- 1 Le terme « roman policier » (en japonais, misuterī shōsetsu ミステリー小説) recouvre tout une série de sou (...)
1Les Japonais aiment les romans policiers1. Même ceux qui n’en lisent pas sont nombreux à avoir regardé des séries, des films ou des pièces de théâtre qui s’en inspirent. Il existe également des adaptations en jeux vidéo ou en mangas, et certaines œuvres sont depuis quelques années utilisées dans le cadre d’actions de revitalisation des territoires. Le premier récit policier japonais serait Nisen dōka 二銭銅貨 (La Pièce de deux sen) publié en 1923 par Edogawa Ranpo 江戸川乱歩. Yokomizo Seishi 横溝正史 et Matsumoto Seichō 松本清張 se sont engagés après lui sur cette voie et le genre ne cesse d’être lu depuis une centaine d’années, de génération en génération, par toutes sortes de lecteurs, au point qu’on puisse affirmer que le roman policier est ancré dans le quotidien des Japonais. On y découvre, nous semble-t-il, une facette de leur monde intellectuel. C’est pour cette raison qu’on peut considérer le roman policier comme un objet de recherche ethnographique.
- 2 Le denki shōsetsu est un genre littéraire à la croisée des genres historique et fantastique. (NdT)
2De nombreux romans policiers japonais appartenant au sous-genre désigné du terme de « denki shōsetsu 伝奇小説 »2 prennent d’ailleurs pour thématiques l’ethnographie ou les traditions locales. On pense, bien sûr, aux aventures de Kindaichi Kōsuke 金田一耕助 de Yokomizo Seishi, mais aussi à celles de Mononobe Tarō 物部太郎 de Tsuzuki Michio 都築道夫 qui débutent avec Nanajūgowa no karasu – Takiyasha satsujinjiken 七十五羽の烏 滝夜叉殺人事件 (Les soixante-quinze Corbeaux – L’affaire Takiyasha, 1972), à celles de Nadare Rentarō 雪崩連太郎, imaginées par le même Tsuzuki, avec comme premier opus Nadare Rentarō genshikō 雪崩連太郎幻想行 (Les Hallucinations de Nadare Rentarō, 1977) ou encore à celles de Taki Rentarō 滝連太郎 qui tireraient leur influence de Yokomizo Seishi, créées par Yamamura Masao 山村正夫, par exemple Yudono sanroku noroimura 湯殿山麓呪い村 (Le Village maudit du mont Yudono, 1980) adapté par la suite au cinéma. On peut citer également, parmi les œuvres plus récentes, les aventures de Suzaku Jūgo 朱雀十五 par Fujiki Rin 藤木稟 qui débutent en 1998 avec Dakini no tsumugu ito 陀吉尼の紡ぐ糸 (Dans les Filets de la démonne Dakini), Oni no subete 鬼のすべて (Tout sur les Démons, 2001) de Kujira Tōichiro 鯨統一郎 et, du même auteur, les aventures de l’écrivain-enquêteur Rokuhara Kazuki 六波羅一輝 qui se fait connaître avec Hakkotsu no kataribe 白骨の語り部 (Le Conteur aux ossements, 2009), également adapté pour la télévision, ou, enfin, Mononoke 物の怪 (L’Esprit vengeur, 2011), Tsukimono 憑き物 (Possession, 2013) et Ikenie 生け贄 (Sacrifice vivant, 2015) de Torikai Hiu 鳥飼否宇. Les œuvres les plus représentatives sont sans doute les aventures du moine Kyōgokudō 京極堂 (connues aussi comme la « série de la Procession nocturne des démons »), créées par Kyōgoku Natsuhiko 京極夏彦 en 1994 avec Kokakuchō no natsu 姑獲鳥の夏 (L’Été de l’oiseau Kokaku), adaptées ensuite en manga, au cinéma et en animé, ou celles de Tōjō Gen.ya 刀城言耶 par Mitsuda Shinzō 三津田信三 qui débutent en 2006 avec Majimono nogotoki tsuku mono 厭魅の如く憑くもの (Posséder). Chaque volume propose dans les dernières pages une liste d’œuvres de référence dans le domaine de l’ethnographie (cf. tableau 1, exemples de romans policiers japonais citant de nombreuses références ethnographiques). Ces deux dernières séries déploient, en se fondant sur des ouvrages spécialisés, une vision d’un monde marquée par les traditions locales, un monde qui s’est développé à partir de coutumes et d’une structure familiale ancestrales, de pratiques et de célébrations annuelles, un monde, enfin, dans lequel se produit un événement étrange dont la résolution s’appuie sur des connaissances ethnographiques. De ce point de vue également, on peut saisir l’importance de la relation entre ethnographie et roman policier.
Tableau 1 : exemples de romans policiers japonais citant de nombreuses références ethnographiques
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Titre de l’ouvrage
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Date de publi-cation
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Ouvrages spécialisés cités
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Séries
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1
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L’Été de l’oiseau Kokaku (Kokakuchō no natsu)
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1994
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Komatsu Kazuhiko, De la Croyance en la possession (Hyōrei shinkō ron) ; Tanigawa Ken.ichi (dir.), Recueil de documents ethnographiques sur le Japon (8) (Nihon minzoku shiryō shūsei [8]) ; Satake Akihiro, L’Étrange Histoire du démon Shuten dōji (Shuten dōji ibun) ; Fujisawa Morihiko, Anthologie de l’ethnographie japonaise : les yōkai (Nihon minzokugaku zenshū : yōkai-hen)
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Kyōgokudō
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2
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La Cage des esprits Mōryō (Mōryō no hako)
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1995
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Suzuki Hiroshi (trad.), Mythologie chinoise 1 (Chūgoku no shinwa densetsu Jō) ; Lire l’histoire (numéro spécial) : les rites cachés autour des sortilèges et des tabous (Bessatsu Nihonshi tokuhon : shukujutsu – kindan no hihō)
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Kyōgokudō
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3
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Le Rêve des ossements fous (kyōkotsu no yume)
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1995
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Ogura Manabu et alii, Les Légendes des provinces de Kaga et de Noto (Kaga, Noto no densetsu)
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Kyōgokudō
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4
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Les Raisons de la femme-araignée (Jorōgumo no kotowari)
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1996
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Tanaka Kōgai, Nouveaux récits populaires historiques (shin shidan minwa) ; Tanigawa Ken.ichi (dir.), Les Divinités japonaises (Nihon no kamigami)
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Kyōgokudō
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5
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Le Festin des cadavres Nuribotoke – les préparatifs (Nuribotoke no utage – utage no shitaku)
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1996
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Yanagita Kunio, Œuvres de Yanagita Kunio (Teihon Yanagita Kunio shū) ; Orikuchi Shinobu, Œuvres complètes d’Orikuchi Shinobu (Orikuchi Shinobu zenshū) ; Tanigawa Ken.ichi (dir.), Les Divinités japonaises : les sanctuaires et les lieux sacrés (Nihon no kamigami : jinja to seichi) ; Kubo Noritada, Étude sur le culte Kōshin (Kōshin shinkō no kenkyū) ; Iida Michio, Le Culte Kōshin (Kōshin shinkō) ; Nakamura Teiri, Histoire japonaise des Kappa (Kappa no Nihonshi) ; Association Kōshin konwa (dir.), Encyclopédie des Bouddhas de pierre japonais (Nihon ishibotoke jiten) ; Sawada Mizuho, Les Croyances populaires chinoises (Chūgoku no minkan shinkō)
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Kyōgokudō
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6
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Le Festin des cadavres Nuribotoke – La fin du festin (Nuribotoke no utage – utage no shimatsu)
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1998
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Yamamoto Hiroko, Des Divinités aux origines complexes : les mondes inconnus du Moyen-Âge japonais (Ishin : chūsei Nihon no hikyōteki sekai) ; Tanaka Takako, Les Villes offrant des processions nocturnes de démons (Hyakki yakkō no mieru toshi)
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Kyōgokudō
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7
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Les Blessures de l’oiseau Onmoraki (Onmoraki no kizu)
