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A Glastonbury Romance de John Cowper Powys : mortifères ressassements ou fécondes remémorations ?

A Glastonbury Romance by John Cowper Powys : sterile repetition or fruitful remembrance ?
Florence Marie-Laverrou
p. 1-18

Résumés

Cet article propose de mettre en évidence la place centrale qu’occupe l’idée de résurgence dans A Glastonbury Romance (1932) de John Cowper Powys. Replacées dans leur contexte narratif, certaines des résurgences à l’œuvre apparaissent plus précisément comme des tentatives de contrer « ce divorce consommé du passé et de l’avenir » propre aux sociétés modernes (J.-F. Hamel, Les Revenances de l’histoire). Mais elles ne sont pas sans ambiguïté : équivalent-elles à de mortifères ressassements ou à de fécondes remémorations, susceptibles d’ouvrir l’avenir ? Ambiguïté qu’élucide peut-être la réactivation du genre du romance indiquée dans le titre de l’œuvre. Il semble en effet que cette reprise, tout en suggérant le retour aux sources du novel (en tant que genre) et la perpétuation de la tradition, en accomplit aussi le travail de deuil. Et c’est en réveillant certaines des virtualités longtemps oubliées du romance que A Glastonbury Romance rend compte des déchirures des temps présents et produit l’événement.

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Texte intégral

  • 1 À titre d’exemple : « And just as in human organisms there are slowly developed changes, sometimes (...)
  • 2 On trouve à Glastonbury les traces d’un village lacustre préhistorique où un culte était rendu à la (...)
  • 3 Hamel s’intéresse principalement à des auteurs français et allemands (Michelet, Hugo, Baudelaire, B (...)

1Dans ce livre mer de John Cowper Powys qu’est A Glastonbury Romance (1932), il existe une thématique ainsi qu’une poétique de la résurgence. D’un point de vue thématique la résurgence se décline de diverses manières. Elle est tout d’abord littérale puisque la seconde partie de l’œuvre s’articule autour de la sacralisation d’une source et s’achève sur l’évocation d’une inondation de toute la région autrefois gagnée sur la mer. Elle est sociale (avec l’explosion au grand jour, après une longue période de latence, d’une dangereuse lutte de classes) et religieuse (quelques protagonistes veulent faire de Glastonbury une nouvelle Rome, une nouvelle Jérusalem). Elle est aussi culturelle avec la reprise du cycle arthurien et la redécouverte des mythes celtiques qui le sous-tendent et lexicale grâce aux mots celtiques anciens qui parsèment les derniers chapitres de l’œuvre. Elle est enfin littéraire (par l’intermédiaire d’une intertextualité foisonnante) et métaphorique (l’idée de résurgence est en effet souvent présente dans les comparaisons ou les métaphores1). Autant de résurgences qui peuvent être mises sur le compte du genius loci de Glastonbury, site palimpseste au sujet duquel on pourrait dire que le passé s’y incarne2. Du point de vue de la poétique, la chronologie narrative peu complexe ne permet pas à A Glastonbury Romance de convoquer cette idée de la résurgence par diverses anachronies, à l’opposé de ce qui se passe dans les récits polytemporels des modernistes les plus connus. En revanche, Powys, ainsi que l’indique le titre de son œuvre, n’hésite pas à réactiver le genre du romance. Ce sont les liens entre cette poétique et cette thématique de la résurgence que je me propose d’analyser en mettant modestement mes pas dans ceux de Jean-François Hamel, qui, dans son ouvrage Revenances de l’histoire ; Répétition, narrativité, modernité, s’interroge sur la résurgence ambivalente et complexe des poétiques de la répétition dans certaines œuvres des 19e et 20e siècles3.

De la résurgence dans A Glastonbury Romance : entre deuil et mélancolie (Hamel 984)

  • 4 Hamel reprend ici l’opposition établie par Freud lorsque ce dernier distingue « le processus mélanc (...)

2La thématique de la résurgence s’inscrit dans un cadre socio-politique précis. Comme l’a démontré Susan Rands, « for all [Powys’s] awareness of Glastonbury’s past, the Romance is a picture of its events and mores in the late twenties » (Rands 53). Le spectacle historico-religieux (« the pageant ») qui clôt le premier mouvement du texte est le pendant de ceux organisés au début du 20e siècle à Glastonbury ; il fait aussi écho à la résurgence de la littérature celtique à la même époque. Par ailleurs, l’un des principaux écheveaux narratifs de l’œuvre est la lutte engagée par John Geard (« a revivalist preacher ») et par une équipe disparate de communistes flanqués d’un anarchiste, contre Philip Crow, magnat de l’industrie locale et chantre du Progrès. Si de nombreux critiques se sont élevés contre le peu de crédibilité de cette lutte sociale et politique, il n’en demeure pas moins qu’elle s’inscrit dans un cadre historique qui est celui de l’après révolution bolcheviste (c’est d’ailleurs en Russie que s’exile l’une des protagonistes animée d’idéaux communistes). Or, c’est en partie le cadre socio-politique et la dimension historique de ce conflit qui permettent de comprendre l’importance du thème de la résurgence.

  • 5 « L’espace abstrait fonctionne “objectalement” comme ensemble de choses-signes, avec leurs rapports (...)
  • 6 Il est question ici de ce bâton que Joseph d’Arimatie aurait planté à Glastonbury et qui se serait (...)

