1 Alors que le patrimoine, soit l’ensemble des actifs détenus par un individu ou un ménage, est de plus en plus considéré comme une dimension déterminante du statut socioéconomique (Hällsten et Thaning, 2022), il devient pertinent de s’intéresser davantage aux mécanismes qui participent à son accumulation et qui façonnent la structure des inégalités sociales. Comme l’indiquent de nombreuses études, les ressources héritées sont responsables d’une part croissante des inégalités patrimoniales (Alvaredo et al., 2017 ; Nolan et al., 2021 ; Palomino et al., 2022), et elles contribuent aux mécanismes de mobilité et de reproduction sociale (Albertini et Radl, 2012 ; Adermon et al., 2018). Si les transferts de richesses peuvent survenir à différents moments de la vie des individus, le patrimoine est fréquemment légué à des proches à la suite d’un décès. Ces constats ont stimulé la recherche sur la manière dont l’héritage est transmis au sein des familles (Baker et Gilding, 2011 ; Pfeffer et Killewald, 2018 ; Bessière et Gollac, 2020 ; Powell, 2023) et sur ses liens avec l’exacerbation des inégalités patrimoniales (Piketty et Zucman, 2015 ; Alvaredo et al., 2017) dans plusieurs contextes nationaux. En contexte canadien, les écrits à propos des dynamiques de transmission des héritages demeurent à ce jour extrêmement limités. Une étude récente a identifié que les ressources héritées expliquent 48 % des inégalités patrimoniales (mesurées par le coefficient de Gini) au Canada (Salas-Rojo et Rodríguez, 2022). Quelques recherches ont documenté les intentions de distribution de l’héritage des individus et l’effet des recompositions familiales au Québec (Martial 2009 ; Pugliese et al., 2023). Cependant, l’ampleur du phénomène de l’héritage en contexte canadien demeure largement inconnue : sa prévalence, la valeur moyenne transmise ou encore sa distribution au sein de la population ne sont que peu documentées. Ce manque de connaissance fait partie des raisons pour lesquelles les dynamiques successorales sont encore peu étudiées au Canada. Dans ce contexte, le premier objectif du présent article est de décrire la situation relative à l’héritage au Canada en estimant la proportion des ménages déclarant avoir reçu un héritage par voie successorale au cours de leur vie, la valeur de celui-ci et comment se décline la réception d’héritage selon les catégories socioéconomiques.
2Le second objectif de cette étude est d’explorer le changement dans la distribution et la taille des héritages transmis au décès au Canada au 21e siècle. En raison du vieillissement des populations observé au sein de nombreuses sociétés occidentales, la transmission d’héritages est amenée à prendre une place grandissante au cours du siècle selon plusieurs auteurs (Piketty, 2013 ; Tal, 2016). En effet, le vieillissement populationnel implique que de larges cohortes arrivent en âge de léguer et que les montants qu’elles transmettront à chacun de leurs bénéficiaires puissent être plus élevés, à cause de la réduction du nombre d’enfants par famille (Piketty, 2013 ; Zagheni et Wagner, 2015). Le rôle des héritages dans la reproduction intergénérationnelle des inégalités pourrait ainsi augmenter (Piketty, 2013 ; Piketty et Zucman, 2015). Si cet argument prend une place importante dans les discours sur l’héritage, je propose dans cet article que d’autres facteurs puissent contribuer à l’augmentation de la fréquence de ces transmissions depuis les dernières décennies au Canada, certains favorisant aussi une diffusion de l’héritage dans les classes moins aisées de la société. Notamment, les cohortes très âgées en âge de léguer ont vécu au cours de leur vie une importante augmentation de la possession de capital, en particulier au Québec via la diffusion de la propriété de la résidence. Également, le développement d’une culture de parentalité intensive semble donner lieu à une augmentation et une diffusion des « investissements parentaux » (dépenses pour les enfants ou transferts directs) durant l’enfance ou la transition à la vie adulte des enfants au sein de toutes les catégories socioéconomiques. Ces transformations laissent croire qu’une croissance s’observe au-delà de ce qui s’explique par le vieillissement et se manifeste fortement au Québec et dans les catégories socioéconomiques moins favorisées. De ce fait, cet article documente les tendances temporelles au Canada, selon les régions et le statut socioéconomique, tout en explorant l’effet de la structure d’âge.
3 Pour ce faire, je mobilise les données de l’Enquête sur la sécurité financière (ESF) produite par Statistique Canada entre 2005 et 2019. Dans les pages qui suivent, je présente les écrits existants sur l’encadrement légal des successions et sur la circulation des ressources financières dans les familles. J’aborde ensuite l’évolution de l’héritage à travers le temps, ainsi que les explications avancées par les écrits pour expliquer ces tendances. Après ce tour d’horizon, la méthodologie et les résultats sont présentés.
4Le Canada est doté d’un système bijuridique, soit un système où coexistent deux traditions de droit différentes (Wellington, 2001). Cette situation est due à la combinaison, au Québec, d’un droit privé d’héritage français, le Code civil, qui régit les relations entre particuliers et les questions de propriété, et d’un droit criminel et public d’héritage anglais. Le droit privé des autres provinces canadiennes, pour sa part, en est un de common law, c’est-à-dire qu’il est aussi d’origine anglaise (Wellington, 2001). L’encadrement des successions en droit canadien suit le principe de liberté testamentaire, selon lequel les individus sont libres de choisir les bénéficiaires de leur patrimoine à travers l’écriture d’un testament précisant leurs volontés (Morin, 2007). Ce principe de common law constitue une exception intégrée au droit québécois, qui se distingue sur ce point du droit français, très restrictif sur la question de la transmission des ressources au décès (Bessière et Gollac, 2020).
5Malgré l’existence du principe de liberté testamentaire dans l’ensemble des provinces canadiennes, la mesure dans laquelle celui-ci s’exerce varie cependant, notamment en raison des différences dans l’encadrement de la division de la propriété au sein des unions. En effet, la répartition du patrimoine au décès doit suivre les règles propres à la dissolution de l’union pour les couples mariés. Alors que les actifs et passifs considérés comme propriété familiale sont en général divisés également entre les époux par défaut, la possibilité de déroger à cet arrangement diffère entre les provinces. Si les provinces de common law permettent aux époux de prévoir la distribution de leur patrimoine au moment de la dissolution de l’union selon leurs préférences par contrat de mariage (Bonomi et Steiner 2006), au Québec, la disposition du patrimoine familial oblige une répartition égale de la résidence principale, des résidences secondaires, des meubles que celles-ci contiennent et des voitures, lorsque ces biens sont acquis durant le mariage (Lefebvre, 2011).
6De plus, les droits des conjoints de fait en cas de dissolution de l’union ou de succession ab intestat (sans testament) varient aussi grandement selon les provinces. Par exemple, en Colombie-Britannique, les conjoints de fait habitant ensemble depuis plus de 2 ans ont les mêmes droits que les couples mariés. Ils ont ainsi droit à leur part de la propriété familiale, et sont désignés comme bénéficiaires de la succession, avec les enfants de la personne décédée, en l’absence de testament (Brown et Gardiner, 2018). Alors que d’autres provinces, comme l’Ontario et l’Alberta, donnent aux conjoints de fait certains droits plus limités quant à la répartition du patrimoine et à la succession ab intestat, au Québec, ceux-ci n’ont aucun droit d’hériter s’ils ne sont pas nommés dans un testament (Brown et Gardiner, 2018). L’ensemble de ces dispositions légales influence donc la circulation des ressources économiques dans les familles au moment du décès et la part de patrimoine disponible pour la transmission aux prochaines générations.
