Navigation – Plan du site

AccueilActes et débats - Texte intégral13-2« Devant la loi » de Franz Kafka ...

« Devant la loi » de Franz Kafka : une parabole des réfugiés dans l’hebdomadaire sioniste Selbstwehr

Mario Ranieri Martinotti et Alexia Rosso

Résumés

Le présent article s’emploie en premier lieu à reconstituer l’histoire de l’hebdomadaire sioniste Selbstwehr qui parut à Prague de 1907 à 1939. Négligé par la plupart des critiques et des éditeurs de l’œuvre de Kafka, Selbstwehr fut pourtant un espace d’une importance capitale pour l’écrivain pragois. Au-delà d’être, comme bien d’autres revues de l’époque, un des premiers débouchés éditoriaux pour ses textes, il fut un support de publication en prise avec l’actualité et l’histoire contemporaines : celles d’une province de l’Empire austro-hongrois entre l’Ouest et l’Est de l’Europe en un moment de bouleversements géopolitiques. Relus dans ce contexte, les récits que Kafka fit paraître dans le feuilleton de Selbstwehr entrent d’emblée en résonance avec les articles politiques de la partie supérieure du journal et prennent des significations nouvelles. Ainsi, l’article permet d’aboutir à une lecture socio-politique inédite de la très commentée parabole « Devant la Loi » qui, bien avant de rejoindre un Médecin de campagne (1919) et le Procès (1925), fut publiée dans le numéro du 7 septembre 1915, en pleine guerre et face à une crise migratoire qui vit des milliers de réfugiés juifs affluer vers Prague.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

1Devant « Devant la loi », la parabole emblématique du Procès, il existe désormais mille et un autres textes – stratifications de lectures, de commentaires, d’adaptations… – et mille et une autres figures que celle de Kafka – de Max Brod à Walter Benjamin, de Theodor W. Adorno à Jacques Derrida, de Gershom Scholem à Michael Löwy, de Orson Welles à J. M. Coetzee, de Judith Butler à Marc Crépon, de Marthe Robert à Giorgio Agamben, de Hannah Arendt à Massimo Cacciari, de Boris Suchkov à Ernst Fischer… Devant l’homme de la campagne, devant le gardien et devant la porte toujours ouverte de « Devant la loi », s’ouvre comme une immense antichambre où ces figures, leurs époques – de l’entre-deux guerres jusqu’à nos jours – et leurs lieux – de l’Ouest à l’Est et du Nord au Sud – s’agitent, dialoguent entre elles, s’affrontent avec véhémence ou font semblant de ne pas se voir.

2Depuis notre xxie siècle, nous ne pouvons ignorer aucune des ombres qui habitent cette antichambre, mais il nous faut bien nous détacher d’elles. Comment écrire sur ce texte iconique sans répéter ce qui a été déjà dit ? Comment gratter le papier usé du manuscrit de « Devant la loi » pour ajouter à ses filigranes une nouvelle écriture sans en déchirer les pages fragiles ?

3La prudence veut d’abord que nous examinions en profondeur l’histoire de la réception de la parabole. Pour ce faire, il convient de regrouper en quatre approches les différentes lectures du texte : l’approche théologique, les approches biographique et psychanalytique, l’approche philosophique et l’approche socio-politique.

  • 1 La présence d'une quête initiatique vers la Loi (mot éventuellement remplaçable par celui de Torah) (...)
  • 2 Jamais le divin est évoqué dans le texte.
  • 3 Voir Max Brod, Franz Kafka. Souvenirs et documents, Gallimard, Paris, p. 280 et Max Brod, Heidentum (...)
  • 4 Abraham Ulf, « Mose “Vor dem Gesetz” : Eine unbekannte Vorlage zu Kafkas “Türhüterlegende” », Deuts (...)
  • 5 La dernière et la plus significative d'entre elles, à cheval entre une interprétation théologique e (...)

4Par son contenu, « Devant la Loi » est sans doute en puissance le récit le plus religieux de Kafka1 mais en acte une telle puissance ne se réalise jamais textuellement2. Ceci a induit une très grande partie de ses exégètes à se tourner vers des interprétations théologiques, à commencer par Max Brod en tant que commentateur, biographe et exécuteur testamentaire de Kafka. Brod tisse autour de la légende du gardien de la Loi une théologie-théodicée faisant de l’homme de la campagne un Job moderne, confronté à la grâce et à la justice divines, insondables par la morale et l’esprit humains3. Pourtant, comme s’en aperçut Walter Benjamin qui ouvrit une féroce polémique avec Brod, une telle lecture est davantage présente dans la vision du monde brodienne que dans les textes kafkaïens. En proposant une théologie négative fondée sur le concept de « Néant de la Révélation », Gershom Scholem a tenté de remédier au discrédit apporté par Brod aux lectures théologiques, mais il n’en demeure pas moins que l’élaboration de théologies positives à partir de la parabole a été fortement compromise pendant plus de cinquante ans pendant lesquels la plupart des interprétations originales ont fait le choix de se concentrer sur d’autres aspects (infra : psychanalytiques, philosophiques, socio-politiques...). La découverte d’une source midrashique dans les années 804, qui raconte la montée de Moïse sur le Sinaï, puis aux cieux pour atteindre la Torah, a entraîné une nouvelle vague d’interprétations positives liées au divin5. L’homme de la campagne serait coupable de ne pas s’être comporté comme Moïse, d’avoir manqué de courage et de liberté et de s’être laissé intimider par les obstacles sur son chemin ; de là dériverait son échec.

  • 6 À ce titre, il est possible de rappeler que « l’éclat (Glanz) inextinguible » qui passe par la port (...)

5Ces interprétations se heurtent à plusieurs limites. Elles ne poussent pas la comparaison avec le texte midrashique jusqu’au bout : elles ont tendance à voir seulement la non-coïncidence du comportement de l’homme de la campagne avec celui de Moïse, culpabilisant le protagoniste sans remarquer que Dieu est absent de la légende de Kafka. L’auteur pragois a multiplié les dispositifs narratifs mettant en garde face à l’accaparement du divin par son (prétendu) représentant terrestre6.

  • 7 Marthe Robert, Seul, comme Franz Kafka, Paris, Calmann Lévy, 1979, p. 164

6Des lectures biographiques et psychanalytiques du texte croient voir le remède à ces écueils en cherchant la clé de la parabole dans la vie de l’auteur. La plus significative des lectures adoptant ce point de vue demeure celle qu’a proposé Marthe Robert. À la lumière de la théorie freudienne, elle voit en Kafka un cas d’école. Pris entre l’enclume de son « surmoi » – incarné par les lois sociales et religieuses judaïques qui condamnent le célibat – et le marteau de son inconscient – qui lui empêche de s’approcher de la femme aimée en raison de sa juxtaposition à la mère – l’écrivain, incapable de faire un choix et de devenir souverain de lui-même, s’acharnerait à réconcilier des pulsions irréconciliables, à trouver une rédemption, à entrer dans un état de bien-être psychique impossible à atteindre. Ce conflit intérieur ne put être résolu, nous dit Marthe Robert, que dans l’espace de la littérature alors que, dans l’espace de sa vie réelle, il déboucha sur sa maladie et sa mort d’inanition. « Devant la Loi » serait alors une mise en abyme auto-critique de cette situation désespérée. Kafka se dépeindrait en homme de la campagne, c’est à dire en am ha harets, celui qui ne s’est pas voué à l’étude de la Loi, du Talmud, quasiment un hors-la-loi sans pour autant pouvoir l’être véritablement et pleinement par la création de sa propre loi : « L’homme de la campagne est perdu parce qu’il n’ose pas placer sa loi personnelle au-dessus des tabous collectifs dont le gardien personnifie la tyrannie7 ».

  • 8 À ce propos, voir James Rolleston, Twentieth Century Interpretations of « The Trial », Englewood Cl (...)
  • 9 Par exemple, lorsque Marthe Robert écrit qu'à l'homme de la campagne « aurait suffi de passer outre (...)

7Le problème que posent en général les approches biographique et psychanalytique est qu’à partir de l’immense matériel biographique disponible (journal, lettres, biographies et conversations rapportées), il est parfois possible de soutenir des interprétations diamétralement opposées de la légende8. Ces approches pèchent aussi par manque d’attention aux détails textuels qui, parfois, démentent les hypothèses avancées à partir de la biographie de Kafka9.

  • 10 Parmi les lectures philosophiques les plus récentes et remarquables, outre celle de Derrida citée p (...)
  • 11 Derrida, J., « Préjugés. Devant la loi », dans J. Derrida, V. Descombes, G. Kortian, P. Lacoue-Laba (...)
  • 12 Ibid., p. 132.

8Les approches philosophiques, pour leur part, croient généralement voir le remède aux écueils des lectures théologiques, en transformant l’entrée impossible dans la Loi divine en une entrée impossible dans la Loi transcendantale, dans l’origine de la loi ou dans la loi des lois, que celle-ci soit la loi morale kantienne, la loi du droit ou la loi de la littérature10. Derrida avance ainsi l’idée que l’échec de l’homme de la campagne serait dû à ce qu’il tente d’approcher quelque chose qui, afin de posséder sa valeur catégorique et universelle, fuirait tout espace et tout temps11. Cette loi serait in fine une invention de ses prétendus représentants ou gardiens, qui par des récits fictifs (déclaration de puissance et récit des trois gardiens) et leur apparence (attributs d’autorité comme la barbe noire et la taille imposante), garantiraient performativement leur domination. Loi de la littérature et loi juridique seraient ainsi indissolublement liées et de là dériverait l’affirmation derridienne que pour contraster cette domination « il y a lieu de penser ensemble, sans doute, une historicité de la loi et une certaine historicité de la littérature12 ». La domination en question reste néanmoins non spécifiée par Derrida : il s’agit dans sa lecture d’une domination quasi-tautologique de l’autorité et du pouvoir. Ces mécanismes identifiés restent tous immatériels. Et surtout l’historicité de la littérature auquel il faisait appel demeure inexplicitée.

  • 13 Fischer (E.), « Kafka Conference », dans Kenneth Hughes (ed.), Franz Kafka, An Anthology of Marxist (...)

