L’art du récit-cadre chez Dumas
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This contribution focuses on the treatment of the frame narrative in the novels and short stories of Dumas. Even if this way of “starting well” the action is not the most widespread in his abundant production, it is present in a sufficiently significant way to merit analysis. Taking up a classic type of incipit, Dumas makes an extremely personal and original use of it. Mixing reality and fiction, he willingly upsets the compartmentalization of genres; he also uses it to appropriate a text written in collaboration; this appropriation often involves self-writing which we find in all these beginnings, and which compose a portrait of the author in the form of a puzzle. With Dumas, the narrative framework ceases to be a simple utility to become a mark of style.
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- 1 Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, Gilbert Sigaux (éd.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de (...)
1« Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le trois-mâts le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples »1. Chacun aura reconnu les premiers mots du Comte de Monte-Cristo, qui précipite d’emblée son lecteur dans l’univers du roman. Mais avant d’adopter ces codes narratifs spécifiquement feuilletonnesques, Dumas a pratiqué d’autres types d’écriture particulièrement élaborés voire complexes. Dans ses premières nouvelles et premiers romans, loin des débuts immédiats ou « immersifs » brossant le cadre, le personnage ou l’époque, il privilégie la technique bien connue du récit-cadre. Il ne s’agit cependant pas d’une routine narrative commode. Si le procédé n’a rien de nouveau, l’emploi qu’en fait Dumas révèle sa faculté d’enrichir et de renouveler cette forme canonique. C’est ce qu’on se propose de mettre ici en évidence.
2Comme son nom l’indique, le récit-cadre est un texte souvent bref qui entoure et enclot la narration principale. Il comporte toujours un premier volet introductif, et, de façon moins automatique, un second volet conclusif ; si l’on s’en tient à l’acception stricte du terme, on devrait, en cas d’absence du second volet, parler plutôt de récit liminaire puisque le cadre n’est pas complet. Opérant parfois des resurgissements au sein du récit rapporté, il ne se limite donc pas à l’art de bien commencer, mais touche aussi à la continuation et la conclusion, conditionnant ainsi l’intégralité de la narration.
Formes et modèles
3Se déclinant sous plusieurs formes, il peut encadrer un récit unique ou lier entre eux plusieurs récits intercalaires ; c’est une construction commode pour organiser un recueil de nouvelles. C’est d’ailleurs cette forme qui prévaut dans ses versions les plus anciennes, notamment dans Les Mille et Une Nuits, Le Décaméron, L’Heptaméron, qui réunissent plusieurs histoires très hétérogènes même si elles traitent d’un thème commun. Donnant la parole à différents narrateurs, ce qui révèle l’héritage de la tradition orale, le récit-cadre sert alors de fil conducteur qui garantit la cohésion de l’ensemble. Il se pose parfois dans un rapport de force avec le ou les récits qu’il régit, et peut les concurrencer à l’occasion. Dans Les Mille et Une Nuits, par exemple, les multiples histoires racontées par Schéhérazade n’éclipsent pas l’enjeu important de la survie de la narratrice.
4Cette forme originelle est promise à un grand succès ; on la retrouve notamment chez Marivaux (La Voiture embourbée), Goethe (Entretiens d’émigrés allemands), Hoffmann (Contes des frères Sérapion), Irving (Contes d’un voyageur). Parfois, le projet d’ensemble n’est pas réalisé ; un des premiers romans de Hugo, Bug-Jargal, devait être à l’origine rattaché à un ensemble plus vaste intitulé Contes sous la tente, mettant en scène des officiers racontant des histoires pour faire passer le temps des gardes. Il arrive aussi que le récit-cadre serve de lien artificiel à des textes publiés d’abord isolément ; les Contes de la Bécasse de Maupassant, censés être narrés lors de dîners de chasseurs, réunissent des nouvelles dont certaines (La Rempailleuse) sont déjà encadrées, contrairement à d’autres (Pierrot, Aux champs).
- 2 Ce qui s’explique sans doute par l’inachèvement du roman.
5L’autre modèle de récit-cadre, introduisant un récit unique, s’attache moins à relier entre eux des éléments disparates qu’à construire une stratégie narrative complexe. Il se distingue du roman gigogne (dont l’exemple serait Le Manuscrit trouvé à Saragosse) en se limitant en général à deux niveaux de récit. Appelé parfois « récit premier », il n’est pas pour autant prédominant et cède en général le pas au récit qu’il introduit. Mais cette place secondaire ne l’empêche pas de remplir une double fonction. Il joue d’abord un rôle d’embrayeur ; dans ce cas, le volet final n’est pas absolument nécessaire et peut être supprimé : c’est ce qui se passe dans l’Histoire du chevalier des Grieux, qui démarre par la rencontre d’un « homme de qualité » avec ledit chevalier, mais ne présente pas de conclusion après le long récit de des Grieux. Il en est de même dans La Vie de Marianne2. De façon plus cohérente, la construction de Paul et Virginie ménage à la fin un second volet, mais de deux lignes seulement. L’omission ou la réduction du second panneau à presque rien traduit le caractère artificiel du procédé aux yeux mêmes de l’auteur, et semble ainsi avouer son inutilité, une fois lancé le récit principal au fonctionnement indépendant.
