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  • 1  On entend par « patrimoine », un bien matériel ou immatériel, reconnu, revendiqué ou attribué comm (...)

1Comment et pourquoi invente-t-on aujourd’hui du patrimoine1 en Égypte et au Soudan ? Telle est la question que nous proposons d’explorer dans le cadre de ce numéro d’Égypte Monde Arabe. Cette question se pose aujourd’hui avec d’autant plus d’acuité qu’au sein de la masse bibliographique consacrée ces dernières décennies aux processus contemporains de patrimonialisation, l’on manque encore cruellement de travaux permettant de saisir la manière dont les sociétés, sur ces deux terrains, inventent leur patrimoine. C’est-à-dire comment un bien privé ou public, un événement, des savoirs faire ou un quelconque phénomène, deviennent-ils des objets patrimoniaux.

2Pourtant, du Caire à Siwa en passant par Alexandrie, de Naqa à Hamadab en passant par Khartoum, du patrimoine archéologique, architectural et urbain au patrimoine folklorique, ethnologique et religieux, l’Égypte et le Soudan offrent des exemples remarquables de patrimonialisation. Plus encore, les processus de patrimonialisation en cours sur ces deux terrains suggèrent des rapprochements stimulants, tant pour la communauté scientifique que pour les praticiens de la sauvegarde, offrant en effet des regards multiples et complémentaires qui permettent de donner sens et perspectives à cette nouvelle donne qui traduit aussi bien en Égypte qu’au Soudan un nouvel agencement des territoires et des identités.

  • 2  De nouveaux organismes et institutions dont le rôle est de rechercher, d’identifier, de documenter (...)
  • 3  Cette histoire débute, selon les écoles de pensées, soit au xe siècle et s’inscrit dans le cadre d (...)
  • 4  Ces patrimoines égyptiens se déclinent en une variété de référents historiques et géographiques : (...)

3Alors qu’en Égypte, jusqu’au début des années 1990, la sauvegarde du patrimoine concernait essentiellement des antiquités d’époques pharaoniques ou médiévales (arabes, islamiques ou coptes), il est aujourd’hui question de patrimoine architectural et urbain, de patrimoine naturel, artisanal, musical, oral, cinématographique, iconographique, folklorique, scientifiques, manuscrits, etc.2 Par ailleurs, jamais autant d’investissements politiques, intellectuels, financiers ne furent déployés, au cours de l’histoire des pratiques patrimoniales3, pour conserver, restaurer, mettre en valeur, promouvoir, mais aussi identifier, classer, (re)définir, s’approprier et/ou se réapproprier, le/les patrimoine(s) égyptien(s)4.

4Un même phénomène est perceptible sur le terrain soudanais où le gouvernement semble s’être engagé, au sortir de près d’un demi-siècle jalonné de guerres civiles, années d’incertitudes culturelles et politiques, dans une sorte de course à la patrimonialisation en tentant d’intégrer toutes les ressources patrimoniales possibles au processus de (re)construction identitaire d’un futur Soudan unifié et pacifié. Ainsi, alors que la sauvegarde du patrimoine se cantonnait essentiellement à celles des antiquités nubiennes, faisant référence à une partie seulement de l’histoire des populations soudanaises, il est désormais question d’identifier et de mettre en valeur les traces matérielles susceptibles de témoigner de l’histoire du peuple soudanais dans sa totalité. Le concept de patrimoine est en effet aujourd’hui utilisé par les autorités nationales comme un argument politique destiné à consolider et appuyer les stratégies de reconnaissance des minorités soudanaises dans le cadre du fragile processus de paix.

5Dans ce contexte, trois questions au moins se posent :

  • Quels sont les objectifs et les enjeux qui sous-tendent les phénomènes de diversifications et d’inflation patrimoniales à l’oeuvre tant en Égypte qu’au Soudan ?

  • Comment crée-t-on la valeur patrimoniale d’objets, de sites, de « savoir-faire », de traditions ?

    • 5  Titre du célèbre ouvrage collectif dirigé par Yvon Lamy (1996) voulant évoquer l’entrelacement du (...)

    Comment construit-on un consensus politique et social non seulement autour de ces inventions mais aussi à propos des divers acteurs qui les justifient et y participent ? En d’autre terme, comment s’opère « l’alchimie du patrimoine » ?5

  • 6  Que l’on pourra en partie découvrir à la lecture des différents textes qui composent cet ouvrage.
  • 7  Le patrimoine se définit alors, dans ces inventaires, bien plus comme un ensemble de ressources qu (...)
  • 8  Il est cependant important de souligner que de tels travaux ont déjà été engagés. Citons, à titre (...)