3Dès les premières pages du récit, Philip Crow est désigné comme une synecdoque du système capitaliste. L’un de ses janissaires n’en fait pas mystère à l’aide de tournures qui évoquent, de manière fort appropriée, le chant des impérialistes britanniques de la fin du 19e siècle : « Crow has the brains ; Crow has the cash. Crow has the banks behind him and the great upper middle class behind him. He has, above everything else, the economic tradition of England behind him » (430). Impitoyable homme d’argent et d’action, Philip Crow n’a de cesse de modeler l’espace à sa volonté pour accomplir ses desseins. Tel un faucon (« this hawk-faced despot » [342]) survolant le paysage de Glastonbury (dans son avion), il ne voit en ce dernier qu’un « espace abstrait » pour reprendre le concept d’Henri Lefebvre5. Or, de cet « espace abstrait » Henri Lefebvre dit qu’il « porte la négativité par rapport à ce qui le précède et le supporte : l’historique, le religieux-politique » (Lefebvre 62). De fait, Philip s’avère animé par la volonté farouche d’anéantir toutes les superstitions locales et de jeter à bas les anciens monuments érigés à leur gloire. Plus radicale sera la destruction, plus roboratifs seront ses effets, plus performant sera le monde nouveau : « Yes, he would willingly, if he could, obliterate all these Gothic Ruins, lay a good solid expanse of lead-piping to drain Chalice Well, pull down that old Tower from the Tor and build a water-tank up there, dig out every twig, spring, root and branch of this corrupting bush6 and really set to work to have the best tin centre in this spot that existed anywhere in the world » (745). Dédaigneux d’un point de vue personnel du temps qui passe (726), il souhaiterait faire table rase du passé collectif et perçoit tout ce qui à Glastonbury s’y rapporte comme de « morbides reliques » (« morbid relics » [745]). Sa perception linéaire du temps et sa course haletante vers le futur, si perceptibles dans toutes ses paroles et dans le rythme même de ses monologues (remarquable est à cet égard l’anaphore des expressions « I’m going to make » [728] ou « I’ll » [316]), font de Philip Crow le héraut du futur (« I… I… Philip Crow… planting my will upon the future » [51] ; « On, on, on !–destroying the past, creating the future–on, on ! » [233]). Ainsi n’est-il pas seulement la synecdoque du système capitaliste mais bien plus encore celle du « régime moderne d’historicité » tel qu’il a été analysé par François Hartog et repris par Jean- François Hamel : « Enfin, le régime moderne d’historicité, né de la Révolution industrielle et de l’héritage des Lumières, se définit par la fascination de l’avenir, par le coefficient d’accélération conféré au devenir et par le rejet plus ou moins radical des expériences issues de la tradition » (Hamel 28).

  • 7 « Si l’on entend par aura d’un objet offert à l’intuition l’ensemble des images qui, surgies de la (...)
  • 8 « Le régime ancien d’historicité, qui caractérise l’imaginaire européen de la Renaissance à l’ère d (...)

4On comprend mieux dès lors pourquoi l’antagoniste absolu et inévitable de Philip Crow est John Geard, le « revivalist preacher ». Désireux de réactiver à Glastonbury ce qui a été mis à mal par le « régime moderne d’historicité », ce dernier s’appuie pour ce faire sur le passé de la ville ainsi qu’en témoigne l’un de ses discours : « He rambled off at that point into quite a childishly grave recital of early Glastonbury history. He referred to the Lake Village Neolithic race. He spoke of the Ancient Britons. He alluded to the importance of the work of the Saxon king, Edgar » (889). De manière symptomatique, Geard profite de l’argent qui aurait dû échoir à Philip Crow et dont il hérite (le flux linéaire de l’argent auquel croit Philip se trouve ainsi court-circuité) et devient l’instigateur d’un spectacle historico-religieux, a pageant, qui draine en masse touristes et pèlerins jusqu’à cette bourgade quelque peu assoupie. L’évocation de ce dernier, véritable moment de bravoure qui s’étend sur quelque soixante-cinq pages et clôt la première partie de l’œuvre (553-618), semble le catalyseur de ce que Geard appelle de ses vœux : « Glaston Resurgens » (554, 892). C’est en tous les cas ce que constate l’un des protagonistes : « “There be a wonderful lot of they foreigners come to Glaston since Pageant day” » (661). Or, ce pageant a ceci de particulier qu’il remonte le cours du temps, à l’inverse de ce qui se fait traditionnellement dans ce genre de spectacle : les spectateurs voient défiler sous leurs yeux des épisodes de la légende du roi Arthur, puis de la passion du Christ, avant d’en arriver aux anciennes légendes Celtiques. Ces diverses scènes réactivent la mémoire ou plutôt les mémoires du lieu. Elles visent à suturer le divorce du passé, du présent et du futur qu’a engendré le « régime moderne d’historicité » et à restaurer le lien organique au passé en remontant la suite chronologique et en rétablissant une continuité. Dans un même temps, le pageant recrée le lien social, lui aussi mis à mal par la perte des repères traditionnels, et, en dépit des luttes sociales et des divergences politiques ou religieuses, la ville apparaît telle une communauté organique. À voir se presser l’ensemble de la population locale à ce spectacle ainsi que de nombreux étrangers, on ne peut douter de la soif qui est la leur de se bercer dans le « creuset rassurant d’une tradition vivante » (Hamel 32) à même de contrer ce divorce consommé du passé et de l’avenir propre aux sociétés modernes. Il souffle sur ce « pageant » une aura, au sens où Walter Benjamin utilise ce terme7, susceptible de relier présent, passé et futur dans une configuration temporelle qui rappelle celle qui précédait « le régime d’historicité moderne », en l’occurrence « le régime ancien d’historicité » (Hamel 288). Le passé resurgi devient matrice rassurante.

5L’antagonisme de Geard et de Crow s’impose d’emblée, et leurs attitudes face au passé sont à l’opposé l’une de l’autre. On peut en revanche se demander si les résurgences du passé orchestrées par Geard sont susceptibles d’être de fécondes remémorations et d’ouvrir l’avenir ou si elles sont condamnées, de par leur nature même, à n’être au final que de vaines et mortifères revenances.

  • 9 « William Morris is an example of a writer whose attitude to the past is one of creative repetition (...)
  • 10 Cette vision rappelle celle de la deuxième version de « l’éternel retour » de Nietzsche telle que l (...)

