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Champ politique

Pratiques mémoriales chez les hommes et les femmes politiques anglo-américains depuis les années 1990

Memorial practices of Anglo-American politicians since the 1980s
Bérengère Darlison and Mathias Kulpinski

Abstracts

In recent years, we have witnessed the increasing popularity of individual-centered literary forms, from memoirs to biography to auto-fiction. The success of these narratives is evident from Geri Halliwell’s best-selling If Only to David Cameron’s For the Record. The popularity of such literary forms could be linked to the sociological individualisation of society. However, for individuals, like Cameron, whose political function binds him to the specific genre of political memoirs and its long history, is this genre of self-narrative transformed by the recent surge in self-writings of all kinds ? This article explores this question through a brief study of a set of political memoirs by British and American government officials, examining the remnants of the political memoir tradition and what has been created since the surge in the publication of first-person narratives.

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Full text

  • 1  Richard Nixon, RN, the Memoirs of Richard Nixon, New York, Grosset & Dunlap, 1978, p. I.

1« This is a memoir – a book of memories1 », note Richard Nixon au sujet de ses Mémoires, RN, the Memoirs of Richard Nixon. Une telle oscillation de la part d’un ancien président des États-Unis dont la carrière politique a oscillé entre révélations et duplicité, de l’affaire Alger Hiss au Watergate, a pour effet de soulever un épineux problème de traduction. Dès la première page de son texte en effet, le mémorialiste mentionne deux termes, Memoir et book of memories, afin de désigner le genre auquel celui-ci appartient. La catégorie qui en fixe, dans le sous-titre, l’archigenre, Memoirs, apparaît pourtant plus adapté. Une incertitude sémantique s’installe alors. Memoirs, memoir, book of memories ne sont pas des termes équivalents et le traducteur se trouve contraint à bien des contorsions pour en saisir la nature. Il importe, selon l’Oxford English Reference Dictionary, de faire la distinction entre le genre désigné par le terme memoir, où l’auteur se concentre sur la remémoration d’un événement en particulier, et Memoirs au pluriel, qui suppose un horizon temporel plus étendu. Ce que Nixon appelle un book of memories pourrait bien être un recueil de souvenir. Mais si l’ancien président des États-Unis hésite à ce point sur le terme à employer, peut-être est-ce là le reflet de ses inquiétudes concernant sa propre mémoire à la suite du Watergate ? L’usage du terme approprié pour caractériser des Mémoires politiques dépendrait alors avant du contexte historique.

  • 2  Le dispositif confessionnel catholique, qu’Alois Hahn analyse comme un générateur de biographie (d (...)
  • 3  Pour une discussion approfondie de l’histoire du genre en France et des mutations récentes, voir J (...)
  • 4  D’Élie Halévy à Edward P. Thompson, il existe une analyse désormais classique, en des termes cultu (...)
  • 5  J.-L. Jeannelle, Écrire ses Mémoires…, op. cit.

2Il est certain que dans le monde anglo-américain, la tradition des Mémoires politiques ne relève pas d’une catégorie générique aussi précise qu’en France. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les récits de vie sont moins encadrés par la matrice de la confession2 et par une longue tradition française des Mémoires d’État3. Le temps long de l’imprégnation culturelle des courants chrétiens dissidents et de la spiritualité protestante en général, puis du self-help4 a eu pour effet de construire une tradition des récits de soi à la fois plus individualiste et plus démocratique, ou en tout cas présentée comme telle. Aussi le genre des Mémoires politiques, compris en France comme récit de « Vies Majuscules5 », n’est-il pas contradictoire avec une certaine histoire libérale, anglo-américaine, de l’expression de soi, qui valorise la parole démocratique ?

  • 6  Le genre avait été réactivé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, à travers les Mémoires de C (...)
  • 7  Une logique de la justification que Boltanski et Thevenot identifient dans De La Justification. Le (...)

3À regarder la production mémoriale des hommes et des femmes d’État au Royaume-Uni et aux États-Unis depuis les années 1990, une tradition de Mémoires politiques se dessine – en témoigne le fait que tous les présidents des États-Unis, de Nixon à Obama, ont écrit des Mémoires, de même que tous les Premiers Ministres britanniques depuis Thatcher6. Leur publication, après l’exercice du pouvoir, est même devenue un passage obligatoire, ainsi qu’une source de revenus et de légitimité. Le besoin de se justifier devant les citoyens semble également déterminant7. Si l’on comprend facilement le succès de ces ouvrages qui attisent la curiosité du lecteur, quels éléments récurrents confèrent à ce genre un contour régulier ? L’analyse des récits d’une dizaine d’anciens présidents ou premiers ministres, de présidentiables ou de premières dames nous permettra de comprendre ce qui fait l’unité de ce corpus hétérogène.

De Lincoln à Cameron : la longue tradition des Mémoires politiques de part et d’autre de l’Atlantique

4Les différentes œuvres qui composent notre corpus présentent, en effet, des caractéristiques communes. Ces constantes sont à la fois internes et externes aux récits de vie et s’articulent autour d’enjeux aussi bien littéraires que culturels ou encore éditoriaux. Nous verrons d’abord ce qui permet d’identifier ces œuvres comme des Mémoires politiques puis nous dégagerons des thèmes et attitudes récurrents.

  • 8  J.-L. Jeannelle, Écrire ses Mémoires…, op. cit., p. 13.

5Traditionnellement, les Mémoires sont le « récit d’une vie dans sa condition historique8 ». Autrement dit, il s’agit d’un écrit personnel mais officiel et centré sur l’action publique davantage que sur les événements personnels. Comme dans tout récit de soi, l’incipit est le lieu privilégié pour mettre en place un pacte de lecture. L’auteur y jure de dire « la vérité toute la vérité rien que la vérité » et y dévoile parfois les raisons l’ayant poussé à écrire. Madeleine Albright se plie à cette règle en faisant preuve d’une grande lucidité lorsqu’elle écrit dès les premières pages de ses Mémoires :

  • 9  « I have read many autobiographies and found the best to be the most honest. So, honest I have tri (...)
  • 10  M. Albright, « Madame le Secrétaire d’État… » Mémoires, op. cit., p. 11.