6Tenter de répondre à ces questions, c’est placer les enjeux et modalités de la sauvegarde du patrimoine en Égypte et au Soudan au coeur d’une réflexion sur les logiques et stratégies d’acteurs qui fondent les politiques patrimoniales actuelles. Et ceci constitue l’un des défis relevés par les treize contributeurs à cet ouvrage, tant, comme nous l’avons souligné, l’on manque encore de travaux sur ces thèmes. En effet, la riche bibliographie concernant les objets et lieux patrimoniaux de ces deux pays6 comporte des monographies (de villes, de sites ou de quartiers), des études historiques, architecturales, archéologiques, morphologiques, anthropologiques, ethnologiques, portant sur une variété d’objets (matériels ou immatériels), et surtout, des inventaires du patrimoine.7 Mais ce corpus bibliographique se présente comme un champ de matériaux hétéroclites, un agrégat de pensées et de postures excessivement diversifiées. En ce sens, il ne permet pas toujours de discerner les objectifs et les enjeux qui sous-tendent les phénomènes de diversification et d’inflation patrimoniales à l’oeuvre sur ces terrains depuis un peu plus d’une décennie. Cet aspect constitue pourtant l’une des clés de compréhension de la manière dont un objet acquiert le statut de patrimoine et les raisons qui motivent – et parfois même nécessitent – son invention.8

7Si l’on ne peut que constater la modestie de la recherche produite à propos des processus de patrimonialisation à l’oeuvre en Égypte et au Soudan, on ne peut que noter la richesse du corpus bibliographique constitué ces trois dernières décennies, à propos des mécanismes et des enjeux de la patrimonialisation à l’oeuvre en Europe. Nous en proposons un très bref aperçu dans les pages qui suivent, afin d’éclairer le cadre méthodologique et conceptuel à partir duquel cet ouvrage a été conçu.

  • 9  Grange et Poulot, 1997, p. 15.

8Il y a plus d’une dizaine d’années Daniel J. Grange et Dominique Poulot soulignaient déjà à quel point, en Europe occidentale, le sens de l’héritage était devenu « l’un des traits les plus notables de la culture contemporaine, et la crise de la mémoire l’un des thèmes favoris de débats ».9

  • 10  En 1994 déjà, Maryvonne de Saint-Pulgent – directeur du Patrimoine au Ministère (français) de la C (...)
  • 11  Tel que l’entend Dominique Poulot (2003, p. 29) : « Ce qui touche à la destinée générale des oeuvr (...)
  • 12  Un aperçu exhaustif du corpus bibliographique produit ces 30 dernières années à propos du fait pat (...)

9Ces trois dernières décennies ont en effet été marquées – dans cette partie du monde –, par un mouvement d’extension non seulement des questionnements sur le patrimoine mais aussi des groupes d’acteurs concernés par les problématiques qui y sont liées.10 Ce mouvement a fortement influencé la recrudescence des recherches en sciences humaines et sociales à propos de la notion de patrimoine et du « fait patrimonial »11, en témoignent la richesse et la profusion de la littérature scientifique produite durant cette période par différentes disciplines et selon une variété de thème.12

10Assimilé, jusqu’au milieu des années 70, au secteur des monuments historiques, et principalement étudié par des historiens de l’art et de l’architecture, le patrimoine s’érige en concept au tout début des années 80, lorsque historiens, sociologues, ethnologues et philosophes s’attachent à décrire et à décrypter l’engouement croissant et désormais internationalisé pour le patrimoine. Recherches et débats sont menés afin de comprendre non seulement l’intensité de la mobilisation de divers acteurs sociaux autour de l’idée de patrimoine – et des discours qu’ils déploient à propos de la nécessité de sa sauvegarde –, mais aussi à propos de l’inflation du terme et de ses significations possibles.

  • 13  Pour une synthèse récente des travaux de recherche (français) sur le patrimoine, voir l’excellente (...)
  • 14  Citons (à titre d’exemples tant la bibliographie est vaste) quelques ouvrages pionniers en langue (...)
  • 15  Notons que la patrimonialisation s’impose aux géographes comme une grille de lecture essentielle p (...)
  • 16  On peut se référer à titre d’exemples aux écrits de Graham, Ashworth et Tunbridge (2000).
  • 17  Pour une synthèse des travaux abordant le fait patrimonial à travers une approche propre aux scien (...)

11Cette première phase d’élargissement disciplinaire et thématique s’est poursuivie durant les deux dernières décennies, donnant lieu à ce que nous distinguons comme le passage progressif de l’étude du patrimoine en tant que concept, à celle des processus même de patrimonialisation. La question de la signification et de l’extension du patrimoine n’a certes cessé d’être approfondie13, mettant désormais l’accent sur les objectifs et les enjeux qui sous-tendent sa définition et son application à une variété toujours plus grande et plus diversifiée d’objets (matériels ou immatériels). Ce changement de démarche est surtout dû à l’intérêt de nouvelles disciplines pour le fait patrimonial qui, pour rendre compte du sens du patrimoine et des pratiques liées à sa sauvegarde se penchent sur les politiques qui le mettent en oeuvre, les territoires sur lesquels portent ces politiques et les dispositifs de médiation du patrimoine.14 Les questions liées à la diversification des acteurs et praticiens de la sauvegarde, intéressent aussi bien politologues et géographes15, qu’économistes16 et spécialistes des sciences de l’information et de la communication.17 Chacun à leur manière et à partir d’outils méthodologiques et conceptuels propres à leur discipline s’attache à analyser ce phénomène de diversification des acteurs et la manière dont celui-ci influe sur les types d’interventions. Tous démontrent à quel point la diversification des acteurs – et donc celle des objectifs, contraintes et enjeux de la sauvegarde – contribue à la croissance exponentielle des méthodes et des moyens mobilisés pour identifier, sélectionner, catégoriser, conserver, mettre en valeur, promouvoir et transmettre le patrimoine.

12Il est au moins cinq idées essentielles que nous pouvons retenir de la profusion de ces recherches, faisant l’objet de consensus scientifique à propos des logiques qui sous-tendent les processus de patrimonialisation.

