Navigation – Plan du site

AccueilTroisième série5-6Chapitre 2 : Quand militantisme e...Quand l’opinion publique départag...

Chapitre 2 : Quand militantisme et dénonciation médiatique servent le patrimoine en Égypte

Quand l’opinion publique départage les patrimoines

Les médiations culturelles internationales face aux opinions publiques
When public opinion severs heritages. International cultural mediations in response to public opinion
Thomas Fracapani
p. 221-254

Résumés

Cet article analyse les nouvelles fonctions que jouent les opinions publiques dans le partage patrimonial et les modifications singulières qu’elles y apportent. Au travers de deux exemples tirés de l’actualité et des échanges patrimoniaux franco-égyptiens – l’opération en 2001 « les Français aiment le Caire  et plus récemment « la destruction de la maison Legrain à Karnak » - cet article vise tout d’abord à faire observer le rôle crucial que jouent les médiations à destination des opinions publiques quant à l’appropriation symbolique de certains objets patrimoniaux. Cet article vise ensuite à montrer que l’opinion publique occupe aujourd’hui une double fonction de médiateur et de légataire du partage patrimonial, double fonction régulièrement utilisée au regard d’intérêts institutionnels – politiques, diplomatiques, professionnels ou économiques.

Haut de page

Texte intégral

1Dans les échanges entre nations et dans toutes les strates des sociétés contemporaines, il n’a jamais autant été question du « patrimoine » que durant ces dernières décennies. Ce phénomène récent a fait exploser la notion en une grande variété de définitions, allant d’acceptions communes à d’autres plus savantes, mais a aussi concouru à faire apparaître une grande diversité de statuts réglementaires établis pour en sauvegarder les objets. La démultiplication des possibles définitions (institutionnelles, savantes, juridiques, triviales) et de ces statuts réglementaires est tout autant le symptôme des vifs intérêts, notamment identitaires, que renferme le patrimoine que la manifestation d’intérêts catégoriels institutionnels économique...) dont il peut être l’enjeu.

2Parallèlement, le patrimoine a connu un phénomène de mise en ostension médiatique liée au développement des technologies de l’information. Ce deuxième phénomène a contribué à faire sortir les débats entourant la chose patrimoniale des circuits ou cénacles professionnels traditionnels (scientifiques, conservateurs, politiques...) pour les propager à des sphères d’opinions moins institutionnelles. Le cas des vestiges pharaoniques d’Égypte en est exemplaire tant les débats les entourant dépassent aujourd’hui les sphères habituelles dites « d’expertise » pour se diffuser à celles informelles ou non institutionnelles dites « d’opinion » qui de plus en plus régulièrement donnent de la voix quant à la destinée de ces objets de patrimoine. Ces vestiges pharaoniques sont d’ailleurs ceux qui connaissent la plus grande fortune dans ce nouveau phénomène médiatique. Il serait cependant trompeur de penser que ce phénomène leur est exclusif car tous les patrimoines même moins prestigieux, mêmes moins médiatisés ou « mondialisés », peuvent aujourd’hui en témoigner. C’est ce que nous essayerons d’observer dans cet article.

  • 1 La notion d’opinion publique n’est pas à entendre comme un groupe social déterminé, circonscrit et (...)
  • 2 À propos de cette polémique on consultera le texte de la pétition de « Les musées ne sont pas à ven (...)
  • 3 Pour la chronologie de cette opération, cf. site de l’Unesco : [http://portal0.unesco.org/culture/f (...)

3Ainsi, la prise de conscience par des strates plus étendues de nos sociétés des questions et des enjeux entourant le patrimoine et le nombre exponentiel d’objets qu’il labellise font que les rhétoriques, les débats et les tensions qui l’entourent se propagent de plus en plus largement. Ce phénomène récent, pour une part dû à la visibilité accrue sur les scènes médiatiques des problématiques patrimoniales, fait ainsi participer plus activement aux jeux de la mise en partage du patrimoine de nouveaux acteurs de la société civile, de nouveaux groupes d’intérêt, qui, même s’ils n’ont pas d’assises institutionnelles fortes, définissent les contours de ce qu’il convient d’appeler une « opinion publique ».1 Il serait risqué de sous estimer ces acteurs informels car tout hétéroclites qu’ils puissent paraître, ils sont régulièrement la chambre d’écho, voire les instruments, des tensions entourant l’appropriation patrimoniale et dont les enjeux concrets leur sont souvent étrangers (enjeux techniques, enjeux de conservation ou de préservation, enjeux politiques). Ce faisant, leurs saisies médiatiques ont comme principal effet de faire que ces opinions publiques se substituent ponctuellement à la figure de l’expert qui jusqu’alors avait en charge de départager les modalités de constitutions et d’appropriation des patrimoines. Elles se trouvent mobilisées ainsi dans un rôle nouveau de « tiers garant » de la légitimité et de la légalité des partages patrimoniaux. Il suffit pour s’en rendre compte d’observer de quelle manière elles ont été saisies par certains groupes d’intérêts lors des polémiques liées à « l’expatriation » du Louvre à Abû Dhabî en 2006.2 Ce nouvel acteur, les opinions publiques, concoure donc pour une part à mettre en partage les patrimoines, voire même à départager ce qui des choses patrimoniales peut l’être. Par lui convergent aujourd’hui un certain nombre d’énergies non institutionnelles qui déterminent, de plus en plus régulièrement, la destinée des objets de patrimoine. Ce phénomène médiatique nouveau trouve d’ailleurs une part de son origine en un événement qui fit date pour la sauvegarde du patrimoine égyptien : la campagne mondiale de sauvetage des sites et des monuments de Nubie lors de la construction du barrage d’Assouan en 1960.3

  • 4 Nous entendons appropriation dans le double sens où l’entend Alain Roussillon : « [les ressources p (...)

4Bien que les contextes conceptuels soient presque devenus inconciliables tant les acceptions diffèrent d’une langue à l’autre, d’un secteur à l’autre (juridique, conservation, politique, trivial) et recouvrent des réalités différentes (objets de patrimoine, mode de conservation, charge symbolique ou identitaire [...]), le patrimoine n’est pas uniquement l’objet et l’outil de conflits d’intérêts revenant sporadiquement sur le devant des scènes médiatiques internationales, nationales ou locales. De plus, les opinions publiques ne donnent pas toujours à se faire entendre lors de ces montées médiatiques. Il serait d’ailleurs dangereux de rester dans ce présupposé le concernant. Nombre d’exemples nous montrent qu’il peut aussi être l’outil efficace de véritables partages entre nations, entre professionnels et, in fine, entre populations. L’expression « patrimoines en partage » exprime cette lente convergence d’appropriation4 de certains d’entre eux, leur permettant d’acquérir un statut sociétal dépassant les frontières des milieux, notamment professionnels, et pour quelques cas, celles des nations pour devenir des patrimoines « mondialisés ». C’est ce qu’évoque Alain Roussillon en soulignant que

  • 5 Ibid.

« la question n’est pas tant ici celle de la compatibilité ou des antagonismes entre les différentes identifications patrimoniales en présence que celle de la façon dont peuvent coexister ces deux logiques inverses ».5

5On abordera la question des « patrimoines en partage » sous un angle épistémologique des Sciences de l’information et de la communication (SIC) : cet article a pour objectif de mettre en lumière comment l’apparition de l’opinion publique, ainsi que sa mobilisation médiatique entrent dorénavant en ligne de compte dans la mise en partage des patrimoines. On montrera à travers l’étude d’exemples choisis dans l’actualité plus ou moins récente des échanges patrimoniaux franco-égyptiens comment la saisie médiatique de l’opinion publique, c’est-à-dire de certains acteurs de la société civile, fait opérer aux objets culturels un périple continuel entre « patrimoines en partage » et « patrimoines en conflit ».

6Dans cet article, nous étudierons deux cas de partages patrimoniaux. Le premier, l’opération « Les Français aiment le Caire » en mai 2001, sera celui d’une grande réussite communicationnelle autour de patrimoines communs la France et l’Égypte, qui relève d’un exceptionnel travail de synergie entre professionnels français et égyptiens au Caire et en France. Cet exemple nous permettra de repérer comment, au travers des grandes difficultés de l’appropriation et du partage identitaire dans lesquels se trouvent parfois les objets de culture, il est possible de « remédier » à ces difficultés. Le second exemple est le cas de la destruction de la maison historique de Georges Legrain, siége de la mission française à Karnak depuis 1895 et patrimoine d’une profession ; il nous permettra de mettre en lumière comment la saisie ou non de l’opinion publique peut jouer sur la destinée de patrimoines dont le partage ne la concernent pas directement. Ces cas nous permettront de montrer comment les processus communicationnels liées à ces nouveaux acteurs peuvent mener à des résultats contraires quant au partage patrimonial.

Approche théorique

  • 6 Là aussi lors de notre recherche au Celsa sur les enjeux éthiques des échanges culturels, nous avon (...)
  • 7 Jean Davallon, professeur à l’université d’Avignon et des pays de Vaucluse, laboratoire culture et (...)
  • 8 Yves Jeanneret, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’université de Pa (...)

7Avant d’entrer dans le vif du premier exemple, donnons en quelques lignes nos postures théoriques concernant le patrimoine. Les acceptions du terme d’un interlocuteur à l’autre6, quoique légitimes, sont fluctuantes – acceptions « triviales », professionnelles, juridiques,[...] Nous tenons à souligner d’autre part que cette approche théorique pluridisciplinaire est fortement marquée par les travaux de Jean Davallon7 et Yves Jeanneret.8

8Patrimoine vient donc étymologiquement du patrimonium latin qui signifie « l’héritage du père ». Il est donc en lien avec la transmission d’objets, d’objets de culture. Toutefois, au regard des nombreuses études de ces dernières décennies qui l’ont pour objet et dont Jean Davallon dans Le don du patrimoine (2006) fait la synthèse, on peut sans trop de risque avancer qu’il est la manifestation d’un mécanisme social plus vaste que celle de la simple transmission d’objets culturels et de surcroît matériels. En effet, le patrimoine apparaît comme un structurant identitaire qui, par la transmission entre testateurs et légataires, instaure un « lien social » entre individus, entre générations, entre groupes de temps, de lieux et de milieux différents. Jean Davallon dénomme cette appropriation culturelle « la filiation inversée » qu’il définit de la manière suivante :

  • 9 Davallon, 2006, p. 94.

« cette coexistence entre deux origines (transmission à partir du passé et construction à partir du présent) n’est paradoxale qu’en apparence, car sur le fond elle s’appuie sur un partage entre le patrimoine (le « vrai »), qui vient du passé, et l’usage que le présent fait de ce patrimoine ».9

9Outre cette définition du patrimoine, Jean Davallon évoque un des enjeux du mécanisme, celui de l’usage du legs mis en partage, et remarque par ailleurs l’aspect arbitraire et politique de la patrimonialisation, de l’élection d’un objet de culture au statut de « patrimoine » :

  • 10 Ibid., p. 97.

