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Le rien

À propos des silences du texte narratif

About Narrative Silences
Michel Morel
p. 51-70

Résumés

L’article s’intéresse aux blancs typographique dans quatre cas extrêmes de pratique de fiction. Dans la ligne de la théorie des blancs textuels de Wolfgang Iser, il met en parallèle la grande tradition au xixe siècle (Thackeray, dans Vanity Fair et Dickens dans Bleak House) et les pratiques subversives de Joyce dans Ulysses. D’un côté le double exemple des coupures et interruptions propres au feuilleton, et de la parataxe descriptive ; de l’autre, deux versions contraires du courant de conscience (la parataxe avec modulation générique dans la scène de l’enterrement, et la syntaxe continue dans le monologue de Molly). Chez Thackeray, chapitre, paragraphes, phrases programment et forcent l’interprétation ; chez Dickens, la parataxe se fait mise en scène et travaille subrepticement mais sans répit l’activité de lecture. Les deux pratiques inversées de Joyce démontrent quant à elles que le silence de fin de phrase ne cesse de moduler notre accord ou notre désaccord avec ce qui vient d’être énoncé, et plus généralement avec le texte lui-même. Les quatre cas (le dernier in absentia) dénudent ainsi le silence typographique comme lieu d’une activité interprétative intense. Loin d’être ce rien qu’on pourrait absenter, un tel silence est épreuve de vérité selon le texte, véritable abondance et débordement de signifiance latente, au fondement même de l’échange de lecture.

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Texte intégral

  • 1 « leere Stelle » dans le texte allemand ; « blanks », « gaps », « places of indeterminacy » dans la (...)

1Dans The Act of Reading, l’ouvrage qui a changé la conception que nous nous faisions de la lecture, Wolfgang Iser consacre le dernier chapitre de sa présentation aux « vides » ou « blancs » du texte, « lieux d’indétermination1 » dont il fait le support central et décisif de la participation du lecteur, aussi bien dans le cas du texte documentaire que dans celui de fiction. Son analyse porte sur la dimension sémantique du texte. On reconnaîtra aisément que ses conclusions peuvent s’appliquer aux silences structurels et syntaxiques propres au récit de fiction, petits « riens » qui pourraient passer inaperçus mais y sont de la plus haute importance puisqu’ils mettent en évidence une sorte de carrefour où se rencontrent écriture et lecture. Sans elles, le sens tel qu’il se donne à nous et tel que nous le décodons nous resterait inaccessible. Les coupures physiques opérées dans le tissu narratif déclenchent une véritable maïeutique de la césure, au sens large du terme, qu’il s’agisse d’interruptions majeures telles que les divisions en chapitres, de pauses locales correspondant aux paragraphes et à la période, ou de micro-suspensions inter-et infra-phrastiques afférentes à la ponctuation. Ces faits d’appartenance rhétorique nous orientent vers une approche typologique partiellement anhistorique. Ils sont aussi inter-génériques puisqu’ils concernent tous les types d’écriture. En dernier ressort, ils relèvent du style individuel, chaque romancier les mettant en œuvre à sa façon, de la plus machinale à la plus créatrice, avec toutes les nuances intermédiaires. Qui plus est, ce donné collectif a varié selon les époques, de l’élaboration des formes canoniques du roman occidental au xviiie et surtout au xixe siècles à sa mise en cause, sa subversion et son dépassement dans le moment utopique du modernisme ; sans oublier l’épisode plus tardif des expérimentations en France autour du nouveau roman, avec un retour en arrière, ou au moins un compromis, aujourd’hui, dans la plupart des pratiques contemporaines. Le roman présent ne peut donc être véritablement compris dans sa variété hors de la relation avec les grandes écritures du passé, en particulier celles du xixe siècle qui composent dans leur ensemble cette « grande tradition » à partir de laquelle, ou contre laquelle, les écritures modernistes se sont établies. Ainsi Virginia Woolf définit-elle son projet, dans « Modern Fiction », en opposition absolue avec l’approche de ses prédécesseurs. Remonter aux sources presque premières du xixe siècle paraît donc nécessaire si on veut définir et caractériser en eux-mêmes des fonctionnements toujours présents dans les modalités utilisées aujourd’hui encore. La comparaison est d’autant plus nécessaire que ces fonctionnements pourraient passer inaperçus du fait qu’ils sont la plupart du temps modulés, masqués, contrecarrés, et parfois même refoulés.

2Les quatre exemples ici retenus, parmi tant d’autres possibles, ont été choisis parce qu’ils représentent tous des cas extrêmes permettant de mieux mettre au jour les processus en jeu et d’en définir plus clairement les retombées sémantiques en termes de lecture. Le premier concerne la forme « feuilleton » établie en Angleterre dans les années 1830-1840 et qui n’a plus guère bougé depuis. L’extrait retenu met tout particulièrement en évidence la fin de chapitre et les jeux de la ponctuation. L’avantage complémentaire du cas Thakeray (doc. 1 ci-dessous), et de celui de Dickens (doc. 2 ci-dessous, cité pour sa dimension parataxique), est que la séparation entre littérature populaire et littérature élitaire n’était pas encore intervenue, le feuilleton s’adressant à tous les types de public indistinctement. Les faits en jeu gardent donc une pertinence générale que la division actuelle entre haute et basse littératures tend à nous faire perdre de vue, voire nous en faire contester la présence dans les formes dites supérieures de fiction. Les deux extraits suivants (doc. 3 et doc. 4 ci-dessous), concernent la dimension plus restreinte de la ponctuation. Repris de Ulysses de Joyce, ils illustrent deux formes de « courant de conscience », l’une parataxique (les funérailles de Dignam), l’autre hypotaxique (le monologue de Molly, et son absence complète de toute scansion syntaxique).