Quelques consensus scientifiques désormais établis

Invention du patrimoine

  • 18  Di Méo, 2007, p. 2.
  • 19  Poulot, 1998, p. 9.

13Un consensus scientifique est désormais établi à propos du fait que le patrimoine n’existe pas a priori.18 Un processus d’invention est nécessaire car « tout patrimoine résulte d’une stricte production sociale à finalités idéologique, politique et/ou économique ». D’où l’idée d’une « réinvention perpétuelle »19 du patrimoine, opérée en fonction des logiques d’acteurs et des causes qui motivent son invention.

Coefficient d’évidence du patrimoine

  • 20  Roussillon, 2005.

14Ce processus d’invention est d’autant plus difficilement identifiable que « l’une des principales caractéristiques du patrimoine réside dans son très fort coefficient d’évidence, coefficient d’autant plus élevé que le dit patrimoine apparaît comme plus menacé ».20 L’un des moyens d’identifier ce processus est de s’intéresser à la manière dont des objets sont investis de valeurs patrimoniales, en vue d’objectifs spécifiques. Étudier les processus par lesquels des objets sont sélectionnés, mis en catégories, pour devenir aux yeux de la loi, de groupes particuliers ou d’une opinion publique des « objets patrimoniaux ». S’intéresser donc, aux enjeux qui motivent la production ou l’invention du patrimoine, aux groupes d’acteurs qui les poursuivent, aux stratégies et pratiques qu’ils développent.

Expansion des pratiques patrimoniales et multiplication des cadres de pensée21 de la sauvegarde

  • 21  On entend par « cadre de pensée » les concepts, méthodes, outils juridiques et institutionnels uti (...)
  • 22  Choay, 1992, p. 159.

15Les outils juridiques et institutionnels, méthodologiques et conceptuels mobilisés pour la conservation et la transmission d’objets dotés de valeurs patrimoniales s’inscrivaient, jusqu’au tout début des années 70, dans un cadre clairement défini : celui de la conservation de monuments historiques et/ou de vestiges antiques. Durant les dernières décennies, à la fois l’extension et la mondialisation des valeurs et des références attachées à l’idée de patrimoine et de sa sauvegarde a non seulement contribué à « l’expansion œcuménique des pratiques patrimoniales »22, mais aussi à la multiplication des cadres de pensée de la sauvegarde et, de ce fait, des pratiques qui l’accompagnent. La mise en valeur du patrimoine ne constitue donc plus, tout au moins dans les sociétés occidentales, l’apanage de quelques spécialistes mais de groupes d’acteurs de plus en plus large et de plus en plus diversifiés.

L’écho de la notion de patrimoine à travers le monde

  • 23  Voir entre autres les écrits de Dondin-Payre (1994), Oulebsir (1996 et 2004), Arrif (1996), Yerasi (...)
  • 24  Comme la Renaissance, la révolution industrielle ou l’avènement de l’État-nation. Cf. Yerasimos, 2 (...)
  • 25  Yerasimos, 2001.

16Les cadres de pensées de la sauvegarde du patrimoine sont majoritairement restés, en Afrique ou au Moyen-Orient, très près des dispositifs patrimoniaux mis en place entre le xixe et le début du xxe siècle23, reposant largement sur l’acception européenne (en particulier française) de la notion de patrimoine. En effet, un consensus scientifique est établi à propos du fait que la naissance et l’évolution de l’idée de protection du patrimoine est un processus propre à l’Europe occidentale, intimement liée à des évènements tout aussi propres à cette région du monde.24 Elle fut par la suite exportée, dans un premier temps dans le reste de l’Europe et en Amérique du Nord, puis vers le reste du monde.25 En ce sens, l’engouement patrimonial européen n’est ni comparable, dans son ampleur, ni surtout assimilable, dans les raisons qui le motivent, à celui que l’on pourrait observer en Afrique ou au Moyen-Orient.

Complémentarités entre patrimoine et territoire

  • 26  Di Méo, 2007.
  • 27  Buléon, Di Méo, 2005.

17Un consensus scientifique est établi à propos des potentialités de certains objets, événements, lieux et paysages une fois dotés de valeurs patrimoniales, à « produire du territoire »26, selon des modalités variées : politiques, économiques et idéologiques. D’un côté, la patrimonialisation tend à créer ou redéfinir des territoires – le concept même de patrimoine est devenu un outil d’aménagement des territoires et de développement local. De l’autre les territoires s’affirmant comme les formes sociales de l’espace les plus aptes à susciter des vocations et des fonctions ils facilitent plus que toute autre figure de l’espace social, la production de plus-values patrimoniales.27

Comprendre les règles et les exigences qui président aux nouveaux agencements des territoires et des identités en Égypte et au Soudan

18Ces préalables posés, il nous paraît utile de continuer de s’interroger sur les objectifs et les enjeux qui président à la fabrication de patrimoines et aux pratiques qui l’accompagne, non seulement sur des terrains où la multiplication des patrimoines est sans contexte à l’ordre du jour, mais aussi sur des terrains où les processus de patrimonialisation restent peu connus. La multitude de travaux présentés plus haut, ainsi que les cinq consensus scientifiques retenus signalent très clairement l’importance des questions d’invention du patrimoine, du rôle des acteurs et des territoires. Mais les relations entre les uns et les autres sont encore trop souvent posées, particulièrement sur ces deux terrains, sur un mode bipolaire : amateurs contre professionnels, organismes internationaux contre institutions locales, grandes villes contre villes secondaires, etc. L’un des objectifs de cet ouvrage est de dire combien ces oppositions doivent être totalement repensées à la fois dans l’espace et dans le temps.

