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Book Review

Elaine Després et Hélène Machinal (eds), PostHumains : frontières, évolutions, hybridités

Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2014 (341 pages), ISBN-10: 2753533741.
Justine Gonneaud
Référence(s) :

Elaine Després, et Hélène Machinal (eds), PostHumains : frontières, évolutions, hybridités. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2014 (341 pages), ISBN-10: 2753533741.

Texte intégral

1L’ouvrage d’Elaine Després et Hélène Machinal fait suite au colloque « Les Frontières de l’humain et le posthumain » tenu à l’université de Brest en 2012. Il se place sous l’égide des critiques phares de la théorie posthumaine : N. Katherine Hayles, Neil Badmington, Donna Harraway et Cary Wolfe, qui questionnent la pertinence de la conception humaniste du sujet dans le contexte de la troisième révolution industrielle. Comme le titre – PostHumains – l’indique, les différents contributeurs de cet ouvrage s’intéressent aux êtres hybrides fictionnels – ou parfois réels – qui bouleversent les frontières traditionnellement établies entre l’humain et le non humain, le réel et le virtuel, l’animé et l’inanimé. Le recueil, qui explore le gradient des possibles allant de la technophobie à la technophilie, de la jubilation à l’angoisse et de l’utopie à la dystopie, s’organise selon quatre axes, « Espace virtuel, espace incarné », « Éthique et politique », « Biologie posthumaine » et « Perceptions et subjectivités posthumaines », qui traitent respectivement des enjeux esthétiques, puis moraux et politiques du posthumain, avant de convoquer les théories du devenir biologique de l’espèce pour enfin envisager l’existence d’une nouvelle subjectivité propre au posthumain.

2Ainsi, la première partie rassemble des articles dédiés à la représentation fictionnelle d’espaces virtuels et numériques, afin d’étudier l’impact de la dématérialisation de l’information et de la conscience sur la reconceptualisation d’un sujet posthumain. Pierre Cassou-Noguès réfléchit sur la notion contemporaine de téléchargement, héritée de celle de télégraphie formalisée par le mathématicien Wiener, à travers les œuvres de Kipling ou encore Arthur C. Clarke. Isabelle Boof-Vermesse et Mathieu Freyheit s’intéressent respectivement aux médias géolocalisés dans les romans de William Gibson et à la figure du hacker, ou pirate informatique, dans un corpus éclectique d’œuvres littéraires ou cinématographiques françaises, britanniques, américaines ou suédoises. Ils analysent ces deux tropes posthumains comme permettant de repenser métaphoriquement la création artistique comme un acte collaboratif, un geste transcendant les limites textuelles. C’est ce dernier aspect que développent les deux articles suivants, consacrés à l’impact de l’avènement du numérique sur l’objet livre, sur le corps du texte et par extension, sur notre conception de la création littéraire. Anne Regnault explore les potentialités génériques d’une littérature hypertextuelle, à partir de Patchwork Girl de Shelley Jackson, roman fondateur de la littérature hypertextuelle, tandis que Sylvie Crinquant analyse les liens qui unissent l’hypotexte poétique de Keats à l’hypertexte de science-fiction Hyperion, de Dan Simmons comme un dépassement des limites temporelles, spatiales et corporelles et narratives.

3La seconde partie, « Éthique et Politique », réunit des contributions qui s’intéressent à la reconfiguration d’un vivre ensemble concomitant à l’avènement réel ou fictif d’une nouvelle humanité. L’ensemble des articles creuse l’ambivalence d’êtres hydrides, au croisement de la nanotechnologie et de l’animal, emblèmes d’une hésitation entre technolâtrie et technophobie. Thierry Hoquet dresse une cartographie des figures posthumaines tirées de la science-fiction qu’il ordonne selon leur degré de modification dans des tableaux synoptiques particulièrement éclairants. Selon lui, le mutant, le cyborg, l’organorg, le robot, le bétail, ou le zombie, constituent une grille de lecture transférable à des personnes ou entités réelles du monde contemporain. Frédéric Mengard réexamine le concept de supraliminaire - soit le « seuil au-delà duquel l’esprit humain est inapte à penser et à se représenter les effets induits et les actions générées par l’utilisation des produits de la technologie » (119) dans la pensée de Gunther Anders. Sa vision pessimiste de la modernité le conduit à exhorter le travailleur à une prise de conscience de sa responsabilité, seul moyen selon Anders d’envisager une posthumanité qui ne signerait pas dans le même temps la fin de l’humain. Après ces deux articles plus théoriques, Susannah Ellis, Priscilla Wind et Mélanie Joseph Vilain analysent les figures hybrides qui peuplent la fiction contemporaine. La première repère un parcours allant de l’apparente utopie de l’humanité améliorée à la dystopie d’un monde déshumanisé dans les romans de Michel Houellebecq, tandis que la seconde identifie la trajectoire inverse dans le théâtre de Jelinek. En explorant le concept d’Entfremdung (aliénation), Priscilla Wind montre comment la représentation anxiogène d’un sujet éclaté et d’une humanité subordonnée à la machine se donne pour but de « sortir l’être humain de sa crispation » (163), faisant de l’acte créatif un geste de résistance. Enfin, Mélanie Joseph Vilain montre comment l’hybride posthumain sert d’outil exploratoire d’une identité nationale sud-africaine post-apartheid dans l’œuvre de la romancière Lauren Beukes. En conclusion, François-Ronan Dubois s’interroge sur les caractéristiques de l’humain dans la série populaire britannique Dr Who. L’auteur montre, à travers une typologie des différents personnages modifiés génétiquement ou mécaniquement, comment la série promeut paradoxalement l’image d’une humanité essentielle et immuable, se devant de lutter contre les séductions de la technique pure, en explorant des nouveaux territoires de connaissance selon une éthique des savoirs.

