Navigation – Plan du site

AccueilNuméros15IntroductionLe transnational à la une : regar...

Introduction

Le transnational à la une : regards sur la presse arménienne de France

Transnational Identities in Print: The Armenian-language Press of France in a Global Perspective
Talar Chahinian et Stéphanie Prévost
p. 31-60

Résumés

L’introduction de ce numéro spécial sur la presse arménophone de France vise à mettre en perspective cette riche production périodique dans le cadre plus large des presses allophones de par le monde et en France afin de mieux en souligner certaines spécificités. La France a vu paraître plus de deux cents titres publiés pour tout ou partie en langue arménienne depuis 1855, dont le quotidien Haratch à la longévité exceptionnelle (1925-2009). Elle a de ce fait été de longue date un foyer majeur de publication périodique arménienne. En insistant sur les dynamiques transnationales de cette presse en France, le présent volume montre comment elle a contribué à faire de la langue arménienne un vecteur de lien communautaire à travers un espace diasporique en expansion après 1915.

Haut de page

Texte intégral

1Dans le film The Cut, de Fatih Akın une scène montre des rescapés arméniens à Alep, en 1918, tentant de retrouver la trace de leurs proches disparus au cours des déportations à travers la lecture des avis de recherche parus dans des journaux communautaires. De manière frappante, cette scène donne à voir le nouveau rôle-clé que les publications périodiques de toutes sortes ont occupé dans les tentatives de reconstruction nationale arméniennes après le génocide, de la même manière que pour d’autres groupes ayant été victimes de violences de masse au 20e siècle. Le rôle transnational de la presse arménienne est renforcé après le génocide, parce qu’elle permet d’établir ou de rétablir des liens entre des communautés déstructurées, des familles et des individus dispersés aux quatre coins du monde. Répondant aux attentes multiples d’un lectorat diasporique lui-même pluriel, la presse contribue à faire de la langue arménienne un vecteur de lien transnational à travers un espace diasporique en expansion.

2La presse diasporique de langue arménienne – celle qui s’est développée à partir des pôles majeurs de la dispersion, dans les « petites Arménies » du Proche Orient, d’Europe et d’Amérique du Nord – n’est pas en soi un phénomène postérieur au génocide. Une presse arménienne existe en France dès le 19e siècle. Depuis les premiers numéros du semestriel Arevelk (1855-1856), de l’hebdomadaire Armenia (1885-1923), de la revue littéraire mensuelle Anahid (1898-1949) à l’hebdomadaire Abaka (1920-1950) et au quotidien Haratch (1925-2009), ou encore à l’actuel Nor Haratch (2009), la France a hébergé de nombreux périodiques en langue arménienne – journaux, revues littéraires et artistiques, publications d’associations, de paroisses, ou encore organes de presse de partis politiques. Ces publications couvrent un vaste éventail de sujets, qui, d’une part, reflètent les pratiques culturelles et d’expression artistique des communautés arméniennes en France, leurs inclinations littéraires, leurs préoccupations sociales, leurs débats politiques, et qui, d’autre part, conservent, sur la durée, trace des interactions entre ces communautés à l’échelon local, dans leur pays d’accueil, et à l’échelle transnationale.

  • 1 Organisée le 7 novembre 2019 par Boris Adjemian, Talar Chahinian, Mélanie Keledjian et Stéphanie Pr (...)

3Ce numéro spécial d’Études arméniennes contemporaines est né de la tenue d’une journée d’étude en 2019, intitulée « La presse de langue arménienne de France et la création d’un espace transnational ». Organisée à l’INALCO conjointement par la Bibliothèque Nubar de l’UGAB, l’Université Paris Diderot (UMR LARCA) et la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (BULAC), bénéficiant également du soutien du réseau de recherche international Transfopress, cette manifestation ambitionnait d’étudier la presse de langue arménienne de France, à la fois dans son contenu et dans sa matérialité, comme vecteur d’identités collectives en diaspora1. Réunissant un panel multidisciplinaire d’universitaires et chercheurs venus de France, d’Angleterre, d’Allemagne, d’Arménie et des États-Unis, la journée a mis l’accent sur le fait que ces périodiques et ces journaux pouvaient être considérés comme autant d’archives culturelles de la vie arménienne en France, mais aussi comme des espaces de mobilisation politique et de réélaboration de la langue arménienne.

4Depuis lors, les bouleversements politiques majeurs induits par la guerre du Haut-Karabagh en 2020 et ses suites, notamment l’expulsion de l’ensemble de la population arménienne de ce territoire en 2023, n’ont pas manqué de faire resurgir comme un spectre la perspective d’une disparition pure et simple d’un patrimoine culturel, du fait de sa destruction ou de sa dispersion. Ces développements ne font qu’aiguiser le questionnement que nous pouvions avoir sur le rôle dévolu à la presse dans la perpétuation de liens dans l’exil. Avec ce numéro spécial, nous souhaitons également resituer la production périodique de langue arménienne en France dans le contexte plus large de l’étude de la presse allophone, entre ancrages locaux et portée transnationale.

La presse arménienne en diaspora et la question de l’allophonie

  • 2 G. Levonyan, 1934 ; H. Petrosyan, 1956 ; K. Mooradian, 1963 ; A. Kirakossian, 1970 ; J. Gharibian, (...)

5Est catégorisé comme « presse allophone » tout titre de presse, qu’importe sa fréquence de publication ou son type, rédigé dans une langue autre que celle(s) du pays de parution. La presse arménophone en diaspora, et a fortiori la presse arménophone de France qui fait l’objet de ce numéro, doit donc aussi être envisagée pour son allophonie. La presse allophone est un phénomène mondial et ancien, qui a pourtant longtemps été négligé dans la littérature scientifique : les recherches sur l’histoire de la presse dans un pays donné ont généralement tendance à se concentrer sur les titres publiés dans la/les langue(s) de ce pays. Ceci n’est pas vrai partout. Aux États-Unis par exemple, on observe une grande variété dans les termes décrivant ce phénomène : « presse allophone », « presse de langue étrangère », « presse ethnique », « presse diasporique », « presse d’immigration », « presse en exil », « presse de langue minorée ». Pourtant, aucun de ces termes ne décrit complètement le phénomène ni les motivations complexes qui ont pu conduire à la parution de ces titres. À l’inverse, on trouve des bibliographies extensives pour certaines langues ayant ont donné lieu à une riche production de presse en contexte allophone. C’est par exemple le cas de l’arménien2.

  • 3 B. Adjemian, 2019. En France, les collections se trouvent à la Bibliothèque Nubar de l’UGAB (Paris) (...)
  • 4 Pour une histoire générale : A. Kharatyan, 2006. Sur l’empire russe : L. Khachaturian, 2009 ; L. Pe (...)

6En 1970, la bibliographie compilée par Amalia Kirakossian recensait déjà 3 624 titres périodiques parus en langue arménienne depuis 1794, dont 2 000 en diaspora (sans compter ceux parus dans les Républiques soviétiques de Russie, d’Ukraine et de Géorgie). Il est toujours difficile d’établir un recensement exact, mais il y a fort à parier que les projets de conservation et de numérisation engagés ces dernières années ont permis de mettre au jour d’autres titres que ceux listés dans les grandes bibliographies usuelles3. La presse arménophone parue au 19e siècle en Russie, en France, aux États-Unis, ou même au Royaume-Uni, est désormais bien connue, comme l’est d’ailleurs l’histoire générale de la presse arménophone de cette période4. En interrogeant les dynamiques transnationales de la presse arménophone de France, le présent volume s’inscrit donc dans le prolongement de publications déjà nombreuses. Si des efforts de généralisation des analyses sont toujours souhaitables, il convient tout autant de souligner – ce que font parfaitement les contributions de ce numéro spécial – que chaque titre possède ses propres raisons d’être et nécessite d’être resitué dans un jeu d’échelles multiples.

7Dans son introduction à l’ouvrage de Jerair H. Gharibian, Armenian Journalism 1794-1977 (1977), Khachig Tölölyan rappelle l’importance culturelle historique de la presse dans le monde arménien :

  • 5 Cité chez D. Abeel, 2012.