9Les approches socio-politiques permettent alors de donner de la matière aux mécanismes de domination dont parlerait la parabole en proposant une analyse sociologique, voire marxiste du récit et de ses personnages. Dans cette lignée, l’une des lectures de « Devant la loi » parmi les plus articulées est celle que développe Ernst Fischer dans son dialogue polémique avec les critiques d’Europe de l’Est au cours de la célèbre conférence pragoise sur Kafka de 196313. Après avoir récusé l’idée lukacsienne d’un Kafka « anti-réaliste », « formaliste » et « décadent », Fischer entreprend l’exégèse de la parabole qu’il décrit comme une virulente attaque contre l’idéologie individualiste, universaliste et autonomiste des Lumières qui ne serait plus au pas avec les temps. La loi ne serait plus vivante, elle ne suivrait plus l’infrastructure, elle serait devenue une institution pétrifiée, vieillie, tôt ou tard vouée à sombrer sous la poussée de l’Histoire. Cette dernière ne pourrait être que collective, alors que l’homme de la campagne serait obsédé de pouvoir entrer dans la loi en tant qu’individu convaincu de posséder des droits humains. L’individualisme prométhéen du xixe siècle romantique se révèle impuissant au temps du capitalisme tardif. Ainsi, l’homme de la campagne serait coupable de s’être laissé intimider, mû par la fausse obédience de l’idéologie petite bourgeoise qui l’induirait à tenter de corrompre le portier.

10Toutefois, les interprétations socio-politiques sont de nature lacunaire. Elles se bornent toutes à déployer leurs exégèse sur un mode symbolique – l’homme de la campagne incarne les masses populaires ou le petit bourgeois aliénés, le gardien, caractéristique des sbires du pouvoir du « capitalisme tardif », représente le pouvoir parasitaire totalement détaché de l’infrastructure – sans pour autant apporter des justifications textuelles ou extra-textuelles à cette symbolisation très générale, si ce n’est, tout au plus, l’expérience, prise en des termes tout aussi généraux, que Kafka fait de la machine administrativo-bureaucratique pourrissante de l’Empire austro-hongrois.

11De ce bref excursus dans la longue histoire herméneutique de « Devant la loi », trois faits saillants ressortent.

12In primis, toutes les approches et quasiment toutes les interprétations font de « Devant la loi » le récit d’une entrée impossible ou, si l’on préfère, d’une non-entrée. Que la loi soit vue comme la loi divine, la loi de la psyché et de la chair, la loi juridique ou de la littérature, la loi prétendant cristalliser en elle les rapports de forces économiques et sociaux, celle-ci incarne un point d’arrivée, un lieu ou un espace interdits à l’homme de la campagne dans lesquels il prétendrait pénétrer. Peu importe si cette loi est un principe supérieur auquel réellement il faudrait aspirer ou une illusion permettant de justifier la domination du gardien, peu importe si la téléologie que les critiques suggèrent est vérité ou tromperie, c’est toujours d’une trajectoire d’entrée dont il s’agit.

13En deuxième lieu, l’approche socio-politique est celle qui a été le moins étayée et qui nécessiterait des justifications tout autres que symboliques.

14En troisième et dernier lieu, que celles-ci relèvent des approches théologique, biographique, philosophique ou socio-politique, toutes les interprétations majeures de « Devant la loi » se fondent sur les versions de la parabole publiées dans Le Procès ou tout au plus dans Un médecin de campagne. Aucune ne déploie une critique externe du texte, le rapportant au contexte historique de son écriture et de sa première publication ; si elles ont recours à des éléments extra-textuels, ceux-ci se concentrent sur la vie de Kafka prise d’un point de vue intimiste et non dans l’Histoire. Même Derrida, qui s’engage théoriquement en faveur de l’historicité de la littérature, ne pense pas en pratique l’historicité de ce texte qui lui fournit les motivations de son engagement.

  • 14 Compte tenu de la quantité de numéros de Selbstwehr, nous nous sommes limités à la lecture du tout (...)
  • 15 Cette juridicité est, certes, critiquée et historicisée par Derrida mais demeure néanmoins et malgr (...)

15Nous nous proposons dans le présent article de remédier à cette lacune en reconstituant une histoire générale de l’hebdomadaire pragois Selbwstwerh, qui accueillit la première publication de ce texte, et des relations spéciales que Kafka entretenait avec lui14. Nous étudierons la publication de « Devant la Loi » dans le numéro du 7 septembre 1915. On montrera alors qu’il est possible de développer une nouvelle approche de ce texte dont les innombrables commentaires, exégèses et interprétations ont fini par embrouiller son intrigue complexe plutôt que l’éclairer : « Devant la Loi » deviendra un récit de la sortie et l’approche socio-politique s’en trouvera largement étayée. Aussi et surtout, analyser la multiplicité de « Devant la Loi » sous l’angle offert par Selbstwehr permettra de rendre la parabole, devenue emblème de la Littérature et du questionnement de ses lois par le critique, à l’Histoire. Autrement dit, si Derrida a pensé la juridicité15 de la littérature à partir de « Devant la Loi », nous aspirons ici à en montrer l’historicité et la matérialité extérieure.

Selbstwehr, un journal politique et culturel aux revendications sionistes

La fondation, la ligne éditoriale et le développement de l’hebdomadaire

  • 16 Hartmut Binder, « Franz Kafka and the Zionist weekly Selbstwehr », Leo Baeck Institute Yearbook 12 (...)
  • 17 Kateřina Čapková, Czechs, Germans, Jews? National Identity and the Jews of Bohemia, traduit du tchè (...)

16La revue hebdomadaire Selbstwehr – Unabhängige jüdische Wochenschrift fut fondée en 1907 par Richard Brandeis, fils du journaliste, écrivain et éditeur Jacob B. Brandeis, et par le journaliste Franz Steiner. Tous deux étaient membres de l’association étudiante sioniste « Barissia »16, fondée trois ans plus tôt comme une alternative à l’association « Bar Kochba », qui avait tendance à entretenir un rapport trop théorique et par conséquent peu accessible au nationalisme juif17.

  • 18 Par exemple, sur le tout premier numéro du 1er mars 1907, on trouve la mention « Eigetümer und Hera (...)
  • 19 Achim Jaeger, « Nichts jüdisches wird und fremd sein. » in : Aschkenas – Zeitschrift für Geschichte (...)
  • 20 Ibid., 156-157. Toutes les traductions de l’allemand vers le français sont, sauf mention différente (...)
  • 21 « eine Kriegserklärung gegen alles Morsche, Halbe, Faulende im Judentume und eine kräftige, vernehm (...)
  • 22 À ce propos, voir : Scott Spector, « Prague Territories, National Conflict and Cultural Innovation  (...)
  • 23 Voir : Achim Jaeger, op. cit., 156.

17Pendant plusieurs années18, la revue n’afficha aucun nom d’éditeur mais mentionnait à la place un « Konsortium » anonyme. D’après Achim Jaeger, ce « Konsortium » aurait été composé de personnalités en lien avec l’activiste sioniste Hans Kohn, autour duquel s’était formé un groupe pour une « jüdische Erneuerung » (« renouveau juif ») pendant les années 1906 et 1907. Ce dernier comptait également des membres de l’association « Zion », fondée en 1899 afin de diffuser l’idéologie sioniste et d’organiser ensemble les juifs allemands et tchèques19. Le rédacteur en chef du premier numéro était l’historien de l’art autrichien Robert Eisler. Ce dernier avait contribué à la rédaction du Unabhängiges Journal, prédécesseur spirituel de Selbstwehr, qui le 1er janvier 1902 annonçait déjà dans son numéro de lancement : « Nous voulons convaincre (…) le Juif qu’il n’est pas un paria20 ». Cinq ans plus tard, en déclarant ses objectifs dans son premier article programmatique, Selbstwehr se rattachait à cette même veine en ajoutant au caractère provocateur de la citation du Unabhängiges Journal une tonalité belliqueuse : « Une déclaration de guerre contre tout ce qu’il y a de pourri, d’atrophié, de croupissant dans le judaïsme et une approbation énergique et intelligible face aux forces jeunes, conscientes, en germination et aux efforts du peuple juif21 ». Le projet de la revue était ainsi de contribuer à la construction d’une nouvelle identité juive qui passait par la destruction et la négation de ses « éléments impurs22 ». Le Unabhängiges Journal avait alors déjà disparu23.

  • 24 Dès le premier article programmatique du premier numéro (du 1er mars 1907), la rédaction affirme ai (...)
  • 25 Jaeger, op. cit., p. 157.
  • 26 Ibid., p. 161.

18Dès le premier numéro, Selbstwehr revendiquait donc sa sympathie à l’égard du mouvement sioniste24. La revue était avant tout destinée aux juifs de Bohême, mais jouissait également d’une distribution géographique plus large auprès du lectorat germanophone de l’Empire austro-hongrois et de l’Empire allemand. Avant sa parution, il existait à Prague quelques autres journaux juifs et sionistes comme le Jung Juda ou le Unabhängiges Journal. Toutefois, aucun d’eux n’eut une durée de vie très longue ou n’avait adopté une position aussi prononcée en faveur du sionisme25. Les journaux germanophones les plus anciens de Prague, pour la plupart écrits par des juifs, formaient le spectre au sein duquel Selbstwehr devait trouver sa place (le Prager Abendzeitung, le Bohemia, le Prager Tagblatt, le Montagblatt) et s’inscrivaient dans une perspective assimilationniste, parfois même anti-sioniste26. Dès le deuxième numéro, Julius Löwy, qui fut un temps rédacteur de l’organe principal du mouvement sioniste, Die Welt, fondé en 1897 par Theodor Herzl, succéda à Eisler. L’édition de la revue fut reprise par Leo Hermann, membre dirigeant de Bar Kochba, qui imprima sa marque à la revue en l’orientant vers les questions culturelles.

  • 27 Achim Jaeger, op. cit., p. 162.
  • 28 Ces petites annonces, publiées sur les deux dernières pages, apparaissent dès le premier numéro de (...)
  • 29 Achim Jaeger, op. cit., p. 162-186.
  • 30 Ainsi que le formule Harmut Binder (op. cit.) ; comme la Tchécoslovaquie ne vit le jour qu’en 1918, (...)
  • 31 Binder, op. cit., 135.

19Afin d’être visible le plus rapidement possible et de s’attirer un large lectorat, Selbstwehr recourut à différentes stratégies de communication dès sa création. Robert Eisler explique, par exemple, qu’il prenait, tous les jeudis soirs, c’est-à-dire la veille de la parution du nouveau numéro, une trentaine d’exemplaires afin de les distribuer gratuitement dans les boîtes aux lettres de commerçants juifs du centre-ville de Prague27. Ce type de stratégie publicitaire, combiné aux exhortations à l’abonnement à l’intérieur de la revue, à son prix très attractif, aux petites annonces publiées par des commerces, des particuliers et des associations juives sur les deux dernières pages de chaque numéro28, contribua à gagner à Selbstwehr un lectorat stable qui peut expliquer sa longue durée de vie29. En 1912, un deuxième « Konsortium » prend en charge la rédaction, et Selbstwehr devient en outre un organe de l’association sioniste de Tchécoslovaquie30 couvrant toutes les actualités juives locales31.