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2003
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Koyasu Nobukuni, Des Démons et des Dieux (Shinkiron) ; Yanagita Kunio, Œuvres de Yanagita Kunio (Teihon Yanagita Kunio shū) ; Kiba Takatoshi, Généalogie du démon Ubume (Ubume no keifu)
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Kyōgokudō
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8
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Posséder (Majimono nogotoki tsuku mono)
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2006
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Ishizuka Takatoshi, La Possession au Japon : Une croyance populaire toujours vivace (Nihon no tsukimono : zokushin wa ima mo ikite iru) ; Hayami Yasutaka, Les Superstitions liées à la possession (Tsukimono mochi meishin) ; Yoshida Teigo, La Possession au Japon : une approche socio-anthropologique (Nihon no tsukimono : shakai-jinruigakuteki kōsatsu) ; Kawashima Shūichi, Quand on aperçoit un esprit Zashiki warashi (Zashiki warashi no mieru toki) ; Yoshino Hiroko, La Vision de la vie et de la mort des Japonais : Les serpents et les renaissances des divinités ancestrales (Nihonjin no seishikan : hebi tensei suru sosenshin) ; Yoshino Hiroko, Les Dieux de la montagne : divinations, Cinq Éléments et la croyance des Japon envers les serpents (Yama no kami : eki gogyō to Nihon no genshi hebi shinkō) ; Sasaki Kizen, Les Zashiki warashi et Oshirasama de la région de Tōno (Tōno no Zashiki warashi to Oshirasama) ; Komatsu Kazuhiko, Des Croyances en la possession : Tentatives pour une étude des yōkai (Hyōrei shinkyō ron : yōkai kenkyū e no kokoromi) ; Komatsu Kazuhiko (dir.), Ethnographie de l’extraordinaire 1 : la possession (Kaii no minzokugaku 1 : tsukimono) ; Inoguchi Shōji, Méthodologie de l’ethnographie (Minzokugaku no hōhō) ; Miyamoto Tsuneichi, L’Évolution des villages, histoire du Japon populaire (4) (Mura no nariyuki, Nihon minshūshi [4])
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Tōjō Gen.ya
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9
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Rejeter (Magatori nogotoki imu mono)
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2006
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Okiura Kazuteru, Ethnographie de la région du Seto : à la rencontre des couches profondes de l’histoire des peuples des mers (Setonai no minzokushi : kaiminshi no shinsō o tazunete) ; Kawaoka Takeharu, Les Peuples de la mer : histoire et pratiques locales des villages de pêche (Umi no tami : gyoson no rekishi to minzoku) ; Suto Isao, Album photographique : la vie pendant l’ère Shōwa (3), les villages de pêche et les îles (Shashinshū monogatari : Shōwa no kurashi [3], gyoson to shima) ; Miyamoto Tsuneichi, Les Gens de la mer : histoire du Japon populaire (3) (Umi ni ikiru hitobito : Nihon minshūshi [3]) ; Midorikawa Yōichi, Okaya Kōji, Komoda Fuji, La Mer intérieure de Seto, d’île en île (Seto naikai, Shima meguri) ; Kamino Yoshiharu, Des Kodama : les traditions locales en lien avec les maisons, les bateaux et les ponts (Kodama ron : ie, fune, hashi no minzoku) ; Yoshinari Naoki, Cosmologie des croyances populaires (Zokushin no kosumorojī) ; Sekiyama Moriya, Les Esprits et les Yōkai des mers (Nihon no umi no yūrei, yōkai)
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Tōjō Gen.ya
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10
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Jeter une malédiction (Kubinashi nogotoki tataru mono)
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2007
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Uryū Takuzō, Notes sur le village de Hinohara : son environnement et ses habitants (Hinoharamura kibun : sono fūdo to ningen) ; Suto Isao, Album photographique : la vie pendant l’ère Shōwa (2), les villages de montagne (Shashinshū monogatari : Shōwa no kurashi [2] : sanson) ; Saitō Tama, La Vie et les Esprits nuisibles (Sei to mononoke) ; Miyamoto Keitarō (dir.), Cours sur les pratiques populaires japonaises (4) : se vêtir, se nourrir, se loger (Kōza Nihon minzoku [4] : ishokujū) ; Segawa Kiyoko, Notes sur les pratiques matrimoniales (Kon.in oboegaki)
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Tōjō Gen.ya
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11
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Se moquer (Yamanma nogotoki warau mono)
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2008
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Association sur les pratiques populaires dans les villages de montagne (dir.), Prier la montagne maternelle (Haha naru yama ni inoru), Anthologie de récits fantastiques sur la montagne (Yama no kaiki, hyakumonogatari), Les Passeurs de cols (Tōgeji o yuku hitobito) ; Miyamoto Tsuneichi, Les Japonais oubliés (Wasurerareta Nihonjin) ; Miyamoto Tsuneichi, histoire du Japon populaire (2), les Gens des montagnes (Nihon minshūshi [2], Yama ni ikiru hitobito) ; Endō Kei, Si ours tueras, pluie tombera (Kuma o korosu to, ame ga furu) ; Naitō Masatoshi, Le Paysage originel des Récits de Tōno (Tōno monogatari no genfūkei)
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Tōjō Gen.ya
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S’enfermer (Misshitsu nogotoki komoru mono)
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2009
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Yanagita Kunio, Devinettes et proverbes (Nazo to kotowaza) ; Nomoto Kan.ichi, Les paysages divins et naturels : lire l’environnement des croyances (Kami to shizen no keikanron : shinkō kankyō o yomu) ; Satō Yasuyuki, Histoire sociale des vendeuses d’antidotes : femme, maison, village (Dokukeshiuri no shakaishi : josei, ie, mura)
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Tōjō Gen.ya
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13
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S’enfoncer (Mizuchi nogotoki shizumu mono)
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2009
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Akasaka Norio, La Naissance des espaces liminaux (Kyōkai no hassei) ; Iijima Yoshiharu, Hitotsumekozō et la calebasse : le folklore de la sexualité et des victimes (Hitotsumekozō to hyōtan : sei to gisei no fōkuruoa) ; Komatsu Kazuhiko, Ethnographie de l’extraordinaire 7 : étrangers et sacrifices (Kaii no minzokugaku 7 : ijin to ikenie) ; Takagi Toshio, Des Sacrifices humains (Hitomi gokū ron) ; Tsuboi Hirofumi, et alii, Grande Encyclopédie de la culture des pratiques populaires japonaises (8) Les village et leurs habitants, vie et rites communautaires (Nihon minzoku bunka taikei [8] Mura to murabito Kyōdōtai no seikatsu to girei) ; Nakamura Ikuo, Rituels et sacrifices d’animaux : la vision de la nature et des animaux chez les Japonais (Saishi to kugi : Nihonjin no shizenkan, dōbutsukan) ; Nomoto Kan.ichi, Les paysages divins et naturels : lire l’environnement des croyances (Kami to shizen no keikanron : shinkō kankyō o yomu) ; Miyata Noboru, Ethnographie des esprits (Reikon no minzokugaku) ; Muguruma Yumi, Des dieux dévorant les Hommes : ethnographie des sacrifices humaines (Kami, hito o kuu : hitomi gokū no minzokugaku)
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Tōjō Gen.ya
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14
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S’aggraver (Seirei nogotoku omoru mono)
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2011
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Naitō Masatoshi, Les Croyances japonaises dans les momies (Nihon no miira shinkō) ; Inoguchi Shōji, Les Rites funéraires japonais (Nihon no sōshiki) ; Okiura Kazuteru, Un Monde d’artistes itinérants (Tabi geinin no ita fūkei) ; Okiura Kazuteru, Ethnographie des « lieux maudits » (« Akusho » no minzokushi)
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Tōjō Gen.ya
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- 3 Orikuchi Nobuo est plus connu avec un autre nom personnel, Shinobu. Dans la suite de l’article, nou (...)