6Dans le premier mouvement de l’œuvre, se dessine une vision positive de la position de Geard. Lui-même, dans ses rares prises de parole, fait globalement peu référence au passé, laissant à ceux qui croient avoir compris sa démarche, le soin de le faire. Ainsi, quoique de façon a priori paradoxale, un rapprochement peut être esquissé entre la perception du futur des deux protagonistes. Geard, en effet, paraît avoir pour Glastonbury de réels desseins, qu’il formule à l’aide d’une anaphore rappelant, au modal près, celles utilisées par Philip : « I shall make […] » (455). Il ne s’agit pas tant pour lui de réactiver une ancienne religion que d’en créer une nouvelle ainsi que l’indique, dans ses pensées et ses dires, la sempiternelle répétition de l’adjectif « new » (442, 679, 881, 891, 1073). Son gendre corrobore d’ailleurs cette idée : « “Your father is absolutely right. It’s the future that’s important” » (795). Aussi ne se contente-t-il pas de restaurer d’anciens bâtiments ; il en fait édifier de nouveaux — certes inspirés du passé à la différence des constructions de Philip — telle cette arche saxonne censée célébrer les fondations d’une nouvelle religion (661, 881). Il y aurait donc une portée messianique de cette résurgence du passé, voire une dimension révolutionnaire, que vient confirmer l’alliance pour le moins saugrenue entre Geard et les communistes locaux afin de bouter Philip Crow hors de Glastonbury. Certes, les communistes ne croient ni au Graal (1000, 1018), ni au statut de Geard comme cinquième évangéliste ; ils sont seulement désireux de mettre à profit la crédulité et la nouvelle fortune de ce dernier (493, 720, 889) pour construire leur Futur (terme leitmotiv du grand discours de leur meneur [1116-1117]). Il n’en demeure pas moins que cette alliance contre nature produit des fruits inattendus, confirmés par la structure de l’œuvre lorsque sont juxtaposés dans un même chapitre (celui intitulé « The Miracle » par exemple) le point de vue de Geard (700-710) et celui des communistes (710-722 ; « They’d be a little island of mediaevalism in the most modern city-state in the world » [720]) pour mieux s’opposer à celui de Philip (722-734). Concrètement, la fabrique dirigée par le prolétariat de Glastonbury une fois établi le nouveau système politique communautaire se met à produire des statuettes représentant les héros de la légende arthurienne ou ceux des écrits apocryphes dans la plus pure tradition des Arts and Crafts (521, 923). L’épisode n’est pas sans rappeler les positions de William Morris qui tenta, à sa manière, de conjuguer, passéisme et utopie révolutionnaire9. Dans le cadre du récit, l’essor artistique sans précédent qui en résulte dit bien le potentiel créatif d’un tel retour au passé, voire du passé (« an art which embodied in it not only the communal spirit of the town’s socialist rulers but something — a nuance, a tinge, a suspicion — of the new religion of Glastonbury’s Mayor » [923] ; « a real movement of imaginative art, at once modern and mystical, swept everything before it » [924]). Il n’y aurait donc pas là une simple reproduction aveugle du passé, mais une « remémoration libératrice » (Hamel 60). De fait, toute résurgence du passé semble osciller entre ces deux pôles : « We are perhaps beginning to see at this point that to recreate the past and bring it into the present is only half the operation. The other half consists of bringing something into the present which is potential or possible, and in that sense belongs to the future » (Frye10). Nul fétichisme, nulle momification, mais une résurgence qui permet des modifications, qui ouvre l’avenir en retrouvant les potentialités non activées du passé. Car tel semble être le programme de Geard lorsqu’il parvient à se le formuler à lui-même : «  “What those old Scholastics aimed at”, he thought, “I shall fulfill” » (455). Son futur sera l’accomplissement d’une promesse non tenue du passé, en l’occurrence d’un passé antérieur à lui-même.

  • 11 Voir les analyses de Miller commentant l’utilisation de la prosopopée chez Hardy et Stevens (Miller (...)
  • 12 Voir à ce sujet les analyses d’Hamel concernant Michelet (41-46).
  • 13 Voir à ce sujet A Glastonbury Romance (331-333). Si je parle de l’appel de la grotte, c’est en réfé (...)

7La deuxième partie de l’œuvre s’avère plus problématique. Le commerce de Geard avec le passé, tel qu’il apparaît dans la dimension collective de son projet, est peu à peu marqué du sceau de la morbidité. L’attitude des sceptiques à l’égard de l’entreprise de Geard reste on ne peut plus idiosyncrasique. Et, narrée selon le point de vue du plus cynique d’entre eux, John Crow (l’un des cousins de Philip Crow), l’inauguration de l’arche saxonne que Geard a fait édifier laisse un goût de cendres. John Crow voit les nouveaux pèlerins et disciples comme autant de fantômes du temps passé dans un long passage où une citation d’Homère se fait leitmotiv funèbre : « That vast crowd of white upturned faces, that were like ghosts from Erebus, seemed to become real ghosts, the ghosts of all the men and women whose little, turbulent earth-lives had disturbed the planetary repose of this rock island in the tide-swept marshes » (884) ; « Once more John began […] to feel as if all those upturned faces were thousands and thousands of ghosts, all […] “the powerless heads of the dead,” of the long Glastonbury history, listening to Mr Geard » (889). Ce qui, selon John Crow, hantait jusqu’alors les lieux dans des relents de superstitions morbides semble s’être emparé des êtres eux-mêmes. Les vivants paraissent désormais « assujetti[s] à la reproduction de ce qui a été » (Hamel 12). Cela revient à dire que dans le même temps où sont affirmées les générations successives, leurs différences sont niées, et ce faisant, l’irréductibilité de la mort se trouve éradiquée. De manière symptomatique, c’est lors de cette inauguration que Geard accomplit le miracle de faire revenir à la vie un enfant prétendument trépassé (893). À mesure que sous les yeux de John Crow les êtres deviennent des spectres et le passé hantise (par le truchement de l’écho intertextuel), prend corps, de manière de plus en plus concrète au fil des pages, la personne de Glastonbury elle-même, l’âme de cette ville dont les légendes celtiques avaient fait l’île des morts (« Glastonbury is the Gwlad-yr-Hav, the Elysian Death-Fields of the Cymric tribes » [739]). À la mi-temps de l’œuvre, elle apparaît encore distanciée dans les propos des différents protagonistes («  “Glastonbury has a most definite personality of its own”  » [519 — c’est moi qui souligne], [540]). Les derniers chapitres, en revanche, font d’elle un personnage à part entière par le recours révélateur à la prosopopée (« a rumour of drowsy life, of a life that was not the life of man or of beast, but of Glastonbury herself, murmuring softly in her long historic trance of the past, the present and of the future » [945 — c’est moi qui souligne] ; « “Glaston be a person, like I be” » [998]), figure stylistique qui permet de ressusciter les morts11. Sujet trans-historique s’il en est, l’âme de la ville annule, à la manière de ce que l’on trouve chez certains romantiques12, le passage des générations, et rend possible la résurgence d’une présence malgré la mort. Là encore, cette réconciliation du passé, du présent et du futur s’appuie très explicitement sur un déni de la réalité du temps historique mais ne conduit au final qu’à la mort, en tous les cas à une « sortie du temps » dans le mythe (Eliade). En effet, en dépit de ses constantes affirmations péremptoires sur le futur, Geard se laisse peu à peu gagner par l’appel de la mort (980), cet appel de la grotte auquel il avait déjà répondu une fois13, et il finit par se laisser mourir lors de l’inondation, non sans avoir sauvé la vie de Philip Crow. Il aura beau se convaincre qu’il répond à un appel de la vie (1041), il aura beau y gagner sa vision du Graal (1117), le doute l’étreint parfois, comme il s’empare du lecteur : « Was what he fancied to be his superhuman mania for heightened life in reality a secret longing to plunge into the dark abyss of non-existence ? » (1108). Dans un même temps, les derniers paragraphes de l’œuvre côtoient le mythe lorsqu’ils mettent en scène la résurgence récurrente de Cybèle (« these Towers of the journeying Mother still trouble the dreams of men with their tremulous up-rising » [1119] ; « she rises again » [1119]). Le texte mime d’ailleurs ce ressassement cyclique par la répétition d’expressions telles que « from cult to cult », « from revelation to revelation », « from one madness of Faith to another » (1119). Aussi, les dernières pages de l’œuvre paraissent mettre en échec la tentative de Geard de faire du passé une « remémoration libératrice » (Hamel 60) pour l’avenir et son entreprise, dans ce qu’elle implique pour la collectivité, semble s’abîmer dans les eaux du « ressassement mortifère » (Hamel 60).

