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La sociabilité des jeunes comme mécanisme d’adaptation et de promotion des acteurs

Nicolas Hajayandi
p. 135-149

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Burundi
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Texte intégral

Introduction

1L’émergence des catégories sociales et la structuration des rôles sociaux s’accompagnent généralement de la prise d’initiatives par des acteurs différenciés et parfois rivaux. Au Burundi, ces initiatives ont souvent été le fait de diverses couches de la population dans leurs tentatives de participation au processus de reconstruction et de réconciliation nationale. Dans le cadre de la sociabilité des jeunes, ce processus aura été un moment propice pour promouvoir un mouvement associatif plus ou moins structuré et intégrateur des valeurs et des normes sociopolitiques émergentes. Dans cette perspective, le mouvement associatif, cadre incontestable de socialisation et de sociabilité des jeunes, porte la marque du contexte ayant contribué à sa mise en place.

2Cette étude se propose de comprendre les mécanismes de sociabilité des jeunes ainsi que la logique qui est à la base de cette philosophie. Elle part de l’hypothèse selon laquelle la sociabilité des jeunes constitue un mécanisme d’adaptation à la conjoncture sociopolitique et de promotion des acteurs. De cette hypothèse générale découlent des hypothèses secondaires suivantes : le processus de reconstruction et de réconciliation nationale favorable à la mise en place des cadres de sociabilité des jeunes ; les divers cadres de sociabilité constituent des stratégies d’action initiées par et/ou pour les jeunes en vue de répondre au contexte sociopolitique qui les interpelle et les sollicite ; ces cadres de sociabilité offrent à ces initiateurs des opportunités de s’intégrer dans le processus de socialisation mis en place. L’objectif de l’étude est quadruple : comprendre la notion de sociabilité dans le processus de socialisation des jeunes ; comprendre la logique qui fonde la mise en place des cadres de sociabilité des jeunes ; établir les liens existant entre les cadres de sociabilité mis en place et le contexte sociopolitique qui les a vus naître ; enfin, rendre compte du rôle de ces cadres de sociabilité dans la promotion des valeurs nationales et dans la prise en charge des acteurs.

3Une étude de ce genre nécessite certes le recours au travail de terrain. Celui-ci ne peut être entièrement couvert étant donné que le champ des cadres de sociabilité est vaste. Ainsi, quelques études de cas ont pris pour cibles privilégiées des associations ou des collectifs qui prennent des initiatives visibles dans le cadre de la sociabilité des jeunes. Ce choix méthodologique nous a permis d’orienter notre travail exploratoire et de centrer plus d’attention sur des organisations plus actives que d’autres. Dans nos investigations, nous nous sommes particulièrement intéressés aux jeunes de 16-30 ans, âges respectifs d’entrée et de sortie officielle des principaux centres et collectifs de jeunes sur lesquels nous avons travaillé. Cette étude s’appuie aussi sur des enquêtes de terrain par entretiens qualitatifs avec les principaux acteurs de ces cadres de sociabilité. Ces derniers nous aident à saisir la logique qui guide leurs actions et les avantages qu’ils tirent de leur engagement dans le domaine de ces associations. Une enquête par questionnaire écrit a été aussi effectuée pour recueillir les points de vue de ceux qui auraient été probablement peu intéressés par un entretien direct. Cette étude a été menée en mairie de Bujumbura où ces différents cadres de sociabilité sont assez visibles et mobilisent des acteurs divers avec des intérêts matériels et symboliques parfois peu dissimulés.

Contextualisation de la recherche

4Au Burundi, le contexte de démocratisation et les conséquences qui en ont résulté ont fait montre de l’existence de différents types de tensions. Or le modèle démocratique proposé par l’Occident véhicule sans conteste des idéaux nouvellement adoptés, souvent difficilement conciliables avec les mécanismes traditionnels de prise et d’exercice du pouvoir. En effet, la culture de soumission et d’obéissance inconditionnelle à l’autorité est fortement concurrencée par des pratiques nouvelles essentiellement influencées par les pratiques démocratiques émergentes. Ainsi le pouvoir de type militaire est constamment remis en cause pour réclamer des perspectives de changement impliquant la prise en compte de l’existence des acteurs nouveaux émanant pour l’essentiel de la société civile. L’action de cette dernière s’est vite structurée sur l’initiative de quelques acteurs intéressés et à la faveur de ce contexte de sortie de crise et de reconstruction nationale. Cette perspective interpelle des acteurs différenciés, y compris les jeunes. Ainsi, quelques organisations de jeunes ont été mises en place en vue de structurer toutes les initiatives prises en matière d’encadrement des jeunes.

Les organisations non gouvernementales ou le relais institutionnel de l’action gouvernementale

5Au lendemain de la crise sociopolitique survenue en octobre 1993, plusieurs organisations non gouvernementales locales et étrangères se sont engagées à tenter un encadrement moral de la population en général et des jeunes en particulier. En effet, l’opinion nationale et internationale était convaincue que les jeunes avaient été tristement actifs dans les opérations de pillage, de tuerie et de destruction qui étaient devenues pratiques courantes dans presque tout le pays et plus particulièrement à Bujumbura. Pourtant, tout le monde semblait être convaincu que les jeunes n’avaient rien à gagner dans cette guerre aux conséquences multiformes qui ne pouvait que compromettre l’avenir du pays.