« C’est nous qui donnons (depuis le présent) à tel ou tel objet (passé) un statut de patrimoine, c’est nous qui le regardons comme faisant partie de l’héritage que nous disons avoir reçu d’êtres humains ou de sociétés ayant vécu avant nous ».10

10Autre point, on pourrait se focaliser sur l’aspect matériel, c’est-à-dire de « vestiges », des « biens » transmis. Les objets matériels sont évidemment plus commodes pour l’évocation, la convocation ou la conservation testimoniales des liens patrimoniaux, mais un grand nombre d’éléments qui leur donnent vie restent intangibles : langue, savoir, savoir faire. C’est ce que montrent certaines coopérations franco-égyptiennes scientifiques ou universitaires, pour lesquelles ce sont des savoirs ou savoir-faire par nature intangibles, qui participent à l’instauration de liens patrimoniaux entre personnes de même milieu, scientifique ou professionnel. Par ailleurs, pour répondre aux enjeux de cet aspect particulier du patrimoine, l’Unesco a fait émerger, depuis quelques années, la notion de « patrimoine immatériel ».

11Enfin, pour les individus, groupes ou communautés qui sont liés par cet héritage et sa transmission, il n’est fait aucune obligation d’être dans le cadre d’une filiation biologique. Ceci permet aux biens pharaoniques ou à ceux du Caire médiéval de devenir des patrimoines partageables, des patrimoines en partage voire « mondialisés » à l’instar de ceux qui entrent sous le label « Patrimoine mondial de l’humanité ».

12Revenu à ce qui nous semble être des aspects importants du phénomène, le patrimoine sera donc envisagé dans cet article tout d’abord, comme un processus aux contenus divers et variés qui par l’intermédiaire des objets dits « de patrimoine » instaure un lien identitaire entre individus, lien toujours arbitraire et fluctuant. Ensuite, ce lien patrimonial sera entendu au sens classique de patrimoine historique c’est-à-dire comme le mécanisme qui fait qu’un individu, un groupe ou une communauté peut participer à une relation réciproque avec ceux et de celles d’un autre temps, mais aussi d’autres lieux ou encore d’autres milieux. Enfin, c’est par ce lien, pour une part, que s’opère le partage de composantes identitaires, toujours arbitrairement choisies et subjectivement communes. On peut alors parler et de « partages identitaires » et, parce que les objets de patrimoines en sont en quelque sorte les médiateurs, de « partage patrimonial ». Tous ces éléments nous semblent justifier parfaitement la formule de Jean Davallon du patrimoine en tant que « filiation inversée ». Pour notre part, nous préférerons utiliser la formule de « lien social » ou de « lien patrimonial ».

« Les Français aiment Le Caire », un partage patrimonial particulier

  • 11 Solé, 2006.
  • 12 Alleaume, 1999b, p. 7-12.

13Il est des événements qui marquent à la fois l’histoire et les mémoires communes des relations entre pays. Pour les relations franco-égyptiennes, le plus évoqué de ces événements est bien entendu l’« Expédition d’Égypte » du jeune Bonaparte en 179811 Bien qu’elle se soit soldée par une déroute militaire française et ait apporté les plaies de l’occupation en Égypte12, cette aventure est considérée comme le point de départ d’intenses partages entre les deux nations. Bien qu’aujourd’hui, nombreux sont ceux qui l’évoquent de manière incantatoire, les événements de cette nature et de cette ampleur sont si singuliers qu’il est vain d’en rechercher un équivalent contemporain. Toutefois, des événements plus modestes viennent régulièrement marquer non pas la « Grande histoire des nations » mais celle silencieuse de leurs relations et de leurs échanges quotidiens. C’est l’un de ces événements que nous allons aborder maintenant.

  • 13 Alleaume, 1999c, p. 213-219.
  • 14 Pour plus d’informations sur cette opération, cf. [http://www.cnrs.fr/parfums-Egypte].
  • 15 Ces deux concepts de médiation et de communication sont très proches. On peut toutefois schématique (...)
  • 16 Pour exemple, les pages Internet qui avaient été dédiées à cet événement ne sont pas référencées su (...)

14En effet, pour le cas des relations franco-égyptiennes contemporaines, il existe une opération non pas militaire mais médiatique, qui a marqué les esprits et les mémoires. Cette opération intitulée « Les Français aiment Le Caire » s’est déroulée simultanément au Caire et à Paris au mois de mai 2001. Elle succéda à l’opération « Horizons partagés » qui commémorait le bicentenaire de l’expédition Bonaparte13 et fut suivie d’autres manifestations, comme « Parfums d’Égypte » en 2002.14 Mais de toutes, ce fut elle qui marqua le plus durablement les esprits comme nous avons pu le constater lors d’entretiens menés en 2007 auprès de différents professionnels des échanges franco-égyptiens (politiques, scientifiques, universitaires, diplomates). Cet article analysera les éléments qui concourent à la réussite médiationnelle et communicationnelle15 de cette opération en passe de sombrer dans l’oubli tant la documentation à son propos se réduit jour après jour.16

Objectifs de l’opération

  • 17 En coopération avec le Centre français de culture et de coopération du Caire, l’ambassade d’Égypte (...)

15L’opération « Les Français aiment le Caire »17 en mai 2001 est redevable pour beaucoup à l’initiative et au travail des services de l’ambassade de France en Égypte, mais n’aurait pu se dérouler sans une coopération étroite des autorités et de la société civile égyptiennes. Elle répondait à trois objectifs principaux dans une approche pluridisciplinaire.

16Le premier objectif était la mise en valeur des partenariats engagés depuis longtemps concernant la ville du Caire et permettait de mettre en lumière l’intérêt que les Français portent à la culture arabo-musulmane ainsi qu’à certaines formes de la « modernité » égyptienne.

17Le deuxième objectif était axé sur la médiatisation des enjeux et des questions entourant certains « patrimoines en partage » en leur donnant une nouvelle visibilité aux regards du grand public égyptien. Par diverses manifestations à la fois savantes et festives, cet objectif fut atteint grâce à une « démarche de proximité » qui offrit en de nombreux lieux du Caire et à un large public des animations, notamment des animations de rue. Cette opération s’appliqua durant ces quelques jours à permettre au plus grand nombre la fréquentation de différents patrimoines (populaires, architecturaux, savants) offerts au partage.

18Le troisième objectif, économique et stratégique, était une démarche propre au Centre français de Culture et de Coopération (CFCC) et à ses partenaires professionnels. Cette démarche devait créer un mouvement de synergie qui, partant des professionnels français et égyptiens, devait emporter l’adhésion des autorités gouvernementales et municipales égyptiennes afin de revivifier les liens instaurés par ces coopérations, voire d’en créer de nouveaux. C’est d’ailleurs grâce à ce mouvement que fut alors créé un axe Mairie de Paris-Gouvernorat du Caire, axe encore actif aujourd’hui par le programme de coopération décentralisée entre la Mairie de Paris et le Gouvernorat du Caire pour la réhabilitation du quartier de Sayyida Zaynab.

Aperçu de l’opération

  • 18 Nous utilisons la notion de « grand public » lorsque les communications et médiations tendent à vis (...)

19L’inauguration donna le ton de l’opération. Reliés par visioconférence, c’est avec un vif enthousiasme et une certaine pompe que le gouverneur du Caire et le maire de Paris, lancèrent simultanément l’opération « Les Français aiment Le Caire » et celle qui se déroulait à Paris de l’initiative de l’ambassade d’Égypte en France, « Le Caire à Paris ». Un fort relais médiatique à destination du grand public18 égyptien et français fut également programmé et mis en place durant toute la manifestation :

    • 19 Reportages sur la vie au Caire, ses communautés, ses monuments,… Ils sont disponibles auprès du ser (...)
    • 20 Pour une bonne synthèse de ce qui a pu être relayer dans les médias lors de l’événement « Les Franç (...)

    En partenariat avec la chaîne Nile Culture, réalisation de dix films de trois minutes « Le Caire vu par ... », confiés à des jeunes réalisateurs égyptiens qui furent diffusés par TV5. Il faut noter en outre que quelques jours avant « Les Français aiment Le Caire » la chaîne TV5, toujours en partenariat avec Nile Culture, a programmé une journée spéciale « 24 heures au Caire... ça me dit »19 et a mis en ligne un site Internet consacré au Caire20 où l’on retrouve une partie des émissions et reportages programmés alors.

  • Reportages pour les journaux télévisés de « 20 heures » français (TF1 et France 2).

    • 21 Nous renvoyons à la base de données Europresse.

    Nombreux articles dans les presses françaises et égyptiennes mais aussi dans la presse internationale.21

    • 22 Nous n’avons pas eu accès à ce site qui n’est plus actuellement en ligne et qui n’est pas référencé (...)

    Un site Internet « Les Français aiment Le Caire ».22

  • 23 Nous ne pouvons dresser ici la liste exhaustive des événements qui donnèrent de la matière à cette (...)

20Pour faire un tour d’horizon des événements qui émaillèrent cette opération23, il faut citer la mise en place d’expositions qui permirent une visibilité accrue des coopérations de longue date entre les professionnels français et égyptiens :

    • 24 Le choix de la maison Kharazati, maison du xixe siècle en plein cœur du Caire Fatimide, s’imposait (...)

    L’exposition Autour de deux Palais dans la Maison Kharazati24 présentait les projets et études sur le Caire fatimide et permettait de faire le point sur la coopération entre l’atelier « Le Caire » de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles et la faculté d’architecture de l’Université d’Al Ahzar. Cette exposition mit ainsi en lumière les objectifs principaux de cette coopération franco-égyptienne et s’attacha à en présenter les résultats. C’est à dire un état de la question de la sauvegarde des sites cairotes, la définition du cadre conceptuel et méthodologique de l’inventaire et du classement des objets à sauvegarder ainsi qu’une gestion de l’héritage urbain qui prenne en compte des contextes socioculturels, politiques et économiques propres au Caire.

    • 25 La ville nouvelle d’Héliopolis fut construite ex nihilo à partir de 1907 par le magnat belge Edouar (...)
    • 26 Le Laboratoire CITERES (Cités, Territoires, Environnements et Sociétés), anciennement URBAMA, est u (...)

    L’exposition Héliopolis, préservations du patrimoine contemporain au Sûk Al-Fustât présentait les travaux menés dans le cadre d une coopération initiée depuis 1997 pour la préservation du patrimoine architectural d’Héliopolis25 entre le laboratoire CITERES (anciennement URBAMA) de l’Université de Tours26 et la General Organization for Physical Planning. Elle permit de faire découvrir les axes principaux de ce programme c’est-à-dire l’analyse des particularités de l’architecture d’Héliopolis, ses facteurs de détérioration. Par ailleurs, elle s’inscrivit pleinement dans la logique d’un des enjeux essentiels de ce cette coopération : celui de la sensibilisation des usagers et des habitants à la conservation de leurs patrimoines.

