1Les écrits scientifiques mettent en évidence que la vie sur les territoires ruraux est régulièrement dépeinte comme étant simple et vertueuse, créant ainsi une vision idyllique de la ruralité (Bryant et Pini, 2011 ; Shucksmith, 2016 ; Trussell et Shaw, 2008). Or, cette idylle en viendrait à marginaliser les problèmes sociaux et de santé auxquels sont confrontées les populations résidant dans ces milieux (Boyd et Parr, 2008 ; Lagerqvist, 2014 ; Milbourne, 2016 ; Simpson et Mcdonald, 2017), notamment ceux touchant les agriculteurs. Il existe bien peu de données quant à l’état de santé mentale des agriculteurs québécois, bien que certaines recherches aient révélé que les agriculteurs ont des taux de détresse psychologique, d’anxiété, de dépression ainsi que de suicide élevés, et ce, tant en Amérique du Nord, en Australie qu’en Europe (Bjornestad et al., 2021 ; Daghagh Yazd et al., 2019 ; Hagen et al., 2021 ; Jones-Bitton et al., 2020 ; Roy et Knežević Hočevar, 2019 ; Rudolphi et al., 2020 ; Steck et al., 2020).
2Une étude de Jones-Bitton et al. (2020), menée en 2016 auprès de 1132 propriétaires agricoles canadiens, a démontré que 59,1 % des hommes avaient un score de 12 et moins au « Hospital Anxiety and Depression Scale » (Pallant et Tennant, 2007). Il s’agit du seuil à partir duquel la détresse psychologique est probable, tandis que les valeurs de 11 et moins indiquent peu ou pas de détresse psychologique. Par ailleurs, une insatisfaction à l’égard du soutien provenant de la famille est associée à un score élevé de stress chez les agriculteurs (Hagen et al., 2021). Les relations familiales semblent affecter de manière non négligeable l’état de santé mentale de ces hommes, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que la famille occupe un rôle prépondérant au sein de plusieurs entreprises agricoles (Allan et al., 2021 ; Campbell et al., 2006 ; Eriksson et Hajdu, 2021). Parmi ces relations, celles qu’entretiennent les agriculteurs avec leurs enfants (leur paternité) seraient liées à leur perception de leur état de santé mentale (Allan et al., 2021). L’analyse des propos d’agriculteurs canadiens questionnés au sujet de leur santé mentale a permis à Allan et al. (2021) d’identifier la paternité comme un thème émergent, ce qui les amène à conclure que la paternité et la santé mentale ne sont pas des sujets distincts et qu’ils ne peuvent pas être traités séparément.
3Dans les dernières années, l’engagement paternel semble vivre de nombreuses transformations en milieu rural, notamment chez les agriculteurs pour qui la famille occupe en général une place centrale (Allan et al., 2021 ; Campbell et al., 2006 ; Eriksson et Hajdu, 2021). En effet, la nouvelle génération d’agriculteurs serait davantage investie dans la garde et dans les routines des enfants que les générations antérieures de pères (Brandth, 2016), ce qui ne serait pas étranger au fait que plusieurs conjointes d’agriculteurs travaillent hors de l’entreprise agricole (Annes et Handfield, 2019 ; Roy et Tremblay, 2015). Le travail des femmes en dehors de l’entreprise agricole est devenu un enjeu important puisque plusieurs fermes familiales ont de la difficulté à engendrer des revenus permettant de subvenir adéquatement aux besoins de la famille (Annes et Handfield, 2019). Des études qualitatives tendent à montrer que les jeunes agriculteurs semblent vouloir s’engager davantage dans leur rôle de père et favoriser l’égalité de genres promue dans la société (Brandth, 2016 ; 2019a ; Roy et al., 2019).
4Certains agriculteurs amorcent des réflexions visant à comprendre les comportements de leurs propres pères, souvent associés à un engagement paternel plus traditionnel, et désirent ne pas reproduire ces comportements, bien que cela soit considéré comme difficile (Allan et al., 2021). En ce sens, la nouvelle génération d’agriculteurs s’intéresserait de manière plus importante aux loisirs et aux jeux des enfants dans des environnements externes à la ferme, se détachant ainsi des pratiques paternelles plus traditionnelles axées sur la transmission du métier d’agriculteur (Brandth et Overrein, 2013). Une étude de Brandth (2019b), réalisée auprès de fermiers norvégiens, révèle que certains d’entre eux s’engagent de plus en plus dans les besoins émotionnels des enfants.
5Considérant le taux élevé de détresse psychologique chez ces hommes, il s’avère important de mieux comprendre ce qui pourrait favoriser leur état de santé mentale. À ce jour, plusieurs études se sont penchées sur l’identité masculine des agriculteurs (Allan et al., 2019 ; Annes et Handfield, 2019 ; Hiebert et al., 2018 ; Roy, 2014 ; Roy et al., 2019) et sur les facteurs de stress relatifs au travail agricole (Edwards et al., 2015 ; Hossain et al., 2008 ; Hull et al., 2017 ; Judd et al., 2006 ; Kallioniemi et al., 2008 ; Polain et al., 2011 ; Walker et Walker, 1988). Cependant, aucune étude répertoriée ne porte expressément sur l’engagement paternel des agriculteurs, laquelle semble affecter positivement leur état de santé mentale. Une recherche doctorale a été réalisée afin de mieux comprendre l’influence de la paternité sur le stress vécu par les agriculteurs (Gingras-Lacroix, 2024). Cet article a pour visée de présenter plus spécifiquement le vécu de l’engagement paternel des agriculteurs abitibiens, tel que perçu par ces derniers. Les résultats de cette étude serviront à établir quelques pistes pour la prévention auprès des hommes agriculteurs et de leurs familles, ce qui pourrait mener à bonifier les pratiques d’intervention visant cette population à risque de vivre de la détresse psychologique.
6Cette recherche prend appui sur le concept de l’engagement paternel, lequel a vécu plusieurs mutations dans les dernières décennies et se présente aujourd’hui comme « la participation et la préoccupation continues du père biologique ou substitut à l’égard du développement et du bien-être physique et psychologique de son enfant. Cet engagement s’exprime de différentes façons et se développe pas à pas et à sa manière » (Dubeau et al., 2009, p. 75). Selon cette conceptualisation, l’engagement paternel peut prendre plusieurs formes : 1) une présence directe ou indirecte ; 2) une implication dans les soins ; 3) une démonstration de gestes affectueux ; 4) une prise de responsabilité vis-à-vis de l’enfant ; 5) un rôle de pourvoyeur ; et 6) des pensées tournées vers l’enfant (Dubeau et al., 2009). En concordance avec cette vision, l’approche théorique sur laquelle prend appui cette étude est le modèle écologique des conditions favorables et des obstacles à l’engagement paternel (Turcotte et Gaudet, 2009). Ce modèle adopte une approche écologique pour laquelle tout être humain se développe à partir des interactions qu’il entretient avec son environnement (Bronfenbrenner, 1979 ; 1986). Ainsi, l’engagement paternel résulterait des interactions entre les caractéristiques du père, celles de la famille et celles de l’environnement (Turcotte et Gaudet, 2009). Ce modèle est constitué de trois cercles concentriques, chacun représentant l’une des composantes de l’engagement paternel, soit : 1) les caractéristiques du père qui se retrouvent au centre du modèle, 2) les caractéristiques du contexte familial, et 3) les caractéristiques de l’environnement social situées dans le cercle à la frontière extérieure du modèle (Turcotte et Gaudet, 2009) (voir Figure 1). Ces composantes regroupent des déterminants de l’engagement paternel, lesquels permettent de faire une analyse globale et contextuelle du vécu de la paternité chez les agriculteurs. Il s’avère donc pertinent de recourir à ce modèle et les différents déterminants qu’il inclut pour étudier le vécu de l’engagement paternel des agriculteurs.