6Quelques organisations ont acquis une renommée particulière en se montrant de plus en plus actives dans l’encadrement des jeunes engagés sur la voie du retour à la paix, de la réconciliation nationale, de la reconstruction et de l’unité, etc. Ces organisations, par le soutien accordé aux associations et autres organisations locales de jeunes, ont servi de relais à l’action gouvernementale engagée dans ce sens par le truchement des politiques sectorielles de différents ministères. Elles se sont essentiellement appuyées sur les activités déjà en cours dans les diverses associations auxquelles ont adhéré des jeunes élèves et étudiants surtout de la capitale Bujumbura. Ces organisations non gouvernementales sont alors apparues comme des grands pourvoyeurs des programmes de pacification, et pour des raisons pratiques et peut-être d’efficacité, elles ont délégué l’application de ces programmes à des organisations locales.

7Entre autres organisations non gouvernementales ayant joué un rôle actif dans le rapprochement des jeunes, on peut citer le Centre Jeunes Kamenge (CJK) et le Collectif pour la Promotion des Associations de Jeunes (CPAJ). Ces groupements nous intéressent particulièrement pour deux raisons essentielles. D’une part, ils regroupent un bon nombre d’associations de jeunes et d’autre part, c’est par l’intermédiaire de ces mêmes groupements que passe l’essentiel de l’aide apportée aux associations de jeunes.

Le Centre Jeunes Kamenge (CJK) ou le rapprochement des tendances

  • 1 Propos de M. Claudio, Responsable du Centre Jeunes Kamenge.
  • 2 Interview du coordinateur du CJK, le Père Claudio ; propos recueillis par E. Mbonyiyengo le 9 mai 1 (...)

8Le Centre Jeunes Kamenge a été construit en 1992 par les pères Xavériens. Comme sa devise « Ensemble pour bâtir un monde de frères » l’indique, le Centre Jeunes Kamenge rassemble les jeunes des quartiers nord de la capitale de Bujumbura (Kamenge, Cibitoke, Kinama, Ngagara, Buterere, Gihosha) et les aide à renouer avec les bonnes relations qui ont été entachées par la guerre civile. Les buts poursuivis par ce centre sont justifiés par le contexte même dans lequel il a été créé. Il s’agit de « donner une possibilité aux jeunes des quartiers nord de Bujumbura de se retrouver ensemble, de créer un lieu de rencontre pour les jeunes en vue de lutter contre les grands maux urbains comme le désœuvrement et ses conséquences, la délinquance, l’alcoolisme, la violence, etc. ». Actuellement, en 2012, ce centre compte 35 965 inscrits (dont 27 448 garçons et 8 517 filles de 16-30 ans). Ce déséquilibre entre garçons et filles inscrits au CJK peut s’expliquer par des raisons liées à la mentalité traditionnelle burundaise. Ce sont ces mêmes raisons qui expliquent par ailleurs le faible engagement des filles dans la plupart des activités relevant de la sphère publique. En effet, même si aujourd’hui la division du travail surtout en ville se refonde sur des bases matérielles nouvelles, il serait injuste de ne pas reconnaître que malgré le processus d’émancipation de la femme qui se met de plus en plus en place, cette dernière reste marquée par des considérations traditionnelles qui la confinent dans des structures d’encadrement relevant pour l’essentiel de la sphère privée. Le CJK propose une quarantaine d’activités différentes pour les jeunes en vue de contribuer à la cohabitation de tous les jeunes des différents quartiers et partant de toutes les composantes de la population du Burundi. En effet, comme l’affirme le responsable du centre, « en passant de bons moments ensemble, en partageant une activité ou une passion, les jeunes tissent des liens, c’est le meilleur moyen de construire la paix »1. L’idée de « construire la paix » par les jeunes transparaît dans la vision du coordinateur du CJK en termes de perspectives d’avenir : « L’essentiel de ce que nous projetons pour l’avenir est que ces jeunes deviennent une référence pour les autres dans leurs milieux respectifs, en faisant siennes la paix, la fraternité, la coexistence pacifique. Ilfaut que cette jeunesse recouvre les valeurs unificatrices Je pense bien que tous les ministères sociaux, toutes les associations et même la population doivent nous aider à mener à bien la mission du Centre Jeunes Kamenge »2.

9Si le CJK, à travers ses idéaux, poursuit une mission noble et constructive pour la société burundaise, on ne peut pas s’empêcher de signaler que dans un climat de guerre à caractère ethnique comme celui que vivait le Burundi surtout au cours des années 1993-2000, rassembler les jeunes de tous les quartiers de la ville de Bujumbura n’était pas chose facile. La balkanisation des quartiers de Bujumbura (les hutu dans certains quartiers, les tutsi dans d’autres) n’était pas de nature à rassurer tout le monde et encore moins les jeunes. En effet, durant la crise de 1993, la zone nord avait été particulièrement touchée par les conflits (avec plus de 30 000 morts) et les quartiers se sont ethniquement divisés. L’emplacement de ce centre pouvait aussi provoquer ou entraîner un sentiment de crainte ou de suspicion et ainsi freiner l’adhésion de certains jeunes malgré les bonnes initiatives prises et actions accomplies au CJK.

10Pour la réalisation de ces objectifs, le CJK organise des activités qui sont pour la plupart des activités de groupe. Une fois, l’activité choisie, le centre organise une inscription pour un nombre fixe de participants. Le déroulement de cette activité est guidé par un animateur bénévole ou sous contrat et l’expérience du jeune est enrichie par l’apport de l’animateur et par la présence des autres jeunes. Les activités du CJK peuvent être réparties en cinq catégories à savoir :

  • Les activités didactiques : cours de langue (anglais, italien, français, espagnol, allemand, kirundi, arabe), comptabilité, physique, mathématiques, biologie, chimie, etc.
  • Les activités formatives : informatique, dactylographie, coupe-couture, coiffure, groupe des droits de l’homme, vidéo forum avec débats, etc.
  • Les activités sportives : tennis, ping-pong, basket-ball, gymnastique, musculation, football, volley-ball, arbitrages sportifs, etc.
  • Les activités de temps libre : guitare, chant, danse, piano, cinéma, vidéo-forum orchestre rythmique, groupes de théâtre, groupe de musique, etc.
  • Les activités religieuses : groupe biblique, veillées inter-religieuses, groupe de louange, groupe délivrance, etc.