  • 14 « And do we not now in comparison with this mystery of the beautiful, begin to detect certain very (...)

8Cette ambivalence de la résurgence (d’un point de vue thématique) est au cœur de cette œuvre. Elle est certainement révélatrice des propres interrogations de l’auteur, de son choix problématique de ce que, dans un essai de 1929, il nommait « la poésie » contre « la beauté14 ». Un passage de A Glastonbury Romance y fait écho et peut, à ce titre, être lu comme un commentaire méta-fictionnel : il s’agit du houleux débat (528-530) entre Ned, jeune poète tenté par les expériences d’avant-garde (« more in line with our times » [529]) et son amoureuse, Rachel, violemment dubitative à l’égard de ces dernières. Elle n’hésite pas à rapprocher leur querelle littéraire de l’antagonisme opposant Geard et Philip Crow et affirme : « Poetry […] has to fight for the unseen against the seen, for the dead against the living, for the mysterious against the obvious » (529). Cette position, nous l’avons dit, n’est pas sans ambiguïté et court le risque de se solder par une simple redite anachronique ou mythique ne permettant pas de rendre compte du « déchirement des temps entraîné par le désenchantement du monde » (Hamel 20). C’est ainsi que l’on a longtemps accusé Powys de n’être qu’un romantique égaré à l’époque moderniste. Il semble toutefois — et ce sera le deuxième mouvement de ma réflexion — que ses stratégies d’écriture lui permettent de créer à partir de la répétition d’une tradition, de la résurgence d’une poétique, de l’inédit, qui s’accorde, lui, à ce régime historique moderne.

La résurgence du romance : les « forces toujours vives » du passé à l’œuvre dans le livre/l’ouvrage

  • 15 Je garderai le terme anglais, suivant en cela la stratégie de Baudoin Millet (85-96) : « Novel et R (...)

9De même que Geard et ceux qui le suivent comptent sur les légendes du cycle arthurien ou les plus anciennes légendes celtiques afin de ré-enchanter le monde et de remédier à « l’appauvrissement du présent » (Hamel 14), Powys se tourne vers le romance qu’il fait ressurgir au cœur de l’époque moderniste15. Le titre de son ouvrage est explicite sur ce point ; tout comme le sont les références intertextuelles à l’œuvre de Malory (793-794), auteur d’un romance de type aristocratique ainsi décrit par Gillian Beer : « a large-scale work interweaving many narrative threads » (Beer 6). À première vue, il est indéniable que Powys emprunte au romance de l’époque médiévale certaines des formules de son dispositif narratif, principalement la technique de l’entrelacs (« “entrelacs”, interlacing stories » [Beer 21]). Cette caractéristique se retrouve tout au long du flot textuel de A Glastonbury Romance (flot qui pourrait bien être une autre facette de la résurgence du romance). L’œuvre compte en effet une cinquantaine de personnages principaux (si l’on en croit la liste dressée par l’auteur) dont les trajets se croisent et s’entrelacent d’une manière plus ou moins floue. Il peut s’écouler plusieurs chapitres avant que ne réapparaissent certains personnages, qui finissent toutefois toujours par ressurgir : « [i]n the romance nothing is ever abandoned past recovery ; resurgence is always possible » (Beer 38).

  • 16 Voir à ce sujet Lukacher, Ned, « Between Philology and Psychology : Cronos, Dostoievsky and the Lan (...)

10Du point de vue thématique, Frye met en avant dans le romance l’inévitable histoire d’amour et de violence (il y en a plusieurs dans A Glastonbury Romance), le regard vers le mythe (que l’on a déjà vu à l’œuvre dans le récit de Powys) et la présence du merveilleux (Geard serait susceptible d’avoir accompli deux miracles dans la seconde partie de l’œuvre, même si le texte est très ambivalent à ce sujet). Frye y décèle également ce qu’il nomme une « perspective verticale » (« vertical perspective » [Frye 50]) reflétant le contraste entre deux mondes, celui qui s’élève au-dessus des contingences quotidiennes et celui situé en dessous. Ce dernier point est présent dans A Glastonbury Romance et des lectures tant allégoriques que / ou mythologiques ont pu être proposées pour les descentes de Geard mais aussi de Philip en compagnie de la bien nommée Perséphone dans les entrailles de la terre ainsi que pour l’itinéraire spirituel d’un Sam Dekker par exemple16.