Tant dans leur patrie qu’en diaspora, l’histoire des Arméniens s’est faite dans des contextes qui ont accordé à la presse une place centrale remarquable dans la vie politique et culturelle ; par ailleurs, l’absence d’universités et de fonds documentaires abrités par des institutions pérennes a contribué à faire de la presse l’archive la plus efficiente et accessible de l’histoire sociale des Arméniens.5

  • 6 Le titre était publié par l’écrivain et imprimeur stambouliote Teotoros Labdjindjian (1873-1928), m (...)
  • 7 V. K. Davidian, 2022. L’édition de 1929 fut publiée de manière posthume par un ami de Téotig, son c (...)

8C’est en particulier dans les almanachs qu’on retrouve cette ambition encyclopédique. L’Almanach pour tous (Amenoun Daretsouytse), mieux connu sous le nom de « L’Almanach de Téotig », en reste un des meilleurs exemples6. La trajectoire de publication de ce périodique est particulièrement signifiante du point de vue des questions soulevées ici. Longtemps publié à Constantinople, l’almanach de Téotig l’est ensuite en exil après la proclamation de la République turque kémaliste : à Paris en 1924, à Vienne en 1925, à Venise en 1926, puis de nouveau à Paris entre 1927 et 1929. Cette errance reflète l’itinérance contrainte de son rédacteur en chef7. Son histoire est celle d’un périodique déraciné – chose déjà fréquente à partir de la fin du 19e siècle pour la presse politique de langue arménienne.

  • 8 Sur les origines de l’imprimé arménien, voir R. H. Kévorkian, 1986, et sur le livre arménien aux 16 (...)
  • 9 E. Baykal, 2019, p. 15-16, p. 30 ; sur le 19e siècle, voir J. Strauss, 2005.

9Les premiers titres de périodiques arméniens naissent en diaspora, prolongeant ainsi une histoire du livre imprimé arménien qui trouve elle aussi sa source loin de l’Arménie. Le génocide ne fait que consolider le lien entre le développement de la presse arménienne et sa dispersion géographique8. Le père Chemavonian fait en effet paraître le premier périodique arménien, Aztarar (« Le Moniteur »), en krapar (l’arménien classique) en 1794 à Madras, alors sous contrôle britannique, en Inde. Malgré sa brièveté (18 numéros parus entre 1794-1796) et une réception mitigée de la part de la communauté marchande arménienne locale, Aztarar exerce une influence durable, en posant ensemble les questions de langue et d’identité nationales. Rapidement, d’autres titres reprenant ces mêmes thèmes paraissent dans l’Empire ottoman qui abrite alors la majorité des Arméniens. La presse arménienne participe ainsi à l’essor de la presse ottomane9. De nombreux périodiques arméniens sont aussi créés au sein d’institutions diasporiques dédiées à la préservation de la langue et de la culture arméniennes, – les monastères des congrégations mekhitaristes de Venise et de Vienne – et dans les « colonies » arméniennes de l’Empire russe, de la Perse et des Indes ; puis à partir du 19e siècle, en France, aux États-Unis, au Royaume-Uni ou encore en Suisse.

  • 10 A. Kharatyan, 1989, p. 234-296.
  • 11 Voir par exemple L. Khachaturian, 2009, p. 3.

10Avec le renforcement du contrôle exercé sur la presse ottomane à partir de 1864, et davantage encore sous le règne du sultan Abdülhamid II (1876-1909), des termes tels que « liberté », « droits », « révolution », ou « justice » sont régulièrement supprimés. En particulier, dans la presse de langue arménienne, la censure ottomane proscrit progressivement toute référence à l’Arménie (Hayasdan) et à la patrie (Hairenik)10. Ces restrictions se télescopent, dans les années 1880, avec l’essor de revendications nationales de la part des Arméniens, notamment au sein des colonies établies en diaspora. La presse arménophone publiée dans les trois empires (ottoman, russe, perse) qui, historiquement, avaient une forte population arménienne, ainsi que celle que les nationalistes exilés font paraître aux États-Unis, en France ou au Royaume-Uni, joue alors un rôle-clé dans ce processus11. Parmi ces titres, notons l’hebdomadaire (à parution irrégulière) Armenia publié à Marseille par Meguerditch Portoukalian (1848-1921), fondateur du parti armenagan à Van en 1885 avant d’être exilé sur ordre des autorités ottomanes. Ce journal est secrètement distribué dans l’Empire ottoman, où il appelle à la libération de l’Arménie par la force, ainsi qu’au retour des migrants arméniens (notamment des migrants économiques partis pour Constantinople) dans les provinces de l’Arménie ottomane, perçues comme la « patrie ». Bien que l’option politique proposée par Portoukalian soit par la suite contestée par les autres partis émergents – le parti social-démocrate hentchaguian (Genève, 1887) et la fédération révolutionnaire arménienne (FRA) ou tachnagtsoutiun (Tiflis, 1890) – qui publient rapidement leurs propres périodiques, Armenia demeure une source d’inspiration pour beaucoup.

  • 12 Lettre de Musurus Pacha au ministère britannique des Affaires intérieures, 19 janvier 1870, cité da (...)

11Communes à tous les titres de presse, les difficultés inhérentes à la publication d’un périodique sont décuplées dans le cas de la presse allophone. Le financement de ces titres dépend de leur capacité à s’assurer d’un nombre suffisant d’abonnés, dans le pays de publication, mais aussi à l’étranger. Les périodiques arméniens parus hors des frontières de l’Empire ottoman sont aussi surveillés par les consuls ottomans en poste à l’étranger, qui font régulièrement pression sur les autorités du pays de parution pour en limiter la publication12. Enfin, l’accès aux caractères d’imprimerie de l’alphabet arménien peut, notamment dans les périodes les plus anciennes de l’essor de cette presse en diaspora, s’avérer ardu. Quand la rédaction d’un journal n’en possède pas (ou pas suffisamment) en propre, ses propriétaires ont souvent recours aux services d’un imprimeur local, dont les tarifs peuvent être exorbitants pour un texte de qualité médiocre, faute d’un ouvrier suffisamment qualifié pour composer un texte dans un parfait arménien.

  • 13 C’est là une tendance commune à d’autres titres allophones dans les mêmes circonstances.

12Écrire et imprimer en langue arménienne demeure néanmoins un acte d’affirmation d’une identité culturelle et politique. Si, à partir de la fin du 20e siècle, des périodiques arméniens de la diaspora font le choix de restreindre la part de leurs pages imprimées en langue arménienne au profit de la langue majoritaire du pays de résidence, ceci pour élargir leur lectorat parmi les descendants d’immigrants arméniens (à l’exemple de ce que montre l’article de Sophie Toulajian sur Hay Baykar, dans ce numéro)13, il convient de rappeler que les débats houleux sur les usages linguistiques sont déjà fréquents au 19e siècle. Se pose alors la question de savoir si l’arménité passe obligatoirement par l’usage de la langue arménienne, ou bien si les langues locales, ou encore les lingua franca (le français, puis aussi l’anglais) peuvent s’y substituer, tout en permettant de faire accéder la cause arménienne à un lectorat plus vaste. De fait, certains titres font déjà, au début du 20e siècle, le choix du bilinguisme.

  • 14 E. Haque, 2016 ; B. Anderson, 1991, notamment p. 63.
  • 15 K. Tölölyan, 1999.

13Dans sa célèbre étude sur la formation des nationalismes, Benedict Anderson explique que l’imprimé, en particulier sous sa forme périodique, est primordial dans le processus d’édification nationale, mais aussi qu’il joue, pour une nation émergente, une fonction-clé dans la standardisation d’une langue nationale14. La presse arménophone, en particulier celle produite au sein des communautés diasporiques, tient un rôle important en ce sens dans le contexte de l’éveil national arménien (Zartonk), en contribuant à l’élaboration et l’harmonisation d’un arménien nouveau (achkharhapar). En qualifiant les Arméniens de « nation textuelle », Khachig Tölölyan nous rappelle ainsi la contribution centrale de la littérature (dont la poésie) publiée au sein de ces périodiques dans ce processus de construction nationale15.