J’ai lu beaucoup d’autobiographies9 et les plus honnêtes m’ont paru les meilleures. Je me suis donc efforcée à la plus grande honnêteté, même lorsque cela n’était pas facile. […] Au contraire de l’auteur, qui l’ignorait alors, vous, lecteur, avez l’avantage de savoir ce qui s’est passé depuis [la parution du livre] et vous lirez sans doute d’un autre œil certains des chapitres clés qui suivent10.

  • 11  « Before sitting down to write, I read memoirs by other former Secretaries of State. » (Ibid.)

6Notons que quelques lignes plus haut, la mémorialiste soulignait : « Avant de me mettre à écrire, j’ai lu les Mémoires des anciens Secrétaires d’État11 ». Madeleine Albright passe de l’un à l’autre des termes comme s’ils étaient équivalents, ce qui souligne un certain flottement autour des questions génériques.

  • 12  Barack Obama, Une terre promise, Paris, Fayard, 2020, p. 5.
  • 13  Gordon Brown, My Life. Our Times, London, The Bodley Head, 2017, p. 10.
  • 14  Blair compare par exemple la prise de poste d’Obama en 2008 à la sienne en 1997 (voir Blair, A Jou (...)
  • 15  Voir note 11.

7Ces Mémoires politiques s’inscrivent dans une longue tradition et en respectent les codes. Abraham Lincoln est le premier président à avoir écrit ses Mémoires, et il est considéré comme la figure tutélaire par tous les mémorialistes politiques américains. Après la Seconde Guerre mondiale, Eisenhower ravive cette coutume avec Croisade en Europe [Crusade in Europe, 1948], de même que Churchill au Royaume-Uni avec ses Mémoires sur la Seconde Guerre mondiale [The Second World War, 1948-1954]. Sans que cela ne soit un critère des Mémoires à proprement parler, la plupart des auteurs choisissent, en guise de captatio benevolentiae, une entrée in medias res : souvent un trajet qui les conduit vers Buckingham ou la Maison Blanche. 10 Downing Street s’ouvre et s’achève ainsi par un trajet en voiture avec Denis Thatcher vers puis loin du lieu éponyme ; Le Temps des décisions commence avec le voyage en voiture d’Hillary Clinton en chemin pour rencontrer Obama – entretien clef dans sa carrière car c’est là que le sénateur de l’Illinois lui demandera de rejoindre son équipe dans la campagne de 2008 ; Une terre promise commence alors que la famille Obama est sur le point de partir en vacances avec le Air Force One, épuisée par « l’issue inattendue d’une élection », mais avec la « satisfaction » de savoir « qu’[elle avait] fait de [s]on mieux [et que] le pays était à présent en meilleure voie que lorsqu[e Barack Obama] avai[t] pris [s]es fonctions12 ». Le déroulé est souvent chronologique : plus ou moins bref récit des jeunes années, quelques anecdotes sur la vie de famille (les Britanniques tendent néanmoins à être plus discrets sur ce sujet que les Américains), entrée en politique, élection, victoire, récit du ou des mandat(s), élection du successeur. On peut relever des topoï, en particulier celui de l’intégration au melting-pot américain (même Madeleine Albright, pourtant assez sobre dans son récit, rappelle qu’elle est née à Prague avant de migrer pour les États-Unis et donne à lire avec émotion son passage devant la statue de la Liberté). Nombreux sont les auteurs à mentionner leur dette envers tel ou tel homme politique les ayant précédés, inscrivant de cette manière leurs Mémoires dans une famille politique. Chez George W. Bush, on retrouve Lincoln, Reagan, Roosevelt, Truman (quatre présidents qui sont fréquemment cités dans les Mémoires politiques) et son propre père. Blair de même que Gordon Brown13 citent à plusieurs reprises Obama comme instance légitimant leur politique conciliatrice et libérale. Tous deux justifient rétrospectivement le New Labour en utilisant la figure populaire d’Obama dont ils partagent en grande partie le programme politique14. Madeleine Albright est, quant à elle, plus explicite lorsqu’elle avoue dans son introduction qu’elle a effectué un travail de recherches préparatoires comme nous l’avons vu plus haut15.

8Les hommes et femmes politiques reviennent sur leur carrière et leur(s) mandat(s), mais ce qui suscite plus encore l’intérêt des lecteurs n’est autre que la perspective d’en apprendre davantage sur leur personnalité. Dans l’introduction de son journal, qu’il intitule « Lettre à “mes chers amis français” », George H. W. Bush a pleinement conscience de cet horizon d’attente :

  • 16  George Bush, Journal d’un président. 1942-
    2005
    , Paris, Odile Jacob, p. 10-11.

Aux États-Unis, quand un président quitte ses fonctions, il est de tradition qu’il écrive ses mémoires. Quand j’ai quitté la Maison Blanche en 1993, j’ai définitivement refusé. […] Je pensais que ces deux livres rendaient très bien compte de mon parcours : le côté personnel avec le livre de Barbara et mes idées sur la politique étrangère avec mon livre À la Maison Blanche. C’était aux historiens de faire le reste. Cependant, ma famille et mes amis n’étaient pas d’accord. Ils considéraient qu’il manquait quelque chose d’important et que les historiens ne parviendraient pas à donner à voir et à comprendre en profondeur ce qui fait battre mon cœur ; il manquait un livre exposant mes valeurs et ce qui m’a guidé tout au long de ma vie16.

  • 17  La France étant un pays laïc, les hommes et femmes politiques ne font jamais référence à Dieu et l (...)
  • 18  Phillips Kevin, « “The Reagan Diaries”: A Daily Journal from the White House », The New York Times(...)
  • 19  Bill Clinton, Ma vie, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 1330.

