1Le présent travail, à travers l’exemple de la ville de Kairouan, s’inscrit dans le cadre des études en bioclimatologie humaine en montrant la vulnérabilité de la population face aux épisodes de forte chaleur, devenus, au cours des dernières décennies, parmi les principales causes de mortalité dans le monde (Lee, 2014). L’aléa forte chaleur devient de plus en plus intense, fréquent et persistent; il est considéré parmi les manifestations majeurs du changement climatique dans les latitudes moyennes. Ces changements impactent la santé humaine notamment chez les personnes âgées ayant des problèmes de santé chroniques (Bungener, 2004). Cet aléa dégrade également la productivité au travail, en particulier dans les pays à climats chauds (Gossiaux et Cassan, 2020). Dans le contexte du changement climatique actuel et futur, la forte chaleur représente une menace climatique croissante, plus prononcées dans les villes où les températures élevées pendant la phase diurne, persistent la nuit sous l’effet additionnel du phénomène de l’îlot de chaleur urbain (ICU). Ce phénomène correspond à l’augmentation de la température dans la partie centrale et les quartiers densément bâtis de l’agglomération par rapport à sa périphérie rurale avoisinante où la végétation occupe davantage de surface. Les surfaces artificialisées (rues, parkings, bâtiments, etc.) et les activités anthropiques (chauffage, climatisation, industrie, trafic routier, etc.) modifient le bilan d’énergie notamment la nuit quand la ville restitue lentement la chaleur stockée pendant la journée. Cependant, en zone rurale, une partie de la radiation solaire est consommée comme chaleur latente (évaporation et évapotranspiration) ce qui réduit la quantité de chaleur stockée et restituée la nuit durant laquelle le refroidissement est rapide car le milieu est dégagé et le vent est plus fort (Oke, 1973 ; Oke et al., 2017).
2Des données à résolution plus fine ont conduit à de nombreuses études, menées à l’échelle des quartiers, pour mieux comprendre la variabilité spatio-temporelle de la vulnérabilité humaine, en se concentrant sur les questions d'âge, de sexe, de santé et de niveau socio-économique (par exemple Uejio et al., 2011 ; Hondula et al., 2015). Lohrey et al. (2021) montrent que la population pauvre est plus menacée par l’aléa climatique étudié. La vulnérabilité, qu’elle soit à la chaleur extrême ou à d’autres aléas, est généralement définie comme l'incapacité d'un groupe ou d'une population spécifique à réagir ou à s'adapter de manière appropriée à un facteur de stress nocif spécifique (Bankoff, 2001 ; Andrew et al., 2008). Les facteurs affectant la vulnérabilité à la chaleur sont classés en facteurs interpersonnels, sociaux et politiques. Les facteurs interpersonnels comprennent la classe socio-économique, le niveau d'éducation, l'âge et les conditions médicales préexistantes telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires, les maladies cérébro-vasculaires, les maladies rénales, les troubles nerveux et l'emphysème (Lohrey et al., 2021). D’autres facteurs comme le niveau de revenus, en particulier l’équipement en climatiseurs, augmentent la susceptibilité aux maladies liées à la forte chaleur (Riley et al., 2018).
3L'exposition aux vagues de chaleur est influencée, en partie, par les caractéristiques extérieures et intérieures des bâtiments (O’Lenick et al., 2019). La combinaison de plusieurs paramètres climatiques, notamment le vent, le rayonnement solaire, l'humidité et la température de l'air, contribue à l'exposition des habitants à la forte chaleur et l’inconfort thermique (Besancenot, 2003 ; Fabbri, 2015 ; Shooshtarian et Ridley, 2017). Le vent est souvent faible dans la partie centrale de la ville caractérisée par une forte densité urbaine et une forte rugosité due obstacles qui créent des zones d’abri. Ce dernier facteur accentue la chaleur notamment la nuit (Dahech, 2007 ; De Munck, 2013 ; Leconte, 2014). Le stress thermique extérieur et la température de l’air en particulier ont également une influence sur le confort thermique à l’intérieur des bâtiments non équipés par des climatiseurs. De plus, l'ombrage est jugé important pour éviter l’augmentation des températures à l’intérieur des foyers (Lundgren Kownacki et al., 2019). La production et le stockage de la chaleur sont importants pour déterminer dans quelle mesure un bâtiment peut résister aux vagues de chaleur sans entraîner des températures intérieures excessivement élevées (Uejio et al., 2011 ; O’Lenick et al., 2019). En règle générale, les températures à l’intérieur des bâtiments mal isolés augmentent davantage pendant les épisodes de forte chaleur (Lundgren Kownacki et al., 2019).