  • 16 N. Karamanoukian, 2021 ; T. Chahinian, 2023.
  • 17 K. Beledian, 1995.

14Cependant, comme le souligne l’entretien que nous publions ici avec Krikor Beledian au sujet des néologismes dans la presse arménophone, la langue arménienne prise dans le contexte de la presse diasporique sert bien d’autres causes que ce que nous désignons ici par construction nationale. Privée de l’assise offerte par l’existence d’un État, la langue arménienne occidentale devient une « une langue coupée »16 après le génocide. Pour autant, son usage persistant vise à sauver ce qui peut l’être de la perte ; à narrer l’innommable, ou l’inconnu, au moyen de néologismes et de bricolages linguistiques ; à retisser les liens entre des Arméniens dispersés après la Catastrophe ; à rendre compte des nouvelles réalités socio-économiques, culturelles et politiques dont les exilés font l’expérience dans leurs sociétés d’accueil (voir le texte de Janine Bedrossian) ; à permettre l’accès au passé, à sa compréhension et à une éventuelle reconstruction du soi communautaire ; à inventer de nouveaux possibles (voir les articles de Lerna Ekmekcioglu et de Vahé Tachjian). Le défi étant, pour cette langue déracinée, de demeurer vivante et créatrice.17

  • 18 A. Ter Minassian, 1995 ; C. Mouradian et A. Kunth, 2010 ; A. Kunth, 2016 ; B. Adjemian, 2020.
  • 19 Pour les États-Unis, voir par exemple : T. Huebener, 1959, p. 200-201 ; E. Hunter, 1960, p. 30. Rem (...)
  • 20 Avec ses près de 6 000 titres, la presse anglophone de France a une tradition qui remonte à 1760 : (...)

15La dispersion des Arméniens après 1915, puis la disparition de la république indépendante d’Arménie (1918-1920), rattachée à la Russie soviétique en décembre 1920 (traité d’Alexandropol) contribuent par ricochet à un essor sans précédent de la presse arménophone diasporique. Entre 1917 et 1935, ce ne sont pas moins de quarante à cinquante nouveaux titres périodiques qui paraissent chaque année (jusqu’à 113 pour la seule année 1919). Alors que les États-Unis accueillent la plus importante communauté arménienne de diaspora au début du 20e siècle – avec une augmentation corrélée du nombre de périodiques arménophones sur leur territoire –, c’est la France qui devient en Europe la première terre d’accueil d’immigrants arméniens. De nombreuses « petites Arménies » voient alors le jour (Paris, Marseille, Lyon, Valence, etc.)18. En dépit de la surveillance étatique de la presse allophone dans ces deux pays, la presse arménophone y trouve un terreau favorable19. Entre le milieu du 19e siècle et la fin du 20e siècle, plus de 200 périodiques arméniens sont publiés en France, qui voit se développer de nombreuses autres presses allophones20.

Une histoire française

  • 21 Dans une comparaison intéressante, Armenia, dans son premier numéro (1885), mentionne aussi deux pr (...)

16Depuis les premiers titres parus au 19e siècle, la presse arménophone de France est à la fois le chroniqueur de l’histoire communautaire et le lieu d’articulation d’une double appartenance au pays de résidence et à la transnation arménienne. La couverture du Fransahay Darekirk (« Almanach franco-arménien ») de 1927 mentionne deux prix de vente : 20 francs pour les abonnés résidant en France et 25 francs pour ceux qui se trouvent « à l’étranger » (ardasahman). Ce dernier terme se lit ici en référence à la fois à une appartenance transnationale liée à la dispersion des Arméniens, et au rôle central de l’almanach (qui tient aussi lieu d’annuaire) dans l’affermissement d’un ancrage en France21. Les deux prix, qui se mêlent aux entrelacs d’une couverture très ouvragée, offrent une métaphore visuelle – peut-être involontaire – de cette double identité en construction. Le mot ardasahman désigne ici comme « à l’étranger » un espace situé à l’extérieur des frontières françaises, ce qui assoit le statut de la France comme « nouvelle patrie ». Dans le contexte post-génocide, ardasahman possède aussi des inflexions transnationales et renvoie aux multiples territoires à travers le monde où se sont établis les Arméniens. Dans l’entre-deux-guerres, avant la popularisation du mot spiurk (« diaspora »), l’expression ardasahmani hayoutiun (« les Arméniens de l’étranger ») s’utilise comme une dénomination politique de la population arménienne en exil qui a trouvé refuge hors de la Turquie ou de l’Arménie soviétique. En donnant corps aux « Arméniens de l’étranger » en tant que catégorie d’abonnés, l’almanach fait d’eux les vis-à-vis ou les alter ego des Arméniens de France, présentés du même coup en miroir comme un collectif ayant son existence propre.

  • 22 M. S. Mandel, 2003, p. 21 ; A. Kunth, 2015, p. 72.
  • 23 Pour une présentation du premier refuge arménien, voir notamment L. Tchormissian, 1975, p. 65-81.
  • 24 M.S. Mandel, 2023, p. 21.
  • 25 A. Kunth, 2015, 2017 et 2023.
  • 26 Pour une discussion théorique sur les liens entre presse et un « nous collectif » en diaspora, voir (...)

17On estime le nombre d’Arméniens ayant trouvé refuge en France après le génocide et la conquête du pouvoir par Mustafa Kemal à environ 65 00022. Ces immigrants présentent un profil culturel et socio-économique très hétérogène, incluant par exemple des orphelins issus de zones rurales d’Asie Mineure, des intellectuels (écrivains, rédacteurs de presse, enseignants) originaires de Constantinople (Istanbul) et de Smyrne, ou bien encore d’anciens dirigeants politiques23. Plus nombreux que ceux de la première immigration arménienne qui était formée essentiellement de marchands et d’étudiants, les nouveaux arrivants, catégorisés comme réfugiés, sont aussi plus démunis, davantage politisés et forment un ensemble plus composite. Alors que l’octroi de la citoyenneté française va plus ou moins de pair avec une volonté de gommer l’extranéité des réfugiés arméniens24, et que les limites posées à cette immigration s’assortissent de relents xénophobes et racistes, notamment dans les années 193025, la presse arménophone de France œuvre à valoriser une identité arménienne transnationale et celle d’un foyer diasporique particulier au sein d’un ensemble plus vaste26.

  • 27 Stepan Voskanian, « Haratchapan » [Préface], Arevelk, no 1, 1er juillet 1855, p. 2.
  • 28 Stepan Voskanian, « Haratchapan » [Préface], Arevmoudk, no 1, 1er janvier 1859, p. 1.
  • 29 Archag Tchobanian, « Tarakloukh » [Tournant du siècle], Anahid, novembre 1898, p. 6. À noter, Tchob (...)
  • 30 C. Mouradian, 2007 ; M. S. Mandel, 2003, p. 26.

18Dans l’histoire de la presse arménophone de France, la Première Guerre mondiale constitue un premier tournant. Avant cette césure, la presse arménienne publiée en France (y compris en langue française) relève grandement d’une forme de nationalisme cosmopolite. Les acteurs de cette presse périodique – pensons ici à Arevelk (1855), Arevmoudk (1859), Armenia (1885), Anahid (1898), ou encore le journal francophone L’Arménie (1889) – militent pour la libération nationale, en poursuivant deux axes. D’une part, mobiliser les Arméniens autour de l’idée de nation pour donner une meilleure visibilité au sort des Arméniens dans l’Empire ottoman. D’autre part, contribuer à inscrire la culture et la littérature arméniennes dans le patrimoine culturel mondial dont les spécialistes de littérature comparée dessinent alors les contours de manière européocentrée. Dans le premier éditorial d’Arevelk (1855), son fondateur Sdepan Vosganian (ou Stepan Voskan) fait des « Lumières arméniennes » le principe directeur de la revue27. En 1859, il annonce avec la revue Arevmoudk, dont il est également à l’origine, vouloir « libérer les esprits de ses lecteurs et ainsi éclairer la nation28 ». Quant au directeur de la revue Anahid, le poète Archag Tchobanian, il appelle dès son premier numéro (1898) à cultiver le royaume des lettres, qu’il tient pour « la plus noble expression de l’âme de la nation » et qu’il affirme indispensable pour que celle-ci « soit en mesure de tenir une place d’honneur dans le genre humain (martgayin vosdan)29 ». Tchobanian œuvre aussi à sensibiliser le public français, notamment les hommes politiques, au sort des Arméniens ottomans afin de faire pression sur le sultan pour qu’il promeuve les réformes en leur faveur exigées par les traités internationaux. Au même moment, Minas Tchéraz s’efforce lui aussi de contribuer à l’internationalisation de « la Question arménienne », notamment par le biais de son journal L’Arménie qu’il publie en français (à Londres de 1889 à 1898, puis à Paris de 1898 à 1905), à destination d’un lectorat non arménien. Parallèlement, Tchobanian et Tchéraz ambitionnent de faire découvrir la littérature et à la culture arméniennes à leurs contemporains français, pour mieux les convaincre de la haute historicité de la civilisation arménienne et de la légitimité de ces revendications nationales. Si la partie politique du projet s’avère un échec, Tchobanian et Tchéraz contribuent néanmoins à l’émergence d’un fort mouvement arménophile en France, dont la création de la Société France-Arménie en 1916 reste l’un des meilleurs témoins30.

