Catherine PESSO-MIQUEL, Salman Rushdie, l’écriture transportée
Catherine Pesso-Miquel, Salman Rushdie, l’écriture transportée, Pessac : Presses Universitaires de Bordeaux, collection « Couleurs Anglaises », 173 p.
Texte intégral
1L’ouvrage de Catherine Pesso-Miquel est le dernier en date dans la collection « Couleurs Anglaises » destiné à présenter à un public français les grands noms du roman britannique contemporain. Le but est à la fois pédagogique et scientifique et l’auteur relève avec bonheur le défi de rendre accessible et stimulante l’œuvre complexe d’un romancier prolifique, reconnu par beaucoup comme « l’un des plus grands écrivains anglophones de l’époque contemporaine » (167). Ce travail est d’autant plus attendu que la dernière étude critique monographique sur Rushdie en français date d’il y a plus de dix ans (cf. Marc Porée et Alexis Massery, Salman Rushdie, Paris, Seuil, 1996). Or trois romans, une anthologie de littérature indo-anglaise et un recueil d’essais ont vu le jour depuis et un nouveau roman est sorti en avril 2008. Cet ouvrage, dont l’objectif est davantage de consacrer un talent maintenant indiscutable que d’ouvrir un débat, arrive donc au bon moment.
2Pour Catherine Pesso-Miquel, Salman Rushdie est un « écrivain transporté » dans le sens où « transport » signifie « cette exaltation, ce sentiment d’excès qui entraîne quelqu’un hors de lui » (8). « tre transplanté », il « refuse d’être contenu à l’intérieur d’un seul passeport » (7) et cherche constamment à franchir de nouvelles limites comme en témoigne son livre d’essais Franchissez la ligne (2002). L’intérêt du titre choisi par Catherine Pesso-Miquel réside donc dans sa polysémie et notamment dans le lien qui est établi dès l’introduction avec la traduction : « le critique se doit de traquer la spécificité de l’art d’un auteur, qui souvent se niche dans cette part ‘intransportable’ d’une langue à l’autre, donc intraduisible, de l’œuvre littéraire, une part que l’art du traducteur ne peut qu’espérer adapter, à défaut de rendre fidèlement » (9). L’entreprise est effectivement de taille quand l’écrivain s’appelle Rushdie, funambule de la langue anglaise. Un des points forts de cette étude est précisément de mettre la traduction au centre de sa réflexion et de proposer de nouvelles traductions et exégèses de passages de « poésie » rushdienne qui ont perdu de leur superbe dans la version française.
3La brève contextualisation biographique qui suit l’introduction permet un retour en arrière sur les événements marquants de la carrière de l’écrivain et notamment sur la fatwa, élément clé de cette vie « trop publique » (11). Le souci constant d’établir des correspondances entre la vie et l’œuvre, ainsi que les très nombreuses citations de Rushdie lui-même, que ce soit à travers des entretiens ou à partir de ses essais, permet d’apprivoiser la figure imposante de cet écrivain et facilite l’approche d’une écriture souvent perçue comme difficile. La décision d’organiser l’étude autour de quelques thèmes fédérateurs présente l’avantage de la concision et les choix sont bien ciblés : le conte, l’humour, le territoire et la transgression. De nombreux sous-titres guident le parcours du lecteur à travers le vaste labyrinthe du corpus rushdien et l’esprit de synthèse de Catherine Pesso-Miquel lui permet de nous fournir un condensé heureux d’une œuvre diverse et foisonnante. L’analyse contrapuntique des textes sert une vision d’ensemble dont la cohérence rassurera les néophytes étourdis par les acrobaties stylistiques et linguistiques et les intrigues complexes qui ont rendu cet écrivain célèbre.