Figure 1. Le modèle écologique des conditions favorables et des obstacles à l’engagement paternel, tiré de Turcotte et Gaudet, 2009
7La phénoménologie descriptive est apparue comme étant le devis de recherche le plus pertinent à utiliser au sujet de l’étude (Husserl, 2018 ; Patton, 2015). En effet, la phénoménologie permet d’examiner comment une personne expérimente son monde transcendantal, soit sa représentation singulière d’un monde objectif (Adams et Van Manen, 2008 ; Anadón et Guilmette, 2006 ; Munhall, 2012), et ce, en donnant une place prépondérante à la subjectivité des participants quant à la signification, la structure et l’essence même de leur expérience vécue autour d’un phénomène (Patton, 2015). Cette recherche repose sur l’idée que la conscience des pères agriculteurs (l’ego) offre la possibilité d’étudier la signification essentielle que ceux-ci accordent à leurs expériences à titre de père (Husserl, 2018 ; Schutz, 2007). La conscience menant aux comportements posés par les agriculteurs (l’intuition) qui se manifestent devant leur rôle de père (l’objet), une analyse compréhensive du vécu de la paternité semble n’avoir de sens que lorsqu’elle est mise en relation avec la subjectivité de ces pères (Giorgi, 1997 ; Husserl, 2018 ; Schutz, 2007). Il s’avère essentiel d’analyser de quoi est constitué, ou non, la paternité (l’essence) selon le discours des pères agriculteurs pour mieux comprendre le vécu singulier de ces individus (Husserl, 2018 ; Schutz, 2007).
8Pour recruter des pères agriculteurs, un échantillonnage par homogénéisation (Pires, 1997) a été réalisé puisqu’il offre la possibilité de s’intéresser à un seul groupe d’individus présentant des caractéristiques et des rapports sociostructurels homogènes. Les critères d’inclusion étaient : 1) être considérés comme un producteur agricole au sens de la Loi sur les producteurs agricoles (gouvernement du Québec, 2019) ; 2) jouer des rôles paternels auprès d’au moins un enfant âgé entre 0 et 5 ans ; et 3) résider sur le territoire de la région de l’Abitibi . Le recrutement s’est poursuivi jusqu’à la saturation empirique (Pires, 1997). Pour recruter des agriculteurs, l’Union des producteurs agricoles (UPA) a été sollicitée afin qu’elle achemine à ses membres un feuillet d’informations exposant l’objectif de la recherche et les coordonnées de la personne à contacter pour participer à une entrevue. Ainsi, 14 participants ont pris part à cette recherche (leurs caractéristiques sont présentées dans le Tableau 1). Cette étude a répondu aux exigences de l’Énoncé de Politique des trois conseils (CRSH, CRSNG et IRSC, 2022) et du comité d’éthique de la recherche de l’UQAT (Certificat numéro : 2020-05 – Gingras-Lacroix, G.). Les participants ont reçu un formulaire d’information et de consentement par voie électronique et ils ont eu entre deux et quatre semaines pour se prononcer sur leur participation et signer le document.
Tableau 1. Caractéristiques des participants
Nombre de participants
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N = 14
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Âge des participants
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31 à 35
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11
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36 à 40
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1
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40 et plus
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2
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Nombres d’enfants
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1 ou 2 enfants
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7
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3 enfants et plus
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7
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État matrimonial
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En couple
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14
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Célibataire
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0
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Lieu de résidence (MRC)
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Rouyn-Noranda
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3
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Abitibi
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3
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Abitibi-Ouest
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7
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Val-d’Or
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1
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Nombre d’années à titre de propriétaire
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2 à 6 ans
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6
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7 à 11 ans
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6
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12 ans et plus
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2
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Transfert intergénérationnel de l’entreprise agricole
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Oui
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6
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Non
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8
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Occupation d’un emploi en dehors de la ferme
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Oui
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6
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Non
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8
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Principal type de production agricole
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Maraichère
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4
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Bovine
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2
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Céréalière
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3
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Laitière
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5
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9Pour collecter les données, des entrevues semi-dirigées ont été conduites vu leur pertinence « lorsqu’une exploration en profondeur de la perspective des acteurs sociaux est jugée indispensable à une juste appréhension et compréhension » (Poupart, 1997, p. 174). Cette technique permet d’avoir accès à l’expérience des personnes en témoignant de leur point de vue, de leur pensée ainsi que de leurs intentions (Patton, 2015 ; Poupart, 1997). Pour structurer ces entrevues, un guide d’entretien a été construit en prenant appui sur les composantes et les déterminants de l’engagement paternel du cadre théorique adopté. Celui-ci comportait 14 questions ouvertes (Giorgi, 1997) portant explicitement sur l’engagement paternel et 31 questions portant indirectement sur ce sujet (ces questions abordaient entre autres les thèmes de la masculinité et des conflits travail/famille). Les entrevues, d’une durée variant de 97 à 185 minutes, ont été enregistrées afin de transcrire les échanges sous forme de verbatims anonymisés. Une analyse phénoménologique descriptive (Giorgi, 1997) a permis de faire la synthèse du vécu des participants rencontrés (Paillé et Mucchielli, 2021) ainsi que de comprendre et de clarifier l’essence de la paternité chez les agriculteurs (Patton, 2015). Pour ce faire, les cinq étapes proposées par Giogi (1997) ont été suivies, soit : 1) la transcription des données sous forme de verbatim ; 2) la lecture des verbatims ; 3) le processus de thématisation ; 4) l’examen, l’exploration et l’explicitation des unités de signification ; et 5) la synthèse des résultats. Le processus de thématisation a été fait à l’aide du logiciel QSR NVivo 11®.
10Les chercheurs ont utilisé tout au long de la recherche des stratégies en lien avec la transférabilité, la crédibilité, la fiabilité et la confirmabilité pour assurer la rigueur scientifique de cette étude (Lincoln et Guba, 1985). La crédibilité a été établie à partir de la stratégie de la vérification par les participants (member checks) qui s’apparente à la triangulation indéfinie (Lincoln et Guba, 1985 ; Savoie-Zajc, 2009). Deux individus ayant participé à l’étude se sont vu soumettre l’analyse des résultats afin que l’étudiant puisse évaluer la crédibilité de ses interprétations. En ce qui concerne la transférabilité, elle a été assurée par une description riche du contexte dans lequel s’est déroulée l’étude ainsi que la présentation des considérations méthodologiques, lesquelles sont accessibles dans la thèse (Gingras-Lacroix, 2024). Pour ce qui est de la confirmabilité, la technique de l’audit (audit trail) a été mise en œuvre. Le directeur de recherche a joué le rôle d’expert en vérifiant la valeur des interprétations du doctorant (Lincoln et Guba, 1985). La fiabilité a été renforcée par la stratégie de réplication par étapes (stepwise replication) (Lincoln et Guba, 1985 ; Savoie-Zajc, 2009). Le doctorant et son directeur de recherche se sont entendus pour faire une analyse thématique distincte des données recueillies dans le but de comparer leur appréhension du phénomène étudié et viser une meilleure analyse des réalités des participants lorsque subvenait une compréhension divergente.