11On peut donc voir dans cette reprise par Powys du romance l’équivalent de ce que Geard fait avec le passé de Glastonbury, le romance ayant été la configuration narrative adoptée à une époque où passé, présent et futur n’étaient pas disjoints. Powys suivrait en cela une logique que Frye résume de la manière suivante lorsqu’il fait allusion à Eliot et à Yeats : « [T]he recreation of romance brings us into a present where past and future are gathered » (Frye 179). Il s’agirait peut-être pour Powys de rejouer « le fantasme d’une tradition retrouvée » (Hamel 19). Désireux de mettre en scène des personnages engagés dans une tentative de suturer « le divorce de la triple temporalité », il aurait logiquement adopté une forme narrative exhumée du passé en adéquation avec une configuration temporelle du passé. Walter Benjamin n’opposait-t-il le conteur d’antan, et partant le romance, au romancier du dix-neuvième siècle et donc au novel, pour rendre compte du passage de la communauté à la société (Hamel 62-63) ?

12Mais, nous l’avons vu, la reprise du passé et de la tradition n’est pas sans ambiguïté. Si elle paraît suturer un temps les plaies du « régime moderne d’historicité », elle peut au final ne déboucher que sur la mort ou la sortie du temps, et n’être que remémoration, réconfortante mais stérile. Cela aurait-il un sens pour une œuvre au contexte temporel et politique ancré dans les années 1920 ? Il me semble bien au contraire que la résurgence du romance dans le cadre de A Glastonbury Romance n’est pas, loin s’en faut, vaine reprise mensongère.

  • 17 Frye souligne « the curious polarized characterization of romance, its tendency to split into heroe (...)
  • 18 « But if romance so often appears as a kind of naive social snobbery, what becomes of the revolutio (...)
  • 19 « It is clear that the novel was a realistic displacement of romance » (Frye 38).

13Powys ne reproduit pas passivement le romance maintenant obsolète ; son œuvre emprunte d’ailleurs aussi bien au novel qu’au romance. Un certain nombre des écheveaux narratifs précédemment évoqués permettent en effet à de nombreux personnages de se construire et d’évoluer : Sam Dekker par exemple, mais aussi Evans, personnages complexes opposés en cela aux personnages monolithiques du romance17. Pour preuve aussi l’hétéroglossie de l’œuvre et ses aspects carnavalesques, marques distinctives du novel selon Bakhtine. Mais, tout se passe comme si, afin de déstabiliser le modèle narratif du novel, plus précisément celui de type réaliste que caractérise « l’intelligibilité d’une intrigue et l’exhumation d’un sens » (Hamel 216), Powys réactivait quelques-unes des virtualités endormies du romance (étouffées par les momifications successives du genre), ses « forces toujours vives » (Hamel 137), son pôle révolutionnaire dirait Frye18, qui écrivit : « As we make the first great move from […] return to recreation, the focus of interest shifts from heroes and other elements of narrative toward the process of creating them. The real hero becomes the poet, not the agent of force or cunning whom the poet may celebrate. In proportion as this happens the inherently revolutionary quality in romance begins to emerge from all the nostalgia about a vanished past » (Frye 178). Powys retrouve l’origine active du romance (et du novel19), celle qui permet d’éviter toute sclérose et de créer une nouvelle configuration narrative qui, loin d’être simple copie anachronique ou bien simulacre, refuse toute consolation. En ce sens A Glastonbury Romance est bien l’œuvre d’un auteur du 20e siècle.

  • 20 Powys déstabilise le roman réaliste de bien d’autres manières. Si je ne me hasarde pas à les analys (...)
  • 21 De façon symptomatique elle est principalement associée à Philip Crow le capitaliste : il découvre (...)
  • 22 Powys n’écrivait-il pas dans une auto-interview : « What force produces the denouement of the plot  (...)
  • 23 Millet indique que l’éviction du romance par le novel s’est faite selon le critère de vraisemblance (...)

14Je me limiterai ici à deux modalités de cette nouvelle configuration narrative proposée par Powys20. Tout d’abord, il accentue jusqu’à l’excès la structure de la simple juxtaposition (« et puis » / « and then »). Cette structure est, selon Frye, ce qui oppose le romance au novel : « We may speak of these two types of narrative as the “hence” narrative and the “and then” narrative. Most realistic fiction, down to about the middle of the nineteenth century, achieved some compromise between the two, but after the rise of a more ironic type of naturalism the “hence’ narrative” gained greatly in prestige, much of it still remains » (Frye 47-48). Il n’y a guère de logique de type causal dans le récit de Powys21 et le narrateur ne met pas l’accent sur les étapes successives d’un parcours linéaire et vectorisé. C’est vrai pour le mouvement global de l’œuvre. L’inondation apocalyptique du dernier chapitre paraît en effet bien arbitraire et le narrateur adopte alors la posture du romancer telle que Frye la définit : « The realist, with his sense of logical and horizontal continuity, leads us to the end of his story ; the romancer, scrambling over a series of disconnected episodes, seems to be trying to get us to the top of it » (Frye 5022). C’est vrai aussi pour le déroulement des divers écheveaux narratifs : « As the local narratives on which A Glastonbury Romance’s forward movement depends develop and change, they meander rather than seeking resolution » (Saunders Nash 10). Ainsi, l’enchaînement des chapitres déroute le lecteur habitué au schéma réaliste. Bien souvent, là où, en fonction d’attentes génériques précises, il serait en droit d’espérer la conséquence d’un événement présenté comme digne d’intérêt, ne lui est proposé qu’une ellipse narrative ou une suite sans logique. Dans le chapitre intitulé « The Dolorous Blow » (313-343) est narrée l’attente fébrile des habitants de Glastonbury venus écouter le premier discours de leur nouveau maire, Geard. Celui-ci, endormi au fond d’une grotte, ne se montre pas, et c’est son rival malheureux, Philip Crow, qui tente alors d’enflammer l’auditoire. Comme le suggère le titre du chapitre, un tel épisode ne devrait pas rester sans conséquence sur le déroulement « logique » de leur conflit (si ce dernier était mis en intrigue à la manière réaliste). Il semble pourtant que cela soit le cas (et ce fil narratif est repris quelques chapitres plus tard sans être affecté de façon explicite). En fait, il y a comme des appels d’air dans le texte. C’est évident en ce qui concerne le supposé enchaînement des chapitres qui se suivent de façon paratactique. C’est évident aussi en ce qui concerne leur composition propre. De nombreux chapitres donnent à voir et à entendre divers groupes au même moment, chaque groupe étant seulement introduit par des adverbes tels que « meanwhile », « in the meantime » : cette simultanéité de points de vue souvent opposés suggère et la relativité de tout système et l’impossible synthèse. Ainsi la logique de la simple juxtaposition propre au romance est poussée à un tel degré dans l’œuvre de Powys que l’idée d’une structure globale et complète est disloquée, notion qui, semble-t-il, présidait tout de même à l’entrelacs des écheveaux narratifs du romance (« characters and episodes move freely while at the same time being interwoven to compose a congruent whole » [Beer 20] — c’est moi qui souligne). Voici en effet ce que constate Robert Caserio à propos de A Glastonbury Romance : « the reader’s progress from one episode to another is an ever-thwarted attempt at movement in an ocean-like crowd of divaricating elements. The result for reading is a loss of analytic orientation : in the continuous crowd of elements one scarcely can discover in which direction analysis ought to go » (Caserio 98). S’offre au lecteur un kaléidoscope de tableaux ou de fragments (d’une certaine ampleur il est vrai), qui accentuent la nécessaire discontinuité de la lecture au long cours de cette œuvre mer. Or, il se pourrait que ces failles au cœur de l’ouvrage, cette discontinuité de l’histoire, cette indécidabilité d’un sens « rappelle[nt] la contingence des temps actuels » (Hamel 87). C’est donc la résurgence du romance qui permet en partie le dynamitage de la configuration narrative du novel de type réaliste et l’absence de mise en ordre du monde, même si l’œuvre est malgré tout un novel. En ce sens, c’est la résurgence d’un modèle narratif traditionnel qui agit ici tel un « cheval de Troie introduit dans la citadelle romanesque » (Hamel 18323).

