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Extraits de presse: Islam et crise du Golfe, Annexes I à XII

Crise du Golfe, annexe XII : La défaillance du monde arabe

Al-Nûr, 10 octobre 1990, entretien par Muntasir al-Zayyât
p. 260-263

Texte intégral

1Al-Nûr : Que pensez-vous de l’invasion du Koweït par l’Irak ?

2'Abûd al-Zumur : Loué soit Dieu, et que la Prière et le Salut soient sur son Prophète... Cette invasion a anéanti l'ordre arabe entier et réduit à néant toutes les allégations concernant le nationalisme arabe, l'unité arabe et autres slogans de ce genre, dont rien de concret n'est sorti. Les Arabes ont soutenu l'Irak dans son agression contre l'Iran, et voici qu'il se retourne contre eux une fois la guerre finie ; Dieu châtie quiconque porte assistance à un agresseur.

3N. : Dans sa tentative de mobilisation, l’Irak utilise la carte islamique pour renforcer sa position. Qu'en est-il, selon vous, de sa crédibilité ?

4Z. : Le régime irakien est baasiste et laïque. L'Islam n'a, à notre connaissance, jamais représenté quoi que ce soit dans son programme ou dans sa doctrine. Si ses dernières prétentions sont sincères, où est donc la place de la chari'a dans les institutions de l’État ? De plus, le président irakien doit savoir que c'est contre Israël et ses alliés occidentaux que l'islam se dresse, en aucun cas contre le Koweït ou l'Arabie Saoudite.

5N. : Commet considérez-vous la présence étrangère dans le Golfe ?

6Z. : C'est un phénomène excessivement grave qui nous ramène très loin en arrière. Mais cette présence ne résulte pas seulement de l’invasion irakienne ; elle est due aussi à la défaillance du monde arabe, qui parle depuis des années de stratégies défensives communes sans faire un seul pas dans ce sens.

7N. : Quel est désormais l’avenir de la Ligue arabe

8Z. : La Ligue arabe a toujours été un échec. Depuis sa création, on ne compte plus les tentatives effectuées par les pays arabes pour la contourner, que ce soit par la tenue de sommets bipartites, par la non exécution de ses décisions ou par le recours à des alliances régionales (Conseil de Coopération du Golfe, Union du Maghreb arabe, Conseil de coopération arabe...)

9Tout cela revient à faire marche arrière, et la dernière crise a donné à la Ligue le coup de grâce. Je ne pense pas qu'elle puisse jouer à nouveau un rôle vital de de représentation de l’ordre arabe : les dernières dissensions l'en empêcheront. […]

10N. : Que pensez-vous de la politique pétrolière arabe ?

11Z. : Les Arabes n'ont jamais su utiliser leurs atouts à bon escient De même qu'ils investissent des centaines de milliards dans les banques occidentales pour réaliser un profit rapide sans tenir compte des risques de cette politique, de même ils pompent le pétrole à cette fin. Il eut été évidemment indiqué de mettre la crise à profit pour dépouiller l'Occident de ses réserves afin que les Arabes puissent à nouveau utiliser le pétrole, si besoin était, comme arme efficace. Mais certains pays ont déjà commencé à compenser la pénurie de pétrole irakien et koweïtien ; cela aura de fâcheuses répercussions, non seulement en ce qui concerne le recours à l'arme pétrolière mais également eu égard à la chute des prix.

12N. : Comment expliquez-vous l'entente américano-soviétique à propos de la crise ?

13Z. : Après l'effondrement de son influence en Europe de l'Est et les violentes secousses auxquelles elle a été soumise dans les Républiques islamiques, l'Union Soviétiquese trouve menacée d'effritement ce qui a accéléré le processus de rapprochement entre les deux super-puissances. Ajoutons à cela les difficultés économiques dont souffre l'URSS, et qui l'ont poussée à demander l'assistance de l'Occident. II est normal que le quémandeur accepte d'être à la traîne... J'ajouterai que le rapprochement Est-Ouest repose sur un accord tacite pour engloutir le Tiers-Monde. Ce qui exige de la Nation islamique qu’elle se constitue comme force d'opposition, détentrice de l'idéologie et des possibilités qui lui permettront de combattre avec acharnement ces forces sataniques.

14N : Comment vous situez-vous quant aux résolutions de l’ONU concernant la crise?

15Z. : Nous avons une position fondamentale vis-à-vis de l'ONU et de ses institutions suspectes, qui ne servent que l'intérêt des grandes puissances. Comment pourrions-nous admettre que seuls cinq pays peuvent bloquer, par leur veto, toute décision qui leur déplaît, fût-ce contre l'unanimité du reste du monde et même s’il s’agit de défendre un droit incontestable ? Est-ce parce que ce sont des pays militairement puissants ? Le droit s'est-il jamais identifié à la force ? De plus, l'ensemble de la population de ces pays ne dépasse pas le tiers de la population mondiale... Comment un seul d'entre eux peut-il s'opposer par veto aux intérêts du reste du monde !