  • 32 Voir le numéro de Selbstwehr du 27 août 1914, p. 1.
  • 33 Siegmund Kaznelson publiait également sous le pseudonyme de Albrecht Hellmann.
  • 34 Binder, op. cit., 136.
  • 35 Pour répondre à la hausse de la concurrence pendant la guerre, Selbstwehr fusionna en 1922 avec le (...)

20En 1914, avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, l’existence de la revue Selbstwehr se vit menacée. En juillet 1914, la publication fut suspendue. Le 27 août 1914, un nouveau numéro justifiait cette absence prolongée dans une tribune expliquant que la majorité des contributeurs était partie au front32. C’est Siegmund Kaznelson33 qui, pratiquement sans rétribution, recommença d’éditer le journal34. La publication de la revue se vit à la fois ralentie et amincie : de la fin du mois d’août jusqu’à celui de décembre 1914, elle ne parut plus que tous les quinze jours et à partir de la fin octobre, les numéros se limitaient à quatre pages, contre huit avant et après. La guerre n’était toutefois pas seule en cause : l’année 1914 avait coïncidé avec un accroissement du nombre de journaux juifs, qui incarnaient pour Selbstwehr une nouvelle concurrence35.

  • 36 Harmut Binder et Achim Jaeger mentionnent tous deux que pendant l’été 1917, la direction de la revu (...)
  • 37 Binder, op. cit., 137.
  • 38 Binder, op. cit., 145.

21Après la fin de la guerre, ce fut l’ami de Kafka, Felix Weltsch, qui reprit la direction36. Avec la déclaration d’indépendance du 18 octobre 1918 et les traités de paix de Saint-Germain-en-Laye et de Trianon de l’année suivante, en 1918, la Tchécoslovaquie vit le jour. Les juifs y furent d’emblée reconnus comme une minorité nationale et un parti politique juif s’organisa afin de gagner des sièges au Parlement. Dans ce nouveau contexte politique tchèque, Selbstwehr devint porte-parole de ce parti37 au sein duquel Max Brod se présenta aux premières élections de Tchécoslovaquie sans pour autant parvenir à être élu (le parti ne remporta qu’un seul siège)38.

22Dans les années 1930, avec la multiplication des violences en Europe de l’Est et dans un contexte d’antisémitisme croissant, le journal prit une envergure politique sioniste d’autant plus forte, mettant en lumière l’aspect littéral du mot Selbstwehr : autodéfense. En mars 1939, la rédaction fut dissoute lorsque les troupes allemandes firent leur entrée en Tchécoslovaquie, après que les accords de Munich eurent proclamé la région « protectorat allemand de Bohême-Moravie ».

Le feuilleton, espace de construction d’une littérature juive autonome

  • 39 Jaeger, op. cit., 201.

23Situé au bas des premières pages du journal, sous une ligne distinguant les articles politiques et d’actualité des productions littéraires, le feuilleton, entre deux et trois pages pour un numéro de huit pages, atteint jusqu’à treize pages dans les numéros spéciaux plus longs, comme celui du 7 septembre 1915 publié pendant la période de Roch Hachanna. Une des ambitions principales du feuilleton était d’abord de permettre aux lecteurs de lire des textes traduits du yiddish et de l’hébreu. Peu à peu, la rédaction accorda de plus en plus d’attention à la littérature juive de langue allemande (Arthur Schnitzler, Jakob Wassermann), tout en privilégiant les auteurs originaires de Prague. L’objectif du feuilleton était de porter à la connaissance des lecteurs, qu’ils soient de confession juive ou non, l’existence d’une littérature juive autonome et vivante39.

  • 40 Voir à ce sujet Marthe Robert, Seul comme Franz Kafka, Calmann Levy, 1979. Il existe quelques excep (...)
  • 41 Ce « ou » n'est pas nécessairement inclusif.

24Avec ses traductions du tchèque, de l’hébreu et du yiddish, le feuilleton est donc à la fois un lieu de passage et de communication entre les langues et les sphères géographiques, mais aussi un laboratoire de création et de promotion de la littérature contemporaine juive de langue allemande. À côté de textes d’auteurs faisant déjà partie du canon pouvaient donc se trouver des textes d’auteurs encore jeunes et inconnus, ainsi que des traductions. Quels que fussent les auteurs ou les langues d’origine de ces textes, le feuilleton fournit un cadre très marqué par la réflexion sur la judéité, souvent mise au service de l’idéal sioniste et les nouveautés littéraires étaient analysées afin de savoir comment elles contribuaient à la formation d’une conscience juive ou bien au progrès du judaïsme dans le sens d’une renaissance nationale. Ainsi, à la lecture du feuilleton, la présence parmi ces auteurs de Kafka, écrivain dont l’œuvre ne présente qu’extrêmement peu de références directes au judaïsme40, qui fut athée, socialiste et anti-sioniste en sa jeunesse et qui conserva une sensibilité socialiste tout au long de sa vie, paraît apporter une voix dissonante, non pas au sens où elle serait contraire aux autres voix, mais simplement au sens où elle ne sonne pas de la même façon, où elle ne s’intègre pas au ton général de Selbstwehr. Il faudra donc être prudent à ne pas y lire « Devant la Loi » selon ce qui peut sembler le plus évident dans ce contexte, c’est-à-dire une herméneutique univoquement religieuse, judaïque ou41 sioniste. L’interprétation devrait s’y faire presque négativement ou, du moins, avec une certaine ironie ou distance par rapport au cadre quelque peu monolithique fourni par la revue.

Kafka et Selbstwehr : une relation centrale et multiple

Une place privilégiée dans la vie auctoriale de Kafka

  • 42 Kurt Wolff, avant de se disputer avec Rowohlt et développer sa propre maison d’édition où il amena (...)

25Comme nombre d’auteurs de la première moitié du xxe siècle, Kafka fit son entrée dans le monde des lettres et des avant-gardes de son temps par la porte principale que représentaient alors les revues et les journaux. De telles revues servirent de laboratoire à son écriture et lui permirent à plusieurs reprises de sonder son public et ses proches. Ce support devint ainsi un lieu privilégié de publication pour un écrivain comme Kafka, constamment saisi de doutes quant à l’élaboration et à la valeur de ses textes, un écrivain aux récits caractérisés par la fragmentation et souvent l’inachèvement. Ainsi, avant la publication en 1912 de son premier livre Betrachtung édité par la Rowohlt Verlag sur initiative de Kurt Wolff42, Kafka publiait déjà dans des revues depuis 1908, de sorte que presque seulement la moitié de l’ouvrage était alors réellement inédite.

26De son vivant, paradoxalement, Kafka ne publia d’ailleurs sous forme de livres jamais plus des re courts récits (Betrachtung, Ein Landarzt, Ein Hungerkünstler) ou tout au plus une nouvelle longue (Das Urteil, Die Verwandlung, In der Strafkolonie). Si même ces textes, parfaitement intégrés au système institutionnel éditorial censé survivre au temps, paraissent aujourd’hui partiellement éclipsés par les trois grands romans inachevés publiés posthumes contre le gré affiché de Kafka, il est facile d’imaginer à quel point les nombreuses publications dans les revues de textes littéraires brefs, qui d’ailleurs souvent préfigurent ou sont des fragments de ces mêmes romans, ou les recensions (« Ein Damenbrevier », « Ein Roman der Jugend ») aient été oubliées, occultées, parfois même par les appareils critiques des éditions de référence de ses œuvres complètes (ibidem).

  • 43 Binder, op. cit., p. 137 : In my research on Franz Kafka I have found that no other newspaper – no (...)

27Selbstwehr ne fut bien sûr ni la première ni la seule revue à publier Kafka. Les revues dans lesquelles parurent les textes de Kafka étaient très diverses. Parmi celles-ci figurent des revues juives comme Der Jude, Bohemia ou les Herder-Blätter, ainsi que des revues hebdomadaires d’information générale comme le Deutsche Montags-Zeitung ou la Prager Presse, ou encore des revues littéraires sans orientation communautaire telles que Hyperion, Das bunte Buch, Vom jüngsten Tag. Toutefois Selbstwehr tient un rôle privilégié : « au cours de mes recherches sur Franz Kafka, j’ai découvert qu’aucune autre revue et même qu’aucun autre livre n’est mentionné dans ses lettres et ses journaux autant de fois que Selbstwehr », souligne Hartmut Binder43, et on ne peut que lui donner raison. L’absence ou la place négligeable de l’hebdomadaire dans la littérature secondaire sur Kafka n’en est que plus étonnante.

  • 44 Comme nous le savons, la parabole Vor dem Gesetz y est publiée en 1915, bien avant, donc, l’arrivée (...)
  • 45 Binder, op. cit. p. 137.

28Le rapprochement de Kafka avec Selbstwehr ne s’explique pas uniquement par la présence de son ami Felix Weltsch au poste de rédacteur en chef à partir de 191944, mais aussi et surtout par l’entremise de son éternel « ami-impresario » Max Brod, qui noua des relations avec l’hebdomadaire dès 1911, à l’occasion de la parution de son roman Jüdinnen. Selbstwehr publia dans ses colonnes une recension du roman et Brod - qui à cette époque faisait pourtant encore partie du « camp des assimilationnistes » - y répondit par la publication de plusieurs articles. Ces échanges contribuèrent à un intérêt accru de Brod pour la revue et pour les thématiques qu’elle abordait. Il se mit à la soutenir activement et à la fin de l’année 1913, il était devenu un fervent défenseur de la cause sioniste45.

  • 46 À ce sujet, il sera possible de consulter les numéros de Selbstwehr VI, 51, 2-3 (20.12.1912) ; VII, (...)
  • 47 Voir : Binder, op. cit. et Evelyn Torton Beck, Kafka and the Yiddish Theater, Madison, Wisconsin, 1 (...)

29Les relations entre Kafka et Selbstwehr sont plus complexes et peuvent être décrites sous quatre angles différents. Kafka fut tour à tour un lecteur assidu et un rédacteur non assidu, deux activités que nous détaillons ci-dessous. De son côté, la revue fut l’un des premiers lieux de recension et de critique des ouvrages de l’écrivain46 et par là même probablement un véritable laboratoire pour l’interprétation théologique brodienne de son œuvre et de « Devant la Loi ». Enfin, Kafka put également se saisir parfois de l’hebdomadaire comme d’un espace médiatique mobilisable pour ses amis et des causes artistiques lui tenant à cœur : le cas le plus remarquable est celui du théâtre yiddish et des spectacles de la troupe de son ami Ytzchak Löwy pour lesquels Kafka fit en sorte que Selbstwehr, malgré certaines réticences de la rédaction, promut les représentations et organisa une conférence dont il prononça le discous d’ouverture. Si un tel usage de Selbstwehr est très intéressant en tant que témoin de l’attention que Kafka porta toute sa vie durant aux juifs de l’Est et à leur culture, nous ne nous attarderons pas sur cet aspect qui a été détaillé à la fois par Harmut Binder et Emily Torton Beck47.