9Ce goût pour le particulier, l’intime, semble constituer l’une des caractéristiques principales de l’écriture mémoriale anglo-américaine. Le lecteur a ainsi le sentiment d’accéder à la vie secrète du personnage politique découvrant le quotidien du président à travers ses yeux. À cet égard, le fort ancrage religieux omniprésent dans les textes peut être perçu comme relevant de cette sphère intime17 pour un lecteur français. Pensons par exemple aux nombreuses références bibliques qui émaillent ces Mémoires, surtout chez les Américains mais également chez Thatcher et Major. Comme le remarque le critique du New York Times à la lecture du journal de Reagan, « la famille et la religion étaient deux sujets qui lui tenaient très à cœur18 ». Cependant, sans nier l’apparente religiosité de ces divers acteurs politiques, il semble que cet univers chrétien fasse avant tout partie d’une stratégie argumentative fondée sur un imaginaire collectif. C’est ainsi en tout cas que l’on peut comprendre la conclusion de Ma vie. Bill Clinton19 y insère une citation de Saint Paul sur la foi, l’espérance et la charité pour justifier sa différence avec ceux qu’il considère d’extrême droite et qui déclarent détenir l’entière vérité, se rangeant ainsi du côté des Élus et dénigrant ceux qui constituent la Bible Belt.

  • 20  Gary Younge, « A Promised Land by Barack Obama Review – an Impressive but Incomplete Memoir », The (...)
  • 21  G. Bush, avec Brent Scowcroft, À la Maison Blanche, 4 ans pour changer le monde, p. 7.

10Les enjeux du récit varient selon le moment où l’écriture prend place dans la carrière politique, mais tous ces Mémoires sont empreints d’une forte dimension justificative20. Au point de verser parfois dans le genre des Mémoires à visée apologétique, écrits pour répondre à un procès médiatique (ou ici à l’opinion populaire) et pour rétablir sa version des faits. Chaque homme ou femme politique a conscience que son mandat sera jugé par les lecteurs et les électeurs (même si, comme le faisait remarquer une éditrice de Mémoires politiques dans un entretien qu’elle nous a accordé, la plupart tomberont certainement rapidement dans l’oubli) et leurs Mémoires peuvent se lire comme une tentative de proposer un contre-récit à laisser en héritage. Cela se traduit par un double mouvement d’emphase et d’atténuation. D’un côté, chacun annonce prendre le pouvoir à un moment crucial de l’histoire, tel George H. W. Bush qui relate les événements ayant eu lieu entre 1989 et 1991, à savoir la fin de la guerre froide ou l’« émergence des États-Unis comme puissance dominante21 » et hyperbolise ses succès politiques. Cet extrait de l’introduction des Mémoires d’Hillary Clinton donne bien à lire une certaine grandiloquence :

  • 22  Hillary Rodham Clinton, Le Temps des décisions, 2008-2013, Fayard, Paris, 2014, p. 10-11.

Ce livre parle des choix que j’ai effectués en tant que secrétaire d’État, et de ceux qu’ont faits le président Obama et d’autres dirigeants dans le monde. Certains chapitres portent sur des événements qui ont été à la une, d’autres sur les tendances de fond qui continueront à définir notre planète pour les générations futures. […] J’espère que ce livre sera utile à tous ceux qui veulent savoir ce qu’a défendu l’Amérique dans les premières années du xxie siècle, et comment l’administration Obama a affronté de grands défis en des temps périlleux22.

11De l’autre côté, pacte de lecture oblige, les hommes et femmes politiques reviennent sur leurs échecs, mais cela passe souvent par l’euphémisme, voire le mode défensif. Il en va ainsi de David Cameron qui dévoile dès les premières pages une grande amertume et un besoin de se justifier :

  • 23  En l’absence de traductions publiées en France, toutes les traductions sont le fait des auteurs. « (...)

Mais je sais qu’il y a ceux qui ne me pardonneront jamais pour l’avoir organisé [le référendum], ou au moins pour avoir échoué à obtenir le résultat que je désirais, à savoir un Royaume-Uni resté dans une UE réformée. Je regrette profondément le résultat et reconnais que mon approche a échoué. Les décisions que j’ai prises ont contribué à cet échec. J’ai échoué23.

12La démarche de justification semble être entreprise pour soi autant que pour le public. C’est en tout cas le sentiment du lecteur face à la conclusion des Mémoires de Madeleine Albright :

  • 24  M. Albright, « Madame le Secrétaire d’État… » Mémoires, op. cit., p. 611-619.

On ne peut quitter ses fonctions sans tenter de dresser un bilan […]. On ne peut quitter ses fonctions sans regretter d’avoir mieux fait. […] Ce qu’il peut y avoir de plus pénible quand on écrit ses Mémoires, c’est de se rendre compte qu’en mettant le point final, sa vie – sa partie intéressante du moins – est derrière soi. Ce n’était pourtant pas ce que je ressentais24.

13Parfois, cette atténuation prend des accents de mauvaise foi. On se rappelle George W. Bush qui, interviewé sur le plateau de NBC, refusa de s’excuser devant les Américains d’avoir engagé la guerre en Irak en déclarant : « S’excuser signifierait que cette décision était mauvaise. Et je ne pense pas que c’était une mauvaise décision ». C’est d’ailleurs ce manque d’autocritique d’un ancien président s’efforçant d’humaniser ses erreurs pour s’attirer la sympathie du lecteur que la critique a épinglé.

  • 25  Avec par exemple plus de deux millions de copies vendues en deux mois pour Instants décisifs, reco (...)
  • 26  « I wanted to be a good man, have a good marriage and children, have good friends, make a successf (...)