4Des périodes prolongées de températures diurnes et nocturnes élevées créent un stress physiologique cumulatif sur le corps humain pouvant causer des décès dans des cas extrêmes (Besancenot, 2003 ; Lavigne et al., 2014 ; Xu et al., 2016). Parmi les principales causes de décès, on cite les maladies respiratoires et cardiovasculaires, le diabète et les maladies rénales (Bai et al., 2014). Le sexe et l’âge peuvent jouer un rôle important dans la détermination de la sensibilité à la chaleur. À titre d’exemple, Jonsson et Lundgren (2015) ont prouvé que les personnes fragiles telles que les personnes âgées et les personnes souffrant des maladies chroniques sont plus sensibles aux vagues de chaleur. Cette sensibilité à la chaleur est fortement liée aux caractéristiques physiologiques, métaboliques, cardiovasculaires, comportementales de la population (Xu et al., 2012). En effet, Kousky (2016) a montré que les enfants sont plus sensibles aux vagues de chaleur que les adultes. Ces résultats sont expliqués par la teneur faible de liquide dans le corps des enfants conduisant à un risque accru de déshydratation. Par ailleurs, ces vagues de chaleur affaiblissent la compréhension et la capacité d'apprentissage et l'attention des enfants (Salthammer et al., 2016 ; Zivin et Shrader, 2016). Pendant la saison estivale, l'ampleur des effets de la chaleur sur la santé dépend du moment de la journée, de l'intensité et de la durée de la vague de chaleur, du niveau d'acclimatation, de l'adaptabilité de la population locale et des infrastructures. Concernant les stratégies d'adaptation à la canicule, plusieurs études axées sur l'importance de la gestion des canicules sont menées pour minimiser les effets nocifs du stress thermique (Jonsson et Lundgren, 2015). L’adaptation est un processus d’ajustement au climat en cherchant à modérer ou à éviter les nuisances (Agard et al., 2014).
5La capacité à mettre en œuvre des mesures qui réduisent le stress thermique concerne la formation du personnel sur les mesures préventives et réactives, la capacité à détecter les conséquences et les symptômes potentiels du stress chez les personnes très jeunes et âgées et à identifier les personnes les plus sensibles à la chaleur (Benmarhnia et al., 2018). D’autres mesures sont prises pour réduire le stress thermique, tels que l'utilisation de l'ombrage, le refroidissement temporaire des locaux, l'ajustement des horaires quotidiens pour dormir, manger et s'hydrater (Malmquist et al., 2021). À cela on peut rajouter, des mesures institutionnelles et gouvernementales comme les campagnes de sensibilisation, les systèmes d’alerte, les programmes de subvention, la planification stratégique, etc. (Institut national de santé publique du Québec, 2021). Ces mesures sont moins déployées dans les pays du Sud où l’exposition à la forte chaleur est souvent plus élevée comme c’est le cas en Tunisie, à Kairouan, la zone de note étude. Il s’agit d’une agglomération dense, avec un niveau de pauvreté élevé et une forte exposition à la forte chaleur en été à cause de son cadre topoclimatique (une cuvette continentale).
6Nous partons de l’hypothèse que la vulnérabilité de la population face à la forte chaleur en été, varie d’un quartier à autre en fonction de l’exposition à l’aléa et des caractéristiques démographiques et socioéconomiques des habitants.
- D’abord, nous rappelons les caractéristiques de l’aléa forte chaleur et la répartition des températures dans l’agglomération de Kairouan.
- Ensuite, nous étudions la vulnérabilité de la population aux fortes chaleurs.
- Enfin, nous montrons les modes d’adaptation de la population selon les types d’habitat et le niveau de vie.
7Pour répondre à ces questions, nous avons mené des enquêtes dans douze quartiers de la ville de Kairouan auprès de la population.
8L’agglomération de Kairouan, située à 50 km du littoral, est une ville moyenne, parmi les plus anciennes communes au centre de la Tunisie. L’agglomération s’étale sur 23 km2 et compte environ 200 000 habitants, (illustration 1). Sa population a fortement augmenté durant les trois dernières décennies, passant de 72 254 habitants en 1984 à 187 000 en 2014. Cette croissance démographique a été accompagnée par une extension du tissu urbain qui s’est accélérée ces dernières années. La majorité des habitations sont mal isolées et construites en brique rouge à forte conductivité thermique. La partie centrale et les quartiers denses enregistrent une chaleur additionnelle causée par l’ICU, la nuit (Chebli et al., 2020). Elle est implantée « sur une plaine d’épandage vers laquelle convergent, notamment deux capricieux cours d’eau, Oued Zeroud et Oued Marguelli » (Nassrallah, 2019). Cette plaine est entourée par des collines d’environ 200 m d’altitude.
Illustration 1 - Carte de localisation de l’agglomération de Kairouan
Source : Fond Google Earth, 2022.
9Kairouan est dotée d’un climat de type méditerranéen, donc à été chaud et sec, avec des vents faibles à modérés durant toute la saison chaude. Au cours des dernières décennies, l’agglomération a connu des étés très chauds et une forte mortalité liée au canicules (Ben Boubaker et Chahed, 2012). Pendant les trois dernières années, les températures maximales estivales (juin-juillet et août) ont fréquemment dépassé 45°C, soit environ 9°C de plus que la normale de saison calculée pour la période 1981-2010. Les 45°C ont été dépassés pendant 17 jours en 2023, 8 jours en 2022 et 9 jours en 2021.
10D’abord, pour qualifier l’aléa forte chaleur, nous utilisons les données météorologiques qui concernent les températures journalières minimales (TN) et maximales (TX) enregistrées par la station de l’Institut National de la Météorologie durant la période 1980-2023. Cette station est implantée dans l’agglomération, ses données permettent de qualifier l’ambiance thermique qui concernent les citadins. En complément, pour caractériser l’ICU, nous exploitons les résultats des mesures itinérantes de la température réalisées dans l’agglomération de Kairouan, l’été par temps très chaud, la nuit.
11Ensuite, pour évaluer la vulnérabilité de la population kairouanaise face à la forte chaleur et cerner les facteurs potentiels de risque, une enquêté transversale quantitative a été réalisée. Deux enquêteurs ont réalisé les enquêtes au mois de mars 2021 dans douze quartiers de l'agglomération kairouanaise auprès de 425 personnes (chefs de ménage) dont 70,30 % sont de sexe masculin (tableau 1). Le questionnaire de l’enquête comporte des questions à réponses fermées et ouvertes. Pour choisir une population représentative, un plan d’échantillonnage stratifié aléatoire a été adopté (illustration 2).