  • L’exposition Forme urbaine du métissage des cultures au Café Riche, à l’Hôtel Cosmopolitan et chez divers commerçants de la rue Alfi Bey qui présentait des photographies de Alain Bonamy et mis en place par Galila El Kadi de l’Institut de Recherche pour le Développement sur le thème de la préservation du centre ville.

  • L’exposition Maisons et Palais du XIXe siècle, un patrimoine à préserver à la Maison Harawî par l’Institut Français d’Archéologie Orientale(IFAO). Ce dernier choisit de présenter ces nombreux travaux sur le patrimoine urbain cairote dans cette maison dont la restauration fut menée par ses soins jusqu’en 1993. Elle permit aux visiteurs de mieux appréhender les enjeux et intérêts des recherches menées à l’IFAO et d‘en admirer les savoir-faire.

  • L’exposition Le Caire au début du XXe siècle à la bibliothèque du Grand Caire présentait les photographies de Rudolph Lehnert et Ernst Landrock. Outre la présentation de l’une de ces deux photographes « orientalistes » et de l’image de l’Égypte qu’elle a véhiculée en Occident, cette exposition a permis d’aborder la question des représentations mutuelles qu’ont pu avoir Occident et Orient à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

    • 27 Le choix de présenter l’œuvre de Pascal Coste au musée consacré à Ahmed Chawqi (1868-1932) n’est pa (...)
    • 28 De son séjour en Égypte, Pascal Coste rapportera des milliers de relevés de l’architecture égyptien (...)

    L’exposition Pascal Coste au musée Ahmed Chawqi27, fruit d’une coopération entre la ville de Marseille et le ministère égyptien de la culture, faisait revenir en Égypte des dessins et aquarelles de Pascal Coste (1787-1879). Cette exposition s’attacha à la figure de Pascal Coste, qui fut recruté en 1817 comme ingénieur par Muhammad cAlî afin de développer un certain nombre d’infrastructures en Égypte comme le canal Mahmûdiyya reliant Le Caire à Alexandrie. Elle permit aussi au travers de la présentation de ses dessins et aquarelles de redécouvrir son oeuvre de relève de l’architecture islamique28 qui fit connaître à l’Europe les œuvres de l’Égypte médiévale et ouvrit les chemins de l’orientalisme.

21D’autres expositions et animations se sont attachées à mettre en valeur la réalité concrète et quotidienne des échanges patrimoniaux franco-égyptiens. Elles mirent en lumière la similitude de certains patrimoines présents des deux côtés de la Méditerranée ainsi que les influences mutuelles entre la France et l’Égypte. Pour ne citer que quelques unes de ces expositions, il y eut :

    • 29 Des archives concernant ces expositions sont disponibles auprès de Systra, société regroupant les f (...)

    Les expositions qui visaient à mettre en valeur la coopération franco-égyptienne pour la construction du métro du Caire : Le métro du Caire, un métro pour le troisième millénaire et Le métro de Paris, un siècle d’expérience au service du métro de l’avenir à la station Sadate (co-production National Authority for Tunnels et RATP)29 ;

  • L’exposition qui présentait le Caire vu par Christian Dior à la Maison Harawî ;

  • L’exposition Caire fatimide vu par les enfants du lycée français au Sûk de Fustat.

22Cette opération ne s’est toutefois pas bornée aux grands legs historiques et de surcroît architecturaux mais a aussi su intégrer et valoriser des productions plus modestes ou moins connues. Ce fut l’un des tours de force et l’une des clefs de la réussite de l’opération que d’avoir su intéresser un large public à tous les types d’objets culturels pouvant prétendre au partage et à la valorisation patrimoniale (les savoir-faire techniques et artisanaux, la musique, le cinéma, le théâtre, etc.). Pour cet aspect, on peut noter l’organisation d’une série de manifestations :

  • Un « salon des artisans du patrimoine », organisé avec le ministère du tourisme et le gouvernorat du Caire au sein du quartier du Vieux-Caire et à proximité de la mosquée cAmr Ibn Al-Ass où venait d’être reconstruit le Sûk Al-Fustât. Ce salon s’attacha à mettre en valeur des savoir-faire traditionnels ainsi que des créations artisanales contemporaines ;

  • Une série de manifestations musicales qui se sont tenues sur les lieux des expositions, dans deux cafés du centre ville, dans le métro du Caire où des musiciens du métro de Paris sont venus jouer avec des musiciens égyptiens, dans la rue et à l’occasion de l’inauguration et de la clôture au Palais Manasterly et à la Citadelle ;

  • Un festival « Le Caire vu par le Cinéma », dix longs métrages ayant le Caire pour sujet ou pour décor au CFCC ;

  • L’exposition Le Caire vu par les plasticiens contemporains aux restaurants Grillon et Arabesque ;

  • Animations pour les enfants sous forme de « classes de ville » (marionnettes et concerts).

  • 30 Le Cedej est un centre de recherche en sciences sociales basé au Caire et dépendant du ministère fr (...)

23Enfin, les savoirs, qui sont aussi des patrimoines pouvant être mis en partage, ne furent pas oubliés et circulèrent pour ceux qui voulurent bien se déplacer aux multiples conférences et tables rondes réunissant français et égyptiens. Elles se déroulèrent au CFCC, au CEDEJ (Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales)30, au Conseil suprême de la culture, à la Bibliothèque du Grand Caire, dans les Maisons Zaynab Khâtûn et Harawî, au café Riche et au Sûk Al-Fustât. Pour ne citer que quelques uns des thèmes qui furent abordés ou débattus, il y eut :

  • Deux colloques à la Grande bibliothèque du Caire sur « le Caire vu par Pascal Coste, Machereau, Prisse d’Avennes » et « Pascal Coste : ingénieur et architecte » ainsi qu’une une table ronde sur « Muhammad cAlî et la modernisation du Caire » ;

  • Un colloque au Conseil suprême de la culture « Tahtâwî et Le Caire à Paris » revenant sur les jeux de miroir entre les deux nations qui peuvent être décelés dans l’œuvre de cet auteur envoyé à Paris par Muhammad cAlî de 1826 à 1831 ;

  • Une table ronde animée par le sociologue Henri Raymond et musicologue Hervé Audéon sur « l’image du Caire du XVIIe au XIXe siècle dans la musique française : De Rameau à Saint-Saëns » à la maison Harawî ; - Un séminaire sur le thème « Anciennes constructions et usages modernes » à la Maison Al-Simarî ;

  • Un débat sur « l’avenir de Downtown, Le Caire » au Café Riche.

Les axes de la réussite

24La réussite de cette opération s’appuie sur trois axes qui ont été développés et exploités par les organisateurs : la diffusion et la vulgarisation des savoirs concernant les objets de patrimoine égyptiens, la sensibilisation aux questions entourant leurs gestion et conservation ainsi que la revivification des liens singuliers, anciens et denses entre la France et l’Égypte.

25Tout d’abord, il faut noter que les intervenants ont opéré un remarquable travail de médiation des connaissances c’est-à-dire qu’ils ont rendu accessible au plus grand nombre les savoirs qui se construisent quotidiennement autour des objets de patrimoine. Il apparaît en effet que ces professionnels du patrimoine, loin de rester au plus proche de leurs habitudes de médiations et de communications scientifiques, ont eu à cœur d’ajuster les termes habituels de diffusion de leurs savoirs afin de toucher la grande diversité des protagonistes visés (politiques, acteurs des administrations, amateurs…). Ce premier point était essentiel à la réussite de cette opération et aux attendus par ses organisateurs.

26Ensuite, il semble aussi, au travers de l’attention portée aux médiations entourant le bâti cairote, que tous ont eu comme enjeu premier la sensibilisation de la population – non au fait des débats d’experts et aux profils divers et variés – à la gestion et la conservation de ces biens collectifs. Cet événement fut en effet l’acte de fondation d’un nouvel axe de sensibilisation et de mise en visibilité des problématiques entourant le patrimoine cairote. Ainsi, les acteurs de cette opération s’efforcèrent, grâce cet ensemble de médiations et d’événements, de remobiliser politiques et administrations nationales ou locales quant à leurs devoirs, de rendre visible et ainsi valoriser les travaux des techniciens de la sauvegarde patrimoniale et surtout à sensibiliser de nouvelles populations, usagers et habitants du Caire, aux débats entourant la gestion et la conservation de leurs patrimoines.

27Même si tous n’ont pu fréquenter ces lieux, la vulgarisation de ces problématiques et savoirs fut le levier principal d’une nouvelle appropriation par la population locale. Cette appropriation symbolique, qui relève de la conscience individuelle, est toujours singulière et instable mais peut engager des changements comportementaux durables.

  • 31 Dans la deuxième partie de cet article, nous aborderons un cas qui connut de réels conflits d’intér (...)

28Enfin, il faut souligner que ces objectifs de diffusion, de vulgarisation et d’appropriation ont aussi permis d’instituer, de revivifier ou de (re)nouer des liens entre populations de lieux différents, les français et les égyptiens. En effet, ce qui fut réalisé lors de cette opération est certainement redevable à l’attention qui fut alors portée à ce que les objets mis en visibilité ne deviennent pas les alibis à la mise en valeur de tel ou tel acteur mais tiennent bien l’objectifs de la manifestation des liens entre populations de différents milieux et de lieux pourtant éloignés, la France et l’Égypte. Les expositions, colloques et tables rondes autour de figures exemplaires de ces échanges et partages patrimoniaux – de Pascal Coste à Muhammad cAlî en passant par Tahtâwî et bien d’autres – furent les éléments qui, par leur transversalité quant aux patrimoines qu’elles permettaient d’« exhiber » et la continuité qu’elles représentaient, cimentèrent tacitement la proposition et les intentions de cet événement. Bien entendu, il dut y avoir quelques tensions ou conflits d’intérêt entre les différents acteurs de cette opération, mais la documentation n’en garde que des traces minimes qui ne rendent que plus sensible la réussite de cette programmation.31

Temps, lieux et milieux du partage

29Nous venons d’observer au travers de cet exemple de l’opération « Les Français aiment Le Caire » que les objets de patrimoine pouvaient aussi être les médiateurs de liens particuliers entre gens de temps différents mais aussi de lieux éloignés et de milieux distincts.

30Il apparaît donc qu’il faille prendre garde à ce que ces médiations et communications prennent toujours en considération les trois coordonnées sur lesquelles peuvent s’instaurer et des liens patrimoniaux et des partages identitaires : le temps, les milieux et les lieux. La question de l’opinion publique en tant que lieu de convergence de nombre de légataires informels et non institutionnels prend dès lors toute son ampleur. En effet, parmi tous les légataires possibles, cette dernière se ménage une place de plus en plus importante et particulière. Ainsi, par les jeux médiatiques et la mise en débat des questions entourant le patrimoine, elle se substitue régulièrement à la figure de « l’expert » en tant que « tiers garant ». Dans ce rôle de « tiers garant », elle est aujourd’hui en position de statuer sur la légitimité de ceux qui oeuvrent sur les biens patrimoniaux et sur la légalité de leurs opérations. Dans cet environnement nouveau, les travaux de sensibilisation, de vulgarisation ou de simple communication permettent, outre la circulation des savoirs, la légitimation sociale les modalités de traitement qui auront été choisies par les légataires professionnels. Ils permettent aussi de contrevenir aux risques soit d’indifférence, soit de désintéressement qui mettent les objets de patrimoine en situation parfois critique, même si des outils institutionnels et juridiques, comme le label « patrimoine en péril », existent.

