1L’évolution historique des pays de la région des Grands Lacs africains connait depuis la décennie 1990-2000 une série de crises politiques dont les effets et les faits se répercutent dangereusement sur les groupes vulnérables, parmi lesquels un accent particulier doit être mis sur le cas des enfants. En un résumé rapide sur les causes lointaines et immédiates de la crise, nous pouvons affirmer que cette dernière, du moins pour le cas du Rwanda, puise ses origines dans l’histoire politique et sociale lointaine et récente du pays. En effet, la cohabitation conflictuelle entre les groupes sociaux de ce pays a abouti en 1990 à l’éclatement du génocide qui, comme on le sait, a déplacé, désorganisé, déstructuré et dérangé fortement la vie de la région entière. Ainsi des familles entières se retrouvent encore en exil au Congo démocratique, en Tanzanie, au Kenya et même plus loin en Zambie, au Gabon, ou encore au Congo Brazzaville. Dans le contexte d’un conflit, habituellement, les enfants et autres groupes faibles comme les filles et les femmes en général, les femmes enceintes, les vieillards et les personnes à mobilité réduite payent toujours un lourd tribut, ceci diversement. Soit les enfants sont enrôlés comme soldats, porteurs ou main-d’œuvre servile (Afuan Twum-Damso, 2003 : 25) etc. Ces activités, outre qu’elles sont contraires aux droits de la personne humaine, sont aussi un obstacle à l’éducation, la santé, l’alimentation de l’enfant. Dès lors se posent des questions complexes et multiples. La crise est-elle le fruit de la tradition compromise ou est-elle le résultat des politiques mal gérées ou incomprises. Si c’est le cas, qu’est-ce qui doit être fait pour lier les deux pans de l’histoire afin d’éviter de compromettre la vie de l’enfant et lui rendre ses droits ? De ce point de vue, la présente communication se veut être une ébauche de la situation des enfants comme acteurs sociaux précaires et vulnérables en examinant le contexte et les enjeux d’une telle situation dans le pays, mais nous voulons aussi faire le point sur les grandes avancées en matière de droits de l’enfant. Notre hypothèse principale est que la situation sociale des enfants est une donnée chronique de l’histoire politique compromise et, comme sous-hypothèse, nous adoptons que pour calmer la situation, le pays s’engage sans avoir les moyens de ses actions dans une évolution socioéconomique qui ne permet pas le plein recouvrement ou la protection des droits de l’enfant.
2Analyser cette situation pose une série de problèmes complexes qui tiennent surtout à la rareté de la documentation ou de l’information. Ainsi les sources principales utilisées sont d’origine médiatique ou officielle à travers les documents politiques, les rapports de consultance ou de travail de la recherche-action des ONG et d’associations caritatives, ainsi que la documentation écrite par les anthropologues comme J.-J. Maquet. A. Kagame ou plus récemment P. Erny… La critique à faire est que cette documentation pèche respectivement par faiblesse d’analyse, mais aussi par caducité et vieillesse de données. Aussi l’observation ou l’interview suppléent grandement à cette carence de l’information actualisée. L’analyse s’appuie pour commencer sur une mise en perspective historique dans laquelle nous examinons la place et le rôle de l’enfant dans la coutume du pays.
3Sur le plan universel, dans la plupart des instruments internationaux et nationaux, les enfants sont définis comme des filles et garçons jusqu’à l’âge de 18 ans. En effet, l’âge de 18 ans est généralement accepté comme l’âge de la majorité bien qu’il existe des exceptions juridiques dans tous les pays, par exemple, l’âge légal du mariage, l’âge auquel on peut faire un testament ou donner son consentement au traitement médical. En Afrique du Sud, un enfant peut donner son consentement au traitement médical, tel que le test de dépistage du VIH, sans le consentement parental, dès l’âge de 14 ans. Au Sri Lanka, les lois Kandyan et Musulmane régissent l’âge minimum du mariage : une fille de 12 ans peut se marier avec le consentement parental. En Éthiopie, un mineur peut faire tout seul un testament dès l’âge de 15 ans.