7 Au-delà des modalités de distribution du patrimoine aux différents membres de l’entourage, il importe de considérer le traitement fiscal des successions par l’État. Sur ce plan, le Canada adopte une posture plutôt libérale qui favorise la défense du droit de propriété et de la liberté d’en disposer librement (Masson, 2009), en accord avec le principe de liberté testamentaire. Contrairement à plusieurs pays, tels que les États-Unis qui prélèvent un impôt sur les successions à partir d’une certaine valeur, le Canada n’est doté d’aucune structure d’imposition visant à redistribuer une part des richesses laissées au moment du décès (Turmel, 2019). Seul l’impôt sur le gain en capital, s’appliquant aussi aux legs successoraux, influence le traitement fiscal des biens transmis au décès (Samoisette, 2008). Ces dispositions impliquent donc que les héritages reçus peuvent être matériellement significatifs, n’étant peu ou pas imposés, et qu’ils sont transmis sur une base largement discrétionnaire, soulignant l’importance d’en comprendre la distribution.
8Comment et selon quelles logiques les successions sont-elles attribuées ? Si la question demeure peu étudiée au Canada, des études dans d’autres contextes favorisant la liberté de tester fournissent des pistes de réponse. Contrairement aux dons faits du vivant qui sont souvent déterminés par les besoins et orientés vers les jeunes encore dépendants et s’établissant dans la vie, ou vers les individus en difficulté financière (McGarry, 1999 ; Ploeg et al., 2004), les logiques guidant la transmission des héritages au décès présentent un caractère particulier. Bien que l’héritage puisse aussi remplir ces fonctions, il est généralement reçu plus tard dans la vie et la dimension symbolique qu’il porte influence la manière dont il est distribué (Gotman, 1988). Des études réalisées aux États-Unis et au Royaume-Uni, où le principe de liberté testamentaire s’y applique, ont révélé que les héritiers les plus fréquents sont le conjoint survivant et les enfants du défunt, en raison des sentiments d’obligation et de la proximité relationnelle souvent associés à ces relations (Douglas et al., 2011 ; Schaeffer, 2014). En Australie, qui applique aussi la liberté de tester, environ 83 % des successions comprenant un conjoint survivant bénéficient à ce dernier principalement, alors qu’en son absence, l’héritage revient aux enfants dans plus de 90 % des cas (Baker et Gilding, 2011), le plus souvent en parts égales (Norton et Van Houtven, 2006 ; Powell, 2023). Ces recherches, ainsi qu’une étude québécoise, soulignent que, surtout au sein des familles n’ayant pas vécu une recomposition, le legs au conjoint survivant constitue une étape préalable à la transmission aux enfants (Humphrey et al., 2010 ; Douglas et al., 2011 ; Pugliese et al., 2023). Par conséquent, le patrimoine est le plus souvent transmis à la prochaine génération d’une même famille, d’où l’importance de son rôle dans la reproduction intergénérationnelle des avantages sociaux (Halliday, 2018). D’ailleurs, l’avantage que représente la réception d’un héritage n’est pas réparti de manière uniforme à travers la société, les individus présentant un statut socioéconomique plus élevé ayant plus de chances de recevoir des transferts de richesses de la part de leur famille, souvent aussi mieux nantie (Hansen et Wiborg, 2019 ; Karagiannaki, 2015 ; Morelli et al., 2021). Si les familles les plus favorisées ont la possibilité de faire plus de transferts aux descendants en raison de la quantité de ressources à leur disposition, cette pratique est plus courante dans ces familles parce que celles-ci sont plus soucieuses d’éviter la mobilité intergénérationnelle descendante et utilisent ces transferts comme une stratégie de reproduction sociale (Albertini et Radl, 2012 ; Hansen et Wiborg, 2019 ; Bessière et Gollac, 2020)
9La recherche s’intéressant à l’héritage et à sa contribution à l’exacerbation des inégalités de richesses au 21e siècle accorde une attention soutenue au vieillissement des populations. Ces changements démographiques peuvent influencer le flux de ressources transmises à travers les successions. Dans les pays touchés par une augmentation des flux successoraux au cours du 21e siècle, l’arrivée de cohortes populeuses à l’âge où les décès sont plus fréquents explique en partie le plus grand volume d’héritages transmis aux générations suivantes. De plus, le nombre de descendants parmi lequel l’héritage est divisé étant moins élevé en raison de la diminution de la taille des familles, l’ampleur des héritages est aussi amenée à augmenter (Piketty, 2013). L’allongement de l’espérance de vie, pour sa part, a pour effet de retarder le moment où les bénéficiaires héritent (Zagheni et Wagner, 2015). Ce phénomène a le potentiel de favoriser l’accumulation de plus gros patrimoines, qui seront ensuite transmis à la prochaine génération (Piketty, 2013).
10Ces changements démographiques sont certainement à considérer dans le contexte canadien. Comme plusieurs sociétés occidentales, le Canada est touché par le vieillissement des populations. La génération des baby-boomers arrive graduellement aux âges où il devient plus fréquent d’hériter, son vieillissement alimentant peu à peu les effectifs du groupe des 50 à 75 ans. Entre 2005 et 2015, la population de personnes de 75 ans et plus a augmenté de 25 % (Tal, 2016). D’autres facteurs d’influence pouvant complexifier ce portrait, notamment en introduisant la possibilité d’une diffusion de l’héritage au sein des catégories socioéconomiques moins favorisées, doivent être considérés afin de saisir correctement la nature du phénomène au Canada. Les deux prochaines sections s’intéressent à ces facteurs.
11Au-delà des changements démographiques, l’évolution du marché immobilier au Canada et les changements dans le niveau d’accession à la propriété pourraient avoir une importance notable sur les tendances relatives à l’héritage. La résidence représentant le plus gros actif détenu pour la majorité des individus (Lizotte, 2017 ; Wolff, 2016), l’accession à la propriété influence la capacité de laisser un héritage. Lorsque la valeur d’une propriété augmente plus rapidement que l’inflation, la possession de cet actif favorise l’accumulation de patrimoine (Di et al., 2007 ; Killewald et Bryan, 2016). Au Royaume-Uni, l’accession à la propriété d’une part substantielle de la population a été identifiée comme un facteur crucial pour la démocratisation de l’héritage, de nombreux ménages, qui n’auraient autrement qu’un patrimoine limité, ayant un actif important à léguer aux prochaines générations (Finch et Mason, 2000). La hausse de la valeur des maisons a aussi été associée à l’augmentation des flux successoraux (Thorns, 1994 ; Karagiannaki, 2015). Si aucune recherche récente ne documente le lien entre les changements du marché immobilier et l’héritage au Canada, la hausse de l’accession à la propriété, ainsi que l’augmentation du patrimoine des ménages propriétaires en raison de la hausse des prix de l’immobilier depuis les années 90, estimée à 35 % entre 1990 et 2002 (Carter, 2004 ; Lizotte, 2017) pourraient avoir un effet sur les tendances observées. À mesure que les cohortes qui ont vécu ces changements arrivent à l’âge du décès, celles-ci risquent de contribuer à une hausse de la transmission d’héritages non expliquée par le vieillissement des populations.