11Le CJK est un cadre incontestable de sociabilité des jeunes en ce sens qu’il constitue un lieu de rencontre et d’apprentissage de plusieurs jeunes. En effet, il assure la rencontre de plusieurs jeunes des établissements primaires et secondaires (106 établissements dont 56 du secondaire) ainsi que ceux des communautés religieuses des quartiers nord de Bujumbura à travers des activités multiples et variées.

12Ainsi, à l’entrée du centre, on est vite impressionné par le mouvement intense des jeunes qui y entrent ou qui en sortent, et surtout par le dynamisme dont ils font preuve dans ce cadre où tous les jeunes se retrouvent dans diverses activités. Le sens de responsabilité qui caractérise tous les membres du CJK n’est pas moins impressionnant. Chaque jeune se sent responsable des infrastructures, des équipements qui y sont disponibles au moment où d’autres infrastructures ailleurs subissent régulièrement des dommages et des destructions, souvent même de la part de leurs usagers. Sous cet aspect, le CJK a un modèle à offrir à bien d’autres organisations quant à la protection et au respect des biens collectifs. À travers toutes ces initiatives, le centre assure la promotion des acteurs en ce sens qu’il est non seulement un cadre d’apprentissage et d’acquisition de compétences techniques et professionnelles incontestables pour tous les jeunes qui en sont membres mais aussi un employeur à part entière pour certains d’entre eux. En effet, le centre offre l’emploi en bonne et due forme à certains de ses adhérents qui ont acquis la compétence voulue et ayant le profil recherché pour telle ou telle autre activité du centre. Le CJK assure aussi une fonction de reproduction en ce sens que les anciens membres qui sont promus vont promouvoir à leur tour les activités et les initiatives de ce lieu. Cette démarche offre l’avantage de récompenser les engagements pris par les jeunes qui ont accepté de travailler pour le centre. Ceci constitue aussi un apport important pour les jeunes qui, sans le CJK, se verraient dans le chômage, surtout dans ce contexte socioéconomique où l’emploi devient de plus en plus problématique.

Le Collectif pour la Promotion des Associations de Jeunes (CPAJ) et les enjeux nationaux

13Le Collectif pour la Promotion des Associations de Jeunes (CPAJ) a été créé en 1995 avec pour mission principale la promotion de la dynamique associative des jeunes pour leur participation active dans l’édification d’un Burundi paisible et prospère. Il encadre aujourd’hui 15 000 jeunes à travers 270 associations engagées dans la poursuite des idéaux d’unité nationale, de retour à la paix, de démocratie, de tolérance, de solidarité, d’entraide, de lutte contre le sida, etc. Les objectifs spécifiques poursuivis par le CPAJ sont : renforcer les capacités organisationnelles et opérationnelles des associations de jeunes ; servir de cadre de concertation, d’échange et de coordination des actions des jeunes ; mobiliser les ressources et appuyer la mise en œuvre des plans d’action des associations membres ; promouvoir et piloter les projets communs des associations membres.

14Entre autres réalisations à l’actif du CPAJ, on peut noter la mise en place d’un réseau national de concertation et de coordination des actions des jeunes engagés dans la lutte contre le SIDA (RENAJES). En effet, sa mission est de mobiliser et rendre effective la participation des jeunes à la riposte nationale contre la pandémie du SIDA et ses conséquences sur le plan social, économique, et culturel. Ce réseau est appuyé dans ses actions par l’ONUSIDA, l’UNICEF et bien d’autres organismes nationaux et internationaux qui interviennent dans la lutte contre le VIH/SIDA. Grâce à ce réseau, le CPAJ a, à plusieurs reprises, organisé des séminaires sur les thèmes en rapport avec le SIDA dans les milieux des jeunes.

15Il faut souligner que toutes ces organisations non gouvernementales locales qui œuvrent au Burundi fonctionnent grâce à l’aide des financements octroyés par des bailleurs de fonds étrangers. Elles assurent alors un encadrement des jeunes à travers la sensibilisation aux problèmes sociaux tels que la lutte contre le SIDA, la protection de l’environnement, la reconstruction nationale, le développement, la réconciliation nationale, la résolution pacifique des conflits, la non-discrimination, l’amour du travail, et bien d’autres valeurs qui s’imposent dans le contexte sociopolitique burundais. Et comme ces associations bénéficient des financements des pays développés par le biais des organisations non gouvernementales internationales, elles sont considérées comme des relais locaux de ces dernières. C’est pourquoi la plupart des organisations non gouvernementales locales bénéficient de soutiens considérables de la part des institutions internationales spécialisées comme le PNUD, l’OMS, l’UNESCO, l’UNICEF, l’USAID, l’Agence Canadienne de Développement International (ACDI), etc. Les organisations locales apparaissent alors comme des donateurs d’emplois à pas mal de jeunes qui en éprouvent grandement le besoin, surtout dans le contexte actuel où le chômage des jeunes atteint des proportions considérables. Elles jouent aussi le rôle de centralisateur de toutes les actions menées dans le cadre des associations des jeunes. Nous avons constaté aussi que les jeunes qui évoluent dans ces organisations n’ont rien à envier à ceux qui s’engagent dans la vie active par le biais de la fonction publique au vu des conditions de rémunération. On comprend par là que non seulement les jeunes peuvent y travailler mais aussi que les moins jeunes voire les adultes peuvent s’y faire embaucher. C’est pourquoi nous avons beaucoup d’associations dites de jeunes mais dirigées par des adultes puisque leurs conditions de rémunération et autres avantages n’attirent pas les jeunes seulement. Ne peut-on pas même parler d’instrumentalisation de la jeunesse quand les projets soumis aux bailleurs de fonds pour financement le sont au nom des jeunes alors que ceux-ci n’en sont pas nécessairement les principaux bénéficiaires ? C’est dire que l’entrée dans le circuit des associations peut être perçue comme une stratégie d’adaptation aux conditions de vie, une possibilité d’obtenir un petit complément de revenu à défaut de pouvoir décrocher un contrat de travail dans ce domaine.

