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Comptes rendus

DE BONT, Leslie. Le modernisme singulier de May Sinclair

Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 2019, 351 p.
Florence Marie
Référence(s) :

Leslie de Bont, Le modernisme singulier de May Sinclair, Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 2019, 351 p.

Texte intégral

1Comme le prouve la lecture de l’une des sous-parties de la bibliographie, qui recense les études et articles critiques consacrés à May Sinclair, romancière, auteur de nouvelles et d’essais philosophiques, féministes, littéraires et psychanalytiques, Leslie de Bont est à ce jour la seule universitaire française à avoir consacré une thèse à cette œuvre. Dans cette bibliographie très fournie (43 pages) se constate aussi le regain d’intérêt qu’ont connu les écrits de cet auteur depuis le début du vingt-et-unième siècle, ce que confirme par ailleurs la création en 2013 de la May Sinclair Society. Aussi ne peut-on que se féliciter de l’existence de cet ouvrage, qui vise à démontrer non seulement l’importance mais aussi la singularité de cette œuvre, souvent considérée comme une œuvre de transition entre la période victorienne (Sinclair publia ses premiers romans à la fin des années 1890) et le grand bouleversement du modernisme (ses derniers écrits parurent au début des années trente).

2Bien que l’ouvrage fore « ce rapprochement particulier opéré par le modernisme entre investigations scientifiques et littératures » (p. 17), l’entreprise n’est jamais jargonnante et l’argumentation reste claire. Il ne s’agit pas toutefois d’une clarté simplificatrice. La démarche de Leslie de Bont refuse toute conclusion définitive qui irait à l’encontre de ce sur quoi repose l’œuvre de Sinclair, en l’occurrence la pensée par cas et les nuances et contradictions qu’elle favorise et accueille.

3L’ouvrage s’articule en trois grandes parties, elles-mêmes divisées en trois sous-parties.

4Puisque « lire un roman de Sinclair implique […] un travail de contextualisation théorique » (p. 298) il est logique qu’en première partie (p. 23-104) Leslie de Bont montre comment les écrits théoriques (articles et essais) philosophiques ou psychanalytiques de Sinclair empruntent à S. Freud et avant tout à C. G. Jung, mais aussi aux travaux de ses collègues de la Medico-Psychological Clinic (fondée en 1913). Ce qui n’empêche nullement Sinclair de nuancer leurs propos, d’adapter le canon psychanalytique, voire de faire exploser les cadres théoriques en privilégiant, comme c’est le cas de son exploration de la notion de conscience, « une approche transdisciplinaire » (p. 36), tout à la fois psychologique, psychanalytique, philosophique et mystique. Il s’avère par ailleurs que sa fiction va souvent plus loin que ses écrits théoriques, moins souples. Cette liberté se retrouve dans l’engagement féministe de Sinclair. Visant à éviter « tout discours généralisateur et normatif à propos des femmes » (p. 61), mais aussi des hommes, Sinclair fait là encore le choix de la contradiction et de la fluidité. La dernière sous-partie aborde « le néo-idéalisme sinclairien » (p. 75) et sa conception syncrétique de l’absolu. C’est l’occasion pour Leslie de Bont d’étudier l’influence de la philosophie de Spinoza en ce qui concerne le rapport au corps dans les romans de Sinclair (et en particulier dans Life and Death of Harriett Frean [1922]) et celle de Schopenhauer lors de l’étude des notions de « want » et « will ».

5La deuxième partie (p. 105-194) propose une exploration des aspects littéraires des romans de Sinclair, conçus comme des études de cas. Y sont exposées les techniques modernistes du collage, du « courant de conscience » (elle fut la première qui utilisa l’expression « stream of consciousness » dans un contexte littéraire en 1918), mais aussi le recours de Sinclair au symbolisme et à l’imagisme dans des écrits fictionnels infiniment nuancés. Il s’avère que la dimension moderniste de son écriture n’est pas totale, l’auteur restant dans un entre-deux hybride où s’affirme sa singularité propre : « Cette hybridité repose sur une esthétique du doute, héritée de la pensée par cas qui appelle l’analyse plus qu’elle ne convoquerait une quelconque autorité » (p. 162). La dernière sous-partie se focalise sur la fiction de guerre de Sinclair (quatre romans), la mise en scène du traumatisme et du processus de rétablissement.

6La troisième partie de l’ouvrage (p. 195-292) montre comment May Sinclair négocia le genre duBbildungsroman, hérité du dix-neuvième siècle, pour y inclure des thématiques plus modernistes et y décliner des parcours au féminin (elle ne fut certes pas la seule à le faire, ainsi que le démontre l’œuvre de Dorothy Richardson), en particulier dans les œuvres suivantes : The Creators (1910) et Mary Oliver (1919). Si, contrairement aux Bildingromane de l’époque victorienne, ce qui est poursuivi n’est plus la réconciliation de l’individu et du monde, réconciliation que permettrait une identité parachevée, c’est qu’à l’époque moderniste il n’y a plus d’identité stable possible. Le choix de protagonistes féminins permet dans bien des cas la mise à jour de ce que la psychanalyse n’avait pas encore pensé à l’époque : « le cas littéraire anticipe ici le discours conceptuel » (p. 226). Les romans de Sinclair s’attachent à l’enfance des protagonistes, ce moment où se mettent en place des structures psychiques susceptibles d’infléchir la vie future des protagonistes. Si l’idée n’est pas neuve, l’accent mis sur ce qui se joue dans l’attachement de la fille à la mère lui l’est, et constitue selon Leslie de Bont, « l’axe le plus original et le plus propre à Sinclair » (p. 243). C’est en effet un sujet qui n’avait guère suscité l’intérêt de S. Freud, mais qui devait retenir l’attention de M. Klein. Sinclair aborde aussi les désirs sexuels au féminin, le désir d’enfants et la maternité (souvent perçue comme un avatar nocif de l’autorité patriarcale), autant de thèmes qui permettent de mettre à mal la figure tutélaire de l’Ange au foyer. Délaissant la temporalité linéaire du Bildungsroman au bénéfice d’un tissage constant entre passé, présent et futur, Sinclair fait exploser les visées téléologiques du genre avant d’y introduire « le temps de l’analyse » (p. 260). Une ultime sous-partie s’attarde sur la problématique du Künstlerroman féminin et la mise à jour des appréhensions que suscite l’acte de création au féminin tant en ce qui concerne l’ordre social que chez les protagonistes elles-mêmes, prises dans les rets de discours stéréotypés dont il leur faut se dégager.

7C’est donc toute l’œuvre de Sinclair, pourtant foisonnante et protéiforme, que l’ouvrage de Leslie de Bont aborde avec subtilité et maîtrise, ce qui explique quelques pas de côté dans certaines sous-parties. La mise en contexte, diverse et nuancée, est éclairante à plus d’un titre. Si elle est avant tout axée sur la contextualisation épistémologique, elle ne fait pas non plus l’impasse sur la production littéraire de l’époque (Eliot, Joyce, Lawrence, Lewis, Richardson, Woolf, etc.). Elle permet au lecteur de fourbir les armes dont il aura besoin pour plonger dans une œuvre iconoclaste, qui gagnerait à être découverte par un plus grand nombre.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Florence Marie, « DE BONT, Leslie. Le modernisme singulier de May Sinclair »Études britanniques contemporaines [En ligne], 58 | 2020, mis en ligne le 13 avril 2020, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ebc/9371 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ebc.9371

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Auteur

Florence Marie

Université de Pau et des Pays de l’Adour

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