  • 2 « By impeding textual coherence, the blanks transform themselves into stimuli for acts of ideation  (...)
  • 3 « As blanks mark the suspension of connectability between textual segments, they simultaneously for (...)
  • 4 « The nonfulfillment of traditional narrative functions leads to « minus functions »... » (Iser 209 (...)
  • 5 « The text itself simply offers « schematized aspects » through which the subject matter of the wor (...)
  • 6 « [...] how I dig out beautiful caves behind my characters. [...] The idea is that the caves shall (...)

3Avant d’entamer cette étude de cas, un retour sur la notion de « blanc » selon Iser paraît nécessaire, en particulier concernant les échanges entre texte et lecteur qui interviennent en ces moments cruciaux de la rencontre avec le texte. Le blanc selon Iser désigne toutes les interruptions de la « bonne continuation » de la lecture (Iser 185), tous les manques de cohérence2 qui simultanément suspendent la lecture et en connectent les phases successives3. Ces mécanismes mettent en jeu l’échange dialectique déclenché par chaque fait narratif nouveau dans sa relation dynamique avec l’horizon textuel acquis, horizon ainsi élargi par ce fait inédit qui vient s’y agglomérer en cours de lecture. Le manque de cohérence marqué par le « blanc », sorte de « fonction moins4 », déclenche la productivité du lecteur (211) qui ne peut alors que s’en remettre au répertoire acquis, répertoire relatif à son cheminement dans le texte individuel et, plus largement, à tout ce qui touche à ses expériences personnelles de lecture et de vie ayant précédé cette rencontre. Le blanc est le point-pivot (169) de la « concrétisation » du texte par ce lecteur5, donné qui exige un investissement herméneutique personnel sans lequel la progression de lecture devient impossible. Tel est bien le moyen que, selon lui, Virginia Woolf paraît adopter lorsqu’elle se réfère aux « cavernes » qu’elle « creuse » derrière ses personnages6. La suspension du déroulement par ces blancs permet ainsi et paradoxalement la « bonne continuation » de la lecture (185). Iser donne quatre exemples de ces modalités, de la plus rigide et normative à la plus ouverte et déstabilisante : tout d’abord le texte à thèse, puis le feuilleton, puis le roman à dialogues, et pour finir, le récit moderniste.

4Dans son très intéressant article : « Le Rôle des blancs dans la constitution de l’acte de lecture en poésie moderne », Laurence Bougault complète utilement la typologie établie par Iser. Elle distingue quatre formes de blancs : les blancs typographiques, les blancs syntaxiques, les blancs sémantico-fictionnels, les blancs référentiels. Les deux premiers correspondent très précisément aux quatre exemples ici retenus en vue d’illustrer les effets syntaxiques et typographiques. Le troisième type est celui qui intéresse Wolfgang Iser tout au long de son analyse de l’acte de lecture. Quant au quatrième, il renvoie à une approche représentée par la poésie de Mallarmé, particulièrement dans « Un coup de dés ». En littérature anglaise on pourrait penser à son contemporain, Hopkins, dont les poèmes les plus complexes recourent systématiquement à ces quatre formes de blancs. Laurence Bougault fait aussi remarquer que les blancs syntaxiques « sont presque totalement passés sous silence dans L’Acte de lecture » (70). On pourrait en dire autant des blancs typographiques, et pourtant ces deux types ne cessent de guider et d’influencer la concrétisation du texte par le lecteur au plus près de sa rencontre individuelle avec une voix qui lui conte une histoire.

Exemple 1 : une fin de chapitre dans le « feuilleton »

5L’intérêt de la fin d’un chapitre situé à l’apogée du roman — (doc. 1 10) « A Rescue and a Catastrophe », Vanity Fair, chapitre LIII —, est que les processus en jeu y sont comme essentialisés. Ce grossissement vient bien sûr de la dimension « feuilleton », dimension accentuée ici par le fait qu’il s’agit d’une méta-fin encadrant les trois chapitres composant la livraison du mois — un « number », avec couverture jaune canari pour Thackeray, et bleu-vert pâle pour Dickens) —, et interrompant ainsi temporairement l’échange avec les lecteurs. À cela s’ajoute que du point de vue de l’intrigue, le dernier chapitre de la livraison concernée met littéralement fin aux menées carriéristes de l’intrigante qui ont soutenu notre intérêt jusque-là. Cet arrêt temporaire concluant un épisode majeur joue ainsi de multiples façons un rôle intermédiaire entre fin de chapitre et fin terminale de roman.