19Composé de contributions monographiques (sur une période, un territoire, un secteur patrimonial), cet ouvrage rend compte de la difficulté d’appréhension de ce sujet. Au demeurant la mise en évidence d’une effervescence patrimoniale n’est pas le seul enjeu de ces travaux. Qu’on ne s’y trompe pas, en effet, les études réunies permettent surtout d’indiquer que la multiplication des objets patrimoniaux et/ou des politiques patrimoniales contemporaines égyptiennes et soudanaises participent de logiques d’acteurs et d’échelles qu’il est nécessaire de prendre en compte si l’on veut comprendre les règles et les exigences qui président à la patrimonialisation.

  • 28  Je me permets, de renvoyer, à titre d’exemple, à l’analyse du débat fortement médiatisé produit en (...)

20À partir de la mise en scène de jeux d’acteurs et de contextes, les textes rassemblés ici contribuent, en quelque sorte, à faire sortir les pratiques patrimoniales de l’isolement superbe dont elles font l’objet. En effet, sur ces deux terrains, les débats portant sur le patrimoine ont souvent tendance à présenter les questions patrimoniales comme des questions à part, du fait de la spécificité des objets sur lesquels elle porte.28 Les études rassemblées ici montrent qu’on aurait tort de surévaluer la spécificité des politiques du patrimoine. Celles-ci constituent à bien des égards, le socle non seulement des politiques culturelles et identitaires, mais aussi des politiques publiques tout court. Nous verrons que, dans bien des cas, le patrimoine devient le prétexte par lequel les politiques sectorielles (équipement, aménagement, politique de la ville, etc.) se recomposent et se lient sur le terrain. Ainsi, les contributions incitent clairement à dilater l’espace de compréhension des politiques du patrimoine en Égypte et au Soudan et à questionner à partir d’elles le devenir des politiques de développement durable, de pacification et d’aménagement des territoires. Notons enfin que cette problématique des patrimonialisations invite aux réflexions et aux échanges à la fois transdisciplinaires et professionnels. Les contributeurs de cet ouvrage viennent en effet d’horizons (architectes, urbanistes, chroniqueurs, chargés de communication, archéologues) et de statut divers (chercheurs confirmés et doctorants, historiens, anthropologues, ethnologues, musicologues). Cet ouvrage vise donc à fédérer des expériences diverses de la patrimonialisation. Sous cet angle, il prolonge les démarches pluridisciplinaires, en poursuivant les perspectives de recherche que nous venons d’énoncer.

21Trois chapitres structurent cet ouvrage.

22Le premier intitulé Réappropriation et nouveaux objets du patrimoine égyptien traite des processus de patrimonialisation de nouveaux types d’héritages (à la différence des « anciens patrimoines » pharaoniques, antiques, médiévaux) ayant pour particularité d’être plus récents, plus représentatifs du vécu quotidien de la société égyptienne : l’Égypte « Belle Époque » et son cadre architectural et urbain, l’architecture d’argile à Siwa, un quartier ancien du Caire, les pratiques liturgiques coptes, les traditions populaires. Chacun des auteurs, à sa manière et dans des styles très divers, met en scène des jeux d’acteurs et de contextes où des objets, lieux, paysages, traditions sont constitués en thesaurus de savoir-faire, de pratiques, de représentations qui tous ont en commun peu ou prou d’être destinées à accéder au rang et à la dignité de patrimoine.

23On remarque à quel point les pratiques décrites dans ce chapitre, que l’on pourrait qualifier – pour reprendre l’expression de Mercedes Volait dans son étude des processus de patrimonialisation de l’Égypte Belle époque – de « mosaïque d’initiatives hétérogènes, éphémères, conjoncturelles », finissent grâce à leur investissement de l’espace médiatique et urbain par laisser des traces et à s’inscrire dans un cadre juridique, institutionnel et scientifique.

24La réalité économique et sociale de ces nouvelles « offres patrimoniales » est également abordée par chacun des contributeurs à ce chapitre qui au-delà des mises en scène d’une valeur de « l’ancien » et de « l’authentique », suppose de nouvelles « demandes patrimoniales ».

25Les cultures populaires, aujourd’hui réifiées en folklore et brandies comme « témoignage sur le patrimoine populaire égyptien », peuvent-elles cependant faire l’objet d’une consommation de masse, éclectique et indifférenciée ? Les pistes proposées par Emmanuelle Perrin dans son analyse des significations et raisons qui motivent la réédition, en 1999 du Dictionnaire des coutumes, des traditions et des expressions égyptiennes, publié en 1953, indiquent clairement que les fonctions idéologiques initiales de la quête patrimoniale et identitaire contribuent à ouvrir la voie d’une « demande patrimoniale ».

