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Notes de lecture

Hélène Bourdeloie et Christine Chevret-Castellani : L’impossible Patrimoine Numérique ? Mémoire & Traces

Alice Dubard
p. 209-211
Référence(s) :

Bourdeloie H., Chevret-Castellani C. (2019). L’impossible Patrimoine Numérique ? Mémoire & Traces, Lormont, Le bord de l’eau

Texte intégral

1Ce petit ouvrage récent propose une liaison de la définition du patrimoine et de son devenir dans la sphère numérique. Paru en 2019, il s’appuie en partie sur des enquêtes de terrain. L’impossible patrimoine numérique ? Mémoire & traces indique à la fin de son introduction qu’il voudrait « ouvrir des pistes de réflexion sur les dimensions patrimoniales, mémorielles et pérennes des traces à l’heure du numérique ».

2C’est un petit livre organisé en quatre chapitres, dont l’introduction, la conclusion ainsi que la bibliographie occupent une part importante des 143 pages comptées.

3Le premier chapitre met en question nos traces numériques à l’ère contemporaine en postulant qu’on ne peut pas ne pas en faire, car il rappelle que certaines traces sont recueillies à l’insu de l’usager du web. Ce chapitre offre aussi une réflexion sur les traces volontaires en s’appuyant sur le cas des selfies dans leur rapport aux images plus anciennes et traditionnelles des photos de famille argentiques. Le parallèle entre la pratique régulière des digital natives de se prendre en photo, parfois de manière inconsidérée, et l’abandon de l’album généalogique permet de saisir la question de la place de l’individu dans le monde actuel. Il pose et décrit le cadre des sociétés post-industrielles qui accordent une place centrale au sujet moderne dorénavant individualiste et montre comment la photographie peut être « un acte social de communication d’émotion ».

4Le deuxième chapitre donne à voir la nécessaire démarche de sélection pour « faire mémoire » en montrant que dans la production de discours toutes les traces ne sont pas mnésiques. Ici, le rappel de la mutation, en accélération depuis une dizaine d’années, du patrimoine, qui n’est plus uniquement tangible et monumental, et de ses modes de transmission élargis à d’autres héritages que ceux de la lignée paternelle, est élaboré de manière suffisante pour que le lecteur néophyte de ces problématiques en comprenne les changements à l’ère du numérique. Ainsi, cette partie permet de jauger les différences entre d’une part le patrimoine numérisé et le patrimoine numérique et d’autres part le passage d’une circulation horizontale vers une nouvelle plus verticale des legs.

5Le troisième chapitre traite de la « mort numérique », concept juridique à l’allure d’oxymore, qui se construit depuis 2014. Ce chapitre relate les difficultés de légiférer sur le droit à l’oubli dans un monde virtuel ne possédant pas de fin temporelle ni spatiale. Les difficultés pointées concernent la démarche de conciliation des droits de la personne disparue en tant qu’individu dont l’existence passée ne peut être effacée et en tant que membre d’une famille laquelle revendique son droit au deuil. Elles montrent aussi la frontière mince entre les caractères « personnels » et « privés » lorsqu’il s’agit de données. À ces difficultés s’ajoute encore celle du cadre décisionnel. En effet, la multiplicité des instances de législation, du fait de leur superposition, participe à la confusion autour de la question de l’effacement et de l’oubli. En France la première loi numérique connue sous le nom Informatique et libertés du 6 janvier 1978 est régulièrement discutée au sein de la CNIL et elle est modifiée par amendements, mais ses principes ne coïncident pas forcément avec ceux de ses voisins européens et notamment avec la Grande-Bretagne. Ainsi, en France, le droit à l’image par la protection et le respect des données reste effectif après le décès, contrairement à certaines traditions juridiques anglo-saxonnes. Nous comprenons l’harmonisation législative européenne malaisée. Aussi, le statut international des GAFAM détourne le principe de subsidiarité institutionnelle en matière de pratiques numériques en créant des fonctionnalités d’héritage virtuel de soi, à l’instar de l’entreprise américaine Facebook avec le legacy contact.

6Le quatrième chapitre intitulé « Patrimoine numérique : enjeux théoriques sur le devenir de la trace » s’ouvre sur un rapide rappel des dangers de la production non maîtrisée des traces, et indique surtout rapidement l’apparition d’un domaine disciplinaire à part entière, la « tracéologie », qui s’intéresse aux marques de l’humain lié au numérique. Ce dernier chapitre développe trois approches à l’œuvre concomitamment qui permettent chacune d’élargir la définition de trace : l’approche médiologique, l’approche sémiologique du signe-trace et l’approche phénoménologique, c’est-à-dire le devenir de la trace.

7C’est un petit ouvrage qui offre une vision claire des enjeux de la traçabilité virtuelle. Le développement des liens entre mémoire et web est toujours ramené au sujet de l’étude mis en question dans le titre. Le terrain sur lequel il s’appuie est visible, et les exemples précis et détaillés des conflits d’intérêts entre l’individu, sa famille et les multinationales permettent au lecteur de rendre ces enjeux plus réels. La question du choix individuel concernant sa propre transmission traverse ce livre, elle incite chacun à se préoccuper de son identité numérique, et renforce l’idée d’une tendance sociétale actuelle à la réappropriation de soi. L’ouvrage confirme, s’il en était encore besoin, que le patrimoine n’est plus qu’affaire de musée.

8Malgré le faible volume d’écriture, il présente parfois des répétitions dans les idées travaillées et offre un volume à certain texte qui peut sembler disproportionné, en l’occurrence une page entière de citation. Mais il est riche en références des chercheurs qui ont travaillé sur les relations entre trace, mémoire et patrimoine et a le mérite de mêler les pionniers et les chercheurs plus contemporains. En effet, nous avons relevé, par exemple, dans le seul premier chapitre, des noms tels que : Edgar Morin, Pierre Bourdieu, Erving Goffman, Matteo Treleani, ou encore John Austin, Cécile Tardy, Vera Dodebei et Roger Odin.

9Louise Merzeau aussi est abondamment mentionnée dans ce livre que les auteures lui dédient en hommage. En conclusion, nous recommandons ce livre en dévoilant notre impression d’une lecture sur la mémoire « en mémoire » pour mieux la prévoir.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alice Dubard, « Hélène Bourdeloie et Christine Chevret-Castellani : L’impossible Patrimoine Numérique ? Mémoire & Traces »Études de communication, 53 | 2019, 209-211.

Référence électronique

Alice Dubard, « Hélène Bourdeloie et Christine Chevret-Castellani : L’impossible Patrimoine Numérique ? Mémoire & Traces »Études de communication [En ligne], 53 | 2019, mis en ligne le 15 mars 2020, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/edc/9596 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/edc.9596

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Auteur

Alice Dubard

Univ. Lille, EA 4073 – GERiiCO, F-59000 Lille, France
dubalice@yahoo.fr

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