6Le narrateur y conduit une double exégèse (un peu à la manière des futurs romans policiers) mettant au jour les deux composantes latentes du suspens, et peut-être de tout suspens : la composante « intrigue » (que va bien pouvoir faire l’héroïne ?), la composante « éthique » (que penser de son comportement ?). Le silence qui nous est imposé est donc travaillé par une double question à laquelle le narrateur nous demande indirectement de répondre. En parallèle, le fait qu’il se déclare incapable de nous aider dans ce travail d’interprétation transforme cette interruption de récit en une sorte de mystère de vie qui naturalise l’ensemble du dispositif. Nous sommes donc conduits à juger sur pièces, comme l’indiquent les adjectifs « dismal », « dreary », « miserable », « lonely », « profitless » (ce dernier, qui relève du discours indirect, démasquant avec une pointe de cynisme le machiavélisme et les comportements douteux de Rebecca). Le commentaire dresse un clair tableau de la situation : « lies », « schemes », « selfishness and wiles », « wit », « genius ». Les termes « bankruptcy » et « accomplice », la remarque de Rawdon : « you might have spared me a hundred pounds [...] out of all this », dénoncent le crime presque partagé et la transgression des valeurs en cours dans ce milieu et à l’époque. Nous écoutons la voix du narrateur comme celle d’un prêtre en chaire. Telle est bien la signification chargée de cet entre-deux de silence forcé causé chez les lecteurs contemporains par l’interruption temporaire du récit, ou pour nous, dans le moment de la page tournée. Une sorte de manque et de surcroît d’attente est créé, qui emplit le vide soudain ressenti, expérience que connaissent bien les habitués du feuilleton télévisé au moment où s’interrompt l’épisode du jour. Outre notre désir de continuation, nous restons sur un pour-contre dont le récit prétend nous avoir donné tous les tenants et aboutissants.

7Le même mécanisme se retrouve au niveau plus restreint du découpage en paragraphes et de la ponctuation interne de chacun d’entre eux. On note que l’édition électronique Gutenberg introduit un paragraphe après « or if that corrupt heart was in this case pure ? », façon de distinguer l’évaluation axiologique de la description de la scène entourant celle qu’on appelle maintenant « the woman ». Ce découpage supplémentaire met ainsi en évidence un arrêt temporaire où intervient nécessairement notre jugement à ce moment précis du texte. Ainsi procède en fait tout paragraphe dans le texte de fiction, et même de démonstration, mais de façon plus discrète et plus éphémère qu’un chapitre dans son intégralité. On avait déjà noté, et subi, le puissant interligne — en termes de silence — séparant la fin de la scène elle-même (« And he left without another word ») de l’arrêt sur image terminale, avec commentaire exégétique. Ces deux types d’effet mécanique, le second, simplement plus accentué, nous imposent un même retour méta-critique et donc évaluatif sur le texte.

8Une orientation semblable se devine au niveau plus restreint des coupures inter- et intra-phrastiques apportées par la ponctuation. La phrase paragraphe qui conclut le corps du chapitre est éloquente de ce point de vue. À la protestation « I am innocent » s’oppose la reprise purement descriptive : « And he left her without a word ». Ce curieux « And » semble mimer la double et abrupte réaction silencieuse des protagonistes qui met fin à cet ultime moment de vie commune. Le silence bornant l’affirmation de l’épouse pécheresse et la syntaxe le provoquant, nous font ainsi intérioriser ce sommet dramatique de confrontation. En même temps, la pause indiquée par le point accentue le retournement dramatique : le « And he » bifurque soudain vers le mari alors qu’on aurait pu attendre « And she... ». Le narrateur reprend ainsi le fil de la narration, la rupture syntaxique agrandissant encore par contraste l’effet du mutisme des époux. Cet effet est prolongé par la série anaphorique de questions qui suivent et sont reprises par une phrase insistante, elle aussi anaphorique : « All her lies and her schemes, all her selfishness and her wiles, all her wit and genius had come to this bankruptcy ». Il s’agit bien d’une conclusion synthétique, véritable terminus ad quem littéralement mimé par la syntaxe.

9La ponctuation intra-phrastique joue un rôle homologue bien qu’atténué et plus passager. Dans « Her hair was falling over her shoulders ; her gown was torn... », le point-virgule appuie le parallélisme syntaxique tout en imposant une suspension impliquant rupture et continuation. Ainsi intervient un mini-bilan de lecture en pleine phrase, en parfaite correspondance avec l’insistance de l’anaphore. De même la virgule dans « She heard him go downstairs a few minutes after he left her, and the door slamming and closing on him », incarne textuellement l’instant suspendu précédant un départ sans retour, ce qu’une lecture orale dramatique aurait tout loisir d’accentuer. La ponctuation dans son ensemble participe donc de façon essentielle d’une dynamique unique, celle de la négociation et de l’accentuation progressive de l’effet de fin, en référence aux deux composantes de base : intrigue et évaluation. La femme calculatrice a maintenant été rattrapée par ses agissements coupables et a reçu la punition qu’exige la justice poétique. Telle est bien l’efficace du feuilleton portée ici à son maximum par un auteur qui maîtrise parfaitement cet art de séduire et de gouverner ses lecteurs. D’un autre côté, une pareille virtuosité dénude littéralement la productivité de lecture, programmée et forcée, à l’œuvre dans l’écriture de roman. Elle démontre que l’interruption syntaxique, qu’elle soit plus terminale (dans le cas des chapitres et des paragraphes), ou plus ponctuelle (dans celui de la ponctuation inter- et intra-phrastique), fournit l’un des supports critiques les plus fins et les plus efficaces en matière de diagnostic narratif.