4Au Rwanda, la Constitution définit l’enfant comme toute personne âgée de moins de 18 ans (République du Rwanda : 2003). Selon le recensement général de la population de 2002, 67 % de la population du Rwanda ont moins de 20 ans et les enfants sont perçus comme un don de dieu ; avoir une grande famille constitue un privilège et une force. Mais le portrait démographique de la nation est altéré en raison des pertes humaines dues à l’hécatombe de 1994 et, ces derniers temps, les enfants n’ont toujours pas entièrement accès à leurs droits, même si les campagnes de sensibilisation et les politiques de protection du gouvernement placent maintenant la question des droits de l’enfant au premier rang des priorités. Ainsi, le gouvernement a mis en place de nombreux programmes et de multiples politiques pour restaurer la paix, rassembler les familles afin de créer un cadre socio-politique viable pour l’épanouissement humain. Les tribunaux populaires Gacaca et les agglomérations de base Imidugudu sont parmi ces réalisations destinées à ressouder le tissu social déchiré par la guerre et le génocide. Aussi compte tenu des séquelles des événements tragiques, la plus grande préoccupation du pays semble être la situation des enfants vulnérables et orphelins. En effet, en raison du génocide, de la pauvreté et du sida, il est estimé qu’il existe 825 000 orphelins au Rwanda, et que deux millions d’enfants sont en situation de vulnérabilité (UNICEF : www.unrwanda.org). D’autres paramètres militent en défaveur de l’évolution saine de l’enfant dans ce pays. D’une part le pays connaît une importante croissance démographique du fait d’un indice synthétique de fécondité par femme estimé à 5,8 enfants par femme en 2000 (MINECOFIN : 2003). D’autre part le retour de près d’un million de personnes exilées pendant le conflit accentue cette situation par suite de l’instabilité familiale et ses effets induits sur la survie des enfants pour un pays à économie fragile. De plus cette pression démographique, conjuguée à l’érosion des sols, place le Rwanda devant un défi majeur lié à l’insuffisance de terres cultivables et viables pour un pays à plus de 85 % agricole. Ceci a d’ailleurs conduit le gouvernement, en septembre 2008, à entamer des discussions afin d’élaborer une politique de contrôle de la natalité qui limiterait à trois le nombre d’enfants par famille. Mais ces discussions ont semé la controverse parmi la population qui rejette l’ingérence de l’État dans la sphère privée familiale. Toutefois, une croissance démographique qui n’est pas suivie d’une croissance économique met toujours en situation dangereuse l’avenir des enfants sur tous les plans, éducatifs, sanitaires, alimentaires, sécuritaires etc., ce qui accroît par la même occasion leur vulnérabilité.
5Il existe de multiples termes utilisés pour définir les enfants vulnérables. Ces termes regroupent notamment les enfants affectés par le SIDA (EAPS), les enfants et les adolescents affectés par le SIDA (EAS, terme utilisé au Cambodge) ; EED les enfants en détresse (terme utilisé souvent en Afrique du Sud) ; les enfants dans des circonstances extrêmement difficiles (ECED, terme utilisé au Zimbabwe et auparavant par l’UNICEF) ; les enfants dans des circonstances difficiles (utilisé en Zambie) ; les enfants ayant besoin de protection spéciale (EABPS, utilisé au Kenya) et les enfants de famille séparée (utilisé dans le cadre d’une recherche récente de la Tanzanie) ou encore ce qu’on appelle ces derniers temps les enfants soldats en Afrique des Grands Lacs. Au Rwanda, le terme « enfant vulnérable » regroupe les enfants orphelins des parents suite aux circonstances diverses comme la mort simple, le génocide de 1994 mais également les enfants chefs de ménage par suite de causes diverses comme le SIDA ou la guerre, les enfants maltraités en famille, les enfants de la rue par suite de cause diverses, la main-d’œuvre domestique… qui corrrespondrait à la définition suivante :
« A vulnerable child is a person under the age of 18 years who is exposed to conditions which do not permit her/him to fulfill their fundamental rights for harmonious development. In Rwanda, vulnerable children are defined as those who are :
Children living in households headed by children
Children in fostering care
Children living and/or working on the street
Children living in centres
Children in conflict with the law
Children with disabilities
Children affected by armed conflict
Children who are sexually exploited and/or abused
Children who work
Children affected by HIV&AIDS, or HIV positive
Infants with their mothers in prison
Children in very poor households
Refugee and displaced children
Children of single mothers
Children who are married before they legally become adults. » (Smart : Ibid.)
6Ces catégories incitent à plus de réflexion quant à la vulnérabilité, le statut et la vie des enfants dits vulnérables. Ainsi se posent les questions complémentaires suivantes : leur vulnérabilité se définit par rapport à quoi ? Quelles sont les conditions actuelles de vie des enfants ? Quels sont les obstacles auxquels on se heurte pour une bonne prise en charge de ces enfants ? Quelles sont les mesures ou les politiques mises en œuvre pour endiguer cette vulnérabilité ?