6Le récit-cadre n’en a pas moins joué un rôle indispensable au démarrage ; par ailleurs, outre cet aspect « technique », il illustre une stratégie de justification abondamment utilisée au XVIIIe siècle, selon laquelle l’histoire présentée au lecteur ne serait pas née d’une imagination pure (l’imagination n’étant alors pas considérée comme une qualité), mais aurait été racontée par un narrateur qui s’en porte caution, ce qui neutralise l’accusation de fantaisie ou de mensonge souvent prononcée à l’encontre du roman. Jouant un rôle de relais, censé traduire une forme de transmission orale (confession, confidence, conversation) ou écrite (découverte d’un manuscrit, d’un journal intime), le récit-cadre valide ainsi l’histoire en même temps qu’il lui donne naissance ; il peut aussi la légitimer en insistant sur son utilité, délivrant des réflexions sur la nature humaine ou des mises en garde diverses.
7Cette survivance du XVIIIe siècle perdure encore au XIXe. Adolphe (1816) s’ouvre très classiquement sur un incipit pseudo-réaliste intitulé « Avis de l’éditeur » et se conclut sur une lettre à cet éditeur fictif avalisant la publication du roman. Ce cadre a pour but de déjouer l’identification possible des personnages, en niant d’emblée toute dimension de roman à clé. Trente ans plus tard, Lamartine fera de même avec Raphaël. Mais le procédé est en perte de vitesse. De façon générale, on notera que les auteurs pour cabinet de lecture que sont Paul de Kock, Ducray-Diminil, Pigault-Lebrun, privilégient les débuts in medias res, même si d’autres, comme Mme Cottin, ne se dispensent pas de petites préfaces introductives. Cette évolution ne touche pas uniquement la littérature « facile » et concerne aussi la littérature légitime : la promotion du roman qui s’opère dès les années 1830 rend le récit-cadre moins indispensable, les auteurs n’éprouvant plus systématiquement le besoin de se justifier pour s’adonner à la fiction. Balzac s’en dispense la plupart du temps, sauf dans Autre étude de femme et La Maison Nucingen, tout comme Hugo (mis à part le cas de Bug-Jargal évoqué plus haut).
8Le récit-cadre n’en reste pas moins un signe fort de littérarité. Les romans qui l’utilisent ne se contentent pas de raconter une histoire, mais prennent en compte (sur un mode fictionnel) les conditions de sa production et / ou de sa transmission. Opérant un effet de recul, de mise en perspective, de jeux d’éclairages, il prend une dimension esthétique évidente en ménageant une construction sur plusieurs plans ; refusant la simplicité et l’immédiateté, il complexifie la narration en insistant sur son côté travaillé. Par ailleurs, il crée chez le lecteur une attente en différant son accès à l’histoire principale, jouant ainsi le rôle de seuil. Risquant alors d’être rapidement survolé par un lectorat pressé, il doit maintenir un équilibre délicat : susciter l’intérêt autant pour lui-même que pour ce qui va suivre.
Le récit-cadre chez Dumas
9Dumas a largement pratiqué l’enchâssement de récits notamment dans Le Comte de Monte-Cristo et surtout dans Les Mohicans de Paris, où on ne compte pas moins de huit niveaux de narration. De ce point de vue, le premier niveau, traitant l’action principale, pourrait être considéré stricto sensu comme une sorte de récit-cadre régissant les autres, lesquels apportent, souvent sous forme de flash-back, des éléments d’explication ou des éclairages particuliers. Ce n’est cependant pas ce modèle qu’on traitera ici, mais la forme classique du récit introducteur cédant la place à un autre destiné à le supplanter voire à l’éclipser. Ce choix peut sembler paradoxal : pourquoi s’intéresser au secondaire plutôt qu’au principal ? Et, alors que Dumas est surtout connu pour ses débuts efficaces qui embarquent irrésistiblement le lecteur dans un feuilleton au long cours, pourquoi s’intéresser à un procédé d’écriture qui a pour principal effet de retarder l’immersion dans l’action ? À cela, on répondra que l’art de bien commencer (et de bien continuer) s’illustre de plusieurs façons, et que Dumas se signale par la diversité de ses pratiques d’écriture. Dans les années 1830-1840, il s’est adonné à la nouvelle, au conte, au roman isolé, souvent mis en valeur par un cadre narratif externe ; ensuite, dans le recueil des Mille et Un Fantômes (1849), il adopte très logiquement la technique de l’encadrement des récits intercalaires. Il s’attache donc aux deux formes de récit-cadre, avec des modalités et des motivations différentes ; les usages qu’il en fait se signalent par leur nouveauté et leur originalité.