  • 31 K. Beledian, 2001, p. 31.

19Après la Première Guerre mondiale, la presse a joué un rôle central dans la transformation de Paris en pôle intellectuel et éditorial de premier plan dans la diaspora arménienne. Dans son ouvrage Cinquante ans de littérature arménienne en France, qui étudie la production littéraire des Arméniens en France entre 1922 et 1970, Krikor Beledian montre combien est riche pour la création en langue arménienne la période qui suit immédiatement le génocide, au cours de laquelle il recense cinquante titres marquants pour la presse arménophone de France. Haratch [« En avant »], le journal fondé par Chavarch Missakian en 1925, est le meilleur représentant de cette période. Durant sa première décennie d’existence, il « archive toute l’histoire de la communauté » et fournit un véritable tableau de la communauté31. Au-delà de sa valeur d’archive, comme d’autres lieux communautaires, Haratch sert de balise pour les immigrants dans cette période précoce de son existence. Les bureaux de la rédaction sont destinataires de nombreux envois d’informations, telles que des données à propos des colonies arméniennes en France et de leurs lieux d’origine. En retour, le journal fait paraître des petites annonces, des avis de recherche, des annonces de rassemblements, et informe ses lecteurs sur les commerces et les professionnels arméniens auxquels ils peuvent s’adresser en France. Au-delà de sa fonction journalistique – avec une section dédiée aux informations générales françaises, une autre sur les nouvelles internationales, une sur les nouvelles franco-arméniennes, une autre encore sur les nouvelles en provenance de la diaspora arménienne –, Haratch se veut, dès l’origine, être un espace dédié à la création littéraire. Ainsi, les romans de la nouvelle génération d’écrivains arméniens voient-ils d’abord le jour sous forme de feuilletons dans les colonnes de Haratch qui fait également la part belle aux critiques littéraires et artistiques. Le journal offre ainsi un soutien institutionnel à certains intellectuels en exil dont il renforce l’aura, et ce d’autant plus que sa diffusion s’étend à l’espace transnational arménien.

  • 32 Éditorial, « Mioutiun » [Unité], Abaka, 5 février 1921, p. 1.

20Dans l’entre-deux-guerres, de nombreux groupements arméniens (associations, partis politiques) publient leurs propres périodiques, s’adressant eux aussi à un lectorat transnational qu’ils appellent à faire bloc pour défendre les intérêts des Arméniens en tant que nation. De tels rapprochements se heurtent pourtant à des obstacles. Sous le titre « Unité », un éditorial de 1921 paru dans Abaka, journal hebdomadaire du parti démocrate-libéral ramgavar, demande ainsi : « S’unir ? Mais comment ? Et autour de quoi exactement ? »32 La rédaction d’Abaka fait ici référence aux dissensions politiques qui divisent le monde arménien depuis la fin de la république indépendante d’Arménie. Mais elle soulève également un problème plus général, en pointant la déstructuration des anciennes communautés arméniennes ottomanes dans l’exil et la forte hétérogénéité culturelle des colonies formées de par le monde par les émigrants déracinés. Bien que louable sur le papier, l’objectif d’unité semble irréaliste. C’est malgré tout lui qui sert d’horizon à une idéologie de la survie collective massivement diffusée à travers la presse arménienne après le génocide.

  • 33 « Nor Havadke » [La Foi nouvelle], Nor Havadk, 1, juin 1924, p. 1.
  • 34 « Meg Djanabarh Miayn » [Une seule voie], Hay Kir, 5, 1929, p. 1.

21Dans la presse littéraire, le recours à cette notion d’« unité » renvoie essentiellement à la nécessité d’efforts concertés pour faire émerger une nouvelle élite littéraire. Qu’il s’agisse de former de nouveaux collectifs rassemblant des intellectuels autour de la littérature ou des arts, ou bien de donner forme à des projets collaboratifs associant amis ou anciens collègues, le périodique imprimé offre, par sa promesse de continuité, un antidote au problème de la transmission générationnelle auquel font face les jeunes auteurs rescapés du génocide, connus comme la « génération des orphelins ». Aussi créent-ils des revues, parfois de courte durée, afin de redonner vie à leur langue, l’arménien occidental – une langue apatride et victime comme eux du génocide, mais qu’ils entrevoient comme la source de nouvelles identités collectives en diaspora. Certaines de ces revues adoptent un point de vue alarmiste et envisagent la production de la nouvelle génération des écrivains sous le sceau de la préservation. Le premier numéro de Nor Havadk (« Foi nouvelle »), fondé à Marseille en 1924 par deux jeunes écrivains, Bedros Zaroyan et Zareh Vorpouni, déclare : « De tragiques événements ont tailladé les années d’après-guerre comme le couperet d’une hache. Une génération s’est alors révélée à elle-même. La dispersion est une deuxième mort, une affliction morale et intellectuelle. Nous ne tirons pas l’alarme de manière intempestive lorsque nous disons que la nouvelle génération traverse une période dont l’issue est incertaine ou, osons-le dire, lugubre. »33 Hay Kir (« Lettre arménienne »), la revue littéraire de l’Union des bibliophiles arméniens fondée à Marseille en 1928, s’inquiète, elle aussi, de ce problème de la régénération en ces termes : « Notre jeune génération connaît une terrible famine de conscience nationale. Ce n’est ni mentir ni exagérer que de dire, que peu importe la couleur que l’on attribue à cette famine, elle est plus tragique encore que le massacre commis par l’épée. C’est le parachèvement d’un crime abominable dont notre histoire a déjà été le témoin. »34 En dressant un parallèle entre la disparition de la génération des parents et la perte de mémoire collective, prélude à l’affaissement de la conscience nationale, ces deux déclarations font de la dispersion le parachèvement des massacres, autrement dit un génocide culturel auquel on pourrait seulement tenter de remédier par une nouvelle production culturelle imprimée.

  • 35 « Mer Tirke » [Notre position], Yergounk, 2, mai 1929, p. 1.
  • 36 Hrant Palouyan, « Djagadin Vra » [Au fronton], Zvartnots, 1, janvier 1929, p. 1.