Illustration 2 - Plan d’échantillonnage de l’enquête réalisée en mars 2021 dans l’agglomération de Kairouan : (à gauche) et localisation des quartiers enquêtés et types d’occupation de sol (à droite)
12Les strates ont été choisies en fonction des critères géographiques (quartier formel et informel), de type d’habitat (habitat mitoyen, villa, studio…) et d’équipement en climatiseur. Nous avons obtenu un échantillon de répondants parmi les habitants de l’agglomération, tout en assurant une représentativité en termes d'âge, de sexe et de niveau d'éducation. Au moins vingt personnes ont été enquêtées par quartier (illustration 4). La population enquêtée occupe essentiellement les quartiers les plus anciens densément bâtis sans espaces verts comme Keblia Nord, keblia Sud et les faubourgs de Nahassine, Menchia, Ennaser, El bourgie (Ettaben). Ces quartiers, considérés comme populaires, ont une densité qui dépasse 8 000 hab/km2. D’autres ménages enquêtés habitent les quartiers résidentiels avec de petits jardins, comme Manar et Echbilia. Les questions ont été rédigées et posées en arabe (dialecte local). Le questionnaire de cette étude, en annexe de cet article, est composé de trois parties visant à produire des informations approfondies sur l’aléa et l’exposition à la forte chaleur, ainsi que sur des éléments qui reflètent les pratiques en matière d’adaptation contre la forte chaleur.
13La première partie du questionnaire comprend des questions d’ordre démographique (âge, sexe) et socio-économique (niveau d'éducation, emploi, équipements, matériaux de construction). Ces éléments peuvent déterminer le niveau de sensibilité de la population face aux fortes chaleurs (tableau. 1).
Tableau 1 - Quelques caractéristiques démographiques des enquêtés
- 1 800 TND = 238,5 euros ; 1 500 TND = 447 euros.
Caractéristiques démographiques
(N = 425)
|
(%)
|
Sexe
|
Homme
|
70,44
|
Femme
|
29,56
|
Age
|
< 20
|
9,72
|
20 – 40
|
43,06
|
40 – 60
|
34,17
|
> 60
|
13,06
|
Scolarité
|
Analphabète
|
7,73
|
Primaire
|
21,55
|
Secondaire
|
44,75
|
Supérieur
|
25,97
|
Revenu en TND (dinar tunisien1)
|
< 800
|
56,63
|
800 – 1500
|
31,49
|
> 1500
|
7,73
|
14Dans la deuxième partie, nous avons demandé des informations concernant la perception des fortes chaleurs, un élément qui peut réduire ou augmenter la résilience de la population face à l’aléa étudié. La troisième partie est consacrée au comportement et au mode d’adaptation de la population face aux fortes chaleurs.
15L’enquête commence par une brève introduction, dont le but de présenter le sujet et l’objectif du questionnaire. En moyenne, le déroulement de l’enquête prend environ 15 minutes par personne. À la fin de l’enquête, nous avons ajouté les commentaires additionnels des enquêtés. Les réponses issues des enquêtes sont regroupées et introduites dans un tableau afin d’être analysées à l’aide du logiciel SPSS Statistics. L’échantillon est calculé en utilisant un calculateur automatique2. Il représente théoriquement une proportion avec un niveau de confiance de 95 % et une marge d’erreur à 4,75 % d’après le site web précité. Enfin, nous mobilisons les observations de terrain qui demeurent utiles pour plusieurs raisons. D’abord, elles nous permettent de se procurer des informations sur l’occupation du sol et la topographie : deux facteurs explicatifs de la variation spatiale des températures dans l’agglomération (zone verte, dépression, la densité des bâtis). Puis, ils nous amènent à voir le comportement, la perception et le mode de vie de la population dans la zone étudiée. Ensuite, ces déplacements sont nécessaires pour comprendre la morphologie de la ville et particulièrement le type d’habitat (villa, habitat mitoyen, studio, etc.), l’orientation des bâtiments et les matériaux de construction. Les déplacements ont été faits à pied et en voiture suivant l’échelle et l’objectif des observations.
16Étudier les fortes chaleurs nécessite d’abord de fixer des critères de son identification. D’après Ben Boubaker (2010), « sur ce point, il n’y a toujours pas unanimité entre les chercheurs ». Parmi les critères, jugés objectifs, figurent les seuils statistiques. Cette approche méthodologique a été choisie, elle est adaptée au contexte climatique de Kairouan. Elle a l’avantage d’associer simultanément la température de l’air ambiant diurne (TX) et nocturne (TN) et permet ainsi de caractériser d’une manière synthétique l’ambiance thermique d’une journée donnée. Le changement brusque des températures durant un mois donné peut affecter la santé respiratoire (Widmaier et al., 2007) ; d’où le recours à des seuils mensuels.