Exemples 2 & 3 : deux versions opposées de parataxe

10La parataxe a pour conséquence principale d’accentuer le silence inter-phrastique que l’enchaînement syntaxique ordinaire s’emploie au contraire à combler. Dans les deux versions ici retenues, elle se veut constat de factualité, non intervention du narrateur, la différence étant que chez Dickens les coupures interviennent dans un discours narratif unitaire, alors que chez Joyce il y a juxtaposition entre des appartenances génériques différentes, ce qui tend à dénuder des phénomènes restés latents chez Dickens.

11Les trois premiers paragraphes de Bleak House (doc. 2 ci-dessous) décrivent Londres au début de l’hiver. Ils nous font passer de la cité en novembre, au brouillard sur la contrée toute entière avec retour vers les rues à l’heure du crépuscule. Deux paragraphes au présent poursuivront en syntaxe normale la mise en perspective pour assurer la transition vers le récit au passé à partir du sixième paragraphe : ainsi est donc progressivement opéré le passage d’un chronotope élargi au chronotope particulier qui est l’objet propre du roman. Il y a là l’équivalent d’un effet de caméra nous faisant passer d’une vision panoramique en plongée à une focalisation graduelle sur quelques destins individuels dans le Londres de la mi-xixe siècle. La ponctuation en coup de poing qui prévaut dans les deux paragraphes renforce le côté visuel de cette présentation. La force de la parataxe frappe dès le début des deux premiers paragraphes : « London. » et « Fog everywhere. » ont statut de titres-programmes. Le martèlement des fragments de phrase successifs est particulièrement éloquent dans le second paragraphe avec la reprise anaphorique du mot « fog ». On note en particulier un flagrant contraste entre la première phrase réduite à deux mots et les longues séries anaphoriques qui suivent, la scansion par les points-virgules apportant moins un répit que la suggestion d’une sorte d’étouffement croissant. On remarque aussi l’emploi de deux tirets cadratins, le premier suspendant le rythme, pour insister sur l’oxymore dysphorique : « flocons de suie », et le second attribuant au gaz la conviction qu’un crépuscule en plein après-midi, c’est quand même anormal. Ces deux silences supplémentaires s’unissent au reste de la ponctuation pour nous faire intérioriser un début de roman clairement situé du côté négatif. Le déchiffrement du texte paraît alors des plus simples et évidents : les silences inter-phrastiques se font sémantiques (Bougault 73). De façon discrète mais insistante, la dimension mimétique de ces blancs, ne serait-ce que du point de vue de la voix qui nous parle, « [orientent] l’activité lectorale » (Bougault 73), la préforment et la travaillent subrepticement. Une sorte de malaise envahit le lecteur qui n’en peut mais face à ce qui s’annonce dès le départ comme un univers quasiment opposé aux forces de vie et au bord de l’anormal.

12Chez Joyce (doc. 3 ), et contrairement à Dickens où prévaut une seule appartenance de parole, les phrases successives relèvent de registres et de domaines de langue différents. La conséquence en est que les effets restés latents chez Dickens semblent systématisés par une mise en évidence et peut-être même une exploitation subversive de la rupture syntaxique. Les discordances entre trois types de discours — narration, réflexion intérieure et liturgie — rendent plus explicite ce qui intervenait de façon minimale chez Dickens. De façon plus impérative que chez lui, l’arrêt marqué par un point final et le bilan temporaire qu’il implique s’imposent à notre attention, et ce du fait même que le domaine de langue change. Chaque rupture provoque un choc discursif accentuant le contraste entre les pensées de Mr Bloom et le service religieux en cours. La tombée du masque qui en résulte nous amène à immédiatement évaluer et la routine du rituel et les réactions du protagoniste face à elle : « They halted by the bier and the priest began to read out of his book with a fluent croak. / Father Coffey. I knew his name was like a coffin. / Domine-namine. / Bully about the muzzle he looks. Bosses the show. Muscular christian. Woe betide anyone that looks crooked at him : priest... ». Un peu plus loin, l’orientation satirique est rendue plus explicite encore par la déconstruction voltairienne, ou swiftienne, de l’aspersoir et du bénitier : « The priest took a stick with a knob at the end of it out of the boy’s bucket... »

13D’un point de vue plus général, les deux passages nous montrent qu’en effaçant le liant grammatical et syntaxique, la parataxe renforce l’effet terminatif de la phrase. Elle extrait, et nous force à interpréter, le silence fragmentaire négocié à ce moment syntaxique-là, un silence devenu rendez-vous axiologique renouvelé et toujours plus confirmé dans ses conclusions au fur et à mesure que nous progressons dans le décryptage du texte. Ce que révèlent donc les deux extraits, l’un de façon plus directe et l’autre par le biais d’une sorte de déconstruction réciproque des discours en jeu, c’est que dans la lecture ordinaire, le silence temporaire marqué par la ponctuation en fin de phrase, nous guide ne serait-ce que de façon minimale et subliminale : il module incessamment notre accord ou notre désaccord avec ce qui vient d’être énoncé, et plus généralement avec le texte lui-même.

Exemple 4, le monologue de Molly

  • 7 Gradus classe les différents types de phrase, par complexité décroissante, de l’hyperhypotaxe, à l’ (...)
  • 8 « Never imagine yourself to be otherwise than what it might appear to others that what you were or (...)