4Cette réflexion entre politique et éthique invite un questionnement plus spécifique sur la notion de bioéthique, à travers un ensemble de contributions qui examinent le posthumain du point de vue des théories de l’évolution. Faisant écho au premier chapitre dédié aux espaces virtuels, la troisième partie problématise cette fois le versant incarné du posthumanisme, en étudiant des motifs tels que le clonage, la manipulation génétique, ou la supplémentation prothétique. Xavier Lambert envisage l’humain en termes philogénétiques, afin de poser les bases de l’humanité que le post humain se propose de dépasser. De même, Elaine Després utilise les différents modèles de spéciation fournis par la paléontologie et la génétique (anagénèse, cladogénèse ou encore allopatrie et sympatrie) comme outils d’analyse de l’imaginaire posthumaniste dans des romans tels que The Island of Dr Moreau et Brave New World. Selon elle, la science qui travaille de telles fictions, en replaçant l’espèce dans un continuum évolutif dont elle ne serait qu’un maillon, opère un « décentrement » de l’humain. Roger Bozetto examine les personnages hybrides qui peuplent les romans d’Elizabeth Vonarburg à la lumière de la métaphore foucaldienne du visage de sable préfigurant la fin de l’homme, afin de faire émerger l’ambivalence d’une œuvre qui semble constamment osciller entre utopie et dystopie. Les trois derniers articles mettent également en lumière l'ambiguïté de figures posthumaines qui conduisent paradoxalement à un renforcement par antithèse des valeurs humanismes. Thierry Robin, sous l’égide de Slavoj Zizek, dont l’essai « No Sex, Please, We’re Posthuman ! » postule l’abandon d’un rapport à l’autre inhérent à la posthumanité, propose une étude comparatiste qui met l’optimisme des essais transhumanistes de l’ingénieur Ray Kurzweil en regard du pessimisme néohumaniste des romans de Michel Houellebecq. Il conclut que ces deux cheminements apparemment opposés sont en dernier ressort « comme l’avers désenchanté et le revers enthousiaste d’une même misanthropie » (252). Maylis Rospide analyse plusieurs occurrences de transgressions des limites du corps dans l’œuvre de Will Self. Son étude démontre que les diverses hybridations et métamorphoses qui font infraction à l’intégrité de l’organisme n’ont pas pour fonction de servir de paradigmes d’une néohumanité, ni même d’opérer une déconstruction de l’humanisme, mais bien d’affirmer la résilience de ses principes fondamentaux. De même, Jean-François Chassay s’interroge sur l’existence d’une humanité essentielle à travers son étude du roman d’Eva Hoffman, The Secret, dont le trope central, le clonage, illustre la complexité des notions d’identité, d’originalité et de subjectivité.

5Ainsi, la quatrième et dernière partie de cet ouvrage explore la possibilité d’une subjectivité proprement posthumaine. William Stephenson retrace la genèse de la pensée posthumaine du début du xxie siècle dans deux essais de Timothy Leary, The Politics of Ecstasy et Chaos and Cyber Culture, en s’appuyant sur les quatre points définitoires du posthumanisme posés par Katherine Hayles. Sylvie Allouche propose une approche très originale, en prenant pour fil conducteur diverses expériences sensorielles et questionnements personnels qui lui permettent d’explorer les formes de subjectivité qui travaillent la poésie rimbaldienne, la pensée kantienne, mais aussi l’œuvre d’Elizabeth Vonarburg. Enfin, en s’appuyant sur un large corpus d’œuvres cinématographiques, Gaïd Girard conclut ce recueil en identifiant trois paradigmes du posthumain qui codent la peur de la destruction de l’espèce : l’animalité de l’homme, l’hybridation avec la machine et l’altération de son rapport cognitif au monde. Le film de Kubrick, 2001 : A Space Odyssey, dans sa mise en scène de ces trois figures, synthétise pour l’auteur l’ensemble des interrogations liées à la pensée posthumaine, de la question des origines et de l’évolution de l’espèce, à son rapport à la machine, en passant par les limites cognitives et épistémiques de l’esprit humain.

6Cet ouvrage collectif s’inscrit dans une perspective transdisciplinaire qui permet d’examiner un corpus à la fois large et éclectique : des séries télévisées et films hollywoodiens de science-fiction aux romans francophones, britanniques, canadiens et sud-africains, en passant par le théâtre allemand, une diversité qui ne manquera pas d’intéresser un public également varié, s’adressant aussi bien aux étudiants curieux qu’aux chercheurs confirmés.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Justine Gonneaud, « Elaine Després et Hélène Machinal (eds), PostHumains : frontières, évolutions, hybridités »Études britanniques contemporaines [En ligne], 49 | 2015, mis en ligne le 06 novembre 2015, consulté le 04 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ebc/2778 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ebc.2778

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Auteur

Justine Gonneaud

Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse–EA 4277 (ICTT)

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