22D’autres revues adoptent une stratégie différente, s’appropriant le thème de l’orphelinage en en faisant un marqueur d’unité plutôt qu’un stigmate de la perte. À ses débuts, la revue Yergounk (« Enfantement »), publiée de 1929 à 1936 par l’Association des orphelins adultes, elle-même co-fondée par Chavarch Nartouni, déclare : « Longue vie à la nouvelle génération ! Tout particulièrement à la multitude qu’on nomme orphelins ! »35 L’orphelinage est ici célébré tant pour sa capacité à fédérer une jeune génération de penseurs, que comme une métaphore d’une page nouvelle à écrire dans l’histoire nationale. Les nouvelles communautés littéraires qui creusent ce sillon commencent rapidement à comparer leur production littéraire à celle de la génération d’avant 1915, dont elles rejettent l’héritage. Publié pour la première fois en 1929 (et, avec des interruptions, jusque dans les années 1960) par la société d’art et littérature Hartkogh (« Voie lactée »), Zvartnots, du nom de la célèbre église disparue des Anges veilleurs, en Arménie, est la première revue entièrement dédiée à la production littéraire de la génération des orphelins rescapés. Dans un article programmatique intitulé « Au Fronton », le rédacteur en chef, Hrant Palouyan, écrit : « Zvartnots est un refuge pour cette jeunesse qui est tenue captive par les anciens gardiens de notre littérature. Pendant longtemps, notre jeunesse n’a pas eu sa scène, sa fenêtre d’indépendance qui lui aurait évité d’avoir à s’incliner, tels des enfants [devant leurs aînés] en quête d’approbation, et d’embrasser une littérature rouillée. »36

  • 37 Chavarch Nartouni, « Menk, Menk, Menk » [Nous, Nous, Nous], Menk: Revue littéraire arménienne, 1, 1 (...)

23Le conflit des générations devient sujet à de vifs débats dans la presse. Les figures littéraires de l’ancienne génération, comme Zabel Essayan ou Kostan Zarian, réclament dans Haratch ou dans le mensuel Hayrenik de Boston que les jeunes écrivains se montrent plus humbles, qu’ils clarifient leur programme littéraire. Aucun périodique littéraire n’est plus actif dans ce débat que la revue Menk (« Nous »), qui réunit les figures les plus en vue de la jeune génération. Le groupe proposa un manifeste radical qui n’appelle pas seulement à une littérature neuve, mais qui propose aussi de faire sécession d’avec la tradition littéraire arménienne qui avait prospéré à Constantinople avant la Première Guerre mondiale. Dans le premier numéro de Menk, Chavarch Nartouni écrit : « Nous reviendrons pour vous dévoiler toute la pauvreté de ces écrivains qui sont venus en Europe et qui nous ont vendu des articles occidentaux d’imitation. Notre échec politique résulte de cette orientation littéraire erronée. C’est notre vieille littérature, venue d’Europe, qui a ruiné notre foyer. Maintenant que nous sommes en Europe, nous voyons chaque jour d’où ces œuvres provenaient. »37 Devant le constat d’un déséquilibre des pouvoirs dans la production des savoirs, les collaborateurs de Menk accusent les écrivains de l’ancienne génération d’avoir galvaudé la littérature arménienne par une proximité factice avec la culture occidentale. Ils blâment ces mêmes auteurs d’avant le génocide pour la crise identitaire traversée par la génération des rescapés.

  • 38 Voir par exemple l’entretien de Tigrane Yégavian, « La presse de langue arménienne : hier et aujour (...)

24La Seconde Guerre mondiale met un coup d’arrêt au développement de la presse arménophone en France. Les nouveaux titres qui apparaissent à l’issue de la guerre se tournent désormais davantage vers des enjeux plus strictement politiques. La guerre froide intensifie les divisions dans ce domaine au sein des communautés diasporiques arméniennes, en proposant des options tranchées, entre, l’allégeance à l’Arménie soviétique et l’idée d’un retour dans une Arménie souveraine, unifiée, mais pour l’heure imaginaire. Ces divisions politiques irriguent toute la diaspora et l’ensemble de sa presse, bien au-delà du cas franco-arménien. Une nouvelle évolution de fond s’engage au début des années 1980, alors que le nombre de locuteurs arméniens tend à diminuer et que ceux-ci se tournent vers des médias communautaires arméniens d’expression française, ou partiellement française. On commence alors à passer d’une presse écrite en arménien (hayadar), à des journaux en français mais spécifiquement intéressés par des thèmes arméniens (hayaser)38. La presse ne joue ainsi plus, ou plus autant que par le passé, son rôle de transmission de la langue arménienne.

  • 39 Le supplément a été réédité en deux volumes par A. Totoyan et K. Beledian (2018 et 2020).

25Devant les bouleversements actuels dans l’accès et la diffusion des informations via des médias numériques, alors que la notion même d’information se redéfinit, il est évident que le modèle classique de l’organe de presse – imprimée – communautaire fait face à une crise existentielle. L’indépendance de la République d’Arménie, depuis 1991, a changé la donne puisqu’elle produit désormais des médias qui visent à la fois un public interne ou national et une audience externe, diasporique et globalisée. De son côté, la diaspora arménienne qui a connu de nouvelles vagues migratoires dans les dernières décennies, s’affirme de plus en plus comme un espace hybride, constitué de locuteurs d’arménien oriental, de locuteurs d’arménien occidental et de locuteurs non arménophones, qui ont en commun de vouloir être informés de nouvelles sur l’Arménie ou en lien avec le monde arménien. Les affiliations plurielles générées par cette évolution de la diaspora arménienne, additionnées à l’attrait pour l’idée d’un accès démocratisé à l’information sur Internet, ne font qu’accélérer la tombée en désuétude des médias traditionnels. Ainsi, l’un de leurs plus anciens représentants en France, le quotidien Haratch, a-t-il cessé de paraître en 2009, mettant également fin également à son supplément littéraire Midk yev Arvest (« Pensée et Art ») publié depuis 197639. Tentant de combler le vide laissé par cette disparition, la création du journal tri-hebdomadaire arménien Nor Haratch (« Nouveau Haratch »), qui dispose d’une édition hebdomadaire bilingue (français-arménien), qui publie comme beaucoup de médias désormais à la fois en arménien occidental et en arménien oriental, et qui s’est assorti il y a quelques années d’un site internet pour s’adapter aux nouveaux modes de consommation de l’information, reflète en ce sens une grande part des problématiques actuelles de la presse arménienne de France et de diaspora.

*

26Ce numéro spécial propose des cas d’étude sur différents titres de presse publiés en France en langue arménienne tout au long du 20e siècle. Trois d’entre eux portent sur les stratégies transnationales développées par les organes de presse de groupements ou partis politiques (articles de Lerna Ekmekcioglu, Sophie Toulajian et Vahé Tachjian), tandis que les textes de Tork Dalalyan et de Janine Bedrossian se penchent plus précisément sur la question de la préservation et de la revitalisation de la langue et de la culture. Un long entretien avec Krikor Beledian sur l’emploi et la création des néologismes dans la presse arménienne, et plus particulièrement la presse arménophone en France, apporte une perspective plus globale.

27Dans son article, Lerna Ekmekcioglu revient sur un titre méconnu, Hai Guine (« La femme arménienne »), publié de mars 1947 à 1949 par la Fransahay Ganants Miotiun (« Union des femmes arméniennes »). Cette organisation d’inspiration communiste, née en 1942 et engagée dans la Résistance française, se transforme au sortir de la Guerre en se mettant à promouvoir des objectifs nationaux par le biais du journal Hai Guine. Lerna Ekmekcioglu montre que tout en militant pour le rapatriement (nerkaght) en Arménie soviétique, la revue ne saurait être réduite à un instrument de propagande pro-stalinienne, et que son inscription politique est indissociable de son positionnement féministe.

28L’article de Vahé Tachjian sur le HOG et sa revue du même nom porte également sur la presse communiste en France. Fondé en 1933, la revue HOG était l’organe de la section française du Comité de Secours à l’Arménie (Hay Oknoutyan Gomidé, HOG), fondé en 1921 pour venir en aide aux rescapés installés en République soviétique d’Arménie. Tachjian montre le rôle propagandiste de la revue HOG, œuvrant à capter les ressources de la diaspora arménienne pour financer le nerkaght, objectif-phare de la République soviétique d’Arménie, tout en combattant farouchement ses opposants politiques, au premier rang desquels les partisans de la FRA ou parti tachnag.

29En prenant pour objet d’étude le journal Hay Baykar (« Combat arménien »), organe de presse français de l’ASALA (Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie) publié de 1977 à 1988, l’article de Sophie Toulajian porte un regard sur les pratiques et les parcours d’une partie des militants de la reconnaissance du génocide arménien. Il analyse notamment la parution de ce titre essentiellement en langue française, en référence à son double positionnement médiatique en France, à la fois titre de presse communautaire qui porte une nouvelle voix politique et journal se réclamant de l’extrême gauche tout en tissant, pour cette raison, des liens forts avec d’autres titres comme Libération.