- 3 Une préface se présente en général comme un exposé esthétique.
- 4 C’est-à-dire un narrateur homodiégétique selon la terminologie de Gérard Genette exposée dans Figur (...)
- 5 « La rue de Diane à Fontenay-aux-Roses », « L’impasse des sergents », « Le procès-verbal », « La ma (...)
- 6 Ces nouvelles, rattachées aux Mille et Un Fantômes dans la parution en feuilleton, en furent détach (...)
10Leur variété saute aux yeux : le récit-cadre peut prendre plusieurs formes, être plus ou moins développé, comporter ou non un second volet, ou être rattaché par intégration dans le chapitrage. Dans le cas « classique », il est clairement circonscrit par un intitulé propre : le récit-cadre d’Amaury est présenté comme une préface, alors qu’il n’en a pas vraiment les caractéristiques3, celui du Château d’Eppstein s’intitule « Introduction », ce qui est plus pertinent. Dans d’autres cas, il peine à se distinguer du récit principal : la brièveté des nouvelles (Le Cocher de cabriolet, Un bal masqué) empêche d’établir une séparation typographique nette entre deux niveaux. Dans Gabriel Lambert, le récit-cadre est également intégré dans le chapitrage, ce qui est justifié par ses liens étroits avec le récit principal, assumés par un narrateur qui est aussi un personnage (secondaire) de l’action4. Mais cela se comprend moins pour le texte liminaire de La Femme au collier de velours, qui fait l’objet du chapitre I (« L’Arsenal »), comme s’il faisait partie du roman, alors qu’il s’agit d’un long hors-d’œuvre consacré à la figure de Nodier. On retrouve les mêmes ambiguïtés dans l’encadrement des récits intercalaires ; la parution en feuilleton des Mille et Un Fantômes, en titrant chaque livraison, masque trompeusement la différence de statut entre récit-cadre et récit enchâssé : c’est ainsi que les quatre premiers chapitres5 constituent un récit-cadre particulièrement développé, concurrençant les sept nouvelles suivantes. Le reste de l’ensemble6 entretient le flou : Un dîner chez Rossini n’est pas une nouvelle autonome, mais un texte introduisant Les Deux Étudiants de Bologne ; idem pour Les Gentilshommes de la Sierra-Morena qui débouche sur l’Histoire merveilleuse de Don Bernardo de Zuniga.
- 7 Murat paraît du 2 au 16 octobre 1836, et Pascal Bruno du 23 janvier au 3 février 1837.
11Le cas de La Salle d’armes (1838) est très révélateur du caractère à la fois artificiel et plastique du récit-cadre : il s’agit d’un ensemble composé de trois textes (Pauline, Murat et Pascal Bruno) dont les deux derniers ont d’abord été publiés isolément dans La Presse7. Ces trois textes n’ayant aucun rapport entre eux, leur regroupement s’explique essentiellement par la volonté de l’éditeur Dumont. Afin de les relier, Dumas prolonge le récit-cadre de Pauline (une confidence faite par un ami, élève comme lui du maître d’armes Grisier) et ajoute deux narrateurs, un général italien et le musicien Bellini, de passage dans ce cercle masculin.
- 8 Alexandre Dumas, Gabriel Lambert [1844], Anne-Marie Callet-Bianco (éd.), Paris, Librairie générale (...)
- 9 Alfred de Nerval est un personnage semi-imaginaire, inspiré du dandy-peintre Alfred d’Orsay (1801-1 (...)
12Au-delà de cette variété, qui traduit sans doute une imprécision à la fois lexicale et fonctionnelle, un point commun rapproche ces récits-cadres : hormis de rares exceptions, leur narrateur se présente toujours comme Dumas lui-même. Mais il s’agit d’un Dumas hybride, en partie fictionnalisé, présentant des éléments biographiques vérifiables (« J’étais vers le mois de mai de 1835 à Toulon8 […] ») et d’autres sujets à caution. On peut en dire autant des narrateurs-relais auxquels il transmet la parole ; certains ont une existence attestée (Casimir de Montrond, Élim Mestscherski, Rossini, Bellini), mais les propos qu’on leur prête sont fictifs, d’autres sont imaginaires (le docteur Fabien, Alfred de Nerval9, le père Olifus, etc.). Cette présence systématique du narrateur-Dumas reflète la volonté de l’auteur-Dumas de réinventer le récit-cadre en le mariant à d’autres formes et d’autres modèles narratifs : l’écriture de soi, qui débute bien avant la rédaction de Mes Mémoires, le récit de voyage, les genres journalistiques et le roman à proprement parler. Le jeune écrivain à la croisée des genres fait bouger les lignes et procède à des mélanges originaux.