14En arriver au monologue de Molly (doc. 4 ci dessous), c’est justement se voir privé de cette machinerie et de cette facilitation de la lecture. Le « courant de conscience » suivi7, par opposition à sa version parataxique dans l’extrait précédent, force la lecture vers l’avant, dans impossibilité où le lecteur se trouve de savoir où s’arrêter. L’absence de bornage syntaxique frustre l’attente spontanée de découpage phrastique. La respiration physique et intellectuelle négociée par le passage de phrase en phrase est entravée et, avec elle, la progression raisonnée du jugement et de la pensée. En réalité nous nous efforçons de rétablir les coupures (et les silences temporaires qui vont avec) et pallions ce manque, en restituant des traces ou hypothèses de divisions possibles. Ce mode d’écriture nous fait voir en creux des opérations syntaxiques soudain déniées, alors que nous les absentons si spontanément dans la lecture courante, ce qui n’empêche pas leur efficace de nous guider. Son effet principal est de rendre difficile la mémorisation progressive du texte dans son déroulement, et de nous plonger au contraire dans une sorte de flux associatif ininterrompu dont nous ne pouvons prendre la mesure que globalement et aléatoirement, un peu à l’image de l’impuissante réaction de rectification que provoque la grammaire torturée de la fameuse phrase de la Duchesse dans Alice’s Adventures in Wonderland8. Nous manquent donc le découpage et la mise en ordre hiérarchique d’unité syntaxique en unité syntaxique, ainsi que le regard rétrospectif et prospectif qui l’accompagne, le tout aboutissant à une succession d’évaluations et de prises de distance critiques qui, littéralement, ponctuent les fins de phrase, de période, de paragraphe et de chapitre. En réalité, c’est toute l’économie du silence fondant la mémoire de lecture qui nous est retirée.

15On comprend alors la puissance cinétique et sémantique du cas inverse maximal, celui de l’interruption provoquée par l’aposiopèse, concentré de la para-communication inscrite dans les silences du texte, figure même de l’émotion et de ses modulations, connotant aussi bien l’hésitation que la surprise, l’indignation que le plaisir, l’excès de sentiment que le dérobement et la réticence (Gradus 64-65). L’un des cas les plus flagrants et plus absolus de ponctuation à valeur d’aposiopèse est celui du chapitre « A Mad Tea-Party » dans Alice in Wonderland. Chaque fois que la logique naïve et donc naturelle de la jeune enfant rencontre l’arbitraire du sens selon le Chapelier, ses remarques innocentes sont contrées par un brutal mutisme imposant la fuite en avant vers un autre sujet : « “I didn’t know it was your table”, said Alice : “it’s laid for a great many more than three.” / “Your hair wants cutting”, said the Hatter » (Norton 55). Véritable fin de non-recevoir, cette soudaine interruption avec changement de conversation nous laisse imaginer l’étonnement de l’héroïne, qui provoque en retour notre désapprobation quant au comportement du Chapelier, et notre réaction dubitative devant une démarche incompréhensible. La situation de nonsense surmultiplie ici l’effet ordinaire de silence syntaxique.

16En comparaison les arrêts sur aposiopèse, avec renversements de perspective, qui interviennent fréquemment à la fin des romans de William Golding, donnent à cette confrontation aporétique la dimension d’une révélation au bord de l’indicible, et du mystère. Ainsi en est-il de la mort de Jocelin, précédant le dernier paragraphe dans The Spire : « A gesture of assent — / In the tide, flying like a bluebird, struggling, shouting, screaming to leave behind the words of magic and incomprehension — / It’s like the appletree ! // Father Adam, leaning down, could hear nothing. [...] So of the charity to which he had access, he laid the Host on the dead man’s tongue » (Golding 223). Les italiques, l’exclamation, le changement de paragraphe qui suit (ici indiqué par la double barre oblique), sont autant de blancs à remplir et qui impliquent une interprétation à construire en collaboration avec le texte. L’éblouissement final de Jocelin, dans cet ultime moment d’incertaine exaltation, est le contraire de la foi assurée, mais bornée du Père Adam, tout autant que de l’absurde qui sourd du blocage syntaxique chez Carroll. Le blanc est ici l’expression d’un surcroît d’inexprimable, d’une intuition de révélation gnostique. D’un côté, l’aposiopèse incarne le vide de l’impensable, de l’autre elle est le trop-plein de ce qu’on ne saurait dire. En réalité, la suspension accentuée qu’elle impose ne fait qu’hypostasier les réserves latentes de silence, et de signifiance, contenues par le moindre point terminal.