26Vincent Battesti, Karim Ben Meriem et Mercedes Volait, montrent par ailleurs qu’à Siwa, au Caire ou à Alexandrie, les actions multiformes, loin de répondre à une véritable demande sociale, semblent encore osciller entre une utilisation (symbolique) de savoirs et savoir-faire, d’une architecture (monumentale, vernaculaire, banale) « authentique » visant une « réconciliation » avec le passé. Ces actions pourraient éventuellement trouver dans l’ouverture au tourisme une rentabilité nécessaire au développement économique et urbain des lieux décrits. Mais celle-ci reste forcément limitée, les retombées de la valorisation restant dans ce cas, essentiellement saisonnières, ou bien limitées tant par la noblesse de la destination que par la sélection de la clientèle. Alternative à la commercialisation du patrimoine, sa mise au service du « développement » déclinée sous toutes ses formes (économique, urbain, durable), indique également l’opportunité et les limites de protéger en valorisant sans que les actions s’appuient sur une véritable « demande patrimoniale ».

27Séverine Gabry révèle aussi, à travers une réflexion sur les processus de patrimonialisation des pratiques liturgiques coptes, que celles-ci continuent d’habiter le domaine religieux ou bien qu’elles contribuent à transformer le domaine du laïc en lui conférant une nouvelle dimension spirituelle. Sous cet angle, celles-ci sont amenées à renaître et à se renouveler sous l’habit patrimonial, tout en trouvant une vocation nouvelle non seulement au sein de la communauté copte et de sa diaspora mais aussi au sein de certaine partie de la société égyptienne et de la communauté internationale.

28Si les textes que composent ce premier chapitre indiquent clairement qu’il ne peut exister de processus de patrimonialisation sans acteurs – collectifs ou individuels – , le deuxième chapitre tend à démontrer que même si des acteurs (intellectuels, experts, amateurs d’art, architectes, universitaires, etc.) peuvent jouer un rôle déterminant de précurseurs ou d’initiateurs partiels de la patrimonialisation, ceux-ci ne peuvent rien, ou presque, sans un minimum d’idéologie ambiante, favorable à l’intervention patrimoniale. C’est justement à l’analyse des modalités de production de cette idéologie ambiante que s’attache ce deuxième chapitre intitulé Quand militantisme et dénonciation médiatiques servent le patrimoine en Égypte. Les trois contributions qui composent ce chapitre traitent de la manière dont une partie de l’élite culturelle égyptienne mobilise des savoirs érudits, accompagne les interventions protectrices ou les combats, justifie telle restauration ou tel inventaire, définit le sens du patrimoine et les raisons qui motivent sa sauvegarde et, plus que tout, légitime une mobilisation civique ou sociale.

29Galila El Kadi, Thomas Fracapani et Aymé Lebon révèlent par ailleurs le rôle central des médias dans les processus de patrimonialisation et d’appropriation patrimoniale jouant quasiment le rôle « d’institutions-charnières » ou « intermédiaires » (Thomas Fracapani parle de « médiateurs », ayant une fonction à part entière au sein du processus) et permettent de saisir les sources de recomposition des publics. Il apparaît clairement que les journaux d’opinion et certaines revues intellectuelles – voir même certaines émissions et séries télévisées – jouent désormais un rôle de premier plan dans les différentes disputes patrimoniales. Plus spécifiquement, la critique journalistique joue de facto un rôle patrimonialisateur quant aux pratiques contemporaines, et entend exercer son jugement sur les patrimonialisations en cours – même si marquée par les interventions à cet égard de divers spécialistes et d’experts.

30Les études de cas proposées par ces trois auteurs démontrent par ailleurs la porosité des réseaux et plus encore le lien étroit entre milieux de la recherche, secteur privé, institutions politiques. Dès lors, à partir de l’analyse de diverses opérations, se déroule l’écheveau des enjeux culturels et identitaires propres à une époque donnée.

31Les pistes ouvertes par Galila El Kadi, Thomas Fracapani et Aymé Lebon invitent à poursuivre les recherches engagées car, comme le soulignent ces auteurs, on ne saurait penser que l’intérêt des médias pour le patrimoine n’est qu’un corollaire des différents blocages institutionnels et culturels décrits dans chacun des textes. Certes, ces blocages peuvent favoriser l’émergence d’écrits vigoureux, émanant de la société civile, lorsque l’État et ses institutions prétendent avoir toute latitude pour imposer dans le domaine de la sauvegarde, une démarche unitaire et univoque. Mais l’hégémonie des médias sur le sujet – telle que décrite par Galila El Kadi ou Thomas Fracapani – s’appuie aujourd’hui sur un paysage intellectuel considérablement plus divers. L’effervescence patrimoniale semble avoir conduit à l’émergence de discours qui entendent fournir une compréhension plus large du phénomène et ce, même si les idées de vandalisme et de ses ravages dominent largement les débats à propos de la sauvegarde du patrimoine – débats qui se disent essentiellement sur le mode du militantisme et de la dénonciation.

32Consacré au terrain soudanais, le troisième chapitre intitulé Politisation et instrumentalisation du patrimoine au Soudan analyse comment les processus de patrimonialisation peuvent être déterminés par les tensions entre les intérêts politiques, identitaires ou économiques des différents groupes d’acteurs nationaux ou internationaux. L’étude des processus de patrimonialisation au Soudan est un sujet encore inédit auquel cette publication entend apporter quelques jalons et favoriser de futurs travaux. Les cinq contributions permettent de découvrir à quel point la vague récente de patrimonialisation au Soudan relève de l’invention d’objets patrimoniaux, non pas tant du fait des archéologues mais bien des décideurs politiques, conformément à des objectifs et des enjeux nationaux.