31Pour terminer, il est important de souligner que la relation franco-égyptienne qui détermine le cadre conjoncturel de cette opération est un cas rare tant sa nature est exceptionnelle par la densité des coopérations et des échanges depuis plus de deux siècles. Cette histoire commune et singulière est la trame de fond presque idéale pour ce type d’opération et a permis de créer par « les Français aiment le Caire » un lieu de rencontre unique entre le « rayonnement culturel français » et le « rayonnement patrimonial égyptien ».

La maison Legrain à Karnak : les légitimités départagées

  • 32 L’opinion publique est à considérer comme une forme toujours instable et fluctuante ; Cf. Supra p.  (...)

32L’opinion publique est la partie émergée d’un ensemble de groupes, individu qui, bien que plus ou moins structurés et non institutionnels, participent au partage patrimonial en tant que légataires. Parce qu’étant le lieu de diverses opinions et attitudes plus ou moins convergentes32, l’opinion publique a cette capacité d’encourager ou d’entraver une action dont elle n’a pas la responsabilité institutionnelle. Ainsi, hormis cas d’indifférence ou de désintéressement, les légataires qui la composent peuvent marquer la continuité en recevant l’héritage. C’était le cas globalement pour l’opération « Les Français aiment Le Caire » mais ils peuvent inversement marquer la rupture en le refusant. Le cas de la polémique entourant la destruction de la maison historique Legrain à Karnak va nous permettre de mettre en lumière cet aspect négatif de la patrimonialisation et les risques encourus par les objets de patrimoine et les liens qu’ils sous-tendent sous la pression des opinions publiques.

  • 33 L’archéologue français Georges Legrain œuvra à Karnak de 1895 à 1907 où il découvrit en 1904 la fam (...)
  • 34 À propos du CFEETK et du protocole d’accord dont il relève on pourra consulter le site : [http://ww (...)
  • 35 Pour exemple, la restauration de la chapelle rouge d’Hatchepsout a bénéficié du mécénat du groupe h (...)

33Beaucoup de ceux qui participent à la mise en valeur des antiquités pharaoniques et qui ont fréquenté le site de Karnak connaissaient cette demeure Legrain pour y avoir travaillé ou simplement échangé quelques mots avec des équipes d’égyptologues. La maison de Georges Legrain33 sise à l’entrée du temple de Karnak était en effet le siège de la mission française à Karnak depuis 1918. Sa destruction a été entérinée par le conseil municipal de Louqsor en 2006 pour laisser le champ libre à une vaste esplanade inscrite dans le cadre d’un projet de mise en valeur touristique des sites archéologiques de Karnak et de Louqsor. Cette maison historique était le siège du Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak (CFEETK)34 qui fut créé en 1967, dans l’élan de la campagne internationale de sauvetage des monuments de Nubie. Le CFEETK se consacre à la conservation et la restauration du site ainsi qu’à son étude scientifique. Il est placé sous l’autorité du Conseil Suprême des Antiquités (CSA), l’autorité égyptienne en charge des antiquités nationales, et du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS, France), et bénéficie du financement du CNRS et du ministère français des Affaires étrangères et européennes ainsi que de mécénats privés.35 Il était tourné à l’origine vers un partenariat exclusivement franco-égyptien mais s’est ouvert ces dernières années à une coopération plus vaste, intégrant dans ses équipes ou accueillant pour des projets particuliers des collègues d’autres pays. Enfin, l’ensemble du site archéologique de Karnak est placé sous son autorité.

  • 36 Adli, 2006, p. 23-28.
  • 37 La polémique s’est déroulée au moment de la création d’un nouveau gouvernorat pour le district de L (...)
  • 38 Nous reviendrons ci-dessous sur ces différents contextes.

34Or, la destruction de la maison Legrain qui est intervenue en avril 2007 a suscité une vive polémique.36 Elle s’inscrit dans un contexte conjoncturel plus large : la négociation du nouvel accord du CFEETK avec le CSA, le projet de réhabilitation des abords des temples de Karnak et de Louqsor (restitution des esplanades devant les temples, excavation et mise en valeur des dromos reliant les deux ensembles) par les autorités locales du nouveau gouvernorat de Louqsor37, ainsi que les projets de mise en valeur des grands sites touristiques d’Égypte par les autorités égyptiennes.38

35Il faut encore souligner que cette demeure recouvrait plusieurs aspects. Elle était tout d’abord, en tant que maison d’un des premiers égyptologues à Karnak, le patrimoine d’une profession, celui des égyptologues. Ensuite, par son ancienneté, elle était le symbole de leur longue présence sur le site de Karnak. Enfin, en plus d’être devenue le « camp de base » de coopérations internationales, elle était un symbole indéniable de l’activité française et de son éminente présence sur le deuxième site archéologique d’Égypte. Ce dernier aspect apparaît d’autant plus important lorsque l’on considère les intérêts scientifiques, professionnels et diplomatiques qu’il peut recouvrir pour les différents acteurs en présence.

  • 39 Cf. Approche théorique, p. 226.

36Cet exemple va donc nous permettre de montrer que le patrimoine en tant que lien social39 subit lui aussi les mêmes mouvements que l’Histoire – convergence et divergence, rupture et continuité et que des acteurs extérieurs aux enjeux des débats, comme les opinions publiques, peuvent venir encourager ou non le maintien du lien.

Le site de Karnak, un lieu tensio-gène

37Le site de Karnak peut être considéré comme le lieu représentatif en Égypte de la complexité du partage patrimonial. Il est en effet le lieu de partages entre des acteurs multiples ; à la fois ceux mondialisés des industries touristiques et médiatiques, ceux des populations et des autorités locales mais aussi ceux scientifiques et emblématiques d’une profession, l’égyptologie. Or, parce que les biens patrimoniaux que le site renferme n’accordent ni l’exclusive à un acteur institutionnel, les autorités locales ou les acteurs scientifiques, ni la primauté aux légataires les plus nombreux, c’est-à-dire les touristes-visiteurs ou les populations locales, ce site exceptionnel est inévitablement « tensio-gène » c’est-à-dire que, potentiellement, il peut être le lieu de conflits d’intérêts catégoriels.

  • 40 Pour se rendre compte de la densité de cette activité française de construction des savoirs sur Kar (...)
  • 41 Cf. Gran-Aymerich, 1998.

38Or, les égyptologues français sont présents de manière continue et privilégiée sur le site des temples de Karnak depuis presque un siècle et demi en y oeuvrant à sa compréhension. Ainsi, hormis le prestige que les travaux sur un tel site peuvent offrir à la renommée de l’égyptologie française, tout au long de ces années de fouilles et de présence, les Français sont devenus les acteurs incontournables de la connaissance de cet ensemble exceptionnel.40 Ces savoirs sont aussi les matériaux qui aujourd’hui nourrissent en contenus, parfois altérés du fait de leur difficile médiation, les gloutonnes industries touristiques et médiatiques qui ont fait de Karnak un patrimoine mondialisé. Ce dernier point soulève un noeud potentiellement tensio-gène du partage patrimonial lié à la non coïncidence de l’usufruit des objets matériels composant le patrimoine et celui de la connaissance et des savoirs qui se construisent par eux. Or pour le cas de Karnak, la propriété des uns (propriété juridique des objets) et celle des autres (propriété intellectuelle des savoirs) ne sont pas obligatoirement entre les mêmes mains ; ce qui est un facteur de tensions au partage patrimonial lié à l’exploitation scientifique du site, source de renommée légitime dont la plupart des pays ou institutions scientifiques ont bien pris la mesure.41 La longue et importante présence française, outre le cadre réglementaire du protocole d’accord du CFEETK qui en est la cause et l’effet, teinte donc le partage patrimonial à Karnak d’une coloration qui offre aux acteurs français, parmi le chœur des experts statuant sur les destinées des vestiges, une légitimité particulière. Il nous semble important de souligner ce dernier point concernant la légitimité des égyptologues français afin de poser plus largement le cadre de cet exemple et de rendre plus évident par la suite certaines stratégies de communication mises en place à destination des opinions publiques qui visèrent la réputation des acteurs français.

  • 42 Barthélemy, 2007.
  • 43 À propos de cette médiatisation : Leturcq et Sylla, 2007.

39Karnak, un lieu tensio-gène ; c’est un article paru dans les pages du journal « Sciences et environnement »42 qui donna à voir récemment cette situation à l’opinion publique française. Il nous relate avec un arrière goût particulier la signature, lors de la commission mixte franco-égyptienne annuelle 2007, du nouveau protocole d’accord du CFEETK permettant la pérennisation pour les années à venir de la présence française sur cet ensemble archéologique et touristique exceptionnel. Or, dans cet article du Monde, il est possible de percevoir certaines de ces tensions au travers des sarcasmes à l’encontre d’un acteur emblématique et médiatique43 de l’égyptologie égyptienne : le docteur Zahi Hawass secrétaire général du CSA.

  • 44 Ibid.
  • 45 Tout au plus peut-on dire qu’il a créé un précédent mondial pour les gens égyptologique avec la mis (...)

40On peut ainsi lire en introduction de l’article et à propos de ce personnage : « Sonexcellencele docteur Zahi Hawass comme il aime à se faire appeler ».44Ce qui donne évidemment le ton des relations et nous présentele personnage sous un angle mégalomaniaque.45 Le portrait revient toutefois à une description d’un homme de pouvoir, pouvoir qui s’exerce notamment sur la destinée de la présence française à Karnak :

  • 46 À propos des suspensions et de leurs motivations par le CSA ; voir la rubrique « suspension » des B (...)

« […] un personnage craint et respecté, l’homme a pour ainsi dire droit de vie et de mort sur les fouilles qui se pratiquent dans son pays ».46

  • 47 Chaque année, la Commission mixte franco-égyptienne réunit, à Karnak, le Secrétaire d’État égyptien (...)

41D’autres éléments de cet article évoquent clairement l’attitude de Zahi Hawass lors de cette commission47 et libère entre les lignes les tensions professionnelles et peut-être personnelles entre certains acteurs français et égyptiens :

  • 48 Ibid.

« […] il a donné des sueurs froides à la délégation française, en arrivant avec trois heures de retard sur l’horaire prévu […] ».48

42Aujourd’hui, le protocole est toutefois signé même si cela fut fait sur un coin de table comme le relate l’article du Monde :

  • 49 Ibid.