14Car oui, exercice littéraire, historique, stratégique, l’écriture des Mémoires politiques semble relever avant tout d’un exercice médiatique. Ces ouvrages se distinguent du reste de la production littéraire car ce sont des best-sellers25, tout en endossant les atours du genre plus respectable des Mémoires. Ils sont donc prisés de certaines maisons d’édition. En France, c’est Plon qui historiquement est l’éditeur des Mémoires politiques mais l’on compte d’autres maisons aujourd’hui, comme Fayard, Flammarion, Gallimard, le Seuil, etc. Chez les Américains comptent principalement Crown Publishing Group (éditeurs des Obama et de Bush), Simon & Schuster, Alfred A. Knopf (Barack Obama, Clinton) et HarperCollins. Le succès de ces livres est en grande partie dû au style particulier que nous évoquions, mélange de secrets d’État, d’anecdotes personnelles et de plume d’un « Grand Homme », mais certainement par-dessus tout à l’identité même de leur auteur ou autrice. Cela se trouve corroboré par le fait qu’aucun de ces ouvrages n’a de préface ou de mise en contexte de l’éditeur, même dans la traduction ; le statut des locuteurs n’est plus à prouver. La spontanéité de Bill Clinton, qui flirte avec l’arrogance, illustre précisément ce constat. Dans son introduction, celui-ci se souvient avoir écrit la liste de ses priorités dans sa jeunesse, dans laquelle figurait : devenir quelqu’un de bien, faire un mariage heureux, avoir des enfants et de vrais amis, faire une brillante carrière politique et écrire un grand livre. Et Clinton d’illustrer la manière dont il a atteint chacun de ses objectifs et de conclure : « Ai-je écrit un grand livre ? Qui sait ? Je suis certain, en tout cas, qu’il s’agit d’une bonne histoire26 ». Les Mémoires de Ronald Reagan font exception, car il s’agit d’un ouvrage posthume dont il fallait expliquer la démarche au public. L’éditeur loue l’authenticité de ce manuscrit et en révèle l’intérêt :

  • 27  « As soon as I started reading the daily entries the president had written, I could almost hear hi (...)

Dès que j’ai commencé à lire les entrées quotidiennes que le président avait écrites, je pouvais presque entendre sa voix. […] Dans ces écrits, la vraie nature de Ronald Reagan se révèle. Sa vision du monde facile et humble se dévoile dans ces pages : authentique, attentive et attentionnée27.

Aux frontières du genre

  • 28  Dont le titre original, A Journey, témoigne déjà de sa volonté de s’émanciper du genre.

15Le genre des Mémoires politiques anglo-américains, dans son déroulé formel et sa présentation, a donc des contours stables. Si certains hommes politiques essayent d’échapper à cette étiquette un brin conservatrice, il semble difficile de s’émanciper totalement de sa forme. Ainsi, Tony Blair ouvre-t-il ses Mémoires28 en affirmant :

  • 29  « I wanted this book to be different from the traditional political memoir. Most such memoirs are, (...)

Je voulais que mon livre soit différent des Mémoires politiques traditionnels. Je trouve que ce genre de récits, de manière générale, ne tient pas. Donc ce que vous trouverez ici n’est pas une description conventionnelle des personnes que j’ai rencontrées ou des actions que j’ai entreprises29.

16En toute logique, il présente ensuite le type de récit qui sera le sien, et le caractérise en ces termes :

  • 30  « There is a range of events, dates, other politicians absent from it, not because they don’t matt (...)

Il y a donc des évènements, des dates, des personnalités politiques que vous ne trouverez pas dans ce livre. Et ce, non pas parce qu’ils n’ont pas d’intérêt, mais parce que j’ai essayé d’écrire comme un dirigeant, et non comme un historien. Il y a déjà eu, et il y aura encore, des livres pour faire l’histoire de mes dix ans à Downing Street. Leurs auteurs peuvent être variés, mais il y a un point de vue qu’ils ne pourront jamais avoir. C’est celui de la personne au centre de cette histoire, et cette personne, c’est moi. Ce livre, c’est mon récit personnel, celui de mon périple à travers une période de l’histoire durant laquelle ma personnalité politique – et peut-être même mon caractère propre – a évolué et changé30.

17Tony Blair présente un ensemble solide de caractéristiques pour définir des Mémoires politiques qu’il prétend ne pas être en train d’écrire. Mais il semble tout compte fait compliqué de ne pas tomber dans la catégorie des Mémoires politiques, où un homme ou une femme d’État revient sur son temps au pouvoir.

  • 31  Ce dernier est cependant souvent maigre ; chez Blair par exemple la préface que nous venons de cit (...)

18On observe que le genre a des contours plus stricts en France, ce qui est assez saillant lorsque l’on considère le paratexte éditorial31. En ce qui concerne Tony Blair, le titre passe de A Journey à Mémoires, et la méditation de l’auteur, en préface, sur la désignation générique de son récit disparaît au profit d’une préface dédiée à sa relation avec la France. Les Mémoires de Margaret Thatcher sont titrés The Downing Street Years en anglais, et 10 Downing street. Mémoires en français. Il s’agit de bien réinscrire ces écrits dans le genre mémorial. Toutefois dans le corps du texte, les traductions reprennent la plupart du temps la plus grande flexibilité sémantique de l’anglais concernant le genre du récit. En sorte que les Mémoires deviennent des autobiographies sans trop de détours. On peut suggérer qu’en anglais, le terme d’autobiographie fonctionne comme un hyperonyme pour tout récit de soi, et que les traductions pressées des Mémoires politiques font peu de cas des subtilités génériques soulevées par l’emploi d’autobiographie ou de Mémoires en français.

  • 32  Une logique de deuil de l’identité réelle de l’auteur, un envol fictionnel, que Paul De Man repère (...)
  • 33  H. Clinton, Living History, op. cit., p. 12.