Le récit-cadre intergénérique
- 10 Voir par exemple Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du XIXe siècle [1840-1842], (...)
- 11 Elle est insérée dans le recueil collectif Paris, ou le Livre des cent et un (t. II) publié à Paris (...)
- 12 Alexandre Dumas, Le Cocher de cabriolet, p. 266.
- 13 Ibid., p. 288.
13Le journaliste a précédé le romancier : au début de sa carrière, Dumas est influencé par les physiologies, c’est-à-dire des textes de longueur variable, qui sont comme des instantanés de la vie moderne, décrivant le plus souvent sur le mode léger des types humains ou des catégories professionnelles et sociales10. Une de ses premières nouvelles, Le Cocher de cabriolet11, adopte les caractéristiques du genre ; son incipit se présente comme une étude humoristique des différents types de cocher, développée par un narrateur-premier employant la première personne. L’étude générale se focalise ensuite sur un individu, le cocher Cantillon, qui s’empare du récit principal, s’adressant à un destinataire qui se présente comme le jeune Dumas de 1830, tout auréolé de ses succès au théâtre. Le récit-cadre de cette courte nouvelle, qui resurgit à plusieurs reprises en interrompant le récit principal (« Cantillon s’essuya le front. Je respirai, il reprit »12) et comporte un volet conclusif réduit à une ligne (« je rentrai chez moi et j’écrivis l’histoire de Cantillon telle qu’il me l’avait racontée »13), se situe donc à la croisée de l’écriture journalistique, de l’écriture biographique et du (court) roman.
14Il en va de même de l’incipit de Pauline (1838) qui fait figure de palier de transition du récit de voyage au roman. Cette continuité s’explique aussi par la parenté forte entre la technique narrative du récit de voyage et celle des romans « à tiroirs », c’est-à-dire à récits enchâssés. Prenant quelques libertés par rapport à la réalité (en quoi il ne respecte pas strictement le « pacte autobiographique »), Dumas construit ses récits de voyage comme une succession de récits intercalaires transmis par des interlocuteurs rencontrés sur le terrain ; ils sont reliés entre eux par le fil conducteur que constitue la relation de voyage stricto sensu, qui prend alors l’allure d’un récit-cadre. Il n’est donc pas surprenant que le début de Pauline se présente comme un prolongement aux Impressions de voyage en Suisse :
- 14 Alexandre Dumas, Pauline [1838], Anne-Marie Callet-Bianco (éd.), Paris, Gallimard (Folio. Classique (...)
Vers la fin de l’année 1834, nous étions réunis un samedi soir dans un petit salon attenant à la salle d’armes de Grisier [...] lorsque la porte s’ouvrit et qu’Alfred de Nerval entra.
Ceux qui ont lu mon Voyage en Suisse se rappelleront peut-être ce jeune homme qui servait de cavalier à une femme mystérieuse et voilée qui m’était apparue pour la première fois à Fluelen lorsque je courais avec Francesco pour rejoindre la barque qui devait nous conduire à la pierre de Guillaume Tell […]14.
La dimension intergénérique de cette entrée en matière s’impose d’emblée ; mélangeant curieusement des éléments d’information (la brève présentation d’Alfred de Nerval) et des mentions compréhensibles par les seuls lecteurs du Voyage (qui est Francesco ?), elle se poursuit avec un développement de plusieurs pages reprenant les épisodes principaux des rencontres manquées entre le narrateur-voyageur et son ami. Dumas se prête là au recyclage d’un matériau déjà utilisé, développant de brèves notations riches de virtualités.
15Cette porosité entre roman et récit de voyage se retrouve à plusieurs reprises : Gabriel Lambert s’ouvre sur la rencontre du narrateur à Toulon avec un forçat qu’il croit reconnaître. Cet épisode est en fait la transformation d’un épisode réel consigné dans Une année à Florence, qui relate un bref échange entre l’écrivain-voyageur et le valet de Mlle Mars, détenu au bagne de Toulon pour avoir volé ses bijoux. Les Gentilshommes de la Sierra-Morena (introduisant l’Histoire merveilleuse de Don Bernardo de Zuniga) reprend des éléments empruntés aux Impressions de voyage de Paris à Cadix (1847). Le récit-cadre des Mariages du père Olifus s’attache aux péripéties du voyage de Dumas en Belgique et en Hollande de 1849.