« annulation pure et simple de la commission mixte et, tout de même, signature sur un coin de nappe, avant les hors d’œuvre, du protocole […] ».49

43Cette signature mouvementée du protocole du CFEETK, que le journal Al-Ahram Hebdo a appelé « la Bataille de Karnak », est un peu l’arbre qui cache la forêt ou le point final d’une série d’événements qui a montré la difficulté du partage patrimonial et tout bonnement le refus des liens qu’il sous-tend. Dans ce cadre, la destinée de la maison de l’égyptologue Georges Legrain, qui fut l’une des polémiques antérieures à la signature du nouveau protocole, est subtilement évocatoire des jeux médiatiques et rhétoriques qui peuvent être déployés à destination des opinions publiques dans des situations où le patrimoine ne se retrouve plus être en partage mais en conflit. L’étude de la polémique autour de la maison Legrain permet donc d’éclairer certains éléments de ce type de situation.

La maison Legrain, manifestation de la légitimité de l’égyptologie française

44La destruction de cette « relique » d’un des pères fondateurs de l’archéologie à Karnak et d’un personnage mythique de la communauté égyptologique française fut l’une des polémiques qui émaillât cette Bataille de Karnak :

  • 50 Farès, 2006.

« […] la polémique la plus forte et ce qui a causé le plus de tension, voire un fort débat entre les deux délégations française et égyptienne est celle sur la future destruction de la maison historique de Georges Legrain […], décision de la part du coté égyptien qui a causé la réserve des Français qui étaient tous contre ».50

45On peut comprendre cette « réserve française », lorsque l’on considère la maison Legrain sous l’angle d’un patrimoine professionnel pouvant être le prétexte à la manifestation de deux liens potentiellement visibles par les opinions publiques :

  • Celui des échanges franco-égyptiens pour la construction des savoirs sur la civilisation pharaonique, car elle était le symbole de la présence et de l’oeuvre française sur l’un des sites archéologiques et touristiques les plus importants en Égypte.

  • Celui propre à un milieu professionnel parce que cette maison manifestait symboliquement l’histoire scientifique sur le site de Karnak c’est-à-dire qu’elle était une relique social du milieu égyptologique et, de surcroît, du rôle de l’égyptologie française dans cette « relève » des ruines de Karnak.

  • 51 À ce propos et dans le cadre cet article, nous tenons à souligner la construction d’un centre comme (...)
  • 52 Il est envisagé d’ériger « un centre scientifique pour l’histoire des fouilles des temples de Karna (...)

46Ce dernier aspect est un nœud central de cette polémique. En effet, le cadre réglementaire du protocole d’accord du CFEETK accordant une autorité légale indéniable aux acteurs français et les arguments légaux étant affaire de juristes ou de diplomates, la crise s’est subrepticement déportée sur un autre objet : leur légitimité. La « bataille de Karnak » s’est vue dès lors traverser par des arguments touchants à la légitimité des différents acteurs et notamment français. La maison Legrain est ainsi devenu un enjeu idéal puisqu’en tant que patrimoine professionnel elle manifestait symboliquement pour les français une légitimité, une habilitation et un droit de regard quant aux traitements des vestiges pharaoniques sur lesquels ils travaillent depuis plus d’un siècle et demi. La tournure médiatique que prit cette polémique est loin d’être anecdotique et porte les traces de ces stratagèmes rhétoriques liés aux tensions autour de l’usage d’un site : exploitation scientifique sous la tutelle du CFEETK, économique des industries touristiques51 ou des autorités locales, symbolique de Zahi Hawass ou de quelques acteurs français, politique des autorités égyptiennes. Nous ne cherchons toutefois pas à déterminer ici si la polémique autour de la non conservation de ce patrimoine d’une profession fut instrumentalisée pour servir tel ou tel intérêt catégoriel. Toutefois, on peut souligner que par cette destruction l’égyptologie française a perdu un symbole fort de son histoire, de sa présence et de sa légitimité sur le site de Karnak52 et, du coté égyptien, qu’il a été marqué indirectement, par la destruction de cette « empreinte » française, le refus du lien qui lie les français et les égyptologues français au site. Le titre d’un article paru dans le journal Al-Masri al-Yawm le 5 juin 2006 est là pour en montrer la posture exacerbée :

  • 53 Al-Dakhakhnî, 2006.

« CSA : nous n’admettrons pas la présence d’un État français à l’intérieur de Karnak… Karnak ne sera jamais le Vatican de l’Égypte ».53

  • 54 Nous utilisons le terme de « légalistes » plutôt que ceux de « légaux » ou « juridiques » car nous (...)

47La polémique de la maison Legrain avait donc plus trait à l’effacement du signe visible des liens établis de longue date entre la France et l’Égypte et plus encore de la légitimité de l’égyptologie française et de sa « voix au chapitre » quant aux traitements à réserver aux biens patrimoniaux pharaoniques. Or, chose étrange dans cette sape des légitimités, ce sont principalement des arguments de type « légalistes »54 qui ont mis de la chair sur l’ossature de cette polémique.

Arguments « légalistes » et cadres réglementaires : la sape des légitimités

  • 55 Cf. Supra, p. 225.

48En termes de communication de la polémique « Legrain » aux opinions publiques, les arguments légalistes liés aux traitements des vestiges ont été largement utilisés dans la presse. Ce type d’argument, lorsqu’il est à destination de l’opinion publique, vise à faire endosser à cette dernière le rôle de « tiers garant » du partage patrimonial.55 Pour donner un exemple de ce type d’argument, nous citerons celui utilisé par Mansour Boreik, directeur général de Louqsor et de Haute-Égypte, qui à propos de la restauration opérée par les égyptologues français sur la chapelle de Séthi 1er déclarait :

  • 56 Farès, 2006.

« Les Français ont reconstitué la chapelle avec une matière qui ressemble au granit noir, ce qu’il ne fallait pas. On va alors enlever cette couleur et la faire avec du plâtre jusqu’à ce qu’on trouve les briques du portail original »56

49Les arguments légalistes ne furent pas le seul type d’argument qui fut offert aux opinions publiques pour saper la légitimité des différents acteurs. Il est cependant intéressant d’observer la réalité de ces arguments en les inscrivant dans les cadres juridiques et réglementaires de cette polémique ce qui permet d’en mesurer la réelle valeur réglementaire et légale.

50Deux facteurs ont été le terreau permettant l’apparition de ces arguments légalistes. Tout d’abord, le contexte réglementaire de la maison Legrain qui était en quelque sorte « hors norme ». En tant que patrimoine d’une profession et d’une relation entre deux nations, elle n’entrait dans aucune grille de réglementations institutionnelles égyptiennes ou internationales. Ensuite, concernant la « bataille de Karnak » en général, le contexte international ou interétatique (Unesco, protocole d’accords du CFEETK) des opérations menées par des étrangers sur les antiquités égyptiennes font que bon nombre de litiges se trouve être dans un environnement juridique de « bonne volonté » ou relevant du registre diplomatique. De fait, l’appel aux règles instituées par les traités, conventions, accords ne peut être que formel puisque qu’il ne permet pas de recours devant une juridiction. Ce contexte réglementaire particulier déplace ainsi les arguments du type réglementaire dans le registre de ceux « légalistes » ; à l’exemple de celui de Mansour Boreik.

  • 57 La coexistence des droits internationaux et des droits internes a toujours posé la question de la h (...)
  • 58 Dans le sens de la « souveraineté » des États c’est-à-dire de cette qualité d’un État qui lui perme (...)

51Dans cet environnement « hors norme » et de « bonne volonté », les réglementations ne sont toutefois pas absentes et tous les codes ne sont pas sur un pied d’égalité, les uns prévalant sur les autres.57 En effet, il existe de fait une hiérarchisation des droits et des codes quant aux traitements des biens patrimoniaux. Ainsi, les lois nationales prévalent sur tous autres codes, mêmes internationaux, puisque elles sont censées être les seules à disposer d’outils de réglementation et de sanction que l’on pourrait dire systématiques et qu’elles sont les seules à être dans le champ de la « souveraineté »58 qui est le niveau supérieur de la légitimité. Pour le cas qui nous intéresse c’est-à-dire la gestion des vestiges de Karnak, les autorités égyptiennes sont tenues au respect de leurs engagements internationaux (classement du site par l’Unesco et autorité du CFEEKT sur son exploitation) qui réaménagent le cadre juridique, réglementent leur présence sur le site et amenuisent leurs champs d’action. Or c’est dans ce contexte que des arguments « souverainistes » sont apparus et ont été utilisés à destination de l’opinion publique ; indirectement par Zahi Hawass

  • 59 Farès, 2006.

« Les Égyptiens doivent avoir une présence plus forte à Karnak ».59

  • 60 Et depuis octobre 2007, membre du Comité du patrimoine mondial de l’Unesco.

52et même directement par Ali Radwan, ex-doyen de la faculté d’archéologie du Caire, président du Syndicat des archéologues arabes60 :

  • 61 Al-Dakhakhnî, 2006; Grimal, 2002a, p. 32-37 et Grimal, 2002b, p. 10-13.

« Pas d’État dans l’État dans l’enceinte d’Amon. Uniquement les autorités égyptiennes ».61

53On voit donc ici des exemples du déploiement d’un des arguments légalistes le plus opérant ; celui lié à la « souveraineté ». Ce type d’arguments vise à subordonner les légitimités des différents acteurs, même celle des experts, à celle des autorités égyptiennes afin, dans ce cadre réglementaire « hors norme », d’organiser la hiérarchie des volontés et la primauté de celle égyptienne.

54Ensuite, une autre stratégie, celle légaliste, s’est faite jour par le déploiement des arguments sur la non-conformité aux réglementations internationales qui encadre le site de Karnak et dont l’Égypte est partie. Face à cette stratégie, un élément majeur est à souligner : le peu de moyens coercitifs dont disposent les instances internationales pour le respect de leurs normes. Pour s’en rendre compte il suffit d’observer comment une instance culturelle internationale comme l’Unesco n’a eu que peu de moyens réels de sanction, hormis le déclassement, lors de la restauration, controversée, par les autorités égyptiennes de prestigieuses mosquées du Caire. Dans ces situations, l’appui des opinions publiques se révèle parfois déterminant. Nous citons à ce sujet les propos tenus par l’ancien directeur-adjoint du patrimoine mondial de l’Unesco, Saïd Zulficar lors d’un entretien qu’il a accordé au journal français Le Monde le 13 mars 2001 :

« Enfin, [l’Unesco] est paralysée par les interventions de plus en plus fréquentes des gouvernements. Quand la Chine a massivement détruit le patrimoine tibétain, l’Unesco n’a pas élevé de protestations. À une autre échelle, si on a réussi à bloquer l’autoroute qui devait passer au pied des pyramides de Gizeh, c’est plus aux campagnes de presse internationales qu’aux interventions tardives de l’Unesco qu’on le doit. »

55Le site de Karnak étant classé patrimoine mondial depuis 1979 certains acteurs et personnalités de cette bataille ont donc tenté de faire appel à la médiation de l’Unesco. Le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco a demandé aux autorités égyptiennes de le tenir informé des projets mis en place. Il a notamment notifié qu’il regrettait

« que l’État partie n’ait pas informé le Comité du patrimoine mondial, […], des projets d’aménagements dans le périmètre du bien du patrimoine mondial »

56et qu’il priait

  • 62 UNESCO, Comité du patrimoine mondial – État de conservation (Thèbes antique et sa nécropole) – Déci (...)