  • 24 Certes Micheline Tison-Braun indique à propos de la description : « On croit que la description pei (...)
  • 25 Le passé n’est pas ici convoqué à dessein dans un but politique ou religieux et sa résurgence évite (...)

15De la même manière, Powys s’empare d’une autre des logiques au cœur du romance, celle de l’immersion sensuelle dans le présent (« profuse sensuous detail » [Beer 21]). Si cette immersion existe dans le romance, Powys l’exagère au point de donner à lire de multiples passages qui semblent purs fragments, comme désolidarisés du récit, sans sens dans son économie générale : ainsi les pages consacrées à un groupe d’enfants et à leurs jeux (183-189, 363-366), le long paragraphe dévolu à l’évocation d’un bouquet de jacinthes (507-508) qu’aucun symbolisme ne vient récupérer pour en faire un jalon indispensable du roman ; ou bien cette description des vapeurs de l’aube au sujet desquelles le narrateur note, de façon révélatrice : « They were things by themselves, sui generis, those dawn-mists » (55424). De tels fragments s’originent d’eux-mêmes et n’ont plus le lien avec l’économie générale du récit que leurs équivalents avaient peu ou prou dans le cadre du romance ; ils aboutissent à une absolutisation du moment décrit avant toute fable, avant tout sens. Ce n’est cependant pas nécessairement le signe d’une catastrophe par rapport à un tout qui serait perdu ; car ce tout ne serait au final qu’une fable, fétu de paille qu’emporterait l’inondation, comme elle le fait des symboles du capitalisme et du communisme (« [The flood] which had reduced the difference between Capitalism and Communism to such a tragic neutrality » [1077]). Ces fragments offrent une plénitude absolue qui ne doit rien à une quelconque continuité historique vectorisée. Non que le passé ne puisse s’y inscrire (« [These bluebells] brought with them […] the feeling of a thousand springs of English history » [508]), mais, s’il le fait, c’est sous la forme de flux d’émotions susceptibles d’affecter librement un individu, non d’être utilisés par une collectivité ou théorisés par une personne25. De tels passages redisent aussi, par leur caractère fragmentaire, les contingences du temps présent tout en valorisant le moment présent. Il est d’ailleurs dans l’œuvre des personnages sans lien d’aucune sorte avec les divers écheveaux de la narration, et dont le rôle pourrait être de suggérer au lecteur une méthode de lecture identique à leur manière d’être et de vivre, en dehors de tout récit linéaire. Ainsi de cette jeune femme dont il nous est dit : « Nancy Stickles enjoyed every moment of life. She liked to touch life, hear life, smell life, taste life, see life » (658).

  • 26 Aussi peut-on comprendre que McGann ait parlé de Powys comme d’un artiste « whose work our scholars (...)

16La résurgence du romance dans A Glastonbury Romance ne protège pas d’un présent angoissant pour projeter le lecteur dans un monde idéal où passé, présent et avenir seraient à nouveau liés. Elle est davantage « opérateur de différentiation » au sens où l’entend Hamel : « une remémoration qui modifie les narrativités héritées par la reconnaissance d’un nouvel ordre du temps » (Hamel 99). Aussi le roman réaliste n’apparaît-il plus comme le seul descendant historique d’un de ses ancêtres, le romance. Celui-ci portait en lui d’autres promesses, dont A Glastonbury Romance pourrait être l’inédite émanation tardive26, texte qui n’est ni novel ni romance, mais un texte hybride sans terme, novel en devenir romance, romance en devenir novel.

17Dans A Glastonbury Romance, l’idée de résurgence telle qu’elle apparaît dans son versant thématique et collectif est ambivalente, dans une oscillation permanente entre deuil et mélancolie. Le récit quant à lui enregistre, en partie sous l’effet de la résurgence et donc en héritant du passé, les « contradictions constitutives du régime moderne d’historicité » (Hamel 98). Il permet ce faisant d’offrir d’autres paysages narratifs au lecteur. Voilà pourquoi il ne serait pas souhaitable selon Powys de faire table rase du passé ; il s’agit plutôt « d’hériter du passé sans être agi par lui, autrement dit de reprendre […] ce qui aurait pu être plutôt que ce qui a été » (Hamel 15) afin de rendre compte du présent, voire d’ouvrir l’avenir.