12Le rôle joué par l’accession à la propriété pourrait non seulement se traduire par une augmentation de la transmission d’héritages parmi les ménages au statut socioéconomique moins élevé, mais aussi par des différences interprovinciales. Le Québec est la province canadienne où la proportion de propriétaires est la plus basse, et ce, depuis de nombreuses années. Cependant, le taux d’accession à la propriété y a augmenté plus rapidement qu’ailleurs dans les dernières décennies, resserrant l’écart séparant le Québec et les autres provinces (Fleury et al., 2016). Si on peut s’attendre à des disparités interprovinciales dans la capacité des familles à transmettre des ressources économiques par voie successorale, les ménages habitant les provinces de l’Atlantique et le Québec détenant en moyenne un patrimoine moins important que ceux résidant en Ontario, dans les Prairies et en Colombie-Britannique (Statistique Canada, 2020), les écrits nous mènent à croire qu’on pourrait observer un rattrapage du Québec dans les chances des ménages de recevoir un héritage, entraîné par l’accession à la propriété d’une part substantielle de la population. Ces changements au sein de la province pourraient influencer les tendances relevées au niveau national.
13 Un autre facteur pouvant favoriser l’augmentation de la transmission d’héritage à travers le temps n’étant pas lié au vieillissement des populations concerne le changement des attitudes par rapport à l’importance de ce transfert. De récentes recherches ont documenté l’apparition progressive d’une culture de parentalité financièrement intensive, les parents investissant de plus en plus pour le bien-être et la réussite de leurs enfants et accumulant un patrimoine à leur bénéfice (Kornrich et Furstenberg, 2013 ; Bandelj et Grigoryeva, 2021). Cette culture de parentalité s’imposerait graduellement comme un moyen de faire face aux inégalités sociales grandissantes et à l’insécurité économique auxquelles les enfants seront confrontés à l’âge adulte (Cooper, 2014 ; Doepke et Zilibotti, 2019). En effet, les transferts et investissements pour les enfants peuvent financer leur éducation (Conley, 2001 ; Hällsten et Pfeffer, 2017 ; Pfeffer, 2018), ainsi que des activités parascolaires favorisant leur développement (Lareau, 2011), faciliter l’accession à la propriété (Fleury et al., 2016 ; Cigdem et Whelan, 2017 ; Köppe, 2018) ou constituer un filet de sécurité à l’égard de certains évènements perturbateurs (Rodems et Pfeffer, 2021).
14Bien que les transferts et investissements financiers soient plus importants au sein des familles au statut socioéconomique plus élevé, celles-ci ayant généralement plus de ressources (Karagiannaki, 2015 ; Hansen et Wiborg, 2019 ; Morelli et al., 2021), on remarque une augmentation de ces pratiques à travers le temps chez les parents qui ont moins de moyens, dénotant ainsi un changement des attitudes et une adoption de ces normes de parentalité dans l’ensemble de la société (Bandelj et Grigoryeva, 2021). Si les recherches existantes concernent surtout les investissements et transferts à l’égard des enfants ou jeunes adultes, il est possible que ces préoccupations parentales se poursuivent aussi plus tard dans la vie et influencent les efforts d’accumulation d’un patrimoine à donner en héritage.
15Les écrits sur la parentalité financièrement intensive en contexte canadien sont plus limités. On relève toutefois la présence de cette culture au Canada, les parents étant impliqués dans des investissements en temps et en argent visant à assurer une sécurité économique à leurs enfants dans le futur (Aurini et al., 2020 ; Scheibling et Milkie, 2023). Le Canada est caractérisé par un contexte d’insécurité économique, le marché du travail étant plus instable et l’accession à la propriété de plus en plus dépendante du soutien familial (Côté et Bynner, 2008 ; Fleury et al., 2016 ; Krahn et al., 2018). Pour cette raison, les comportements parentaux d’accumulation de ressources à laisser en héritage pourraient amener à une augmentation de ce type de transfert, et ce, non pas uniquement parmi les familles les plus favorisées.
16Au regard des écrits présentés, nous avons pu voir que de nombreux facteurs peuvent influencer la circulation de l’héritage au sein des familles. Bien que les changements temporels relatifs au vieillissement des populations soient à considérer, se restreindre à cette dimension pour expliquer les tendances propres à l’héritage au 21e siècle risque d’occulter des dynamiques plus complexes qui sous-tendent leur évolution, telle que les changements du marché immobilier et des pratiques parentales touchant les familles au statut socioéconomique moins élevé. Les analyses suivantes visent à documenter la réception, la valeur et la distribution des héritages provenant des successions dans le contexte canadien, et à explorer les différents facteurs explicatifs pour l’évolution temporelle observée.
17Les données utilisées proviennent de l’Enquête sur la sécurité financière (ESF) menée par Statistique Canada, qui récolte des informations sur la situation financière des ménages canadiens, tels que leurs actifs et leurs dettes. L’enquête combine des questions relatives à l’ensemble du ménage, ainsi que portant sur les caractéristiques individuelles de ses membres, comme leur âge ou leur revenu. Les vagues de 2005, 2012, 2016 et 2019 de l’enquête seront mobilisées, puisqu’elles comportent des questions sur les héritages reçus par les ménages. Bien qu’en réalité l’héritage soit transmis à un bénéficiaire particulier, les analyses dans cet article sont conduites au niveau du ménage, parce que les données concernant ces transferts sont recueillies à cette échelle. En effet, le questionnaire demande à la personne de référence si elle ou un membre du ménage a déjà reçu un héritage. Cette manière de récolter les données sur l’héritage empêche de connaître les caractéristiques personnelles du bénéficiaire de ce transfert.
18Les personnes habitant les territoires, les réserves autochtones, les établissements institutionnels et les résidences pour personnes âgées sont exclues de la population cible de l’enquête. L’échantillonnage de l’ESF est réalisé par stratification à deux niveaux, d’abord par la province et ensuite en zones urbaines et rurales à l’intérieur desquelles les ménages répondants sont sélectionnés. Afin de tenir compte de la stratégie d’échantillonnage stratifiée et des non-réponses, un poids intégré a été produit pour l’enquête. De plus, des poids bootstrap ont été générés pour l’estimation de la variance. Ces deux pondérations sont utilisées dans les analyses. Après avoir combiné les quatre vagues de l’ESF, l’échantillon comprend 39 821 ménages.
19 Deux variables dépendantes sont mobilisées dans les analyses. Une première variable binaire indique si une personne dans le ménage a déjà reçu un héritage par le passé, peu importe l’année de réception. La seconde variable dépendante rend compte de la valeur monétaire totale des héritages dont a bénéficié le ménage, donnée par les répondants sur une base déclarative. Les répondants à l’enquête peuvent spécifier la valeur individuelle d’un maximum de cinq héritages, et doivent reporter les plus importants s’ils en ont reçu plus de cinq. Les montants de ces héritages sont ensuite additionnés pour obtenir la variable dépendante utilisée dans les analyses. La valeur des héritages est convertie en dollars constants de 2019 en fonction de l’année de réception, documentée dans l’enquête pour chacun des transferts. Les analyses relatives à cette variable continue sont menées seulement au sein du groupe des ménages ayant reçu un héritage. Afin de respecter le postulat de normalité de la variable dépendante, le logarithme naturel de la valeur des transferts est utilisé dans les analyses.