Une lecture devenue quasi-obsessionnelle

  • 48 Franz Kafka, Œuvres complètes, Tome III, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984, p. 968

30Selbstwehr tint une place centrale parmi les lectures de Kafka, au point qu’il lui arriva de la lire même en rêve. Ainsi, dans sa correspondance du printemps 1920 avec sa sœur Ottla48, il lui raconte qu’il a rêvé de lire dans Selbswehr un article d’elle, intitulé « Une lettre » qui n’était autre chose qu’une lettre adressée à Marta Löwy, leur cousine, écrite afin de la consoler de la maladie de son frère. Bien évidemment, Kafka dit ne pas comprendre pourquoi une telle lettre, dans son rêve, était publiée dans Selbstwehr, mais il prétend être tout de même très content de cela.

  • 49 Brod Max, Der Prager Kreis, Stuttgart ; W. Kohlhammer Verlag, 1966.

31En ce qui concerne les lectures réelles, les lectures non oniriques de Selbswehr par Kafka, il a déjà été question de son rapprochement avec la revue au début des années 1910, sous la poussée initiale de Brod. Son intérêt se développa ultérieurement avec la reprise en main de sa direction par Felix Weltsch, ami très proche et membre du « Prager Kreis restreint » décrit par Max Brod49. Enfin, avec l’arrivée des années 1920 et le tournant spirituel dans la vie de Kafka et ses plans de départ pour la Palestine, ainsi que la distance qui le séparait bien plus fréquemment pendant ses dernières années de sa ville natale, cette lecture devint pratiquement indispensable pour son quotidien.

  • 50 À ce sujet, voir, par exemple, Ibid., p. 715-716.
  • 51 Binder, op. cit, p. 144.

32Si Kafka fut très tôt lecteur de Selbstwehr, et abonné au journal jusqu’à la fin de ses jours, sa première mention dans les lettres éditées de Kafka date de l’octobre 1917 car c’est à partir de cette année que Kafka résida de plus en plus souvent ailleurs qu’à Prague. Selbswehr peinait à arriver dans ces lieux et cela l’obligeait à le réclamer à ses amis, car Kafka dépendait de l’hebdomadaire pour avoir des nouvelles de l’actualité pragoise et de la politique nationale et internationale vues sous une perspective sioniste, avec laquelle il maintenait néanmoins un rapport ambigu50. Beaucoup moins ambiguë est l’attention que Kafka portait au versant littéraire et culturel de l’hebdomadaire. Binder formule en ce sens l’hypothèse que certains textes publiés dans le feuilleton de Selbstwehr, et probablement lus par Kafka, purent représenter une source d’inspiration pour ses propres récits51.

Un lieu de publication pour plusieurs de ses textes

33En ce qui concerne l’activité de rédacteur du journal, Kafka ne publia pas uniquement « Devant la loi » – « Vor dem Gesetz » – dans la revue Selbstwehr. Ce texte fut le premier d’une petite série de cinq publications : « Ein Traum », publié dans le supplément Das jüdische Prag en 1917, suivi de trois autres textes dans l’hebdomadaire, en 1919 et 1921.

  • 52 Brod Max, Der Prager Kreis, op. cit.

34À leur lecture, deux éléments sont particulièrement remarquables. Le premier relève du symbolique : ces textes, tout comme « Vor dem Gesetz », sont parus dans des numéros dédiés à des fêtes juives, notamment Roch Hachanna et Hanoucca. La première version de « Eine kaiserliche Botschaft » vit le jour dans le numéro spécial du 24 septembre 1919 consacré au nouvel an juif, tout comme « Vor dem Gesetz » dans le numéro du 7 septembre 1915 et « Ein altes Blatt », dans le numéro du 30 septembre 1921. « Die Sorge des Hausvaters » parut dans le numéro spécial de Hanoucca, le 19 décembre 1919. Le deuxième est en revanche d’ordre relationnel : il s’agit de la présence de Max Brod et de Felix Weltsch, tous deux importants contributeurs et rédacteurs de la revue, dans chacun des numéros où Franz Kafka fut publié de son vivant, mais également celle de Franz Werfel, de Rudolf Fuchs, ainsi que d’Oskar Baum, poètes faisant partie du « cercle de Prague restreint »52. La présence systématique de Max Brod dans ces numéros s’explique par l’obstination dont ce dernier fit preuve pour révéler l’écrivain Franz Kafka au grand jour et le véritable rôle d’agent qu’il endossa pour le faire publier. Ainsi, il négocia sans doute que Kafka obtienne une place dans le feuilleton et, ceci, non loin d’un de ses propres articles, afin que leurs écrits se fassent écho.

  • 53 Original : « wir stehen der Welt und dem jüdischen Leben nicht indifferent und parteilos gegenüber (...)
  • 54 Traduction :« La nouvelle année du sionisme. »
  • 55 Traduction :« Les tentations de l’assimilation. »

35Conformément à la ligne éditoriale de l’hebdomadaire, chaque numéro ne manque pas d’aborder la question du sionisme ainsi que l’actualité juive locale puis, progressivement, internationale. Même s les textes littéraires publiés dans Selbstwehr étaient placés dans le feuilleton, séparés de l’actualité par une ligne, les lecteurs de l’hebdomadaire abordèrent les textes de Kafka dans cet environnement d’éditoriaux et d’articles qui ne laissaient aucun doute sur les orientations politiques de la revue. Dans l’avant-propos du supplément de 1917 « Das jüdische Prag », la rédaction affirmait ses convictions sionistes en ces termes : « Nos positions à l’égard de la vie et du monde juifs ne sont ni indifférentes, ni impartiales (…), une certaine orientation dans le judaïsme, l’orientation nationaliste53 ». Le 24 septembre 1919, le premier article en première page s’intitulait : « Das neue Jahr des Zionismus » (Le nouvel an du sionisme54). Le 19 décembre 1919, l’éditorial portait pour titre « Die Lockungen der Assimilation » (Les tentations de l’assimilation55). Enfin et surtout, le numéro du 7 septembre 1915, celui où fut publié « Devant la Loi », après un éditorial d’une colonne sur la guerre, exhibait un article qui portait le titre : « Die Hauptaufgaben des jüdisch-österreichischen Politik » (Les principaux défis de la politique juive autrichienne). C’est en présence de cet article et des autres qui occupaient les colonnes de ce numéro spécial que la lecture de « Devant la Loi » peut être profondément renouvelée.

« Devant la Loi » dans la revue Selbstwehr : possibilité d’une nouvelle lecture

36Prises dans le contexte très littéraire par lequel « Devant la Loi » a été phagocyté, celui de Ein Landarzt ou de Der Prozess, l’atmosphère onirique et étrange qui se dégage du texte, avec ses nombreuses pointes juridiques, théologiques et mystiques, nuit fortement à des interprétations matérialistes. Dans Der Prozess, plus encore que dans Ein Landarzt, placée dans le chapitre Im Dom, dans la cathédrale selon des modalités déjà décrites ici, « Devant la Loi » a presque naturellement tendance à être absorbé par des problématiques métaphysiques ou transcendantales ; les lectures symboliques allant dans ce sens peuvent être étayées avec plus d’ampleur et de crédibilité que si le texte est considéré isolément, ou dans d’autres environnements.

37Il en va tout autrement si, au lieu de prendre Ein Landarzt ou Der Prozess comme support de publication de « Vor dem Gesetz », nous prenons Selbstwehr et si donc, conséquemment, au lieu de prendre 1919 ou 1924 comme date de publication, nous retenons 1915, celle de sa première publication et la plus proche de son contexte d’écriture .

Un texte écrit pendant la guerre, moment de mise à l’épreuve de la solidarité juive

38S’il est impossible de donner à l’écriture de « Vor dem Gesetz » une datation au jour près, son contexte général ne fait aucun doute. Il s’agit des premiers mois de la Première Guerre mondiale. Les premières ébauches de Der Prozess – que Kafka renonce à achever vers la fin de l’année 1915 – coïncident, en effet, avec l’éclatement du conflit. Le 31 juillet 1914 Kafka note dans son journal :

  • 56 Franz Kafka, Oeuvres complètes, Tome III, trad. de l'allemand par Jean-Pierre Danès, Claude David, (...)

Je n’ai pas le temps. C’est la mobilisation générale. K. et P. sont appelés sous les drapeaux. Je reçois maintenant la récompense de ma solitude. […] Mais j’écrirais en dépit de tout, à tout prix ; c’est ma manière de me battre pour me maintenir en vie56.

39C’est sous ce mot d’ordre : se battre contre la guerre, se maintenir en vie, qu’il faut placer historiquement l’écriture de « Devant la Loi ». Pendant les mois qui suivent, l’annonce de la mobilisation générale, les réflexions sur la guerre et l’écriture ne cessent de s’entrelacer dans le journal. Le 6 août, au moment du défilé de l’artillerie, il manifeste sa « haine à l’égard des combattants » avant de déclarer à propos du défilé patriotique :

  • 57 Ibid., p. 359.

Discours du bourgmestre […] On entend l’acclamation allemande : « Vive notre monarque bien-aimé ! Vivat ! » J’assiste à cela avec mon regard méchant. Ces défilés sont l’un des plus répugnants phénomènes qui accompagnent accessoirement la guerre. Ils sont dus à l’initiative de commerçant juifs qui sont tantôt allemands, tantôt tchèques57.

  • 58 Ibid., p. 366.

40Les entrées du journal permettent ainsi d’entrevoir l’état d’esprit général de Kafka vis-à-vis de la guerre mais aussi de l’adhésion, qu’elle fût sincère ou hypocrite, de la population pragoise à la mobilisation générale ; état d’esprit dont il est possible de percevoir la répercussion directe dans nombre de ses textes. Les critiques s’accordent, par exemple, sur les liens que présentent avec la Première Guerre mondiale In der Strafkolonie (La Colonie pénitentiaire) et « Der Dorfschullehrer » (« Le maître d’école au village ») connu aussi sous le nom de « Der Riesenmaulwurf » (« La taupe géante »), écrites comme « Vor dem Gesetz » pendant cette période. In der Strafkolonie se rapporte, en partie tout au moins, à la Grande guerre par le jugement martial que le récit contient, par la violence qui y est déployée et que le lecteur peut difficilement supporter, par la machine qui exécute le prisonnier et qui n’est pas sans rappeler le recours aux armements nouveaux, mécaniques et chimiques, qui caractérisa le conflit. « Der Riesenmaulwurf », pour sa part, semble directement inspirée du récit que Joseph Pollak, rentré du front en raison d’une blessure, fit à Kafka en novembre 1914 : « histoire de la taupe qui creusait sous lui dans la tranchée et qu’il a regardée comme un signe divin l’avertissant de quitter l’endroit. À peine était-il parti qu’une balle a touché un soldat qui venait d’entrer derrière lui en rampant et se trouvait au-dessus de la taupe58. » Comment l’écriture « Devant la Loi » aurait-elle pu, pour sa part, faire abstraction de la guerre ? Ou plutôt : pourquoi ne pas tenter de considérer le texte à cette lumière ?

