D’Ibn Tulûn à l’Aqueduc, anticiper l’avenir
Résumés
Dans le cadre d’une collaboration initiée en 2001 sur le quartier populaire de Sayyida Zaynab au Caire, entre le gouvernorat du Caire et la Mairie de Paris, une équipe de la Mairie de Paris s’est attachée à intégrer l’avenir du tissu urbain patrimonial (Qalcat al-Kabsh) à un projet urbain plus global prenant en compte un contexte urbain à la fois complexe et « dynamique », marqué par un trafic congestionné, un tissu socio-économique en pleine mutation et une situation sanitaire d’urgence. Cet avenir est envisagé dans l’optique d’un développement durable où les enjeux de mobilité et de mixité sociale et fonctionnelle sont incontournables. Présentant les résultats de ces travaux, cet article pose la question d’une véritable politique de la ville et des outils qu’elle nécessite. L’enjeu central réside alors bien plus dans l’art et la manière de transmettre cette connaissance à celles et ceux qui, par leurs fonctions et leurs mandats, la traduiront en politique urbaine.
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Haut de pageNotes de l’auteur
Toutes les figures de l’article, crédit : APUR.
Cet article reproduit et exploite une partie des travaux financés par la Direction Générale aux Relations Internationales de la Ville de Paris dans le cadre du programme de coopération décentralisée Paris-Le Caire. Ces études ont été réalisées au Caire conjointement par l’équipe parisienne (A. de Roeck, chef de projet pour la DPA-Ville de Paris, Christiane Blancot pour l’APUR -Atelier Parisien d’Urbanisme-, Omneyya Abdelbarr, architecte) et les services techniques de la Direction de l’Habitat au Gouvernorat du Caire (Service d’Information Géographique) et du District de Sayyida Zaynab, avec la collaboration du Gouvernorat du Caire Sud.
Texte intégral
- 1 Cette équipe, supervisée par la Direction Générale aux Relations Internationales -Ville de Paris se (...)
1En 2001, le Gouvernorat du Caire et la Mairie de Paris décident de donner au pacte d’amitié qui les lie depuis 1985, la dimension concrète d’un travail commun sur les problèmes urbains de la capitale égyptienne. Un partenariat est alors établi entre les services techniques de la Direction de l’Habitat au Gouvernorat du Caire, ceux du District de Sayyida Zaynab et une équipe pluridisciplinaire déléguée par la Mairie de Paris.1
- 2 « Mineur » au sens où l’entend Givanonni, patrimoine architectural non monumental (cf. F. Choay et (...)
- 3 Les mosquées Qaytbay et al-Gawlî.
2Ils choisissent la rue cAbd al-Maguid al-Labbân qui relie entre elles les prestigieuses mosquées de Sayyida Zaynab et d’Ibn Tûlûn, et le quartier ancien de Qalcat al-Kabsh qui la surplombe. Ce morceau du centre-ville à la population très modeste et au patrimoine architectural « mineur »2 est en pleine déliquescence et reste très peu fréquenté par les touristes malgré la présence de mosquées mameloukes originales3 et de la mosquée Ibn Tûlûn.
- 4 Ces travaux ont été publiés par la Ville de Paris et le Gouvernorat du Caire en 2005 dans une broch (...)
3La réflexion menée entre 2001 et 2005 sur le quartier en dressait un état des lieux et en analysait les composantes environnementales, sociales et économiques. Ces travaux ont par ailleurs contribué à révéler le caractère patrimonial du cadre architectural et urbain du quartier. Au fur et à mesure de ces études des solutions concrètes furent proposés par l’équipe parisienne au Gouverneur du Caire, en vue de mettre en place une stratégie de développement basée sur une série d’actions conjointes. Celles-ci soulignaient la nécessité d’intégrer la réhabilitation du quartier dans un schéma directeur général élargi à l’ensemble du district de Sayyida Zaynab4 (fig. 1).
- 5 L’équipe parisienne conserve sa composition initiale (s’étoffant de quelques stagiaires supplémenta (...)
- 6 Voir infra : « Sayyida Zaynab, éléments pour une meilleure compréhension d’un territoire composite (...)
- 7 En effet, les premières photographies panoramiques prises de la Citadelle en direction des Pyramide (...)
4S’inscrivant dans la logique des stratégies de développement proposées, le Gouverneur du Caire ouvre le champ de la réflexion urbaine5 à un territoire qui s’étend d’Ibn Tûlûn à l’Aqueduc, surface d’environ six kilomètres carrés, actuel théâtre de transformations rapides, profondes6, et caractérisé par une mosaïque de situations urbaines.7
- 8 Le 21 Mars 2007, une partie du quartier informel de Qalcat al-kabch est détruit par un incendie qui (...)
- 9 Déjà en 2005, A. De Roeck, chef de projet dans le programme de coopération décentralisée Paris-Le C (...)
5Ainsi, à partir de 2006, l’équipe de la Mairie de Paris s’attache à restituer l’avenir du tissu ancien de Qalcat al-Kabsh dans un contexte urbain à la fois complexe et « dynamique », marqué par un trafic congestionné, un tissu socio-économique en pleine mutation, et une situation sanitaire d’urgence.8 Cet avenir est alors envisagé dans l’optique d’un développement durable où les enjeux de mobilité et de mixité sociale et fonctionnelle sont incontournables. La question d’une véritable politique de la ville et des outils qu’elle nécessite devient centrale.9
6Ces deux aspects constituent l’objet de notre article. Nous proposons dans un premier temps, de les aborder à travers la description des conditions de mise en œuvre de la coopération Paris-Le Caire et des modalités d’échanges qu’elle impliqua. Une seconde partie sera consacrée aux stratégies de développement proposées dont nous donnerons les grandes lignes. Enfin, nous détaillerons la méthode, les outils et les interventions imaginés pour un projet pilote sur le quartier de Qalcat al-Kabsh.
7En guise de préambule, nous commencerons par retracer les principales étapes de l’évolution du district de Sayyida Zaynab afin de débrouiller sa complexité urbaine et de mieux comprendre tant les modalités de coopération établies que les stratégies, méthodes et outils proposés.
Sayyida Zaynab, éléments pour une meilleure compréhension d’un territoire composite
Une géographie particulière
8La partie sud de Sayyida Zaynab, vaste territoire dont il est question ici, est marquée par une topographie complexe. C’est un des rares sites du Caire composé de collines aux pentes abruptes vers le nord et l’ouest, et douces vers le sud. Il s’étend depuis Qalcat al-Kabsh au nord jusqu’à l’Aqueduc au sud.
9Situé entre le Nil à l’ouest et la montagne du Muqattam à l’est, ce territoire était, un désert de pierres jusqu’au xixe siècle. Au nord, se dresse la colline de Yashkur sur laquelle fut fondée (au ixe siècle) la troisième capitale islamique de l’Égypte, al-Qata’i qui se développa autour de la mosquée Ibn Tûlûn. Durant la période mamelouke elle donnera les quartiers de Qalcat al-Kabsh et de Tûlûn. Au sud, s’étend Fustât, site de l’antique ville qu’on appelait Babylone et lieu de la première ville musulmane autour de la mosquée cAmr, c’est aujourd’hui un lieu très visité et profondément respecté.
10Ce territoire était traversé par le « Khalîg » – long canal qui, lors de la crue annuelle, transportait l’eau du Nil vers les terres cultivées du nord. Ce canal fut remblayé au début du xxe siècle mais son emplacement est encore visible à travers le tracé des rues qui empruntent son ancien cours et celui des voies qui le bordaient. Ainsi, la place située au bord du Nil s’appelle « place Fûm al-Khalîg » (l’embouchure du canal) et, de là, démarre la « rue Sadd al-Barrânî » (la digue extérieure) qui chemine jusqu’à la place Sayyida Zaynab, et la « rue al-Khalîg al-Masrî » (le canal égyptien) qui, plus au nord, prend le nom de « rue Port Saïd » (encore dénommée « rue al- Khalîg » sur les plans cadastraux de 1940).
- 10 La citadelle fut le siège du pouvoir depuis la période ayyoubide jusqu’au xixe siècle. Située sur u (...)
11Cette situation géographique particulière a favorisé l’édification entre ces deux ensembles urbains du premier aqueduc d’alimentation en eau de la citadelle10 au début du xive siècle. Cet aqueduc, reconstruit par le sultan Ghûrî au début du xvie siècle (1507-1508), transporta longtemps l’eau du Nil dans les réservoirs situés en contrebas de la citadelle à travers le vaste cimetière sud qui s’étend à ses pieds.
Un territoire urbanisé seulement au xixe siècle
- 11 Les dessins publiés dans la Description de l’Égypte furent réalisés par les savants de l’Expédition (...)
12Les plans de la Description de l’Égypte11 montrent, au nord de l’Aqueduc, un paysage désert, ponctué de petits édifices religieux entourés de bosquets d’arbres.
