Susana Onega, Jeanette Winterson
Susana, Onega, Jeanette Winterson, Manchester : Manchester University Press (Contemporary British Novelists), 2006. xv + 256 p.
Texte intégral
1Après le volume d’essais de Helena Grice et Tim Woods et l’étude de Christine Reynier, cette monographie vient confirmer, si besoin était, la place que l’œuvre de Winterson occupe sur la scène des lettres britanniques contemporaines. Cet épais volume prend en compte la quasi-totalité de l’œuvre fictionnelle de Winterson, jusqu’aux nouvelles réunies dans The World and Other Places. Les textes sont analysés individuellement, à raison de deux œuvres par chapitre, en suivant l’ordre chronologique de publication. Une introduction et une conclusion annoncent et tirent les divers fils directeurs de manière efficace et convaincante.
2Il était pourtant légitime de se demander ce qu’une nouvelle monographie sur Winterson pourrait apporter de réellement nouveau sur une œuvre déjà largement commentée, dans la presse mais aussi dans les revues scientifiques et autres tribunes de la vie culturelle et universitaire. Il était d’autant plus légitime de se poser cette question pour une œuvre aussi fameuse qu’Oranges Are Not the Only Fru it, par exemple, à laquelle est consacré le début du premier chapitre. Cependant, il convient de préciser d’emblée que le lecteur est immédiatement rassuré. Ce que l’on trouve sous la plume de Susana Onega est en effet, en première instance, une synthèse quasi exhaustive de ce qui a été écrit et diffusé autour de l’œuvre de Winterson, dans les pays anglophones et en Europe. De ce point de vue, il va donc de soi que cette monographie constitue un ouvrage de référence indispensable. Ensuite, le rapprochement opéré entre Oranges et Boating for Beginners, se fondant sur la mise au jour et sur l’exploitation d’un riche tissu intertextuel et hypertextuel, propose une lecture passant en revue les télescopages génériques et tonaux inhérents à la parodie sympathique afin de s’orienter vers une synthèse articulée autour de la progression spiralée que Susana Onega, dans le sillage de spécialistes de la question, évalue comme propre à une écriture lesbienne, sans pour autant imposer au texte quelque carcan critique que ce soit et en prenant garde de bien re-situer ces œuvres de jeunesse dans le cadre d’une tradition visionnaire (le premier chapitre s’intitule « Of Priests and Prophets ») donnant toute sa place à la figure structurelle et tutélaire de l’androgyne (il s’agit de l’un des fils d’Ariane courant à travers le volume, d’œuvre en œuvre).
3Susana Onega est constamment soucieuse de divers impératifs: elle mène de front contextualisation (biographique, historique, littéraire, culturelle) et travail précis — toujours juste, souvent inspiré — de micro-analyse. Pareille démarche atteste une attention aiguë aux jeux des signifiants et autres références, mais aussi une volonté de convoquer les outils critiques et théoriques les mieux appropriés à chaque texte. La critique générique (sur la romance,notamment) fonctionne ainsi de conserve avec des emprunts à l’esthétique (le baroque) ou à la tradition hermétique (les savoirs cachés et visionnaires), avec de multiples références à la psychanalyse, ou encore à la critique féministe (notamment aux travaux de Monique Wittig et d’Hélène Cixous, utilisés de manière particulièrement heureuse dans « The Art of Love », chapitre consacré à Written on the Body et à Art and Lies). Les pages s’intéressant à The.PowerBook, qui est présenté comme récriture d’Orlando,ou celles évoquant Gut Symmetries, sous les regards croisés de la Nouvelle Philosophie et de la tradition hermétique, sont tout aussi scrupuleusement argumentées et originales.
4Critique-hérisson, comme Winterson ou Ackroyd peuvent être qualifiés de hedgehog artists, selon la description de Isaac Berlin, Susana Onega n’a de cesse qu’elle ne creuse un sillon courant d’un auteur à l’autre (Ackroyd, et à présent Winterson) afin de proposer une vision unificatrice (et non clôturante) de son œuvre. C’est le pari qu’elle s’était manifestement lancé en préparant cette monographie, et la belle unité d’ensemble apparaissant à la lecture de ces pages scelle le succès du projet. Autour de l’écriture visionnaire, de l’intertexte moderniste et de la figure de l’androgyne s’esquissent une poétique et une esthétique spécifiques, nourries d’une tradition clairement établie que Susana Onega, in fine, conçoit comme ouverture à l’altérité, à l’extérieur du sujet et en son sein.
5La très complète bibliographie et l’index sont fort utiles. Ils confirment l’immense travail de lecture effectué pour mener à bien cette entreprise. Il ne fait nul doute que cette monographie constitue une somme désormais incontournable pour qui souhaite sérieusement étudier le corpus wintersonien.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Michel Ganteau, « Susana Onega, Jeanette Winterson », Études britanniques contemporaines [En ligne], 32 | 2007, mis en ligne le 22 septembre 2020, consulté le 07 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ebc/9563 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ebc.9563
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page