30Dans sa présentation détaillée de Hay Pouj, revue médicale en langue arménienne parue sur plus de trois décennies (1934-1967), Janine Bedrossian dresse un portrait inhabituel de son fondateur, Chavarch Nartouni (1898-1968), médecin et écrivain réfugié en France en 1923, également connu pour ses contributions à d’autres périodiques de renom, comme Yergounk, Menk, ou Haratch. Peut-être plus qu’ailleurs, Nartouni livre dans Hay Pouj sa pensée sur la préservation et la revitalisation nationale et culturelle arméniennes. Mais il le fait ici en familiarisant son lectorat arménien de France aux découvertes médicales et à la prophylaxie. Janine Bedrossian souligne que, pour Nartouni, la langue arménienne est à la fois moyen de préservation nationale et d’adaptation au présent de l’exil en France.

31Dans un bref essai, Tork Dalalyan s’intéresse à l’entreprise linguistique menée par Chavarch Missakian (1884-1957) dans les pages du journal Haratch depuis sa fondation en 1925. Le témoignage de Chavarch Nartouni sur l’œuvre de Missakian, ici convoqué, souligne sa conception d’une nécessaire « purification » de la langue arménienne occidentale, débarrassée de ses éléments turcs, pour ménager la possibilité d’une renaissance nationale des Arméniens en France comme ailleurs dans la diaspora.

32En développant une réflexion sur le rôle et la place des néologismes au sein de la presse arménienne en général et de la presse arménophone de France en particulier, Krikor Beledian rappelle que si le génocide fut bien sûr un élément déclencheur, le processus de création de nouveaux termes renvoie à une histoire plus ancienne. Ce faisant, il invite à poser un œil neuf sur l’émergence de ces néologismes dans la presse arménienne de France, interprétée non tant comme la résultante du génocide et de l’exil, que comme un processus linguistique propre à toute langue vivante.

Արմենիա (Armenia)
Journal publié à Marseille par Meguerditch Portoukalian (1885-1923)

Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris

Փարիզ (Paris)
Journal semi-mensuel publié à Paris (1860-1863)

Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris

Արձագանք Փարիզի (Artzakank Parizi - «Écho de Paris »)
Première année, numéro 1, 10 avril 1916

Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris

Զուարթնոց (Zvartnots)
«Sur le fronton» (éditorial du 1er numéro, janvier 1929)

Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris

Մենք (Menk : Revue littéraire arménienne)
Deuxième année, numéro 3, 1932

Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris

Վէմ (Vem: Revue de culture et d’histoire)
Numéro 1, septembre-octobre 1933

Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris

Ֆրանսահայ Տարեգիրք (Almanach franco-arménien)
Deuxième année, 1927

Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris

Նորաշէն (Norachène), Lyon (septembre 1936)
« Grue, d’où viens-tu ? Je suis l’esclave de ta voix. Grue, n’as-tu pas quelque nouvelle de notre pays ?... »

Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris

Michel Moiso et Levon Sopoglian dans l’imprimerie du journal Haratch, années 1980

Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris

Arpik Missakian et l’équipe de l’imprimerie de Haratch (années 1980)

Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris

Haut de page

Bibliographie

Adjemian Boris, Les petites Arménies de la vallée du Rhône, Lyon : Éditions Lieux Dits, 2020.

Anderson Benedict, Imagined Communities : Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London, Verso Books, [1983] 1991.

Atamian Astrig, « La mouvance communiste arménienne en France. Entre adhésion au PCF et contemplation de l’Ararat : les “rouges” de la communauté arménienne de France, des années 1920 aux années 1990 », thèse de doctorat, Inalco, 2014.

Atamian Astrig, Claire Mouradian et Denis Peschanki, Manouchian : Missak et Mélinée Manouchian, deux orphelins du génocide des arméniens engagés dans la Résistance française, Paris : Éditions Textuel, 2023.

Babloyan Manvel [Մանվել Բաբլոյան], Հայ պարբերական մամուլը. Մատենագիտական համահավաք ցուցակ (1794-1980) [Catalogue complet de la presse périodique arménienne (1794-1980)], Erevan : Académie des sciences de la RSS d’Arménie, 1986.

Beledian Krikor, « L’expérience de la Catastrophe dans la littérature arménienne », Revue d’histoire arménienne contemporaine, 1, 1995, p. 127-197.

Beledian Krikor, « Exils et territoires symboliques. Le rôle des revues littéraires d’après la Catastrophe », Hommes et migrations, dossier spécial « Diaspora arménienne et territorialités », 1265, janvier-février 2007, p. 190-203.

Beledian Krikor, Cinquante ans de littérature arménienne en France : Du même à l’autre, Paris : CNRS Éditions, 2001.

Baykal Erol A.F., The Ottoman Press (1908-1923), Leyde : Brill, 2019.

Chahinian Talar, Stateless : The Politics of the Armenian Language in Exile, New York : Syracuse University Press, 2023.

Cooper-Richet Diana, « Aux marges de l’histoire de la presse nationale : les périodiques en langue étrangère publiés en France (xixe-xxe siècles) », Le Temps des médias, 16 (1), 2011, p. 175-187.

Cooper-Richet Diana, « Les périodiques anglo-parisiens de la première moitié du xixe siècle : passeurs de culture et de modèles éditoriaux », Études Épistémè 26, 2014, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/episteme/317.

Esoyan Myasnik, « Coverage of the situation of Western Armenians in Egyptian-Armenian press (1899-1904) », Bulletin of the Institute of Oriental Studies, 3 (1), 2023, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.52837/27382702-2023.3-102.

Génériques (dir.), Presse et mémoire : France des étrangers, France des libertés, Paris : Éditions Génériques, 1999.

Gharibian Jerair, Armenian Journalism, 1794-1977, Watertown, MA, s.n., 2012.

Haque Eve, « Language and Nationalism », in Nancy Bonvillain (dir.), The Routledge Handbook of Linguistic Anthropology, New York : Routledge, 2016.

Hayrapetyan Nerses [Ներսես Հայրապետյան], Մատենագիտություն նորանուն հայկական պարբերական մամուլի, 1987-1996 [Bibliographie de la nouvelle presse périodique arménienne, 1987-1996], Erevan : Éditions Girk, 1999.

Hovanessian Martine, « Diasporas et identités collectives », Hommes et migrations, dossier spécial « Diaspora arménienne et territorialités », 1265, janvier-février 2007, p. 8-21.

Hovanessian Martine, « La notion de diaspora : usages et champ sémantique », Journal des anthropologues, 72-73, 1998, p. 11-30.

Hunter Edward, In Many Voices : Our Fabulous Foreign-Language Press, Norman Park : Norman College, 1960.

Karamanoukian Nathalie, « La langue coupée », in Anaïd Donabedian, Siranush Dvoyan et Victoria Khurshudyan (dir.), Krikor Beledian et la littérature arménienne contemporaine, Paris : Presses de l’Inalco, 2021.

Kévorkian Raymond Haroutiun, Catalogue des “incunables” arméniens, 1511‑1695, ou Chronique de l’imprimerie arménienne, Genève : P. Cramer, 1986.

Kévorkian Raymond Haroutiun, « Le livre imprimé en milieu arménien ottoman aux xvie-xviiie siècles », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 87-88, 1999, p. 173-185.

Khachaturian Lisa, Cultivating Nationhood in Imperial Russia : The Periodical Press and the Formation of a Modern Armenian Identity, New Brunswick, N.J. : Transaction Publishers, 2009.

Khalapyan Hasmik, « Forging Diasporic Identity in the Fin de Siècle Armenian Periodical Press in Europe », in Talar Chahinian, Sossie Kasbarian et Tsolin Nalbantian (eds.), The Armenian Diaspora and Stateless Power : Collective Identity in the Transnational 20th Century, London : I.B. Tauris, 2023.