13C’est durant la seconde moitié du xixe siècle, que sont implantés deux nouveaux cimetières chrétiens, l’un catholique et l’autre arménien, prés du cimetière et de l’église copte, à l’est du canal. Seuls deux modestes quartiers sont alors bâtis près de l’embouchure du canal, et deux autres plus au nord, sur les collines (Tall) de « Tîbî » et d’« al-cAqârib » (des scorpions).
14L’urbanisation du site ne va réellement commencer qu’avec l’installation en 1890 des abattoirs modernes au pied de l’Aqueduc. Un vaste quartier d’habitations et de commerces accompagne la création de cet équipement près du mausolée de Zayn al-cAbidîn et du cimetière musulman. À partir de la ligne de chemin de fer qui longe le quartier à l’ouest, une voie ferrée est spécialement créée pour amener les bêtes aux abattoirs tandis qu’au sud de l’Aqueduc les tanneurs s’installent, profitant de la proximité des abattoirs qui leur fournissent la matière première.
- 12 Bâb Tûlûn est l’une des portes sud de la ville ancienne. Elle marque l’entrée de la ville historiqu (...)
15Alors qu’à l’ouest de la ville ancienne, prés du Nil, une nouvelle ville très moderne (Wast al-Balad et Munîra) se développe, le quartier des abattoirs et ses faubourgs pauvres restent isolés du reste de la ville jusqu’au milieu du xxe siècle, moment où, suite aux bombardements des villes du canal lors de la guerre de Suez (1956), des cités d’urgence sont bâties au sud de « Bâb Tûlûn »12 pour accueillir les populations réfugiées.
16À partir de ces nouvelles constructions, des quartiers pauvres vont se développer autour de deux châteaux d’eau, constituant une zone d’habitat précaire qui grossira vers le sud.
17Sous Nasser, entre ce quartier déshérité et l’Aqueduc, s’intercaleront de grands ensembles de logements sociaux, des écoles et un centre sportif. Ils forment aujourd’hui une partie des quartiers de Zanhum. Il en sera de même plus à l’ouest, le long du chemin de fer avec l’ensemble de logements sociaux d’Abû Rîsh.
18En 1995, une nouvelle phase de l’urbanisation commence. Les abattoirs sont déménagés dans le quartier de Basatîn en 1995. Le terrain libéré par le départ des abattoirs est destiné à accueillir un nouvel hôpital pour les enfants cancéreux dont la construction démarre en 2003. Les habitations situées au sud de ce chantier sont rasées pour faire place à un parking et un jardin. L’hôpital a été inauguré en 2007.
19À la fin des années 1990, la décision est prise de raser l’habitat informel du quartier de Zanhum et de mettre en œuvre une opération de relogement des habitants dans des immeubles neufs. Ce seront les opérations Zanhum I en 2001, Zanhum II en 2004 et Zanhum III en 2006. Elles devraient aboutir, en 2008, à la création de 2037 logements neufs sur la colline.
Remarques sur l’organisation urbaine
20Les plans dessinés pour analyser ce territoire font apparaître des types d’organisation urbaine très caractéristiques de chaque époque d’urbanisation.
21Ainsi, dans la ville historique, le réseau des voies publiques et l’organisation du parcellaire des quartiers de Qalcat al-Kabsh et Tûlûn sont très semblables à ceux des faubourgs anciens de la ville fatimide que sont les quartiers du Darb al-Ahmar ou de Bâb al-Wazîr. Les rues sont étroites et les tracés sinueux.
22À partir des voies principales qui traversent le quartier et le long desquelles se situent les monuments, les commerces et les cafés, s’organise un réseau arborescent de voies en impasses. Les parcelles sont petites, leur contour irrégulier. Les maisons les plus anciennes sont construites en mitoyenneté, le long des rues, elles sont assez hautes (de 10 à 15 m) lorsqu’elles n’ont pas perdu leurs étages supérieurs. Beaucoup de parcelles y sont vides ou en ruines et sur d’autres ne subsistent que des rez-de-chaussée anciens. Les immeubles en béton, récents sont généralement plus hauts, de 4 à 5 étages, et bâtis en retrait de l’alignement ancien, créant un paysage urbain très hétérogène.
23À l’inverse les lotissements du xixe siècle sont réguliers, les rues y sont droites et de dimension constante (de 8 à 12 m de large). Quelques voies, plus importantes que les autres, d’une largeur de 20 m, traversent les quartiers, elles supportent l’essentiel du trafic. Les parcelles sont semblables, les immeubles aussi, alignés le long des rues, hauts de trois ou quatre étages, et mitoyens, des commerces occupent les rez-de-chaussée le long des voies principales. Les immeubles récents en béton sont là aussi, bâtis en retrait et plus hauts mais on y trouve moins de parcelles vides et de ruines que dans les quartiers plus anciens. Dans le quartier des anciens abattoirs, une partie des îlots n’ont jamais été bâtis car des étables et des enclos pour stocker les bêtes sont venus occuper les terrains dès l’origine.
24Ce mode d’urbanisation par grands lotissements va perdurer jusqu’au milieu du xxe siècle mais dans les années 1950, tout change. Des séries d’immeubles de logement, tous semblables sont disposés en quinconce sur de grands terrains. Distants de quinze mètres, ils laissent entre eux de grands espaces libres aménagés en voies d’accès et flanqués de plates-bandes végétalisées. À côté, sont implantées plusieurs écoles construites selon les mêmes dispositions, de longs bâtiments au centre de la parcelle définissent des cours l’ensemble étant clôturé par de hauts murs.
25Au début des années 2000, pour le programme de relogement des quartiers informels de Zanhum, le même principe est adopté. Il ne s’agit plus de longues « barres » de logement mais de « plots » (petits immeubles de deux à trois étages, sans mitoyen). L’agencement du quartier est semblable : implantation des immeubles en quinconce, grands espaces de voirie, grandes voies périphériques et absence de commerces. Ainsi la partie moderne de Zanhum est-elle désormais un immense quartier de logement qui s’étend jusqu’au pied de l’Aqueduc.
De Qalcat al-Kabsh à l’Aqueduc : une juxtaposition de quartiers modernes et disparates, conçus sans continuité ni cohérence
26La colline de Qalcat al-Kabsh, urbanisée depuis plus de dix siècles, a ainsi connu plusieurs opérations d’aménagement isolées, menées sans schéma d’urbanisation d’ensemble, ce territoire apparaît aujourd’hui comme une mosaïque de quartiers non reliés entre eux. Les rues ne se raccordent pas et, parfois, c’est un terrain vague qui permet de passer d’un quartier à l’autre. Les grands équipements implantés sur ce site (stade, cimetières, château d’eau, écoles…) forment de vastes enclaves qu’il faut contourner. Seul le cimetière musulman peut être traversé à pied même si cela est malcommode.
27Depuis dix ans, ce secteur du Caire a connu des mutations profondes, avec notamment le déménagement des abattoirs et la construction du nouvel hôpital à sa place, ainsi que la rénovation complète du quartier d’habitat de Zanhum qui, d’une situation précaire est devenue un quartier d’habitations modernes et pérennes. Ces transformations positives, mais encore ponctuelles, doivent maintenant être accompagnées par une action globale sur ce secteur.
28Requalifier Sayyida Zaynab suppose de s’appuyer sur cette histoire très particulière et sur les atouts de ce site et notamment de profiter de l’incroyable développement des arbres existants, qu’ils soient dans les cimetières ou dans le stade, pour faire une ville jardin, où il y a aujourd’hui trop de poussière et de bitume.
Conditions de mise en œuvre de la coopération Paris-Le Caire et modalités d’échanges
Le souci d’un développement durable
29Le Gouverneur du Caire exprime régulièrement depuis 2002 son souci de faire en sorte que ces transformations, dont le rythme s’accélère, s’effectuent dans un cadre maîtrisé. Les diverses interventions et phases d’urbanisations énoncées plus haut (déménagement des abattoirs, destruction de logements informels et relogement de leurs habitants, construction, en un temps records de milliers d’unités de logements neufs, construction d’équipements publics), illustrent clairement une volonté politique d’assurer à la ville son fonctionnement (notamment en matière de trafic automobile), de lui conférer une certaine attractivité et de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des habitants. Cette volonté politique implique un travail conséquent sur l’environnement urbain concernant l’aménagement du quartier mais aussi son insertion dans l’ensemble de la ville. Cette volonté politique suggère également une extension de la réflexion à la question du mode d’intervention des pouvoirs publics dans le processus d’urbanisation, plus particulièrement en ce qui concerne les modes d’acquisition des terrains privés. Elle pose également la question des modalités de définition des programmes de réaménagement des quartiers anciens, des mesures d’incitation à l’implication du secteur privé et celles du financement des interventions.