33On découvre aussi au fil des contributions que le patrimoine n’agit pas comme un « fédérateur des intérêts locaux » ou un « mobilisateur des initiatives », mais plutôt comme instrumentalisé par des groupes dominants pour asseoir leur pouvoir sur certaines composantes de la société soudanaise. L’article de Jean-Gabriel Leturcq fournit, dans le cadre de cet ouvrage, une introduction à l’étude du processus de patrimonialisation en cours au Soudan. Cette contribution vise à embrasser l’ensemble du système de patrimonialisation actuel et à proposer une synthèse des enjeux politiques et identitaires à l’échelle nationale. Tout en précisant les grandes charnières qui permettent d’expliquer la structuration des politiques contemporaines du patrimoine au Soudan, l’auteur montre qu’en tentant d’utiliser au niveau national le patrimoine comme un instrument de pacification et de réconciliation identitaire, celui-ci peut être détourné par certains groupes d’acteurs locaux pour dénoncer leur relégation sociale. Dans le prolongement de cette réflexion, la contribution d’Iris Seri-Hersch souligne justement combien l’étude des périodes anciennes s’avère nécessaire pour comprendre les conceptions des acteurs contemporains. Analysant l’instrumentalisation de la mémoire du Mahdî, elle propose plusieurs modèles de patrimonialisation expliquant comment des objets dotés de valeurs patrimoniales deviennent des ressources politiques au service d’un groupe donné. Ces deux auteurs soulignent la dimension proprement idéologique du patrimoine. Ida Dyrkorn Heierland, sans pour autant nier cet aspect, n’en propose pas moins une lecture spécifique au domaine de l’archéologie. Elle révèle, à travers l’analyse des conflits d’intérêts entre les différents acteurs de la restauration du site de Naqa (État du Nil) à quel point et dans quelle mesure la conception culturelle des archéologues soudanais et des experts internationaux semble mal s’accommoder des prérogatives économiques des décideurs politiques.

34L’intervention d’acteurs internationaux reste en effet l’une des caractéristiques du processus de patrimonialisation en cours au Soudan. Qu’il s’agisse de la mise en place des clauses relatives à la réconciliation nationale prévue par l’accord de paix de 2005 ou de projets spécifiques, le patrimoine soudanais semble s’élaborer en relation étroite avec un contexte politique et normatif international comme le montrent les contributions de Coralie Gradel et Costanza de Simone. Coralie Gradel montre la contribution de l’Université de Lille III à la découverte du patrimoine archéologique nubien à travers la présentation d’un demi-siècle de fouilles mais aussi de formation et d’échanges scientifiques. La contribution de Costanza de Simone, décrivant le projet de Musée nubien à Wadi Halfa (État du Nord), témoigne quant à elle de l’engagement de l’Unesco en faveur de la reconnaissance du patrimoine – matériel et immatériel – nubien.

35Chacun des auteurs détaille les caractéristiques d’un inventaire s’attachant à la manière dont ont surgi les modalités de classement, de mise en valeur et/ou de muséification. Mais leurs travaux soulignent clairement que ce que l’on recense ou l’on ignore, que ce que l’on conserve et que l’on détruit ou oublie, est extrêmement révélateur des priorités liées aux contextes politiques nationaux et internationaux, mais, surtout, aux orientations politiques, aux causes idéologiques que devra servir le patrimoine soudanais.

36Les processus de patrimonialisation sont appréhendés tout au long de cet ouvrage dans des contextes différents, mais dont les problèmes se font mutuellement écho. Ceci montre à quel point le thème couvre des champs multiples, à distinguer dans une démarche d’analyse – d’où la répartition des treize contributions en trois chapitres –, mais à articuler les uns avec les autres.

37En effet, loin de se limiter à une réflexion à propos des critères formels susceptibles de transformer les valeurs attribuées à certains objets, toutes les contributions ont en commun de chercher à cerner le cheminement qui amène aujourd’hui à tenir pour fait acquis l’existence et l’importance des valeurs patrimoniales attribuées à des ensembles d’objets, lieux, évènements, pratiques. Le lecteur, à son tour, peut alors saisir les articulations, les décalages, voire les hiatus entre la « fabrication » du patrimoine et ses « pratiques ».

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Bibliographie

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Notes

1  On entend par « patrimoine », un bien matériel ou immatériel, reconnu, revendiqué ou attribué comme sien par/à un groupe ou une communauté, et témoignant d’une trace et d’une mémoire spécifique. Ce bien est doté par la loi et/ou aux yeux de groupes particuliers de valeurs identitaires, artistiques et/ou historiques, infiniment précieuses et pour lequel une intervention spécifique est requise afin d’en assurer la préservation, la perpétuation et l’intelligibilité de la trace.

2  De nouveaux organismes et institutions dont le rôle est de rechercher, d’identifier, de documenter, mais aussi de promouvoir ces nouveaux patrimoines, ont vu le jour depuis le milieu des années 1990. En Égypte, le plus récent et le plus important aujourd’hui est le Centre pour la Documentation du Patrimoine Culturel et Naturel de l’Égypte (CULTNAT) – dépendant de la Bibliothèque d’Alexandrie. Ses principaux objectifs visent à mettre en place, en partenariat avec des organismes internationaux, un plan d’action national pour la documentation du patrimoine égyptien, à favoriser, en Égypte, les conditions d’émergence d’une prise de conscience générale de la valeur des ressources patrimoniales du pays et à améliorer les compétences et les savoirs faire dans les domaines professionnels touchant à la conservation et à la documentation du patrimoine.