16Les initiatives et les actions du CPAJ s’organisent autour de quelques grands domaines, à savoir : le financement des projets, la communication pour le changement des comportements dans la lutte et la prévention contre le VIH/SIDA, la formation professionnelle, la formation en activités génératrices de revenus (AGR), la consolidation de la paix et la participation des jeunes dans le processus d’intégration régionale. Grâce à toutes ces activités, le CPAJ est présent dans plusieurs localités du Burundi et fait participer tous les jeunes dans la conception et le suivi évaluation des projets à travers un cadre d’échange et de concertation suffisamment fonctionnel. Il assure aussi le renforcement des capacités à l’intention de ses associations membres. Dans cette perspective, des personnes-ressources assurent la formation des autres jeunes ou peuvent profiter des opportunités offertes en dehors du CPAJ. Ainsi, les jeunes de son ressort acquièrent des compétences techniques leur permettant d’être embauchés au CPAJ même ou ailleurs. Par ailleurs, ce dernier aide les associations dans la mobilisation des fonds pour le financement et l’exécution de différents projets.

Le Conseil National de la Jeunesse au Burundi (CNJB) ou le dépassement des tendances divisionnistes

17Le Conseil National de la Jeunesse au Burundi, comme d’autres cadres de sociabilité des jeunes, a toujours visé l’éducation aux valeurs et la moralisation de la société en vue de renouer avec les valeurs et les idéaux auxquels la crise sociopolitique avait porté un coup dur. Parfois même, quelques cadres de sociabilité des jeunes pourtant mis en place sur base d’un consensus largement négocié ont servi de cadres d’affrontement plus ou moins violents entre des acteurs qui voyaient dans l’encadrement des jeunes une opportunité d’entrer en contact avec des bailleurs de fonds. Ainsi toutes les valeurs et les idéaux que les différents acteurs mobilisaient en vue d’un engagement conséquent impliquaient un énorme effort de construction sociale et d’appréciation de l’évolution du contexte sociopolitique burundais. Malheureusement, cette évolution a produit des effets contraires à ceux que l’on escomptait. En effet, la création de ces cadres de sociabilité a, dans certains cas, été l’occasion de mener des actions plus ou moins structurées et où les différents protagonistes sociaux ont adopté des stratégies concurrentes et parfois préjudiciables à l’épanouissement ou à la promotion de la jeunesse.

18La mise en place du CNJB a aussi été inspirée par la volonté et l’engagement des jeunes de se doter d’un cadre approprié d’expression. C’est dans cette perspective que les associations de jeunes se sont engagées dans la mise en place d’un cadre national approprié à leurs besoins et à leurs objectifs en vue de contribuer à la gestion et à l’avenir du Burundi. Face à cet impératif, certains jeunes relèvent les difficultés auxquelles ils font face et les opportunités qui leur sont offertes. Entre autres difficultés, on peut noter la fragilité et la dépendance financière des associations de jeunes, la mauvaise appréhension de la notion de bénévolat par les jeunes, l’existence d’une pratique démocratique encore chancelante, la difficulté de mettre en place des cadres de concertation réellement opérationnels, l’impossibilité d’élargir leurs champs d’action sur tout le territoire national. Ces obstacles constituent une entrave majeure à la mise en place d’un organe d’expression des jeunes. En effet, il est difficile pour les jeunes de s’organiser en des structures indépendantes et autonomes quand ils doivent encore dépendre du pouvoir d’autres responsables. De plus, le travail bénévole ne les arrange pas quand ils doivent trouver des moyens de se prendre en charge et préparer leur entrée dans la vie adulte.

19S’agissant des opportunités, on peut noter une main-d’œuvre active et gratuite chez les jeunes, leur importance démographique et la conscience de leur marginalisation. Ces atouts doivent s’appuyer sur une volonté encore plus ferme de s’organiser et d’agir ensemble. Dans cette perspective, quelques propositions sont émises pour rendre dynamiques les associations de jeunes. Il est régulièrement recommandé de renforcer les capacités des associations afin qu’elles puissent mieux jouer leur rôle ; de susciter l’émergence de jeunes cadres capables d’assurer le leadership des associations des jeunes ; de mettre en place des organes de coordination et de concertation capables de conjuguer les efforts des associations de jeunes. C’est dans ce cadre que le Conseil National de la Jeunesse a été envisagé et mis en place. Il se veut un organe d’expression et de canalisation des initiatives de la jeunesse et joue un rôle consultatif auprès de l’administration ; l’interlocuteur et le porte-parole de la jeunesse auprès de ses partenaires. Parmi les autres objectifs figurent la promotion de la jeunesse, l’initiation des jeunes aux valeurs ancestrales, la création et la promotion d’un esprit patriotique, l’amélioration du système éducatif, la lutte contre la manipulation des jeunes à des fins politiques et le renforcement de la coopération avec les jeunes des autres pays. La mise en place de ce conseil s’inspire des principes démocratiques, de l’unité nationale et de la décentralisation des structures représentatives. Dans cette perspective, elle doit être axée sur la sensibilisation des jeunes, de l’administration et des bailleurs de fonds.