16Parfois aussi, le récit s’engage sur le terrain de la causerie, qui peut être perçue comme une digression. C’est ainsi que le récit-cadre des Mariages du père Olifus, mettant en scène Dumas et le peintre François Biard, s’interrompt pour faire place à une évocation du dramaturge James Rousseau dans plusieurs chapitres dont l’un est titré sans complexe « Intercalation ». La présence de ce hors-d’œuvre, dont le lien avec l’intrigue est inexistant, s’explique par l’actualité (James Rousseau vient de mourir) et par la volonté de Dumas de lui rendre hommage ; elle ne détonne pas trop dans la parution en feuilleton, perçue par le lecteur comme un échange en temps réel avec le romancier, mais apparaît comme une incongruité dans l’édition en volume.
17Au-delà de leur diversité générique, le tour de force de ces récits-cadres ou liminaires consiste à entretenir l’intérêt sur un tout autre sujet que celui du récit principal, nécessairement retardé comme pour différer le plaisir, et à offrir, en quelque sorte, un apéritif narratif. Ils illustrent aussi les stratégies d’écriture d’un auteur soucieux de prendre la main dès les premiers mots.
Usages du récit-cadre : l’appropriation
18La diversité des formes du récit-cadre n’a d’égale que la variété des usages qu’en fait Dumas, usages qui sont liés à sa présence en tant que narrateur-premier (ou relais). Peu désireux de se contenter d’un texte de statut secondaire, il opère un savant rééquilibrage entre les deux niveaux de récit. Le récit-cadre se charge alors d’un rôle important qui va très au-delà de la simple introduction.
19Dans le cas de l’écriture en collaboration, il traduit la stratégie d’appropriation de Dumas ; elle apparaît avec évidence dans les textes écrits avec Paul Meurice ou Paul Lacroix, caractérisés par une claire répartition des rôles. Le récit second (c’est-à-dire principal) est en général fourni par le collaborateur ; le récit-cadre permet à Dumas d’imprimer sa marque à l’ensemble dès le début. C’est particulièrement frappant dans Amaury et Le Château d’Eppstein, coécrits avec le jeune Paul Meurice et tous deux parus en 1843. Dans le cas d’Amaury, le manuscrit de Meurice, entièrement rédigé sur des feuilles de taille standard, montre qu’à l’origine, celui-ci commençait directement par le récit principal ; mais on trouve aussi deux lambeaux de papier présentant un embryon de récit-cadre, ce qui laisse penser qu’il a été ajouté après coup (sur la demande de Dumas ? on ne sait pas). Toujours est-il que Dumas s’empare de cette matière minimale (une discussion dans un salon) pour la développer et la personnaliser. Ce récit-cadre revu et augmenté fait d’emblée intervenir un « je » dont l’identité n’est pas précisée, mais qui peut sans trop de risque être assimilé à Dumas. Il développe un éloge de la causerie ouvertement inspiré du début d’Autre étude de femme, avant de laisser la parole à un narrateur bien identifié et historiquement attesté, le comte Casimir de Montrond, confortant la stratégie d’appropriation : Dumas, qui l’a connu et fréquenté, développe certains traits de sa biographie et de sa personnalité, avant de lui faire expliquer la genèse de l’histoire ; prendre la main sur le récit-cadre lui permet de s’attribuer également le récit rapporté.
- 15 Alexandre Dumas, Le Château d’Eppstein, Anne-Marie Callet-Bianco (éd.), Paris, Gallimard (Folio. Cl (...)
20Le Château d’Eppstein développe et amplifie cette pratique. Le récit introductif relève d’une construction complexe. Le narrateur-Dumas commence par une allusion biographique vérifiable (une causerie lors de l’hiver 1841 à Florence) puis passe le relais au comte Élim Mestscherski, personnage historiquement attesté qu’il a eu l’occasion de rencontrer. Celui-ci raconte alors avoir été témoin d’une manifestation surnaturelle au château d’Eppstein ; il transmet ensuite le récit d’un ami (rédigé en bonne partie par Paul Meurice15) expliquant l’histoire du lieu. Très loin d’une entrée en matière minimaliste, le témoignage du comte Élim rapporte avec maints détails son arrivée au château et sa nuit troublée par un fantôme. Ce récit pourrait sembler redondant par rapport à l’histoire principale, qui ne lésine pas sur les apparitions surnaturelles. C’était d’ailleurs sur un épisode de ce genre (la première apparition du fantôme de la comtesse Albine) que Paul Meurice, privilégiant le début in medias res, choisissait de faire démarrer l’action. Mais cette redondance a sa raison d’être. Dumas fait de son récit liminaire un concurrent de celui de Meurice, comme pour s’inscrire lui aussi dans cette thématique et affirmer son savoir-faire. C’est alors lui qui, reprenant la main, présente le lieu de l’action. La conséquence de cet ajout est importante : pour éviter de présenter à la suite deux épisodes comparables, Dumas remanie la construction du récit de Meurice et adopte un plan chronologique qui repousse quelques chapitres plus loin la nuit de terreur du comte d’Eppstein : le texte liminaire détermine ainsi l’organisation générale du récit.
