Présentation
Texte intégral
- 1 Voir Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Le Seuil, 1975.
1La notion d’autobiographie, à la manière d’un « archigenre », semble avoir absorbé toutes les formes de récits qu’une « personne réelle », pour reprendre les termes de la définition célèbre de Philippe Lejeune1, « fait de sa propre vie ». Utilisée sans précautions, elle semble ainsi pouvoir étiqueter indifféremment des œuvres comme les Commentaires de César, les Confessions de saint Augustin ou les Mémoires de Saint-Simon, alors qu’aucun de ces grands textes ne paraît s’inscrire, en son acte de naissance, dans une catégorie étrangère à son temps. Et si Philippe Lejeune avait tenté de restreindre son extension en la distinguant des mémoires, cette opposition ne pouvait concerner que des configurations culturelles où la différence entre un « moi » acteur ou témoin de l’histoire et un « moi » séparé comme chimiquement du monde pouvait être pensée.
- 2 Voir Florence Dupont, L’Invention de la littérature, La Découverte, 1994.
2Ce n’est qu’en se situant constamment par rapport à des modèles d’écriture de l’histoire que l’autobiographie, en s’en dissociant, a acquis au fil du temps la visibilité d’une pratique distincte. Au xviie siècle, raconter sa vie, et même sa jeunesse ou sa vie amoureuse, est pour le cardinal de Retz un acte historiographique. Au début du xviiie, les Mémoires de Mme de Staal-Delaunay isolent dans un geste de défi, alors même que leur auteur a rencontré de grandes figures de l’histoire publique, un « moi » intime, sans pouvoir penser cet acte autrement que dans le refus larvé d’une ordinaire « histoire de soi » : son « autobiographie » n’existe donc que comme double ironique des grandes Vies (ou « Vies majuscules ») qu’elle ne veut pas imiter. En 1776, Voltaire oppose au secret mal gardé des Confessions un Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade, biographie de son illustre sujet par un « anonyme » qui l’érige en monument des lettres. Ce n’est pas sans tumulte ni sans éclats que l’autobiographie finit par s’imposer comme un genre à part entière, soustrait aux pratiques historiographiques ou spirituelles qui justifiaient jusque-là les « récits de soi ». Et si, appliquée aux textes de l’Antiquité, l’idée d’autobiographie est aussi problématique que tant d’autres (comme celle de « littérature ») dont Florence Dupont2 a montré qu’elles nous interdisaient la compréhension du passé, le monde actuel a suscité lui aussi bien des formes d’écriture de soi dont elle ne saurait légitimement rendre compte, parmi lesquels figurent ces récits dits « égohistoriques ».
3On se propose donc, dans ce numéro d’Écrire l’histoire et le suivant, d’envisager, dans une amplitude temporelle débordant largement l’époque de l’autobiographie comme notion de référence, des écritures de soi prétendant faire « œuvre d’histoire » par l’érection d’un « moi » en monument ou en exemple, par des méthodes et une démarche appliquant à soi-même les modalités de l’enquête propre à l’historien, par le refus explicite ou larvé de l’introspection « autobiographique » (et éventuellement par le refus de l’usage de la première personne), ou au contraire par la révélation parfois bouleversante de l’histoire au cœur le plus intime de l’expérience et du psychisme individuels. Ce ne sont pas seulement la pudeur et le tabou qui retiennent les « historiens de soi » au bord de l’acte autobiographique. Leur projet est différent, car il s’agit pour eux, de manière assumée et affirmée, d’écrire l’histoire tout en se racontant, et de tisser, d’une manière que chacune des œuvres dont il va être question rend singulière, des liens étroits et profonds entre un itinéraire personnel et ce qui, pour chaque période considérée, mérite d’être envisagé comme Histoire.
Notes
1 Voir Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Le Seuil, 1975.
2 Voir Florence Dupont, L’Invention de la littérature, La Découverte, 1994.
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Référence papier
Marc Hersant, « Présentation », Écrire l'histoire, 5 | 2010, 121-122.
Référence électronique
Marc Hersant, « Présentation », Écrire l'histoire [En ligne], 5 | 2010, mis en ligne le 21 mai 2013, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/elh/880 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/elh.880
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