« instamment l’État partie de veiller à ce que tous les projets architecturaux des nouvelles installations respectent la valeur universelle exceptionnelle du bien du patrimoine mondial ».62

57La réponse de Zahi Hawass est vive :

« Personne ne peut me dicter ce que j’ai à faire parce que personne n’aime son pays plus que moi. Et toutes les décisions que je prends sont pour le bien de mon pays et pour le bien des antiquités égyptiennes »

58Bien que l’Égypte reste signataire de cet accord multilatéral avec les obligations qui y sont liées, il est à noter ici que Zahi Hawass utilise l’argument de « souveraineté » avec une affectation « nationaliste » voire sentimentale. Cette rhétorique nationaliste s’adresse essentiellement aux opinions publiques et place le secrétaire général du Conseil Suprême des Antiquités dans un registre politique qui n’est pas de l’ordre des attributions de son poste. Il lui a d’ailleurs été demandé par le Comité du patrimoine mondial de

  • 63 UNESCO, - Décision 30COM 7B.46.

« fournir au Centre du patrimoine mondial, avant le 1er février 2007, une carte topographique, à l’échelle appropriée, indiquant les limites prévues du bien et de sa/ses zone(s) tampon(s), ainsi que les projets […] pour évaluation par l’Icomos et le Centre du patrimoine mondial, et examen par le Comité à sa 31e session, en 2007 ».63

59Il est inutile d’aller plus loin dans le détail de ces arguments légalistes mais il est toutefois important de souligner deux points. Primo, ce cadre réglementaire patrimonial complexe fait que l’appel à une autorité supérieure ou à une réglementation particulière ne peut être que formel. En effet, concernant les coopérations internationales autour du patrimoine, il n’existe pas aujourd’hui de juridiction supranationale qui puisse résoudre les litiges relevant d’accords multilatéraux, bilatéraux ou interétatiques.

  • 64 Nous employons ici le terme de “mou“ pour qualifier ce cadre réglementaire puisque ce qualificatif (...)

60Secondo, les arguments de type « légalistes » semblent être utilisés principalement pour donner matière à la légitimité, de tel ou tel acteur, au partage patrimonial et à la participation à l’exploitation des biens patrimoniaux. Or, c’est aussi parce que ces cadres réglementaires sont « mous »64 que l‘opinion publique est régulièrement saisie dans son rôle de « tiers garant » du partage patrimoniale. Enfin, l’opinion publique étant de plus en plus, par les jeux médiatiques, créatrice de réputation pour les acteurs professionnels, elle arrive parfois à masquer, par les jeux de la renommée, la réelle valeur de l’expertise de certains acteurs. On comprend dès lors comment nombre d’arguments ayant trait, d’un côté comme de l’autre, à la légalité ont comme finalité la sape de la légitimité au partage patrimonial.

  • 65 Il est à souligner que ce redéploiement s’opère dans le cadre d’importants investissements étranger (...)

61En conclusion, la destruction de la maison Legrain se situe au cœur des tensions entre divers groupes d’intérêts (égyptologues français, autorités égyptiennes, industries touristiques, …) et s’est déroulée au moment où les autorités scientifiques et politiques égyptiennes (CSA, Ministère du tourisme,…) se redéploient sur les grands sites antiques d’Égypte (Giza et Karnak), où un nouveau gouvernorat avec ses propres prérogatives a vu le jour65 et où, enfin, le protocole d’accord du CFEETK devait être renouvelé. C’est dans ce cadre complexe que se sont développées les stratégies à l’égard des opinions publiques dont l’angle d’attaque principal fut incontestablement, sous couvert d’arguments « légalistes », la sape de la légitimité de différents acteurs à l’exploitation des vestiges de Karnak.

62En contrepoint de la vaste opération « Les Français aiment Le Caire », cet exemple montre l’importance de veiller à certaines phases de communication en amont et/ou au moment des crises institutionnelles. Il pointe en effet les enjeux indirects de la circulation des savoirs par des médiations, vulgarisations et sensibilisations appropriées et à destination des opinions publiques. Ces médiations, outre les rôles éducatifs qu’elles peuvent porter, constituent les outils indispensables des professionnels pour contrevenir au désintéressement, voire à l’acrimonie, des opinions publiques. Ce travail en amont semble avoir été envisagé comme le déclare en plein cœur de la bataille Emmanuel Laroze, directeur de la mission française,

  • 66 Farès, 2006.

« On a proposé de transformer la demeure Legrain en un centre de sensibilisation archéologique ».66

63mais peut être un peu tardivement après plus d’un siècle de présence. Cet événement est ainsi celui de la perte, par le manque de visibilité dans laquelle ont été délaissés, notamment par les acteurs français, de certains liens professionnels et nationaux, ceux de la gens des égyptologues français et ceux de la présence symbolique et historique de la France sur le site archéologique pharaonique le plus important et prestigieux d’Égypte.

64Enfin, certains acteurs égyptiens se retrouvent être, en marquant le refus de ce lien patrimonial, dans une situation de paradoxe ou de contradiction. Ils sont aujourd’hui tiraillés entre la manifestation de ce refus et la nécessité de co-oeuvrer avec ceux qui, par accord avec leurs autorités de tutelle, sont en charge d’une partie de l’exploitation scientifique des temples de Karnak pour les années futures. Ce refus les places dans cette situation délicate, en ce qui concerne le partage patrimonial. Bien qu’ils soient les dépositaires des objets de patrimoine, à ce jour, une grande part des savoirs et des savoir-faire concernant Karnak sont largement en possession des acteurs français ou étrangers. Les remarques d’Ali Radwan à propos de la formation d’archéologues égyptiens par des professionnels français, peuvent révéler un peu de ce second paradoxe :

  • 67 Ibid.

Je me suis entretenu avec les jeunes archéologues égyptiens. Ils m’ont presque tous confirmé qu’ils ne profitent pas assez de leur travail sur le site et que les Français ne leur attribuent que des travaux minimes ».67

  • 68 Al-Dakhakhnî , 2006.

[…] les Égyptiens qui ont le sentiment de travailler chez les Français et non pas avec eux […] ».68

65Tous ces éléments que nous venons de soulever à propos de la polémique Legrain sont symptomatiques, nous semble-t-il, des mécanismes d’appropriation ou de réappropriation patrimoniale.

Conclusion

66Les développements récents et importants des industries médiatiques ont eu comme principal effet de faire entrer dans les débats entourant le patrimoine un nouvel acteur informel et non institutionnel, « les opinions publiques ». Les opinions publiques se trouvent être, comme nous l’avons vu, de plus en plus régulièrement placées dans ce rôle de « tiers garant » départageant les légitimités de ceux qui œuvrent sur les patrimoines dont elles sont en partie légataires. Conséquence visible de ce nouveau phénomène, les « arguments d’autorité » ou « d’expertise » concernant le traitement des biens patrimoniaux et le partage patrimonial qui prévalaient jusqu’à très récemment, ont été déclassés et mis en concurrence avec l’activité qu’opèrent les opinions publiques sur la réputation et la légitimité des différents acteurs. Le fait n’est globalement pas nouveau mais il a connu ces dernières années une telle accélération qu’il a profondément modifié les enjeux du partage patrimonial.

67En 2001, les différents acteurs, français et égyptiens, qui avaient concourus à l’opération « Les Français aiment Le Caire », avaient pleinement compris ces enjeux nouveaux liés à leurs opinions publiques, sises sur les deux rives de la Méditerranée. Ils avaient notamment mesuré l’importance en amont du travail de sensibilisation, de vulgarisation, de médiation des savoirs qui s’était construit autour de patrimoines multiformes. La grande réussite de cette opération avait été alors d’étendre les champs de visibilité de certains patrimoines et d’en avoir ainsi étendu les sphères de partage. Outre ces travaux de mise en visibilité et de mise en circulation, la réussite des « Français aiment Le Caire » est aussi redevable à l’attention portée alors à l’établissement de liens multidirectionnels entre vestiges et légataires, liens entre des temps différents (le passé et le présent) mais aussi liens entre des milieux distincts (les professionnels et la société civile) et, bien sur, entre lieu éloignés (la France et l’Égypte).

68En 2006, une situation inverse, celle de la polémique autour de la destruction de la maison Legrain à Karnak, met en lumière deux points : l’un concernant les situations de concurrence autour de l’exploitation de patrimoines et l’autre, conjoncturel, révélant des modifications concernant la gestion de leurs patrimoines pharaoniques par les autorités égyptiennes.

69En contrepoint de l’opération « Les Français aiment Le Caire », la polémique qui touchait au patrimoine professionnel des égyptologues (français) œuvrant sur les temples de Karnak inscrite dans ce qui fut alors appelé « la bataille de Karnak », nous permet de souligner l’attention qui doit être accordée par les professionnels aux médiations à destination du « grand public ». Cette médiation doit permettre de donner une visibilité à leurs activités mais aussi de prévenir la possible indifférence, voire la « malveillance » ou l’acrimonie des opinions publiques.

70Cependant, les autorités égyptiennes ont par cette affaire marqué une double rupture. La première, à mettre au crédit du médiatique Zahi Hawass, est celle de l’usage de l’opinion publique dans les stratégies de redéploiement que les autorités égyptiennes opèrent sur les grands sites archéologiques, provoquant la remise en question des accords passés et des « traditions » établies. Du fait du peu d’efficacité des arguments d’experts dans ce genre de situation médiatisée, ce nouvel usage a permis aux autorités égyptiennes, lors des débats autour de l’exploitation et la destinée des vestiges archéologiques qui jusqu’alors été confiés aux acteurs scientifiques, de se targuer d’être porteur de la légitimité populaire, nationale voire identitaire. Cette prise d’intérêts nouveaux (politiques, diplomatiques, économiques) par les autorités égyptiennes a profondément modifié la répartition des rôles entre acteurs - scientifiques, politiques et économiques- oeuvrant dans la zone de Karnak.

71La seconde rupture est celle du refus explicite des liens que sous-tendait la maison Legrain, c’est-à-dire la longue coopération entre la France et l’Égypte et la légitimité des acteurs français quant à l’exploitation scientifique de Karnak.

72Là encore le savoir faire médiatique de Zâhî Hawwâs a fortement concouru aux conclusions de cette bataille : l’effacement d’un patrimoine professionnel qui manifestait la légitimité et la présence des acteurs français sur le site des temples de Karnak depuis plus d’un siècle et demi.