  • 59 Ibid., p. 371.

41L’écriture peut être contextualisée de façon plus précise encore que nous l’avons fait jusque là. Kafka rapporte avoir rédigé « l’exégèse de la Légende », c’est à dire le dialogue entre l’aumônier et Joseph K., le 13 décembre 1914, et d’avoir alors relu la légende en éprouvant un « sentiment de contentement et de bonheur » qui « doit être payé et payé après coup, afin qu’aucun repos ne vous soit accordé59 ». Il est donc légitime de supposer que la légende elle-même ait été écrite peu avant le 13 décembre, en cette fin d’automne 1914. Or, c’est précisément à ce moment là qu’éclate à Prague une crise de réfugiés de guerre sans précédent ayant d’importantes retombées sur la communauté juive de la ville et qu’il est nécessaire de cerner précisément.

  • 60 Claire Morelon, « L’arrivée des réfugiés de Galicie en Bohême pendant la Première Guerre mondiale : (...)
  • 61 Reiner Stach, « Die Wiederkehr des Ostens » in : Kafka. Die Jahre der Entscheidungen, Frankfurt am (...)
  • 62 Ibid., p. 566.
  • 63 Claire Morelon, op. cit., p. 2-3.

42En août 1914, la Russie commença d’envahir les régions de Galicie et de Bucovine, situées à l’extrême est de l’Empire austro-hongrois, déclenchant un exode de réfugiés vers les grandes villes de l’arrière austro-hongrois qui possédaient d’importantes communautés juives comme notamment la ville de Prague60. Le front galicien s’étendait sur quatre cents kilomètres. Les habitants de ces régions fuirent en raison des destructions, de la peur de l’ennemi russe, et les populations juives en raison de la peur des pogroms perpétrés par les russes, que Selbstwehr mentionne dans le numéro du 17 août 1914. Ces populations migrèrent principalement vers l’Ouest pour fuir la menace russe à l’Est, mais aussi et surtout parce qu’ils étaient citoyens de la monarchie austro-hongroise61. Ces évacuations n’étaient ni planifiées, ni stratégiques62. Les premiers réfugiés arrivèrent à Prague en septembre 1914 et la conséquence immédiate fut celle de la mise en contact de populations très différentes. Les réfugiés de Galicie et de Bucovine se composaient de polonophones, de paysans ukraïnophones ou roumanophones et de juifs yiddishophones63.

  • 64 Reiner Stach, op. cit., p. 564.
  • 65 Claire Morelon, op. cit., p. 3.

43Le spectacle de leur arrivée fut déjà un premier choc. On vit des centaines de personnes sortir de trains arrivant à Prague, des femmes avec enfants, des hommes barbus dont on ne comprenait pas la langue, tous dans un état misérable alarmant64. À la fin de l’année 1914, la police comptabilisait 17 667 réfugiés accueillis par la ville de Prague65.

  • 66 Ibid., p. 2
  • 67 Voir notamment les numéros du 20 septembre 1914, du 10 octobre, 1914, du 13 novembre 1914, du 28 no (...)
  • 68 Claire Morelon, op. cit., p. 5.
  • 69 Ibid., p. 6.
  • 70 Claire Morelon, op. cit., p. 7.
  • 71 Ibid., p. 6-8.
  • 72 Reiner, Stach, op. cit., p. 568.

44Cette arrivée massive d’une population en manque de moyens contribua à redéfinir les pratiques de charité locales et d’assistance de la part de l’Etat. La prise en charge des arrivants à l’échelle locale66 fut initialement organisée de façon coordonnée par la communauté juive de la ville et les autorités impériales et communales, comme le confirment de nombreux articles publiés dans Selbstwehr pendant toute la fin de l’année 1914 ainsi que le début de l’année 191567. Dans un premier temps, les autorités impériales promurent une aide aux nouveaux arrivants qui s’élevait à la somme de 70 Hellers par personne et par jour, auxquels s’ajoutaient des actions de bienfaisance d’origine privée. Malgré la couverture médiatique de l’arrivée des réfugiés galiciens, moins d’associations se mobilisèrent pour cette cause que pour les blessés de guerre68. Cela peut s’expliquer par le fait que, malgré leur appartenance à l’empire austro-hongrois, les habitants de Galicie orientale étaient le plus souvent perçus comme des étrangers, des orientaux69. De plus, la moitié des réfugiés étaient des juifs et la réaction du gouvernement face à leur arrivée fut de les catégoriser comme nationalité à part, favorisant les stéréotypes ethniques et les phénomènes de violence, de rejet et d’exclusion envers les réfugiés70. S’y ajouta également un discours hygiéniste racialisé. La conséquence de cette stigmatisation était entre autres une volonté de distanciation des juifs assimilés autochtones par rapport aux juifs galiciens. Les premiers se plaignirent de plus en plus du mode de vie traditionnel des deuxièmes, qu’ils ne parvenaient pas à comprendre. À cela s’ajoutait la crainte de répercussions à leur encontre des réactions xénophobes et antisémites de la population non-juive de la ville 71. La majorité tchèque de Prague prit donc ses distances des réfugiés juifs galiciens. Même les juifs de langue tchèque ne virent pas pourquoi prendre sur eux la responsabilité de ces gens qui demeuraient, malgré une foi commune, très éloignés d’eux culturellement72.

45Ces événements touchèrent directement Kafka et ses proches. Nombre d’entre eux s’impliquèrent directement dans les dispositifs d’aide mis en place par la communauté juive pragoise, en particuliers les Brod. Kafka, pour sa part, s’y impliqua de façon indirecte, et ceci par le regard lucide et littéraire qu’il porta sur la situation. Après avoir observé l’éclatement de la guerre et l’adhésion des commerçants juifs aux défilés patriotiques aux mois de juillet et d’août, l’écrivain fut, à partir du mois de novembre, absorbé par l’accueil des juifs de l’Est en partie organisé par ces mêmes commerçants. Juste avant l’entrée qui témoigne de l’écriture de « Vor dem Gesetz » dans son journal, il rapporte à la manière réaliste, inhabituelle chez lui, d’un chroniqueur, la scène suivante :

  • 73 La mère de Max Brod.
  • 74 Une réfugiée de Galicie.
  • 75 Mitzwe désigne une action charitable, Schmatte signifie « querelles ». Cf. Pléiade, tome III, p. 13 (...)
  • 76 Franz Kafka, Œuvres complètes, Tome III, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984, p. 368

Hier Tuchmachergasse, où l’on distribue du vieux linge et de vieux vêtements aux réfugiés de Galicie. Max, Mme Brod73, M. Chaim Nagel. […]
Mme Kannessieger de Tarnow74, cette femme intelligente, vive, fière et modeste, qui ne voulait que deux couvertures mais deux belles et qui, en dépit de la protection de Max, n’en a pourtant reçu que de vieilles et sales, les couvertures neuves restant dans une chambre à part où […] les objets en bon état sont gardés pour les gens de conditions plus relevée. En outre, les bonnes couvertures lui ont été refusées parce qu’elle n’en avait pas besoin que pour deux jours, en attendant que son linge arrive de Vienne, et que les objets ayant servi ne peuvent pas être repris à cause du choléra.
Mme Lustig avec une masse d’enfants de toutes les tailles et une sœur […]. Elle met tant de temps à choisir une robe que Mme Brod lui crie : « Allez-vous vous décider, prenez celle-ci ou vous n’aurez rien. » Mais Mme Lustig répond en criant encore plus fort et avec un grand geste plein de fougue : « La Mizwe [bonne action] a cependant bien plus de valeur que toutes ces Schmatte75. »76

46Le récit de l’historienne (Claire Morelon) et du témoin lettré (Kafka) coïncident. Ce dernier décrit le dispositif d’aide de la communauté juive de l’intérieur. Il en ressort toute la distance entre les accueillants et les accueillis, l’encadrement médical et administratif de leur arrivée avec le retrait et la mise en état d’inutilisation des objets ayant été en contact avec les réfugiés pour éviter une épidémie de choléra et surtout le caractère structurellement inéquitable de l’aide apportée, variant selon la condition sociale des arrivants. Toute la sympathie de Kafka pour ces humbles et dignes juifs de l’Est attachés à leurs valeurs d’une part, son jugement critique quant aux aux modalités de l’accueil d’autre part, transparaissent de ces quelques lignes.

  • 77 Franz Kafka, Journal, trad. de l'allemand par Marthe Robert, Paris, Le Livre de Poche, 1982, p. 670
  • 78 Voir par exemple :14 avril 1915 « les jeunes filles galiciennes à une leçon sur Homère ».

47Au fil des mois, avec la banalisation des arrivées et la mise en place de dispositifs d’aide d’urgence et d’intégration, la distance entre galiciens et pragois augmenta. Marthe Robert rapporte que Max Brod « donnait des cours de “littérature universelle” dans l’école fondée par le professeur Alfred Engel pour les enfants des émigrés juifs de Galicie. Kafka était le seul invité à ces cours auxquels il venait souvent77. » Nombreuses sont les entrées du journal de Kafka qui relatent des rencontres et des leçons données dans ce cadre dans le courant de l’année 191578 mais la plus significative date du 11 mars 1915 :

  • 79 Pléiade, III, p. 384.

Juifs de l’Est et Juifs occidentaux, meeting. Le mépris des juifs de l’Est pour ceux d’ici. Bien fondé de ce mépris. Les Juifs de l’Est en connaissent la raison, les Juifs occidentaux l’ignorent. Les idées effroyables, ridicules au-delà de toute expression, que ma mère, par exemple se fait d’eux pour pouvoir les approcher. Max lui-même, insuffisance, faiblesse de son discours, déboutonne puis boutonne sa veste79.

48Kafka interroge encore une fois les paradoxes de l’accueil et de l’intégration qui, bien que menés par des personnes censées être bienveillantes à l’égard des juifs de l’Est, comme Max Brod (sioniste convaincu du besoin d’unité nationale entre les juifs du monde entier, qui idéalisait bien souvent la religiosité orientale face à la perte de spiritualité des occidentaux réputés assimilés), sont à bien des égards discriminatoires et apparemment impossibles. La frontière culturelle et économique demeure infranchissable.