7La vulnérabilité se définit par rapport aux coutumes et aux droits politiques et sociaux modernes des enfants comme partout ailleurs : il est donc intéressant de savoir ce que la coutume et la législation consacrent en matière de droit des enfants. On a souvent affirmé, avec raison, que pour le Rwandais moderne et ancien, l’enfant représente la valeur la plus élevée, la richesse la plus estimée, la manifestation de la vie en ce qu’elle a de plus essentiel. Sa venue et sa croissance rythmaient d’un bout à l’autre l’existence même du ménage : ainsi l’alliance des deux familles conclue au mariage s’en trouvait renforcée ; de même la maternité libère la femme de l’angoisse de la stérilité et lui confère la plénitude de son statut : honneur et joie pour la famille, les enfants sont pour une épouse le gage de l’affection du mari, de l’estime et du respect de l’entourage. Grâce à l’enfant, la vie continue bien et on est assuré d’avoir accompli son devoir fondamental, avec l’espoir de jouir un jour d’une vieillesse heureuse et d’une sépulture digne, de pouvoir léguer ses biens à l’intérieur de la famille, de laisser sur terre une trace vivante, de survivre dans le souvenir de quelqu’un ou dans le nom que portera un descendant.9 L’enfant apporte avec lui pouvoir, prestige, force, richesse, considération, sécurité, réputation ; il constitue selon P. Erny le placement le plus sur et constitue pour le lignage une façon de se perpétuer en compensant les ravages éventuels causés par une mortalité qui surviendrait. La sagesse populaire, dans ses nombreux adages, stipulait ceci : « Le seul contrepoids de la mort, c’est de procréer » (Erny : 2005). Pour A. Kagame ou J.-J. Maquet, mourir sans progéniture représentait non seulement un échec social mais aussi métaphysique.11 Certes le sexe importait peu, mais avoir un garçon représentait quand même, dans une société patriarcale, une nécessité ontologique car les descendants mâles pouvaient perpétuer le lignage et assurer un culte correct aux ancêtres dont la veille sur les vivants est vital à plus d’un titre. Ainsi une femme qui n’a eu que des filles courait le risque de se voir répudier ou de se voir associer une coépouse. Ce désir ardent d’avoir des enfants se traduit au quotidien par des formules de salutation, de souhait, de bénédiction, de remerciement, de demande de pardon, de serment, mais aussi de malédiction : « Que tu aies des enfants, que tu n’en perdes aucun », ou en sens inverse, « que tu meurs sans enfants, que tu n’aies jamais à te servir de la peau ». Bref l’enfant est le roi du logis, quelqu’un que tous n’ont pas le bonheur de posséder, qui est fragile comme l’eau, qui marche en traînant le ventre et doucement.
8Ces formules donnent de l’importance et du poids aux parents et aux enfants en droit coutumier rwandais à tel point qu’on peut s’imaginer ce que représentait une situation catastrophe à caractère précaire, vulnérable ou asocial comme être orphelin, être handicapé, être malade même ou connaître une situation différente de ce que la vie en communauté est censée être. Il en est de même des situations perçues comme anormales. À titre d’exemple, les naissances gémellaires n’étaient pas bien vues : à leur naissance, on devait consulter pour cela le devin pour voir comment échapper à de funestes conséquences ; celui-ci leur donnait une purge sans quoi les parents étaient frappés d’ostracisme. Plus grave, les enfants adultérins, albinos, hermaphrodites étaient tout simplement mal vus et quelquefois écartés de la famille, voire tués précocement pour ne pas apporter du malheur. En revanche l’aîné de la famille revêtait une importance particulière car on attendait de lui une aide dans l’éducation de ses frères et sœurs ; on dit qu’il a vu le soleil pour ses frères et sœurs. Ainsi il est l’égal de son père, et doit être bien éduqué dès son jeune âge pour ne pas gâcher la vie de ceux qui vont suivre (Erny : Ibid.)
9Les conditions actuelles de vie des enfants au Rwanda se sont détériorées ces dernières années suite au contexte politique en rapport au génocide et à ses effets induits sur la survie des familles. En effet, les antagonismes sociaux entre les différentes catégories sociales ont abouti en 1990 à l’éclatement de la guerre qui s’est soldée en 1994 par le génocide. Par ailleurs, depuis 1990, des cohortes entières d’enfants se sont fait enrôler, de leur propre gré ou par force, dans des groupes armés ou les milices. Ainsi l’association d’enfants aux conflits armés commence au début des années 1990, à l’aube du conflit génocidaire de 1994. Les vagues de violences ont causé la mort de plusieurs personnes et le recrutement d’enfants et 2 364 enfants se retrouvent associés aux Forces armées rwandaises au sortir des conflits de 1994 ; ces derniers ont été réinsérés dans leur famille et dans leur communauté et ont eu la possibilité de recevoir une éducation gratuite jusqu’au niveau universitaire (MIFOTRA, 2007 : 10). À côté de cet enrôlement, des pratiques de maltraitance liées au contexte du conflit ont accentué et fragilisé une situation sociale déjà affaiblie par le conflit.