30L’extension de la réflexion à ces divers aspects fut l’un des préalables à la mise en place du Programme Le Caire-Paris. Ainsi, l’enjeu de la réussite de la coopération ne se bornait pas à l’apport d’un appui méthodologique aux divers services techniques du gouvernorat (assistance à la maîtrise d’ouvrage) – même si tels en étaient les termes de références –, mais résidait surtout dans sa capacité à favoriser l’émergence d’un processus où les objectifs et les enjeux de divers groupes d’acteurs convergeraient autour de la mise en place d’une nouvelle politique de la ville : une politique où les pouvoirs publics proposent le cadre réglementaire et définissent des programmes adaptés aux situations urbaines, économiques et sociales spécifiques aux zones planifiées ; où les pouvoirs publics utilisent une réserve foncière, incitent les propriétaires à intervenir dans la mise en valeur ou la restauration de leurs biens, sollicitent des bailleurs de fonds privés ou publics et compte avec les habitants qui animeront la vie des quartiers.
31En d’autres termes, il s’agissait de favoriser une politique urbaine visant non pas seulement à pallier les effets de précédentes opérations d’aménagement menées sans schéma d’urbanisation d’ensemble, mais visant un développement durable, intégrant à la fois cadre architectural et urbain ancien et moderne, mobilité et mixité sociale et fonctionnelle.
- 13 Au point que l’équipe parisienne est aujourd’hui capable d’en décrire chaque parcelle, chaque édifi (...)
32De tels objectifs peuvent apparaître bien ambitieux au regard de la complexité urbaine décrite plus haut. Cependant, les deux ans de recherche, d’échanges et de projets que nous évoquons plus bas, permettront sans doute de saisir à quel point, le simple fait de prendre le temps de connaître le terrain, de le connaître presque sur le bout des doigts13 rend évidente sa projection. Tout l’enjeu réside alors bien plus dans l’art et la manière de transmettre cette connaissance à celles et ceux qui, par leurs fonctions et leurs mandats, la traduiront en politique urbaine.
Une implication progressive des acteurs
33Conscientes de la complexité et de l’évolutivité du terrain, autant que de la nécessité de développer les outils nécessaires pour penser l’avenir d’un tissu en grande partie ancien et/ou délabré dans l’optique d’un développement durable, les autorités du Caire (du Gouverneur au Chef du district de Sayyida Zaynab) ont pris des décisions déterminantes dans le déroulement des études.
Deux directions égyptiennes, un Comité mixte
34En juin 2006, le Gouverneur du Caire a créé par arrêté un comité mixte pour la réhabilitation du quartier de Sayyida Zaynab (CREUSZ ou Comité de REqualification Urbaine de Sayyida Zaynab), composé à parité de représentants des deux principaux organismes chargés de la gestion et de l’aménagement urbain de Sayyida Zaynab :
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La direction de la planification urbaine du Gouvernorat,
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La direction technique du quartier de Sayyida Zaynab.
35Font également partie du comité les membres de l’équipe pluridisciplinaire parisienne chargée d’apporter un appui méthodologique à ces deux services (la planification urbaine du Gouvernorat et la direction technique du quartier de Sayyida Zaynab).
36La création de ce comité constitue, il nous semble, l’un des premiers pas vers un changement des modes d’intervention des pouvoirs publics dans le processus d’urbanisation et la définition des programmes de réhabilitation. Elle a en effet permis d’engager un véritable processus de concertation des divers groupes d’acteurs jusqu’alors habitués à travailler indépendamment les uns des autres. En effet, dans l’organigramme très pyramidal des services administratifs cairotes, les décisions prises au niveau de la direction de la planification urbaine du Gouvernorat constituaient rarement le fruit d’une concertation avec les services techniques, voire, ne se basaient pas toujours sur une véritable connaissance des quartiers sur lesquels portaient les interventions.
37De son côté, la direction technique du quartier de Sayyida Zaynab, peinait souvent à remplir son mandat, consistant à assurer la mise en œuvre des directives du Gouvernorat tant les solutions et projets proposés étaient loin de correspondre aux véritables priorités urbaines, environnementales, économiques et sociales des quartiers, et de refléter une demande des habitants.
38Cette absence de concertation se traduit sur le terrain, par exemple, par un réseau de voies publiques incomplet et parfois incohérent à tel point que des quartiers entiers se retrouvent sans liaison entre eux ou que de grandes enclaves clôturées, séparant ici encore les quartiers, obligent à des parcours très longs. Certains quartiers d’habitations ont été conçus sans y avoir prévu ni commerces ni locaux de travail, favorisant l’implantation d’activités artisanales et commerciales précaires et accentuant alors la médiocrité de l’environnement urbain essentiellement constitué de béton, de poussière et de chaleur. Ajoutons à cela la concentration, tant dans le quartier historique de Qalcat al-Kabsh que dans les quartiers modernes de Zanhum, d’une population pauvre, où l’habitat est précaire, et les activités liées aux abattoirs – qui perdurent malgré la délocalisation des installations « officielles » à Basâtîn il y a dix ans – se font désormais clandestinement dans de mauvaises conditions sanitaires et dans des lieux inadaptés.
L’équipe parisienne sur le terrain
- 14 Mise à jour réalisée sur la base des fonds cadastraux de 1940.
39La présence au sein de ce comité d’un troisième groupe d’acteur composé de jeunes professionnels parisiens – recrutés par l’APUR – ayant une connaissance approfondie du terrain, acquise à travers un long travail de mise à jour cartographique14, un relevé systématique de l’occupation des parcelles, ainsi que la réalisation d’une base cartographique informatisée, a constitué, à notre avis, un véritable moteur du processus de concertation engagé.
40L’apport d’une connaissance fine du terrain a en effet pu servir de support concret aux discussions, débats et réflexions des membres de ce comité sur la continuité de la rue Tûlûn au-delà du quartier historique de Qalacat al-Kabsh, le décloisonnement éventuel du centre sportif, le réaménagement de la place Abû Rîsh, ou encore la rénovation urbaine du quartier de Tall al-cAqârib. La base de données élaborée constitue en outre un outil nécessaire d’aide à la décision qui, jusqu’à présent, manquait aux différents services du Gouvernorat. Elle décline quatre thématiques : caractère du bâti, typologie du bâti, fonctions des rez-de-chaussée, densité du bâti. Cette base de données, aujourd’hui installée au sein du Service d’Information Géographique du Gouvernorat, pourra en outre servir de support à des enquêtes complémentaires.
- 15 La présence des membres de l’équipe française dans ces services visait à faciliter l’accès aux info (...)
41C’est par ailleurs au sein des services du Gouvernorat et pour des durées de plusieurs mois, que ces jeunes professionnels parisiens (deux architectes, une ingénieure, un géomètre, des étudiants en sciences politiques et en urbanisme) furent installés pour travailler sur les projets qui leur étaient confiés : à la direction de l’habitat et au bureau du trafic (organisme chargé de la gestion et du développement des déplacements dans le Grand Caire).15 Deux services clés pour qui entend intervenir sur le réseau de voies publiques, la gestion des déplacements et la circulation dans la zone, ainsi que sur la mise en valeur de l’environnement urbain et du cadre architectural tant ancien que moderne.
42En effet, c’est au sein de la direction de l’habitat que les architectes et le géomètre de l’équipe parisienne ont pu élaborer une stratégie générale de développement du secteur ainsi que les différents projets de rénovation et de réhabilitation urbaines que nous développons plus bas. C’est par ailleurs au sein du bureau du trafic que l’ingénieure-stagiaire de la même équipe, associée à une jeune professionnelle égyptienne ont pu analyser le réseau des transports en commun publics et privés, effectuer des comptages (permettant de quantifier les flux de véhicules dans le quartier), proposer un diagnostic et enfin un projet allant du fonctionnement global du réseau des transports à la restructuration d’un nœud de circulation (la place Abû Rîsh).
43Cette présence des membres de l’équipe française au sein de ces services marquait, il nous semble, une volonté politique claire d’appuyer orientations, propositions et décisions sur une connaissance très fine et très précise du terrain. D’ailleurs, au niveau local, le District a constitué un relais permanent fluidifiant la coordination entre les jeunes professionnels parisiens, les maîtres d’œuvre des projets déjà en cours dans le secteur et l’administration cairote et facilitant l’accès au terrain et à l’information de l’équipe parisienne.
- 16 Ce qui traduit bien une véritable volonté des différentes institutions d’assurer la continuité des (...)
44Ainsi, ce comité, qui s’est réuni à six reprises entre mars 2006 et novembre 200716, a permis d’enrichir la réflexion de points de vue très différents sur les projets évoqués plus haut. Il a constitué un véritable lieu d’échange et de débat et a été le support d’une information partagée tant sur l’orientation des projets que sur leur avancement. Notons enfin qu’il a permis d’instaurer et de consolider un climat de confiance dans lequel se sont déroulés les travaux de la mission. Il a assuré à l’instruction des dossiers son indispensable caractère pluridisciplinaire. Il a été, enfin, la meilleure garantie de réponses adaptées aux réalités de la vie au Caire.