20 Les analyses comprennent quatre principales variables indépendantes. Pour étudier la distribution de l’héritage au sein de la population, le plus haut niveau d’éducation atteint par le principal soutien économique (Moins que le secondaire, Diplôme du secondaire ou d’une école de métiers, Collégial ou universitaire – moins que baccalauréat, Baccalauréat, Diplôme plus élevé que le baccalauréat) est utilisé comme indicateur du statut socioéconomique du ménage. La personne désignée en tant que principal soutien économique du ménage est celle rapportant le revenu le plus important. Le niveau d’éducation est préféré à d’autres indicateurs, comme le revenu, l’occupation ou la valeur du patrimoine détenu en raison des caractéristiques de l’ESF et du phénomène étudié. En effet, les revenus peuvent fluctuer de manière importante au cours de la vie et diminuent généralement au moment de la retraite. Puisque la réception d’un héritage est plus courante chez les personnes plus âgées et susceptibles d’être à la retraite, leur revenu constitue un indicateur moins représentatif de leur statut socioéconomique. L’occupation n’étant pas disponible pour les personnes à la retraite dans l’ESF, cet indicateur ne peut pas être utilisé. La variable de la valeur du patrimoine détenu a aussi été rejetée, en raison des difficultés à départager le rôle des transferts dans son accumulation. Afin d’étudier les tendances temporelles dans la réception et la valeur des héritages, une autre variable indépendante indique l’année de l’enquête (2005, 2012, 2016 et 2019). Pour considérer l’influence des changements dans la structure d’âge des populations, l’âge du principal soutien économique du ménage est mobilisé comme variable prédictive. Enfin, la région de résidence du ménage (Ontario, Québec, Prairies, Colombie-Britannique et Provinces de l’Atlantique) constitue une variable clé pour étudier l’effet des changements dans l’accession à la propriété et les différences interprovinciales qui sous-tendent les tendances à l’échelle nationale.
21Plusieurs variables de contrôle ont été ajoutées aux analyses. Une variable précise la composition familiale du ménage, soit un ménage dirigé par une personne seule, un couple marié, un couple en union libre, une personne veuve ou un autre type de ménage (incluant les colocataires, les ménages multigénérationnels, etc.). Parce que l’ESF ne permet pas de différencier entre les héritages reçus des parents ou d’un conjoint (ou d’une autre personne), la présence de la catégorie personne veuve est utile pour étudier l’effet du décès d’un conjoint sur les chances de recevoir un héritage. Il faut toutefois noter que cette mesure est imparfaite, puisqu’elle n’indique le veuvage que pour les personnes seules, et non pour celles ayant formé une nouvelle famille. D’autres variables de contrôle spécifient le genre du principal soutien économique, s’il est à la retraite et s’il est né au Canada. Les modèles permettent aussi de contrôler la présence d’enfants mineurs dans le ménage. Malgré les limites de la variable du revenu comme indicateur du statut socioéconomique, le revenu du ménage, divisé par 10 000 $ pour faciliter l’interprétation, est tout de même ajouté parmi les variables de contrôle. Les statistiques descriptives pour l’ensemble des variables sont présentées dans le Tableau 1.
Tableau 1. Statistiques descriptives de l’échantillon (N : 39 821)
|
Proportion (%)
|
Moyenne
|
Variables dépendantes
|
|
|
Le ménage a déjà reçu un héritage (Réf : n’a pas reçu d’héritage)
|
|
|
2005
|
22,2
|
|
2012
|
26,9
|
|
2016
|
29,4
|
|
2019
|
29,0
|
|
Réception d’un héritage selon la composition familiale
|
|
|
Couple marié
|
29,5
|
|
Personne seule
|
21,9
|
|
Couple en union libre
|
25,6
|
|
Veuf ou veuve
|
39,9
|
|
Autres types de ménage
|
27,2
|
|
Valeur totale des héritages reçus ($)
|
|
|
2005
|
|
116 397
|
2012
|
|
119 136
|
2016
|
|
133 873
|
2019
|
|
130 261
|
Variables indépendantes
|
|
|
Année de l’enquête (Réf : 2005)
|
22,5
|
|
2012
|
24,7
|
|
2016
|
26,0
|
|
2019
|
26,8
|
|
Âge du principal soutien économique
|
|
49,85
|
Région de résidence du ménage (Réf : Ontario)
|
37,3
|
|
Québec
|
24,7
|
|
Prairies
|
17,2
|
|
Colombie-Britannique
|
13,8
|
|
Provinces de l’Atlantique
|
7,1
|
|
Niveau d’éducation du principal soutien économique (Réf : Diplôme du secondaire ou école de métier)
|
34,6
|
|
Moins que le secondaire
|
15,7
|
|
Collégial ou universitaire, moins que baccalauréat
|
22,3
|
|
Baccalauréat
|
17,7
|
|
Diplôme plus élevé que le baccalauréat
|
9,7
|
|
Composition familiale (Réf : Couple marié)
|
38,4
|
|
Personne seule
|
33,0
|
|
Couple en union libre
|
10,0
|
|
Veuf ou veuve
|
6,7
|
|
Autres types de ménage
|
12,0
|
|
Principal soutien économique est une femme (Réf : Homme)
|
40,6
|
|
Principal soutien économique est à la retraite (Réf : Pas à la retraite)
|
21,4
|
|
Présence d’enfants mineurs (Réf : Pas d’enfants mineurs)
|
25,5
|
|
Principal soutien économique est né hors du Canada (Réf : né au Canada)
|
26,9
|
|
Revenu familial ($)
|
|
84 597
|
22 Les premières analyses sont descriptives et présentent la proportion des ménages ayant reçu un héritage, ainsi que la valeur des héritages reçus. Pour évaluer la distribution des héritages en fonction du statut socio-économique, une première régression logistique permet d’étudier la variable dépendante indiquant si le ménage a déjà reçu un héritage selon le niveau d’éducation, en incluant l’ensemble des variables indépendantes et de contrôle. Le deuxième modèle est une régression linéaire multiple prédisant la valeur monétaire des héritages reçus selon l’éducation, au sein de l’échantillon des ménages en ayant été bénéficiaires (avec tous les contrôles).
23 Les analyses suivantes ont pour objectif d’étudier l’évolution à travers le temps. Je présente d’abord l’évolution générale des héritages durant la période étudiée. Ensuite, j’étudie le rôle du vieillissement populationnel dans la tendance observée grâce à la méthode Karlson-Holm-Breen pour décomposer les changements à travers le temps, en incluant encore une fois l’ensemble des variables de contrôle. Cette méthode compare un modèle naïf sans contrôle pour l’âge et une régression comportant ce contrôle pour déterminer l’effet total, l’effet direct de l’année de l’enquête et l’effet indirect (l’effet médiateur de l’âge), tout en corrigeant les biais de rééchelonnement et d’atténuation associés à l’ajout d’une variable dans la régression logistique (Karlson et al., 2012). Il faut noter que, puisque l’intégration de la pondération bootstrap n’est pas possible avec cette commande, la variance de ces modèles est sous-estimée. Pour explorer des explications alternatives et étudier l’évolution temporelle selon les provinces et le niveau d’éducation, je reproduis les mêmes modèles logistiques et linéaires, en incluant cette fois une interaction entre l’année de l’enquête et les variables de la région de résidence du ménage et du niveau d’éducation du principal soutien économique.