10À la suite du génocide, la situation des droits de la personne représente donc une question centrale pour le pays, imposant une nouvelle définition et une classification des enfants vulnérables, OVC. Dans le Vulnérable Child Report, Participatory Approach in Defining Vulnerability Criteria for Orphans and Vulnerable Children in Rwanda, les auteurs Dushimimana, Bizimana, Ntahobakulira et Nyirazinyoye distinguent:
Category A: Children at high risk of vulnerability (MIGEPROF: 2008)
-Children from families with unsafe housing that cannot protect them from bad weather
-Children from families without enough land and/or employment or other sources of reliable and sufficient income
-Children from child-headed households
-Children living in households with a single adult (widows and widowers, divorced/separated persons who are not remarried or are not living with another adult, single parents/caregivers, and the elderly), as well asfamilies that have been brought back together after the trauma of separation
-Children whose parents/ caregiversfight
Children whose parents/caregivers fail to fulfill their duties towards their children because of other factors (e.g., alcohol abuse, lack of desire to care for the child, etc.)
-Children with one or more parents/caregivers who suffer from chronic or intermittent poor health, including those who are physically or mentally disabled -Children who have one or more parents/caregivers HIV positive
Category B: Clinically vulnerable children (Ibid.):
-Malnourished children
-Children with problems related to education (not in school, poor attendance, drop-outs, poor performance)
-Children sufferingfrom chronic or intermittent poor health
-HIV positive children
-Children who are emotionally traumatised
-Children who are sexually or otherwise physically or emotionally abused
-Children who live or work on the street, including children involved in sex work
-Children who abuse alcohol or drugs
-Girls who are teenage mothers
11Mais nous devons ajouter à cet inventaire des situations objectives des catégories qui relèvent de situations, de discriminations particulières.
12Dans le cas des enfants illégitimes, comme pour les autres groupes étudiés, la vulnérabilité s’entend dans le contexte de discrimination en rapport à leur statut social. Il existe un code de mariage et de la famille qui est censé réguler les unions maritales: un mariage illégitime donne un enfant illégitime ou adultérin et les enfants d’une femme célibataire ou d’une fille mère ou un enfant né hors mariage sont considérés comme illégitimes. Le Comité des droits de l’enfant, dans ses observations finales, note avec inquiétude que les enfants nés hors-mariage ne bénéficient pas de la pleine jouissance de leurs droits. De même, les enfants conçus à l’issue d’un abus sexuel lors du génocide sont fortement discriminés ; ils sont parfois surnommés « enfants de la haine », « enfants des ennemis » ou « enfants de démons ». Ces enfants vivent une situation très difficile étant donné les traumatismes laissés par ces violences; ils sont ainsi régulièrement discriminés par la communauté, mais aussi par leur mère qui voit en eux les descendants des génocidaires, ce qui rappelle des souvenirs douloureux. Ils sont aussi victimes de discrimination de la part des autres enfants et des enseignants à l’école (MIFOTRA : op.cit.). En effet, pendant la guerre, les enfants issus de groupes ethniques différents ont été considérés comme racialement impurs, des gens à la citoyenneté douteuse et ambiguë. De ce fait, le mariage avec une femme tutsi par exemple a été noté avec une forte charge d’ambivalence psychologique et sociale. Ceci préfigurait le sadisme et la deshumanisation avec laquelle les viols seront commis. On peut ainsi s’imaginer le sort de ces enfants actuellement dans la communauté post-conflictuelle (Taylor : 1999).
13Dans le cas des enfants issus des milieux urbains et ruraux, il s’agit davantage d’une inégalité face à l’accès et la qualité des services sociaux de base disponibles, que d’une discrimination ouverte. Par exemple, selon l’Institut National de la Statistique, les populations urbaines ont un meilleur accès à l’eau potable de qualité dans une proportion de 92 % contre 56 % en milieu rural, et à des installations sanitaires pour 56 % d’entre eux contre 38 %. Par ailleurs il est mentionné par différents organismes que des discriminations basées sur le milieu de vie existent, mais aucune information précise n’est disponible afin de déterminer comment elles se traduisent, combien de personnes en sont victimes et quelles sont les actions menées pour améliorer la situation (MIFOTRA : op.cit). Les enfants issus des milieux ruraux sont appelés « abaturage », en langue nationale « les campagnards », non civilisés. Consciente de ces réalités socio-anthropologiques, la Commission pour l’élimination des discriminations envers les femmes a soumis en mai 2008 une série de questions au gouvernement, dont plusieurs concernent la situation des femmes et des enfants en milieu rural et la situation de la population « pygmoïde twa », ce qui confirme qu’il existe bel et bien des formes de discrimination, même si l’information n’est pas disponible (Ibid.).