Kharatyan, Albert A. [Ալբեր Ա. Խառատյան], Արեվմտահայ պարբերական մամուլը եվ գրաքննությունը Օսմանյան Թուրքիայում (1857-1908), [La presse périodique arménienne occidentale et la censure dans la Turquie ottomane (1857-1908)], Erevan : Académie des sciences de la République socialiste soviétique d’Arménie, 1989.

Kharatyan, A. A. [Ա. Ա. Խառատյան], M. H. Mkhitaryan [Մ. Հ. Մխիթարյան], L. M. Gevorgyan [Լ. Մ. Գեորգյան], Հայ պարբերական մամուլի պատմություն [Histoire de la presse périodique arménienne], Le Caire : Nubar Printing House, 2006.

Kirakosyan Amalya [Ամալյա Կիրակոսյան] et al., Հայ պարբերական մամուլի մատենագիտություն (1794-1967) [Bibliographie de la presse périodique arménienne (1794-1967)], Erevan : Ministère de la Culture de la RSS d’Arménie, Bibliothèque Miasnikian, 1970.

Kunth Anouche, Au bord de l’effacement. Sur les pas d’exilés arméniens dans l’entre-deux-guerres, Paris : La Découverte, 2023.

Kunth Anouche, « Dans les rets de la xénophobie et de l’antisémitisme : les réfugiés arméniens en France, des années 1920 à 1945 », Archives Juives, 48, 2015, p. 72-95. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/aj.481.0072.

Kunth Anouche, Exils arméniens : Du Caucase à Paris, Paris : Belin, 2016.

Kunth Anouche, « Le refuge arménien et sa double représentation : dans les méandres des anciens offices (1919-1945) », in Aline Angoustures, Dzovinar Kévonian et Claire Mouradian, Réfugiés et apatrides : Administrer l’asile en France, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 65-80.

Levonyan Garegin [Գարեգին Լեվոնյան] , Հայոց պարբերական մամուլը. Լիակատար ցուցակ հայ լրագրությն սկզբից մինչեւ մեր օրերը, 1794-1934 [La presse périodique arménienne : catalogue complet du journalisme arménien des débuts à nos jours, 1794-1934], Erevan : Fonds Melkonian, 1934.

Mandel Maud S., In the Aftermath of Genocide, Armenians and Jews in Twentieth‐Century France, Durham : Duke University Press, 2003.

Mooradian Karlen, « Armenian journalism : A History and Interpretation », thèse de doctorat, Northwestern University, 1963.

Mouradian Claire, « La vitalité d’une presse en diaspora », in Génériques (dir.), Presse et mémoire : France des étrangers, France des libertés, Paris : Éditions Génériques, 1999, p. 35-45.

Mouradian Claire et Anouche Kunth, Les Arméniens en France : du chaos à la reconnaissance, Toulouse : Éditions de l’Attribut, 2010.

Mouradian Claire (dir.), Le Mouvement arménophile en France, 1878-1923, Paris : Magellan, Musée de Montmartre, 2007.

Payaslian Simon, « The Origins of Armenian Nationalism in the United States and the American Armenian Press (1880s-1920s) », Studies on National Movements, 11 (1), 2023, p. 92-122, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.21825/snm.89001.

Pendse Liladhar R., The Armenian Periodical Press of Baku 1877-1920 : A Survey, Slavic & East European Information Resources, 20 (1-2), 2019, p. 50-73.

Petrosyan Hovhannes [Հովհաննես Պետրոսյան], Հայ պարբերական մամուլի բիբլիոգրաֆիա (1794-1900) [Bibliographie de la presse périodique arménienne (1794-1900)], Erevan : Ministère de la Culture de la RSS d’Arménie, 1956.

Prévost Stéphanie, « Le Haiasdan, L'Arménie, Armenia and Hnchʼak : language choice and the construction of a Cosmopolitan Armenian Diasporic Identity in London and Paris (1888-1905) », in Stéphanie Prévost et Bénédicte Deschamps (dir.), Immigration and Exile Foreign-Language Press in the UK and in the US : Connected Histories of the 19th & 20th centuries, Londres : Bloomsbury Press, 2024, p. 259-279.

Strauss Johann, « Kütüp ve Resail-Mevkute: Printing and Publishing in a Multi-Ethnic Society », in Elisabeth Özdalga (dir.), Late Ottoman Society : The Intellectual Legacy, Abingdon : Routledge Curzon, 2005, p. 227-255.

Tchormissian Levon [Լեւոն Չորմիսեան], Համապատկեր Արեւմտահայոց մէկ դարու պատմութեան. Հայ Սփիւրքը [Panorama d’un siècle d’histoire des Arméniens : la diaspora arménienne], Beyrouth : Imprimerie Doniguian et Fils, 1975.

Ter Minassian Anahide, « Les Arméniens de Paris depuis 1945 », in Antoine Marès et Pierre Milza (dir.), Le Paris des étrangers depuis 1945, Paris : Éditions de la Sorbonne, 1995, p. 205-239.

Tölölyan Khatchig, « Textual Nation : Poetry and Nationalism in Armenian Political Culture », in Ronald Grigor Suny et Michael D. Kennedy (dir.), Intellectuals and the Articulation of the Nation, Ann Arbor : University of Michigan Press, 1999, p. 79-107.

Totoyan Arpi [Արփի Թոթոյեան] et Krikor Beledian [Գրիգոր Պըլտեան] (éd.), Միտք եւ արուեստ 1976-1987 : գրական ու վերլուծական էջեր, 2 volumes, Erevan : Sarkis Khachents, 2018-2020.

Haut de page

Note de fin

1 Organisée le 7 novembre 2019 par Boris Adjemian, Talar Chahinian, Mélanie Keledjian et Stéphanie Prévost. http://www.inalco.fr/evenement/journee-etude-presse-langue-armenienne-france.

2 G. Levonyan, 1934 ; H. Petrosyan, 1956 ; K. Mooradian, 1963 ; A. Kirakossian, 1970 ; J. Gharibian, 2012 (1977) ; M. Babloyan, 1986 ; A. Kharatyan, 1989 ; N. Hayrapetyan, 1999.

3 B. Adjemian, 2019. En France, les collections se trouvent à la Bibliothèque Nubar de l’UGAB (Paris), la Bibliothèque nationale (Paris), à la BULAC (Paris), la bibliothèque de l’Église apostolique arménienne (Paris), l’Association pour la recherche et l’archivage de la mémoire arménienne (ARAM, Marseille) et au Centre National de la Mémoire Arménienne (Décines). Haratch a été numérisé suite à un partenariat entre ARAM et la BULAC https://webaram.com/en/biblio/presse/haratch-%D5%B5%D5%A1%D5%BC%D5%A1%D5%BB#decennie-2000. D’autres projets de numérisation sont en cours, notamment « the Pan-Armenian Digital Library » (https://arar.sci.am/dlibra/collectiondescription/10) ou le « Catalogue of Periodical Resources » de la Bibliothèque nationale d’Arménie http://tert.nla.am/.

4 Pour une histoire générale : A. Kharatyan, 2006. Sur l’empire russe : L. Khachaturian, 2009 ; L. Pendse, 2019. Pour la France, voir en particulier K. Beledian, 2001 ; C. Mouradian, 1999; C. Mouradian et A. Kunth, 2010 ; A. Atamian, 2014 ; B. Adjemian, 2020. Pour l’Égypte : M. Esoyan, 2023. Pour les États-Unis : S. Payaslian, 2023. Pour le Royaume-Uni : H. Kalapyan, 2023 ; S. Prévost, 2024.

5 Cité chez D. Abeel, 2012.

6 Le titre était publié par l’écrivain et imprimeur stambouliote Teotoros Labdjindjian (1873-1928), mieux connu sous le nom de Téotig, et par son épouse, l’intellectuelle Archagouhi Téotig (née Djezvedjian, 1875-1922). D’après Vazken K. Davidian, « An Encyclopaedic Compendium of Everything Ottoman Armenian: Reading Teotig’s Everyone’s Almanac through the Prism of Art and Cultural History », Conférence invitée, UCI Center for Armenian Studies, Irvine, California, 2 novembre 2022.

7 V. K. Davidian, 2022. L’édition de 1929 fut publiée de manière posthume par un ami de Téotig, son compatriote d’exil Nchan Bechiktachlian (1898-1972).