11L’analyse phénoménologique a permis de dégager du vécu des participants les déterminants de l’engagement paternel du modèle de Turcotte et Gaudet (2009). Bien que l’ensemble de ces déterminants aient été abordés dans la thèse (Gingras-Lacroix, 2024), seuls les principaux déterminants affectant l’engagement paternel des participants sont discutés dans cet article, en ce qui a trait aux caractéristiques du père, à celles de la famille et à celles de l’environnement.
12Un des déterminants qui ressort principalement dans le discours des participants est le sentiment de compétence parentale. Ici, le vécu de la paternité est souvent exprimé par ces derniers, en matière de responsabilités qu’ils se donnent, tels qu’être présent activement auprès de leurs enfants, répondre aux besoins des enfants, assurer leur éducation et être un mentor pour eux.
13Une des responsabilités mentionnées par l’ensemble des participants est d’être présent activement pour leurs enfants. Sept participants précisent que, pour eux, être présent pour leurs enfants signifie d’assurer une présence active et non passive. Le participant 2 explique : « si tu es toujours sur ton cellulaire ou la télévision et que tu n’interagis pas avec tes enfants, ce n’est pas correct ». Le participant 10 va jusqu’à dire qu’un « père qui est chez eux et qui préfère ses petites affaires à lui que de passer du temps avec ses enfants […] [est] un père absent ». Tous les participants indiquent chercher à être présents à la maison dans la mesure du possible. Le travail agricole occupe une grande part du temps des agriculteurs et, malgré leur désir d’être présent auprès de leurs enfants, les responsabilités de l’entreprise entrent parfois en contradiction avec la responsabilité qu’ils se donnent. Par exemple, le participant 12 partage :
« On essaye de passer du temps le plus possible avec nos enfants […] C’est sûr qu’on ne passe pas du temps en fou. On essaie d’avoir les fins de semaine pour être capables de passer du temps avec les enfants. […] Quand tu es entrepreneur, il faut que tu passes beaucoup de temps sur ton entreprise pour être capable de la faire évoluer, pour accomplir tes objectifs. Fait que ta famille, elle passe… elle est moins prioritaire. »
14Comme le soulignent les participants 3, 5 et 10, être présent pour ses enfants à la maison ou lors des activités à l’extérieur est un défi pour les agriculteurs en raison de la charge de travail à accomplir. Pour pallier cette difficulté et être présents malgré le travail, des participants racontent qu’ils invitent leurs enfants à passer du temps ensemble pendant qu’ils travaillent, tel qu’expliqué par le participant 8 :
« Dès que j’ai une occasion d’emporter les enfants (au travail), je les emporte, puis on essaie de les faire participer. […] Ils sont bien contents des fois d’embarquer dans le tracteur, puis de dire qu’ils font leur tour. […] Tsé, tu es présent pareil là. »
15La présence du père auprès de ses enfants étant une valeur importante que les participants associent à la paternité, il est possible de constater que ces derniers mettent des moyens en place pour y parvenir malgré les contraintes de leur emploi. Par exemple, le participant 2 a effectué des ajustements à son équipement agricole (installer un siège pour un enfant dans les tracteurs) pour lui permettre de passer du temps avec ses enfants au travail.
16Une autre responsabilité que les participants s’attribuent est de répondre aux besoins de leurs enfants. Neuf participants font référence à la nécessité de subvenir aux besoins « de base », tels que les loger (participants 5, 10, 11 et 14), les nourrir (participants 3, 5, 10, 13 et 14), les vêtir (participants 5 et 10) et s’assurer qu’ils reçoivent les soins médicaux dont ils ont besoin (participants 8 et 10). Les participants 10 et 12 précisent qu’il est de leur responsabilité de s’assurer que leurs enfants « ne manquent de rien ».
17Des participants indiquent qu’ils ont un rôle à jouer pour répondre aux besoins socioémotionnels de leurs enfants, notamment du côté « affectif », « social » et « psychologique » (participants 2, 9, 11 et 13). Pour deux participants, cela passe par « donner de l’amour » (participant 10), et ce, tant par les mots que par les gestes : « Il faut être en mesure de le dire verbalement qu’on s’aime. Un câlin, un bec sur le front. Moi je trouve que ces gestes-là c’est important » (participant 3).
18Il est aussi important pour certains participants d’être à l’écoute de leurs enfants : leurs émotions, leurs idées, leur perception des choses. À ce sujet, le participant 2 affirme : « Je me penche à leur hauteur et je les écoute. Je pense qu’un mauvais père, ça n’écoute pas ses enfants ». Un autre participant, quant à lui, indique que son rôle est d’amener ses enfants à exprimer leurs émotions et d’en parler avec eux. Il mentionne qu’il est plus facile pour lui de parler des émotions avec ses enfants qu’avec d’autres adultes, notamment en raison de la responsabilité qu’il se donne de répondre à leurs besoins socioémotionnels :
« Plus communiquer serait de quoi que je pourrais travailler pour aller vers l’idée du père parfait… je pense c’est ça de mieux communiquer ce que je ressens, les émotions […] Auprès de mes enfants c’est plus facile… vraiment plus facile parce qu’avec les enfants à l’âge qu’ils ont, ils sont moins dans l’émotion. Je veux dire, avec ma conjointe si j’ai un problème de communication, ça va être dans l’émotion. Alors qu’avec mes enfants, même s’il y a une colère, bien tu es le parent, donc tu es capable de passer par-dessus et de jouer le jeu et d’aller dans les émotions avec l’enfant, de le faire parler ou pour toi de t’exprimer. Un enfant, ça prend quelques minutes et tu passes à autre chose. Entre adultes, ce n’est pas la même chose, ce n’est pas facile comme ça » (participant 1).
19Plusieurs agriculteurs se perçoivent responsables du bien-être physiologique et psychologique de leurs enfants. Comme le souligne le participant 13, « le côté psychologique aussi, c’est de les voir heureux. […] Qu’ils puissent s’épanouir à leur façon ». Les agriculteurs sentent ainsi qu’ils ont un rôle à jouer pour assurer le développement harmonieux de leur enfant.