3Il existe des œuvres policières dans lesquelles des ethnographes ayant réellement existé jouent le rôle de détective, par exemple Orikuchi Shinobu 折口信夫3 dans Sarumaru genshikō 猿丸幻想行 (Les Hallucinations de Sarumaru, 1980) d’Izawa Motohiko 井沢元彦, Minakata Kumagusu 南方熊楠 dans Ikai 異界 (Un Autre Monde, 2007) de Torikai Hiu ou Yanagita Kunio 柳田国男 dans Kamikakushi no mura – Tōno Monogatari ibun 神隠しの村 遠野物語異聞 (Le Village aux enlèvements divins – Les récits étranges dans les Histoires de Tōno, 2001) de Nagao Seiō 長尾誠夫. D’autre part, on trouve des récits avec des ethnographes totalement fictionnels : la série des notes de terrain de Renjō Nachi 蓮丈那智 avec pour premier opus Kyōshōmen 凶笑面 (Le Masque au sourire maléfique, 2000) par Kitamori Kō 北森鴻, les aventures de l’ethnographe Takenouchi Haruhiko 竹之内春彦 créées en 2004 par Akizuki Tatsurō 秋月達郎 avec le premier numéro de la série, Minoji Iwamura furimukeba, kiri 美濃路岩村ふりむけば、霧 (Village d’Iwamura en Minoji – brumes). Ainsi des romans policiers prenant appui sur l’ethnographie ou sur une vision ethnographique du monde ont-ils rencontré un important lectorat.
4Selon Takaoka Hiroyuki 高岡弘幸, « étudier le boom du roman policier apparu durant l’ère Taishō (1912-1926) est sans aucun doute un élément efficace pour saisir les transformations des “villes” à partir de la fin du xixe siècle et l’évolution de la sensibilité de ses habitants » (Takaoka 2002 : 132). Cependant, la présence des « campagnes », en tant qu’objet de comparaison, nous semble tout aussi importante que les métropoles dans le cadre de l’engouement pour le genre policier au Japon. Notre article envisage les « villes » comme un espace majoritairement dévolu au secteur tertiaire qui, à la suite du développement des échanges commerciaux, a connu une concentration de la population en un lieu limité. Au contraire, les « campagnes » sont des espaces avec un secteur primaire prépondérant où le nombre d’habitants est moins important, ou qui connaissent une baisse de leur population.
5Nombre de détectives créés au Japon habitent en ville mais sont actifs à la campagne. Kindaichi Kōsuke, le héros de Yokomizo Seishi, ou Asami Mitsuhiko 浅見光彦, celui d’Uchida Yasuo 内田康夫, vivent à Tokyo mais sont entraînés dans des affaires loin de la capitale. De même, les ethnographes débutent leur recherche en étudiant les villages, que ces derniers soient situés dans les montagnes ou en bord de mer. Le père de l’ethnographie japonaise, Yanagita Kunio, développe dans son ouvrage Toshi to nōson 都市と農村 (Villes et Villages) la théorie du continuum ville-campagne lorsqu’il s’intéresse aux liens entre ces deux pôles. « Si l’on tient compte, écrit Furukawa Akira 古川彰, de la réalité historique selon laquelle beaucoup de villes ont été créées par un déplacement important de population provenant des sociétés villageoises environnantes et que, après la naissance de ces espaces urbains, les relations humaines et économiques ont toujours été incessantes avec les villages, on doit considérer que les pratiques traditionnelles dans les villes se sont développées en se fondant sur celles des sociétés villageoises : les deux ne sont pas indépendantes, elles forment une société de pratiques coutumières qui sont liées » (Furukawa 2000 : 226).
6Par conséquent, non seulement l’ethnographie constitue pour le roman policier une thématique parfaite, mais les deux partagent également des points communs dans la manière d’aborder les rapports entre villes et campagnes. En outre, si l’on considère que le terme de « ville » représente le centre politique, économique et culturel du Japon, et si on peut donc l’envisager comme désignant cette grande zone urbaine avec Tokyo en son cœur, ce mot possède alors la même signification que « centre », tandis qu’on est en droit de remplacer son antonyme, « campagne », par celui de « périphérie ». Notre article, tout en tenant compte de ces remarques, se propose d’étudier les relations entre le genre policier et l’ethnographie. Au cours de celui-ci, nous analyserons les raisons pour lesquelles les Japonais ont été attirés depuis longtemps par ce genre et nous réfléchirons, du point de vue de l’ethnographie, à la relation ville – campagne. Mais dans un premier temps, arrêtons-nous sur les rapports entre le roman policier et l’ethnographie.
7Yanagita Kunio, à l’origine de l’ethnographie japonaise, était également poète et contribua à la publication en 1897 du recueil de poésies de style nouveau Jojōshi 抒情詩 (Poèmes lyriques) avec Kunikida Doppo 国木田独歩 et Tayama Katai 田山花袋 (Fukuda 1992 : 12-15). Il participa également avec ce dernier et d’autres écrivains à la Société du Dragon et de la Terre (Ryūdokai 竜土会) d’où émergea le mouvement naturaliste. Tout autant qu’une réflexion ethnographique, son Tōno monogatari 遠野物語 (Histoires de Tōno) est considéré comme une œuvre littéraire. Selon Ōtsuka Eiji 大塚英志, « il s’agit d’une expérimentation littéraire qui, face à l’émergence d’un naturalisme centré sur le moi comme chez Tayama Katai, se positionne en tant que son antithèse, utilisant les mêmes méthodes que ce dernier, qui consistent à écrire “comme on l’a ressenti”, mais tout en dirigeant l’objet de son attention vers ce qui est autre chose que ce “moi” » (Ōtsuka 2007 : 39). Tout comme Yanagita, Orikuchi Shinobu, qui mit en place les bases de l’ethnographie japonaise, eut une activité poétique sous le nom de Shaku Chōkū 釈迢空, publia un roman intitulé Shisha no sho 死者の書 (Le Livre des morts) en 1939 et s’impliqua activement dans l’ethnographie et dans la littérature.