14En la matière, la loi fondamentale du pays est claire en ceci qu’elle s’oppose à toute forme de discrimination. Ainsi dans ses textes d’application, la Loi n° 29/2006 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant la Loi n° 34/2001 du 5 juillet 2001 sur les réfugiés (Loi sur les réfugiés) stipule que les réfugiés doivent être traités sans aucune discrimination. Il n’y a pas d’information pertinente permettant de conclure à l’existence d’une discrimination des personnes réfugiées, mais encore une fois, il s’agit plutôt d’un accès inégal aux services de base disponibles dans les camps. Par exemple, l’éducation reçue dans les camps n’équivaut pas à celle offerte dans les écoles publiques en dehors de ces camps. Dans ses observations finales de 2004, le Comité des droits de l’enfant recommandait à l’État de garantir l’ensemble des droits prévus par la Convention des droits de l’enfant, indifféremment à tous les enfants sous sa responsabilité, et de privilégier les services sociaux tournés vers les plus vulnérables et les enfants marginalisés. Pour les quelques enfants qui ont accès aux écoles rwandaises en dehors des camps, les familles déplorent qu’une fois de retour dans leur pays, les enfants réfugiés n’auront pas reçu la même éducation que les autres enfants, en raison d’un curriculum d’enseignement différent19 : ceci est particulièrement vrai pour les camps des refugies zaïrois de Gihembe, Nyabihekeet Karongi respectivement au nord, à l’est et à l’ouest du pays. De plus, les écoles accessibles aux réfugiés sont parfois très éloignées des camps, et les familles sont inquiètes devant les dangers potentiels d’enlèvements et d’agressions sexuelles. De plus, bien qu’il n’y ait pas officiellement de populations déplacées internes au Rwanda, certaines ONG relatent des cas de familles qui sont appelées à se déplacer à la suite de l’expansion urbaine, notamment à Kigali. Par exemple, dans le quartier urbain de Kiyovu, près de l’Église Sainte-Famille à Kigali, des familles avec un total de 131 enfants sont déplacées de juillet à septembre 2008 en raison d’un projet d’expansion urbaine (MIFOTRA : op. cit.). En plus d’empêcher certains ménages de poursuivre leurs activités économiques, ce déplacement a interrompu ou du moins compromis la scolarité de plusieurs enfants
15Enfants de la rue, enfants abandonnés, enfants délinquants, jeunesse violente… Telles sont les appellations communément données à cette jeunesse déshéritée. Ces enfants sont de provenance diverse, soit abandonnés par les familles pauvres, monogames ou bigames, soit délinquants en mal de poursuivre normalement leur scolarité, soit des enfants chefs de ménage, soit des orphelins non encadrés, etc. Leur commun dénominateur est qu’ils ont érigé leur demeure dans les égouts, les caniveaux, les bois ou les parcs des agglomérations urbaines. La catégorie enfant de la rue tombe dans l’optique des enfants désœuvrés et violents : en ville, ils vivent en marge de la société, attaquent les passants, subtilisent les sacs ou autres objets de valeur, consomment de la drogue. Pourtant les problèmes de survie rencontrés les incitent à se chercher une occupation semblable à du travail mal choisi et non-classé. En effet, le travail des enfants est une réalité dont l’ampleur est importante au Rwanda. Considéré comme facteur de socialisation, il soulève la problématique de la participation des enfants à l’animation de la vie socioéconomique de leur ménage, voire du pays. En ce qui concerne les activités économiques exercées par les enfants, selon l’INS, les enfants de 5 à 17 ans effectuant des activités économiques sont estimés à 324 659, soit 11,2 % de l’ensemble de cette classe d’âge. Presque la moitié d’entre eux (5,3 % des enfants de 5 à 17 ans) travaillent à plein-temps et le reste combine travail et école. Dans un travail de recherche fait par l’INS commandité par le mnistère de la Fonction publique et du Travail, MIFOTRA, la Province de l’Est est la plus concernée par le recours à la main-d’œuvre infantile car 15 % des enfants de 5 à 17 ans y sont économiquement occupés. La Province de l’Ouest vient en seconde position avec 12,3 %, puis la Province du Sud 10,7 %. La Ville de Kigali est la moins concernée par les activités économiques des enfants avec une proportion de 6,7 %. Cependant, c’est seulement dans cette ville que l’activité économique des filles est la plus importante. Selon l’ENTE, l’Enquête Nationale sur le Travail des Enfants, 14,8 % des enfants âgés de 5 à 17 ans apparaissent « inoccupés » c’est-à-dire ni économiquement occupés ni scolarisés. Par rapport au sexe de l’enfant, on compte plus de garçons inoccupés que de filles, sauf dans la ville de Kigali où environ 15 filles contre 12 garçons sont « inoccupées » sur 100 enfants de même sexe. En tenant compte des Provinces, celles du Nord et de l’Est sont les zones où les proportions d’enfants « inoccupés » sont les plus faibles respectivement 12,5 % et 11,5 %. Par contre au Sud et à l’Ouest, le taux est assez élevé, respectivement de 17,4 % et 17 %. Il est à noter que la grande majorité des enfants accomplissent des activités ménagères (83,6 %) mais les Provinces du Nord et du Sud enregistrent les taux les plus élevés (87,9 % et 84,2 % respectivement). Notons que les enfants scolarisés consacrent moins de temps aux tâches ménagères que ceux non scolarisés (13 heures contre 20 heures par semaine). Aussi la vulnérabilité des enfants non scolarisés s’accentue avec les tâches ménagères (MIFOTRA : op.cit.).