49Comme Brod en première ligne dans l’accueil, l’hebdomadaire Selbswehr, premier lieu de publication de « Vor dem Gesetz » fut, dès le début de la crise migratoire, extrêmement actif dans la promotion de la solidarité, qui s’inscrivait parfaitement dans son programme de formation d’une unité et d’une nation juives, publiant sans cesse des rapports sur la situation critique des réfugiés, des appels aux dons ainsi que des rapports sur les efforts déployés par quelques associations juives.

  • 80 numéro du 20 septembre 1914.
  • 81 Original : « Angesicht dieses Elends darf aber kein jüdisches Herz zweifeln ; man muß helfen ».
  • 82 titre : Das Hilfwerk für die jüdischen Flüchtlinge aus Galizien.

50Selbstwehr prévint ses lecteurs de l’arrivée imminente des réfugiés galiciens dès septembre 191480. Dans le numéro du 20 septembre 1914, la revue se positionna clairement en faveur de l’aide aux réfugiés et exhortait les lecteurs à se montrer solidaires envers ces populations misérables : « Face à toute cette misère, pas un seul cœur juif n’a le droit de douter ; il nous faut aider81. » L’effort financier en question fut mis sur le même plan que celui de l’effort de guerre, et il en est appelé au sentiment national juif pour justifier ce double effort. Dans les numéros suivants, Selbstwehr continua d’encourager les initiatives auprès des réfugiés en vantant les mérites et les accomplissements d’associations juives impliquées dans ces efforts. Le numéro du 20 octobre 1914 accorda par exemple trois colonnes aux œuvres caritatives mises en place pour les réfugiés juifs de Galicie82, celui du 13 novembre 1914 publie un article sur l’hôpital d’urgence mis en place par les femmes du « Jüdisches Frauenverein », celui du 28 un autre article similaire. Le premier article du numéro du 29 décembre s’intitulait « Die Flüchtlingsfürsorge », l’aide aux réfugiés, et constatait d’emblée que la question n’était pas résolue. Enfin, Selbstwehr fit du numéro du 8 janvier 1915 un numéro spécial exclusivement consacré aux réfugiés galiciens. Tous les articles traitaient à nouveau des aides fournies par les associations, du besoin de mobilisation de la population pour cette cause ainsi que du manque de moyens. Cependant, le deuxième mentionnait également les problèmes culturels résultants de l’accueil des juifs orientaux dans la ville de Prague, notamment sur le plan des coutumes. En effet, d’après la revue, si chaque réfugié de Galicie, juif ou non, recevait une aide financière de 70 Hellers par jour, les réfugiés galiciens se voyaient désavantagés financièrement en raison du coût de leurs pratiques religieuses rituelles.

  • 83 Reiner Stach, op. cit., p. 574.
  • 84 Claire Morelon, op. cit., p. 1 et 6.

51Le nombre maximum de réfugiés accueillis fut atteint en 1915 avec 24 295 réfugiés arrivant à Prague. Le 18 janvier 191583, le gouvernement promulgua une ordonnance pour fermer les portes de la ville de Prague aux réfugiés. Selbstwehr n’y fit même pas mention. D’après Claire Morelon, cette mesure n’empêcha pas les réfugiés d’arriver à Prague. Cette ordonnance semble avoir plutôt eu une valeur symbolique pour rassurer les habitants de la ville qui commençaient à s’impatienter de la situation, notamment à cause de la hausse des prix des denrées alimentaires84. Toutefois, il convient de souligner que le numéro du 5 janvier 1915 était entièrement consacré aux réfugiés juifs de Galicie. Est-il possible d’interpréter cette mise à l’honneur comme un acte de dissidence envers les autorités pragoises qui comptait fermer la ville ?

La parabole des réfugiés, récit de la sortie et renouveau de l’approche socio-politique

52Au-delà de la difficile question historique de la fermeture effective des portes de la ville et du positionnement des rédacteurs de Selbswehr à l’égard de l’ordonnance municipale, c’est-à-dire visi-à-vis de ce « bourgmestre » dont Kafka semble tant mépriser le discours prononcé lors du défilé de l’artillerie, il est certain que la question de la solidarité à l’égard des réfugiés ne cesse de hanter les pages de l’hebdomadaire. Et ceci tout en particulier dans le numéro où parut pour la première fois la parabole kafkaïenne « Vor dem Gesetz » : celui du 7 septembre 1915.

  • 85 « Heute müssen wir dieser Gewohnheit untreu werden » « Unsere Hoffnung, dass der Krieg in dem abgel (...)
  • 86 « Zwei ungeheuerliche Ereignisse insbesondere kennzeichnen das abgelaufene Jahr als eines der furch (...)

53Il s’agit d’un numéro publié pendant la période de Roch Hachanna ; comme pour la plupart de ce genre de numéros spéciaux, il était plus long que d’habitude puisqu’il comprenait vingt pages. L’éditorial s’intitulait « Neues Jahr im Kriege » (Nouvelle année en guerre) et n’était pas signé. En revanche, il était à la fois adressé à et rédigé par un « nous » qu’il est possible d’identifier à l’ensemble de la rédaction aussi bien qu’à l’ensemble du lectorat de ce numéro, voire du peuple juif85. L’article commence avec le motif, commun, du regard rétrospectif porté sur l’année écoulée afin de faire le point et d’en tirer des enseignements. La rédaction déclare toutefois ne pas être en mesure de poser un tel regard : vues les circonstances, ce geste habituel s’avère impossible. Le deuxième rappelle le contexte de guerre dans lequel se trouve l’Europe en septembre 1917 et en souligne qu’il s’agisse du deuxième Roch Hachana passé en guerre. Les événements qui se sont déroulés pendant l’année passée se sont montrés bien trop bouleversants pour permettre aucune prise de distance rétrospective, en particulier, du point de vue de l’histoire pluri-millénaire du peuple juif, ces deux faits monstrueux : l’exode des juifs de Galicie vers l’Ouest et l’exode des juifs russes vers l’Est ainsi que la misère inouïe qui en a résulté86. L’article conclut sur l’attente (die Erwartung) et le désir (der Wunsch) de passer le prochain Roch Hachanna en temps de paix.

  • 87 « die galizische Frage »

54Cet éditorial est suivi d’un article signé par le Dr. H. Kadisch sur les conséquences de la guerre pour l’Empire austro-hongrois. Parmi les problèmes concernant la nouvelle Autriche, il met en exergue la « question galicienne87 » : sans vouloir minimiser l’importance des questions concernant les autres nationalités de l’Empire (slave, tchèque, rom, magyare, allemande), Kadisch considère que la question galicienne constitue un point nodal tant pour les intérêts généraux de l’Empire que pour ceux de sa population juive : en ces temps de guerre, les deux parties auraient toutes deux plus que jamais besoin d’un Empire unificateur et unifié. Pour Kadisch, l’Empire doit mettre en place une politique populaire juive généreuse visant à l’organisation des juifs d’Autriche-Hongrie, à leur éducation politique et à l’amélioration de leurs conditions économiques.

55Le troisième article se composait d’extraits de l’œuvre du poète Heinrich Heine rassemblés par Albrecht Hellmann, qui les proposait comme outil d’observation des problèmes juifs contemporains – bien qu’écrits un demi-siècle auparavant. L’article, très long, met en avant à plusieurs reprises la question de la relation entre juifs de l’Est et juifs de l’Ouest.

  • 88 Tiré du recueil de poèmes à paraître Max Brod, Das gelobte Land; ein Buch der Schmerzen und Hoffnun (...)
  • 89 Comme pour les autres numéros dans lesquels Kafka fut publié plus tard, il est important de notifie (...)

56Dans ce numéro spécial, le feuilleton commence à la deuxième page par un poème de Max Brod intitulé Kosmos88 qui occupe l’espace d’une colonne du feuilleton et est immédiatement suivi par « Vor dem Gesetz »89. Le texte de Kafka est ainsi situé juste après l’éditorial et l’article du Dr. H. Hadisch, centrés sur la « question galicienne », la crise des réfugiés et le besoin d’organisation de la solidarité et juste en-dessous des extraits de l’œuvre de Heine se référant souvent aux rapports entre juifs de l’Est et juifs de l’Ouest.

  • 90 C'est d'ailleurs précisément d'avoir « trompé » l'homme de la campagne que K. accuse le gardien dan (...)

57Dans ce contexte d’écriture et de publication, « Vor dem Gesetz » et ses personnages prennent un sens que toutes les interprétations précédemment mentionnées ignoraient, un sens tragiquement auto-ironique : sa présence au sein de ce journal sioniste prônant la solidarité juive raconterait la faillite de la première véritable épreuve matérielle posée à l’idée de communauté pragoise et à Selbstwehr. L’« homme de la campagne » deviendrait un de ces réfugiés juifs venant des campagnes galiciennes, fuyant la guerre, la faim et la misère. Il chercherait simplement de la protection et de l’hospitalité – ou si l’on veut un salut matériel et non pas l’idée abstraite de Loi ou de Dieu – au-delà des portes de la ville. Face à sa demande il n’essuierait qu’un refus, de la part de ceux-là mêmes qui devraient être les plus proches de lui en termes de religion. Là interviendrait, en plus du refus, la « tromperie90 » ; « tromperie » conférant au refus toute sa légitimité : toute l’histoire mystérieuse de la Loi assortie d’éléments religieux ou transcendantaux et de la promesse d’une rédemption future ne serait qu’une chimère pour justifier ce refus et empêcher que l’homme de la campagne ne se révolte. Le gardien serait le défenseur de la situation économique et des privilèges des citadins. La rédemption future ne pourrait venir qu’avec la mort de l’homme de la campagne. La parabole prendrait ainsi un sens tout matériel qui permettrait de justifier pragmatiquement une lecture marxiste : la Loi véritable ne résiderait en vérité que dans les rapports de force entre l’homme de la campagne et le gardien, le théologique ou le transcendantal joueraient un rôle crucial dans la dissimulation de ces rapports et dans le dispositif disciplinaire tenant l’homme de la campagne à sa place jusqu’à sa mort ; un rôle qu’il serait possible de qualifier d’« opium du peuple ».

  • 91 Kafka lui-même, dans son journal, ne cessera de remarquer la profonde dévotion des juifs de l'Est. (...)

58Ulf Abraham avait proposé, dans son interprétation, une analogie entre la condition de l’homme de la campagne et celle du juif occidental souffrant d’une perte d’identité due au processus modernes de sécularisation. Une telle analogie était peu cohérente car le juif occidental en perte d’identité est plutôt un homme de la ville, habitué aux clôtures, aux obstacles architecturaux, aux labyrinthes routiers, aux normes ; bref, un homme qui ne devrait pas se surprendre d’une interdiction de circuler librement dans l’espace. Pourtant, l’intuition d’une distinction entre juif oriental et juif occidental n’est pas à abandonner complètement : dès que l’on fait de l’homme de la campagne un juif oriental tel que l’était le réfugié des campagnes galiciennes, sa position prend sens. Et cela non seulement d’un point de vue géographique. Le juif oriental, demeuré beaucoup plus proche de la tradition et encore empreint de mysticisme et de dévotion91 est bien plus à même d’être tenu en respect par l’évocation de la Loi, de la Torah et par un récit, d’inspiration midrashique, sur la succession de ses (anges) gardiens terrifiants que ne le serait un juif occidental sécularisé.