  • 69 À propos de cette réhabilitation, le BIA n° 35 (Janvier - Juin 2007), p. 16-19, le dossier techniqu (...)
  • 70 Le ministère égyptien du Développement local, l’ambassade d’Égypte en France, le ministère français (...)

73Pour clore cet article, nous tenons à mettre en lumière un programme de coopération, part de l’héritage de l’opération « Les Français aiment le Caire », pour lequel l’opinion de certains acteurs de la société civile est pleinement assumée comme un enjeu du partage patrimonial : la coopération entre la Mairie de Paris et le Gouvernorat du Caire pour la réhabilitation du quartier de Sayyida Zaynab.69 Liées par un pacte d’amitié et de coopération depuis 1985, les deux capitales se sont engagées, en 2002, dans une coopération technique pour la rénovation urbaine de ce quartier qui engage la collaboration de nombre d’institutions égyptiennes et françaises.70 Au cœur de cette coopération, en plus de la mise en partage des savoir-faire de la ville de Paris en matière de réhabilitation des centres historiques et celle des patrimoines historiques par le Gouvernorat du Caire, il a été clairement définit comme objectif d’associer les populations à l’élaboration des projets de quartier pour cette réhabilitation. Une telle démarche implique donc de la part des équipes du Gouvernorat la mise en place d’un certain nombre de médiations auprès de ses populations. Il sera donc intéressant d’observer d’ici quelques temps dans quelle direction ira cette démarche ; si ce sera celle de la « franche » consultation de l’opinion publique en tant que véritable légataire ou si cette consultation sera juste formelle laissant les populations locales sans voix quant à l’exploitation de cet espace urbain à revivifier matériellement. Il sera alors intéressant d’observer si la greffe de cet héritage politique parisien prendra.

Haut de page

Bibliographie

Adli E., 2006, « Projet de réaménagement de Karnak », dans Grimal Nicolas (éd.), Bulletin d’information archéologique (BIA), n° 33, Le Caire, Institut Française d’Archéologie Orientale (IFAO), p. 23-28

Al-Dakhakhnî F. 2006, « Le CSA : Nous n’admettrons pas la présence d’un État français à l’intérieur de Karnak... Karnak ne sera jamais le Vatican d’Égypte », Al-Masri al-Yawm, daté du 5 juin 2006.

Alleaume G., éd., 1999a, « L’expédition Bonaparte vue de l’Égypte », Égypte/Monde Arabe (EMA), n° 1 (2e série), Le Caire, éd Cedej/ Complexe, 200 p. [en ligne : http://ema.revues.org/index689.html]

Alleaume G., 1999b, « Des incertitudes de la mémoire aux exigences de l’histoire »,dans Alleaume Ghislaine, éd.,« L’expédition Bonaparte vue de l’Égypte », Égypte/Monde Arabe (EMA), n° 1 (2esérie), Le Caire, éd.,Cedej / Complexe, p. 7-12. [en ligne : http://ema.revues.org/index707.html]

Alleaume G., 1999c, « Agenda : les manifestations commémoratives », dans Alleaume Ghislaine, éd., « L’expédition Bonaparte vue de l’Égypte », Égypte/Monde Arabe (EMA), n° 1 (2e série), Le Caire, éd Cedej / Complexe, p. 213-219. [en ligne : http://ema.revues.org/index773.html]

Barthélemy P., 2007, « Les égyptologues français vont continuer de reconstituer le puzzle des temples de Karnak », Le Monde, daté du 03 décembre 2007.

Beaudoin J.-P., 2001, Être à l’écoute du risque d’opinion, Paris, éd. Organisation.

Carreau D., 2007, Le droit international public, Paris, éd., Pedone, 621 p.

Cachin F., Clair J. et Recht R., 2006, « Les musées ne sont pas à vendre », Le Monde, daté du 13 décembre 2006.

Davallon J., 2004, « La médiation : la communication en procès ? », Médiation et Information (MEI) : revue internationale de communication, n° 19, p. 37-59.

Davallon J., 2006, Le don du patrimoine : une approche communicationnelle de la patrimonialisation, Paris, éd., Hermès - Lavoisier.

Fares H., 2006, « La bataille de Karnak », Al Ahram Hebdo, n° 614, du 14 au 20 juin 2006.

Gran-Aymerich E., 1998, Naissance de l’archéologie moderne, 1798-1945, Paris, éd., CNRS.

Grimal N., 2001, « La mission permanente de Karnak », La Revue pour l’histoire du CNRS, n° 5, p. 36-45.

Grimal N., éd., 2002a, Bulletin d’information archéologique, n° 23, Le Caire, éd. Institut Française d’Archéologie Orientale (IFAO).

Grimal N., éd., 2002b, Bulletin d’information archéologique, n° 24, Le Caire, éd. Institut Française d’Archéologie Orientale (IFAO).

Grimal N., éd., 2006a, Bulletin d’information archéologique, n° 33, Le Caire, éd. Institut Française d’Archéologie Orientale (IFAO).

Grimal N., éd., 2006b, Bulletin d’information archéologique, n° 34, éd., Institut Française d’Archéologie Orientale (IFAO).

Grimal N., éd., 2007, Bulletin d’information archéologique, n° 35, éd., Institut Française d’Archéologie Orientale (IFAO).

Jacobi D., 1998, Pascal Coste, toutes les Égypte, Marseille, éd. Parenthèses.

Leturcq J.-G. et Sylla Youla T., 2007, « Et Zahî créa l’Égypte : quand glamour et patrimoine défraient la chronique », in Klaus Enrique et HassaboChaymaa (éds.), Chroniques égyptiennes 2006, Le Caire, éd., Cedej, p. 217-237.

Roussillon A., À propos de quelques paradoxes de l’appropriation identitaire du patrimoine, [En ligne] :[http://www.cedej-eg.org/article.php3?id_article=457]. [Repris dans http://ifpo.revues.org/908]

Solé R., 2006, Bonaparte et la conquête de l’Égypte, Paris, éd., Le seuil, 362 p.

Volait M., éd., 2001, Le Caire – Alexandrie, architectures européennes, 1850-1950, Le Caire, éd., CEDEJ/IFAO.

Wolton D., éd., 2001, L’opinion publique, Hermès n° 31, Paris, éd. CNRS.

Wolton D., éd., 2008, L’épreuve de la diversité culturelle, Hermès, 51, Paris, éd. CNRS.

Haut de page

Notes

1 La notion d’opinion publique n’est pas à entendre comme un groupe social déterminé, circonscrit et stable. Elle sera ici envisagée comme la forme non institutionnelle où, à propos d’éléments d’un débat déterminé, converges diverses opinions et attitudes parfois incompatibles entre elles. Ainsi, l’opinion publique est par essence instable, fluctuante et non institutionnelle et recouvre des réalités toujours différentes d’un lieu à l’autre, d’un débat à l’autre, d’un temps à un autre. Elle possède toutefois cette capacité d’encourager ou d’entraver une action dont elle n’a pas la responsabilité institutionnelle. À propos de l’opinion publique, voir Wolton, 2001 et Beaudoin, 2001.

2 À propos de cette polémique on consultera le texte de la pétition de « Les musées ne sont pas à vendre », Cachin Françoise, Clair Jean et Recht Roland, 2006 et donton peut observer la réponse médiatique du Louvre au travers de l’entretien que Henri Loyrette, président directeur de l’établissement public du musée du Louvre, a accordé au même journal le 26 décembre 2007, « Henri Loyrette confronté à la mondialisation des musées ».

3 Pour la chronologie de cette opération, cf. site de l’Unesco : [http://portal0.unesco.org/culture/fr/ev.php-URL_ID=24141&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html].

4 Nous entendons appropriation dans le double sens où l’entend Alain Roussillon : « [les ressources patrimoniales] peuvent être appropriées – au double sens de faire sien et de rendre propre à un usage », Roussillon, 2005.

5 Ibid.

6 Là aussi lors de notre recherche au Celsa sur les enjeux éthiques des échanges culturels, nous avons eu à catégoriser ces diverses acceptions du patrimoine et à repérer leurs articulations avec certains profils de professionnels ou d’acteurs de la société.

7 Jean Davallon, professeur à l’université d’Avignon et des pays de Vaucluse, laboratoire culture et communication. Spécialiste des dispositifs médiatiques et médiatisations entourant les objets culturels (des expositions, des musées ou des sites Web etc.).

8 Yves Jeanneret, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’université de Paris 4 Sorbonne (Celsa) et chercheur au CNRS, laboratoire Langages, logiques, informatique, communication, cognition (LaLICC). Spécialiste de la trivialité des valeurs culturelles, des formes d’écriture et des transformations médiatiques.

9 Davallon, 2006, p. 94.

10 Ibid., p. 97.

11 Solé, 2006.

12 Alleaume, 1999b, p. 7-12.

13 Alleaume, 1999c, p. 213-219.

14 Pour plus d’informations sur cette opération, cf. [http://www.cnrs.fr/parfums-Egypte].

15 Ces deux concepts de médiation et de communication sont très proches. On peut toutefois schématiquement avancer que la première notion a trait aux dispositifs liés à la mise en circulation, à la vulgarisation des savoirs et que le second a trait à la mise en visibilité de ces actions. Pour une étude détaillée de ces deux notions, cf., Davallon, 2004, p. 37-59.

16 Pour exemple, les pages Internet qui avaient été dédiées à cet événement ne sont pas référencées sur le site www.archive.org qui est pourtant la plus importante banque de données Internet existante. Quant aux d’autres supports, notamment ceux audiovisuels que TV5 qui avait été alors partenaire de cet événement pouvait conserver, les archives sont soit parcellaires soit tout simplement non conservées.

17 En coopération avec le Centre français de culture et de coopération du Caire, l’ambassade d’Égypte en France a organisé son propre programme sur le thème « Le Caire à Paris », en mai et juin 2001.

18 Nous utilisons la notion de « grand public » lorsque les communications et médiations tendent à viser le plus grand nombre d’acteurs informels. Acteurs, plus ou moins actifs, qui peuvent être ultérieurement mobilisés en ce que l’on appelle « l’opinion publique ».

19 Reportages sur la vie au Caire, ses communautés, ses monuments,… Ils sont disponibles auprès du service archives de la chaîne.

20 Pour une bonne synthèse de ce qui a pu être relayer dans les médias lors de l’événement « Les Français aiment Le Caire » voir : [http://www.cites.tv/citesdumonde/destination15-le-caire.html].

21 Nous renvoyons à la base de données Europresse.

22 Nous n’avons pas eu accès à ce site qui n’est plus actuellement en ligne et qui n’est pas référencé dans les bases de données relatives aux archives du Web tel : [http://www.archive.org].

23 Nous ne pouvons dresser ici la liste exhaustive des événements qui donnèrent de la matière à cette convocation des liens patrimoniaux existant entre la France et l’Égypte. Nous invitons donc le lecteur à consulter le programme détaillé de cet événement dans Al-Ahram Weekly n° 532, [en ligne : http://weekly.ahram.org.eg/2001/532/cu1.htm].