20Comme on le voit, le CNJB a pris soin d’intégrer dans ses missions et objectifs non seulement des actions orientées directement vers les jeunes (promotion des activités génératrices de revenus, la lutte contre le chômage, la lutte contre la dépendance financière des jeunes, etc.) mais aussi des initiatives d’envergure nationale voire de portée internationale (la promotion de la culture de la paix, le développement national, la réconciliation nationale, la promotion de la démocratie, la coopération avec les jeunes du monde entier, la lutte contre toutes les formes de discrimination et d’exclusion, etc.). Si des soutiens en faveur des initiatives des jeunes sont toujours manifestes, on peut facilement croire que c’est parce que les thèmes autour desquels les jeunes se mobilisent rencontrent aujourd’hui l’assentiment de l’opinion nationale et internationale. Seulement, il y a lieu de se demander si les soutiens accordés et les moyens d’action dont dispose le CNJB sont suffisants pour la réalisation de tous les objectifs qu’il s’est fixés. De plus, il n’est pas évident que tous les partenaires incontournables dans l’action du CNJB coopèrent facilement et répondent à toutes les attentes des jeunes telles qu’elles sont exprimées à travers les objectifs du CNJB. Certes, le CNJB poursuit des objectifs et défend des idéaux nobles. Pourtant le contexte qui avait contribué à sa mise en place était lui-même significatif et particulier pour pouvoir répondre à toutes les attentes des jeunes sans être inféodé au régime politique en place. Il faut noter aussi que cet organe faisait l’objet de spéculations parfois mal comprises ou subjectivement interprétées par des acteurs intéressés. D’un côté, les jeunes qui avaient toujours demandé un cadre d’expression de leurs idées se disaient avoir été entendus par des instances habilitées à agréer ce genre d’organisation en vue de pouvoir dépasser les tendances divisionnistes qui avaient marqué la décennie 1990-2000 au Burundi en guerre. D’un autre côté, le pouvoir en place venait de trouver une stratégie d’avoir une mainmise sur cet organe qui ne pouvait qu’être sous son autorité.

La mise en place des clubs culturels ou l’inscription dans une nouvelle dynamique

21La création des clubs culturels répond au besoin de réhabiliter le patrimoine culturel menacé de disparition. Elle est l’œuvre des particuliers qui initient des activités culturelles comme les danses traditionnelles, les chansons, la poésie pastorale, agricole, guerrière, etc. La transmission et la promotion de cette culture impliquent l’apprentissage aux jeunes générations de la culture burundaise par des adultes qui en sont les grands détenteurs. C’est dans cette perspective que les clubs culturels déploient leurs actions et que la culture du pays est progressivement transmise et valorisée.

22Cependant, l’analyse de la culture burundaise doit tenir compte d’un certain relativisme culturel pour comprendre que cette dernière subit beaucoup d’influences de la part des cultures étrangères. Ce relativisme aide à tenir compte de la spécificité de la culture burundaise et à l’inscrire en même temps dans la diversité culturelle. Il peut servir également à concilier les points de vue dans le débat qui oppose les tenants de la modernité et ceux de la tradition.

23Les thèmes mobilisateurs dans la culture burundaise se réfèrent aux valeurs longtemps défendues même si certaines d’entre elles ont été érodées par la crise sociopolitique de 1993. Il est question ici de la paix, de l’unité, du respect de la personne humaine, de l’entraide, du sens de l’humanité, de l’honneur et la dignité, du courage, de la bravoure, etc.

24Divers artistes rivalisent de talents pour véhiculer des messages relatifs à la promotion de ces valeurs. Sur cette même lancée, il se crée des associations et des clubs culturels qui assurent la diffusion de ces valeurs à travers des spectacles organisés dans tout le pays. La présentation de ces spectacles constitue pour les membres des associations ou clubs des moyens de se procurer de quelques avantages à la fois symboliques et matériels. Du point de vue symbolique, ils constituent des vecteurs incontestés de la socialisation aux valeurs positives du Burundi et reçoivent l’admiration et l’encouragement de la population. Sur le plan matériel, ces spectacles offrent des occasions de se procurer de l’argent car ils sont payants.

25Les activités de ces associations et/ou clubs culturels sont appuyées par les pouvoirs publics qui, non seulement les agréent mais aussi les financent occasionnellement. Elles offrent également l’opportunité de sortir du pays et de faire connaître la culture burundaise à l’extérieur du pays. Mais comme ces associations ne sont pas encore autonomes financièrement, les sorties à l’étranger ne sont pas nombreuses puisqu’elles sont conditionnées par l’octroi des visas et autres titres de voyage dont le coût n’est pas toujours à la portée des membres. Dans ces conditions, les responsables vont également rivaliser d’initiatives et d’influence pour obtenir des financements en vue d’une bonne continuation de leurs activités. Il faut noter aussi que ces clubs et associations enregistrent régulièrement des demandes d’adhésion. Ces demandes ne sont toujours pas satisfaites car certains y voient même une sorte de spéculation plus qu’une réelle volonté de contribuer à la valorisation de la culture nationale. Cette spéculation est relative à l’éventualité de pouvoir aller à l’étranger, de pouvoir gagner un peu d’argent. Cette situation est d’autant plus compréhensible que ceux qui demandent d’adhérer sont parfois des jeunes qui doivent se débrouiller pour leur auto-prise en charge, qui ont besoin d’entrer en contact avec les autres par le biais d’une association ou d’un club.