19En revanche, le type de stratégies discursives derrière chaque récit peut varier. Les Mémoires politiques, suivant leurs contextes, peuvent avoir différentes fonctions dans une carrière politique : dresser un bilan, se justifier, préparer de prochaines élections. Ces écrits visent à un effet direct, et le processus de remémoration y est peut-être moins important que leur empreinte sur le présent. Les Mémoires politiques de Richard Nixon et de Jimmy Carter, bien qu’appartenant au même genre, remplissent par exemple deux fonctions différentes. Tous deux écrivent des Mémoires à la suite de leur mandat, conçus comme des justifications de leur exercice du pouvoir. Mais ils publient également des Mémoires politiques plus tardifs, dans une optique bien différente : il s’agit ici de clore une carrière politique en dressant le bilan et en insistant sur les aspects les plus avantageux d’une activité postprésidentielle marquée par des services diplomatiques. Un même chef d’État peut donc écrire deux récits de Mémoires politiques, aux stratégies discursives distinctes et aux conséquences sur l’identité de leur auteur drastiquement éloignées. Imaginons ainsi un lycéen piochant au hasard, à la bibliothèque, le dernier récit de Richard Nixon pour préparer un exposé : celui-ci en apprendra plus sur la vision politique et la carrière de diplomate de Nixon que sur le Watergate et ses conséquences. L’identité même de l’auteur est bien rétroactivement modifiée par l’écriture mémoriale32. Pour Hillary Clinton, la publication de Living History, en 2003, répond autant à une dimension justificative (son rôle actif de première dame et la fin dramatique du mandat de son époux) qu’à la volonté de préparer sa carrière politique et d’installer son identité de future présidentiable (loyale et pragmatique). Son récit « expose les raisons pour lesquelles [elle a] pris la décision d’être candidate au Sénat américain dans l’État de New York et de faire entendre [s]a propre voix politique33 ». Les Mémoires politiques sont donc un genre formellement déterminé, mais au contenu variable et aux effets divers selon leur contexte de publication. Comme la plupart des écrits politiques, ce sont des écrits destinés à agir, à faire événement. Ainsi, leur pérennité est-elle aussi limitée que leurs volumes de vente sont importants. De fait, le temps du politique, son urgence, s’accorde d’une étrange façon au temps long d’une vie présentée dans des Mémoires.

20Une autre difficulté soulevée par le genre tient à ce que leurs auteurs ne sont pas reconnus comme des écrivains professionnels. Ils doivent pourtant répondre rapidement à une urgence éditoriale. Aussi les personnalités politiques sont-elles souvent secondées dans l’écriture de leurs Mémoires. George W. Bush écrit les siens avec son ancien conseiller Brent Snowcroft, David Cameron tient son journal – dont il tirera ses Mémoires – grâce à l’aide de son ami journaliste Danny Finkelstein. Ces intermédiaires dans l’écriture compliquent donc le statut des Mémoires politiques. De tels écrits, dans la veine d’un pacte autobiographique, sont censés garantir l’authenticité d’une confession. Or la pression d’un horizon politique à court terme ou une stratégie commerciale et éditoriale sèment le doute sur la valeur que l’on peut accorder à la parole de leur(s) auteur(s). Quand Bill Clinton touche une avance de 15 millions de dollars pour écrire ses Mémoires, il ne peut de toute évidence pas se permettre d’écrire autre chose que des Mémoires d’un genre conventionnel (lisible pour tous), et ne peut de même éviter de faire le récit de l’affaire Lewinsky (qui suscitera les ventes) : tel en est le prix. Le problème de la crédibilité de la parole politique est aigu, et certains de ces Mémoires politiques impliquent des dispositifs destinés à rassurer le lecteur de la véracité du récit. David Cameron mentionne par exemple son journal pour garantir de sa bonne foi lorsqu’il est question des décisions ayant mené au Brexit. Chez Richard Nixon, les premiers Mémoires politiques sont indubitablement à visée justificative. Dans le contexte de 1978, qui peut croire sur parole l’ancien président ? Face à ces doutes, Nixon présente ses Mémoires comme un travail quasi historique, fondé sur des archives (des transcriptions de conversations enregistrées) produites spécialement pour l’écriture du livre :

  • 34  « For the Watergate period I have used some of the tape transcripts that are already public or tha (...)

Pour les événements du Watergate, j’ai utilisé certaines des transcriptions de bandes magnétiques qui sont déjà publiques ou qui ont été utilisées par le procureur spécial dans le cadre de différentes enquêtes et procès. Afin de reconstituer aussi complètement que possible ce que je savais et ce que j’ai fait au cours de la période cruciale qui a suivi immédiatement l’effraction du Watergate, j’ai demandé à Mme Marjorie Acker, membre de mon équipe depuis les années de la vice-présidence, de dactylographier également les transcriptions des enregistrements de toutes les conversations que j’ai eues avec H. R. Haldeman, John Ehrlichman et Charles Colson au cours du mois qui a suivi mon retour à Washington après l’effraction, soit du 20 juin au 20 juillet 197234.

21Les Mémoires politiques sont donc des écrits d’action au statut incertain dans le temps, pris entre l’urgence de l’actualité politique et la défiance du lectorat vis-à-vis d’une parole politique toujours suspecte.

Vers un renouveau du genre ?

22Cette fragilité du lien de confiance entre le lectorat et l’auteur de Mémoires politiques, dans un contexte où la figure d’hommes et de femmes politiques a considérablement évolué ces trente dernières années, pousse au renouveau du genre. La fonction présidentielle, aux États-Unis notamment, est plus que jamais marquée par de forts contrastes entre différents styles de présidence. Les mises en scène de la vie d’un président sont intensifiées par la volonté de se démarquer de son prédécesseur. Les Mémoires politiques, comme récits d’action, écrits d’un passé agissant sur le présent, sont à leur tour pris dans cette logique.

23Cette très bonne critique de Walter Isaacson sur les Mémoires de Bill Clinton, fait le constat de l’inscription de ce type de récit dans le moment de l’écriture et le style de l’époque :

  • 35  « If each era gets the leaders it deserves, then it is also true that each gets the memoirs it des (...)

Si chaque époque a les dirigeants qu’elle mérite, alors il est également vrai que chacun a les Mémoires qu’il mérite. […] Comme une version du Pilgrim’s Progress pour les baby-boomers, ce livre présente un héros qui erre dans la nature sauvage du monde du Vietnam au 11 septembre, où l’idéalisme sincère se heurte à l’ambition sans complexe. […] L’introspection psychologique de Clinton, exprimée dans le jargon de la thérapie personnelle et de la thérapie de couple, est une autre raison pour laquelle ses mémoires se lisent comme une pièce d’époque35.

  • 36  Richard Nixon, In the Arena. A Memoir of Victory, Defeat, and Renewal, New York, N.Y., Simon and S (...)
  • 37  Comme le fait remarquer Sophie de Closets, éditrice des Mémoires de Barack et de Michelle Obama, B (...)
  • 38  Dont bell hooks fait la présentation sérieuse dans Sisters of the Yam. Black Women and Self-Recove (...)
  • 39  Chez elle il est alors question d’un snack nocturne pris dans la cuisine de la Maison Blanche.
  • 40  Les Mémoires d’Hillary Clinton et ses activités de « première dame » avaient montré la voie.
  • 41  Son livre le plus récent, The Light We Carry, paru à l’automne 2022, se présente directement comme (...)