4La place importante donnée à l’art du conteur permet à l’auteur de revenir sur les stratégies narratives employées par un écrivain qui « ne se lasse pas de mettre en scène l’énonciation » (25) et sur quelques lieux communs de la critique rushdienne : la prétendue oralité de l’écrivain et sa conception du lecteur qui se veut résolument ouverte grâce à un dialogue imaginaire avec lui. Plus insolite est le chapitre charnière consacré à l’humour et à la comédie : Catherine Pesso-Miquel a raison de souligner que ces aspects importants sont négligés par la critique. Le panorama très complet qu’elle en dresse permet d’apprécier leur rôle dans l’économie de l’écriture rushdienne et de conclure que « le comique et le tragique se rehaussent mutuellement » (102), preuve nouvelle, s’il en fallait, de l’hybridité et de l’indécidabilité de l’œuvre tout entière.
5Les Enfants de Minuit, roman phare, pour ne pas dire fondateur, du canon rushdien, est souvent mis en vedette dans l’analyse de Catherine Pesso-Miquel, et un rapprochement avec Shalimar le clown suggère que Rushdie aurait renoué avec une formule gagnante (réalisme magique et exotisme) dans ce dernier ouvrage. Dans ce schéma, Furie joue le rôle de trouble-fête et Catherine Pesso-Miquel emboîte le pas à de nombreux critiques dans le jugement sans concessions qu’elle en fait. L’intérêt de ce roman « américain » est sans doute à chercher dans son refus à se conformer au canon rushdien, et son « ambivalence fondamentale » (134), pour ne pas dire chronique, reflète le drame existentiel d’une écriture qui cherche à s’affranchir d’un modèle auto imposé. De toute évidence, nous sommes tous plus à l’aise avec le Rushdie exotique des Enfants de Minuit, lauréat du très prestigieux « Booker Prize » puis du prix spécial, le « Booker des Bookers » — c’est du moins ce que laisse supposer la contextualisation géographique entreprise par le quatrième chapitre, sans que l’auteur oublie toutefois d’insister sur la tension entre deux pôles et deux cultures (occidentale et orientale) qui alimente avec bonheur l’écriture rushdienne. Effectivement, Catherine Pesso-Miquel reconnaît que ce serait une erreur de vouloir enfermer l’œuvre de cet auteur en un seul lieu, territoire ou terre nourricière.
6Cette obsession du franchissement des limites, qui taraude la création rushdienne de bout en bout et qui fut le point de départ de cette étude, nous amène tout naturellement au dernier chapitre, consacré à la transgression. Catherine Pesso-Miquel revient donc sur les diverses modalités employées par l’auteur afin de faire « l’apologie de l’éclectisme et du mélange » (158). Au passage, elle n’oublie pas de problématiser l’hybridité tant célébrée de l’écrivain en faisant appel au Dernier soupir du Maure dont l’esthétique se fonde sur « les heurts, les collisions, les rencontres, potentiellement destructrices et potentiellement fécondes, entre espaces, univers et cultures » (142). Pour conclure, Catherine Pesso-Miquel évoque de nouveau la multiplicité féconde et la nature insaisissable d’une œuvre qui « se montre infiniment variée et changeante, éternellement “transportée” » (167) — constat qui ne peut manquer d’emporter l’adhésion de ses lecteurs, lesquels seront sûrement séduits par la sympathie que l’auteur montre pour son objet d’étude. La précision des analyses que nous livre Catherine Pesso-Miquel ainsi que les nouvelles traductions qu’elle propose constituent des compléments bienvenus à la critique existante. Cet ouvrage permettra sans aucun doute de faire découvrir ou redécouvrir cet écrivain par un public français d’étudiants, de chercheurs, mais aussi de lecteurs non universitaires.
Pour citer cet article
Référence électronique
Madelena Gonzalez, « Catherine PESSO-MIQUEL, Salman Rushdie, l’écriture transportée », Études britanniques contemporaines [En ligne], 34 | 2008, mis en ligne le 06 juin 2019, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ebc/7255 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ebc.7255
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