  • 3 On parle des régions « traditionnelles » ou « naturelles » du Burundi pour désigner ces entités car (...)

26Le fonctionnement concret de ces clubs laisse apparaître une certaine rivalité entre les différents clubs qui, apparemment, poursuivent les mêmes buts à savoir la promotion de la culture burundaise, mais qui ne veulent pas fusionner pour mener ensemble leurs activités. Cette rivalité s’observe également dans la tentative affichée de constituer des clubs folkloriques pour chaque province et région traditionnelle3 du Burundi. L’objectif avoué par les initiateurs de ces projets est de rendre compte des spécificités culturelles de chaque région, ce qui est un aspect positif à côté de bien d’autres raisons qui ne sont pas toujours révélées.

  • 4 Certaines affirmations que nous faisons ici relèvent de nos propres appréhensions. En effet, certai (...)

27La composition de ces clubs mérite une certaine analyse. Les responsables sont des jeunes femmes instruites. C’est elles alors qui recrutent les membres parmi leurs amis, connaissances, voisins, collègues de travail, voire des parentés. Si ces clubs ne sont pas exclusifs ou discriminatoires dans leur mode de recrutement, on comprend tout de même que les réseaux de connaissance ici comme ailleurs sont parfois mobilisés. Il est aisé de constater que ces clubs attirent beaucoup plus les jeunes qui, de la sorte s’imprègnent de la culture burundaise. Ainsi, ces clubs constituent des cadres de socialisation des jeunes à part entière4. Les faits sont encore une fois corroborés par l’intérêt que les jeunes disent porter aux associations à caractère culturel.

  • 5 Moulin R., L’Artiste et le Marché, Paris, Flammarion, 1992, p. 348.

28Si certains groupes culturels bénéficient de l’appui des pouvoirs publics de façon sporadique, nous savons qu’il y a d’autres acteurs (et surtout les jeunes) qui ont pu obtenir du ministère burundais de la jeunesse, des sports et de la culture un contrat de travail pour assurer la promotion de la culture burundaise à travers certaines activités comme la danse, la musique, etc. Ici, l’État devient pour les artistes « un fournisseur d’emplois, de ressources et de crédits réputationnels »5. C’est dans ce cadre institutionnel que des talents se développent et permettent de participer à des compétitions culturelles internationales. C’est dire que l’investissement dans des activités culturelles peut être une stratégie pour se faire engager et faire carrière dans des structures publiques.

Les nouveaux cadres de sociabilité des jeunes ou la prise en compte des nouvelles réalités

29Si la famille est restée pendant longtemps le seul cadre structurant la sociabilité des jeunes et des enfants au Burundi, elle se voit de plus en plus concurrencée par d’autres lieux sans doute moins structurés mais qui ne manquent pas d’influence sur l’éducation des jeunes. Ici, la manière dont les jeunes occupent leurs moments de loisirs peut nous servir de pistes de recherche sur cette socialisation des jeunes.

30Les transformations sociales, politiques, économiques observées à travers le monde sous le couvert de la modernité, entraînent pas mal de changements quant aux comportements des jeunes. Si dans la société burundaise traditionnelle, l’encadrement des enfants et des jeunes se faisait au sein des structures bien connues et sous la responsabilité des personnes adultes, de nouvelles attitudes rendent compte d’une certaine libéralisation des pratiques chez les jeunes qui susceptibles de rompre les liens verticaux de transmission du social. On assiste actuellement à la mise en place de nouveaux liens de sociabilité au sein des jeunes où l’apprentissage du social relève de leur propre expérience. Ces situations sont tellement nombreuses qu’elles ne peuvent pas échapper à l’analyse du processus de socialisation des jeunes.

Les jeunes et les jeux collectifs : anciennes pratiques pour de nouvelles finalités

31Les rencontres entre jeunes à l’occasion des jeux collectifs offrent un moment favorable pour leur initiation à la vie collective. Elles constituent un cadre d’apprentissage des réalités sociales dans lesquelles les jeunes manifestent l’intention d’apprendre par eux-mêmes.

32Par jeux collectifs, nous voulons signifier ces jeux d’ensemble auxquels les jeunes s’adonnent de façon spontanée ou organisée. Ils peuvent se dérouler tout près des lieux d’habitation comme ils peuvent se pratiquer loin de chez eux sur des espaces aménagés (les terrains de sport par exemple). L’investissement des jeunes dans ces jeux collectifs semble être lié à l’âge. Nous avons constaté que l’occupation par des jeux collectifs diminue au fur et à mesure que les jeunes avancent en âge. Ces jeux collectifs doivent être organisés et promus pour l’épanouissement des jeunes et des enfants. Ils contribuent en effet dans l’encadrement de ces derniers et dans la promotion même de la culture sportive.