59Souvenons-nous de ce qui paralyse, entre autres choses, l’homme de la campagne : l’apparence imposante du gardien. Or, son manteau de fourrure, sa longue barbe noire et son long nez pointu – qui sont les « habits » lato sensu du personnage, son costume et même son uniforme de service – en plus de posséder une fonction comique vis à vis du lecteur – peuvent rappeler les traits des rabbins de l’Est hassidim, et même des rabbins en chef des communautés hassidiques, les admorim, qui avaient une autorité quasi-totale sur leurs communautés. Par ce « déguisement » minutieusement choisi, quelque peu comique aux yeux d’un juif occidental mais symbole de l’autorité religieuse pour le juif de l’Est, le gardien – qui de religieux, en réalité, n’a autre chose que ce déguisement – assoirait son pouvoir tyrannique. D’autre part, il semble que, à côté de ce déguisement, ce costume ou cette apparence théologiquement intimidante pour un Juif de l’Est, a, par son aspect imposant, la peur qu’il dégage, l’ignorance du parler et un certain air militaire, quelque chose du soldat, de la sentinelle aux portes d’une ville.

  • 92 Et, même en faisant de l'homme de la campagne un am ha hares (littéralement « homme ou peuple du pa (...)

60En somme, ce que les interprétations passées de « Vor dem Gesetz » ont tendance à ignorer ou déformer du texte sont les caractéristiques sociologiques du protagoniste de « Vor dem Gesetz » contenues dans son nom même et rappelées par le contexte de la première publication de « Devant la Loi ». C’est parce qu’il est un homme de la campagne (et pas un homme quelconque92 ni l’homme en général) que l’entrée lui est interdite, qu’il est exclu.

61Plusieurs éléments du texte semblent apporter une confirmation à cette thèse. Regardons d’abord de près le seul moment où c’est le gardien et non l’homme de la campagne qui pose des questions, le seul moment où il semble éprouver un intérêt pour l’homme de la campagne et obtenir des informations de lui, sans pour autant le faire remarquer : il s’agit de ces « petits interrogatoires » (Verhöre) que le gardien fait fréquemment (öfter) subir à l’homme de la campagne. Même s’il s’agit « de questions posées avec indifférence, comme le font les grands seigneurs », celles-ci ne devraient pas être sous-estimées. Après les réponses de l’homme de la campagne, qui ne sont pas rapportées, le gardien conclut toujours qu’il ne peut pas encore entrer. Quelle est la relation entre les réponses de l’homme de la campagne et la réitération du refus de le laisser entrer qui s’ensuit, presque mécaniquement ? Le contenu des questions semble en suggérer une relation de type causal. Les questions portent en effet sur le Heimat de l’homme de la campagne. Ce mot, que la plupart des traductions françaises (et anglaises) ne parviennent pas à rendre dans toute son ampleur, va au-delà du Heim, d’un noyau individuel et familial tel que la maison, et investit un noyau social bien plus vaste (national, culturel ou territorial, réel ou non). Il est alors possible de lire le refus du gardien de le faire rentrer comme une conséquence de la « patrie » ou du « pays » dont l’homme de la campagne arrive : la Galicie. Ce refus du gardien paraît, ainsi, se faire presque l’écho de l’ordonnance promulgant la fermeture (semi-fictive) des portes de la ville de Prague.

  • 93 N'oublions pas les propos de Claire Morelon sur la hausse du prix des denrées agricoles et l'état d (...)

62Regardons non seulement les derniers mots (comme tous les interprètes le font) prononcés par le gardien mais aussi les avant-derniers : « tu es insatiable (unersättlich) », dit-il à l’homme de la campagne. Cette « insatiabilité », plutôt que le symbole d’une volonté de savoir ou de rédemption spirituelle, pourrait être prise à la lettre, comme un besoin de manger, dont le gardien se moque. La mort, si mort il y a, de l’homme de la campagne serait, comme pour de nombreux personnages de Kafka, une mort d’inanition semblable à celle qui avait pu toucher une partie des réfugiés galiciens durant leur interminable voyage vers Prague93.

63Dans cette même lignée analogique, il est possible d’entrevoir dans « l’homme qui s’était équipé de bien de choses pour son voyage les utilise toutes, si précieuses soient-elles, pour soudoyer le portier » le réfugié qui a emporté tous ses avoirs dans son voyage et qui doit lentement s’en défaire une fois arrivé, les vendre pour quelques sous pour assurer sa subsistance matérielle, voire pour tenter de corrompre des agents de l’administration. Enfin, dans cette attente interminable qui est celle de l’homme de la campagne, attente qui se déroule dans un temps et un espace indéterminés, assurément un temps et un espace de « non-droit », il pourrait être possible, de manière cette fois partiellement mais volontairement anachronique, de voir l’attente censément temporaire du réfugié un attente qui peut devenir de facto permanente, de sorte que les réfugiés finissent par vivre dans les camps d’hébergement jusqu’à la mort, leur (sur)vie demeurant suspendue devant des lois inconnues et complexes, celles du droit d’asile et des pays d’accueil. Le « tabouret » que tend le portier à l’homme de la campagne pour qu’il puisse « s’asseoir à côté de la loi » sans pour autant jamais pouvoir entrer pourrait être l’équivalent de ces habitations de fortune installées par les autorités locales et internationales.

64L’invocation de la loi, théologique ou transcendantale qu’elle soit, serait clairement alors, comme le proposent certaines interprétations socio-politiques sans suffisamment le justifier, l’un de ces mécanismes sociaux et disciplinaires assurant que l’opprimé misérable ne vienne pas, dans sa fuite, remettre en cause, par des revendications matérielles, les privilèges des plus aisés, ceux des citadins. Ces mécanismes qui font que l’homme de la campagne maudit le hasard (Zufall) et impute à une nécessité incompréhensible ses maux plutôt qu’à leur sources véritables : la guerre, les conditions économiques, le système religieux-disciplinaire-administratif incarné par le gardien. Le théologique (ou le transcendantal) expliquerait et légitimerait l’exclusion, la mise aux marges de l’« homme ou peuple de la campagne » de la ville entendue comme cité politique ou polis.

  • 94 Crépon Marc, « L'impossible anamnèse (Kafka et Derrida) » (chap. II), dans La Vocation de l'écritur (...)

65À cela s’ajoute le fait que le récit « Vor dem Gesetz » que tous voyaient comme un récit de l’entrée, entrée pour l’entrée, entrée injustifiée si ce n’est par une sorte de besoin inné d’entrer, devient un récit de la sortie, de la fuite ou si l’on préfère d’une entrée finalement justifiée en amont par une fuite. Marc Crépon était l’un des rares commentateurs à s’interroger sur le fait que « nul ne sait […] pour quelles bonnes ou mauvaises raisons, dans le récit de Kafka, l’homme de la campagne s’est présenté à la porte de la loi94 ». Grâce à Selbstwehr il a été possible, enfin, d’émettre une première hypothèse pour répondre à une telle question.

Conclusion

66L’hebdomadaire sioniste pragois Selbstwehr, oublié ou négligé par la plupart des critiques et des éditeurs de l’œuvre kafkaïenne, fut en réalité un espace d’une importance capitale pour Kafka. Non seulement l’écrivain en fut un lecteur assidu, voire dépendant de ses numéros qu’il se faisait envoyer par ses amis lorsqu’il n’était pas à Prague ; non seulement il mobilisa à plusieurs reprises ses colonnes pour promouvoir des causes qui lui tenaient à cœur comme celle du théâtre yiddish de son ami Yitzchak Löwy ; mais aussi et surtout il fut l’un des contributeurs de son feuilleton. Au-delà d’être, comme les nombreuses autres revues dans lesquelles Kafka publia, un des premiers débouchés éditoriaux pour ses brefs récits ainsi qu’un lieu de rencontre constant avec le lectorat et la critique, Selbstwehr fut un support de publication en prise avec l’actualité et l’histoire contemporaines : celles d’une province de l’Empire austro-hongrois au carrefour entre l’Ouest et l’Est de l’Europe en un moment de bouleversements géopolitiques profonds dus à la Première Guerre mondiale.

67D’emblée, s’ils sont lus dans ce contexte, les textes que Kafka fit paraître dans le feuilleton de Selbstwehr peuvent puissamment entrer en résonance avec les articles politiques de la partie supérieure du journal et prendre des significations nouvelles par rapport à celles interminablement redondantes et closes sur elles-mêmes que la critique interne leur a données sur près d’un siècle. Relire aujourd’hui ces textes dans Selbstwehr, ce qui n’avait presque jamais été fait, permet de les sortir de la Littérature – entendue comme champ prétendument autonome du social mais également comme élucubration épistémologique issue de ce champ – et de les rendre en partie à l’Histoire. Dans les années 1980,Derrida considérait que la « juridicité » ou la Loi de la littérature, tant explorée par les structuralistes pendant les décennies précédentes, était mise à mal par la multiplicité des versions de ce texte qui permettaient d’en dénoncer le caractère chimérique. De là, il concluait qu’« il y avait lieu de penser ensemble une certaine historicité de la littérature » sans pour autant la penser lui-même, ni en général ni dans le cas du texte particulier qu’il s’était promis d’étudier. Ceci est désormais chose faite.

68« Devant la Loi », publiée dans le Selbstwehr du 7 septembre 1915, en pleine guerre et face à une crise migratoire qui vit des milliers de réfugiés juifs affluer vers Prague, se détache des interprétations métaphysiques ou transcendantales que lui ont donné la plupart de ses critiques pour prendre un sens très matériel. L’homme de la campagne qui en est le protagoniste devient un réfugié galicien auquel sont fermées les portes de la ville sous prétexte d’obéissance à une loi supérieure et inaccessible qui parvient à le garder en respect et à cacher les véritables raisons économiques, en ce moment de raréfaction des ressources, sous-jacentes à cette interdiction. Kafka ironiserait ainsi sur le premier grand échec de la solidarité juive dans un journal qui la prônait hebdomadairement. Une telle interprétation nouvelle entraîne des conséquences radicales sur l’histoire de la réception de « Devant la Loi » : elle bouleverse la trajectoire de la narration – de sorte que « Devant la Loi », pour tous un récit de l’entrée impossible non justifiée devient un récit de la sortie impossible, un récit où la volonté d’entrer est justifiée par un besoin de fuite – et, surtout, elle en relance les approches socio-politiques.