Le côté du lecteur

17Que notre lecture soit solitaire et silencieuse ou orale et publique, on voit que les dispositifs d’interruption et de ponctuation canalisent notre concrétisation du texte. Une telle concrétisation engage la totalité de notre répertoire, ce qu’Umberto Eco appelle « encyclopédie » acquise. Impliquant à chaque moment des processus de repérage, de tri et d’évaluation, une semblable opération oscille entre deux possibilités contraires. D’un côté l’« agnition », de l’autre l’« ouverture », ces deux notions selon Umberto Eco. Par « agnition », il faut entendre la reconnaissance de ce que nous savions déjà, à l’image de ces fréquentes scènes de révélation concluant les romans du xviiie siècle. À l’opposé, l’« ouverture », qui n’est pas comme on le croit liberté d’interprétation, intervient lorsqu’un texte nous propose deux ou plusieurs interprétations compossibles pourtant intrinsèquement inconciliables, ce qu’on appelle dans un autre domaine la double contrainte ou « double-bind ». Du côté de l’agnition se trouve le silence comme facilitation, accentuation, assurance et effusion de l’évidence : tout ce que l’écriture de feuilleton selon Thackeray pratique à longueur de page. Du côté de l’ouverture règne le silence comme trou, blocage par conflit sémantique, par impossibilité d’aucune solution : comme dans les arrêts de conversations sur lesquels Alice ne cesse de buter comme elle le remarque très tôt dans le récit, à sa naïve façon : « She had never been so much contradicted in all her life before... » (Norton, 41) ; ou comme dans les doubles fins chez Golding, à l’exemple de celle qui implique que l’officier Pincher Martin dont nous avions suivi les sept jours d’agonie ne peut avoir survécu plus de quelques secondes à sa chute en mer. Dans cette situation de contradiction, le silence aboutit à une mise en cause du savoir textuel de lecture ou au moins à sa réorganisation en vue de restaurer autant que faire se peut l’équilibre antérieur et le système d’évidences acquises qui le fondaient. D’un côté donc, le silence est rabattement et renforcement de répertoire, de l’autre il est dérangement, contestation, peut-être même contestation de ce que nous croyions savoir, avec bien entendu toutes les possibilités de gradations d’un extrême à l’autre.

18Le silence programmé par le texte dans ses découpages et sa ponctuation doit donc être vu comme « épreuve » — le mot « ordeal » est la version anglaise d’ordalie dont l’étymologie renvoie à l’allemand « Urteil », donc au jugement —, comme processus de confirmation ou de déni et contestation. Le silence textuel, en particulier celui qui s’inscrit physiquement dans la mise en page et la typographie, est l’épreuve du sens, notre épreuve, notre voie obligée entre reconnaissance du connu et interprétation de ce qui nous dépasse. C’est là toute la véritable richesse d’une forme lecture qui se veuille plus consciente de ces processus, et par conséquent plus dynamique et plus éclairée.

  • 9 Dans Lector in fabula, Umberto Eco utilise le terme « actualisation » en référence à la façon dont (...)

19En allusion indirecte aux dernières paroles de Hamlet : « The rest is silence », on pourrait affirmer que le silence du texte ainsi conçu est le reste en soi, le lieu d’échange dynamique au point de rencontre entre l’actualisation générique selon l’écriture en jeu, et la concrétisation que nous en opérons9. Ce silence, surtout dans sa version narrative, est l’opérateur irremplaçable de la lecture dans sa dimension de décryptage et de construction sémantique. Il est tout sauf un vide ou rien temporaire. On rappellera ici la distinction complémentaire établie par Laurence Bougault concernant les blancs en poésie (Bougault 82), précision fort intéressante concernant le thème général de ce volume, qui conduit à différencier « [...] le blanc (comme structure), le vide (comme thème), le rien (comme suspension à l’horizon des événements ») (82). Ce silence du texte ne s’approche jamais du rien sémantique que dans la subversion extrême de l’oxymore de langue ou de l’aposiopèse absurdiste. Et encore, ne s’agit-il pas d’un rien véritable mais d’une contradiction qui suspend et déconstruit les opérations de sens ordinaires et acquises. Dans les autres cas, il n’y a en lui qu’abondance et débordement de signifiance. Encore faut-il savoir reconnaître les dangers de cette abondance, et du sens de l’évidence où risquerait de se perdre à chaque instant une lecture trop naïve et trop séduite par les apparences du sens. Difficile équilibre à établir entre effusion et distance, tels sont les pièges, mais aussi la dynamique apportés par ces blancs qui, on le devine et on le voit, ne cessent à travers notre effort critique de faire parler le silence.

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Bibliographie

Bougault, Laurence, « Le Rôle des blancs dans la constitution de l’acte de lecture en poésie moderne », Revue Romane, Bind 31 (1996) 1. www.tidsskrift.dk/index.jsp, consulté le 25 février 2012.

Carroll, Lewis, Alice in Wonderland, New York : A Norton Critical Edition, 1992.

Dickens, Charles, Bleak House, Oxford : OUP, Oxford World’s Classics, 1998.

Eco, Umberto, De Superman au surhomme, Paris : Grasset, 1978.

Golding, William, The Spire, Londres : Faber and Faber, 1964.

Gradus, Les Procédés littéraires (Dictionnaire Bernard Dupriez), Paris : 10/18, Union Générale d’Éditions, 1984.

Iser, Wolfgang, The Act of Reading, A Theory of Aesthetic Response, Baltimore, MA : The Johns Hopkins University Press, 1978.

Joyce, James, Ulysses, Harmondsworth : Penguin Modern Classics, 1968.

Thackeray, William, Vanity Fair, Oxford : OUP, Oxford World’s Classics, 1991.

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Annexe

Document 1 : Vanity Fair — « A Rescue and a Catastrophe »

[...] « I’ll send it to him to-day », Rawdon said (for day had dawned again, and many hours had passed in this search), « and I will pay Briggs, who was kind to the boy, and some of the debts. You will let me know where I shall send the rest to you. You might have spared me a hundred pounds, Becky, out of all this — I have always shared with you. »

« I am innocent », said Becky. And he left her without another word.