33L’occupation des jeunes par des jeux collectifs varie également en fonction de la zone de résidence. À ce propos, on a constaté que c’est dans la zone de Kamenge où les jeunes sont plus nombreux à s’occuper avec ce genre de jeux. On est ici en présence d’un quartier populaire où les jeunes et les enfants se côtoient tout le temps et jouent ensemble soit dans les rues soit sur des terrains aménagés. Le jeu le plus souvent pratiqué est le football. Les responsables politiques et administratifs encouragent ces activités en organisant des rencontres sportives entre les différentes communes de la mairie de Bujumbura. Ces activités sont organisées dans le but de réconcilier les jeunes des différentes communes victimes de graves divisions à caractère ethnique. Cette stratégie permet aux jeunes de se retrouver après tant d’années de haine et de méfiance absolue les uns vis-à-vis des autres. Ce genre de rencontres remet les gens en confiance et nourrit l’espoir d’une cohabitation encore possible du moment que les jeunes peuvent jouer ensemble à travers tous les quartiers de la capitale et les centres de l’intérieur du pays. Au-delà de cet aspect purement sportif et culturel, les jeux collectifs permettent à certains individus d’afficher leurs talents et de susciter la sympathie et le soutien de quelques supporters ou autres bailleurs de fonds. Ainsi, la promotion des jeux collectifs peut être assurée par des initiatives privées par le truchement des financements octroyés ou des sponsors accordés.

34L’investissement dans les jeux collectifs varie aussi en fonction du sexe. En effet, l’enquête a révélé que les garçons s’occupent beaucoup plus que les filles avec les jeux collectifs à concurrence de 70,3 % contre 29,7 %. On comprend cela dans la mesure où la tradition burundaise ne permettait pas aux filles de s’exhiber publiquement alors que les garçons étaient autorisés à le faire. C’est pourquoi, les manifestations publiques, les rencontres sportives et les jeux collectifs étaient essentiellement réservés aux garçons alors que les filles devaient s’occuper des travaux domestiques.

Les jeunes et les visites aux amis : des moments de sociabilités parfois négativement connotés

35Les visites aux amis pour les jeunes sont une réalité relativement récente au Burundi. La notion d’amis elle-même est liée essentiellement à l’école, aux nouveaux lieux de sociabilité où les amis sont des camarades de classe, d’école, ceux avec qui on joue, on échange des cadeaux, des visites surtout pendant les vacances ou d’autres moments libres. Ceci dit, les visites auxquelles se livrent les jeunes s’inscrivent dans la modernité dans la mesure où elles relèvent des modes de vie ou d’organisation sociale différente de celles des structures sociales traditionnelles.

36Même si les jeunes s’adonnent en général aux visites aux amis, on voit que dans les milieux urbains les jeunes disposent de beaucoup plus de temps libre contrairement à ceux de la campagne qui sont toujours occupés par des travaux domestiques ou champêtres. C’est dire que les jeunes urbains s’approprient des loisirs qui y existent et qui deviennent parfois fondateurs d’une culture de la rue. On sait par exemple que les jeunes désœuvrés peuvent prétendre aller rendre visite à des amis alors que c’est une occasion de se défaire du contrôle des parents qui ne doivent pas savoir qui sont ces amis. C’est dans ces situations d’errance ou de déplacement sans destination pour les jeunes que se forment des nouvelles identités surtout en milieu urbain.

37L’âge aussi semble être une donnée importante dans la propension des jeunes à s’adonner aux visites aux amis ; ceux qui sont relativement avancés en âge s’occupent moins avec cette activité que ceux qui sont moins âgés. C’est dire qu’à partir d’un certain âge, généralement à partir de la vingtaine, les jeunes s’engagent de plus en plus dans la vie active. Ceux qui n’ont pas encore trouvé du travail font des contacts à gauche à droite pour le trouver ; ce qui réduit considérablement le temps de visiter les amis de manière désintéressée. Toutefois, si le taux de visite aux amis varie avec les lieux de résidence et l’âge, il laisse apparaître peu de différences entre les sexes. En effet, les filles sont aussi nombreuses que les garçons à occuper leurs moments libres avec des visites aux amis.

38Il faut noter aussi que ces visites doivent en quelque sorte être contrôlées et surveillées par les parents. En effet, dans un contexte social fait de beaucoup d’intrigues et où rien ne semble être laissé au hasard, ces amis auxquels les jeunes prétendent aller rendre visite devraient préalablement être connus et reconnus comme tels par les parents. De plus, en milieu rural, être souvent occupé à rendre visite aux amis, est parfois interprété comme un manque d’occupation, un désintéressement complet aux travaux domestiques et champêtres. Ainsi, quelques expressions sont connues au Burundi pour stigmatiser ou décourager le comportement des jeunes qui s’adonnent beaucoup aux visites aux amis. Dans ces conditions, on comprend que même si les visites aux amis ne sont pas formellement interdites, dans certains milieux, elles sont associées à des interprétations socialement peu valorisantes ou à des comportements peu valorisés.

Les jeunes et le théâtre et/ou le cinéma : un domaine en progression continue

39Ici, le théâtre et le cinéma renvoient à ces spectacles qui sont offerts au public et où on présente des pièces sur des thèmes aussi divers que variés de la vie courante comme l’amour, la prostitution, l’avortement, le SIDA, l’alcoolisme, le banditisme, la guerre, la corruption, etc.

40La fréquentation de ces lieux n’est pas très développée au Burundi mais nous avons voulu les signaler au regard de leur importance dans la constitution de la personnalité chez les jeunes surtout que les thèmes qui y sont abordés sont ceux-là même qui alimentent d’autres séances d’apprentissage du social. Ainsi, ces différents cadres de rencontre des jeunes sont analysés en tant que lieux de sociabilité et parfois de distraction. Ils semblent concurrencer, involontairement peut-être mais inévitablement, la socialisation traditionnelle qui était dispensée au sein des familles.

