banha :

– ‘Abd al-Rahmân al-Gabartî : Mazhar al-taqdîs bi-dhahâb dawlat al-faransîs, édition critique et commentaire (en collaboration avec ‘Abd al-Râziq ‘Îsâ), Le Caire, al-‘Arabî li-l-nashr wa-l-tawzî’, 1997.

–  al-Raqîq fî Misr fî-l qarn al-tâsi’ ‘ashar (L'esclavage en Égypte au xixe siècle), Le Caire, al-‘Arabî li-l-nashr wa-l-tawzîc, 1998.

Al-Hinnâwî Muhammad, maître de conférences d'histoire moderne, faculté des lettres, université d'Asyût :

al-Qâhira fî ‘asr al-hamla al-faransiyya (Le Caire au temps de l’expédition d'Égypte), thèse de doctorat non publiée, faculté des lettres, université de Minyâ.

Husnî Sa’îda, maître de conférences d'histoire moderne, faculté de pédagogie, université du canal de Suez, branche d'al-‘Arîsh :

al-Yahûd fî Misr 1882-1948 (Les Juifs en Égypte de 1882 à 1948), Le Caire, al-Hay’a al-‘âmma li-l-kitâb, 1993.

al-Majâlis al-niyâbiyya fî Misr 1882-1914 (Les Chambres parlementaires en Égypte de 1882 à 1914), Le Caire, al-Hay’a al-‘âmma li-l-kitâb, silsilat Misr al-nahda, (coll. « L’Égypte de la Nahda »), n° 30, 1990.

al-‘Ulamâ' wa-thawrat al-Qâhira al-ûla (Les ulémas et la première insurrection du Caire), recherche menée pour la Société égyptienne des études historiques, dans le cadre d’un projet sur l’expédition d’Égypte, Le Caire, 1998.

Ismâ‘îl Hamâda Mahmûd, maître de conférences d'histoire moderne, faculté des lettres, université de Zaqâzîq, branche de Banha :

Sinâ’at târîkh Misr al-hadîth (L’historiographie de l'Égypte moderne), Le Caire, al-Hay’a al-‘âmma li-l-kitâb, silsilat Misr al-nahda (coll. « L’Égypte de la Nahda »), 1987.

Dawr al-aqâlîm fî târîkh Misr al-siyâsî (Le rôle des provinces dans l'histoire politique de l'Égypte), Le Caire, al-Hay’a al-‘âmma li-l-kitâb, silsilat Misr al-nahda (coll. « L’Égypte de la Nahda »), 1990.

Hawâdith mâyû 1921 (Les événements de mai 1921), Le Caire, al-Hay’a al-‘âmma li-l-kitâb, silsilat Misr al-nahda (coll. « L’Égypte de la Nahda »), 1994.

Mahmûd, Yahyâ, maître de conférences d'histoire moderne, faculté de pédagogie de Kafr al-Shaykh :

Sundûq al-dayn fî ‘asr Ismâ‘îl (La Caisse de la dette publique sous le règne d’Ismâ’îl), Le Caire, al-Hay’a al-‘âmma li-l-kitâb, silsilat Târîkh al-misriyyîn  (coll. « Histoire des Égyptiens »), n° 129, 1999.

Mansî Mahmûd Sâlih, professeur d'histoire moderne et contemporaine, université d’al-Azhar :

Mashrû’ qanât al-suways bayna atbâ’ Saint-Simon wa Ferdinand de Lesseps (Le projet du canal de Suez, des Saint-Simoniens à Ferdinand de Lesseps), Le Caire, Dâr al-fikr al-‘arabî, 1971.

Harakat al-yaqza al-‘arabiyya fî-l-sharq al-asyawî (L’éveil du nationalisme arabe en Extrême-Orient), Le Caire, Dâr al-fikr al-‘arabî, 1975.

Mughîth Kamâl, expert au Centre national de recherches pédagogiques, Le Caire :

al-Nishât al-tarbawî fî Misr fî-l-‘asr al-’Uthmânî (Les activités pédagogiques dans l'Égypte ottomane), Le Caire, 1996.

Muhammad ‘Irâqî Yûsuf, Maître de conférences d'histoire moderne, faculté des lettres, université de ‘Ayn Shams :

al-Udjâqân al-’Uthmânî fî Misr fî-l-qarnayn al-sâdis ‘ashar wa-l-sâbi’ ‘ashar (Les milices ottomanes en Égypte aux xvieet xviiesiècles), thèse de magistère non publiée, université de cAyn Shams, 1978.

al-Wujûd al-’Uthmânî al-mamlûkî fî Misr fî-l-qarn al-thâmin ‘ashar (La présence ottomane et mamelouke en Égypte au xviiie siècle), Le Caire, Dâr al-ma’ârîf, 1983.