8Le roman policier japonais, lui, trouve certaines de ses origines dans la grande littérature. Tanizaki Jun.ichirō 谷崎潤一郎 produisit au début de sa carrière quelques récits policiers, comme Tojō 途上 (Chemin faisant). Izumi Kyōka 泉鏡花, dont on sait qu’il avait des contacts avec Orikuchi, écrivit en 1893 un récit policier, Iki ningyō 活人形 (Mannequin vivant) (Miyata 2001 : 127-135 ; Kazama 2014 : 117-119). Ōtsuka Eiji explique que, si au cours de l’ère Meiji (1868-1912) la majorité des romans japonais, qu’ils appartiennent à la littérature pure ou à celle de divertissement, commencèrent à utiliser les techniques d’écriture naturalistes, Edogawa Ranpo considérait que le roman policier était un genre qui s’appuyait sur des principes différents de ce mouvement littéraire (Ōtsuka 2006 : 19-21). Le roman policier, tout comme Les Histoires de Tōno, naquit comme une antithèse au naturalisme. L’ethnographie et le genre policier partagent ainsi ce point commun : celui de prendre leur source dans la littérature naturaliste, la grande littérature, tout en cherchant à s’en éloigner. Cela eut pour conséquence de rapprocher, lors de leurs émergences, le roman policier et l’ethnographie japonaise, tandis que certains de leurs représentants, au premier rang desquels on trouve Iwata Jun.ichi 岩田準一 et Nakajima Kawatarō 中島河太郎, furent actifs dans les deux domaines.
9Selon Kazama Kenji 風間賢二, le premier âge d’or du roman policier japonais s’étend de 1923, lorsque Edogawa Ranpo publia son premier récit dans la revue Shinseinen 新青年 (L’Homme moderne), jusqu’en 1927 (Kazama 2014 : 140-141). En outre, il considère qu’à la suite du Grand tremblement de terre du Kantō qui détruisit une grande partie de Tokyo et sa banlieue en 1923, les paysages de l’ère Meiji qui rappelaient encore la période d’Edo disparurent dans les ruines du séisme. L’urbanisme occidental s’impose alors, une société matérialiste et consumériste émerge, un mal, la mélancolie urbaine, frappe les nouvelles classes moyennes et les « nomades intellectuels », des célibataires installés dans la nouvelle métropole, trouvent dans le roman policier une échappatoire à l’ennui du quotidien. Edogawa Ranpo, l’écrivain de romans policiers le plus représentatif de l’époque, devient populaire avec la création de son héros, Akechi Kogorō 明智小五郎, qui mène ses enquêtes en ville.
- 4 Société savante créée en 1921 dont les membres s’intéressent à la collecte et à l’étude des objets (...)
- 5 D’après « Toba minatomachi bungakukan «Iwata Jun.ichi to Ranpo, Yumeji-kan» » 鳥羽みなとまち文学館「岩田準一と乱歩・夢二 (...)
10On sait que cet écrivain possédait dans sa bibliothèque Kodai kenkyū 古代研究 (Recherches sur l’antiquité) d’Orikuchi Shinobu mais il nous a été impossible d’y découvrir des documents en rapport direct avec l’ethnographie. Cependant, un de ses compagnons, Iwata Jun.ichi, était fortement lié à celle-ci. Diplômé du collège numéro quatre du département de Mie, il s’était inscrit au Shingū kōgakkan 新宮天皇學館 mais avait quitté l’établissement avant la fin de ses études pour s’orienter vers la section de peinture de l’institut Bunka gakuin 文化学院 de Tokyo, où il devint le disciple de Takehisa Yumeji 竹久夢二. Il peignit parfois en signant du nom de ce dernier qui l’intronisa « plus grand spécialiste japonais de Yumeji » et illustra certains récits de Ranpo, par exemple Panorama-tō kidan パノラマ島奇談 (L’Île panorama) ou Kagami jigoku 鏡地獄 (L’Enfer des miroirs). Il engagea également une correspondance avec Minakata Kumagusu dans le cadre de ses recherches sur l’homosexualité masculine au Japon. Il publia aussi dans la revue Kyōdo kenkyū 郷土研究 (Études du terroir) un article sur le dialecte de la ville de Toba dans la province de Shima, devint membre de l’Attic Museum4 et publia en 1939, après un terrain ethnographique dans la région de Shima, Shima no ama 志摩の蜑女(海女) (Les Plongeuses de Shima)5.
11Yanagita Kunio, de son côté, écrit en 1931, dans Meiji Taishō shi sesōhen 明治大正史世相篇 (Histoire des ères Meiji et Taishō – le quotidien), à propos des brigands au grand cœur tel Nezumi kozō 鼠小僧 actifs durant la période d’Edo (1603-1868) : « Le roman policier qui passionnait les lecteurs depuis Kuroiwa Ruikō 黒岩涙香 trouvait son intérêt principal dans le défi intellectuel. […] Aujourd’hui encore, toute personne honnête continue à penser qu’il y a un héros dans les êtres maléfiques et que persévérer dans le mal a quelque chose de réjouissant » (Yanagita 1990 : 383). En 1936, le spécialiste de la littérature de l’ère Meiji, Yanagida Izumi 柳田泉, affirme dans Zuihitsu tantei shōsetsu shi kō 随筆探偵小説史稿 (Essais sur l’histoire du roman policier) que le premier roman policier original japonais est la nouvelle Muzan 無惨 (Horrible) écrite par le même Kuroiwa Ruikō en 1889 (Shinpo 2000c : 315). On saisit ainsi l’intérêt porté pour le genre policier par Yanagita Kunio qui avait déjà parfaitement compris son origine et l’attrait des Japonais pour celui-ci depuis les ères Meiji et Taishō. Enfin, Nakajima Kawatarō, un disciple de Yanagita, tout en laissant à la postérité un Yanagita Kunio kenkyū bunken mokuroku 柳田国男研究文献目録 (Catalogue des ouvrages de recherche sur Yanagita Kunio), est également réputé pour son travail de critique du genre policier et fut un temps le président de l’Association des écrivains de romans policiers (Gonda 2000 : 20).
12Orikuchi Shinobu, lui aussi, est connu pour avoir été un grand lecteur de romans policiers. Okano Hirohiko 岡野弘彦, qui s’est occupé d’Orikuchi à la fin de sa vie, se souvient de cette période en ces termes : « J’ai de nombreux souvenirs concernant l’amour d’Orikuchi pour le roman de détective – on ne parlait pas encore de roman policier – au point qu’on ne puisse pas imaginer l’un sans l’autre » (Okano 1977). De fait, dans un texte intitulé « Ningen.aku no sōzō » 人間悪の創造 (La Création du mal chez l’Homme) publié dans la brochure no10 incluse dans Shārokku Hōmuzu zenshū シャーロック・ホームズ全集 (Œuvres complètes de Sherlock Holmes, 1952), Orikuchi explique considérer les récits de l’enquêteur anglais comme « des “ouvrages de la connaissance” qui ont pris racine dans l’esprit des Japonais », tout en déplorant qu’Edogawa Ranpo, qu’il loue par ailleurs, ait cessé d’écrire des romans policiers (Orikuchi 1976 : 159-161). On comprend ainsi qu’il pressentait, en tant que lecteur de ce genre, l’importance de l’influence de ce dernier sur ses compatriotes. Que ce soit Yanagita ou Orikuchi, tous deux y voyaient un élément de la culture du peuple, et s’y intéressaient fortement.
