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Baudino, Isabelle et Marie Gautheron, Gilbert & George E1

Catherine Bernard
Référence(s) :

Baudino, Isabelle et Marie Gautheron, Gilbert & George E1, Lyon/St Étienne : ENS Éditions et Musée d’art moderne de St Étienne Métropole, 2005, 191 p.

Texte intégral

1L’œuvre de Gilbert & George n’a sans doute pas encore rencontré l’intérêt qu’elle mérite sur la scène angliciste française. Cet ouvrage collectif, produit à l’occasion de l’importante exposition organisée par le Musée d’art moderne de Saint-Étienne autour de leur récente série des « E1 pictures » contribue à faire connaître une esthétique complexe, en prise avec les contradictions du monde contemporain, toujours soucieuse de se réinventer sans jamais se renier.

2Cet ouvrage est le fruit d’une collaboration engagée entre un laboratoire junior de l’École Normale Supérieure de Lyon regroupant des élèves de divers départements et le Musée de Saint-Étienne, une collaboration qui a amené chercheurs et élèves à aller à la recontre des artistes anglais, sur leurs terres, celles de l’East End, celle d’une mémoire tout à la fois populaire, fantasmatique et esthétique. Centré autour d’une série d’œuvres de 2003 qui décline à l’infini la liste des rues de l’East End, et superpose à cette cartographie toponymique tantôt les figures grimaçantes des deux artistes, tantôt leurs silhouettes pourvues de curieux et monstrueux couvre-chefs en forme de morpions, cet ouvrage rend justice avec intelligence à le complexité du projet esthétique et politique des deux artistes. Adossé à un utile essai introductif explicitant la visée conceptuelle de leur œuvre, ainsi qu’à une interview accordée par les deux artistes aux concepteurs de l’ouvrage à l’occasion de leur venue à Saint-Étienne, cet ouvrage offre un double éclairage sur cette œuvre énigmatique, profondément ironique, rétive à toute catégorisation. Les regards croisés de géographes sur ce tissu urbain très particulier qu’est l’East End, de spécialistes d’histoire de l’art sur leurs jeux orthonormés sur le mot et l’image, permettent de mieux situer l’œuvre de ces « living scultptures » — ainsi qu’ils se définissent eux-mêmes — à la croisée d’une histoire collective longue et changeante (celle d’un quartier qui a épousé les évolutions de la société anglaise) et de l’histoire de l’art moderne.

3Un ingénieux abécédaire propose, dans la deuxième section de l’ouvrage, de comprendre comment Gilbert & George ont pu puiser dans la matière dense et complexe d’un quartier pluri-ethnique, dont les lieux de mémoire sont protéïformes, plurilingues, multi-culturels, et pourtant si profondément anglais aussi. De l’entrée « Art for all » à celle consacrée à « Violence », nous pouvons ainsi suivre un double parcours géographique et esthétique qui nous rappelle comment ce qui est aujourd’hui un carrefour artistique (les principales galeries d’art contemporain se trouvent désormais dans ce quartier, dont la célèbre White Cube qui représente G & G), fut de tous temps un carrefour culturel, un creuset où n’a cessé de se repenser l’anglicité. Ainsi sans doute peut-on mieux comprendre comment ces archétypes de l’excentricité anglaise ont pu choisir d’élire domicile, dès le début de leur carrière, dans ce quartier et y sont restés fidèles, y trouvant matière à réflexion et à création, sur les murs, les trottoirs, dans les pubs et aux coins de rues anciennes que surplombe l’architecture brutaliste des grands ensembles. La juxtaposition des entrées est elle même parlante: ainsi celle qui fait se suivre « City » et « Cockney » et ainsi laisse deviner dans la topographie même de l’ouvrage l’imbrication de problématiques économiques et identitaires, voire linguistiques. De même les entrées voisines « Docks » et « Fictions » nous rappellent-elles — à l’instar de l’œuvre de Peter Ackroyd — que la physionomie de la ville, pour planifiée qu’elle soit par le pouvoir économique, est aussi matière fantasmatique, machine à fictions, matrice imaginante.

4Reste à comprendre comment G & G peuvent convertir le chaos urbain en images parlantes. C’est ce que parvient à faire, avec beaucoup de pénétration, la troisième section de l’ouvrage. De nature plus franchement esthétique, les chapitres consacrés ici à l’esthétique de G & G nous rappellent fort à propos que, loin d’être stricte provocation, leur art serait plus cousin de celui ancien et obscur des vanités, que leurs grimaces de clowns fardés sont en fait plus funèbres que joyeuses, que le concept chez eux confine au lamento. En six articles de haute volée, l’analyse lève le voile sur un aspect rarement reconnu de leur œuvre et parvient à éclairer tout à la fois la mécanique sémantique d’une production en équilibre entre mots et images (voir l’article « “A visual letter to the viewer” : l’espace au pied de la lettre ») et sa profonde mélancolie (voir l’artice « G & G, dérision et mélancolie »).

5Lorsque l’on aura précisé que les articles sont tous présentés en version française et anglaise, un choix éditorial qui en fait un précieux outil pédagogique, et que l’ensemble est illustré par un remarquable choix d’œuvres des artistes et de vues de Londres; lorsque l’on aura aussi indiqué que la bibliographie fait un point des plus précis sur les ouvrages et articles consacrés aux deux artistes, on comprendra combien cet ouvrage original et magnifiquement réalisé peut se révéler précieux pour mieux comprendre l’inscription de l’art anglais contemporain dans son tissu historique et esthétique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Catherine Bernard, « Baudino, Isabelle et Marie Gautheron, Gilbert & George E1 »Études britanniques contemporaines [En ligne], 29 | 2005, mis en ligne le 26 juillet 2023, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ebc/13830 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ebc.13830

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Auteur

Catherine Bernard

Université Paris 7–Denis Diderot

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Droits d’auteur

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