Mustafâ Ahmad ‘Abd al-Rahîm, professeur d'histoire moderne et contemporaine, faculté des lettres, université de cAyn Shams :

Usûl al-târîkh al-’Uthmânî (Les sources de l'histoire ottomane), Le Caire, Dâr al-Shurûq, 1984.

Al-NâghyA Khâlid, maître de conférences d'histoire moderne, faculté des lettres, université de Zaqâzîq, branche  de Banha :

al-Muwazzafûn al-agânib fî-l-Sûdân fî ‘asr al-khidîwî Ismâ’îl (Les fonctionnaires étrangers au Soudan sous le règne du khédive Ismâ’îl), à paraître, Le Caire, Madbûlî.

Nawwâr ‘Abd al-‘Azîz Sulaymân, professeur d'histoire moderne et contemporaine, faculté des lettres, université de ‘Ayn Shams :

Wathâ’iq asâsiyya min târîkh Lubnân  (Les archives fondamentales de l'histoire du Liban), Beyrouth, université arabe de Beyrouth, 1974.

Târîkh al-shu’ûb al-islâmiyya (Histoire des peuples musulmans), Le Caire, Dâr al-fikr al-‘arabî, 1990.

Rizq Yûnân Labîb, professeur d'histoire moderne et contemporaine, chef du département d'histoire, faculté des filles, université de ‘Ayn Shams :

Târîkh al-wizârât al-misriyya (Histoire des cabinets égyptiens), Le Caire, Centre d'études politiques et stratégiques d'al-Ahrâm, 1970.

al-Sûdân fî ‘ahd al-hukm al-thunâ’î al-awwal, 1899-1924 (Le Soudan à l’époque du premier condominium, 1899-1924), Le Caire, Machad al-buhûth wa-l-dirâsât al-‘arabiyya, 1976.

Qissat al-barlamân al-misrî (Petite histoire du Parlement égyptien), Le Caire, Dâr al-Hilâl, 1994.

– « Misr wa faransa : ‘alâqa khâssa », Ibdâ’, n° 12, déc. 1996.

Al-Sabbâgh ‘Abd al-Latîf, maître de conférences d'histoire moderne, faculté des lettres, université de Zaqâzîq, branche de Banha :

al-Sahrâ' fî ‘ilâqât al-maghrib (Le Sahara dans les relations des États du Maghreb), thèse de magistère non publiée, faculté des lettres, université de Zaqâzîq, branche de Banha, 1993.

al-hudûd al-urduniyya al-sa’ûdiyya 1922-1952 (Les frontières jordano-saoudiennes 1922-1952), à paraître, Le Caire, Madbûlî.

Sabrî, Muhammad, maître de conférences d'histoire moderne, faculté des lettres, université de Hilwân :

Dawr al-mutasawwifa fî târîkh Misr fî-l-‘asr al-’Uthmânî (Le rôle des confréries soufies en Égypte à l'époque ottomane), Le Caire, Dâr al-fatwâ, 1994.

Sâlim Latîfa Muhammad, professeur d'histoire moderne et contemporaine, chef du département d'histoire, faculté des lettres, université de Zaqâzîq, branche de Banha :

al-Malik Fârûq wa-suqût al-malakiyya (Le roi Fârûq et la chute de la monarchie), Le Caire, Madbûlî, 1997.

al-Qadâ' al-misrî al-hadîth (Le système judiciaire moderne en Égypte), 2 tomes, Le Caire, Centre d'études stratégiques et politiques d'al-Ahrâm, 1985.

Sulaymân, ‘Abd al-Hamîd, maître de conférences d'histoire moderne, faculté de pédagogie, université de Mansûra, branche de Damiette.

Târîkh al-mawânî fî Misr fî-l-‘asr al-’Uthmânî (Histoire des ports en Égypte à l'époque ottomane), Le Caire, al-Hay’a al-‘âmma li-l-kitâb, silsilat Târîkh al-misriyyîn (coll. « Histoire des Égyptiens »), n° 89, 1995.

– « ‘Urbân al-habayba wa-l-mamâlîk al-qâsimiyya fî-l-qarn al-thâmin ‘ashar » (Les arabes Habayba et les Mamelouks qasimites au xviiie siècle), Revue de la faculté de lettres, université du Caire, vol. 55, n° 2, 1995.

Sulaymân Nâsir, maître assistant d'histoire moderne, faculté des lettres, université du Caire :

al-Azamât al-ijtimâ’iyya fî Misr fî-l-qarn al-sâbi’ ‘ashar (Les crises sociales dans l'Égypte du xviie siècle), Le Caire, Dâr al-Âfâq al-‘arabiyya, 1998.