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Bibliographie

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Notes

1 À titre d’exemple : « And just as in human organisms there are slowly developed changes, sometimes maladies, sometimes regenerations, which take place under the surface and then at a crisis burst out into prominence, so does it happen with any community as old and intricate as this one […] » (540) ; « In all human communities–indeed in all human groups–there are strange atavistic forces that are held in chains deep down the surface. [They] dwell in the nether depths of human nature ready to break forth in blind scoriac fury under a given touch » (569).

2 On trouve à Glastonbury les traces d’un village lacustre préhistorique où un culte était rendu à la déesse de la fertilité (120, 186, 1117) ; d’anciennes légendes celtiques peuplées de divinité chtoniennes s’y rattachent (696, 807, 811) ; Joseph d’Arimatie y aurait planté son bâton, métamorphosé le jour suivant en aubépine sacrée et sa dépouille y reposerait ; les ruines de la vetusta ecclesia y témoignent de l’installation d’une des plus vieilles communautés chrétiennes en Angleterre (119) ; le Graal y aurait été aperçu et le Roi Arthur y gît, dit-on.

Il y a là un rapprochement possible entre l’œuvre de Powys et celle de Thomas Hardy à propos de laquelle J. Hillis Miller a pu écrire : « This theme of the embodiment of the past in the scene where it once took place recurs all through Hardy’s work in prose and verse » (Miller 126).

3 Hamel s’intéresse principalement à des auteurs français et allemands (Michelet, Hugo, Baudelaire, Benjamin, Nietszche, Marx, Klossowski, Simon, etc.).

4 Hamel reprend ici l’opposition établie par Freud lorsque ce dernier distingue « le processus mélancolique » du « travail de deuil » : « Rappelons que Freud définissait la mélancolie comme le processus d’incorporation pathologique d’une perte entraînant une répétition amnésique, du moins soustraite à la conscience, d’où le risque d’un effondrement du sujet. À l’inverse, le travail du deuil supposait selon lui l’intériorisation de la perte comme remémoration libératrice » (Hamel 98).

5 « L’espace abstrait fonctionne “objectalement” comme ensemble de choses-signes, avec leurs rapports formels. Cet espace formel et quantifié nie les différences, celles en provenance de la nature et du temps […]. La signifiance d’un tel ensemble renvoie à une sur-signifiance qui échappe au sens : le fonctionnement du capitalisme, à la fois éclatant et dissimulé » (Lefebvre 60-61).

6 Il est question ici de ce bâton que Joseph d’Arimatie aurait planté à Glastonbury et qui se serait transformé le jour suivant en une aubépine sacrée.

7 « Si l’on entend par aura d’un objet offert à l’intuition l’ensemble des images qui, surgies de la mémoire involontaire, tendent à se grouper autour de lui, l’aura correspond, en cette sorte d’objet, à l’expérience qu’accumule l’exercice dans tous les objets d’usage » (Benjamin cité par Regard, Frédéric, « Réalisme, fragmentation et roman de formation : l’épiphanie du sens chez Rudyard Kipling », Logiques de la fragmentation, ed. J.-P. Mourey (ed.), Saint-Étienne : PU de Saint-Étienne, 1996, 23-34, 29).

8 « Le régime ancien d’historicité, qui caractérise l’imaginaire européen de la Renaissance à l’ère des révolutions s’inscrit dans une longue durée au sein de laquelle la puissance unificatrice de la tradition joue le rôle de fondement ontologique dévolu à l’éternité dans le régime chrétien » (Hamel 28).

9 « William Morris is an example of a writer whose attitude to the past is one of creative repetition rather than of return. […] In News from Nowhere, […] the people […] are an equal society of creative workers. They have not returned to the fourteenth century : they have turned it inside out » (Frye 178).

10 Cette vision rappelle celle de la deuxième version de « l’éternel retour » de Nietzsche telle que l’analyse Jean-François Hamel (88-96). Il est de fait dans l’océan du texte de Powys et les multiples allusions intertextuelles de l’œuvre une référence assez explicite à cet « éternel retour » de Nietzsche : « In that sequence of spiral recurrences–in which past events are eternally returning but with momentous difference » (342) où le terme « spiral » marque bien le caractère non cyclique de ce retour.

11 Voir les analyses de Miller commentant l’utilisation de la prosopopée chez Hardy et Stevens (Miller 245-255).

12 Voir à ce sujet les analyses d’Hamel concernant Michelet (41-46).

13 Voir à ce sujet A Glastonbury Romance (331-333). Si je parle de l’appel de la grotte, c’est en référence aux propos de Jean-Marc Ghitti : « Si le lieu, qu’il soit crevasse dans le roc ou bouche dans le volcan, est essentiellement abîme, ne se donne-t-il pas toujours dans le vertige, et le fond de la possession, “la dernière des ses inspirations’, n’est-ce pas un appel à mourir » (Ghitti, Jean-Marc, La parole et le lieu. Topique de l’inspiration, Paris : Éditions de Minuit, 1998, 123-124).

14 « And do we not now in comparison with this mystery of the beautiful, begin to detect certain very definite characteristics of the purely poetical ? It seems that we do ; and it seems also as though the chief of these were the presence of something emotional, anthropomorphic, something traditional, customary, ritualistic, something adhering to our race’s inherited sentiments, hs, loves, fears, feelings of bodily ease, feelings of romantic un-ease.

To realize this difference between beauty and poetry one need only visualize for a moment the illuminated body of some swiftly-moving aeroplane, an aeroplane engaged in advertising, let us suppose, some toilet-necessity or some new brand of cigarette, upon a city sky. Such a spectacle might easily be conceived as a genuine revelation, in spheres of form and colour, of beauty considered as a non-human absolute. But with that peculiar quality in things I am trying to indicate as belonging to the essence of poetry such a spectacle would have nothing to do. In fact it would exercise a destructive influence upon the natural poetry of the particular night or twilight when such an occurrence took place » (Powys 1929, 47).

15 Je garderai le terme anglais, suivant en cela la stratégie de Baudoin Millet (85-96) : « Novel et Romance : deux termes génériques qui, vus de la France, se résorbent en un seul, celui de roman » (Millet 1).