13Par ailleurs, les enquêteurs des romans policiers sont considérés comme des personnages familiers dans le monde de l’anthropologie culturelle, un domaine proche de l’ethnographie. « On peut comparer, explique Takahashi Erika 高橋絵里香, les anthropologues qui décrivent les “autres cultures” à des enquêteurs qui résolvent des énigmes en s’appuyant sur le moindre petit indice. C’est une analogie si connue que les méthodes de déduction de Sherlock Holmes sont présentées dans les manuels d’anthropologie culturelle » (Takahashi 2015 : 7). Cependant, elle ajoute que les terrains actuels des anthropologues sont différents des enquêtes décrites dans les romans policiers et que « de nos jours, même le village le plus reculé est connecté au reste du monde, tandis que les objets d’études des anthropologues se sont diversifiés ».
14Depuis les recherches de Yanagita et d’Orikuchi, on ne trouve plus d’études qui ont tenté d’analyser d’un point de vue ethnographique le roman policier. D’après Fukuda Ajio 福田アジオ, Yanagita, à la fin de sa vie, « tenta d’imposer l’idée, en rejetant son passé de poète, et plus généralement d’écrivain, que la fiction n’avait rien à faire avec son statut d’ethnographe et que, de plus, l’ethnographie n’était pas de la littérature » (Fukuda 1992 : 15). Avec la prise de distance de ce dernier par rapport à celle-ci, l’ethnographie se serait ainsi éloignée de ce domaine, au premier rang duquel le roman policier.
15On peut aussi penser que les ethnographes ne trouvèrent plus d’intérêt à étudier ce genre, n’y voyant qu’une « simple mode » et ne le considérant désormais plus que comme une expression, parmi d’autres, des pratiques du quotidien. De fait, c’est dans Histoire des ères Meiji et Taishō – le quotidien que Yanagita aborde le genre policier. Iwamoto Michiya 岩本通弥, affirme à propos de cet ouvrage : « Yanagita tente, en analysant l’Histoire, d’appréhender sur le plan général comme des aspects du quotidien les évolutions des manières de vivre qui se font jour avec les changements culturels. Son approche n’est pas simplement celle d’une critique de son temps » (Iwamoto 2002 : 86). De ce point de vue, on peut considérer le roman policier comme un élément d’une culture ancrée dans le local.
16Yokomizo Seishi, natif de la ville de Kobe dans le département de Hyōgo, se réfugie durant la guerre à Mabi, dans la ville de Kurashiki du département voisin d’Okayama : ce serait à cette occasion, selon Ōtawa Tomohiko 大多和伴彦, qu’il se serait lancé dans la rédaction des aventures de Kindaichi Kōsuke, fondées sur les récits qu’on lui aurait rapportés et sur sa propre expérience d’une société rurale repliée sur elle-même (Ōtawa 1996 : 92-94). Auparavant, les villes ou la société urbaine formaient l’arrière-plan de nombre de ses œuvres. Takahashi Tetsuo 高橋哲雄 explique que cette tendance serait forte dans le genre policier japonais, par exemple dans les aventures d’Akechi Kogorō, le héros d’Edogawa Ranpo, et encore plus particulièrement avec le groupe des jeunes détectives qui aident Akechi et qui œuvrent dans ces quartiers occupés par d’impressionnantes demeures seigneuriales aux grands murs et aux immenses porches (Takahashi 1989 : 48).
- 6 La nuit du 21 mai 1938, Toi Mutsuo 都井睦雄 tue trente personnes dans le village de Kamo, près de Tsuya (...)
17On peut ainsi dire que le choc ressenti par l’homme de la ville Yokomizo Seishi, qui avait pu entrevoir lors de son déplacement forcé la culture rurale et redécouvrir des pratiques locales, est à l’origine des récits de Kindaichi Kōsuke. On sait par exemple que Yatsuhaka no mura 八つ墓村 (Le Village aux huit tombes) a été inspiré par le massacre de Tsuyama6 qui eut lieu dans le département d’Okayama en 1938 (Ōtawa 1996 : 226-228). Cette affaire serait l’expression d’une vision d’un monde et de valeurs renfermées sur elles-mêmes qui imprégnaient les villages, juste avant la guerre. On peut considérer également que Yokomizo Seishi a recréé dans son roman cette « vision d’un monde marquée par les traditions locales » dont il avait fait lui-même l’expérience, autrement dit l’étonnement éprouvé par la « ville » devant la culture du quotidien de la « campagne ». Si la période est différente, on y retrouve des éléments identiques au prologue de la première édition des Récits de Tōno (1910) de Yanagita Kunio qui s’intéressait alors au quotidien de cette région : « Je désire, avec ces récits, faire frissonner les habitants des plaines » (Yanagita 1998 : 5). Sans doute est-ce une des raisons qui ont donné naissance à des romans policiers dont le héros est un ethnographe ayant réellement existé, tel Yanagita, ou ayant été inventé de toute pièce.
18En outre, Yanagita explique dans Histoire des ères Meiji et Taishō – le quotidien à propos des actes criminels commis depuis les années 1870 : « Il est certes vrai qu’ils sont plus faciles à perpétrer car les habitants des villes ne connaissent pas suffisamment leurs voisins, mais les victimes sont plutôt à chercher du côté des campagnes. […] Le fait de pouvoir avoir confiance en autrui avait rendu la vie dans les villages insouciante. Cependant de nos jours, de nouveaux criminels se sont engouffrés dans la brèche et ont fait leur apparition. Des individus voulant tromper leur voisin se sont installés dans les villages » (Yanagita 1990 : 385). L’ethnographe, après avoir compris que de nouveaux types de crimes, différents de ceux de la période d’Edo, se produisaient non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes, était touché par un sentiment de crise car il voyait les villages se transformer sous l’effet de la modernisation. Yokomizo Seishi se lance dans l’écriture des aventures de Kindaichi Kōsuke avec, pour motif, ces crimes qui sont commis dans ces espaces en plein changement. Il prend comme contexte les nouvelles valeurs modernes, telles que le matérialisme et la consommation de masse, en opposition avec cette « vision d’un monde marquée par les traditions locales ». Ainsi, dans Inugamike no ichizoku 犬神家の一族 (La Hache, le koto et le chrysanthème, 1951) l’immense fortune amassée par la famille Inugami grâce son entreprise de filature provoque-t-elle une série de meurtres.
- 7 Selon Ōtawa, les œuvres de Yokomizo « disparurent quelques temps des rayons avec la popularité croi (...)