Al-Tûkhî Nabîl, maître assistant d'histoire moderne, faculté des lettres, université de Minyâ :

al-Sa’îd fî ‘ahd al-hamla al-farinsiyya ‘alâ Misr (La Haute-Égypte au temps de l’expédition d'Égypte), Le Caire, al-Hay’a al-‘âmma li-l-kitâb, 1998.

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Notes

1Al-Shayyâl Gamâl al-dîn, al-Târîkh wa-l-mu’arrikhûn fî Misr fî-l-qarn al-tâsic ‘ashar (L’histoire et les historiens en Égypte au xixe siècle), Le Caire, al-Nahda al-misriyya (al-Maktaba al-târîkhiyya, 3), s.d., p. 58.
2‘Abd al-Malik Anwar, Nahdat Misr (La renaissance de l’Égypte), Le Caire, al-Hay'a al-‘âmma li-l-kitâb, 1983, p. 227.
3Al-Shayyâl, op. cit., p. 200-201.
4L’ensemble couvre les archives russes, éditées par René Cattaui, en trois parties, la deuxième étant en deux volumes ; les archives françaises éditées par Georges Douin, Édouard Driault et François Charles-Roux ; les archives grecques éditées par A. G. Politis ; les archives italiennes éditées par A. Sammarco ; les archives de Syrie, en quatre parties, éditées par Asad Rustum ; et le recueil des firmans sultaniens (1597-1904), édités et traduits du turc vers le français par Hâyîm Na’ûm effendi.
5Al-Shayyal, op. cit., p. 202.
6Magallat al-Hilâl, numéros de mai et juin 1941. Le seul exemplaire de la thèse de M. M. Tawfîq, déposé à l’université du Caire, semble avoir disparu de sa bibliothèque. Parmi ceux qui se sont appuyés sur cette thèse, Stanford Shaw, The Administrative and Financial Organisation of Ottoman Egypt, 1517-1798, Princeton University Press, 1962.
7‘Uthmân Hasan, al-Mugmal fî-l-târîkh al-misrî fî -l-‘asr al-’Uthmânî (Précis de l'histoire de l'Égypte à l’époque ottomane), in al-Mugmal fî-l-târîkh al-misrî (Précis de l'histoire de l'Égypte), Le Caire, Matba’at ‘Îsâ al-Bâblî al-Halabî, 1942.
8Manhag al-bahth al-târîkhî (La méthode historique), Le Caire, Dâr al-ma’ârif, 1965, p. 62.
9Ghurbâl Muhammad Shafîq, édition critique du manuscrit de Husayn effendi al-Rûznamgî, Tartîb al-diyâr al-misriyya, Misr ‘inda muftaraq al-turuq (L’Égypte à la croisée des chemins), Annales de la faculté des lettres de l’université du Caire, t. 2, 1936.
10Al-Magalla al-misriyya al-târîkhiyya (Revue égyptienne des études historiques), Le Caire, octobre 1942.
11Ghurbâl Muhammad Shafîq, al-général Ya’qûb wa-l-fâris Lascaris wa mashrû’ Misr fî sanat 1801 (Le général Yacqûb, le chevalier Lascaris et le projet d’indépendance de l’Égypte en 1801), Le Caire, Dâr al-ma’ârif, 1932. Voir la traduction de cet opuscule et sa présentation par Iman Farag dans cette livraison (NDLR).
12‘Abd al-Malik, op. cit., p. 229.
13Ibidem, p. 239.
14L’une des études les plus représentatives de ce courant est celle de Stanford Shaw, op. cit.
15‘Awad Louis, al-Mu’aththirât al-agnabiyya fî-l-adab al-‘arabî al-hadîth (Les influences étrangères dans la littérature arabe moderne), Le Caire, Institut d’études arabes, 1962, 2 volumes ; et Târîkh al-fikr al-misrî al-hadîth (Histoire de la pensée égyptienne moderne), Le Caire, Dâr al-Hilâl, 1969.
16Al-Shayyâl, op. cit., p. 195-197.
17Gran Peter, Juzûr al-ra’smâliyya al-islâmiyya fî Misr (Islamic Roots of Capitalism in Egypt), traduit par Mahrûs Sulaymân, revu par Ra’ûf ‘Abbâs, Le Caire, Dâr al-fikr, 1993.
18Akhbâr al-adab, n° 146.
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Pour citer cet article

Référence papier

Ramadân al-Khûlî et ‘Abd al-Râziq ‘Îsâ, « Un bilan controversé. Le point de vue des historiens égyptiens »Égypte/Monde arabe, 1 | 1999, 25-46.

Référence électronique

Ramadân al-Khûlî et ‘Abd al-Râziq ‘Îsâ, « Un bilan controversé. Le point de vue des historiens égyptiens »Égypte/Monde arabe [En ligne], 1 | 1999, mis en ligne le 08 juillet 2008, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ema/713 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ema.713

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Ramadân al-Khûlî

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