What were her thoughts when he left her ? She remained for hours after he was gone, the sunshine pouring into the room, and Rebecca sitting alone on the bed’s edge. The drawers were all opened and their contents scattered about — dresses and feathers, scarfs and trinkets, a heap of tumbled vanities lying in a wreck. Her hair was falling over her shoulders ; her gown was torn where Rawdon had wrenched the brilliants out of it. She heard him go downstairs a few minutes after he left her, and the door slamming and closing on him. She knew he would never come back. He was gone forever. Would he kill himself ? — she thought — not until after he had met Lord Steyne. She thought of her long past life, and all the dismal incidents of it. Ah, how dreary it seemed, how miserable, lonely and profitless ! Should she take laudanum, and end it, to have done with all hopes, schemes, debts, and triumphs ? The French maid found her in this position — sitting in the midst of her miserable ruins with clasped hands and dry eyes. The woman was her accomplice and in Steyne’s pay. « Mon Dieu, madame, what has happened ? » she asked.

What had happened ? Was she guilty or not ? She said not, but who could tell what was the truth which came from those lips, or if that corrupt heart was in this case pure ?

All her lies and her schemes, all her selfishness and her wiles, all her wit and genius had come to this bankruptcy. The woman closed the curtains and, with some entreaty and show of kindness, persuaded her mistress to lie down on the bed. Then she went below and gathered up the trinkets which had been lying on the floor since Rebecca dropped them there at her husband’s orders, and Lord Steyne went away.

William Thackeray, Vanity Fair, Oxford : OUP, Oxford World’s Classics, 1991 (676-677).

Document 2 : Bleak House, Chapter I. « In Chancery »

London. Michaelmas term lately over, and the Lord Chancellor sitting in Lincoln’s Inn Hall. Implacable November weather. As much mud in the streets as if the waters had but newly retired from the face of the earth, and it would not be wonderful to meet a Megalosaurus, forty feet long or so, waddling like an elephantine lizard up Holborn Hill. Smoke lowering down from chimney-pots, making a soft black drizzle, with flakes of soot in it as big as full-grown snowflakes — gone into mourning, one might imagine, for the death of the sun. Dogs, undistinguishable in mire. Horses, scarcely better ; splashed to their very blinkers. Foot passengers, jostling one another’s umbrellas in a general infection of ill temper, and losing their foot-hold at street-corners, where tens of thousands of other foot passengers have been slipping and sliding since the day broke (if this day ever broke), adding new deposits to the crust upon crust of mud, sticking at those points tenaciously to the pavement, and accumulating at compound interest.

Fog everywhere. Fog up the river, where it flows among green aits and meadows ; fog down the river, where it rolls defiled among the tiers of shipping and the waterside pollutions of a great (and dirty) city. Fog on the Essex marshes, fog on the Kentish heights. Fog creeping into the cabooses of collier-brigs ; fog lying out on the yards and hovering in the rigging of great ships ; fog drooping on the gunwales of barges and small boats. Fog in the eyes and throats of ancient Greenwich pensioners, wheezing by the firesides of their wards ; fog in the stem and bowl of the afternoon pipe of the wrathful skipper, down in his close cabin ; fog cruelly pinching the toes and fingers of his shivering little ’prentice boy on deck. Chance people on the bridges peeping over the parapets into a nether sky of fog, with fog all round them, as if they were up in a balloon and hanging in the misty clouds.

Gas looming through the fog in divers places in the streets, much as the sun may, from the spongey fields, be seen to loom by husbandman and ploughboy. Most of the shops lighted two hours before their time — as the gas seems to know, for it has a haggard and unwilling look.

Charles Dickens, Bleak House, Oxford : OUP, Oxford World’s Classics, 1998 (11-12).

Document 3 : Ulysses 1 — Stream of consciousness parataxique

[...] After a moment he followed the others in, blinking in the screened light. The coffin lay on its bier before the chancel, four tall yellow candles at its corners. Always in front of us. Corny Kelleher, laying a wreath at each fore corner, beckoned to the boy to kneel. The mourners knelt here and there in praying desks. Mr Bloom stood behind near the font and, when all had knelt, dropped carefully his unfolded newspaper from his pocket and knelt his right knee upon it. He fitted his black hat gently on his left knee and, holding its brim, bent over piously.

A server bearing a brass bucket with something in it came out through a door. The whitesmocked priest came after him, tidying his stole with one hand, balancing with the other a little book against his toad’s belly. Who’ll read the book ? I, said the rook.

They halted by the bier and the priest began to read out of his book with a fluent croak.

Father Coffey. I knew his name was like a coffin. Domine-namine. Bully about the muzzle he looks. Bosses the show. Muscular christian. Woe betide anyone that looks crooked at him : priest. Thou art Peter. Burst sideways like a sheep in clover Dedalus says he will. With a belly on him like a poisoned pup. Most amusing expressions that man finds. Hhhn : burst sideways.

—Non intres in judicium cum servo tuo, Domine.

Makes them feel more important to be prayed over in Latin. Requiem mass. Crape weepers. Blackedged notepaper. Your name on the altarlist. Chilly place this. Want to feed well, sitting in there all the morning in the gloom kicking his heels waiting for the next please. Eyes of a toad too. What swells him up that way ? Molly gets swelled after cabbage. Air of the place maybe. Looks full up of bad gas. Must be an infernal lot of bad gas round the place. Butchers, for instance : they get like raw beefsteaks. Who was telling me ? Mervyn Browne. Down in the vaults of saint Werburgh’s lovely old organ hundred and fifty they have to bore a hole in the coffins sometimes to let out the bad gas and burn it. Out it rushes : blue. One whiff of that and you’re a goner.