20Six participants se donnent comme responsabilité l’éducation des enfants. Il se dégage des propos des participants que l’éducation passe par « leur montrer des choses » (participant 2, 3 et 9). En ce sens, les participants 2 et 4 veulent éduquer leurs enfants relativement à la nature et à l’agriculture : « C’est le fun de leur apprendre la vie en plein air. […] Je veux lui montrer l’agriculture et que c’est aussi un beau monde » (participant 4). Les participants 2 et 6 veulent pour leur part aider leurs enfants à développer des habiletés dans les sports. Trois participants expliquent qu’il est important pour eux d’accompagner leurs enfants dans leurs apprentissages en les amenant à développer une certaine débrouillardise. Pour ce faire, le participant 13 défend son point de vue sur le sujet :
« À un moment donné, il ne faut pas… je donne des outils pour ne pas que j’intervienne, bien tsé… Le but, ce n’est pas que je le laisse tout seul, mais tsé… Il ne faut pas que j’intervienne à toutes les fois qu’il y a quelque chose. À un moment donné, comme un parent hélicoptère qu’ils appellent. Si tu es tout le temps là, tu ne développes pas l’enfant à s’autodéfendre, Puis, un moment donné, c’est des situations de la vie qu’il faut que tu apprennes à vivre. »
21Des participants considèrent que leur responsabilité vis-à-vis l’éducation de leurs enfants est d’assurer la discipline (participant 8), de les encadrer (participant 12) et de s’impliquer dans les décisions qui touchent la gestion des comportements (participant 1). Par exemple, le participant 5 partage :
« Je ne suis pas chums avec mes enfants, parce que je veux que mes enfants me respectent. […] Je pense que j’ai généralement une bonne connexion avec mes enfants, puis chacun respecte… Je respecte mes enfants, puis mes enfants me respectent là. C’est de l’apprentissage. »
22Tous les participants mentionnent qu’il est important pour eux d’être un mentor pour leurs enfants, notamment en leur transmettant des valeurs. Pour le participant 12, il s’agit même d’une responsabilité qui le définit en tant que bon parent : « si tu ne passes pas de temps à leur inculquer des valeurs ou à leur faire des apprentissages, bien, je pense que tu es un mauvais parent ». Deux participants indiquent que pour inculquer des valeurs, ils doivent « les incarner aussi », « enseigner par l’exemple » (participant 3). Le participant 4 indique à cet effet : « Comme père, tu dois être respectueux envers ton enfant, mais aussi envers ta conjointe, parce que ta petite te voit interagir avec elle ».
23Dans les propos des agriculteurs, certains soulignent qu’ils désirent inculquer celles qu’ils jugent « bonnes » tout en précisant qu’elles ne « sont pas les mêmes pour tout le monde » (participants 2, 7, 9 et 11). Parmi les valeurs partagées par plusieurs participants, onze mentionnent le respect : « Si tu as le respect des autres puis que tu te respectes, le reste, tout va. […] Mais si tu es travaillant, puis tu ne respectes pas tes autres collègues, ça ne sert pas à rien » (participant 14). Sept participants considèrent le travail et la persévérance comme des valeurs importantes à transmettre : « ne pas rester assis à ne rien faire tout le temps, là, lui montrer des valeurs de prendre action puis de travailler pour arriver à ses fins » (participant 9). Six participants désirent également transmettre à leurs enfants l’importance des valeurs environnementales : « le respect de la nature, moi je pense, c’est la base de notre métier » (participant 13).
24Sept participants semblent insatisfaits du temps qu’ils consacrent à leur famille en comparaison à celui qu’ils accordent à leur emploi, ce qui affecterait leur sentiment de compétence paternelle. Par exemple, le participant 12 partage : « J’aimerais ça tout le temps en donner plus, de pouvoir être plus là pour mes enfants tout le temps. Mais d’un côté, tu as une entreprise que tu veux faire avancer ». Les participants 2 et 6 ajoutent même que le fait de ne pouvoir être auprès de leurs enfants autant qu’ils le désireraient les attriste :
« Quand tu as de grosses journées de travail en été, que tu te lèves le matin avant les jeunes et que tu arrives le soir et ils sont couchés… Ça fait mal au cœur » ; « l’été, c’est une période où est-ce que je suis vraiment zéro, disponible. Puis ça, c’est le bout qui me fait un petit peu plus de peine par rapport à mon travail » (participant 6).
25Un autre élément qui affecte le sentiment de compétence paternelle des participants est le fait « qu’il n’y ait pas de mode d’emploi » (participant 10), que « tu apprends sur le tas » (participant 7 et 12).
26Trois autres participants soulignent leur capacité à améliorer cette compétence paternelle, notamment grâce à l’apprentissage par l’expérience :
« Bien mes compétences de père… Je pense qu’on n’est jamais au top, parce qu’on en apprend toujours, puis il n’y a pas un enfant pareil là. Fait que tu peux être bon avec un enfant, puis il faut que tu t’adaptes à ton deuxième. Puis tsé, il faut que tu sois un peu caméléon là-dedans là, avec tes enfants. Caméléon, oui. Mais je ne pense pas que je suis parfait, mais avec l’âge, puis avec l’expérience que j’ai avec un, puis l’autre […] C’est de l’apprentissage. Tsé, même on a bien beau dire qu’on est adulte, qu’on est des parents, mais je dis toujours que je n’ai jamais été prêt à être père tant que je n’ai pas eu un bébé dans les bras » (participant 5).
27Pour ce qui est de l’appréciation des participants sur leur sentiment de compétence paternelle, quatre participants se voient comme de bons pères parce qu’ils considèrent faire de leur mieux. Le participant 3 estime être un bon père en tenant compte du développement de ses enfants : « Je suis satisfait dans la mesure où mes garçons se développent bien. Je pense que je suis satisfait de ma position en tant que père… » (participant 3). De leur côté, les participants 12 et 14 apprécient leur compétence parentale en fonction du bien-être et des réussites de leurs enfants : « Oui, c’est sûr, mon taux de satisfaction, admettons, va dépendre de leur réussite, puis de leur bonheur » (participant 12). Pour les participants 10 et 14, leur sentiment de compétence est lié à la relation qu’ils ont établie avec leurs enfants : « Je me dis, si je n’étais pas compétent ou je ne faisais pas ça comme il faut, bien probablement, tsé, un enfant dans son innocence, il ferait juste m’éviter, là » (participant 10).
28L’un des trois principaux déterminants de l’engagement paternel en ce qui a trait aux caractéristiques de la famille est le statut d’emploi et les contraintes de travail des mères. En effet, la conciliation travail/famille et l’implication des pères dans les soins aux enfants reposent en grande partie sur le fait que la conjointe des participants soit mère à la maison, en congé (maternité, parental ou maladie) ou qu’elle occupe un emploi.
29Pour les participants dont la conjointe est mère à la maison ou en congé, il semble que cette présence à la maison permette à ces derniers de s’investir dans leur entreprise agricole puisque leur conjointe s’occupe davantage des enfants : « Moi, en ce moment, je travaille et pas elle. Donc, c’est peut-être bien normal que ce soit elle qui s’occupe plus de la petite dans le jour » (participant 4). Le retour au travail de leur conjointe risque fort, pour des participants, de modifier la dynamique familiale actuelle vécue jusqu’à ce jour. À cet effet, le participant 4 affirme : « quand elle va recommencer à travailler dans deux mois, ça va aussi beaucoup changer les choses. Elle va avoir moins de temps pour les tâches à la maison et il va falloir se séparer plus de tâches ». Pour les trois participants dont la conjointe travaille sur l’entreprise agricole, le partage des responsabilités au travail et à la maison se fait davantage à parts égales. Le participant 1 explique :
« On est les deux impliqués à 50-50. […] Moi et ma conjointe, on aime tous les deux ça. Donc je sais que si je fais juste des tâches sur la ferme, que je rentre dans la maison juste pour manger, et que je ressors après pour travailler, bien c’est dommage pour elle parce que c’est elle qui va devoir faire toutes les autres tâches ménagères. Des tâches ménagères qu’elle aime moins faire, alors qu’il y a plein de tâches qu’elle aime faire sur la ferme. »
30Le fait que les deux travaillent ensemble implique qu’ils doivent s’investir autant l’un que l’autre dans les tâches ménagères et dans les soins aux enfants.
