Navigation – Plan du site

AccueilNuméros32Comptes rendusPaul Veyret, Kazuo Ishiguro : l’e...

Comptes rendus

Paul Veyret, Kazuo Ishiguro : l’encre de la mémoire

Camille Fort
Référence(s) :

Paul, Veyret, Kazuo Ishiguro : l’encre de la mémoire, Pessac : Presses universitaires de Bordeaux, collection « Couleurs Anglaises », 2005, 171 pages.

Texte intégral

1Disons d’emblée du Kazuo Ishiguro de Paul Veyret qu’il relève avec maîtrise et élégance le double défi qui l’attendait : d’une part, répondre aux exigences pédagogiques d’une collection qui s’efforce, sans céder à la facilité, de présenter les écrivains contemporains britannique au public étudiant, de l’autre, prolonger et approfondir un sillon de recherche jalonné par des essais et articles que Paul Veyret cite sans restreindre son approche à un simple travail de synthèse. C’est une lecture neuve d’Ishiguro qui nous est proposée ici même si, à l’image de ce dernier, elle sait faire fond d’un passé — critique et exégétique — déjà impressionnant pour un écrivain qui vient de publier son sixième roman.

2L’introduction prend le temps de contextualiser l’œuvre d’Ishiguro en rappelant avec une fermeté salutaire qu’il importe de le traiter en écrivain britannique à part entière, dont l’héritage « nippon » n’a occasionné ni traumatisme culturel, ni impossible obligation de choix. On peut certes se demander dans quelle mesure ses thèmes de prédilection, sur lesquels s’étend ensuite l’ouvrage — la nostalgie et ses points aveugles, le deuil et ses résistances, les faillites de l’histoire, collective et intime, la figure de l’enfant victimisé (portée à l’extrême dans Never Let Me Go, le dernier roman en date, paru après cette étude) — témoignent d’une renégociation, par le travail de l’écriture imaginaire et symbolique, de cette expérience du trauma à laquelle Ishiguro fut comme soustrait par cette enfance sans histoire et cette assimilation heureuse mises en exergue par l’ouvrage. Mais Paul Veyret, sagement, ne s’essaie pas à psychanalyser son auteur. Un portrait critique des cinq premiers romans lui permet de dégager les fils rouges et les tangentes d’une œuvre dont il démontre à la fois la fidélité aux « thèmes universels de la culpabilité, du déracinement et de l’oubli » (p. 21) et le devenir constant, insistant sur la rupture introduite par le quatrième récit, le déconcertant The Unconsoled, ou sur le recours à l’hypotexte anglais qui distingue The Remains of the Day et When We Were Orphans des premiers récits. Outre ces romans, l’ouvrage comporte une fine lecture de l’étrange nouvelle « A Family Supper », texte-charnière en ce qu’il articule l’inquiétante étrangeté des premiers récits au différend familial qui marque les derniers.

3Pour autant, l’essai de Paul Veyret ne se veut pas strictement thématique : il cerne au plus près les traits porteurs de l’écriture ishigurienne. S’il évite de s’attarder sur les stratégies narratives relevées par ses prédécesseurs, l’écriture du leurre au premier chef, il sait travailler au plus près l’art du retournement qui structure ces fables ou discerner dans les conclusions ambiguës la promesse amorcée d’une catharsis et d’un retour au sens qui iraient de pair avec le constat du désenchantement (encore que cette promesse fasse défaut au dernier récit, qui accuse jusqu’au nihilisme le tragique ishigurien). L’ouvrage témoigne lui aussi d’un réel bonheur d’écriture, que l’auteur évoque le « paradigme perdu » de l’enfance ou la « sentimentalité des ruines » qui permet à la nostalgie de se constituer en projet d’écriture. Tout au plus reprocherait-on à cet essai de ne pas s’appuyer davantage sur ses propres analyses pour étendre le contexte littéraire dans lequel s’enracine cette œuvre : Ishiguro côtoie certes Graham Swift ou Salman Rushdie dans la littérature contemporaine (même s’il se montre rétif à l’étiquette post-moderniste), mais on pourrait aussi bien, lisant Paul Veyret, souligner sa parenté avec les fabulators des années 50 et 60 ou sa complicité avec les grands thèmes romantiques et post-romantiques (l’angoisse nostalgique, l’innocence abusée, l’introspection et sa dimension abréactive, l’esthétique des ruines etc.). À cette réserve près, l’ouvrage représente un état des lieux critique, précis et limpide, qui trouvera auprès des publics étudiant et chercheur la reconnaissance qui lui est due.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Camille Fort, « Paul Veyret, Kazuo Ishiguro : l’encre de la mémoire »Études britanniques contemporaines [En ligne], 32 | 2007, mis en ligne le 22 septembre 2020, consulté le 11 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ebc/9548 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ebc.9548

Haut de page

Auteur

Camille Fort

Université de Picardie-Jules Verne

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search