24 À propos de la prévalence du phénomène, la proportion des ménages canadiens ayant déjà reçu un héritage se situe entre 22 % et 29 %, variant d’une année à l’autre (j’y reviendrai à la prochaine section). La moyenne de la valeur des héritages reçus varie, quant à elle, de 116 000 $ à 130 000 $ (voir le Tableau 1).
25Afin d’explorer la manière dont se distribuent les héritages selon le statut socio-économique, et plus précisément le niveau d’éducation, les prochaines analyses mobilisent des régressions prédisant les variables de réception d’un héritage et de leur valeur monétaire. On observe que plus le niveau d’éducation du principal soutien économique du ménage est élevé, plus les chances de réception d’un héritage augmentent (Tableau 2), reflétant probablement les capacités financières de la famille d’origine. Comme le démontrent les probabilités prédites à la Figure 1, la probabilité d’avoir déjà hérité est de 19,3 % pour le niveau d’éducation Moins que le secondaire, alors qu’elle s’élève à 34,1 % pour les ménages dont le principal soutien économique a un diplôme universitaire plus élevé que le baccalauréat.
Tableau 2. Régression logistique mesurant la réception d’un héritage (N :39 821)
|
Coefficient
|
Écart-type
|
Variables indépendantes
|
|
|
Année de l’enquête (Réf : 2005)
|
|
|
2012
|
0.18***
|
0.06
|
2016
|
0.32***
|
0.06
|
2019
|
0.26***
|
0.06
|
Niveau d’éducation du principal soutien économique (Réf : Diplôme du secondaire ou école de métier)
|
|
|
Moins que le secondaire
|
-0.48***
|
0.05
|
Collégial ou universitaire, moins que baccalauréat
|
0.13***
|
0.05
|
Baccalauréat
|
0.22***
|
0.05
|
Plus que baccalauréat
|
0.41***
|
0.06
|
Âge du principal soutien économique
|
0.04***
|
0.002
|
Région de résidence du ménage (Réf : Ontario)
|
|
|
Québec
|
-0.18***
|
0.05
|
Prairies
|
0.01
|
0.04
|
Colombie-Britannique
|
0.10**
|
0.05
|
Provinces de l’Atlantique
|
-0.58***
|
0.06
|
Variables de contrôle
|
|
|
Composition familiale (Réf : Couple marié)
|
|
|
Personne seule
|
-0.36***
|
0.05
|
Couple en union libre
|
0.02
|
0.06
|
Veuf ou veuve
|
-0.40***
|
0.07
|
Autres types de ménage
|
-0.14***
|
0.05
|
Genre du principal soutien économique (Réf : Homme)
|
0.06*
|
0.04
|
Principal soutien économique est à la retraite (Réf : Pas à la retraite)
|
0.04
|
0.05
|
Principal soutien économique est né hors du Canada (Réf : né au Canada)
|
-1.32***
|
0.04
|
Présence d’enfants mineurs dans le ménage (Réf : pas d’enfants mineurs)
|
-0.29***
|
0.05
|
Revenu familial
|
0.0003
|
0.001
|
Constante
|
-2.70***
|
0.11
|
Résultats pondérés.
* : p<0.10 ; **p<0.05 ; *** : p<0.01. Test de Wald bilatéral.
|
Figure 1. Probabilités estimées qu’un ménage ait déjà reçu un héritage selon le statut socio-économique. Probabilités prédites à la valeur moyenne des autres variables du modèle. Intervalles de confiance à 95 %.
26D’autres variables de contrôle ont un effet significatif sur les chances qu’un ménage ait déjà reçu un héritage. Le genre présente un effet statistiquement significatif au seuil de 0,10, les ménages dirigés par une femme étant plus susceptibles d’avoir reçu un héritage, mais l’effet étant toutefois peu important. Le fait d’être né hors du Canada diminue de manière marquée les chances de réception d’un héritage. La présence d’enfants mineurs dans le ménage est aussi associée à de moins grandes chances d’avoir déjà reçu un héritage. En considérant l’effet de la région de résidence du ménage, on voit que les chances de réception d’un héritage diffèrent à travers les provinces du Canada. Les ménages résidant dans les provinces de l’Atlantique et au Québec sont ceux qui ont le moins de chances d’avoir déjà reçu un héritage, en comparaison avec ceux habitant les Prairies et l’Ontario, ainsi que la Colombie-Britannique pour laquelle l’effet est encore plus grand. Ces différences reflètent la situation des inégalités patrimoniales entre les provinces, les ménages du Québec et des provinces de l’Atlantique détenant généralement moins de patrimoine que ceux des autres régions, et donc moins de ressources à léguer. Ces résultats sont présentés au Tableau 2.
27 En ce qui concerne la valeur monétaire des héritages parmi les ménages en ayant déjà reçu, un niveau d’éducation plus élevé est associé à des héritages de valeur plus importante (Tableau 3). Le niveau d’éducation le moins élevé est associé à une diminution d’environ 53 % de la valeur moyenne des héritages par rapport à la catégorie Diplôme du secondaire, en gardant les autres variables constantes. En comparaison, la catégorie du diplôme universitaire plus élevé que le baccalauréat est associée à une augmentation d’environ 4 % relativement à cette même catégorie de référence. On observe également des différences significatives sur d’autres variables du modèle, qui vont généralement dans le même sens que pour le modèle précédent. L’âge a encore un effet positif sur la valeur des héritages reçus. Encore une fois, les ménages résidant en Colombie-Britannique, en Ontario ou dans les provinces des Prairies reçoivent une plus grande valeur monétaire en héritage que ceux du Québec et des provinces de l’Atlantique. La valeur des héritages augmente lorsque le principal soutien économique est à la retraite et aussi avec le revenu familial, alors que ce dernier n’a pas un effet significatif pour la réception d’un héritage. Le fait d’être né hors du Canada diminue les chances qu’un ménage ait déjà reçu un héritage, mais cette même caractéristique augmente la valeur reçue dans le groupe de ceux qui en ont bénéficié.
Tableau 3. Régression linéaire mesurant la valeur totale des héritages reçus (N : 11 370)
|
Coefficient
|
Écart-type
|
Variables indépendantes
|
|
|
Année de l’enquête (Réf : 2005)
|
|
|
2012
|
-0.12
|
0.08
|
2016
|
-0.08
|
0.07
|
2019
|
-0.01
|
0.07
|
Âge du principal soutien économique
|
0.02***
|
0.002
|
Région de résidence du ménage (Réf : Ontario)
|
|
|
Québec
|
-0.31***
|
0.06
|
Prairies
|
-0.08
|
0.06
|
Colombie-Britannique
|
0.13*
|
0.07
|
Provinces de l’Atlantique
|
-0.28***
|
0.07
|
Niveau d’éducation du principal soutien économique (Réf : Diplôme du secondaire ou collégial)
|
|
|
Moins que le secondaire
|
-0.56***
|
0.07
|
Collégial ou universitaire, moins que baccalauréat
|
0.08
|
0.06
|
Baccalauréat
|
0.25***
|
0.07
|
Plus que baccalauréat
|
0.38***
|
0.07
|
Variables de contrôle
|
|
|
Composition familiale (Réf : Couple marié)
|
|
|
Personne seule
|
-0.32***
|
0.06
|
Couple en union libre
|
-0.05
|
0.08
|
Veuf ou veuve
|
-0.20**
|
0.08
|
Autres types de ménage
|
0.10
|
0.07
|
Genre du principal soutien économique (Réf : Homme)
|
-0.01
|
0.05
|
Principal soutien économique est à la retraite (Réf : Pas à la retraite)
|
0.12**
|
0.06
|
Principal soutien économique est né hors du Canada (Réf : né au Canada)
|
0.20***
|
0.07
|
Présence d’enfants mineurs dans le ménage (Réf : pas d’enfants mineurs)
|
-0.08
|
0.07
|
Revenu familial
|
0.01***
|
0.002
|
Constante
|
9.32***
|
0.15
|
Résultats pondérés
* : p<0.10 ; **p<0.05 ; *** : p<0.01. Test t bilatéral
Le logarithme naturel de la valeur des héritages reçus est utilisé.