3  Cette histoire débute, selon les écoles de pensées, soit au xe siècle et s’inscrit dans le cadre de la gestion et de l’administration des fondations pieuse (waqf), soit au xixe siècle, au moment de la création de la première institution patrimoniale, le Service des antiquités égyptiennes, et où la définition du rôle, du statut ou du devenir des objets patrimoniaux repose largement sur une acception européenne – et essentiellement française – du patrimoine. Je me permets de renvoyer à Aboukorah-Voigt 2006, 2ème partie.

4  Ces patrimoines égyptiens se déclinent en une variété de référents historiques et géographiques : gréco-romain, arabe, copte, islamique, historique, nubien, africain, nilotique.

5  Titre du célèbre ouvrage collectif dirigé par Yvon Lamy (1996) voulant évoquer l’entrelacement du concept même de patrimoine et de ses langages multiples (celui des médias comme ceux de la communauté scientifique) avec des pratiques patrimoniales telles qu’exercées par des décideurs économiques, des entrepreneurs culturels et des acteurs politiques.

6  Que l’on pourra en partie découvrir à la lecture des différents textes qui composent cet ouvrage.

7  Le patrimoine se définit alors, dans ces inventaires, bien plus comme un ensemble de ressources que l’Égypte ou le Soudan possèdent, qu’il ne circonscrit ce à quoi s’identifiela communauté égyptienne ou soudanaise dans sa plus grande partie, exprimant ou revendiquant la volonté et la nécessité de conservation et de transmission de ces ressources aux générations futures. Et c’est ici que réside, selon nous, le véritable problème. On peut se référer, à titre d’exemple, à la manière dont la question des patrimoines égyptiens est abordée dans le numéro 225-226 de la revue Museum International, consacrée, en mai 2005, aux « Paysages du patrimoine d’Égypte ». L’accent y est très clairement mis sur la diversité du patrimoine, ces modes de gestion et de mise en valeur, plutôt que sur les logiques qui fondent cette diversification et les enjeux qui motivent la promotion de ces patrimoines, tant en Égypte qu’à travers le monde.

8  Il est cependant important de souligner que de tels travaux ont déjà été engagés. Citons, à titre d’exemple les travaux de Paula Sanders (2007) et cAlâ’ Al Habashî (2001) concernant les processus de patrimonialisation du Caire médiéval appréhendés et analysé à un siècle d’intervalle. Notons aussi la parution prochaine d’un ouvrage collectif, compte-rendu du séminaire organisé par le CEDEJ et l’IFAO (Institut français d’Archéologie Orientale), intitulé Patrimoines en partages. Enjeux et mécanismes de la patrimonialisation, tenu au Caire entre 2005 et 2007 et dont une grande partie des textes abordera divers aspects des processus de patrimonialisation contemporains à l’œuvre en Égypte.

9  Grange et Poulot, 1997, p. 15.

10  En 1994 déjà, Maryvonne de Saint-Pulgent – directeur du Patrimoine au Ministère (français) de la Culture – notait dans la préface du premier volume de La collection des Actes des Entretiens du Patrimoine: « Le colloque qui s’est tenu en novembre 1994 sous la présidence de Pierre Nora, intitulé Science et conscience du patrimoine, a ainsi permis de faire le point sur les étapes les plus importantes de la prise de conscience du patrimoine et de la politique menée en sa faveur depuis trente ans […]. Ces rencontres se sont ouvertes plus largement à tous ceux qui s’intéressent aux rapports souvent complexes que nos contemporains entretiennent avec leurs patrimoines » (De Saint-Pulgent, 1997, p. 7). Les Entretiens du Patrimoinesont organisés chaque année, depuis 1988, par la Direction du Patrimoine. Jusqu’en 1994, ils étaient l’occasion pour des spécialistes (archéologues, conservateurs, architectes, historiens de l’art, etc.) de débattre de questions essentiellement techniques auxquels ils étaient régulièrement confrontés dans les domaines de la conservation et de la gestion du patrimoine. Ces Entretiens du Patrimoineréunirent cette année-là plus d’un millier de participants, intellectuels et professionnels du patrimoine. Dans les années qui suivirent, le nombre de participants ne fit qu’augmenter, faisant de ces rencontres un véritable « happening » du patrimoine. Au printemps 1996, alors que se tenait à Paris un salon international du patrimoine et que l’Unesco, annonçait le lancement d’une Revue du patrimoine mondial, Yvon Lamy, dans un texte intitulé « Le creuset du patrimoine collectif », constatait que « l’on a jamais autant parlé de patrimoine que de nos jours dans des emplois divers, souvent bien éloignés de la sphère des biens privés et de leurs sujets juridiques, et cela jusque dans les domaines où la notion est inattendue, [...] voire peu connue » (Lamy, 1996, p. 10). En 1997, François Hartog – directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales –, dans l’introduction d’un ouvrage collectif intitulé Patrimoine et société, parlait d’» incontestable montée en puissance de la notion de patrimoine » (Hartog, 1988, p. 3).