Résultats
45Nous présentons dans les pages qui suivent le fruit des échanges, débats et partages de l’information entre les divers groupes d’acteurs que nous venons de décrire. Ces résultats sont énoncés à travers la définition de stratégies de développement du territoire qui s’étend de Qalcat al-Kabsh à l’Aqueduc et un projet-pilote portant sur une zone limitée, la rue Ibn Tûlûn.
46Ces stratégies de développement et projet pilote visent à apporter des solutions à l’enchevêtrement et la concentration des dysfonctionnements urbains à Sayyida Zaynab à travers :
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Une compréhension globale du contexte et du fonctionnement de ce morceau de ville. Les stratégies proposées s’appuient donc sur un diagnostic élargi permettant de mieux cibler les interventions.
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Une conception « durable » du son développement urbain impliquant la prise en compte des facteurs économique, social et environnemental (lutter contre la pollution c’est réduire les déplacements et donc encourager la « mixité »). Dans une telle démarche l’étude des relations des habitants à leur milieu a été placée – particulièrement dans le cadre du projet pilote proposé – au centre de la réflexion et leur implication dans le processus de développement (par le relevé systématique de leurs activités, l’enquête sociologique, le dialogue avec les associations locales… qui permettent l’évaluation des besoins). Ceci est une condition sine qua non de la réussite des actions menées.
47Notons cependant que si les modalités de coopérations mises en place ont permis d’amorcer un processus de concertation de certains groupes d’acteurs chargés de la gestion et de la planification urbaine de ce morceau de ville, de préciser leurs perceptions et connaissances du terrain, ces premiers pas n’ont pas (encore ?) menés à l’élaboration du cadre réglementaire, financier et participatif nécessaire à la mise en œuvre de ces stratégies.
48Modalités de coopération donc, qui permirent un changement des modes d’intervention des pouvoirs publics dans le processus d’urbanisation, ou dans la définition des programmes de réhabilitation mais pas encore dans le financement des interventions ou dans la place accordée aux populations concernées par ces programmes.
49Cette lacune apparaît clairement, comme nous le verrons plus bas, au sujet des stratégies proposées pour réhabiliter ou rénover chaque quartier en fonction de son caractère propre, de la forme et de l’état des bâtiments.
Une stratégie de développement basée sur une série d’actions conjointes
50Pour développer ce vaste territoire qui s’étend de Qalcat al-Kabsh à l’Aqueduc, et de la ligne du métro à l’ouest à la rue Ashraf à l’est qui mène au cimetière sud, plusieurs actions complémentaires ont été envisagées. Celles-ci visent à apporter des solutions aux divers handicaps de ce territoire, dont certains sites restent marqués par de grandes difficultés, tout en valorisant ses atouts importants, qui seront des points d’appui pour son développement.
51Ainsi, l’équipe parisienne en concertation avec les membres du Service d’Information Géographique et du Bureau du Trafic proposait de :
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Renforcer le réseau de voies publiques, le compléter et le valoriser afin de créer les liaisons manquantes, de gérer les déplacements et d’améliorer la circulation dans la zone ;
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Développer un réseau de plantations, de jardins et de parcs pour diminuer la chaleur et la poussière, embellir les rues et les places, les rendre plus confortables et diminuer l’ensoleillement des façades ;
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Rénover le grand stade, le transformer en parc sportif pour valoriser l’ensemble du secteur et augmenter son usage sportif et de loisir ;
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Réhabiliter ou rénover chaque quartier en fonction de son caractère propre, de la forme et de l’état des bâtiments ;
52L’ensemble de ces interventions permettra de renforcer la mixité des usages pour un meilleur fonctionnement de ce vaste territoire.
Renforcer le réseau des voies publiques, le compléter et le valoriser
53Si le quartier comporte de grandes voies larges et bien tracées, une grande partie du réseau de voies publiques est incomplet et parfois incohérent. En effet, certains quartiers sont sans liaison entre eux et de grandes enclaves clôturées obligent à des parcours très longs et séparent les quartiers. C’est pourquoi il est proposé de renforcer les liaisons entre les quartiers en prolongeant les grandes voies dont le tracé est aujourd’hui inachevé. Il en est ainsi de la rue al-Madbah dont un tronçon, entre la rue al-Anwâr et la rue Sîdî Hasan n’a jamais été percé, empêchant ainsi une liaison directe entre la place Abu Rish au nord et la rue Magrâ al-cAyûn au sud.
54C’est également le cas de la rue al-Khalîg al-Masrî, qui, si elle était prolongée vers le sud permettrait son raccordement à la rue Sadd al-Barrânî.
55À Zanhum, il est également proposé de rénover la voie nord-sud qui joint la rue Tûlûn aux écoles à travers Zanhum III.
56Enfin, le tracé de la rue Tûlûn gagnerait à être renforcé et la voirie consolidée à l’ouest jusqu’à la rue Zanhum, car, à cause de la forte pente, elle est aujourd’hui en très mauvais état et bordée de terrains vagues.
57La stratégie de développement suggère également de créer des voies nouvelles pour traverser les grands terrains formant des enclaves, raccourcir les trajets et relier plus aisément les quartiers entre eux. Il est aussi proposé d’aménager des voies et passages piétons pour traverser le stade et plus au nord passer entre le réservoir d’eau et la piscine. Il en est de même à travers le cimetière musulman entre la rue Ibn Yazîd et la rue Bayram al-Tûnsî.
58Le relief oblige à créer des voies en escalier, notamment entre Qalcat al-Kabsh et la rue cAbd al Magîd al-Labbân au nord, et entre Qalcat al-Kabsh et le bas de la colline à l’ouest par la rue Zakî en passant au nord du second réservoir d’eau. De plus, les rues en escalier existantes sont à rénover, notamment l’escalier al-cAskar.
59Un nouveau réseau de voies publiques est à créer à l’intérieur des quartiers qui devraient être totalement rénovés, comme à Tall al-cAqârib (la Colline des Scorpions) ou à Tall Tîbî. Ces voies intérieures prolongeraient ainsi le réseau existant. Les voies les plus larges, 10 m et plus, gagneraient quant à elle à être systématiquement plantées d’arbres d’alignement.
60En limite de la ville ancienne au droit de Zanhum II, les espaces publics sont à améliorer et parfois à créer afin que les rues anciennes puissent trouver des prolongements dans le quartier de Zanhum et contribuer ainsi à relier le nouveau quartier à la rue Tûlûn où se trouvent les commerces et les cafés. La proximité de la ville ancienne offre en effet services, vie sociale, mosquées… dont les habitants des quartiers récents profitent et qui forge, avec l’aqueduc, l’identité de ce secteur de la ville.
Développer un réseau de plantations, de jardins et de parcs
61Le quartier est doté de plantations nombreuses et d’enclos calmes et plantés tels les cimetières et le stade. Cependant, dans certaines zones, la médiocrité de l’environnement urbain favorise la poussière et la chaleur.
62Développer les plantations, les jardins et les parcs sera l’occasion d’améliorer la qualité environnementale globale du secteur et la qualité de la vie des habitants en offrant des espaces verts et des espaces de loisirs à des populations qui vivent dans des logements petits et souvent surpeuplés.
63Les propositions visent à :
-
Protéger les zones densément plantées, quelles aient été plantées ou que les arbres et les plantes y aient poussés spontanément ;
-
Renforcer et protéger les zones plantées existantes (jardins, alignements, cimetières) par des clôtures ou des haies ;
-
Planter d’arbres toutes les voies de plus de quinze mètres de large ;
-
« Végétaliser » les espaces de loisirs (espaces sportifs), les cours privées et les espaces (esplanades, places…) qui jouent un rôle important dans la vie sociale (commerces, cafés, marchés, arrêts de bus…).
Rénover le grand stade et le transformer en parc sportif
64Le stade est un grand équipement à valoriser. Il constitue en effet une grande enclave qui sépare les quartiers. Il devrait devenir, au contraire, un espace fédérateur. Il est donc proposé de le transformer en parc sportif, mis en valeur et traversé par des voies et passages qui relieront les quartiers est et ouest ; Les parties aujourd’hui à l’abandon seraient alors plantées et ouvertes au public. Des terrains de sport et des esplanades pour les enfants du quartier seraient aménagés hors de l’emprise du stade. Dans le stade actuel, le terrain de foot et la piste d’athlétisme seraient rénovés ainsi que leurs abords qui seraient plantés d’arbres pour le confort des spectateurs.