31Le deuxième déterminant affectant principalement l’engagement paternel est la coparentalité. Il s’avère que le partage des responsabilités familiales (tâches ménagères et soins des enfants) se fait, pour plusieurs, dans une visée d’entraide, c’est-à-dire avec le désir de partager équitablement les responsabilités entre les parents : « la maison, elle est à nous deux […] je pense que c’est un travail d’équipe » (participant 12). Sept participants mentionnent que les tâches ne sont pas dévolues à une personne en particulier, mais que cela dépend des disponibilités de chacun : « c’est plus avec qui qui a le temps de faire quoi […] une semaine, bien ça va être toi qui vas en faire le plus, puis l’autre semaine d’après, bien j’ai du lousse, bien c’est moi qui vais en faire plus » (participant 10). Pour sept participants, les responsabilités sont réparties en fonction des forces de chacun, dans un souci d’efficacité plutôt que d’équité : « Moi les repas, j’ai un blocage vu la planification que ça prend. Ma blonde, elle est capable d’être efficace et de faire ça vite […] On fait chacun les tâches dans lesquelles on est bon » (participant 3).
32Certains participants constatent que leur conjointe en fait davantage, mais considèrent quand même s’investir dans les tâches ménagères : « Ma conjointe en fait plus à la maison. Par exemple, elle fait plus souvent les repas, puis moi je vais aider à ramasser. En fait je vais ramasser. […] Elle est consciente que je fais de mon mieux » (participant 1). Le participant 6 affirme plutôt attendre que sa conjointe sollicite son aide avant de réaliser des tâches ménagères, tandis que le participant 9 demande à sa conjointe si elle peut faire certaines tâches.
33Concernant les soins aux enfants, trois participants semblent être en soutien à la mère : « c’est la mère qui s’occupe de la faire boire, de la coucher. Tsé, les choses de base, là, c’est la mère qui s’occupe de ça quand même. Moi, je fais tout ce que je peux pour aider » (participant 9). Seul le participant 5 affirme que sa conjointe s’occupe de tout ce qui a trait aux tâches ménagères et la prise en charge des enfants :
« Je te dirais que c’est pas mal elle qui s’occupe des enfants. C’est elle qui lead la famille admettons là. Elle planifie ses affaires, puis c’est toutes tâches ménagères, je te dirais, puis familiales, c’est pas mal elle. On est pas mal dans le classique, admettons, on est pas mal dans le cliché, si on peut dire. »
34Le partage des responsabilités familiales varie, pour la plupart des participants, selon les horaires et contraintes liés au travail des conjoints : « Si la petite est malade, on va regarder moi et ma conjointe qui est disponible pour s’en occuper » (participant 4). Pour sept d’entre eux, les contraintes associées au travail agricole influencent les décisions du couple concernant le soin des enfants. En effet, le fait de travailler avec des animaux ou de dépendre de la météo est particulier dans le contexte agricole : « Quand je suis dans les vêlages, c’est certain que je ne peux pas me libérer parce que les vaches n’attendront pas après moi » (participant 2). Pour les participants 3 et 12, une répartition égale est davantage recherchée : « C’est plus divisé en jours qu’il y en a un qui reste à l’étable, puis un qui va à la maison » (participant 12).
35Le troisième principal déterminant de l’engagement paternel relatif à la famille est le pouvoir formel et informel. Pour la majorité des participants, les décisions qui concernent les enfants au sein de l’unité familiale résultent d’un « travail d’équipe » entre leur conjointe et eux. Deux éléments ressortent du discours de ces participants. Le premier élément est l’idée que ce travail d’équipe se fait en « discutant ensemble » dans le but d’arriver « à un consensus ». Comme le mentionne le participant 1, « on en discute tout le temps […] toutes les questions en lien avec la santé, l’éducation ou autre, bien je suis là pour en discuter avec ma conjointe et prendre les décisions avec elle. On est une équipe ». Le deuxième élément qui ressort du discours de huit participants est l’idée que ce travail d’équipe est favorisé par le fait que le couple partage en général une vision commune. Par exemple, les participants 7 et 8 affirment être « sur la même longueur d’onde » lorsqu’ils doivent s’entendre avec leur conjointe sur une décision. Le participant 4 mentionne que s’accorder sur les décisions n’est « pas vraiment difficile parce qu’on a relativement les mêmes idées en tête ».
36Quelques participants précisent que lorsqu’il est question de la santé des enfants, c’est plutôt leur conjointe qui se chargent des décisions :
« C’est sûr que les rendez-vous, puis vouloir admettons challenger avec des spécialistes, parce que notre petit deuxième, bien, peut-être qu’elle a de petits troubles, puis qu’il faut investiguer un petit peu plus pour des troubles lourds. Bien, c’est plus ma conjointe qui s’occupe de ça » (participant 8).
37Enfin, deux participants mentionnent que les décisions prises concernant les enfants sont davantage du ressort de leur conjointe. Le participant 9 considère « que la mère reste la personne-ressource numéro un » de son enfant et que « pour respecter la mère […] je vais beaucoup laisser ma conjointe décider. Je vais m’adapter à elle le plus que je peux ».
38La majorité des participants affirme s’impliquer activement en ce qui concerne les décisions relatives aux enfants. Ce pouvoir est partagé avec la conjointe et varie, pour certains participants, en fonction du sujet traité. De manière générale, il ne semble pas que l’engagement des pères dans les prises de décisions familiales repose sur le statut d’emploi de leur conjointe.
39Le travail agricole présente certaines caractéristiques qui affectent l’engagement paternel des participants. L’une de ces caractéristiques est qu’il s’imbrique habituellement à la vie familiale : « notre fille, c’est tout à nos yeux. Puis ça, c’est normal. Mais l’entreprise, c’est comme notre autre bébé. Il faut qu’un fonctionne avec l’autre » (participant 11). Or, cette imbrication de l’entreprise à la famille renforce l’identité culturelle des agriculteurs selon le participant 6 : « la famille, tu ne peux pas l’enlever à l’entreprise. Ça fait partie de la culture ». Plusieurs participants soulèvent que cette caractéristique du travail agricole leur permet d’impliquer leurs enfants dans leur travail. Le participant 4 affirme : « les enfants commencent à travailler très jeunes sans se rendre compte que c’est un travail ». Le participant 2 précise néanmoins :
« J’ai jamais forcé personne à travailler. Si le jeune est tanné, il arrête. C’est pas un problème. On veut pas qu’il se sente coincé. S’il veut faire une autre activité, il peut le faire et on va s’arranger. On dépend pas des enfants, mais je pense que dans le milieu agricole, la plupart des enfants veulent travailler et ont un intérêt à faire comme leurs parents. »
40Pour 11 des participants, l’implication de leurs enfants dans le travail agricole permet à ces derniers de développer plein de compétences telles que l’autonomie, l’entraide et la débrouillardise. Selon les participants 2 et 3, quand les enfants s’impliquent dès leur jeunesse dans le travail, « ils se sentent importants, valorisés et inclus ».