11  Tel que l’entend Dominique Poulot (2003, p. 29) : « Ce qui touche à la destinée générale des oeuvres et des objets matériels, à la représentation culturelle d’une collectivité, à l’interprétation du passé ».

12  Un aperçu exhaustif du corpus bibliographique produit ces 30 dernières années à propos du fait patrimonial et des processus de patrimonialisation reste à faire. Nous proposons de nous référer, dans les notes qui suivent (et à titre indicatif) à quelques ouvrages ayant proposé une synthèse des travaux réalisés soit sur une période, un territoire ou un secteur patrimonial donné.

13  Pour une synthèse récente des travaux de recherche (français) sur le patrimoine, voir l’excellente introduction à l’ouvrage de Philippe Poirrier et Loïc Vadelorge (2003), « Le patrimoine comme objet politique ».

14  Citons (à titre d’exemples tant la bibliographie est vaste) quelques ouvrages pionniers en langue française, qui marqueront ce changement d’approche, tel celui de Jean-Michel Leniaud (1992), l’Utopie françaiseportant un regard critique sur l’évolution contemporaine des politiques du patrimoine ; celui de Françoise Choay (1992), l’Allégorie du patrimoine, démontrant que les politiques du patrimoines ne sauraient être dissociées des politiques de l’urbanisme ; l’ouvrage collectif dirigé par de Dominique Poulot (1998) Patrimoine et modernité, où Michel Leniaud, Danièle Voldman, Jean-Yves Andrieux indiquent clairement qu’un discours scientifique autonome traitant de la question du patrimoine s’est désormais sédimenté en Europe du Nord ; celui de Françoise Bercé 2000, Des monuments historiques au patrimoine. Du xviiie siècle à nos jours ou les égarements du coeur et de l’esprit, proposant une synthèse sur l’histoire des politiques de sauvegarde et de restauration.

15  Notons que la patrimonialisation s’impose aux géographes comme une grille de lecture essentielle pour analyser les processus actuels de valorisation, d’appropriation et de transformation des espaces (Veschambre, 2007).

16  On peut se référer à titre d’exemples aux écrits de Graham, Ashworth et Tunbridge (2000).

17  Pour une synthèse des travaux abordant le fait patrimonial à travers une approche propre aux sciences de l’information et de la communication voir Jean Davallon (2006).

18  Di Méo, 2007, p. 2.

19  Poulot, 1998, p. 9.

20  Roussillon, 2005.

21  On entend par « cadre de pensée » les concepts, méthodes, outils juridiques et institutionnels utilisés pour définir le patrimoine ainsi que les modalités et raisons de sa sauvegarde.

22  Choay, 1992, p. 159.

23  Voir entre autres les écrits de Dondin-Payre (1994), Oulebsir (1996 et 2004), Arrif (1996), Yerasimos (2001), El Kadi, Ouallet, Couret (2005), établissant clairement le lien entre politique étrangère, action coloniale et politique patrimoniale.

24  Comme la Renaissance, la révolution industrielle ou l’avènement de l’État-nation. Cf. Yerasimos, 2001.

25  Yerasimos, 2001.

26  Di Méo, 2007.

27  Buléon, Di Méo, 2005.

28  Je me permets, de renvoyer, à titre d’exemple, à l’analyse du débat fortement médiatisé produit entre 1997 et 2006 à propos des objectifs, contraintes et enjeux de la sauvegarde de la vieille ville du Caire (Aboukorah-Voigt, 2006, 1ère partie et plus spécifiquement aux pages : 70-72 ; 117-118 ; 162-164 ; 250-254).

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Pour citer cet article

Référence papier

Omnia Aboukorah, « Introduction »Égypte/Monde arabe, 5-6 | 2009, 15-30.

Référence électronique

Omnia Aboukorah, « Introduction »Égypte/Monde arabe [En ligne], 5-6 | 2009, mis en ligne le 31 décembre 2009, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ema/2889 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ema.2889

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Auteur

Omnia Aboukorah

Omnia Aboukorah, architecte et docteur en géographie, est chercheuse associée au CEDEJ. Spécialiste des processus de patrimonialisation du cadre architectural et urbain en Égypte, elle s’intéresse aujourd’hui, dans une perspective comparatiste, aux mécanismes et enjeux de la patrimonialisation à l’oeuvre à Addis-Abeba et à Harar (Éthiopie). Au Caire, Omnia Aboukorah a piloté la réalisation d’une base de données intitulée Observatoire de la Patrimonialisation, visant à recenser les objets patrimoniaux, leurs modalités de sauvegarde ainsi que les acteurs de la patrimonialisation. La première phase d’élaboration, en cours d’achèvement, porte sur le cadre architectural et urbain en Égypte. En Éthiopie, elle travaille en collaboration avec la municipalité d’Addis-Abeba, le gouvernement de la région de Harar, la Banque Mondiale et la coopération technique Allemande (GTZ) à la définition d’actions prioritaires pour la sauvegarde du patrimoine urbain d’Addis-Abeba et de Harar. Elle est également l’auteur de An Urban Heritage Agenda for Addis Ababa (dir.), 2009 ; L’invention patrimoniale d’un Caire historique : entre la parole et le geste (à paraître 2010) et de Pratiques patrimoniales égyptiennes : contextes d’émergences et mutations (à paraître 2010).

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