41Quelques maisons sont spécialisées dans la présentation des activités cinématographiques ou autres spectacles organisés au Burundi (et surtout à Bujumbura la capitale). Il s’agit essentiellement du Ciné Caméo (salle commerciale privée), du Centre culturel français (CCF) actuel Institut français au Burundi (IFB), du Centre Jeunes Kamenge et du Palais National des Arts et de la Culture. Ces activités sont le fait de quelques structures plus ou moins formelles telles que les troupes théâtrales, les associations mises en place pour la promotion des activités cinématographiques ou filmologiques qui sont encore à l’état embryonnaire au Burundi. Toutefois, quelques initiatives déjà prises méritent d’être mentionnées. On peut noter l’action de Léonce Ngabo auteur du film Gito l’ingrat et président du Festival du Cinéma et de l’Audiovisuel du Burundi (FESTICAB) 2010 ; une compagnie privée de production cinématographique et audiovisuelle, la création de l’Association Burundaise des Créateurs d’Images et du Son (ABCIS) en vue de mobiliser le public et les décideurs burundais autour de la production cinématographique. On peut noter aussi l’action de quelques troupes théâtrales comme Geza Aho (Arrêtez ça), Ninde? (Qui est-ce?), Tubiyage (Parlons-en), Umuco (la lumière), etc. dont les productions sont radiodiffusées et/ou télévisées. Toutes ces troupes emploient beaucoup de jeunes (garçons et filles) qui déploient leurs talents d’acteurs dans les spectacles et les émissions réalisés. Il faut préciser aussi que la production de ces troupes s’inspire largement du contexte sociopolitique burundais qui mobilise toute la population autour de la résolution pacifique des conflits, la réconciliation nationale, la lutte contre le VIH/SIDA, la cohabitation pacifique, la promotion des droits de l’homme, le retour des réfugiés, etc. Ce regain d’intérêt pour la production cinématographique et filmologique se concrétise par l’engagement et l’implication de plus en plus d’artistes inspirés par divers phénomènes de société observés au Burundi. C’est dans ce même cadre que le Festival du Cinéma et de l’Audiovisuel du Burundi (FESTICAB) a organisé en novembre 2011 la semaine du cinéma burundais à l’Institut Français de Bujumbura (IFB) et au Centre Jeunes Kamenge. Au cours de ces activités, plusieurs aspects de la réalité burundaise et les aspirations profondes de la population ont été révélés au public.

42Toutefois, même si le contexte burundais est riche en événements inspirateurs, on doit reconnaître que la production cinématographique et filmologique reste très peu développée et que les quelques initiatives déjà existantes sont elles-mêmes le fait de certains acteurs qui ont des contacts avec l’extérieur ou des ONG étrangères qui assurent leur financement. Ceci dit, une action de sensibilisation doit être menée auprès des acteurs publics et privés en vue de soutenir et d’appuyer ces activités artistiques et culturelles naissantes.

Conclusion

43L’étude des cadres de sociabilités des jeunes au Burundi révèle des faits et des réalités riches de signification et qui méritent une attention particulière. En effet, si certains cadres relèvent du processus classique d’apprentissage du social, bien d’autres sont le fait du contexte de démocratisation qui fait apparaître des acteurs différenciés et parfois rivaux. Leurs initiatives s’inspirent de l’impératif de nouvelles recompositions et exigences de la société moderne.

44Il en découle que les différents cadres de sociabilités de jeunes sont animés par une multiplicité d’acteurs engagés dans une perspective de redynamisation nationale sur fond de calculs intéressés. Ainsi, toutes ces structures, liées pour la plupart à la nouvelle dynamique sociopolitique, viennent s’ajouter aux anciennes instances de sociabilité qu’elles concurrencent parfois plus qu’elles ne complètent. En effet, elles apparaissent pour certains acteurs comme des mécanismes d’adaptation à la nouvelle dynamique sociopolitique en même temps qu’elles offrent des opportunités de réaliser des projets profitables à la fois aux bénéficiaires préalablement identifiés et à bien d’autres acteurs intentionnellement peu visibles.

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Bibliographie

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Notes

1 Propos de M. Claudio, Responsable du Centre Jeunes Kamenge.

2 Interview du coordinateur du CJK, le Père Claudio ; propos recueillis par E. Mbonyiyengo le 9 mai 1994.

3 On parle des régions « traditionnelles » ou « naturelles » du Burundi pour désigner ces entités caractérisées par des conditions géographiques et climatiques spécifiques. Ces entités géographiques sont suffisamment vastes (la taille d’une province ou plus mais le découpage ne suit pas celui des provinces). On distingue alors 11 régions naturelles ou traditionnelles au Burundi : Bugesera, Buragane, Bututsi, Buyenzi, Buyogoma, Bweru, Imbo, Kirimiro, Kumoso, Mugamba, Mumirwa.

4 Certaines affirmations que nous faisons ici relèvent de nos propres appréhensions. En effet, certains membres de ces clubs nous sont connus. Par ailleurs, les émissions culturelles qui passent souvent à la télévision burundaise font état de leurs talents.

5 Moulin R., L’Artiste et le Marché, Paris, Flammarion, 1992, p. 348.

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Pour citer cet article

Référence papier

Nicolas Hajayandi, « La sociabilité des jeunes comme mécanisme d’adaptation et de promotion des acteurs »Les Cahiers d’Afrique de l’Est / The East African Review, 46-2 | 2013, 135-149.

Référence électronique

Nicolas Hajayandi, « La sociabilité des jeunes comme mécanisme d’adaptation et de promotion des acteurs »Les Cahiers d’Afrique de l’Est / The East African Review [En ligne], 46-2 | 2013, mis en ligne le 07 mai 2019, consulté le 10 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eastafrica/426 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/eastafrica.426

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Auteur

Nicolas Hajayandi

Politologue, maître de conférences, Université du Burundi, travaille sur la socialisation des enfants et des jeunes au Burundi et dans la région des Grands Lacs.

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Droits d’auteur

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