41Une autre caractéristique propre au milieu agricole concerne le fait que les enfants côtoient un milieu présentant plusieurs dangers. Les participants identifient la machinerie agricole, les animaux, le fumier, les bâtiments, les choses qui trainent ou qui peuvent tomber, les ventilateurs, etc. Par conséquent, onze participants affirment qu’ils considèrent essentiel de sensibiliser leurs enfants aux différents dangers : « Il faut leur apprendre très jeunes à repérer le danger » (participant 2). Le participant 7 précise que la responsabilité de prévenir les accidents incombe à l’adulte et non aux enfants :
« Ce n’est pas leur responsabilité, ça reste la mienne tant qu’à moi, là, tsé. Je ne veux pas leur mettre ça sur les épaules, mais ils ont quand même une partie… pas de responsabilité, tsé, je n’irais pas jusque-là, je ne veux pas leur imposer une responsabilité par rapport à ça, mais une sensibilisation. »
42Un autre principal déterminant de l’engagement paternel qui ressort des propos des participants est l’aménagement du temps de travail d’agriculteur. Leur emploi est plutôt saisonnier, ce qui implique des périodes de travail intensif et des périodes de travail plus tranquilles. Ainsi, du printemps jusqu’à l’automne, les participants mentionnent avoir moins de flexibilité dans leur horaire puisque leur travail dépend du cycle de la nature (labours, semences, récoltes, etc.) et des conditions météorologiques (pluie, ensoleillement, sécheresses, etc.). Le participant 4 raconte :
« Quand la batteuse entre dans le champ en automne, bien tu as 70 000 $ de grains dans le champ. T’as pas le choix. Il faut que tu le ramasses. L’hiver arrive. Fait que même ma fille voulait aller quelque part je sais pas où… c’est ça qui tombe prioritaire. En plus souvent dans ce temps-là, on n’a plus de vie. On ne dort plus. J’ai déjà battu pendant 36 heures en ligne. »
43En contrepartie, les agriculteurs ont une charge de travail moindre en hiver et ont un horaire plus flexible. Par exemple, le participant 5 partage : « l’hiver, c’est moins le “rush”, fait qu’on a un petit peu plus de temps avec les enfants » (participant 5). L’aménagement du temps de travail est aussi dépendant des animaux avec lesquels certains travaillent puisqu’il s’agit d’êtres vivants qui ont des besoins auxquels ils doivent répondre à des moments précis. Pour les producteurs laitiers, « les vaches, il faut les nourrir puis faire la traite » (participant 13). Ces participants n’ont pas la flexibilité de partir loin de chez eux : « le défaut de la ferme laitière […] tu es obligé de revenir à chaque jour, ça, c’est le bout le plus difficile » (participant 6). Pour le participant 12 qui a des robots de traite, c’est la maintenance du système informatique qui implique la nécessité d’être disponible en tout temps : « c’est quand même gros, mes robots de traite. Eux autres, ils sont 24 h sur 24, fait que s’ils appellent à 6 h le soir, pendant qu’on est en train de souper, bien je dois aller faire un tour ».
44Pour les producteurs de vaches à bœuf, leurs obligations se rapportent à nourrir leur bétail et à être présent lors des vêlages : « Telle date à telle date, c’est les vêlages ; telle date à telle date, c’est les clôtures, entre les vêlages… Après, on saute dans les semences, puis il faut faire ça avant telle date. Fait que c’est la course assez, là » (participant 14). Les caractéristiques propres au métier d’agriculteur jouent donc un rôle déterminant dans leur engagement paternel.
45Les résultats présentés dans cet article permettent de constater que la présence active auprès de leurs enfants est l’essence même de ce qui constitue l’engagement paternel chez les agriculteurs participants et s’avère également le principal déterminant de leur sentiment de compétence parentale du modèle écologique des conditions favorables et des obstacles à l’engagement paternel (Turcotte et Gaudet (2009). La représentation de l’engagement paternel oriente leurs actions ainsi que les responsabilités qu’ils se donnent. Selon les agriculteurs rencontrés, être présents pour leurs enfants implique d’être en interaction directe avec eux. Cela rejoint d’ailleurs la conceptualisation de l’engagement paternel de Dubeau et al. (2009) pour qui cet engagement peut prendre la forme d’une présence directe ou indirecte auprès de l’enfant. Les participants ne renient pas l’importance de la présence indirecte, celle-ci étant principalement rattachée à leur rôle de pourvoyeur. Cependant, leurs propos montrent que la présence directe est plus significative pour eux, car elle favorise la satisfaction qu’ils ont d’eux-mêmes en tant que pères.
46Toujours en lien avec la présence, certains participants ajoutent que, pour eux, être présents ne doit pas se limiter à la présence au domicile, mais qu’elle doit inclure une participation à la vie sociale de leurs enfants. Cette perception se détache des pratiques paternelles plus traditionnelles qui visent principalement à transmettre aux enfants le métier d’agriculteur (Brandth et Overrein, 2013). Pour ces participants, l’engagement paternel repose sur la présence active auprès de leurs enfants et prend la forme de différentes responsabilités qu’ils s’attribuent, soit de répondre à leurs besoins, d’être un mentor pour eux et d’assurer leur éducation. Il a ainsi été possible de dégager l’origine transcendantale du phénomène de l’engagement paternel des agriculteurs ayant participé à cette étude, laquelle est représentée dans la Figure 2. Il s’agit d’un résultat novateur puisqu’aucune recherche ne semble s’être attardée jusqu’à ce jour à identifier l’essence que les agriculteurs accordent à l’engagement paternel.
Figure 2. Origine transcendantale du phénomène de l’engagement paternel
47Répondre aux besoins physiologiques des enfants (s’assurer qu’ils soient nourris, logés, vêtus, en santé, en sécurité) a été désigné par tous les participants comme faisant partie de leur engagement paternel. Cela passe notamment par le fait de procurer à la famille un revenu suffisant pour subvenir aux besoins de cette dernière. Cela signifie pour les participants de veiller à la rentabilité de l’entreprise agricole, et parfois d’occuper un second emploi. Plusieurs mentionnent vivre une insatisfaction en ce qui concerne les contradictions qu’engendre cette responsabilité sur leur présence active auprès de leurs enfants.
48Les caractéristiques propres au travail agricole et la posture d’entrepreneur des agriculteurs impliquent d’investir du temps dans l’entreprise. Ainsi, l’aménagement du temps de travail, l’un des déterminants de l’engagement paternel, selon Turcotte et Gaudet (2009), a un impact direct sur la présence qu’ils assurent auprès de leurs enfants. Il se dégage des propos des participants que les impératifs du travail passent souvent en priorité sur le temps consacré aux enfants et à leurs soins directs. Ce résultat est en cohérence avec celui de l’étude d’Offer et Kaplan (2021) selon lequel l’engagement des pères envers leurs enfants varie généralement en fonction du travail, et non l’inverse. De plus, cela rejoint l’étude d’Allan et al. (2021) qui montrait que les agriculteurs trouvaient difficile d’atteindre leur objectif d’adopter des rôles paternels moins traditionnels.