17À ce stade de la recherche nous ne disposons pas de données de mortalités pour les associer aux données thermiques, cependant nous rappelons que plusieurs études ont montré, dans les pays à été chaud, une augmentation de la mortalité et de la morbidité humaine lorsque la température maximale quotidienne dépasse le 95ème centile (Gosling et al., 2007, 2009 ; Hajat et al., 2002). Nous considérons que la saison chaude à Kairouan s’étale de mai à septembre. Pour chaque mois nous calculons le troisième quartile Q3, le neuvième décile D9 et le percentile 95 (P95) pour TX et TN sur la période 1981-2020. Les valeurs obtenues seront utilisées pour qualifier la chaleur forte, très forte et torride et leurs tendances. Cette méthode statistique est inspirée des travaux de Ben Boubaker (2010) concernant la ville de Tunis. À titre d’exemple, pour le mois de juillet, comme indiqué sur l’illustration 3, Q3 atteint 22.9°C pour TN et 38°C pour TX alors que P95 oscille entre 25.4°C pour TN et 42.7°C pour TX. La combinaison des seuils statistiques obtenus pour TX avec ceux de TN aboutissent à la matrice qui permet de définir les jours fortement chauds, très fortement chauds et torrides comme suit pour juillet :
- les jours fortement chauds correspondant aux jours avec des valeurs de températures comprises entre Q3 et D9 avec TX entre 40°C et 42,3°C et des TN variant entre 23,5°C et 24,8°C ;
- les jours de très forte chaleur, enregistrent des valeurs entre D9 et P 95, avec TX (42,3°C ; 43,8°C) et des TN qui varient entre 24,8 °C et 25,5 °C ;
- les jours à chaleur torride sont enregistrés quand TN et TX dépassent P95 : TX ≥43,8°C et TN ≥ 25,5°C.
Illustration 3 - Grille d’indices de chaleur relative à Kairouan pour le mois de juillet (données INM, 1981-2010)
Source : Inspiré de Ben Boubaker, 2010.
18Nos résultats montrent une moyenne annuelle très élevée de la forte chaleur (29 jours), 11 jours de très forte chaleur et 6 jours de chaleur torride. La classe forte chaleur et chaleur torride représentent respectivement 1 262 et 231 jours durant la période 1980-2023 (mois de mai à septembre). L’illustration 4A illustre la fréquence moyenne annuelle des fortes chaleurs dans la station météorologique de Kairouan, elle montre une tendance significative à la hausse des jours fortement chauds. Elle illustre également le caractère exceptionnel de la chaleur observée en 2022 avec 82 jours de forte chaleur dont 29 torrides. Les trois dernières années (2021, 2022 et 2023) ont enregistré un nombre de jours record avec une très forte chaleur ou une chaleur torride. La persistance de la forte chaleur varie d’une année à autre comme le montre l’illustration 4B qui illustre une intensité, persistance et fréquence accrues de la forte chaleur à Kairouan. L’illustration 4B montre une augmentation de la chaleur en termes d’intensité et de durée, en sélectionnant les jours caractérisés par une très forte chaleur (seuil moyen de TX38°C). La durée d’une vague de chaleur dépasse les deux semaines généralement comme le montre les cercles proportionnels sur l’illustration ci-dessous. Les vagues de chaleur les plus intenses sont observées pendant les étés 1982, 1987, 1994, 1999, 2012, 2014, 2019, 2021, 2022 et 2023. Ces deux dernières sont considérées parmi les plus chaudes, à la fois en termes de persistance et d’intensité de la chaleur comme ce fut le cas dans plusieurs villes tunisiennes. La vague de chaleur la plus longue a eu lieu en 2022 (entre le 16 juillet et le 18 août). Cette dernière a été moins intense que celle de 2023 qui a duré 32 jours du 3 juillet au 4 août (illustration 4B).
Illustration 4 - Variation annuelle du nombre moyen de jours de forte, très forte chaleur et torride. (A) Fréquence, durée et intensité des vagues de chaleurs observées à Kairouan (B) Durée des vagues de chaleurs (renseignée par des cercles proportionnels)
Source des données : INM,1980-2023.
19Durant les trois dernières années les situations atmosphériques avec une dorsale barométrique sont très fréquentes ce qui explique cette chaleur exceptionnelle dont le record a atteint 50,3°C le 11/08/2021. À l’échelle mensuelle, le nombre de jours chauds, très chauds et torrides pendant les cinq mois de la saison chaude connaissent une tendance à la hausse, malgré une variabilité interannuelle. Le mois de juillet, août et, depuis quelques années, septembre enregistrent les effectifs les plus élevés. Le mois de juillet 2023 est de loin le plus chaud avec 24 jours de fortes chaleur (illustration 5A) dont 16 jours torrides (illustration 5B).
Illustration 5 - Variation annuelle du nombre de jour/mois de la forte chaleur (A) et de la chaleur torride (B)
Source des données : INM, 1980-2023.
20La répartition spatiale de la forte chaleur est influencée par l’effet de la ville et principalement le phénomène de l’ICU la nuit. Contrairement à la journée, durant laquelle de très faibles disparités spatiales au niveau du champ thermique sont observées, la nuit l’écart centre-ville/campagne s’accentue par temps chaud comme le cas du 23-24/06/2019 (Chebli et al., 2020). Les mesures itinérantes réalisées instantanément par deux équipes révèlent un ICU nocturne intense de l'ordre de 9,9°C (illustration 6)
Illustration 6 - Évolution spatiotemporelle des températures de l’air dans l’agglomération de Kairouan pendant la nuit 23-24 juin 2019 à minuit (heure locale)
Source : Chebli et al., 2020.