|
28En s’intéressant maintenant aux changements à travers le temps, les statistiques descriptives présentées plus haut (Tableau 1) indiquent que la proportion des ménages ayant reçu un héritage augmente de manière statistiquement significative, spécialement entre 2005 et 2012 où elle passe de 22 % à 26 %. Cette proportion atteint son plus haut niveau en 2016 à un peu plus de 29 % et se stabilise ensuite entre 2016 et 2019, les intervalles de confiance pour ces deux années se chevauchant. Au niveau des montants reçus, ils augmentent en moyenne surtout entre 2005 et 2016, passant de 116 397 $ à 133 873 $. Les montants demeurent semblables entre 2016 et 2019. Il faut noter que les intervalles de confiance pour chacune de ces valeurs d’héritage se chevauchent, suggérant une incertitude quant à l’existence de réelles différences selon les années.
29Pour ce qui est de la prévalence des réceptions d’héritages, le modèle de régression précédent (Tableau 2) indique que cette croissance dans le temps n’est pas expliquée entièrement par l’âge. L’effet de l’année de sondage est encore bien significatif même dans une régression contrôlant pour l’âge et divers autres facteurs. Pour les montants (Tableau 3), l’année du sondage n’est plus significative dans le modèle incluant des contrôles et affiche même une réduction de la valeur des héritages à travers le temps.
30Pour mieux comprendre l’influence des changements dans la structure d’âge sur les tendances temporelles observées, les prochaines analyses utilisent la méthode Karlson-Holm-Breen pour décomposer l’effet temporel. Le Tableau 4 présente les coefficients pour l’effet total et l’effet direct de la variable de l’année du sondage, ainsi que le pourcentage de l’effet total médié par la variable de l’âge, en corrigeant les biais de rééchelonnement et d’atténuation. L’effet total représente les changements dans le temps sans contrôler pour les changements dans la structure d’âge de la population. Il correspond au coefficient d’une régression incluant l’ensemble des variables de contrôle, à l’exception de l’âge. L’effet direct représente les changements qui sont seulement dus au passage des années ; il correspond au coefficient pour les années dans la régression présentée au Tableau 2 contrôlant pour les changements dans la structure d’âge. La méthode Karlson-Holm-Breen permet de comparer ces coefficients dans le contexte d’une régression logistique. En étudiant les chances qu’un ménage ait déjà reçu un héritage, on peut voir que l’effet total sans le contrôle de l’âge est plus important que l’effet direct. Ainsi, les changements dans la structure d’âge expliquent en partie l’évolution dans la réception d’héritages, soit entre 24 et 31 % selon les années. Cependant, l’âge n’explique pas l’entièreté des tendances, les changements entre les années demeurant significatifs même lorsque cette variable de contrôle est ajoutée (tel que présenté au Tableau 2). En ce qui a trait à l’évolution de la valeur des héritages, on peut voir que ni l’effet total ni l’effet direct ne sont statistiquement significatifs, et que le contrôle de l’âge n’explique pas l’absence de changements à travers le temps.
Tableau 4. Méthode KHB pour mesurer l’effet total et direct de l’année de l’enquête et le pourcentage médié par l’âge, réception d’un héritage et valeur totale des héritages reçus
|
Le ménage a déjà reçu un héritage (N : 39 821)
|
Valeur totale des héritages reçus (N : 11 370)
|
Effet total de l’année de l’enquête (Réf : 2005)
|
|
|
2012
|
0.25***
(0.06)
|
-0.06
(0.08)
|
2016
|
0.42***
(0.05)
|
-0.006
(0.07)
|
2019
|
0.37***
(0.06)
|
0.06
(0.08)
|
Effet direct de l’année de l’enquête (Réf : 2005)
|
|
|
2012
|
0.18***
(0.06)
|
-0.12
(0.08)
|
2016
|
0.32***
(0.05)
|
-0.08
(0.07)
|
2019
|
0.26***
(0.06)
|
-0.01
(0.08)
|
Pourcentage médié par l’âge
|
|
|
2012
|
29.14
|
-100.96
|
2016
|
24.24
|
-1093.39
|
2019
|
31.12
|
121.14
|
Résultats pondérés avec le poids de sondage, sans la pondération bootstrap.
* : p<0.10 ; **p<0.05 ; *** : p<0.01. Test t bilatéral.
Écart-type entre parenthèses.
Par souci de concision, les autres variables indépendantes incluses dans le modèle ne sont pas présentées.
|
31En somme, l’augmentation de la proportion des ménages ayant bénéficié d’un héritage dans le temps n’est pas due seulement à l’effet du vieillissement ; d’autres facteurs sont en jeu. La recension des écrits porte à croire que ces facteurs incluent la diffusion du patrimoine due à l’augmentation de la propriété de la résidence, particulièrement au Québec, et le développement d’une culture de parentalité intensive dans toutes les tranches de la population. Afin d’examiner ces hypothèses, les analyses suivantes s’intéressent à la manière dont les changements à travers le temps se déclinent selon les régions et le niveau d’éducation.
32 Dans le but d’explorer l’effet potentiel d’une diffusion du patrimoine, en particulier au Québec, je me tourne maintenant vers des analyses selon les régions canadiennes. En introduisant un terme d’interaction entre l’année de l’enquête et la région de résidence du ménage (Tableau 5), il est possible de voir que l’augmentation de la réception d’héritage a été plus importante au Québec qu’ailleurs pour l’ensemble de la période observée. La probabilité prédite d’avoir hérité est passée de 16,8 % à 30,6 % entre 2005 et 2016, pour redescendre quelque peu à 26,5 % en 2019 (Figure 2). Les provinces de l’Atlantique ont également vécu une augmentation plus importante que l’Ontario, les Prairies et la Colombie-Britannique entre 2016 et 2019 (18,7 % à 23,6 %). Les changements dans les autres régions sont beaucoup plus modestes, se situant autour de 2 ou 3 %. Ainsi, la tendance à l’augmentation de la réception d’héritage observée au Canada semble surtout attribuable aux changements survenus au Québec et, dans une moindre mesure, dans les provinces de l’Atlantique. Bien que les données ne permettent pas d’en faire le test directement, ces résultats appuient l’hypothèse selon laquelle une hausse dans les taux d’accession à la propriété à la fin du 21e siècle aurait mené à une diffusion des actifs et expliquerait en partie la montée de l’héritage, puisque cette hausse a été plus marquée au Québec. Les taux de ménages propriétaires dans chaque région selon l’année du sondage sont présentées en annexe (Tableau A2) et rendent compte des différences entre provinces et du rattrapage encore en cours au Québec.