16 Voir à ce sujet Lukacher, Ned, « Between Philology and Psychology : Cronos, Dostoievsky and the Language of Myth in John Cowper Powys’s A Glastonbury Romance », Powys Review 9 (1981-1982) : 18-26, et aussi Krissdottir, Marine, John Cowper Powys and the Magical Quest, London : Macdonald, 1980.

17 Frye souligne « the curious polarized characterization of romance, its tendency to split into heroes and villains. Romance avoids the ambiguities of ordinary life » (Frye 50). Ce n’est certes pas un commentaire que l’on peut faire à propos de A Glastonbury Romance.

18 « But if romance so often appears as a kind of naive social snobbery, what becomes of the revolutionary quality in it that we mentioned earlier, the proletarian element rejected by every cultural establishment ? We remember that we found the focus of this revolutionary quality near the end of a romantic story […]. It appears in […] the point that expresses the reader’s identity with a power of life strong enough to smash through any kind of barrier or danger » (Frye 163).

19 « It is clear that the novel was a realistic displacement of romance » (Frye 38).

20 Powys déstabilise le roman réaliste de bien d’autres manières. Si je ne me hasarde pas à les analyser, c’est qu’elles ne me paraissent pas directement liées à sa reprise du genre du romance — sujet qu’il faudrait probablement approfondir. Difficile toutefois de passer sous silence le rôle du narrateur dans A Glastonbury Romance, narrateur dont la voix n’est qu’une voix parmi d’autres. C’est le narrateur, nous le savons, qui, à la fin du 19e et au début du 20e siècle, subit de plein fouet la rupture épistémologique. Voir à ce sujet l’article de Charles Lock, « Polyphonic Powys : Dostoevsky, Bakhtin, and A Glastonbury Romance », University of Toronto Quarterly 55. 3 (1986) : 261-281.

21 De façon symptomatique elle est principalement associée à Philip Crow le capitaliste : il découvre de l’étain, donc il fait bâtir une route et un pont pour acheminer cet étain vers l’étranger et donc il fait venir des travailleurs d’ailleurs et reconfigure le paysage social.

22 Powys n’écrivait-il pas dans une auto-interview : « What force produces the denouement of the plot ? » « I have already explained that this tale is so prolific in plots and denouements that the outcome, like that of life itself, will appear in different forms to different readers. » « What ends it then ? What excuses did you find for writing “Finis” ? » « The excuse found by God when his world got beyond his control.  » « What was that ?  » « The Flood » (Powys « Glastonbury : Author’s Review », 8-9).

23 Millet indique que l’éviction du romance par le novel s’est faite selon le critère de vraisemblance : « [Les causes de cette éviction] sont sans doute à trouver dans la valorisation d’un mode de lecture du texte romanesque qui repose sur la notion de vraisemblance ou probability, opposée au romanesque » (12) ; « C’est, semble-t-il ce critère de la vraisemblance, aussi nettement associé au mot novel qu’il est opposé au mot romance, et qui renvoie autant au contenu du roman qu’à l’expérience de la lecture, qui a été la raison suffisante de l’éviction du romance par le novel » (13). Révélateur est à cet égard un passage de l’œuvre de Powys, véritable commentaire méta-fictionnel : « The composers of fiction aim at an aesthetic verisimilitude which seldom corresponds to the much more eccentric and chaotic dispositions of Nature » (666).

24 Certes Micheline Tison-Braun indique à propos de la description : « On croit que la description peint des objets. Il n’en est rien : elle propose des significations » (Tison-Braun, Micheline, Poétique du paysage, Paris : Librairie Nizet, 1980, 15). Il me semble toutefois que ce ne soit guère le cas dans certains passages de A Glastonbury Romance si l’on songe à des significations susceptibles de se rapporter au[x] sens de l’œuvre, pour autant que l’on puisse les identifier.

25 Le passé n’est pas ici convoqué à dessein dans un but politique ou religieux et sa résurgence évite ce faisant les pièges du dogmatisme ou du fanatisme grégaire. Le passé est ici en dormance pour qui sait en accueillir les flux et s’en laisser traverser. Difficile de ne pas songer à Howards End de Forster et à ce commentaire de Catherine Lanone : « l’arbre n’est pas ici une machine binaire agençant les dichotomies, un arbre historique ou généalogique menant de ses racines au faîte […]. L’orme mythique de Forster pousse “au milieu”, comme l’herbe de Deleuze, dans le bruissement de la suspension entre passé et avenir, disséminant les moments présents comme autant de lignes de fuite » (Lanone, Catherine, Odyssée d’une écriture, Toulouse : PU Mirail, 1998, 151).

26 Aussi peut-on comprendre que McGann ait parlé de Powys comme d’un artiste « whose work our scholarship, to its cost, has been strengthless to imagine » (McGann, xii). Deux tentatives aux résultats diamétralement opposés ont ces derniers temps été proposées. Toutes deux s’intéressent aux stratégies de lecture requises. Si Caserio propose une « lecture pénétration », Saunders Nash en revanche plaide pour « une érotique de la lecture ». Ces stratégies différentes sont révélatrices au premier chef des grilles de lecture propres aux critiques.

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Pour citer cet article

Référence papier

Florence Marie-Laverrou, « A Glastonbury Romance de John Cowper Powys : mortifères ressassements ou fécondes remémorations ? »Études britanniques contemporaines, 36 | 2009, 1-18.

Référence électronique

Florence Marie-Laverrou, « A Glastonbury Romance de John Cowper Powys : mortifères ressassements ou fécondes remémorations ? »Études britanniques contemporaines [En ligne], 36 | 2009, mis en ligne le 08 septembre 2017, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ebc/3708 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ebc.3708

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Auteur

Florence Marie-Laverrou

Université de Pau et des Pays de l’Adour.
Agrégée d’anglais, Florence Marie-Laverrou est maître de conférences au département d’Anglais de l’université de Pau et des Pays de l’Adour. Elle a soutenu une thèse sur « l’inscription du géographique dans l’œuvre de John Cowper Powys » (2003). Ses travaux de recherche portent sur le modernisme et particulièrement ses liens avec la phénoménologie, les entrelacs entre les arts (littérature et peinture, littérature et danse), le figural. Elle a publié des articles dans lesquels elle continue d’explorer l’œuvre de Powys (ses romans comme ses essais) et s’intéresse actuellement à celle de Dorothy Richardson.

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