16L’agriculture est le secteur qui emploie le plus grand nombre d’enfants (79,3 %), les services viennent en seconde position avec 12,6 % alors que le secteur industriel n’occupe que 3,5 % des enfants occupés économiquement. Il est à noter que le secteur des services est principalement constitué des services domestiques et du commerce. En cela, la domesticité enfantine revêt des proportions inquiétantes surtout dans la Ville de Kigali ou 49,5 % des enfants économiquement occupés y travaillent. Particulièrement, la proportion des filles dans les services domestiques est presque deux fois plus importante que celle des garçons. La main-d’œuvre enfantine est, dans sa majorité, employée dans les travaux familiaux non rémunérés (64 %), et ces travailleurs familiaux non rémunérés sont principalement localisés dans la Province du Sud où 77,9 % des enfants occupés ont ce statut. Le principal lieu de travail des enfants économiquement occupés est la plantation de thé (69,9 %) et les enfants occupés dans les plantations sont plus nombreux dans le groupe d’âge de 10 à 15 ans (74 %). Le second lieu est la maison. Les enfants consacrent en moyenne 24 heures par semaine dans les activités économiques. Toutefois, dans la tranche d’âge de 16 à 17 ans, les enfants qui travaillent uniquement exercent 37 heures par semaine tandis que ceux qui allient travail et étude en même temps consacrent 11 heures par semaine aux activités économiques. Selon toujours le même rapport, les résultats montrent que 6,6 % des enfants âgés de 5 à 17 ans sont astreints au travail des enfants « à abolir », soit 190 395 individus. À Kigali, la plupart des enfants occupés économiquement (83,1 %) effectuent des travaux à abolir et la proportion des filles y est supérieure à celle des garçons concernés de la tranche d’âge (6,7 % contre 4,6 %) contrairement à la tendance prévalant dans les Provinces. En outre parmi les enfants économiquement occupés de 5 à 17 ans, 20,2 % effectuent des travaux dangereux, soit 65 628 enfants. Ce phénomène est plus accentué dans la Ville de Kigali avec 60,4 % des enfants économiquement occupés qui y sont impliqués. Le secteur de l’industrie apparaît comme le plus dangereux en ce sens que le travail à abolir exercé par la plupart des enfants (95,4 %) dans cette branche d’activité est répertorié dangereux selon les textes nationaux en la matière. Viennent ensuite l’exercice de services domestiques (71,5 %), celui des autres services (53,9 %), le commerce (38,7 %) et l’agriculture (24,1 %). Quant à la durée du travail, elle est en moyenne de 30 heures par semaine chez les enfants de 5 à 17 effectuant des travaux « à abolir ». Dans le secteur des services, le travail des enfants dure tout autant que celui des adultes (42 heures par semaine). Dans la Ville de Kigali, la durée moyenne du travail des enfants est la plus élevée avec 53 heures par semaine. Il va sans dire que cette situation affecte le travail scolaire des enfants en général a plus d’un titre. D’après la même enquête, le taux de fréquentation scolaire varie selon que les enfants sont économiquement occupés ou non ; il est plus faible chez les enfants effectuant un travail à abolir comparé aux autres enfants non concernés (57,1 % contre 88,6 %). Ce taux diminue à mesure qu’augmente leur âge (MIFOTRA : Ibid.).