Tableau 5. Régression logistique mesurant la réception d’un héritage, interaction entre l’année de l’enquête et la région de résidence (N : 39 821)
|
Coefficient
|
Écart-type
|
Année de l’enquête (Réf : 2005)
|
|
|
2012
|
-0.02
|
0.10
|
2016
|
0.15
|
0.10
|
2019
|
0.15
|
0.11
|
Région de résidence du ménage (Réf : Ontario)
|
|
|
Québec
|
-0.68***
|
0.15
|
Prairies
|
0.04
|
0.12
|
Colombie-Britannique
|
0.12
|
0.15
|
Provinces de l’Atlantique
|
-0.80***
|
0.16
|
Interactions
|
|
|
2012 x Québec
|
0.62***
|
0.17
|
2012 x Prairies
|
0.15
|
0.15
|
2012 x Colombie-Britannique
|
0.06
|
0.17
|
2012 x Provinces de l’Atlantique
|
0.24
|
0.19
|
2016 x Québec
|
0.73***
|
0.16
|
2016 x Prairies
|
-0.08
|
0.14
|
2016 x Colombie-Britannique
|
-0.03
|
0.17
|
2016 x Provinces de l’Atlantique
|
0.12
|
0.18
|
2019 x Québec
|
0.50***
|
0.17
|
2019 x Prairies
|
-0.15
|
0.14
|
2019 x Colombie-Britannique
|
-0.06
|
0.17
|
2019 x Provinces de l’Atlantique
|
0.45**
|
0.19
|
Constante
|
-2.58***
|
0.13
|
Résultats pondérés.
* : p<0.10 ; **p<0.05 ; *** : p<0.01. Test de Wald bilatéral.
Variables indépendantes incluses, mais non présentées.
|
Figure 2. Probabilités estimées qu’un ménage ait déjà reçu un héritage selon l’année de l’enquête et la région de résidence. Probabilités prédites à la valeur moyenne des autres variables du modèle. Intervalles de confiance à 95 %
33Afin d’étudier les hypothèses de diffusion de la propriété de la résidence ainsi que de modification des comportements parentaux, notamment chez les ménages moins favorisés, les prochaines analyses concernent l’évolution temporelle en fonction du statut socioéconomique. En intégrant une interaction entre ces variables (Tableau 6), on remarque que le groupe des ménages les moins éduqués a été touché par une plus grande augmentation de la réception d’héritage en 2016 (p < 0.1) et en 2019 (p < 0.05). La probabilité de réception d’un héritage est passée de 15,3 % à 22,1 % entre 2005 et 2019. En comparaison, le changement a été de 24,6 % à 26,0 % pour la catégorie Diplôme du secondaire et de 27,8 % à 31,5 % pour les ménages dont le principal soutien économique a un baccalauréat. L’écart entre les ménages au statut socioéconomique moins élevé et le reste de la population a quelque peu diminué ; l’augmentation dans la réception d’héritage n’a pas seulement bénéficié aux ménages ayant le statut socioéconomique le plus élevé, mais a plutôt eu un impact sur l’ensemble de la population. Ces résultats témoignent de changements au sein des ménages présentant un statut socioéconomique moins élevé, possiblement en raison de l’accession à la propriété par ces familles ou à une augmentation de l’importance accordée à l’épargne au profit des enfants, en accord avec les normes de parentalité financièrement intensive.
Tableau 6. Régression logistique mesurant la réception d’un héritage, interaction entre l’année de l’enquête et le niveau d’éducation du principal soutien économique (N : 39 821)
|
Coefficient
|
Écart-type
|
Année de l’enquête (Réf : 2005)
|
|
|
2012
|
0.13
|
0.09
|
2016
|
0.25***
|
0.09
|
2019
|
0.09
|
0.09
|
Niveau d’éducation du principal soutien économique (Réf : Diplôme du secondaire ou école de métier)
|
|
|
Moins que le secondaire
|
-0.67***
|
0.13
|
Collégial ou universitaire, moins que baccalauréat
|
0.02
|
0.14
|
Baccalauréat
|
0.19
|
0.16
|
Plus que baccalauréat
|
0.26
|
0.18
|
Interactions
|
|
|
2012 x Moins que secondaire
|
0.07
|
0.16
|
2012 x Collégial ou universitaire, moins que baccalauréat
|
0.12
|
0.16
|
2012 x Baccalauréat
|
-0.08
|
0.18
|
2012 x Plus que baccalauréat
|
0.26
|
0.22
|
2016 x Moins que secondaire
|
0.28*
|
0.16
|
2016 x Collégial ou universitaire, moins que baccalauréat
|
0.07
|
0.15
|
2016 x Baccalauréat
|
0.08
|
0.18
|
2016 x Plus que baccalauréat
|
-0.005
|
0.19
|
2019 x Moins que secondaire
|
0.42**
|
0.17
|
2019 x Collégial ou universitaire, moins que baccalauréat
|
0.23
|
0.16
|
2019 x Baccalauréat
|
0.12
|
0.18
|
2019 x Plus que baccalauréat
|
0.32
|
0.20
|
Constante
|
-2.63***
|
0.12
|
Résultats pondérés.
* : p<0.10 ; **p<0.05 ; *** : p<0.01. Test de Wald bilatéral.
Variables indépendantes incluses, mais non présentées.
|
Figure 3. Probabilités estimées qu’un ménage ait déjà reçu un héritage selon l’année de l’enquête et le statut socioéconomique. Probabilités prédites à la valeur moyenne des autres variables du modèle. Intervalles de confiance à 95 %
34Les analyses portant sur la valeur des héritages reçus présentées en annexe (Tableau A4) ne révèlent pas les mêmes tendances. On n’observe pas une augmentation pour les ménages les moins éduqués et, en 2016, les ménages dont le principal soutien économique a un baccalauréat ont même bénéficié un peu plus de l’évolution dans la valeur des héritages (au seuil de 0.10).
35Le calcul du coefficient de Gini, à partir de la valeur des héritages reçus par les ménages ayant déjà bénéficié de ce type de transfert, permet d’approfondir la question des inégalités quant à sa distribution. Comme on peut l’observer au Tableau 7, la valeur des transferts est distribuée assez inégalement, le coefficient de Gini se situant entre 0.70 et 0.73, mais cette mesure d’inégalité demeure plutôt stable à travers les années, en ligne avec les résultats de la régression.
Tableau 7. Coefficient de Gini mesurant la distribution des héritages reçus (N : 11 370)
|
2005
|
0.70
|
|
2012
|
0.72
|
|
2016
|
0.73
|
|
2019
|
0.70
|
|
36 Cet article s’est intéressé aux tendances relatives aux transmissions par voie successorale des familles canadiennes entre 2005 et 2019. Alors que d’importants travaux ont documenté la circulation des ressources héritées, leur évolution temporelle et leur contribution aux inégalités sociales dans d’autres pays (Piketty, 2013 ; Nolan et al., 2021 ; Palomino et al., 2022), quasiment aucune étude n’avait exploré le phénomène dans le contexte canadien. Cet article présente un premier portrait de la situation. Les résultats ont permis de révéler qu’entre 22 % et 29 % des ménages canadiens ont déjà reçu un héritage, selon les années. La valeur de ces héritages varie entre 116 397 $ à 133 873 $. Cet article a fourni plus de détails sur l’impact de l’héritage sur les inégalités économiques entre les familles. Comme dans d’autres contextes nationaux (Hansen et Wiborg, 2019 ; Morelli et al., 2021), les familles présentant un statut socioéconomique plus élevé ont plus de chances d’avoir déjà reçu un héritage et de recevoir des valeurs plus importantes lorsque cela est le cas, vraisemblablement en raison des moyens financiers de leurs proches. Ces résultats ont des implications pour les politiques de l’État visant à limiter les inégalités sociales et à favoriser l’égalité des chances. Certains chercheurs soulignent que l’instauration d’un système de taxation progressive des successions pourrait atténuer les effets inégalitaires de l’héritage (Piketty, 2019 ; Nekoei et Seim, 2023). Depuis 1971, le Canada n’a pas d’impôt propre aux successions (Turmel, 2019).