Réhabiliter ou rénover chaque quartier selon ses caractéristiques propres (fig. 3)
Dans le quartier historique
65Il est proposé d’engager des actions de restauration des maisons anciennes qui ont une valeur patrimoniale. Ces actions sont à combiner avec des reconstructions sur les parcelles vides en ruine ou peu occupées, notamment dans les secteurs d’habitat précaire, anciens, dans lesquels il n’est pas envisageable de conserver les bâtiments existants, ni de les restaurer. Ces deux actions complémentaires permettront le relogement des habitants, des commerces et des ateliers démolis en conservant le caractère « historique » de Qalcat al-Kabsh et mettront en valeur les monuments historiques qui jalonnent ce quartier (voir projet pilote sur la rue Tûlûn). Il est également proposé de réaménager les rues et de renforcer les plantations d’arbres. Cette réhabilitation de la ville historique sera un processus long qui devra s’appuyer sur une concertation avec les habitants et les commerçants. Ce projet coûteux devra être géré par un fonds qui lui sera spécialement affecté.
Dans les ensembles de logements sociaux des années 60
66Quartiers d’habitation dans lesquels ni commerces ni locaux de travail n’ont été prévus, induisant ainsi les implantations de commerces précaires, des actions de réhabilitation des bâtiments incluant la transformation et l’agrandissement les logements par adjonction de constructions neuves aux immeubles existants sont nécessaires à la pérennité de ces logements.
67L’introduction de nouvelles fonctions urbaines, commerces et artisanat, est également nécessaire pour développer ces quartiers dédiés jusqu’alors à l’habitat. Le long des voies principales, il est proposé de construire des bâtiments à usage de commerce, d’atelier et de logements et d’aménager un emplacement pour un nouveau marché. Quant aux espaces non bâtis, ils gagneraient à être transformés pour diminuer les emprises de voirie, renforcer les jardins et mettre en valeur les places pour favoriser le commerce.
Dans le quartier de l’hôpital (quartier des anciens abattoirs)
68Il est vrai que la construction récente de l’hôpital a amorcé la reconversion de l’ensemble du quartier. Cependant, les activités liées aux anciens abattoirs subsistent encore grandement, notamment près de la place Salakhâna et aux abords du nouvel l’hôpital, de nombreuses parcelles sont encore occupées par des activités liées aux abattoirs bien qu’ils aient été déplacés à Basatîn depuis 10 ans. En effet, aujourd’hui encore ce quartier reste celui des bouchers, des tripiers et des grands restaurants de viande.
69Deux types d’activités subsistent : le stockage des bêtes sur pied et l’abattage d’une part, la préparation et la vente des produits dérivés (tripes, abats, têtes et pieds…) ainsi que la fabrication et le commerce d‘ustensiles de boucherie (couteaux, billots, crochets…) d’autre part. Notons cependant que le stockage des bêtes et l’abattage se font désormais clandestinement dans de mauvaises conditions sanitaires et dans des lieux inadaptés.
70De plus, lors des grandes fêtes, le quartier se transforme en un vaste marché de la viande, sans doute l’un des plus grands du Caire, occupant toutes les grandes rues du quartier depuis le carrefour Abû Rîsh jusqu’aux abords de l’hôpital.
71À l’avenir, les étables et les salles d’abattage ne peuvent pas subsister dans ce secteur. En revanche, il est possible de conserver les activités liées à la vente de la viande et des produits dérivés, en raison de la renommée du quartier pour cette activité et de la nécessité de disposer, dans la ville, de grands marchés assurant ce commerce à grande échelle (il est impossible que tous les habitants du Caire aillent acheter la viande à Basatîn, notamment lors des fêtes).
72La présence de l’hôpital nécessitera sûrement de développer dans ce quartier des activités connexes, notamment une capacité d’hébergement des familles des enfants hospitalisés, des services médicaux, pharmaceutiques, des laboratoires...
73Il est proposé de :
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Favoriser la construction de logements sur les parcelles privées aujourd’hui occupées par des étables et des salles d’abattage ;
-
Réhabiliter le bâti dans le lotissement du XIXe qui s’étend à l’est de la zone ;
-
Réserver un grand terrain pour construire un marché de la viande ;
-
Valoriser le quartier par l’amélioration de la voirie, la plantation d’arbres d’alignement, l’aménagement paysager du parking de l’hôpital ;
-
L’aménagement de traversées piétonnes du cimetière musulman pour favoriser les relations entre quartiers.
Dans les secteurs d’habitat précaire
74(Tall al-cAqârib, mosquée de Tall Tîbî, zone de Mawardî…) dont le sol est propriété publique, une reconstruction quasi-totale des immeubles s’impose. Cette obligation de démolition complète des bâtiments existants permettra de redéfinir les espaces publics afin d’assurer une meilleure desserte du quartier (piétonne et automobile) et une implantation rationnelle des immeubles. Les nouveaux bâtiments seront destinés à reloger les habitants et notamment les populations pauvres tant du Caire historique (Qalcat al-Kabsh) que celles des quartiers modernes (Zanhum) ; et seront donc conçus pour accueillir des populations modestes.
75La proximité de la station de métro Sayyida Zaynab donne une valeur particulière à certains de ces lieux qui pourront accueillir, comme tous les sites inclus dans un rayon de 800 m autour du métro, des programmes de bureaux en complément des immeubles destinés au relogement des habitants. Le quartier comporte en effet une bonne desserte en transports en commun – station de métro de Sayyida Zaynab et gare de bus – dans la partie ouest du secteur. Au sud, la rue Magrâ al-cAyûn, qui est une des grandes voies de contournement de la ville, offre un accès aisé aux bus et aux taxis, ainsi qu’une bonne desserte en voiture grâce à sa liaison avec la route de Salâh Sâlim à l’est et avec le quartier de Munîra à l’ouest.
Près de la station de métro « Sayyida Zaynab »
76Il est possible d’implanter des immeubles de bureaux qui profiteront de la présence du métro et de la gare de bus. Plus le réseau de métro se développera (la 3e ligne est en préparation), plus les employés l’utiliseront pour leurs trajets quotidiens entre domicile et lieu de travail, diminuant ainsi leurs déplacements individuels en voiture.
77Trois grands terrains pourraient accueillir des bureaux dans ce secteur : la pointe de la Colline des Scorpions (propriété publique), au sud de la place Abû Rîsh au sud, le terrain dit « Mawardî » (propriété publique), le long de la rue Al Khalîg al-Masrî, qui joint la place Sayyida Zaynab à la place Abû Rîsh, le site du garage de réparation des bus (propriété publique), le long de la rue al-Diyura, terrain de 16 000 m2 située tout près de Magrâ al-cAyûn et du Nil.
- 17 Cf. projet du Caire Historique sur la rue Al-Mucizz. Cf. aussi l’intervention de la Fondation Agha (...)
78On l’aura compris, pour être durable, la ville doit rester un lieu de vie, et le projet viser à lui rendre son urbanité. À ce titre étudier et intervenir sur un quartier de la ville ancienne comme Qalcat al-Kabsh comporte un double intérêt : d’une part parce que, malgré ses dysfonctionnements, il est riche d’enseignements en terme d’urbanité, et d’autre part parce que sa réputation sulfureuse en Égypte garantit la visibilité de l’intervention. En outre, au Caire, réhabiliter un quartier historique en maintenant et réactivant ses dynamiques foncières, économiques et sociales (qui sont les signes naturels de vitalité d’une ville) c’est proposer une alternative à la muséification.17
79C’est l’une des alternatives possibles que nous proposons, dans les pages qui suivent, à travers un projet pilote élaboré pour la rue Ibn Tûlûn.
Un cas exemplaire : le projet pilote pour la rue Tûlûn
80Le Caire a cette particularité d’avoir conservé dans ses quartiers historiques, l’organisation urbaine mise en place à l’époque mamelouke et ottomane (xve-xviiie siècles). Les quartiers Tûlûn et Qalcat al-Kabsh sont de ceux là.
81Abritant aujourd’hui des populations très modestes, ces quartiers dont le rôle historique est avéré par la concentration de monuments qu’ils abritent, sont devenus très fragiles. Des maisons anciennes s’écroulent chaque jour, de nombreux terrains sont à l’abandon et deviennent des dépôts d’ordures ou des parkings informels.
- 18 Nelly Hanna, « Habiter le Caire au xviie et xviiie siècle », IFAO 1979, p. 186 et 187.
- 19 Hush servait à désigner, dans les documents des waqfs, l’habitat pauvre, généralement une ou deux p (...)
82On sait, grâce à l’acte de fondation du Waqf (fondation pieuse ou charitable) de Qaytbay étudié par Nelly Hanna18, qu’au xviie et au xviiie siècle, ces quartiers étaient déjà habités par des populations pauvres vivant dans des hush19 et par des artisans et des commerçants qui habitaient des maisons modestes de un à deux étages. Il semble même qu’aux abords immédiats de la Mosquée Ibn Tûlûn des maisons plus vastes et plus riches étaient bâties comme l’atteste l’une des premières photos de la rue Al-Ziyâda (document du xixe siècle) qui montre des maisons de cinq niveaux, aux façades agrémentées de grands moucharabiehs ouvragés qui laissent penser qu’au moins deux qâca (salles nobles) superposées étaient bâties au-dessus du soubassement en pierre.