17En général le travail des enfants a une influence négative sur la scolarisation des enfants. C’est dans la ville de Kigali que le taux de fréquentation scolaire des enfants effectuant un travail à abolir est le plus faible avec 17,2 % par rapport aux Provinces. Cela pourrait s’expliquer par la prédominance du secteur des services dans la zone la plus urbanisée du pays. En revanche l’exécution des tâches ménagères semble ne pas avoir une influence négative sur la scolarisation des enfants effectuant un travail à abolir. Cependant, soulignons que chez les enfants effectuant un travail à abolir, le taux de fréquentation scolaire diminue à mesure qu’augmente leur âge, qu’ils effectuent des tâches ménagères ou non. Parmi les raisons invoquées qui motivent la non-scolarisation des enfants effectuant un travail à abolir figure en premier le manque de moyens financiers des ménages, en particulier dans la Province du Sud ; en second, le fait que la famille ne favorise pas la scolarisation, principalement les filles qui se voient contraintes d’aider à la maison avec les tâches ménagères. Ici les problèmes liés au genre et la pauvreté se combinent pour justifier cet état de choses.
18Depuis la création de la Commission nationale des droits de l’homme en 1999, le gouvernement effectue un travail constant pour améliorer la situation des droits de la personne. À la suite d’un processus de consultation sur la réconciliation nationale auprès de la population en 1999, le pays a mis en place la Commission nationale pour l’unité et la réconciliation, laquelle comporte, entre autres, des départements d’éducation civique, de consolidation de la paix et de gestion de conflits. Ces réformes constituent des mesures préventives pour garantir la paix et la sécurité, en endiguant pour le cas des enfants les sources de vulnérabilité.
19Une étude d’impact de ce programme menée en 2005 par l’organisation indépendante, l’Institute for Justice and Reconciliation, révèle que 72 % des personnes sondées estiment que le Rwanda a changé depuis le génocide de 1994, que 79 % disent avoir une bonne ou très bonne compréhension du processus de réconciliation nationale. Mais le pays reste très marqué par le génocide de 1994 et les conséquences continuent inévitablement d’affecter les enfants dans ce pays à divers degrés. En conséquence du génocide, de la pauvreté et du sida, on a vu plus haut qu’on estime qu’il existe 825 000 enfants orphelins au Rwanda, et que deux millions d’enfants sont en situation de vulnérabilité suite au retour de près d’un million de personnes exilées pendant le conflit. Par ailleurs le Rwanda a ratifié les deux Protocoles facultatifs à la CDE concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, et concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés en 2004. Toutefois, le pays émet certaines réserves à propos de ce protocole concernant les enfants associés aux forces et aux groupes armés ; il précise que, même si l’âge minimum de recrutement volontaire est de 18 ans, celui-ci ne s’applique pas pour l’inscription dans les écoles sous contrôle militaire ; ainsi les élèves de ces établissements sont considérés comme membres des forces armées.
20Dans ses observations finales de 2004, le Comité des droits de l’enfant accueille favorablement les mesures prises par le Rwanda en accord avec cet organe, telle que l’adoption de la Constitution de 2003 (Le préambule de la nouvelle Constitution de 2003 rend explicite l’intégration de la CDE dans la législation nationale et plusieurs articles respectent les droits des enfants conformément aux exigences du Comité des droits de l’enfant, particulièrement les articles 27 et 28, dont certaines dispositions concernent directement les droits de l’enfant), l’adoption de la Loi n° 27/2001 relative aux droits et à la protection de l’enfant contre les violences (Primature, journal officiel : loi relative aux droits et à la protection de l’enfant contre les violences), l’initiative Vision 2020, la création de la Commission des droits de l’homme en 1999 et la ratification de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant en 2001. Le Comité souligne de plus l’impact positif de l’adoption de normes nationales et internationales, notamment en ce qui concerne les politiques nationales de santé pour les orphelins et les autres enfants vulnérables, la Convention 182 de l’OIT relative à l’interdiction des pires formes de travail des enfants, ainsi que la ratification des deux Protocoles facultatifs à la CDE. En revanche, le Comité note que les conditions socio-économiques se sont largement détériorées depuis 1994, et que les séquelles du génocide affectent grandement la vie des enfants. En conclusion le Comité est notamment préoccupé par l’absence d’un plan d’action national concernant les enfants.