24Ma vie contraste fortement avec le ton plus sobre des Mémoires de Richard Nixon, « produit d’une génération qui cachait plus ses émotions, qui était plus inhibée36 ». De la même manière, les multiples récits de vie des Obama ne peuvent pas être simplement mis à la suite d’une longue tradition des Mémoires politiques. En premier lieu, parce que Barack Obama est écrivain, tout autant qu’homme politique37. Dreams from My Father paraît en 1995, pour témoigner de son parcours, d’Honolulu jusqu’à son admission à Harvard, mais aussi pour préparer son entrée en politique, en tant que candidat aux sénatoriales de l’Illinois (mandat qu’il obtiendra en 1997). Dans ce premier récit, il développe déjà un style dans lequel l’exemplarité de sa conduite est le principal argument rhétorique. À partir de cette date, la carrière de Barack Obama est partagée entre l’écrivain et l’homme politique. Celui-ci présente un cas peut-être unique d’un président des États-Unis ayant écrit ses Mémoires avant même d’être président – et des Mémoires qui ont, dans une certaine mesure, eu un effet sur son élection. Suivront ses Mémoires postprésidentiels, parus en 2020. Obama ne s’inscrit donc que partiellement dans la tradition des Mémoires politiques en tant que récit rétrospectif sur l’exercice du pouvoir, bien qu’il connaisse toutes les ficelles du genre. Ses écrits doivent aussi être replacés dans le contexte d’une littérature de Self-Help afro-américaine et chrétienne38. Son ton est très pédagogique, assuré, et il cherche tout autant à être exemplaire que proche du lecteur. Les huit premières pages d’Une Terre Promise sont ainsi consacrées à une description de son style de vie à la Maison Blanche (la contemplation du jardin, sentir une fleur), son corps (sa démarche hawaïenne – son pas lent). Avant d’entrer à proprement parler dans les Mémoires et leur déroulement classiquement chronologique, Obama fait entrer le lecteur dans sa vie et met en place une illusion de proximité. Michelle Obama utilise exactement le même procédé dans la préface de Devenir39. Chez elle, le genre des Mémoires politiques se trouve particulièrement bousculé : alors qu’elle n’a pas exercé de fonction40, ses Mémoires, Devenir, se sont écoulés à plus de dix millions d’exemplaires. Oscillant entre confessions intimes, commentaires politiques et conseils de développement personnel, son récit renouvelle le genre des Mémoires politiques à l’aune d’une tradition afro-américaine de l’expression de soi41.

  • 42  « So Obama pointed to convergence under the sign of the promise of an American metaculture, not et (...)
  • 43  « Obama, always the teacher, provided models of comportment for political action: not “hey hey ho (...)

25Cette atmosphère que l’on retrouve dans les récits de Barack et Michelle Obama, Lauren Berlant l’analyse comme une forme d’opulisme, un populisme toujours positif, atmosphérique et aux contours flous, supportant des projets vagues (l’espoir, yes we can) auxquels on peut souscrire facilement42. Le style opuliste s’appuie également sur la posture de pasteur/professeur, toujours exemplaire, que construit Obama43. De fait, il est difficile de placer une limite entre les Mémoires de l’ancien président des États-Unis et son identité politique, tant les deux sont imbriqués. La fonction instrumentale de son récit est alors pleinement assumée (donner l’exemple, agir sur les préjugés, motiver) et prend l’apparence d’une extension de son identité politique.

  • 44  C’est ce que lui reproche Chimamanda Ngozi Adichie ; d’après elle Obama reste trop superficiel, il (...)

26Le style opuliste ne remet pour autant pas en cause le genre des Mémoires politiques. En effet, le cœur de ces Mémoires postprésidence au format extrêmement long (2 112 pages), ne concerne évidemment pas les flâneries à la Maison Blanche. Le sujet reste pour Obama la présentation, parfois – rarement44 – la justification, de ses actions durant sa présidence. Mais le cas Obama prouve qu’il existe un certain renouveau du genre des Mémoires politiques, avec un contenu narratif plus flexible, en fonction de la personnalité politique qui incarne le récit. L’appareil éditorial et marketing encadrant Une Terre Promise témoigne de cette nouvelle manière, plus personnelle, d’incarner la fonction présidentielle. Notons qu’en périphérie de la publication du livre, la plateforme de streaming Spotify met en ligne une playlist officielle estampillée Une Terre Promise, avec les morceaux mentionnés dans le livre et aimés par Obama. Les Mémoires politiques ne sont plus ici seulement centrés sur des faits, ils sont aussi une machine à créer une ambiance et une identité.

27L’ensemble des Mémoires publiés depuis 1990 semble bien constituer un tout homogène, s’inscrivant dans une tradition longuement établie et transatlantique. Chaque auteur a son style, et la teneur des discours varie selon que l’ouvrage est publié entre deux mandats ou en fin de carrière, selon la sensibilité et la stratégie argumentative que l’écrivain déploie. Les Mémoires politiques sont un objet littéraire bien identifié du public comme des hommes et femmes politiques eux-mêmes et, malgré des différences inévitables, cet exercice d’écriture est un passage obligé avec un déroulé attendu. Néanmoins, les Mémoires des Obama, parus récemment, semblent ouvrir la voie à d’autres expérimentations narratives et stylistiques, tout en conservant la forme traditionnelle du genre. Les Mémoires de Joe Biden, s’il en écrit, seront-ils dans la même veine que ceux des Obama ? Reviendra-t-il à quelque chose de plus classique ? Les récits de Michelle et Barack Obama sont-ils un moment à part, une exception dans le corpus, ou bien le signe d’une mutation profonde du genre ? Rishi Sunak écrira-t-il des Mémoires dans le style de ses prédécesseurs au 10 Downing Street ou écrira-t-il quelque chose de plus personnel, de plus direct, à la Obama, en tant que premier Premier ministre non blanc-non anglican ?