19Les aventures de Kindaichi Kōsuke obtinrent un grand succès auprès du lectorat japonais d’après-guerre. Les citadins trouvaient sans doute du mystère et du fantastique dans la culture des campagnes. Avec la haute croissance économique, du milieu des années 1950 au début des années 1970, l’urbanisation de ces dernières ne cesse de progresser et la culture urbaine s’impose davantage. Conséquence de ce phénomène, le lectorat déplace son intérêt du roman policier représenté par Yokomizo Seishi, appelé plus tard « orthodoxe », vers le roman policier social7. Ōtsuka Eiji explique que le roman policier jusqu’à Yokomizo Seishi « était un jeu, un puzzle, au cours duquel le meurtre était résolu par l’enquêteur. Apparu après-guerre, le roman policier social prend le contre-pied de ce genre de texte en décrivant de manière plus réaliste les personnages et la société » (Ōtsuka 2006 : 129). Ce nouveau genre s’intéresse aux problèmes sociaux, par exemple la corruption, la criminalité financière, la pollution (Gonda 2000 : 157-158). Le roman policier qui avait découvert du mystère et du fantastique dans la « vision d’un monde marquée par les traditions locales » portée par les villages de montage et du bord de mer disparaît alors pour être remplacé par la nouvelle tendance du genre qui prenait les « villes » pour scène.
- 8 Au cours de ce rituel, plusieurs prêtres shintos pénètrent dans la mer pour ramasser des algues wak (...)
20Cependant certaines œuvres du roman policier social introduisent dans leurs intrigues des aspects ethnographiques. Matsumoto Seichō, l’initiateur du genre, évoque dans Suna no utsuwa 砂の器 (Le Vase de sable, 1961) les malades de la lèpre et leur vie d’errance marquée par la discrimination. Comme le criminel qui a réussi sa vie à Tokyo cache son passé campagnard, les policiers-enquêteurs doivent étendre leur enquête des villes vers les campagnes. Les premières sont composées d’habitants originaires des secondes qui constituent pour eux un symbole de leur passé. C’est ce qu’explique Yanagita Kunio dans Villes et Villages : ceux qui ont quitté les campagnes pour les villes « sont nombreux à s’être cachés au fond des métropoles comme pour échapper à la surveillance tatillonne de la morale sociale et pour chercher une sorte d’anonymat » (Yanagita 1991 : 350). Preuve de son intérêt marqué pour les traditions locales, Matsumoto Seichō évoque également le rituel shinto du Mekari shinji 和布刈神事8 dans Jikan no shūzoku 時間の習俗 (Temps et Traditions, 1962) et la légende de la femme-cygne dans D no fukugō Dの複合 (Composition D, 1968). Cependant, on ne rencontre chez lui presque aucune œuvre qui offre à partir des « campagnes » du mystère et du fantastique tels qu’on les trouve dans l’œuvre de Yokomizo Seishi, chez qui les traditions encore conservées étaient à l’origine des crimes.
21Alors que la mode du roman policier social s’estompe dans la seconde moitié des années 1980, au cours de la Bulle économique, le nombre de récits policiers liés au voyage, marqués par un fort aspect ludique, augmente dans le même temps. Ce genre devient populaire au début de la même décennie et prend pour décor les moyens de transport, comme le train, et des lieux célèbres ou historiques (Shinpo 2000b : 215). Il faut y voir également la volonté d’inviter les lecteurs à goûter au plaisir du tourisme, à travers des régions ou des lieux très concrets, plus particulièrement les sites touristiques. Ces récits sont par conséquent facilement adaptables à la télévision. On peut citer les aventures du policier Totsugawa 十津川 créées en 1978 par Nishimura Kyōtarō 西村京太郎 dans Shindai tokkyū satsujinjiken 寝台特急殺人事件 (Meurtre dans le train de nuit) ou celles d’Asami Mitsuhiko par Uchida Yasuo qui débutent en 1982 avec Go-Toba densetsu satsujinjiken 後鳥羽伝説殺人事件 (L’Affaire de la légende de l’empereur Go-Toba). Ainsi, dans Nagasaki satsujinjiken 長崎殺人事件 (Meurtre à Nagasaki, 1998) qui appartient à cette dernière série, l’héroïne est la fille d’un fabricant de kasutera, une spécialité sucrée locale. Asami tente d’élucider l’énigme d’un meurtre perpétré dans le jardin Glover. Les descriptions réinvestissent les images locales de la « campagne » telles qu’on peut les lire dans les guides touristiques et sont éloignées des pratiques et des traditions des habitants de la région. Ce genre de roman policier décrit ainsi la « périphérie (la campagne) » comme un site touristique découvert par le « centre (la ville) ». Sans doute faut-il y voir l’influence du tourisme de masse alors en plein essor et de l’opération publicitaire « Discover Japan » lancée par les chemins de fer japonais au cours des années 1970.
22Après l’éclatement de la Bulle économique au début des années 1990 qui voient un appel lancé vers plus d’autonomie locale, c’est au tour du « nouveau roman policier orthodoxe » de connaître un succès grandissant. L’un de ses représentants les plus importants, Ayatsuji Yukito 綾辻行人, crée une série policière liée à de grandes demeures dont le premier opus s’intitule Jukkakukan no satsujin 十角館の殺人 (Meurtres dans la demeure décagonale, 1987) : un écrivain de roman policier Shimada Kiyoshi 島田潔, répondant au nom de plume de Shishiya Kadomi 鹿谷門美 et résidant dans le « centre (la ville) », vient résoudre l’affaire qui a lieu dans une demeure de style occidental construite dans la « périphérie (la campagne) ». Ce « nouveau roman policier orthodoxe » constitue une tentative de revenir aux origines du genre (Edogawa Ranpo, Yokomizo Seishi, etc.) en mettant l’accent sur les stratagèmes des criminels (Shinpo 2000a : 165). Des romans policiers s’appuyant sur cette « vision d’un monde marquée par les traditions locales » commencent dans ce contexte à être à nouveau publiés.
23Kyōgoku Natsuhiko, le créateur des aventures du moine Kyōgokudō, représente cette nouvelle tendance. Miyata Noboru 宮田登, tout à son intérêt pour cet auteur, écrit : « Ces dernières années, Kyōgoku Natsuhiko fait partie de ces écrivains particulièrement populaires. Ses œuvres ont toutes pour point commun cette capacité de décrire à travers d’habiles intrigues un effrayant monde surnaturel qui ne reste pas cantonné dans un espace différent mais qui apparaît, telle la réalité, dans notre monde » (Miyata 2001 : 60). Dans les aventures du moine Kyōgukudō, les affaires mystérieuses qui portent toutes le nom d’un esprit surnaturel, un yōkai 妖怪, sont résolues par Chūzenji Akihiko 中禅寺秋彦, alias Kyōgokudō, en pratiquant ce qu’il appelle l’exorcisme. Son activité, au fur et à mesure de ses aventures, s’étend de la ville à la campagne.