Une rue emblématique du Caire historique
- 20 Bâb Tûlûn est inscrit sur les Plans du Caire publiés dans la Description de l’Égypte.
83La rue Tûlûn joue un rôle essentiel dans la ville ancienne. Elle est l’une des trois voies historiques d’entrée dans Le Caire depuis le sud par la porte Bâb Tûlûn20 d’où elle cadre la citadelle dans sa perspective. Son profil longitudinal concave renforce la présence de ce monument, symbole de puissance et de rayonnement civilisationnel pour la plupart des Égyptiens.
- 21 La Mosquée Ibn Tûlûn, mosquée éponyme de son constructeur, chef d’œuvre de l’architecture islamique (...)
84Plus à l’est, elle longe le mur de la qibla (niche indiquant la direction de La Mecque) de la mosquée Ibn Tûlûn21 et monte doucement vers la citadelle.
85Nous sommes donc là dans un lieu exceptionnel, sur la fameuse colline Yachkur d’où plusieurs points de vue s’ouvrent sur les mosquées Sultan Hassan et Shaykhû, la citadelle de Salah al-Dîn et la mosquée Muhammad cAlî.
86Dans le processus de requalification des quartiers historiques du sud du Caire, commencer la mise en valeur par la rue Tûlûn aurait donc un impact important qui pourrait catalyser un regain d’intérêt pour ces quartiers.
Pour jouer ce rôle de modèle, la rue de Tûlûn a des atouts
- 22 A. Raymond, « Les bains publics au Caire à la fin du xviiie siècle », n° 74 de la liste, A.I., 8, 1 (...)
87Tracée depuis plus de dix siècles, cette rue est encore bordée de séries de maisons à cours et d’immeubles datant du xixe siècle. S’y trouvent aussi une wakâla (caravansérail) dont l’architecture s’apparente à celles des xvie et xviie siècle, et la porte ottomane du hammam Tûlûn22 qui, lui, a désormais disparu.
- 23 La rue Tûlûn ne mesure que 150 m.
88La vie urbaine y est intense, elle se manifeste par la présence de 15 cafés, de plusieurs dizaines de commerces de toutes sortes et de dix ateliers d’artisans.23 Les habitants sont fortement attachés à la rue et au quartier, comme en témoignent les réseaux de solidarité et la présence de plusieurs ONG locales qui aident les habitants les plus démunis.
89La présence de la mosquée Ibn Tûlûn et de la maison Gayer-Anderson, deux monuments majeurs présents dans tous les itinéraires touristiques, pourrait être une aubaine économique pour les commerçants du quartier. Déjà une boutique d’objets d’artisanat est installée face à l’entrée de la mosquée. Le tourisme urbain se développe et il faudrait peu de choses pour que cafés et boutiques deviennent des lieux accueillants pour les touristes désireux de consommer les produits locaux.
Mais développer la rue Tûlûn suppose aussi de surmonter ses handicaps
90Cette rue se trouve dans un quartier populaire et pauvre. La majorité de la population n’a pas les moyens d’entretenir sa maison et les propriétaires ne sont pas encouragés à reconstruire sur leurs terrains vides. Les activités économiques sont aussi assez modestes et ne ciblent qu’une clientèle locale.
91Une grande partie du bâti est en mauvais état. Ainsi, de mai à août 2007, trois maisons se sont écroulées laissant leurs habitants dans la rue.
92L’aspect général de la rue n’est pas bon : rez-de-chaussée en ruines, terrains à l’abandon, porte de hammam devant laquelle s’entassent les ordures, épaves de voitures, et en allant vers l’ouest, succession de bâtiments de plus en plus précaires, débouché au droit de Bâb Tûlûn sur les immeubles en béton de Zanhum qui constituent un changement de paysage très brusque.
93Il faut aujourd’hui une observation attentive pour déceler les qualités patrimoniales de cette rue. Seule une action programmée, planifiée et collective peut permettre de mettre en œuvre une requalification de cette rue. C’est l’objectif du diagnostic et du projet présentés ici.
94La situation réglementaire de la rue Tûlûn est en effet paradoxale.
- 24 Les trois législations sont issues de trois autorités différentes ; la première par le gouvernorat (...)
- 25 Voir décret N. 457/1999 art 3 du gouverneur du Caire.
- 26 Voir décret N. 250/1990 art 1 paragraphe 4 du ministère de la Culture.
- 27 Voir décret N. 457/1999 art 1 paragraphe 2 du gouverneur du Caire.
95La zone du Caire Historique, où se trouve la rue Tûlûn, est soumise à plusieurs réglementations.24 Le gouvernorat édicte des décrets qui s’attachent seulement à des détails : matériaux à respecter, couleurs des portes et fenêtres ou encore enduit de façade.25 Le ministère de la Culture a mis en place un décret pour la ville historique qui porte essentiellement sur la hauteur des bâtiments qui est de 12 m maximum26 (mais 14 m pour le gouvernorat)27 et ne doit pas dépasser la hauteur des monuments historiques. En même temps, la direction de l’urbanisme applique un alignement réglementaire qui élargit la rue Tûlûn à 50 m, ce qui aurait pour effet de la détruire totalement (fig. 4). Cet alignement a empêché jusqu’alors la reconstruction des parcelles en ruines et a accéléré la dégradation du quartier. Ainsi, le long de cette rue, on trouve maintenant plus de 1 000 m2 de terrains ruinés et plus de 5 000 m2 de terrains squattés par des habitations insalubres.
Méthode de diagnostic
Connaître la rue Tûlûn, maison par maison
96Chaque maison de la rue a fait l’objet d’une première enquête, basée sur l’observation attentive de la maison. Les données collectées ont été regroupées dans une fiche d’inventaire qui décrit le type d’habitat, son statut foncier, le statut de ses occupants (nombre de familles, locataires ou propriétaires), et la nature de l’occupation (habitat, commerce, artisanat…), une description architecturale des façades et des parties communes et une appréciation sur l’état du bâti.
- 28 Sur la plupart des maisons anciennes d’une grande qualité architecturale, pèsent des arrêtés de dém (...)
97Ces fiches d’inventaire ont servi à repérer les bâtiments anciens remarquables à conserver et à réhabiliter. Parmi ceux-là, se trouvent une série de maisons menacées de démolition.28
98A contrario, sont également repérés les bâtiments qui, à cause de leur état très dégradé, voire dangereux, ne peuvent être réhabilités.
99À partir de ces fiches d’enquêtes, un premier plan a été réalisé, il propose une répartition des bâtiments en catégories (fig. 5) :
-
La première catégorie regroupe les terrains vides et les bâtiments en ruines ;
-
- 29 A. Raymond et G. Wiet, « Les marchés du Caire » wakâla n° 232 de la liste IFAO textes arabes et étu (...)
La deuxième catégorie regroupe les bâtiments historiques entiers, des maisons, certaines à cour et à étages, dont l’organisation et le dessin des façades s’apparentent aux typologies architecturales de la période ottomane et khédiviale. Les rez-de-chaussée sont généralement en pierre de taille ou en pierres grossières recouvertes d’enduit et les étages constitués d’une structure porteuse en bois avec des remplissages de briques ou de maçonnerie. Sur les façades subsistent encore des avancées en pans de bois sculptés ou en lattis de bois, vestiges modernisés de moucharabiehs plus anciens. Ce sont aussi des immeubles collectifs du xixe siècle qui ont conservé leurs escaliers en pierre et leurs avancées de façades en bois ou en maçonnerie. C’est enfin une wakâla (caravansérail) ancienne, dénommée wakâla al milayât29, habitée par une population très pauvre.
-
La troisième catégorie regroupe les constructions en béton armé qui sont solides mais dont l’architecture, souvent, ne respecte ni le rythme, ni la hauteur, ni l’implantation des constructions historiques.
-
La quatrième et la cinquième catégories regroupent tous les bâtiments en rez-de-chaussée qui sont, soit les soubassements en pierre de tailles de constructions anciennes dont les étages ont disparu, soit des constructions récentes modestes. Ils sont généralement occupés par des commerces ou des ateliers.
-
- 30 Voir supra, note 19.
La sixième catégorie regroupe les hush30, ces terrains sur lesquels sont construits, souvent sur des tas de décombres, des bâtiments précaires en matériaux de récupération.
100En croisant ce premier plan à deux critères supplémentaires – l’état des constructions (solide, moyen ou précaire) et la qualité architecturale – une seconde carte a été dressée qui distingue entre bâtiments à conserver, bâtiments à démolir et bâtiments à étudier. Sur ces derniers bâtiments un diagnostic technique poussé reste à réaliser avant de décider de leur réhabilitation ou de leur démolition. Leur stabilité n’est pas expertisée. À l’inverse certains édifices qui ont fait l’objet d’un arrêté municipal de démolition et dont l’instabilité n’est pas avérée ont été classés dans la catégorie « à restaurer ».