24 Le choix de la maison Kharazati, maison du xixe siècle en plein cœur du Caire Fatimide, s’imposait par lui même puisque la restauration de cet édifice s’inscrivait dans le cadre plus large du programme de réhabilitation de l’architecture traditionnelle de la Méditerranée « Rehabimed ». Ce programme de coopération bénéficie des financements européens du programme « Euromed Heritage ». La maison Kharazati était donc un de ces lieux emblématiques de ces efforts partagés pour la sauvegarde, la conservation et la réhabilitation architecturale de l’héritage urbain du Caire.

25 La ville nouvelle d’Héliopolis fut construite ex nihilo à partir de 1907 par le magnat belge Edouard Empain à une dizaine de kilomètres au Nord-Est du Caire. Cette ville recèle un patrimoine architectural exceptionnel qui est depuis des décennies mis en péril par l’urbanisation expansive du Caire, sa voisine. À propos du patrimoine architectural d’Héliopolis et des patrimoines architecturaux des xixe et xxe siècles en Égypte, on se référera aux ouvrages de Mercedes Volait, personnage central de cette coopération et des recherches dans ce domaine. Notamment (Volait, 2001).

26 Le Laboratoire CITERES (Cités, Territoires, Environnements et Sociétés), anciennement URBAMA, est une unité mixte CNRS-Université de Tours qui consacre ses recherches aux architectures modernes en Méditerranée. Il participe au groupement de recherche internationale « Architectures modernes en Méditerranée » : [http://www.architecturesmodernesenmediterranee.net].

27 Le choix de présenter l’œuvre de Pascal Coste au musée consacré à Ahmed Chawqi (1868-1932) n’est pas anodin puisque ce dernier, grand poète dramaturge égyptien, vécut en France de 1891 à 1894. Il y rédigea notamment en 1891 sa première tragédie, Ali Bey al-kabîr. Ce lieu était donc idéal pour l’évocation de ces échanges mutuels entre les hommes de France et d’Égypte.

28 De son séjour en Égypte, Pascal Coste rapportera des milliers de relevés de l’architecture égyptienne allant des grandes mosquées du Caire aux habitations plus modestes. Sur la base de ceux-ci, Pascal Coste publiera son Architecture arabe ou monuments du Kaire, Paris, 1837-1839, sorte d’inventaire architectural de l’Égyptedont l’exemple sera suivi et complété par nombre d’architectes français tout au long des xixe et xxe siècles – de Hector Horeau à Jules Bourgoin en passant par Emile Prisse d’Avennes et jusqu’à Mercedes Volait, aujourd’hui. À propos de l’œuvre de Pascal Coste, Cf. le catalogue d’exposition à la bibliothèque municipale de Marseille, Jacobi, 1998.

29 Des archives concernant ces expositions sont disponibles auprès de Systra, société regroupant les filiales d’ingénierie de la SNCF et de la RATP, et ayant réalisé à partir de 2001 les études pour la future ligne 3 du métro du Caire.

30 Le Cedej est un centre de recherche en sciences sociales basé au Caire et dépendant du ministère français des Affaires étrangères. Il s’attache à l’étude du Monde arabe et particulièrement de l’Égypte. Site Internet du Cedej, URL : http://www.cedej-eg.org.

31 Dans la deuxième partie de cet article, nous aborderons un cas qui connut de réels conflits d’intérêt. Pour le cas « Les Français aiment Le Caire » quelques polémiques autour de la fin des travaux du Sûk Al-Fustât semblent avoir existé mais la documentation ne nous permet pas d’en mesurer tous les tenants et aboutissants.

32 L’opinion publique est à considérer comme une forme toujours instable et fluctuante ; Cf. Supra p. 224.

33 L’archéologue français Georges Legrain œuvra à Karnak de 1895 à 1907 où il découvrit en 1904 la fameuse « Cachette » de Karnak sous le parvis du VIIe pylône. Cette cachette recelait des milliers d’œuvres pharaoniques exceptionnelles aujourd’hui visibles au musée du Caire.

34 À propos du CFEETK et du protocole d’accord dont il relève on pourra consulter le site : [http://www.cfeetk.cnrs.fr] ainsi que, Grimal, 2001, p. 36-45.

35 Pour exemple, la restauration de la chapelle rouge d’Hatchepsout a bénéficié du mécénat du groupe hôtelier français Accor.

36 Adli, 2006, p. 23-28.

37 La polémique s’est déroulée au moment de la création d’un nouveau gouvernorat pour le district de Louqsor, Grimal, 2006b, p. 49-50.

38 Nous reviendrons ci-dessous sur ces différents contextes.

39 Cf. Approche théorique, p. 226.

40 Pour se rendre compte de la densité de cette activité française de construction des savoirs sur Karnak, il suffit prendre la mesure des programmes en cours dans la revue du CFEETK « Les cahiers de Karnak » ainsi que pour un aperçu rapide : [http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/archeologie_1058/les-carnets-archeolo-gie_5064/afrique-arabie_5068/Égypte-karnak_5534/recherches-cours_15358.html]

41 Cf. Gran-Aymerich, 1998.

42 Barthélemy, 2007.

43 À propos de cette médiatisation : Leturcq et Sylla, 2007.

44 Ibid.

45 Tout au plus peut-on dire qu’il a créé un précédent mondial pour les gens égyptologique avec la mise en ligne d’un site consacré à sa personne et à son activité : [http://guardians.net/hawass] ainsi que le site la rubrique. The official fan international club of Dr Zahi Hawass : [http://guardians.net/hawass/Fan_Club/index.htm].

46 À propos des suspensions et de leurs motivations par le CSA ; voir la rubrique « suspension » des Bulletins d’information Archéologique où elles sont recensées.

47 Chaque année, la Commission mixte franco-égyptienne réunit, à Karnak, le Secrétaire d’État égyptien à la culture et ses collègues du CSA ainsi que l’Ambassadeur de France, le Secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, le directeur scientifique du CNRS, le sous-directeur de l’archéologie du MAE. Cette commission examine les travaux de l’année écoulée et le programme scientifique de l’année suivante.

48 Ibid.

49 Ibid.

50 Farès, 2006.

51 À ce propos et dans le cadre cet article, nous tenons à souligner la construction d’un centre commercial à moins de 200 m du temple de Karnak, Grimal, 2006b, p. 46-47.

52 Il est envisagé d’ériger « un centre scientifique pour l’histoire des fouilles des temples de Karnak » (Grimal, 2006b, p. 24) retraçant l’œuvre des archéologues français mais loin de l’esplanade de Karnak dans la région du Hastar et dans un nouveau complexe accueillant aussi un bazar touristique.

53 Al-Dakhakhnî, 2006.

54 Nous utilisons le terme de « légalistes » plutôt que ceux de « légaux » ou « juridiques » car nous pensons que ces derniers doivent être réservés aux arguments utilisés par les professionnels du droit ou diplomates qui ont la charge de la construction ou du respect des normes et droits.

55 Cf. Supra, p. 225.

56 Farès, 2006.

57 La coexistence des droits internationaux et des droits internes a toujours posé la question de la hiérarchisation des uns par rapport aux autres. Certains à l’instar de Hans Kelsen pensent qu’il y a hiérarchisation, c’est la position dite « moniste ». D’autres, à l’instar de Heinrich Triepel, pensent que ces droits sont de deux ordres distincts sans relation de subordination ; c’est la position « dualiste ». À ce propos, cf. Carreau, 2007.

58 Dans le sens de la « souveraineté » des États c’est-à-dire de cette qualité d’un État qui lui permet d’agir de sa propre volonté tout en le faisant dans les règles de son propre droit et les limites que lui impose les contextes réglementaires internationaux dont il est signataire.

59 Farès, 2006.

60 Et depuis octobre 2007, membre du Comité du patrimoine mondial de l’Unesco.

61 Al-Dakhakhnî, 2006; Grimal, 2002a, p. 32-37 et Grimal, 2002b, p. 10-13.

62 UNESCO, Comité du patrimoine mondial – État de conservation (Thèbes antique et sa nécropole) – Décision 30COM 7B.46 (23 août 2006).

63 UNESCO, - Décision 30COM 7B.46.

64 Nous employons ici le terme de “mou“ pour qualifier ce cadre réglementaire puisque ce qualificatif est utilisé en droit et notamment en droit international pour désigner les codes qui ne posent pas d’obligation juridiquement sanctionnée, relevant des droits dit « mous » ou « soft law » en anglais.

65 Il est à souligner que ce redéploiement s’opère dans le cadre d’importants investissements étrangers, notamment américains, pour la mise en valeur et l’exploitation touristique des grands sites pharaoniques. Pour les zones archéologiques du gouvernorat de Louqsor, ces investissements représentent pour les autorités égyptiennes plusieurs dizaines de millions de dollars US, Grimal, 2006a, p. 70, émanant principalement de United States Agency for International Development (USAID, site Internet de l’agence [http://egypt.usaid.gov]) et centrés sur d’intenses coopérations entre les autorités locales et nationales égyptiennes et certaines institutions américaines, Grimal, 2006c, p. 40-42. Tous ces éléments concourent bien évidemment à donner des directions particulières à ces redéploiements.

66 Farès, 2006.

67 Ibid.

68 Al-Dakhakhnî , 2006.

69 À propos de cette réhabilitation, le BIA n° 35 (Janvier - Juin 2007), p. 16-19, le dossier technique disponible auprès de l’Atelier Parisien Urbanisme (APUR) : [http://www.apur.org/etudes.php?visu-livres.php?id=4] ainsi que la contribution de Karim Ben Meriem dans ce volume.

70 Le ministère égyptien du Développement local, l’ambassade d’Égypte en France, le ministère français des Affaires étrangères, la Région Île-de-France, l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF), l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR), le Centre de documentation économique, juridique et sociale (CEDEJ) et le Centre Français de Culture et de Coopération (CFCC) du Caire.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Thomas Fracapani, « Quand l’opinion publique départage les patrimoines »Égypte/Monde arabe, 5-6 | 2009, 221-254.

Référence électronique

Thomas Fracapani, « Quand l’opinion publique départage les patrimoines »Égypte/Monde arabe [En ligne], 5-6 | 2009, mis en ligne le 30 décembre 2010, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ema/2901 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ema.2901

Haut de page

Auteur

Thomas Fracapani

Thomas Fracapani est diplômé de l’École des hautes études en sciences de l’information et de la communication (Celsa). Il vit et travaille actuellement à Paris en tant que chargé de mission en communication. Il est aussi diplômé de la Sorbonne-Paris IV et de l’École du Louvre en histoire de l’art et en archéologie. Il a auparavant travaillé au service de recherche du Musée national de la Marine (Paris) ainsi qu’au sein du Parc naturel régional d’Armorique (Finistère, France) pour le musée et le site archéologique de l’ancienne abbaye de Landévennec en tant que chargé de communication et assistant de direction.

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search