21Les températures baissent considérablement dans la campagne rurale comme au point A4 en plein périmètres irrigués. En dehors de la zone urbaine, l’occupation du sol et la position géographique deviennent des paramètres déterminants de la variation spatiale de la température. En effet, le transect « A » montre que le passage par les périmètres irrigués d’El Baten à A4, A5 et A11 à l’Ouest s’accompagne par une baisse de plus de 2°C par rapport au noyau urbain d’El Baten et sa zone industrielle (A8 et A9). Dans la partie centrale de l’agglomération, la médina et les quartiers populaires denses enregistrent des températures d’environ 30°C à minuit. La température baisse dans les quartiers résidentiels comme dans le quartier AFH4-5 et Echbilia où les températures sont autour de 26,5°C (point B4).
22En somme, la forte chaleur estivale à Kairouan s’accentue et devient plus fréquentes. Elle s’aggrave dans la partie centrale et les quartiers périphériques dense, la nuit, par l’effet de l’ICU.
23D’après l'enquête auprès de la population, 73,4 % des chefs de ménages enquêtés pensent qu’ils sont menacés par les fortes chaleurs et qu'il faisait très chaud à l'intérieur et à l’extérieur des logements pendant toute la journée durant tout l'été. De plus, la majorité déclarent que la saison estivale est désormais de plus en plus longue et que les températures sont en hausse sans cesse au cours de la dernière décennie. Par conséquent, ils affirment que les fortes chaleurs sont perceptibles à partir du mois de mai jusqu’au mois d’octobre.
24D’après l’illustration 7, concernant la perception du nombre de jours à forte chaleur par année, la classe de 1 à 10 jours se trouve en 1er rang avec environ 30 %. Cette perception est cohérente avec les statistiques calculées plus haut. La deuxième classe, de 21 à 30 jours, occupe le 2ème rang avec 20,8 % des réponses. Notons que 22,2 % des répondants n’ont pas défini la durée des épisodes de forte chaleur. Ces résultats sont en accord avec ceux de Ben Boubaker (2010) qui a montré que la durée moyenne des jours de forte chaleur à Kairouan dépasse généralement 15 jours.
25Selon l’enquête, la forte chaleur pourrait avoir des répercussions nocives sur l’environnement. En effet, pendant la saison estivale d’autres dangers apparaissent et perturbent la vie quotidienne des citadins. À titre d’exemple, la prolifération des moustiques et la pollution olfactive dégagée des décharges sauvages affectent les habitants. L’ampleur de ces nuisances varie selon les quartiers. Le travail de terrain, nous a permis de détecter que certains quartiers sont extrêmement pollués, avec la prolifération des décharges sauvages, comme El Bourgie et El Mansourah AFH. Les résultats montrent que 51,7 % des répondants souffrent de la propagation des moustiques en été dans la quasi-totalité des quartiers. Cependant, 32,2 % des enquêtés sont affectés par la pollution sonore. Ceci est dû à l’allongement du temps passé à l’extérieur afin d’échapper à l’augmentation des températures élevées à l'intérieur des logements, pendant la nuit. Le reste des enquêtés (15,1 %) souffrent de toutes les nuisances précitées.
Illustration 7 - Perception de la durée des épisodes de fortes chaleurs (à gauche) et du mois le plus chaud (à droite) par les enquêtés
Source : enquête, mars 2021.
26D’après les enquêtes effectuées auprès de la population Kairouanaise, on a constaté un taux de pauvreté très élevé expliquant l’absence des moyens d’adaptation contre les vagues de chaleur. Cela se traduit par les faibles revenus déclarés par les enquêtés dont un tiers est au chômage (illustration 8). Ainsi, la moitié des répondants n’ont pas des revenus fixes. Les revenues faibles ne dépassant pas 800 TND (238,5 €).
Illustration 8 - Répartition des salaires dans l’agglomération de Kairouan
Source : enquête, mars 2021.
27Les faibles revenus ne permettent pas aux habitants de se doter des climatiseurs ou de construire des logements adaptés aux fortes chaleurs (types de matériaux, isolation des maisons, orientation) pour faire face aux canicules.
28Les revenus des familles kairouanaises diffèrent d'un quartier à un autre, d’où la disparité de possession d'équipements de climatisation. En effet, les quartiers les plus aisés, localisés au nord de l’agglomération comme Echbilia AFH4-5 et AFH1-2 sont les mieux équipés en climatiseurs avec un taux supérieur à 80 % (illustration 9). Cependant, dans les quartiers d’El Menchia, Cité Sahnoun, Keblia, etc. qualifiés de « pauvres », le taux d’équipement en climatiseur et ventilateur n’a pas dépassé 50 % selon la déclaration des enquêtés.
Illustration 9 - Distribution des équipements en climatiseurs et taux de revenus en TND selon les quartiers enquêtés
Source : enquête, mars 2021.
29Les habitants de l’agglomération de Kairouan ont un faible niveau d’instruction. 29,28 % des enquêtés ont un niveau d’étude primaire et 44,75 % ont un niveau secondaire. Cette catégorie qui habite généralement les quartiers denses s’adapte mal à la forte chaleur. Elle n’est pas en mesure d’analyser et d’interpréter les sources de nuisance environnementales ni de proposer des solutions pour atténuer la chaleur. En revanche, les enquêtés qui résident dans les quartiers riches ont un niveau d'instruction plus élevé. Les réponses concernant la perception de la forte chaleur et les solutions proposées pour l’atténuer sont plus cohérentes par rapport à celles obtenues dans les quartiers pauvres. Dans ces derniers, la forte chaleur est présentée comme une « fatalité ».
30La majorité des logements sont mitoyens, mal isolés, non entretenus, peu ventilés avec l'absence des espaces verts. Par conséquent, la sensation de surchauffe en été s’intensifie. En effet, plus de 75 % des logements sont construits par des briques rouges à forte conductivité thermique, sans enduit à l’extérieur, dans la majorité des cas (illustration 10).