101C’est sur la base de ce plan qu’a pu être établi le scénario de projet d’aménagement.
Connaître la vie urbaine, les activités humaines et les usages de la rue
102La vie dans la rue Tûlûn a fait l’objet d’une observation attentive. La rue n’est pas seulement un lieu dans lequel on circule, elle est aussi le support d’activités humaines très diverses, chacune d’elle négociant son espace avec les autres, définissant ainsi des limites virtuelles. Par exemple, l’étalage ou la terrasse de café laisse passer la voiture au plus juste de l’espace disponible tandis que les espaces vacants deviennent des dépotoirs… La rue fonctionne comme un espace commun privé dans lequel il y aurait à la fois, sur les côtés, des marges prolongeant la boutique, le café ou l’atelier, et, au centre, une partie dédiée au passage de tous.
103La rue Tûlûn est très active, elle vibre, travaille et bouge au rythme des piétons. Les trottoirs ne sont pas continus, quand ils existent ils sont très étroits et souvent cassés. Leur hauteur et le nivellement de la chaussée sont chaotiques.
104Le revêtement des sols est de façon générale, abîmé et se dégrade fortement sur le tronçon ouest de la rue.
105La nuit, l’éclairage de l’espace public essentiellement assuré par les lampes privées des commerces riverains, reste insuffisant.
106De nombreux arbres, notamment des flamboyants, ombragent la rue depuis la mosquée Ibn Tûlûn jusqu’à la rue Ziyâda, puis disparaissent au fur et à mesure qu’on avance vers Zanhum.
107Tous les éléments qui sont les signes de la vie urbaine ont été cartographiés. Les terrasses, les étalages, les aires stationnement, les arbres… dessinent une rue aux largeurs mouvantes, plus ou moins utilisée par ses riverains et des lieux inégalement valorisés. Ainsi, paradoxe, c’est devant la grille qui « protège » la Mosquée Ibn Tûlûn qu’on trouve les épaves de voiture et les tas d’ordures.
Comment requalifier la rue Tûlûn et amorcer le développement du quartier ?
Méthode d’intervention
108L’intervention sur le bâti s’appuie sur les choix de conservation ou de démolition des bâtiments établis dans le diagnostic. Elle repose également sur la volonté d’améliorer le fonctionnement de la rue en l’élargissant ponctuellement pour rendre ses différents usages plus compatibles entre eux.
109Il s’agit donc de développer en même temps trois actions très différentes :
-
Réhabiliter les immeubles conservés, après avoir défini par une étude précise de chaque édifice la possibilité ou non de réaliser ces travaux en milieu occupé (ce qui sera préconisé le plus souvent possible) ;
-
Reconstruire les parcelles vides et les bâtiments ruinés ainsi que les bâtiments en rez-de-chaussée afin de disposer de logements neufs pour reloger tous ceux qui occupent des bâtiments à démolir ainsi que les habitants de la wakâla al-Milayât (47 familles) ;
-
Mener un élargissement raisonnable de la rue afin qu’elle conserve son caractère de voie historique. Il est proposé de l’élargir à 10 m à l’occasion de la reconstruction de séries de parcelles.
Scénario de projets de construction (fig. 6)
110Les parcelles trop petites ont été regroupées par deux ou trois afin de former des lots de construction permettant de créer deux ou trois logements de 40 à 80 m² par niveau, les rez-de-chaussée sur rue étant affectés à des commerces et ceux sur cour soit à des logements soit à des ateliers. Le scénario étudié, qui n’est pas le seul possible, permet de construire dans de petits immeubles de trois ou quatre étages, 128 logements neufs pour 81 démolis (auxquels il faut ajouter les 47 familles de la wakâla), 40 commerces et six ateliers (pour dix démolis) sur un ensemble de parcelles de 3 200 m².
- 31 Considérant l’état de délabrement avancé de ces établissements et leur densité, le recensement de l (...)
111La reconstruction des hush n’a pas été intégrée dans ce scénario car elle nécessite des études particulières qui restent à mener.31
112Les projets de construction devront être réalisés par phase. La première phase sera mise en œuvre sur des terrains vacants afin de pouvoir amorcer les relogements qui permettront d’entamer la seconde phase et ainsi de suite pour les phases suivantes.
Scénario d’élargissement de la rue
-
La rue est élargie à 10 m pour faciliter son usage, gérer les activités économiques (cafés, commerces…) sur les trottoirs et éviter leur débordement sur la chaussée tout en conservant globalement son paysage actuel et son caractère.
-
Compte tenu du grand nombre d’immeubles à conserver en rive nord de la rue Tûlûn, l’élargissement de la rue sera effectué en rive sud, par le recul des immeubles neufs pour permettre une meilleure installation des terrasses et des étalages ainsi que la plantation d’arbres pour ombrager façades et trottoirs.
-
La chaussée aura toujours au moins 4 m de large et souvent 6 m, pour un passage aisé des voitures et des engins de secours.
-
La circulation sera à double sens pour privilégier la desserte locale et les livraisons.
-
La création de places de stationnement longitudinales évitera le stationnement sauvage sur trottoir.
Comment mettre en œuvre un tel projet ?
113Développer un projet d’aménagement dans un quartier historique, avec la volonté de reloger tous les occupants dans le quartier, oblige à intervenir sur des parcelles privées. Un tel projet ne peut donc être mené sans la participation et le consentement de la population, locataires comme propriétaires. En effet, le système de l’échange foncier, avec ou sans solde, entre le logement qui est à démolir et le nouveau logement ou le nouveau commerce, est le seul système qui ne soit pas trop coûteux car il privilégie les transactions foncières à l’amiable et évite les expropriations. Ce n’est pas un simple projet de construction mais un projet social de développement qui touche à la vie quotidienne des gens, à leur espace intime et à leur outil de travail.
114Mener un tel projet dans un quartier pauvre suppose la mise en place d’un fonds de développement pour subventionner la réhabilitation des maisons historiques, avancer les fonds pour les nouvelles constructions et proposer des systèmes de crédit aux habitants, adaptés à leurs revenus et leur permettant d’assumer une partie du financement des travaux.
- 32 Aujourd’hui la mise en place d’une structure dédiée à l’élaboration de projets urbains et intégrée (...)
115Enfin, une institution de gestion du projet, société ou fondation, sous la conduite des autorités publiques, doit être créée pour mettre en œuvre le projet, mener le processus de concertation avec les habitants, gérer les fonds et les montages juridiques et organiser le déroulement de chaque phase du projet. Cela peut sembler bien compliqué mais en réalité, il semble que les habitants n’attendent que cela et seraient prêts à jouer le jeu de la réhabilitation de leur cadre de vie pour peu qu’on les y convie.32
Remarques conclusives
- 33 L’administration des Waqfs est le ministère chargé de la gestion des biens de main morte hérités de (...)
116L’histoire politique tourmentée de l’Égypte est à l’origine de mesures (nationalisations, gel des loyers, sclérose de l’administration des Waqfs, diktats du Tanzim…)33 qui ont ignoré et enrayé les dynamiques urbaines traditionnelles et accéléré la déliquescence des tissus anciens. Aujourd’hui continuer d’ignorer ces dynamiques et soustraire la ville ancienne aux évolutions urbaines contemporaines, c’est non seulement aggraver les discontinuités et les dysfonctionnements urbains, mais aussi engager des frais démesurés pour sa reconstruction (que la manne touristique ne suffira pas à amortir), et surtout se priver d’une expérience urbaine riche (dont l’écriture urbaine est encore lisible dans certains quartiers anciens du Caire), à l’heure où l’on ne sait plus fabriquer d’urbanité.
117La préservation du patrimoine urbain du Caire ne peut se faire sans les Cairotes qu’au prix de budgets démesurés que l’Égypte ne peut assumer seule. Ce « patrimoine sous perfusion » est symptomatique de la sous-exploitation des partenaires urbains. Une politique de la ville où les pouvoirs publics proposent le cadre réglementaire et définissent des programmes adaptés, utilisent une réserve foncière, incitent les propriétaires à intervenir, sollicitent des bailleurs de fonds privés ou publics et comptent avec les habitants qui animeront la vie des quartiers (assurant ainsi leur urbanité) ne peut se faire sans un projet de ville et des outils juridiques et fiscaux adaptés. Le montage de partenariat public-privé dans les opérations urbaines est aujourd’hui un vaste champ d’expérimentation qui s’ouvre à des Cairotes désireux de se réapproprier leur ville.