21Depuis ces recommandations du CDE, le gouvernement et la société civile sont intervenus activement pour améliorer la situation de nombreux enfants, notamment auprès des enfants orphelins et vulnérables, des enfants vivant dans la rue, des enfants atteints d’un handicap et des enfants en conflit avec la loi. Des lois nationales ont été mises en vigueur pour assurer une meilleure protection de certaines catégories d’enfants vulnérables, mais il n’en demeure pas moins que, tel que conseillé par le CDE dans ses observations finales, il devient important de promulguer rapidement un code de protection de l’enfant plus exhaustif. D’autres initiatives et politiques publiques sont à signaler. Le MIGEPROF, ministère du Genre et de la Promotion de la Famille a instauré un Programme National de l’Enfant (PNE). Par ailleurs, la Commission nationale des droits de l’homme, mise en place en 1999 dans un mouvement de rétablissement des droits de la personne à la suite du génocide, est chargée également d’examiner et de dénoncer les violations des droits de la personne commises par qui que ce soit sur le territoire rwandais, particulièrement par les organes de l’État et/ou par des individus sous le couvert de l’État. De plus le Conseil national de la jeunesse du Rwanda s’assure, à travers sa Commission aux juniors, que les droits des enfants sont respectés. Sous l’égide de la Commission nationale des droits de la personne, un observatoire des droits de l’enfant a été mis sur pied en 2006, tel que recommandé par le Comité des droits de l’enfant. L’observatoire est chargé d’assurer et d’évaluer la mise en œuvre des droits de l’enfant, de prévenir leurs violations et d’entreprendre un plaidoyer pour encourager leur respect. D’une façon plus générale, la stratégie de réduction de la pauvreté du gouvernement, menée en partenariat avec plusieurs agences des Nations Unies, pour la période 2008-2012, prévoit les lignes directrices de plusieurs politiques qui auraient un impact sur le développement de l’enfant. Cette stratégie vise plusieurs objectifs, parmi lesquels l’atteinte de l’éducation pour tous, une plus grande participation des enfants dans les processus décisionnels et une meilleure protection des enfants contre le VIH/SIDA. On peut citer aussi l’initiative du congrès des enfants qui en est à sa septième version en 2012 (MIGEPROF : op. cit.).
22Cette politique est relayée par la communauté internationale. Ainsi les Nations Unies pilotent aussi une initiative intitulée « Unis dans l’action » (PNUD : 2008) depuis janvier 2008, où huit agences coordonnent leurs activités et tentent d’harmoniser leurs budgets, la logistique et les ressources humaines afin de rendre leurs efforts plus efficaces. Trois de ces agences ont mis en place un sous-groupe de travail sur les droits de la personne en 2008, pour permettre une meilleure coordination des activités avec le gouvernement et une application transversale des droits de la personne dans les activités des Nations Unies au Rwanda. De même, l’UNICEF rappelle que les programmes de développement orientés vers les enfants se doivent d’être menés en collaboration avec les différentes agences concernées pour être efficaces, d’autant que la société civile et les organisations à caractère religieux nationales et internationales, dont la présence ne cesse de croître depuis la fin du génocide, jouent un rôle prépondérant auprès des enfants. Celles-ci effectuent un travail important, en collaboration avec la communauté internationale, auprès des enfants orphelins et vulnérables, notamment par le biais de mécanismes de remplacements communautaires. Par exemple, un groupe de 35 centres pour handicapés est géré principalement par un collectif d’œuvres et d’associations caritatives qui collaborent et échangent de l’information. Toutefois certaines organisations, qui travaillent dans le domaine des droits de la personne, expriment cependant une crainte d’être perçues comme ayant un parti-pris religieux ou politique, ce qui empêche certains membres de la communauté de s’investir sans réserve à leurs côtés. Parmi ces ONG, on peut citer sur le plan international Save the children, Compassion international, HAGURUKA, Handicap international, Enfants du monde etc. Sans être directement impliqués dans la gestion de la question de droits de la personne humaine et des enfants en particulier, ces organes privés se présentent comme des lobbies ou du moins des interlocuteurs privilégiés en la matière.
23La situation des enfants au Rwanda, comme partout en Afrique, est un sérieux problème d’intérêt national. En effet, les enfants sont indubitablement l’avenir des nations. Mais même si leur cas reste singulier, leur sort rentre dans le même cadre des problèmes socio-économiques qui se posent aux jeunes nations. Autrement dit, la situation des enfants relève du sous-développement qui, malheureusement, s’il n’est pas bien traité, peut aggraver les situations de progrès effectifs en hypothéquant l’évolution entière des sociétés. Si la conscientisation est totale à tous les niveaux, publics, privés et même individuels, les moyens font défaut, tandis que les explorations minutieuses de la question des enfants restent en suspens par rapport aux autres enjeux du développement intégral du pays. Mais la particularité pour ce pays comme probablement pour son voisin jumeau le Burundi tient aux effets de la croissance démographique non maîtrisée pour des pays aux ressources naturelles limitées et insuffisantes. Dans ce contexte, se pose la question de savoir si le fort élan démographique du pays serait un facteur de misère ou de progrès ? Ou encore, quel serait son impact sur la survie des générations jeunes ? Ainsi, nous pouvons affirmer que le problème des enfants vulnérables et en situation de précarité se joue aussi sur le clavier sociodémographique et des politiques démographiques.