16Il faut encore noter la rapidité avec laquelle ont été mises à exécution certaines résolutions du Conseil de Sécurité tandis que l'on passait outre à d'autres... Si le régime irakien a porté atteinte au peuple koweïtien, Israël est l'agresseur de la nation islamique entière ; il occupe encore la Palestine, la Cisjordanie, le Golan, le Sud Liban et a tué ou dispersé des milliers de Palestiniens qui combattaient pour leur courageuse révolution. Aucune pression n'a été exercée sur Israël concernant l'application de résolutions antérieures exigeant le retrait israélien des territoires occupés, alors que les États-Unis pourraient à eux seuls astreindre Israël à se retirer en le privant de toute subvention. Et voici qu'il y a mobilisation générale pour mettre à exécution le blocus économique de l'Irak, et que les États-Unis déploient des efforts gigantesques pour que cette résolution recueille l’unanimité internationale. Compte tenu de tout cela, nous doutons de leur crédibilité. De même, en ce qu'il ne représente que les intérêts de cinq pays, le Conseil de Sécurité n'est rien d'autre qu'un conseil de pirates, et quoi qu'on fasse pour donner à ses résolutions un caractère universel, on ne peut se dissimuler la réalité de la jungle dans laquelle nous vivons.

17N. : Jusqu'où ira à votre avis la crise du Golfe ?

18Z. : D'aucuns pensent que les forces étrangères installées dans le Golfe peuvent porter un coup décisif à l'Irak par voie aérienne et ainsi mettre fin au combat. Mais la question est beaucoup plus complexe. [...] Les forces étrangères peuvent-elles prendre l'initiative d'une attaque contre l'Irak alors que celui-ci détient des millions d'otages comme bouclier humain pour protéger ses objectifs vitaux ? L'Occident est-il prêt à les sacrifier, et avec eux d'autres milliers d'hommes sur terre, mer et air, pour l'indépendance du Koweït ?

19La seule présence des forces occidentales dans la région, États-Unis en tête, a en elle-même un but stratégique, celui d'établir une zone d’influence dans la région, et cela gratuitement puisque ce sont les Arabes qui font les frais de cette présence. De même, les Occidentaux auront une compensation immédiate de toute pénurie pétrolière. Le règlement de la question ne justifie donc plus, logiquement, la présence occidentale.

20De plus, les États-Unis savent pertinemment ce que signifie le fait de déclencher les hostilités : les gouvernements arabes seront affrontés à de violentes réactions populaires s'ils ne s'alignent pas du côté de l'Irak, surtout si l'Irak mène combat les juifs, que ce soit pour déplacer vers la Palestine sa bataille défensive contre l'Occident en cas d'attaque, ou pour échapper au terrible blocus économique, ce qui n'est pas à écarter. Il est donc inconcevable que les forces arabes, en Arabie Saoudite, se tiennent aux côtés de l'Occident pour attaquer l'Irak alors qu’il s'élance vers Jérusalem.

21On ne peut pas davantage ignorer les dernières manoeuvres de l'Irak, qui ont mis à jour le caractère fallacieux des prises de position américaine, en proposant que les résolutions du Conseil de Sécurité soient mises à exécution par ordre d'antériorité (faisant allusion au retrait d'Israël des territoires occupés) et que le pétrole irakien soit mis à la disposition des pays pauvres. Toutes suggestions que les États-Unis ont rejetées en bloc. La guerre va s'étendre à un grand nombre de pays de la région, et on ne peut écarter l'éventualité d'un recours aux armes chimiques, voire atomiques... Seul le Très Haut sait ce qui adviendra.

22N. : Comment expliquez-vous que l’lrak ait entrepris de régler si rapidement ses différends avec l’Iran ?

23Z. : II entendait se concentrer entièrement sur sa nouvelle bataille, éliminer un péril potentiel, récupérer des milliers de prisonniers qui ont retrouvé les rangs de l'armée, avoir une possibilité de briser le blocus économique et peut-être aussi entraîner l'Iran à ses côtés dans l'éventualité d'une guerre. D'ailleurs certains indices allant dans ce sens sont apparus dans les déclarations de l'imam Khamenei, selon lesquelles la lutte contre la présence occidentale dans la région était partie intégrante du jihad et toute personne tuée au combat serait un martyr. Le plus étrange est que certains pays arabes s'en prennent à l'Irak pour s'être retiré de l'Iran en considérant l'affaire classée, comme s'il fallait encourager l'oppresseur à poursuivre son agression et son occupation. Ces pays ont oublié qu'une telle attitude a un impact négatif en ce qui concerne le Koweït, duquel ils demandent le retrait de l'Irak, parce qu'ils empêchent ainsi toute personne voulant revenir sur ses positions bien que l'Irak n'a fait qu'exécuter les résolutions du Conseil de sécurité dans son conflit avec l'Iran.

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Pour citer cet article

Référence papier

« Crise du Golfe, annexe XII : La défaillance du monde arabe »Égypte/Monde arabe, 3 | 1990, 260-263.

Référence électronique

« Crise du Golfe, annexe XII : La défaillance du monde arabe »Égypte/Monde arabe [En ligne], 3 | 1990, mis en ligne le 09 juillet 2008, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ema/1898 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ema.1898

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