Notes
1 Cette équipe, supervisée par la Direction Générale aux Relations Internationales -Ville de Paris se composait : d’un chef de projet issu de la Direction du Patrimoine et de l’Architecture - Ville de Paris, d’un ingénieur de la Direction des Parcs et Jardins -Ville de Paris, d’un expert architecte-urbaniste de l’Atelier Parisien d’Urbanisme assisté ponctuellement par des spécialistes des questions foncières, juridiques et techniques (pour les infrastructures) d’un géographe puis d’un architecte contractuels, représentants permanents de la Mairie de Paris au Caire, chargés d’entretenir des échanges continus avec les autorités cairotes, de réaliser les différentes études et projets inscrits chaque année au programme de la coopération, et de piloter une équipe de stagiaires (géomètre, architectes, ingénieurs, étudiants en sciences politiques et en urbanisme).
2 « Mineur » au sens où l’entend Givanonni, patrimoine architectural non monumental (cf. F. Choay et P. Merlin, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, art. Patrimoine, Paris, Puf, 2005).
3 Les mosquées Qaytbay et al-Gawlî.
4 Ces travaux ont été publiés par la Ville de Paris et le Gouvernorat du Caire en 2005 dans une brochure intitulée Sayyida Zaynab, petits projets et grands enjeux, 80 pages.
5 L’équipe parisienne conserve sa composition initiale (s’étoffant de quelques stagiaires supplémentaires) mais cette fois entre en collaboration directe et quotidienne avec les services de l’urbanisme du Gouvernorat du Caire en s’installant dans les bureaux du Service d’Information Géographique de la Direction de l’Habitat.
6 Voir infra : « Sayyida Zaynab, éléments pour une meilleure compréhension d’un territoire composite ».
7 En effet, les premières photographies panoramiques prises de la Citadelle en direction des Pyramides montrent qu’au milieu du dix-neuvième siècle, cet espace qui s’étendait du cimetière Sud jusqu’au Nil n’était encore qu’un vaste chaos de pierres et de sable où l’aqueduc imprimait sa marque rectiligne et solitaire. Au tournant du siècle, l’installation des abattoirs y constitua l’amorce d’une urbanisation nouvelle conduite au fil du temps et des urgences sans réel souci de cohérence. Un hôpital ultra moderne occupe aujourd’hui le site des abattoirs déplacés à Basatîn depuis une dizaine d’années, deux mille logements neufs remplacent progressivement la zone d’habitat précaire de Zanhum, des immeubles de bureaux se substituent chaque jour à des îlots de maisons traditionnelles qui meurent de vétusté. Ces créations nouvelles engendrent des déplacements supplémentaires, attirent des commerces et appellent à leur tour de nouveaux services.
8 Le 21 Mars 2007, une partie du quartier informel de Qalcat al-kabch est détruit par un incendie qui laisse plusieurs dizaines de familles dans la rue.
9 Déjà en 2005, A. De Roeck, chef de projet dans le programme de coopération décentralisée Paris-Le Caire écrivait : « […] s’il m’est permis de former un vœu, ce serait de voir se créer sur place une agence d’urbanisme dotée des moyens nécessaires à la poursuite de cette réflexion […] », Sayyida Zaynab, petits projets et grands enjeux, publication de la Ville de Paris, 2005.
10 La citadelle fut le siège du pouvoir depuis la période ayyoubide jusqu’au xixe siècle. Située sur un des promontoires rocheux du Muqattam, sa construction fut commencée par Salah al-Dîn à la fin du xiie siècle (à partir de 1176).
11 Les dessins publiés dans la Description de l’Égypte furent réalisés par les savants de l’Expédition d’Égypte entre 1798 et 1801.
12 Bâb Tûlûn est l’une des portes sud de la ville ancienne. Elle marque l’entrée de la ville historique « intra muros » et le début de la rue Tûlûn.
13 Au point que l’équipe parisienne est aujourd’hui capable d’en décrire chaque parcelle, chaque édifice, de garder le souvenir des mains que l’on a serré, des discussions que l’on a pu tenir avec les uns et les autres, le souvenir des odeurs de poussière, de triperie, de pots d’échappement ou de café…
14 Mise à jour réalisée sur la base des fonds cadastraux de 1940.
15 La présence des membres de l’équipe française dans ces services visait à faciliter l’accès aux informations, à la compréhension du fonctionnement de l’administration urbaine cairote et surtout à l’adaptation et à la transmission des méthodes et outils du projet urbain.
16 Ce qui traduit bien une véritable volonté des différentes institutions d’assurer la continuité des échanges et concertations.
17 Cf. projet du Caire Historique sur la rue Al-Mucizz. Cf. aussi l’intervention de la Fondation Agha Khân dans le Darb Al-Ahmar où, même si les habitants financent une partie du coût de la réhabilitation de leur logement (par l’intermédiaire d’un micro-crédit) rien ne garantit qu’ils ne quitteront pas le quartier considérant la plus value que constitue leur logement rénové en centre ville.
18 Nelly Hanna, « Habiter le Caire au xviie et xviiie siècle », IFAO 1979, p. 186 et 187.
19 Hush servait à désigner, dans les documents des waqfs, l’habitat pauvre, généralement une ou deux pièces mal bâties en rez-de-chaussée, regroupé autour de cours. (Voir Nelly Hanna op. cit, p. 187).
20 Bâb Tûlûn est inscrit sur les Plans du Caire publiés dans la Description de l’Égypte.
21 La Mosquée Ibn Tûlûn, mosquée éponyme de son constructeur, chef d’œuvre de l’architecture islamique du Caire fut édifiée en 879. Elle reste le seul édifice de la troisième capitale islamique de l’Égypte, al-Qataic.
22 A. Raymond, « Les bains publics au Caire à la fin du xviiie siècle », n° 74 de la liste, A.I., 8, 1969, p. 139.
23 La rue Tûlûn ne mesure que 150 m.
24 Les trois législations sont issues de trois autorités différentes ; la première par le gouvernorat du Caire (décret n.457/1999) et la deuxième par le ministère de l’urbanisme, et la troisième par le ministère de la Culture (décret n.250/1990) qui s’intéresse essentiellement à la protection des monuments historiques.
25 Voir décret N. 457/1999 art 3 du gouverneur du Caire.
26 Voir décret N. 250/1990 art 1 paragraphe 4 du ministère de la Culture.
27 Voir décret N. 457/1999 art 1 paragraphe 2 du gouverneur du Caire.
28 Sur la plupart des maisons anciennes d’une grande qualité architecturale, pèsent des arrêtés de démolition émis par les autorités du district qui les considèrent comme dangereuses, leur mauvais état est le produit d’une absence d’entretien due à l’incapacité des locataires et des propriétaires à financer des travaux de restauration.
29 A. Raymond et G. Wiet, « Les marchés du Caire » wakâla n° 232 de la liste IFAO textes arabes et études islamiques, tome XIV, 1979, p. 283.
30 Voir supra, note 19.
31 Considérant l’état de délabrement avancé de ces établissements et leur densité, le recensement de la population habitant ces hush, et des éventuelles activités existantes, les enquêtes sur la propriété foncière et la concertation indispensable à l’élaboration d’un projet auraient impliqué des délais d’études excédant largement le temps programmé de la coopération Paris-Le Caire.
32 Aujourd’hui la mise en place d’une structure dédiée à l’élaboration de projets urbains et intégrée aux services de l’urbanisme du Gouvernorat, si elle ne cristallise pas d’opposition franche au sein de l’administration cairote implique néanmoins une profonde rupture avec une lourde tradition bureaucratique et nécessiterait des financements conséquents, deux aspects qui l’empêchent de figurer à l’ordre du jour du Gouvernorat. Pourtant ce type de structure semble avoir prouvé son efficacité à Paris même (cf. Atelier Parisien d’Urbanisme) et dans d’autres programmes de coopération décentralisée menée par la Ville de Paris (à Phnom Pen, Cambodge, notamment).
33 L’administration des Waqfs est le ministère chargé de la gestion des biens de main morte hérités des fondations pieuses ou charitables. Le Tanzîm était l’organisme public chargé de la planification urbaine.
Haut de pageTable des illustrations
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Titre | 1. Les quartiers de Sayyida Zaynab : Repères urbains. |
Crédits | Crédit : APUR. |
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Titre | 2. Catégorisation sociale des quartiers de Sayyida Zaynab. |
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Titre | 3. Interventions sur les quartiers de Sayyida Zaynab. |
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Titre | 4. Rue Tûlûn : Plan d’alignement actuel. |
Crédits | Crédit : APUR. |
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Titre | 5. Rue Tûlûn : Caractère du bâti. |
Crédits | Crédit : APUR. |
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Titre | 6. Rue Tûlûn : Scénario d’intervention sur le bâti. |
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Pour citer cet article
Référence papier
Karim Ben Meriem, « D’Ibn Tulûn à l’Aqueduc, anticiper l’avenir », Égypte/Monde arabe, 5-6 | 2009, 103-132.
Référence électronique
Karim Ben Meriem, « D’Ibn Tulûn à l’Aqueduc, anticiper l’avenir », Égypte/Monde arabe [En ligne], 5-6 | 2009, mis en ligne le 31 décembre 2010, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ema/2894 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ema.2894
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