24Ces histoires ont pour particularités d’avoir lieu dans le Japon des années de guerre et de l’après-guerre et de développer dans le cadre d’un roman policier une « vision d’un monde marquée par les traditions locales ». Elles semblent à première vue analogues à celles de Kindaichi Kōsuke : elles sont contemporaines et sont construites sur un mode identique à celui qu’avait mis en place Yokomizo Seishi grâce à son expérience de déplacé. Cependant, l’œuvre de Kyōgoku se déploie dans un monde fondé sur des ouvrages ethnographiques. Fervent lecteur de Yanagita Kunio, il s’intéresse à l’ethnographie au point de publier en 2013 Tōno monogatari remix 遠野物語 remix (Récits de Tōno – Remix), une réécriture moderne de Récits de Tōno dans laquelle il réorganise le texte en changeant notamment l’ordre des histoires. Il était donc inévitable que des ouvrages spécialisés dans ce domaine soient cités chez Kyōgoku. Il en est de même dans les aventures de Tōjō Gen.ya de Mitsuda Shinzō. Ces romans policiers sont également des récits construits sur l’image de cette « campagne (village) » étudiée et analysée par les ethnographes. Le contexte est celui d’une véritable culture traditionnelle « rurale (villageoise) », alors quasiment disparue.
25Comme on a pu le voir jusqu’à présent, la manière de présenter la « campagne » dans le roman policier évolue fortement selon les périodes (cf. tableau 2, le statut des « campagnes » dans les romans policiers japonais), résultat de la mise en place dans les œuvres, selon les questionnements de l’époque, d’une « vision d’un monde marquée par les traditions locales ». On peut sans doute y voir également trois éléments : l’image des « campagnes » portée par les écrivains et les lecteurs, l’aspect de ces mêmes « campagnes » du point de vue des « villes », mais aussi l’évolution du statut de la « campagne » dans la société japonaise. Pour résumer, tout cela montre les transformations de la culture traditionnelle dans les zones rurales. Les « villes » considèrent celles-ci comme un espace résiduel de la culture pré-moderne, un monde du passé. Les « campagnes » sont toujours plus envisagées comme une ressource touristique, pour finir par être absorbées par la culture urbaine et se fondre dans celle-ci. Analyser le roman policier du point de vue de l’ethnographie est ainsi de grande valeur. Dans ce genre littéraire, on est confronté à la « campagne » qui n’a cessé d’évoluer dans ses rapports avec la « ville ». Dans le même temps, le roman policier décrit des tropes intangibles, par exemple le détective venant de la ville pour mener son travail à la campagne.
Tableau 2 : Le statut des « campagnes » dans les romans policiers japonais
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Catégorie
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Écrivain représentatif
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Statut dans le roman
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Type de monde marqué par les pratiques locales
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Période d’apparition
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1
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Roman policier des origines
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Edogawa Ranpo
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X
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X
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1910-1930
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2
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Roman policier orthodoxe
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Yokomizo Seishi
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Redécouverte de la campagne par la ville
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Construit par expérience personnelle
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Après-guerre
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3
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Roman policier social
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Matsumoto Seichō
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La campagne, passé des habitants des villes
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X
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Après la période de haute croissance économique
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4
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Roman policier viatique
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Nishimura Kyōtarō, Uchida Yasuo
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La campagne, espace touristique du point de vue des citadins
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X
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Période de la Bulle économique
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5
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Nouveau roman policier orthodoxe (première période)
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Ayatsuji Yukito
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X
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X
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Période de l’éclatement de la Bulle économique
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6
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Nouveau roman policier orthodoxe (seconde période)
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Kyōgoku Natsuhiko
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La campagne livresque
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X
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Après l’éclatement de la Bulle économique
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26La réception du roman policier inspiré de cette « vision d’un monde marquée par les traditions locales » évolue largement au cours des décennies. L’approche, telle qu’elle apparaît dans les aventures de Kindaichi Kōsuke fondées sur l’expérience propre de Yokomizo Seishi, devient abstraite et perd en réalisme auprès de nombreux lecteurs nés après-guerre. Sans doute cette proximité disparaît-elle à cause de l’urbanisation et du vieillissement qui touchent les campagnes depuis la période de haute croissance économique.
- 9 « “Gokumon-tō” hankō kanō ? Kindaichi fan “seichi” de kasō gyōretsu » 「獄門島」犯行可能? 金田一ファン「聖地」で仮装行列 (L (...)
27Parallèlement cette « vision d’un monde marquée par les traditions locales » développée dans les romans policiers est considérée par les habitants de ces « campagnes (périphéries) » comme le symbole de leur ancrage local. Selon Chiba Tokuji 千葉徳爾, « Le terme de “kyōdo” peut être utilisé de deux manières différentes au Japon. Il peut signifier le lieu où quelqu’un est né et a grandi et être la marque, pour celui qui s’en est éloigné, d’un lien sentimental avec son pays natal. Il peut également être utilisé comme quasi synonyme de village opposé à la ville, de marge opposée aux espaces culturels centraux, autrement dit, la “périphérie” (Chiba 1988 : 42). Ainsi dans la « périphérie (campagne) » réelle, contexte géographique des aventures de Kindaichi Kōsuke, utilise-t-on comme outil de revitalisation locale les romans où apparaît ce héros9.
- 10 Ces « pèlerinages » sont une forme de tourisme qui consiste à aller visiter les lieux ayant servi d (...)
- 11 Un marebito est un être de l’au-delà, doté de pouvoirs surnaturels, venant rendre visite à un villa (...)
28Depuis 2009, la ville de Kurashiki (département d’Okayama) et les membres de l’Association pour la revitalisation du quartier d’Okada organisent chaque année les « Mille Kindaichi Kōsuke », un défilé costumé dans les habits des personnages des œuvres de Yokomizo, par exemple Kindaichi Kōsuke ou Inugami Sukekiyo 犬神佐清. La parade débute à la gare de Kiyone où descend Kindaichi dans Honjin satsujinjiken 本陣殺人事件 (Les Crimes du Honjin), la première œuvre où il apparaît, puis elle passe devant la maison où l’écrivain avait été contraint de s’installer durant la guerre, et se termine au musée local de Mabi. Tout le long du parcours, les habitants interprètent des saynètes inspirées de ses œuvres ou de sa vie de réfugié. On peut donc considérer que la « vision d’un monde marquée par les traditions locales » dans laquelle baigne Kindaichi a été adoptée par les habitants, et ce d’autant plus que l’événement dure depuis de nombreuses années. On découvre derrière tout ceci un département d’Okayama tel qu’il est décrit dans le roman de Yokomizo, figé dans le temps, celui de la guerre et de l’après-guerre, différent de la réalité de cette région désormais urbanisée. Les lecteurs d’aujourd’hui y voient un espace fantasmé. Satō Kenji 佐藤健二 affirme : « “Kyōdo” est un concept fonctionnant sans qu’on puisse le remplacer concrètement par la réalité d’une région de naissance ou par une région réelle » (Satō 2002 : 311) et, de ce point de vue, il possède un point commun avec ce monde abstrait, déployé dans le roman policier à travers cette « vision d’un monde marquée par les traditions locales ». Qu’il y ait compatibilité entre les deux n’est donc pas étonnant. De plus, les habitants d’autres départements du Japon considèrent ces animations autour de Kindaichi Kōsuke comme des « pèlerinages » effectués sur les lieux ayant inspiré des animés10. L’enquêteur de Yokomizo est devenu un marebito まれびと11, un être surnaturel, et une véritable bénédiction pour les habitants des « périphéries (campagnes) » qui, souffrant des difficultés rencontrées par leurs régions, y trouvent leur bonheur. C’est une conséquence inévitable de la structure du roman policier.