49Une des caractéristiques de l’environnement agricole est sa proximité avec l’environnement familial, ce qui crée un risque pour la sécurité des enfants selon les propos des agriculteurs. Ainsi, répondre aux besoins physiologiques de leurs enfants signifie d’anticiper les accidents pouvant survenir et de mettre en place des moyens pour les éviter, comme assurer une surveillance étroite de leurs enfants et les sensibiliser aux dangers. Assurer la sécurité des enfants est une responsabilité qui revient davantage aux pères qu’aux mères selon quelques participants. Il s’avère que le contexte agricole et les dangers qu’il présente pour les enfants peuvent provoquer un conflit. Un participant se sent déchiré entre son désir de passer du temps avec ses enfants sur son entreprise agricole et la responsabilité qu’il se donne d’assurer leur sécurité.
50Répondre aux besoins physiologiques se traduit pour les participants par leur implication dans les soins directs aux enfants et l’accomplissement des tâches ménagères. Certains ont mentionné qu’ils préparent des repas, donnent le biberon, participent aux routines du lever ou du coucher, etc. Il se dégage de leurs propos que la conjointe assure en général cette responsabilité, peu importe son statut d’emploi. Cette facette de la coparentalité est moins égalitaire. Ce résultat rejoint ceux de l’étude de Robinson (2004) et de Cartier et al. (2021) qui mettent en lumière le fait que les mères consacrent plus de temps aux enfants que les pères, quoique cet écart en termes de temps investi soit en diminution. Cette responsabilité parentale est plutôt dévolue à la mère, bien que les participants précisent qu’elle soit partagée dans une visée d’entraide et d’équité, mais aussi en fonction des forces et des disponibilités de chacun. Il semble que le partage des responsabilités familiales est influencé, entre autres, par l’attitude et les croyances à l’égard des rôles de genre qu’ont les participants (Turcotte et Gaudet, 2009). Il s’avère notamment que les participants dont la conjointe est à la maison (en congé maternité, en congé parental ou mère à la maison) en profitent pour s’engager davantage dans leur entreprise agricole, ce qui entraine en contrepartie un désengagement de leur part en lien avec les soins physiologiques prodigués aux enfants. Cela est d’ailleurs en cohérence avec les conclusions de Turcotte et Gaudet (2009) qui mentionnaient que l’engagement des pères, en ce qui concerne les dimensions instrumentales (p. ex. les soins physiques), est généralement plus élevé lorsque la conjointe occupe un emploi.
51L’âge des enfants a également un impact sur l’engagement des pères dans les besoins physiologiques prodigués à ces derniers. Des participants considèrent avoir une responsabilité limitée dans la réponse aux besoins physiologiques dans les premiers moments de vie de l’enfant. Ce discours concorde avec la vision de la paternité émise dans les années 1990 voulant que la mère ait une relation exclusive avec l’enfant dans les premiers moments suivant la naissance (Knibiehler, 2001). Les connaissances scientifiques actuelles ne soutiennent plus ce discours. Une métasynthèse de Shorey et Ang (2019) montre qu’un fort engagement des pères auprès de leurs enfants dans les premières années de vie aurait un effet positif sur leur sentiment de compétence parentale. Bref, il semble que le statut d’emploi de la conjointe et l’âge des enfants sont des caractéristiques relatives à la famille qui influencent l’engagement paternel de certains participants.
52Une autre responsabilité qui ressort des propos des participants est de répondre aux besoins socioémotionnels de leurs enfants. Ils décrivent cette responsabilité comme la manifestation de gestes et de paroles d’affection ou d’encouragement envers leurs enfants, mais également comme l’adoption de certaines attitudes envers eux (p. ex. la patience, l’écoute, l’empathie). Ce résultat avait été soulevé dans une étude réalisée auprès d’agriculteurs norvégiens (Brandth, 2019b). Les participants laissent également entendre que cet engagement contribue à établir une relation positive avec leurs enfants, ce qui rejoint la notion du père post-moderne de Quéniart (2002), dans laquelle la relation avec l’enfant est perçue comme primordiale puisqu’elle engendre une satisfaction sur les plans personnel et relationnel. Cette responsabilité nécessite d’être présents activement auprès des enfants et d’interagir directement avec ces derniers, ce qui renvoie à l’essence de l’engagement paternel. Aux dires de quelques participants, il semble que les conjointes sont davantage impliquées dans le soutien affectif des enfants, notamment en raison d’une plus grande facilité pour ces derniers de se confier à leur mère. Cette perception ne serait pas étrangère au fait que le soutien affectif est toujours socialement perçu comme un comportement davantage en lien avec la féminité en milieu rural (Annes et Handfield, 2019 ; Courtenay, 2011 ; Garnham et Bryant, 2014 ; Kennedy et al., 2014 ; Silva, 2022 ; Vayro et al., 2019). Ce résultat concorde avec l’un des déterminants identifiés par Turcotte et Gaudet (2009), soit que l’attitude et les croyances à l’égard des rôles de genre influencent l’engagement paternel.
53Les participants sont également présents activement auprès de leurs enfants afin de leur inculquer des valeurs et de leur transmettre des passions. Ces responsabilités qu’ils se donnent témoignent de leur désir d’être un mentor pour leurs enfants. Être un mentor, pour les participants, signifie entre autres d’être un modèle en adoptant des comportements en adéquation avec leurs valeurs et de les incarner. Une autre façon pour eux d’agir à titre de mentor est d’impliquer leurs enfants dans le travail agricole en les amenant avec eux au travail. Les participants mentionnent que leur intention est de transmettre à leurs enfants leur passion pour l’agriculture, la nature et l’environnement, mais aussi de les encourager à développer des valeurs qu’ils jugent importantes, telle que l’autonomie, la débrouillardise et l’entraide. Les participants considèrent qu’élever leurs enfants en milieu rural est favorable pour ces derniers, puisque ce mode de vie agraire offre une certaine liberté et un contact privilégié avec la nature. Ce résultat est cohérent avec les études de Dreby et Carr (2019) ainsi que de Rissing et al. (2021), qui montraient que le fait d’élever un enfant dans un milieu agricole était perçu par plusieurs agriculteurs comme bénéfique au développement des enfants, notamment en termes d’écologie, de liens avec la nature et de compétences relatives au monde du travail. Certains participants confient ainsi à leurs enfants des tâches à leur mesure, en s’assurant que cela demeure pour le plaisir. Jouer avec leurs enfants est un moyen pour tous les participants d’agir comme mentor auprès d’eux. De plus, il est possible de constater que les rôles de transmetteur d’un savoir agraire et de guide moral, traditionnellement attendus dans les rôles paternels en milieu rural (Deslauriers et al., 2009 ; Lamb, 2000), cèdent le pas à celui de mentor qui englobe l’ensemble des sphères de vie de l’enfant.