Illustration 10 - Densité des surfaces urbanisées et des logements mal isolés (%) par quartier
Source : enquête, mars 2021.
31À l’échelle du quartier, le changement de l’occupation du sol engendre un contraste thermique. D’après l’enquête, les quartiers de Keblia, Nahassine, Ennasr et la médina occupant la partie centrale de la ville sont les plus vulnérables à la surchauffe. Ils sont caractérisés par une densité urbaine élevée traduisant un taux de surface urbanisée qui peut atteindre 100% pour certains quartier (illustration 11). De même, les quartiers situés en périphérie comme El Menchia et Cité Sahnoun sont densément peuplés. Les logements y sont de types mitoyens et construits en briques rouges mal isolées (90% sans enduit et/ou sans peinture). Ces matériaux de construction ont une forte capacité de stockage de la chaleur qui accentue la sensation de l’inconfort thermique. Dans ces quartiers, les surfaces urbanisées dépassent 80 % de la surface totale. Ce type de matériaux est caractérisé par une forte conductivité thermique qui contribue à l’intensification de la sensation de la surchauffe à l’intérieur des logements. Par ailleurs, l’habitat mitoyen empêche la ventilation naturelle des foyers. Certains logements n’ont qu’une seule façade orientée sud-sud-ouest ; par la suite condamnés à s’exposer aux radiations solaires intenses durant l’après-midi.
32Quant aux quartiers aisés comme Echbilia et AFH4-5, le taux des surfaces urbanisées ne dépasse pas 40 % (illustration 10) avec la présence de zones vertes de petites tailles. En outre, ces quartiers, au nord de l’agglomération, sont orientés vers les brises rafraîchissantes, d’amont et de campagne, venant souvent du nord (Chebli et al., 2021). Par temps caniculaire, comme ce fut le cas durant la nuit du 23 au 24 juin 2019, ces quartiers enregistrent une baisse de 3 à 5°C par rapport aux quartiers denses de l’agglomération (illustration 5). De plus, la plupart des logements sont individuels, sous forme de villas entourées par de petits jardins. Leurs matériaux de construction sont moins inertes et les ouvertures sont larges et orientées majoritairement au nord favorisent mieux la ventilation et la sensation du confort thermique.
33La fréquence accrue des vagues de chaleur d’une part, et la surchauffe à l’intérieur de certains logements, d’autre part, font augmenter considérablement la consommation moyenne de l’énergie électrique dédiée à la climatisation pendant la saison chaude. Le quartier de Keblia, se localise dans la partie centrale de l’agglomération, occupe le premier rang au niveau de la fréquence d’utilisation des équipements de climatisation, avec la prédominance de l’utilisation permanente. 45 % des logements de ce quartier ont des climatiseurs et 54,9 % des habitants ont des ventilateurs. En effet, 82 % des chefs de ménages des quartiers de Keblia, Mansourah, El Menchia, déclarent que, pendant la saison estivale, les factures d’électricité triplent par rapport au printemps. Par contre, en périphérie de l’agglomération, le tiers des ménages des quartiers de Cité Sahnoun, AFH1-2 dit que la consommation électrique augmente de 100 à 250 % par rapport au printemps.
34À l’échelle de la journée, on a remarqué que l’utilisation intensive des climatiseurs et des ventilateurs, augmente considérablement surtout durant les heures de pointe entre 12 h à 15 h. En phase nocturne, et malgré l'importance de l’ICU, la fréquence d’utilisation des moyens de ventilation diminue, selon les enquêtés, afin de maitriser la consommation de l’électricité et d’éviter la flambée des factures à la fin de la saison chaude (illustration 11).
35Il est à noter que l’utilisation des climatiseurs diffère d'un quartier à l'autre. Dans les quartiers du centre-ville, caractérisés par une forte densité du bâti, le nombre d’heures d’utilisation des climatiseurs atteint 12 heures en moyenne en raison des températures élevées observées comme à Keblia. Cette moyenne est aussi enregistrée dans le quartier AFH4 situé au nord. Quant à l’heure de la mise en marche des climatiseurs, elle varie entre 11 h du matin et 13 h dans les autres quartiers (illustration 11). Cette plage horaire correspond à l’enregistrement des pics de chaleur. Cependant, la durée d’utilisation des climatiseurs varie d’un quartier à autre.
Illustration 11 - La moyenne approximative de la durée d’utilisation des climatiseurs par quartier
Source : enquête, mars 2021.
36Près des 3/4 des enquêtés (73,1 %) se sentent vulnérables face à la forte chaleur. Ce pourcentage est plus élevé chez les hommes (53,4 %) que les femmes (29,6 %). En effet, les hommes sont plus exposés à la forte chaleur en raison de leurs taux d’activités en plein air, plus élevé. La chaleur est qualifiée de torride, très forte et forte par 53 % des répondants. Cette perception varie d’un quartier à un autre en fonction du niveau socio-économique de la population (illustration 12). Les quartiers denses et « pauvres » sont les plus touchés comme El Menchia, Ennaser, AFH2, Faubourg Nhassine et jardin (Cité Sahnoun) (illustration 16).
Illustration 12 - Taux de sensibilité à la chaleur selon les quartiers
Source : enquête, mars 2021.