My kneecap is hurting me. Ow. That’s better.

The priest took a stick with a knob at the end of it out of the boy’s bucket and shook it over the coffin. Then he walked to the other end and shook it again. Then he came back and put it back in the bucket. As you were before you rested. It’s all written down : he has to do it.

— Et ne nos inducas in tentationem. [...]

James Joyce, Ulysses, Harmondsworth : Penguin Modern Classics, 1968 (105-106).

Document 4 : Ulysses 2 — Stream of consciousness continu

Yes because he never did a thing like that before as ask to get his breakfast in bed with a couple of eggs since the City Arms hotel when he used to be pretending to be laid up with a sick voice doing his highness to make himself interesting for that old faggot Mrs Riordan that he thought he had a great leg of and she never left us a farthing all for masses for herself and her soul greatest miser ever was actually afraid to lay out 4d for her methylated spirit telling me all her ailments she had too much old chat in her about politics and earthquakes and the end of the world let us have a bit of fun first God help the world if all the women were her sort down on bathingsuits and lownecks of course nobody wanted her to wear them I suppose she was pious because no man would look at her twice I hope Ill never be like her a wonder she didnt want us to cover our faces but she was a welleducated woman certainly and her gabby talk about Mr Riordan here and Mr Riordan there I suppose he was glad to get shut of her and her dog smelling my fur and always edging to get up under my petticoats especially then still I like that in him polite to old women like that and waiters and beggars too hes not proud out of nothing but not always if ever he got anything really serious the matter with him its much better for them to go into a hospital where everything is clean but I suppose Id have to dring it into him for a month yes and then wed have a hospital nurse next thing on the carpet have him staying there till they throw him out or a nun maybe like the smutty photo he has shes as much a nun as Im not yes because theyre so weak and puling when theyre sick they want a woman to get well if his nose bleeds youd think it was O tragic and that dyinglooking one off the south circular when he sprained his foot at the choir party at the sugarloaf Mountain the day I wore that dress Miss Stack bringing him flowers the worst old ones she could find at the bottom of the basket anything at all to get into a mans bedroom with her old maids voice trying to imagine he was dying on account of her to never see thy face again though he looked more like a man with his beard a bit grown in the bed father was the same besides I hate bandaging and dosing when.

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Notes

1 « leere Stelle » dans le texte allemand ; « blanks », « gaps », « places of indeterminacy » dans la version anglaise rédigée et complétée par l’auteur lui-même.

2 « By impeding textual coherence, the blanks transform themselves into stimuli for acts of ideation » (Iser 194).

3 « As blanks mark the suspension of connectability between textual segments, they simultaneously form a condition for the connection to be established » (Iser 195).

4 « The nonfulfillment of traditional narrative functions leads to « minus functions »... » (Iser 209).

5 « The text itself simply offers « schematized aspects » through which the subject matter of the work can be produced, while the actual production takes place through an act of concretization » (iser 21). Voir aussi les pages 171-179.

6 « [...] how I dig out beautiful caves behind my characters. [...] The idea is that the caves shall connect and each comes to daylight at the present moment. » A Writer’s Diary. Being Extracts from the Diary of Virginia Woolf, Leonard Woolf, Londres 1953 (Iser 168, note 8).

7 Gradus classe les différents types de phrase, par complexité décroissante, de l’hyperhypotaxe, à l’hypotaxe, puis de la phrase moyenne à la parataxe et en dernier à l’hyperparataxe (240).

8 « Never imagine yourself to be otherwise than what it might appear to others that what you were or might have been was not otherwise than what you had been would have appeared to them to be otherwise » (Carroll 75).

9 Dans Lector in fabula, Umberto Eco utilise le terme « actualisation » en référence à la façon dont chaque auteur s’approprie le genre de référence, de façon plus ou inventive. Le mot « actualisation », employé par Wolfgang Iser, correspond, quant à lui, à l’interprétation personnelle du texte par le lecteur. L’actualisation concerne la relation du texte au genre, et la concrétisation, celle du texte au lecteur.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Morel, « À propos des silences du texte narratif »Études britanniques contemporaines, 42 | 2012, 51-70.

Référence électronique

Michel Morel, « À propos des silences du texte narratif »Études britanniques contemporaines [En ligne], 42 | 2012, mis en ligne le 01 septembre 2014, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ebc/1349 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ebc.1349

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Auteur

Michel Morel

Université Nancy 2.
Michel Morel est Professeur émérite à Nancy 2. Ses recherches portent sur la lecture, en particulier sur les déclencheurs textuels d’affects à l’origine de nos émotions, et sur la composante narrative dans de différents types d’écriture allant du fait divers à l’écriture populaire et à la haute littérature. Il s’intéresse plus précisément aux processus génériques premiers concrétisés par le texte individuel, et aux mécanismes seconds que leur actualisation dans le moment de lecture enclenche nécessairement. Son approche est multidisciplinaire. Dans ses derniers travaux, il s’est tourné vers la dimension axiologique des figures de style et de la rhétorique, ainsi que vers d’autres formes telles que l’affiche, la peinture et l’architecture.

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Droits d’auteur

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