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Notes

1  Richard Nixon, RN, the Memoirs of Richard Nixon, New York, Grosset & Dunlap, 1978, p. I.

2  Le dispositif confessionnel catholique, qu’Alois Hahn analyse comme un générateur de biographie (dans « Narrative Identity and Auricular Confessions as Biography-Generator », Studies in History of Religions, 1998, p. 27-52). Paul Ricœur revient également avec profondeur sur le dispositif narratif confessionnel chez Saint-Augustin et ses conséquences sur la structure des récits de soi en Occident dans Temps et récit I.

3  Pour une discussion approfondie de l’histoire du genre en France et des mutations récentes, voir Jean-Louis Jeannelle, Écrire ses Mémoires au xxe siècle, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 2008.

4  D’Élie Halévy à Edward P. Thompson, il existe une analyse désormais classique, en des termes culturalistes, des influences successives du méthodisme et du self-help sur les manières de s’exprimer et de faire de la politique dans le monde britannique, du milieu de xviiie siècle et au xxe siècle.

5  J.-L. Jeannelle, Écrire ses Mémoires…, op. cit.

6  Le genre avait été réactivé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, à travers les Mémoires de Churchill notamment.

7  Une logique de la justification que Boltanski et Thevenot identifient dans De La Justification. Les économies de la grandeur (Paris, Gallimard, coll. « NRF essais », 1991), particulièrement dans le chapitre « La cité du renom » où il est questions de la modernité politique, qui ouvre l’âge de la justification. Ainsi un homme d’État moderne, contrairement à un souverain absolu, doit-il justifier de son exercice pour que l’on puisse juger, rétrospectivement, de sa valeur.

8  J.-L. Jeannelle, Écrire ses Mémoires…, op. cit., p. 13.

9  « I have read many autobiographies and found the best to be the most honest. So, honest I have tried to be, even when it has been hard. » (Madeleine Albright, Madam Secretary, New York, Miramax, 2003, p. 14).

10  M. Albright, « Madame le Secrétaire d’État… » Mémoires, op. cit., p. 11.

11  « Before sitting down to write, I read memoirs by other former Secretaries of State. » (Ibid.)

12  Barack Obama, Une terre promise, Paris, Fayard, 2020, p. 5.

13  Gordon Brown, My Life. Our Times, London, The Bodley Head, 2017, p. 10.

14  Blair compare par exemple la prise de poste d’Obama en 2008 à la sienne en 1997 (voir Blair, A Journey. A Political Life, New York, Vintage Books, 2011, p. 22).

15  Voir note 11.

16  George Bush, Journal d’un président. 1942-
2005
, Paris, Odile Jacob, p. 10-11.

17  La France étant un pays laïc, les hommes et femmes politiques ne font jamais référence à Dieu et les Français tendent à considérer que la foi relève de la sphère privée. En outre, la France étant un pays de tradition plutôt catholique, l’idée y domine que l’intimité est réservée aux confessionnaux, alors que la culture protestante encourage les écritures de soi, les récits spirituels et la confession publique.

18  Phillips Kevin, « “The Reagan Diaries”: A Daily Journal from the White House », The New York Times, 13 juin 2007, sect. Arts, URL : https://www.nytimes.com/2007/06/13/arts/13iht-IDLEDE16.html, consulté le 9 mai 2024.

19  Bill Clinton, Ma vie, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 1330.

20  Gary Younge, « A Promised Land by Barack Obama Review – an Impressive but Incomplete Memoir », The Guardian, 26 november 2020 [« A political autobiography generally has one eye on the reader (if you’re lucky) and the other on posterity – an endeavour, in equal parts explanatory and justificatory, that seeks to set the record straight and secure a favourable place in history. »]

21  G. Bush, avec Brent Scowcroft, À la Maison Blanche, 4 ans pour changer le monde, p. 7.

22  Hillary Rodham Clinton, Le Temps des décisions, 2008-2013, Fayard, Paris, 2014, p. 10-11.

23  En l’absence de traductions publiées en France, toutes les traductions sont le fait des auteurs. « But I know there are those who will never forgive me for holding it, or for failing to deliver the outcome – Britain staying in a reformed EU – that I sought. I deeply regret the outcome and accept that my approach failed. The decisions I took contributed to that failure. I failed. » (David Cameron, For the Record, London, William Collins, 2019, p. 18).

24  M. Albright, « Madame le Secrétaire d’État… » Mémoires, op. cit., p. 611-619.

25  Avec par exemple plus de deux millions de copies vendues en deux mois pour Instants décisifs, record anciennement détenu par Clinton, numéro 1 des listes de vente ; même les Mémoires de Reagan qui ont moins fait sensation ont tout de même atteint le 8e rang des meilleures ventes.

26  « I wanted to be a good man, have a good marriage and children, have good friends, make a successful political life, and write a great book. », « As for the great book, who knows? It sure is a good story. » (Bill Clinton, Ma vie, op. cit., p. 10).

27  « As soon as I started reading the daily entries the president had written, I could almost hear his voice. […] In these writings, Ronald Reagan’s true nature is revealed. His uncomplicated and humble notions are on display in these pages genuine, thoughtful, and caring. » (Ronald Reagan, Mémoires, op. cit., p. 10).

28  Dont le titre original, A Journey, témoigne déjà de sa volonté de s’émanciper du genre.

29  « I wanted this book to be different from the traditional political memoir. Most such memoirs are, I have found, rather easy to put down. So what you will read here is not a conventional description of who I met or what I did. » (T. Blair, A Journey, op. cit., préface à l’édition originale).

30  « There is a range of events, dates, other politicians absent from it, not because they don’t matter, but because my aim was to write not as a historian, but rather as a leader. There have been plenty of accounts – and no doubt will be more – of the history of my ten years as prime minister, and many people could write them. There is only one person who can write an account of what it is like to be the human being at the center of that history, and that’s me. So this is a personal account; a description of a journey through a certain period of history in which my political, and maybe to a certain degree my personal character evolves and changes. » (Ibid., p. 20).