37Le pourcentage des personnes ayant suivi régulièrement les prévisions météorologiques diffusées par les médias atteint 46 % et montre qu’ils sont attentifs aux effets indésirables des fortes chaleurs. Tous les interrogés (100%) pensent qu’il est important de diffuser des prévisions spécifiques à Kairouan vue sa singularité thermique pendant la saison estivale. Parmi eux, 51 %, estiment que la source la plus fiable et la plus accessible, en termes d’informations, est le « bulletin météorologique » qui suit le journal de 20 h de la chaine nationale. Il est à noter que 29 % des personnes n’ont pas accès à l’information météorologique.
38Il s’est avéré que les hommes, sont plus informés en matière de prévisions du temps que les femmes (74 % contre 26 %). Seulement 12 % de la population sondée ont un niveau d’instruction élevé (universitaire). Cette partie de la population est plus informée que les personnes ayant un faible niveau d’instruction et les analphabètes. Les sources d’information pour limiter les impacts néfastes des canicules sont diverses selon l’enquête. La télévision vient en premier rang (43 %). Ensuite, l’internet représente la seconde source d’information, notamment dans les quartiers aisés. En effet, les réseaux sociaux et les applications, dédiées aux informations météorologiques, installées sur les téléphones portables ont facilité la diffusion des informations auprès de la population.
39La diffusion de l’information concernant les caractéristiques du temps prévu aux prochains jours varie d’un quartier à un autre pour plusieurs raisons essentiellement d’ordre économique (illustration 13). En effet, la medina, Chbilia et AFH4-5 sont les quartiers les plus informés des prévisions météorologiques quotidiennes. Les ménages de ses quartiers sont équipés par la télévision et le réseau internet. Alors qu’à Menchia et Ettaben, les ménages n'ont pas accès aux prévisions météorologiques du fait de leurs contraintes socio-économiques. Dans ces derniers quartiers, la majorité de la population, lors de la diffusion du bulletin météorologique à la télé, se rafraîchissent à l’extérieur des maisons.
Illustration 13 - Part des répondants qui suivent des informations sur les prévisions météorologiques pendant la saison estivale
Source : enquête, mars 2021.
40En général, les habitants de la ville de Kairouan consomment une quantité d’eau très importante pendant les jours caniculaires. En moyenne, un citadin boit 1,5 litre d’eau pendant l’hiver et 3,6 litres pendant les épisodes de fortes chaleurs. L’enquête a montré que les ouvriers exposés au soleil consomment plus d’eau que les autres. De même, la quantité d’eau à boire varie selon l'âge. Selon l’illustration 14, la population la plus active de tranche d’âge qui varie entre 40 et 60 ans boit plus de 4 litres en moyenne par jour. Alors que, les personnes les plus âgées (plus de 60 ans) boivent environ 3 litres/jour en moyenne.
Illustration 14 - Consommation quotidienne moyenne de l’eau potable pendant les jours chauds par tranche d’âge
Source : enquête, mars 2021.
41À Kairouan, 76,9 % de la population sondée fréquente la plage pendant la saison estivale pour se rafraîchir. Ce pourcentage atteint 90 % dans les quartiers aisés du nord de l’agglomération (illustration 15A). La durée des vacances passées au bord de la mer est étroitement liée au revenu mensuel par personne. La moitié des personnes passent au moins une semaine à la plage. Ils pensent qu’il est indispensable de se baigner lors des épisodes caniculaires. Ils utilisent des moyens de transport variés selon leur situation financière. Les moyens de transport public sont les plus utilisés tels que le taxi collectif et le bus (67 %). Les moyens de transport privés sont moins utilisés, car leur coût est élevé. Nous notons que la moto et la charrette sont parmi les moyens de transport utilisés pour se rendre à la mer d’après les réponses recueillies dans les quartiers pauvres. La destination préférée pour échapper aux vagues de chaleur est la ville côtière de Sousse, à 50 km de la ville de Kairouan.
42La fréquentation de la mer commence au mois de mai et dure jusqu’au mois de septembre (illustration 15B). Toutefois, les séjours balnéaires sont plus fréquents en juillet et en août vu qu’ils sont les mois les plus chauds et correspondent aux périodes de congés d’une bonne partie de la population.
Illustration 15 - Répartition de la fréquentation des plages par quartier (A) et taux de fréquentation des plages par mois (B)
Source : enquête, mars 2021.
43Pour éviter le coup de soleil, 70 % de la population enquêtée portent une casquette ou un chapeau de paille. Cette pratique est plus courante chez les personnes âgées de plus de 40 ans.
44En phase nocturne, l’inconfort thermique est élevé à l’intérieur des habitations mal isolées à cause de la chaleur restituée par les parois. La promenade à l’extérieur après le coucher du soleil représente la meilleure solution de lutte contre l’inconfort thermique à l’intérieur. La place Sidi Sahbi et la place de Houmet Jamma près de la médina représentent un refuge pour les habitants de la partie centrale pendant la nuit. Cet inconfort thermique engendre aussi un décalage au niveau de l’heure du sommeil jusqu’à 3 h du matin. Ce paramètre dépend de l’âge et de l’état de santé de la population. L’heure de sommeil pour les personnes âgées de moins de 40 ans, commence vers minuit.
45Parmi les autres solutions déclarées pour échapper à l’inconfort thermique et éviter la consommation de l’électricité dédiée à la climatisation, une partie des habitants transforment les toits de leurs maisons, les cours et les trottoirs en dortoirs. Ces pratiques sont largement adoptées par les habitants des quartiers populaires comme Menchia, Keblia, Ettaben et Sahnoun.