54Une responsabilité paternelle que se donnent des participants est celle d’éduquer leurs enfants. Cette responsabilité passe par des interactions directes avec leurs enfants et par les pouvoirs formels et informels partagés au sein du couple en ce qui a trait à la prise de décisions relatives aux enfants (Turcotte et Gaudet, 2009). Dans les interactions directes, les participants considèrent qu’il est de leur responsabilité de transmettre à leurs enfants des connaissances, notamment en lien avec la nature et avec le travail agricole, mais aussi de leur apprendre certaines habiletés dans les sports. Des participants endossent la responsabilité d’assurer la discipline, laquelle renvoie selon eux à l’autorité parentale. Cette responsabilité qu’ils se donnent semble avoir des retombées sur la relation établie avec leurs enfants. Alors que des participants veulent créer des liens forts basés sur l’amitié et la complicité, d’autres craignent qu’une relation amicale nuise à leur autorité parentale. Il s’avère que certains participants vivent une confrontation entre les nouveaux engagements paternels associés à la socialisation des enfants et les rôles plus traditionnels relatifs à l’aspect autoritaire du père (Deslauriers et al., 2009). Bien que le père en milieu rural soit traditionnellement perçu comme la figure autoritaire au sein de la famille (Deslauriers et al., 2009), cette vision ne semble pas adoptée par une majorité des participants puisqu’un seul agriculteur a mentionné adopter cette vision.
55En ce qui concerne l’implication indirecte des pères dans l’éducation de leurs enfants, la plupart des participants se concertent avec leur conjointe lorsque des décisions doivent être prises afin d’assurer une vision commune et de mettre en place des interventions qui font consensus. Deux participants adoptent toutefois une division plus traditionnelle des rôles et délaissent cette responsabilité à leur conjointe puisqu’ils estiment qu’ils doivent respecter ses rôles et son expertise. Cette perception est en concordance avec ce qui était auparavant promu en termes d’engagement parental, soit que la mère était considérée comme experte des soins et de l’éducation des enfants (Dubeau et al., 2009).
56Une certaine insatisfaction est manifestée par des participants qui soulignent que la compétence paternelle n’est pas innée et que la prise de décisions repose sur l’expérience qu’ils acquièrent au fil du temps en tant que pères. En effet, le manque de connaissances initiales sur le développement de l’enfant et les approches éducatives à préconiser affecte le sentiment de compétence paternelle de certains. Ces derniers se questionnent parfois sur leur compétence dans la mesure où ils n’ont pas de critères préétablis. Ils prennent en considération les efforts qu’ils y mettent (faire de son mieux) et les effets qu’ils observent chez leurs enfants (développement, bonheur et réussites) pour en venir à se percevoir comme ayant de bonnes compétences paternelles. Il semble que cette insatisfaction s’atténue avec le temps puisque les pères rencontrés ayant des enfants plus âgés peuvent apprécier les retombées de l’éducation qu’ils ont prodiguée et avouent être rassurés de voir que leurs enfants se développent bien. Des éléments clés ressortant de cette recherche sont exposés dans la conclusion.
57Cette étude a mis en lumière le vécu de la paternité chez des agriculteurs québécois en région éloignée en faisant ressortir les déterminants relatifs au père, à la famille et à l’environnement propres au travail agricole. Les résultats présentés dans cet article permettent de mieux comprendre le vécu de la paternité des agriculteurs et soulignent l’importance que revêt pour eux la présence active auprès de leurs enfants. Ces résultats peuvent guider les pratiques du personnel intervenant avec cette population. Considérant que les agriculteurs s’impliquent moins dans la sphère des soins aux enfants, les professionnels de la santé pourraient s’assurer de solliciter tant les pères que les mères dans les rendez-vous de suivi de santé des enfants, mais aussi de proposer des moments de rencontre flexibles (p. ex. en planifiant des rencontres prénatales en soirée). Cela permettrait d’autant plus d’améliorer l’égalité homme/femme dans les rôles de genre que plusieurs agriculteurs prônent dans cette étude. Les responsabilités que se donnent les agriculteurs dans leur rôle de père pourraient être utilisées judicieusement par les spécialistes de l’intervention sociale pour favoriser le mieux-être de ce groupe de population. À titre d’exemple, il apparait stratégique de mener des activités ludiques de sensibilisation père/enfant (responsabilité d’être un mentor) sur l’importance de la demande d’aide (responsabilité de répondre aux besoins socioémotionnels), ce qui pourrait renforcer le sentiment de compétence parentale. Les résultats de cette recherche mettent en relief des enjeux relatifs à la conciliation travail/famille propre aux agriculteurs. Considérant que les agriculteurs représentent une population particulièrement à risque de vivre de la détresse psychologique et que l’engagement paternel favorise leur mieux-être (Allan et al., 2021), il semble pertinent de mieux soutenir ces familles, entre autres par la mise en place de ressources permettant aux agriculteurs de bénéficier d’un congé de paternité, de se libérer plus facilement pour prendre du temps en famille et d’amener leurs enfants au travail de manière sécuritaire. Dans ce contexte, cette recherche met en lumière le manque d’adéquation entre les programmes de congé de paternité et de congé parental avec la réalité du travail agricole. Les résultats soulèvent ainsi le besoin pour le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale d’adapter ses programmes ou de mettre en œuvre des moyens pour favoriser la conciliation travail/famille en contexte agricole.
58Les résultats révèlent enfin l’imbrication étroite de la vie familiale et de l’entreprise agricole. En ce sens, il semble pertinent que le personnel œuvrant en intervention auprès des familles en tienne compte dans les interventions proposées, par exemple, en intégrant la relation que l’agriculteur et que les différents membres de sa famille entretiennent avec l’entreprise agricole dans la constitution d’un génogramme. De cette manière, ces spécialistes de la santé pourront avoir une vision plus globale de la capacité d’adaptation du système familial agricole, et de ses sous-systèmes, vis-à-vis des changements qu’un père agriculteur est amené à vivre (p. ex. la naissance d’un enfant) et des contextes auxquels il est confronté (p. ex. la sécheresse, les changements climatiques).
59L’interprétation de ces résultats doit prendre en compte que seuls les propos des pères agriculteurs ont été étudiés. Cela permet d’obtenir une seule facette de la réalité dans laquelle évoluent les participants. Le devis de recherche adopté, soit la phénoménologie descriptive, explique ce choix. Selon la notion de crédibilité en recherche qualitative, la description du phénomène étudié à partir des perceptions subjectives des participants importe (Husserl, 2018 ; Lincoln et Guba, 1985). Pour assurer la crédibilité des résultats, le vécu de l’engagement paternel a seulement été examiné du point de vue des agriculteurs, et non de celui de tierces personnes. Ainsi, les résultats doivent être interprétés avec prudence et ne pas être extrapolés à une vérité absolue. Vu la nature qualitative de cette recherche, il est impossible de généraliser les résultats dégagés. En effet, le principe de transférabilité est à préconiser et soutient que les résultats doivent pouvoir faire sens ailleurs (Mukamurera et al., 2006).
60Pour conclure, cette étude contribue à l’avancement des connaissances en mettant en lumière que la présence active auprès de leurs enfants représente l’essence même de leur engagement paternel et en mettant en relief les enjeux relatifs à la conciliation travail/famille propre aux agriculteurs. Il s’avère que d’autres recherches sont nécessaires afin de mieux comprendre les impacts de ces enjeux sur le bien-être des agriculteurs et de leurs familles. Par exemple, il serait intéressant d’étudier les pratiques d’intervention du personnel de la santé qui accompagne ces pères et d’identifier les besoins de ce groupe de population. Une autre piste de recherche que soulève cette étude porte sur les enjeux liés à la paternité vécue par d’autres pères, entrepreneurs ou propriétaires d’une petite ou d’une moyenne entreprise, puisque ces derniers pourraient être confrontés à des enjeux similaires.