29Ces évolutions ne se limitent pas à la ville de Kurashiki où s’était réfugié Yokomizo. On retrouve le même phénomène dans la ville de Toba (département de Mie) à laquelle est lié Edogawa Ranpo qui travailla en 1917 dans ses chantiers navals et qui aurait été inspiré par une île qu’il aurait vue au large de la cité pour écrire L’Île panorama12.
30La Chambre de commerce et d’industrie de la ville, s’appuyant sur le projet d’un écomusée de Toba, promeut des activités dont les acteurs sont les habitants de la cité. Après la restauration en août 2002 de la maison d’Iwata Jun.ichi qui fait face à la rue Ōzato et son inauguration en tant que « musée de la littérature du port de Toba – Iwata Jun.ichi, Edogawa Ranpo et Takehisa Yumeji », le « musée de la littérature du port de Toba – musée Ranpo et Galerie de la littérature de Toba » est inauguré en avril 2004. En 2006, une copie d’un grenier à riz est construite, appelée « musée de la littérature du port de Toba – Le château des fantasmes » où est présentée L’Île panorama. En novembre 2007 est créée la « Ruelle du musée de la littérature du port de Toba ». Elle joue le rôle de passage entre les différents bâtiments et la rue Ōzato, et reproduit le paysage urbain du milieu des années 1950 lorsque la ville, ayant fini sa reconstruction, est devenue une destination touristique. On peut donc parler de reconstruction d’une identité locale. Finalement, une « Ranpo night » est lancée en 2013 pour que les visiteurs découvrent à travers de la musique et des lectures les liens entre l’auteur et la ville. Tout ceci montre comment Toba essaie de reconsidérer son identité locale à travers l’œuvre policière de Ranpo.
31On constate par ailleurs que de nouveaux romans policiers naissent dans les « périphéries (campagnes) ». Ainsi depuis 2008 la ville de Fukuyama (département de Hiroshima) organise-t-elle le « Prix du roman policier de Fukuyama – ville des roses »13, ouvert à tous les nouveaux auteurs de romans policiers et dont le lauréat est désigné par le créateur du « nouveau roman policier orthodoxe », Shimada Sōji 島田荘司. Selon Chiba Tokuji, « si ce territoire qu’on appelle “kyōdo” est façonné par des symboles, des images ou des frontières immatérielles, son organisation interne devrait pouvoir être structurée intellectuellement » (Chiba 1988 : 45). Le prix du roman policier de Fukuyama pourrait être ainsi considéré comme une tentative par les « périphéries (campagnes) » de faire émerger une identité locale dans le genre policier.
32L’association d’intérêt public pour la promotion de Hiratsuka (département de Kanagawa), dont l’objectif est d’encourager et de développer la culture écrite et également d’accroître l’intérêt pour l’identité locale de la ville, a par exemple invité pour une conférence le 17 janvier 2015 Higashigawa Tokuya 東川篤哉, l’auteur du roman policier Raion no sumu machi – Hiratsuka onna tantei no jinkenbo 1 ライオンの棲む街~平塚おんな探偵の事件簿1~(Les Enquêtrices de Hiratsuka (1) : la ville des lionnes, 2013) qui prend cette ville pour cadre14. À cette même occasion, l’association a offert le roman à toutes les écoles primaires et les collèges de la municipalité. Comme le montrent ces exemples, les habitants des « périphéries (campagnes) » envisagent le genre policier en lien avec leur identité locale.
33Le genre policier ne s’est pas seulement développé dans son rapport avec la « ville », il a également été influencé par les rapports qu’entretiennent les « villes » et les « campagnes ». La période et le contexte de mise en place de ce genre et de l’ethnographie sont plus ou moins identiques et les deux domaines partagent des points communs dans la manière des citadins d’envisager les campagnes et dans la redécouverte de celles-ci. Une proximité a émergé entre les deux : le genre policier a vu naître des œuvres dans lesquelles se déployaient non seulement des éléments qui s’appuyaient sur l’ethnographie mais aussi sur une « vision d’un monde marquée par les traditions locales ». En outre, ses récits incluaient des éléments fortement liés à la culture intellectuelle des Japonais proches du concept de marebito. C’est sans doute pour cette raison que beaucoup d’entre eux apprécient leur roman policier national.
34Avec le temps, chaque changement de style du roman policier a été accompagné d’une transformation de cette « vision d’un monde marquée par les traditions locales » présentes dans ces textes. Il s’agit également d’une évolution de l’image des « campagnes » par rapport aux « villes ». On assiste depuis peu à des tentatives de trouver ce « kyōdo » dans cette vision d’un monde portée par le genre policier. On peut parler également d’une volonté des habitants des « campagnes » d’envisager différemment, à travers celui-ci, leurs régions. Aujourd’hui, alors que les relations entre les villes et les campagnes dans une société marquée par la crise démographique évoluent à cause des nombreuses fusions de communes au tournant des années 2000 et des projets de villes compactes, la « vision d’un monde marquée par les traditions locales » dans les romans policiers change fortement. On rencontre ainsi, dans les publications qui ont un cadre contemporain, moins de romans policiers dans lesquels un détective de la « ville (centre) » se rend dans les « campagnes (périphéries) » pour y résoudre une affaire. Sans doute est-ce là l’expression de l’impossibilité, désormais, de construire dans les « campagnes (périphéries) » actuelles une « vision d’un monde marquée par les traditions locales » à propos de laquelle les citadins trouveraient encore à s’étonner. Cela signifie également que les spécificités des campagnes, leurs cultures, leurs traditions et leurs pratiques locales sont en voie de disparition.
35Kawamura Kiyoshi 川村清志 considère que nombre des cultures locales japonaises souffrent actuellement du dépeuplement accéléré de certaines régions et de l’absence de transmission entre les générations, contraignant certaines communautés à transformer plusieurs de leurs pratiques traditionnelles ou d’en réduire la portée, voire d’y mettre parfois un terme (Kawamura 2015 : 17). Alors qu’elles avaient perpétué ces pratiques mais ne sont plus capables de les maintenir, ces communautés pourraient de moins en moins être considérées comme des objets d’études. Les ethnographes envisageraient leur propre survie au moyen d’un « élargissement temporel », d’un « agrandissement spatial », et d’une « ouverture méthodologique » de leurs objets de recherche.
36Ce phénomène ressemble à ce que pratiquent par exemple Kyōgoku et Mitsuda avec leurs romans : ils placent leurs œuvres dans le passé (avant ou après-guerre), et y déploient une « vision d’un monde marquée par les traditions locales ». Non seulement les évolutions de la recherche en ethnographie influencent-elles le roman policier japonais, mais cette vision d’un monde décrite dans ces mêmes romans reflète celle des « campagnes (périphéries) » dans la société actuelle. Il faut y voir une des qualités des écrivains de romans policiers, sensibles aux transformations sociales, qui ont fait évoluer au gré des périodes la forme et les thématiques de leurs œuvres.
37Nous voudrions, dans nos futures recherches, nous intéresser à la manière d’utiliser les liens entre roman policier et ethnographie, et dans ce cadre, nous interroger sur le rôle qu’ils jouent pour résoudre des problèmes provoqués par le rapport « villes » / « campagnes », par exemple la disparition des cultures locales.