- 16 Alexandre Dumas, La Femme au collier de velours, in Les Mille et Un Fantômes – La Femme au collier (...)
- 17 Charles Nodier (1780-1844), Casimir de Montrond (1769-1843), Théodore de Villenave (1762-1846).
- 18 Voir l’introduction des Mille et Un Fantômes, in Alexandre Dumas, Les Mille et Un Fantômes – La Fem (...)
21On retrouve cette stratégie dans le début des Mille et Un Fantômes, écrits en collaboration avec Paul Lacroix. Se présentant comme narrateur-personnage, Dumas se pose tout naturellement en destinataire puis en transcripteur des récits qu’il entend. Par ailleurs, faisant du récit-cadre une mini-nouvelle fantastique, il impose le thème directeur et s’attribue ainsi la paternité de l’ensemble. Le procédé peut aussi s’enrichir d’un hommage dédié à un ami ou un proche disparu. Le chapitre « L’Arsenal » de La Femme au collier de velours16 esquisse un long portrait de Nodier tout en mettant en scène le jeune familier de son salon. Le début du Testament de M. de Chauvelin évoque la figure de M. de Villenave, père de Mélanie Waldor, avec qui Dumas a entretenu une liaison entre 1827 et 1830 : c’est encore l’occasion pour l’auteur parvenu à maturité de céder aux souvenirs en se remémorant ses jeunes années. Dans les deux cas, le destinataire de l’hommage est censé avoir transmis l’histoire rapportée, ce qui est faux pour La Femme au collier de velours, inspirée d’une nouvelle de Washington Irving et écrite en collaboration avec Paul Lacroix ; insister sur ses liens presque filiaux avec Nodier permet alors à Dumas de s’approprier un héritage littéraire sujet à caution. La portée de ces incipit réside aussi dans leur ancrage chronologique ; ces histoires racontées par des locuteurs beaucoup plus âgés17 posent le narrateur comme un relais essentiel, non seulement entre les récits, mais entre les siècles. Né en 1802, le narrateur-Dumas, fort de ses liens avec Charles Nodier, M. de Villenave ou Casimir de Montrond, peut par leur intermédiaire opérer une plongée dans le passé et être en contact quasi direct avec la France d’avant la Révolution. Cette dimension est particulièrement importante pour les nouvelles composées lors de l’année 1849, qui marque la désillusion politique de Dumas et sa nostalgie de la société d’Ancien Régime18.
Cautionner le fantastique
22Le récit-cadre sert aussi couramment de caution au surnaturel. Celui du Château d’Eppstein démarre dans une tonalité réaliste (Dumas a bien passé l’hiver 1841 à Florence, la famille Galitzine et le comte Élim Mestscherski ont une existence attestée, comme le banquier Rotschild). Mais il s’en écarte ensuite par une transition impalpable, en rappelant la persistance d’un phénomène d’apparition à une époque proche (1838). Il suscite ainsi non pas une adhésion sans faille, mais un sentiment de proximité avec le fantastique, d’où naît la perplexité : faut-il y croire ou pas ? La personnalité du comte, tourmentée et impressionnable, est contrebalancée par les éléments concrets (données géographiques, précisions sur la chasse) qui semblent valider son témoignage. Ce va-et-vient entre les deux instances contribue à créer chez le lecteur l’hésitation et l’incertitude qui caractérisent le fantastique moderne.
23Les Mille et Un Fantômes fonctionne de façon similaire en démarrant de façon très réaliste sur une (autre) chasse, qui débouche sur une première manifestation surnaturelle. Le narrateur-Dumas rencontre un individu patibulaire en état de choc : la tête de sa femme, qu’il a décapitée, l’a mordu et lui a parlé. S’ensuivent une déposition et un procès-verbal en bonne et due forme. Invité chez le maire de Fontenay-aux-Roses, Ledru (oncle de l’homme politique Ledru-Rollin), le narrateur rencontre plusieurs personnalités à l’existence attestée, comme le chevalier Lenoir, créateur du musée des Petits-Augustins. Chaque convive raconte alors un épisode surnaturel dont il a été témoin. L’originalité de ce récit-cadre réside dans sa double fonction : sans se contenter d’un simple rôle d’introduction, il fournit la première de ces histoires extraordinaires, avec le narrateur-Dumas comme témoin « irréfutable », et rivalise d’intérêt avec les autres interventions. Par ailleurs, le décor villageois de Fontenay-aux-Roses, a priori incompatible avec le fantastique, tend à le faire accepter par contamination, comme si la réalité du décor cautionnait l’action qui s’y déroule. Dans Les Mariages du père Olifus, en revanche, le récit-cadre, qui conclut sur la folie douce du vieux marin, tranche en invalidant ses histoires fantaisistes, soulignant ainsi l’intérêt du volet final.