46Face à la forte chaleur, l’adaptation paraît indispensable pour les kairouanais. L’enquête montre que le rafraîchissement des habitats par pulvérisation à l’intérieur pendant le jour et l’arrosage à l’extérieur en fin d’après-midi sont adoptés par les deux tiers des répondants. Une bonne partie de ces derniers estiment que se doucher entre 2 et 5 fois par jour améliore la sensation du confort thermique. Dans le même ordre d’idée, 60 % des chefs de ménage estiment que l’eau potable est nécessaire pour minimiser l’effet de la forte chaleur. Par contre, 33,4 % estiment que la climatisation est la seule solution pour rendre l’ambiance thermique clémente.
47Différents comportements ont été employés simultanément, y compris le port des vêtements plus légers ; rester à l'intérieur et fermer les fenêtres et les rideaux pendant le jour ; ouverture des fenêtres lorsque les températures commencent à baisser, fréquenter les espaces frais (jardin public) pendant la soirée, manger des aliments crus et de la glace, restreindre l'utilisation d'appareils électriques dégageant de la chaleur, prendre des douches à plusieurs reprises, et planter des arbres pour créer de l'ombre.
48Les épisodes de forte chaleur sont un aspect particulier du climat de la ville de Kairouan. Ils sont devenus plus intenses, plus fréquents et persistants. Des valeurs records de chaleur ont été enregistrées en 2021, 2022 et 2023. La tendance à la hausse de la forte chaleur, d’après les données enregistrées dans l’agglomération concerne aussi bien les températures minimales que les maximales durant les mois de mai à septembre. La chaleur s’aggrave, la nuit, dans les quartiers denses sous l’effet de l’ICU. La méthode des seuils de chaleur relatifs est pertinente car elle est fondée sur les températures vécues, sur une longue période et intègre la variation journalière et mensuelle. Cependant, ces seuils relatifs demeurent valables uniquement pour l’agglomération de Kairouan et ne peuvent pas s’appliquer pour d’autres villes du pays. Dans les travaux futurs, nous essayons de corréler la forte chaleur à la surmortalité pour ajuster les seuils d’identification et de l’intensité de cet aléa. Dans cette étude, il est possible de prendre en considération les indices de confort thermique (température ressentie) en combinant la température de l’air à d’autres paramètres météorologiques comme la radiation solaire, l’humidité de l’air et le vent. Une collaboration avec les sapeurs-pompiers et les médecins de l’Hôpital Idn Jazzar a été initiée pour cerner les impacts sanitaires de la forte chaleur.
49À Kairouan, la population est fortement exposée aux fortes chaleurs puisque la majorité des chefs de ménages considèrent que les températures sont élevées durant toute la saison estivale et affectent le bien-être. Le degré d’exposition dépend de plusieurs facteurs comme l’équipement en climatiseurs et les matériaux de construction. Les quartiers pauvres sont plus exposés à cet aléa climatique. Les habitants de ces quartiers préfèrent passer une bonne partie de la soirée à l’extérieur de leurs maisons et proposent la création de parcs urbains et des points d’eau afin de minimiser l’impact du stress thermique.
50Par ailleurs, les travaux d’enquête ont montré des degrés de sensibilité variables face à la forte chaleur. En effet, les enfants et les personnes âgées souffrant des maladies chroniques sont susceptibles d’être les plus touchés par les fortes chaleurs. Outre ces deux catégories d’âges, les personnes exerçant un travail, à l’extérieur, nécessitant un effort physique souffre de la fatigue et signalent des maux de tête.
51Plusieurs comportements pour atténuer les risques liés aux canicules sont remarqués dans les différents quartiers. En plus de l’hydratation, une grande variété de comportements sont mentionnés pour se rafraîchir pendant une vague de chaleur.
52De surcroit, le soutien de l’État à ces multiples facettes de stratégies d'adaptation est fortement recommandé et peut inclure des subventions financières et des politiques de lutte contre les ICU et des interventions ponctuelles pendant les vagues de chaleur notamment dans les quartiers populaires par l’arrosage des trottoirs par exemple. Toutefois, le rafraîchissement par pulvérisation et par arrosage, comme étant une solution « des pauvres », augmente la demande en eau potable dans un contexte climatique marqué par la sécheresse. Quant à la climatisation, elle augmente la consommation de l’énergie électrique dans un contexte socio-économique marqué par à la fois par la flambé du prix de l’énergie électrique et la détérioration du pouvoir d’achat, d’une part. D’une autre part, la climatisation dégage de la chaleur à l’extérieur et renforce la surchauffe de l’air.
53Toutefois il est à noter, que les réponses des enquêtés, malgré un échantillonnage représentatif sur le plan spatial, sont plus ou moins entachées par la subjectivité associée à des éléments intrinsèques comme l’état de santé et l’activité à l’extérieur.
Questionnaire de l'enquête p. 1
Questionnaire de l'enquête p. 2
|
TX
|
TN
|
mai
|
31,7
|
17
|
juin
|
36,7
|
21
|
juillet
|
39,5
|
23,5
|
août
|
39,5
|
26
|
septembre
|
34,5
|
21,7
|
|
TX
|
TN
|
mai
|
35
|
18,6
|
juin
|
39,2
|
22,5
|
juillet
|
42,4
|
24,9
|
août
|
42,3
|
25,4
|
septembre
|
37
|
23,4
|
|
TX
|
TN
|
mai
|
36,7
|
19,6
|
juin
|
42
|
23,7
|
juillet
|
43,8
|
25,5
|
août
|
43,6
|
26
|
septembre
|
38,5
|
24,1
|