8 Sur les origines de l’imprimé arménien, voir R. H. Kévorkian, 1986, et sur le livre arménien aux 16-17e siècles : R. H. Kévorkian, 1999. Les Jeunes Turcs remirent en cause cette historicité en 1912 (voir sur ce point J. Strauss, 2005, p. 234).

9 E. Baykal, 2019, p. 15-16, p. 30 ; sur le 19e siècle, voir J. Strauss, 2005.

10 A. Kharatyan, 1989, p. 234-296.

11 Voir par exemple L. Khachaturian, 2009, p. 3.

12 Lettre de Musurus Pacha au ministère britannique des Affaires intérieures, 19 janvier 1870, cité dans le dossier « Case », Home Office Papers, The National Archives, Kew, Londres, HO 45/94721/A38025, folio non numéroté.

13 C’est là une tendance commune à d’autres titres allophones dans les mêmes circonstances.

14 E. Haque, 2016 ; B. Anderson, 1991, notamment p. 63.

15 K. Tölölyan, 1999.

16 N. Karamanoukian, 2021 ; T. Chahinian, 2023.

17 K. Beledian, 1995.

18 A. Ter Minassian, 1995 ; C. Mouradian et A. Kunth, 2010 ; A. Kunth, 2016 ; B. Adjemian, 2020.

19 Pour les États-Unis, voir par exemple : T. Huebener, 1959, p. 200-201 ; E. Hunter, 1960, p. 30. Remarquons que les archives nationales françaises détiennent de nombreux dossiers sur la presse politique de France en langue arménienne à compter des années 1880, avec une surreprésentation de la presse communiste en lien avec le HOG.

20 Avec ses près de 6 000 titres, la presse anglophone de France a une tradition qui remonte à 1760 : D. Cooper-Richet, 2014 ; Bénédicte Deschamps et Stéphanie Prévost pour le commissariat d’exposition « Language Matters », Université Paris Cité, 2018 et sa version virtuelle mise en ligne en 2023 sur https://www.language-matters.fr/. Mais c’est loin d’être la seule presse allophone dans le pays. La récente exposition « Ces journaux des diasporas qui ont fait la presse parisienne » tenue à la BULAC en 2022 (Nicolas Pitsos, 2022, https://bina.bulac.fr/item/150504) montrait d’ailleurs la variété de la presse allophone publiée à Paris tout au long du 20e siècle, confirmant en cela des recherches plus anciennes (Génériques, 1999 ; D. Cooper-Richet, 2011). Ces travaux montrent que des comparaisons sont possibles entre les différentes presses allophones de France, mais ils soulignent surtout la spécificité de chacune d’entre elles en lien avec l’histoire et la culture (notamment de l’imprimé) de la communauté qu’elles entendent représenter.

21 Dans une comparaison intéressante, Armenia, dans son premier numéro (1885), mentionne aussi deux prix d’abonnement, un pour la France (au tarif de 20 francs) et un autre pour les envois dans les empires ottoman et russe (au tarif de 23 francs), ce qui renvoie aux principaux pays où les Arméniens habitaient à l’époque. En revanche, des parutions contemporaines à l’almanach – pensons ici au Haratch et à l’Abaka des années 1920 – évitaient cette distinction nette entre « France » et « ardasahman », en proposant simplement un prix pour la France et un autre pour « l’étranger », qui comprenaient alors toutes les autres destinations (notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Égypte ou l’Europe).

22 M. S. Mandel, 2003, p. 21 ; A. Kunth, 2015, p. 72.

23 Pour une présentation du premier refuge arménien, voir notamment L. Tchormissian, 1975, p. 65-81.

24 M.S. Mandel, 2023, p. 21.

25 A. Kunth, 2015, 2017 et 2023.

26 Pour une discussion théorique sur les liens entre presse et un « nous collectif » en diaspora, voir notamment : M. Hovanessian, 2007, surtout p. 15 et p. 19 ; M. Hovanessian, 1998.

27 Stepan Voskanian, « Haratchapan » [Préface], Arevelk, no 1, 1er juillet 1855, p. 2.

28 Stepan Voskanian, « Haratchapan » [Préface], Arevmoudk, no 1, 1er janvier 1859, p. 1.

29 Archag Tchobanian, « Tarakloukh » [Tournant du siècle], Anahid, novembre 1898, p. 6. À noter, Tchobanian utilise le mot « tsegh » (littéralement « race ») pour renvoyer à la nation, tandis que Voskanian préfère le terme plus moderne « azk ».

30 C. Mouradian, 2007 ; M. S. Mandel, 2003, p. 26.

31 K. Beledian, 2001, p. 31.

32 Éditorial, « Mioutiun » [Unité], Abaka, 5 février 1921, p. 1.

33 « Nor Havadke » [La Foi nouvelle], Nor Havadk, 1, juin 1924, p. 1.

34 « Meg Djanabarh Miayn » [Une seule voie], Hay Kir, 5, 1929, p. 1.

35 « Mer Tirke » [Notre position], Yergounk, 2, mai 1929, p. 1.

36 Hrant Palouyan, « Djagadin Vra » [Au fronton], Zvartnots, 1, janvier 1929, p. 1.

37 Chavarch Nartouni, « Menk, Menk, Menk » [Nous, Nous, Nous], Menk: Revue littéraire arménienne, 1, 1931, p. 39.

38 Voir par exemple l’entretien de Tigrane Yégavian, « La presse de langue arménienne : hier et aujourd’hui » (en arménien), 7 septembre 2018, Bun TV, https://boon.am/french-press/.

39 Le supplément a été réédité en deux volumes par A. Totoyan et K. Beledian (2018 et 2020).

Haut de page

Table des illustrations

Légende Արմենիա (Armenia)Journal publié à Marseille par Meguerditch Portoukalian (1885-1923)
Crédits Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/docannexe/image/3348/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 800k
Légende Փարիզ (Paris)Journal semi-mensuel publié à Paris (1860-1863)
Crédits Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/docannexe/image/3348/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 492k
Légende Արձագանք Փարիզի (Artzakank Parizi - «Écho de Paris »)Première année, numéro 1, 10 avril 1916
Crédits Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/docannexe/image/3348/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Légende Զուարթնոց (Zvartnots)«Sur le fronton» (éditorial du 1er numéro, janvier 1929)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/docannexe/image/3348/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 747k
Légende Մենք (Menk : Revue littéraire arménienne)Deuxième année, numéro 3, 1932
Crédits Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/docannexe/image/3348/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 410k
Légende Վէմ (Vem: Revue de culture et d’histoire)Numéro 1, septembre-octobre 1933
Crédits Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/docannexe/image/3348/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 686k
Légende Ֆրանսահայ Տարեգիրք (Almanach franco-arménien)Deuxième année, 1927
Crédits Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/docannexe/image/3348/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 518k
Légende Նորաշէն (Norachène), Lyon (septembre 1936)« Grue, d’où viens-tu ? Je suis l’esclave de ta voix. Grue, n’as-tu pas quelque nouvelle de notre pays ?... »
Crédits Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/docannexe/image/3348/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 495k
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/docannexe/image/3348/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 556k
Légende Michel Moiso et Levon Sopoglian dans l’imprimerie du journal Haratch, années 1980
Crédits Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/docannexe/image/3348/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 918k
Légende Arpik Missakian et l’équipe de l’imprimerie de Haratch (années 1980)
Crédits Collection Bibliothèque Nubar de l’UGAB, Paris
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/docannexe/image/3348/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 541k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Talar Chahinian et Stéphanie Prévost, « Le transnational à la une : regards sur la presse arménienne de France »Études arméniennes contemporaines, 15 | 2023, 31-60.

Référence électronique

Talar Chahinian et Stéphanie Prévost, « Le transnational à la une : regards sur la presse arménienne de France »Études arméniennes contemporaines [En ligne], 15 | 2023, mis en ligne le 01 avril 2024, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eac/3348 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/eac.3348

Haut de page

Auteurs

Talar Chahinian

University of California, Irvine

Articles du même auteur

Stéphanie Prévost

Université Paris Cité/Institut universitaire de France

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search