La mise en scène de soi
24Enfin, beaucoup de ces récits-cadres ont une finalité dominante : mettre en scène le narrateur-Dumas. La porosité, là, se joue moins avec le récit de voyage qu’avec le récit biographique. Dumas entreprend la rédaction de Mes Mémoires à partir de 1847, mais il serait plus exact de dire qu’il s’y est adonné presque dès le début de sa carrière littéraire. Dès Le Cocher de cabriolet, le processus s’enclenche : en mettant bout à bout tous les récits-cadres dans l’ordre chronologique, on obtient une sorte d’autobiographie organisée en plusieurs séquences : le fidèle de l’Arsenal, le jeune dramaturge nouvellement célèbre, le dandy et ses amis, le familier des têtes couronnées… Dumas multiplie les angles de son auto-présentation.
25Le Cocher de cabriolet présente un récit de soi soigneusement concocté qui concurrence le récit rapporté par le cocher. Le jeune dramaturge se met en scène faisant ses visites de Premier de l’An à Nodier, Taylor et Mlle Mars ; fréquentant des célébrités, il se range tout naturellement dans cette catégorie, même s’il n’est pas reconnu par son cocher. Plaisantant sur les aléas de la renommée, il dévoile d’où vient son « inspiration », suivant le cliché à la mode, qui n’est évidemment pas à prendre au pied de la lettre.
- 19 Alexandre Dumas, Pauline, p. 38.
26Dans Un bal masqué et La Salle d’armes, qui regroupe Pauline, Pascal Bruno et Murat, le récit-cadre représente l’auteur sous le masque du dandy, c’est-à-dire du jeune homme du monde. Il s’agit là d’une autocélébration par Dumas de sa réussite sociale (et non pas littéraire). Son entrée dans le cercle envié des jeunes élégants est attestée par l’adoption des codes et pratiques en vigueur : les voyages, la domesticité, la fréquentation des cercles de convivialité masculine. Dans Pauline, le narrateur-Dumas se définit comme un habitué de la salle du maître d’armes Grisier. Fréquenter cette salle signifie faire partie du club des jeunes gens élégants de Paris. Le début s’ouvre, non pas dans la salle d’entraînement, ouverte aux gens de passage, mais dans un petit salon attenant qui regroupe les « fidèles » du maître. S’incluant dans ce cercle choisi, le narrateur-Dumas insiste également sur ses liens privilégiés avec le jeune dandy Alfred de Nerval, narrateur et personnage du récit rapporté, dont il est le destinataire privilégié (« j’emmène souper Alexandre et […] je la lui raconterai ce soir »19). Il se targuera ensuite de ses liens avec le musicien Bellini, autre célébrité, et le général italien W. T. On retrouve cette auto-mise en scène dans Gabriel Lambert, qui fonctionne de manière similaire : les lieux de rendez-vous changent, de même que l’ami intime, mais l’insistance sur l’appartenance au groupe demeure. Pratiques communes (duel, jeu), échanges de cadeaux : tout contribue à poser Dumas comme membre du club des jeunes élégants. Quelques années plus tard, au début des Mariages du père Olifus, il prend la pose de l’écrivain reconnu internationalement et contacté par le prince Guillaume d’Orange. Dans Les Gentilshommes de la Sierra-Morena, il insiste sur ses liens avec la famille d’Orléans, se livre à l’analyse politique avec le général Bugeaud, et évoque complaisamment sa célébrité auprès des douaniers et des brigands.