37Les résultats ont révélé une augmentation de la proportion de ménages ayant déjà reçu un héritage entre 2005 et 2019, mais peu de changements au niveau des montants reçus. Bien que les changements dans la structure d’âge de la population expliquent une part de l’augmentation observée dans les chances de recevoir un héritage (entre 23 et 29 % selon l’année), cette hausse demeure même après avoir pris en compte leur effet. Les analyses selon les différentes régions canadiennes ont permis de voir que l’augmentation de la réception d’héritage relevée au niveau national semble être en grande partie due aux changements survenus au Québec, rattrapant son retard par rapport aux autres régions. Puisque l’accession à la propriété d’une part substantielle de la population s’est faite plus tard au Québec qu’ailleurs (Fleury et al., 2016), il est probable que l’augmentation de la réception d’héritages soit une manifestation de l’arrivée à l’âge du décès des premières générations détenant en grands nombres ce type d’actif. L’étude des tendances dans le temps en fonction du statut socioéconomique des ménages a révélé que la montée de l’héritage est survenue dans l’ensemble de la population, et a même été un peu plus importante pour les ménages au statut socioéconomique le moins élevé. La démocratisation de l’accession à la propriété pourrait encore être en cause, les familles moins nanties ayant autrement peu de ressources à léguer entrant en possession d’un actif considérable à laisser en héritage. Il se peut qu’une part de cette tendance soit expliquée par un changement dans l’importance accordée à l’accumulation de patrimoine, en ligne avec la montée d’une culture de parentalité financièrement intensive répondant à l’insécurité économique à laquelle les parents estiment que leurs enfants auront à faire face (Cooper, 2014 ; Aurini et al., 2020 ; Bandelj et Grigoryeva, 2021).
38Bien que les inégalités dans l’accès des familles aux ressources héritées demeurent, ces résultats démontrent que l’héritage est un phénomène important dans l’ensemble de la société. Une proportion non négligeable des ménages les moins éduqués a déjà reçu un héritage. Il importe de ne pas seulement étudier ce phénomène parmi les élites, comme c’est souvent le cas dans les écrits existants. De futures recherches, au Canada comme ailleurs, devraient se pencher sur la manière dont l’héritage est utilisé et contribue à l’accumulation de patrimoine de façon différenciée en fonction du statut socioéconomique des bénéficiaires. Alors que les écrits suggèrent que les personnes plus nanties sont en meilleure posture que celles ayant un statut socioéconomique moins élevé pour faire fructifier le patrimoine dont ils héritent (Nekoei et Seim, 2023), il serait intéressant d’approfondir les connaissances sur le fonctionnement de ces mécanismes d’accumulation au sein de différents milieux sociaux.
39Cette recherche comporte certaines limites. Même si les analyses à propos de l’influence du statut socioéconomique permettent de conclure que l’héritage contribue aux inégalités économiques, puisque ses bénéfices sont distribués inégalement, l’absence de données sur leur provenance (par exemple, si un héritage provient d’un conjoint ou d’un parent) et sur les caractéristiques socioéconomiques des parents (et grands-parents) des répondants à l’enquête empêche de déterminer dans quelle mesure il constitue un mécanisme de reproduction intergénérationnelle au Canada. L’ESF ne comprend pas d’informations sur la présence d’enfants des répondants qui habiteraient en dehors du ménage, seuls les enfants résidant toujours avec leurs parents étant répertoriés. Ceci limite les possibilités d’analyses sur l’influence de l’existence d’enfants sur la réception de ce type de transferts. De futures études devront tenter de comprendre si la présence d’une descendance augmente les chances des ménages de recevoir un héritage, dans une visée de perpétuation du statut social à travers une lignée (Bessière et Gollac, 2020) ou par souci des besoins financiers des générations suivantes.
40La restriction des analyses à l’étude de l’héritage, à l’exclusion d’autres types de donations et transferts faits du vivant, constitue une autre limite de cette recherche. D’après des recherches conduites dans d’autres contextes nationaux, comme en France, en Allemagne et aux États-Unis, une part importante de la transmission des richesses familiales à la prochaine génération survient du vivant des donateurs (Masson, 2006 ; Pfeffer et Killewald, 2018 ; Tisch et Schechtl, 2024). Si ces transmissions peuvent prendre la forme de dons visant directement à augmenter le patrimoine des bénéficiaires, elles consistent souvent en des transferts indirects, pour l’éducation par exemple, effectués tôt dans la vie afin d’assurer la position sociale des enfants, jouant ainsi un rôle déterminant pour leur situation économique (Masson 2006 ; Pfeffer et Killewald, 2018). Les incitatifs à transférer les richesses avant le décès peuvent être plus présents dans les pays où ces recherches ont été effectuées, en raison de l’existence d’une structure fiscale rendant ces transferts plus avantageux. Bien que les impacts fiscaux des donations et des héritages diffèrent peu au Canada, ce phénomène mérite tout de même d’être étudié. Une étude qualitative canadienne a relevé que les parents et grands-parents accordent de l’importance à transmettre des ressources à leurs descendants de leur vivant, pour fournir une aide ponctuelle et voir les effets de leurs dons (Ploeg et al., 2004). Les travaux de Fleury et al. (2016) suggèrent que les transferts du vivant sont utilisés pour faciliter l’accession à la propriété en contexte québécois. De futures recherches devront s’intéresser à la prévalence et à la distribution de ces transferts au Canada, ainsi qu’à leur évolution à travers le temps.
41De plus, les données disponibles dans l’ESF ne permettent pas de tester directement la portée explicative des hypothèses avancées pour les tendances temporelles autres que les changements dans la structure d’âge, soit les changements relatifs à la propriété de la résidence et l’évolution des attitudes parentales par rapport à l’héritage. Puisque l’enquête ne récolte pas d’informations sur les familles d’où proviennent les héritages, les analyses ne peuvent pas évaluer directement l’association entre ces mécanismes et l’évolution temporelle observée. En raison de l’absence de données sur l’héritage avant 2005, il est impossible de savoir si les autres régions du Canada ont vécu une montée de ce type de transfert semblable à celle du Québec, mais durant le 21e siècle, ce qui aurait permis de mieux évaluer l’hypothèse d’un effet à retardement de l’accession à la propriété en contexte québécois.
42Parce que les données relatives à l’héritage sont récoltées à l’échelle du ménage, et non au niveau individuel, l’utilisation de l’âge et du statut socioéconomique du principal soutien économique produit des estimations moins précises que si nous connaissions les caractéristiques de la personne du ménage les ayant vraiment reçus. De plus, il serait intéressant de considérer l’influence d’autres caractéristiques individuelles dans le contexte canadien, notamment le genre des bénéficiaires, les écrits suggérant que les femmes sont parfois désavantagées dans les successions (Bessière et Gollac, 2020), ou l’origine ethnique, aussi associée à des inégalités dans la réception de transferts financiers (McKernan et al., 2014).