31  Ce dernier est cependant souvent maigre ; chez Blair par exemple la préface que nous venons de citer n’a pas été traduite dans l’édition française. De manière générale, il n’y a pas ou peu de notes d’éditeurs, et les quatrièmes de couverture sont la plupart du temps des traductions littérales des éditions originales.

32  Une logique de deuil de l’identité réelle de l’auteur, un envol fictionnel, que Paul De Man repère dans « Autobiography as de-Facement », MLN, vol. 94, no 5, décembre 1979, p. 919-930.

33  H. Clinton, Living History, op. cit., p. 12.

34  « For the Watergate period I have used some of the tape transcripts that are already public or that were used by the Special Prosecutor in different investigations and trials. In an effort to reconstruct as completely as possible what I knew and what I did in the crucial period immediately following the Watergate break-in, I asked Mrs. Marjorie Acker, a member of my staff since the vice presidential years, to type transcripts as well of the tapes of every conversation I had with H. R. Haldeman, John Ehrlichman, and Charles Colson for the month after my return to Washington following the break-in, June 20–July 20, 1972 ». (R. Nixon, RN. Memoirs of Richard Nixon, op. cit., p. 8).

35  « If each era gets the leaders it deserves, then it is also true that each gets the memoirs it deserves. […] Like a boomer’s version of Pilgrim’s Progress, it has a hero who wanders through the wilderness of the Vietnam-to-Sept. 11 world filled with earnest idealism jostling with unabashed ambition. […] Clinton’s psychological introspection, rendered in lingo from personal therapy and couples’ counseling, is another reason his memoir reads like a period piece. » (Walter Isaacson, “I’m Okay, You’re Okay”, Washington Post, 4 July 2004, accessed 6 September 2023).

36  Richard Nixon, In the Arena. A Memoir of Victory, Defeat, and Renewal, New York, N.Y., Simon and Schuster, 1990, p. 12.

37  Comme le fait remarquer Sophie de Closets, éditrice des Mémoires de Barack et de Michelle Obama, Barack se distingue des autres présidents en ce qu’il est véritablement un écrivain. En effet, avant ses Mémoires présidentiels, il avait déjà écrit trois livres de sa propre main et c’est le même style que l’on retrouve dans Une terre promise. Il est d’ailleurs si investi dans son écriture qu’il corrige ses textes jusqu’à la dernière minute et a du mal à tenir les délais. À l’inverse, Michelle Obama se fait aider d’une collaboratrice mais c’est bien « sa voix » que l’on retrouve dans Devenir.

38  Dont bell hooks fait la présentation sérieuse dans Sisters of the Yam. Black Women and Self-Recovery, Cambridge (Ma.), South End Press, 2005.

39  Chez elle il est alors question d’un snack nocturne pris dans la cuisine de la Maison Blanche.

40  Les Mémoires d’Hillary Clinton et ses activités de « première dame » avaient montré la voie.

41  Son livre le plus récent, The Light We Carry, paru à l’automne 2022, se présente directement comme un livre de self-help, et son aura lui permet de justifier la valeur de ses conseils.

42  « So Obama pointed to convergence under the sign of the promise of an American metaculture, not ethnically homogenized, not a melting pot, but a placeholder atmosphere to absorb a mutualizing aspiration more particular than hope as such because linked to politics, not just the political. It promised an autopoetic popular self-recognition, a common tone, and he insisted that he was merely the occasion for the tone and the atmospheres that vibrate from it, which is why there were so many songs about it right away and so much desire for the inspiring speech that would provide relief from the materiality of life and knowledge about how hard it is to get through. Obama’s opulism, a complex thing: genuine populism for optimism and, paradoxically, for opulence, the magnetizing promise of his icon pointing to the wealth whose interest his administration serves. » (Lauren Berlant, « Opulism », South Atlantic Quarterly, 110/1, 2011, p. 3).

43  « Obama, always the teacher, provided models of comportment for political action: not “hey hey ho ho” but “fired up/ready to go” for a friendly politics, organizing, telephoning, and casualizing the encounter, acting viral even when face-to-face, and face-to-face even when viral. » (Ibid., p. 8).

44  C’est ce que lui reproche Chimamanda Ngozi Adichie ; d’après elle Obama reste trop superficiel, il aborde une question selon tous les angles possibles sans vraiment trancher ou donner sa propre opinion.

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References

Electronic reference

Bérengère Darlison and Mathias Kulpinski, “Pratiques mémoriales chez les hommes et les femmes politiques anglo-américains depuis les années 1990”Écrire l'histoire [Online], 24 | 2024, Online since 15 September 2024, connection on 18 January 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/elh/3808; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12azo

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About the authors

Bérengère Darlison

Bérengère Darlinson, ancienne élève de l’ENS Lyon et agrégée de Lettres modernes, est actuellement en thèse à Sorbonne Université sous la direction d’Anne Tomiche. Elle travaille sur le statut du narrateur dans les Mémoires fictifs en France et au Royaume-Uni depuis 1945. Elle se penche sur les écrits de soi, dans le sillage des travaux de Philippe Lejeune, Philippe Gasparini et Jean-Louis Jeannelle, et postule l’existence d’une catégorie de « Mémoires fictifs » qui proposerait un renouvellement et des pratiques romanesques et d’une certaine écriture mémoriale. Elle est notamment l’auteur de « Les Mémoires fictifs et les silences de l’Histoire », Littérature et silence [en ligne], Sorbonne Université, 13 mai 2023.

Mathias Kulpinski

Mathias Kulpinski est actuellement doctorant à l’Université Paris Cité, et enseigne dans le département d’études anglophones de l’Université Toulouse Jean Jaurès. Son travail de thèse, sous la direction de Clarisse Berthezène et de Ben Griffin à Cambridge (Girton College), porte sur un ensemble d’écrits de soi du monde ouvrier britannique au xxe siècle. À partir de ces récits, il interroge la construction des masculinités ouvrières avant la Seconde Guerre mondiale, et les usages des masculinités ouvrières du passé dans le monde britannique postdésindustrialisation. À côté de son travail académique, Mathias Kulpinski est auteur pour la presse musicale et musicien.

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