27D’autres récits-cadres présentent l’auteur à sa table d’écriture, sans forcément beaucoup de véracité, mais avec une certaine coquetterie. Le début d’Un bal masqué le montre dérangé dans son travail par un ami, dont le prénom (Antony) suggère un dialogue entre le dramaturge et l’une de ses créatures. Retournement de situation : loin de compromettre sa production littéraire, l’importun apporte en fait au romancier une histoire toute prête. Gabriel Lambert s’ouvre sur l’écrivain en panne attelé à son drame Paul Jones, mais constamment distrait par le spectacle de la Méditerranée. Sur un ton humoristique, il expose (sous une image un peu convenue) les affres de la création pour satisfaire la curiosité des lecteurs. Cette panne d’inspiration finit par le détourner de son labeur et l’incite à céder à la magie des lieux. Felix culpa : la promenade en mer, loin des exigences de la composition, débouche sur la rencontre décisive avec un forçat d’où sortira le roman, présenté comme le fruit d’un heureux hasard. Parfois aussi, le narrateur donne à sa nouvelle une autre dimension en la présentant comme la part réalisée d’une collaboration avortée : c’est ainsi que Pascal Bruno serait né d’un projet d’opéra avec Bellini ; un autre, avec Rossini celui-là, aurait raconté l’histoire des Deux Étudiants de Bologne. Tout en insistant sur la fraternité en arts l’unissant aux musiciens de son époque, le romancier souligne aussi sa capacité à concrétiser partiellement une œuvre qui n’a pas vu le jour.
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28L’art de bien commencer prend des formes multiples : ce bref passage en revue suffit à démontrer la virtuosité de Dumas en la matière. Avec lui, le récit-cadre cesse d’être une simple utilité et acquiert une valeur intrinsèque. Sa grande plasticité le rend modelable à volonté ; genres, tons, climats, il peut tout absorber et tout assimiler, réalisant des mélanges nouveaux et originaux. Enfin, livrant une à une les pièces d’un puzzle reconstituant la figure du narrateur, il lui permet d’imprimer sa signature de façon indélébile. Loin de se cantonner à un statut subalterne, il devient alors un élément-clé du romanesque dumasien.
Notes
1 Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, Gilbert Sigaux (éd.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade ; 290), 1981, p. 3.
2 Ce qui s’explique sans doute par l’inachèvement du roman.
3 Une préface se présente en général comme un exposé esthétique.
4 C’est-à-dire un narrateur homodiégétique selon la terminologie de Gérard Genette exposée dans Figures III.
5 « La rue de Diane à Fontenay-aux-Roses », « L’impasse des sergents », « Le procès-verbal », « La maison de Scarron ». Les récits suivants comportent parfois plusieurs chapitres (et titres) ; par convention, on utilise le titre du premier chapitre comme titre du récit.
6 Ces nouvelles, rattachées aux Mille et Un Fantômes dans la parution en feuilleton, en furent détachées dans l’édition en volumes.
7 Murat paraît du 2 au 16 octobre 1836, et Pascal Bruno du 23 janvier au 3 février 1837.
8 Alexandre Dumas, Gabriel Lambert [1844], Anne-Marie Callet-Bianco (éd.), Paris, Librairie générale française (Le livre de poche. Classiques), 2009, incipit.
9 Alfred de Nerval est un personnage semi-imaginaire, inspiré du dandy-peintre Alfred d’Orsay (1801-1852).
10 Voir par exemple Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du XIXe siècle [1840-1842], Léon Curmer (dir.), Pierre Bouttier (éd.), Paris, Omnibus, vol. 1, 2003.
11 Elle est insérée dans le recueil collectif Paris, ou le Livre des cent et un (t. II) publié à Paris chez Ladvocat entre 1831 et 1834 (Le Cocher de cabriolet, p. 251-288). L’ensemble est disponible sur Gallica à l’adresse suivante : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k235412.
12 Alexandre Dumas, Le Cocher de cabriolet, p. 266.
13 Ibid., p. 288.
14 Alexandre Dumas, Pauline [1838], Anne-Marie Callet-Bianco (éd.), Paris, Gallimard (Folio. Classique ; 3689), 2002, p. 29.
15 Alexandre Dumas, Le Château d’Eppstein, Anne-Marie Callet-Bianco (éd.), Paris, Gallimard (Folio. Classique ; 6003), 2015. Nous renvoyons à notre édition de ce roman qui met en évidence la part des deux collaborateurs.
16 Alexandre Dumas, La Femme au collier de velours, in Les Mille et Un Fantômes – La Femme au collier de velours, Anne-Marie Callet-Bianco (éd.), Paris, Gallimard (Folio. Classique ; 4316), 2006.
17 Charles Nodier (1780-1844), Casimir de Montrond (1769-1843), Théodore de Villenave (1762-1846).
18 Voir l’introduction des Mille et Un Fantômes, in Alexandre Dumas, Les Mille et Un Fantômes – La Femme au collier de velours, p. 241-245.
19 Alexandre Dumas, Pauline, p. 38.
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Bibliographical reference
Anne-Marie Callet-Bianco, “L’art du récit-cadre chez Dumas”, Elseneur, 39 | 2024, 13-26.
Electronic reference
Anne-Marie Callet-Bianco, “L’art du récit-cadre chez Dumas”, Elseneur [Online], 39 | 2024, Online since 04 July 2024, connection on 03 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/elseneur/2195; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11z0m
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