Bibliographie

69Numéros de Selbstwehr : Unabhängige Jüdische Wochenschrift :

Numéro 1, 1ère année, 1er mars 1907

Numéro 38, 5ème année, 29 septembre 1911

Numéro 50, 5ème année, 22 décembre 1911

Numéro 51, 5ème année, 29 décembre 1911

Numéro 2, 6ème année, 12 janvier 1912

Numéro 4, 6ème année, 26 janvier 1912

Numéro 7, 6ème année, 16 février 1912

Numéro 8, 6ème année, 23 février 1912

Numéro 24, 7ème année, 13 juin 1913

Numéro 34, 9ème année, 7 septembre 1915

Numéro 38-39, 13ème année, 24 septembre 1919

Numéro 51-52, 13ème année, 19 décembre 1919

Numéro 37-38, 15ème année, 30 septembre 1921

Numéro 23, 18ème année, 6 juin 1924

Tous consultables sur le site du Musée juif de Prague : http://kramerius4.jewishmuseum.cz/​search/​i.jsp?pid=uuid:bffa5460-da32-11e2-a7dd-000c290d3ac1

70Hors-séries de Selbstwehr :

Das jüdische Prag. Eine Sammelschrift. Hrsg. von der Redaktion der « Selbstwehr », Prague, Verlag der »Selbstwehr » , 1917.

71Ouvrages de Kafka en allemand :

Der Proceß,, herausgegebenvon Malcolm Pasley, Frankfurt a. M., S. Fischer Verlag, 1990.

Tägebücher 1909-1923, Frankfurt a. M., S. Fischer, 1997.Briefe, Band 1 (1900-1912). Herausgegeben von Hans-Gerd Koch. Text, Kommentar und Apparat in einem Band. S. Fischer Verlag, Frankfurt am Main 1999

Briefe, Band 2 (1913 bis März 1914). Herausgegeben von Hans-Gerd Koch. Text, Kommentar und Apparat in einem Band. S. Fischer Verlag, 2001.

Briefe, Band 3 (1914–1917). Herausgegeben von Hans-Gerd Koch. Text, Kommentar und Apparat in einem Band. S. Fischer Verlag, Frankfurt am Main 2005.

Briefe, Band 4 (1918–1920). Herausgegeben von Hans-Gerd Koch. Text, Kommentar und Apparat in einem Band. S. Fischer Verlag, Frankfurt am Main, 2013.

72Traductions françaises de l’œuvre de Kafka :

Œuvres complètes, tome I, trad. de l’allemand par Jean-Pierre Danès, Claude David, Marthe Robert et Alexandre Vialatte. (édition de Claude David), Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1976.

Œuvres complètes, tome II, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1980.

Œuvres complètes, Tome III, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984.

Œuvres complètes, Tome IV, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984.

73Sur Selbstwehr :

BINDER (H.), « Franz Kafka and the Zionist weekly Selbstwehr », Leo Baeck Institute Yearbook 12 (1967), p. 135-48.

BROD (M.), Der Prager Kreis, Stuttgart, W. Kohlhammer Verlag, 1966, p. 139-141.

JAEGER (A)., « ‘Nichts Jüdisches Wird uns fremd sein’ : Geschichte der Prager “Selbstwehr” (1907-1938) », Aschkenas 15, 2005, 151-207.

SPECTOR (S.), « Prague Territories, National Conflict and Cultural Innovation » in Franz Kafka’s Fin de Siecle, Berkeley, University of California Press, 2000, p. 160-168.

STACH (R.), « The Return of the East » (chap. 33), dans Kafka : The Decisive Years (trad. Shelley Frisch), p. 484-492.

74Sur « Devant la loi » :

ABRAHAM (U.), « Mose “Vor dem Gesetz” : Eine unbekannte Vorlage zu Kafkas “Türhüterlegende” », Deutsche Vierteljahrsschrift für Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte, 57, 1983, p. 636-641.

AGAMBEN, (G.), « Forma di legge » (Partie I, chap. 4) dans Homo Sacer. Il potere sovrano e la nuda vita, Torino, Einaudi,1995, pp. 57-59.

BINDER (H.), Vor dem Gesetz. Einführung in Kafkas Welt, Stuttgart, Metzler, 1993.

CACCIARI (M.), « La porta aperta », dans Icone della Legge, Adelphi, Milano, 1985, pp. 56-137.

CRÉPON (M.), « L’impossible anamnèse (Kafka et Derrida) » (chap. II), dans La Vocation de l’écriture : la littérature et la philosophie à l’épreuve de la violence, Paris, Odile Jacob, 2014.

DERRIDA, J., « Préjugés. Devant la loi », in J. Derrida, V. Descombes, G. Kortian, P. Lacoue-Labarthe, J.-F. Lyotard, J.-L. Nancy, La Faculté de juger, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985.

FISCHER (E.), « Kafka Conference », dans Kenneth Hughes (ed.), Franz Kafka, an Anthology of Marxist Criticism, Londres, University Press of New England, 1981, p. 91.

ROBERT, Marthe, « Devant la loi » dans Seul, comme Franz Kafka, Calmann Lévy, 1979.

75Autres divers :

ČAPKOVÁ, Kateřina, Czechs, Germans, Jews ? : National Identity and the Jews of Bohemia, traduit du tchèque par Derek and Marzia Paton, Oxford, New York, Berghahn Books, 2012 (2005 pour l’édition tchèque)

MORELON, Claire, « L’arrivée des réfugiés de Galicie en Bohême pendant la Première Guerre mondiale : rencontre problématique et limites du patriotisme autrichien », Histoire@Politique 2016/1 (n° 28)
URL : https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/​revue-histoire-politique-2016-1-page-5.htm

TORTON BECK, Evelyn Kafka and the Yiddish Theater, Madison, Wisconsin, 1971.

76Annexes (fichiers ci-dessous)

77Annexe 1 : « Vor dem Gesetz » dans le Selbstwehr du 7 septembre 1915

78Annexe 2 : « Vor dem Gesetz », le texte allemand

79Annexe 3 : « Vor dem Gesetz » dans sa traduction française de Marc de Launay

Haut de page

Documents annexes

Haut de page

Notes

1 La présence d'une quête initiatique vers la Loi (mot éventuellement remplaçable par celui de Torah), l'éclat de lumière perçu à la fin de sa vie par l'homme de la campagne, le thème du trépas, l'ascétisme de l'homme de la campagne se dépouillant de tous ses avoirs, la forme de parabole du texte, enfin et surtout, si l'on prend la version du Procès, le fait que le récit soit effectué par un prêtre dans une cathédrale et qu’il s'ensuive une exégèse contradictoire de type talmudique sont tous des éléments qui alimentent cette puissance.

2 Jamais le divin est évoqué dans le texte.

3 Voir Max Brod, Franz Kafka. Souvenirs et documents, Gallimard, Paris, p. 280 et Max Brod, Heidentum, Christentum, Judentum, Kurt Wolff Verlag, Munchen, 1922.

4 Abraham Ulf, « Mose “Vor dem Gesetz” : Eine unbekannte Vorlage zu Kafkas “Türhüterlegende” », Deutsche Vierteljahrsschrift für Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte, 57, 1983, p. 636-641.

5 La dernière et la plus significative d'entre elles, à cheval entre une interprétation théologique et une interprétation socio-politique est celle de Michael Löwy : Michael Löwy, « La religion de la liberté et la parabole. Devant la loi (1915) » dans Franz Kafka, rêveur insoumis, Paris, Éditions Stock, 2004.

6 À ce titre, il est possible de rappeler que « l’éclat (Glanz) inextinguible » qui passe par la porte de la Loi que l'homme de la campagne perçoit à la fin de ses jours pourrait facilement être une hallucination puisqu'il nous est dit juste avant que « sa vue baisse » et qu’« il ne sait plus s'il fait vraiment sombre autour de lui ou si ses yeux le trompent ». Ou encore que le texte kafkaïen à la différence de sa source midrashique, contient un grand humour qui se matérialise puissamment non seulement dans la description caricaturale du portier – pensons à « son manteau de fourrure, son grand nez pointu, sa longue barbe noire de tartare » qui semblent d’ailleurs les éléments qui conduisent l'homme de la campagne à accepter le report de son entrée – mais également dans sa stratégie ultime consistant à supplier les puces du col de la fourrure du portier de l'aider.

7 Marthe Robert, Seul, comme Franz Kafka, Paris, Calmann Lévy, 1979, p. 164

8 À ce propos, voir James Rolleston, Twentieth Century Interpretations of « The Trial », Englewood Cliffs, NJ, Prentice-Hall, 1976, p. 3.

9 Par exemple, lorsque Marthe Robert écrit qu'à l'homme de la campagne « aurait suffi de passer outre les menaces de ce gardien à la fois vantard et puéril pour avoir accès à la seule voie juste qui lui fût réservée : la sienne qui, n'étant faite que pour lui et propre par conséquent à le conduire à son but, n'eût pu lui être ni défendue, ni suggérée, ni imposée par quelconque autorité (163) », elle ne voit pas ce que cette phrase a de contradictoire : comment se fait-il que c'est précisément ce gardien « vantard et puéril » qui à la fin de la parabole révèle à l'homme de la campagne l'essence et le sens que Marthe Robert donne à cette loi, son caractère prétendument individuel et par là le sens qu'elle donne à la parabole ? Il est clair que lorsque la dynamique de l'histoire est étudiée et que la description du gardien est lue avec attention qu'il n'est pas possible de faire confiance à sa parole.

10 Parmi les lectures philosophiques les plus récentes et remarquables, outre celle de Derrida citée plus bas, il est possible de rappeler : Cacciari (M.), « La porta aperta », dans Icone della Legge, Adelphi, Milano, 1985, p. 56-137 ; Agamben, (G.), « Forma di legge » (Partie I, chap. 4) dans Homo Sacer. Il potere sovrano e la nuda vita, Torino, Einaudi,1995, p. 57-59.

11 Derrida, J., « Préjugés. Devant la loi », dans J. Derrida, V. Descombes, G. Kortian, P. Lacoue-Labarthe, J.-F. Lyotard, J.-L. Nancy, La Faculté de juger, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985, p. 108.

12 Ibid., p. 132.

13 Fischer (E.), « Kafka Conference », dans Kenneth Hughes (ed.), Franz Kafka, An Anthology of Marxist Criticism, Londres, University Press of New England, 1981, p. 91. Cette conférence fut un véritable événement dans l'histoire de la critique kafkaïenne auquel participèrent la plupart des spécialistes de Kafka de la zone d'influence soviétique.

14 Compte tenu de la quantité de numéros de Selbstwehr, nous nous sommes limités à la lecture du tout premier numéro de la revue, celui du 1er mars 1907, à celle des numéros où Kafka fut publié de son vivant, c’est-à-dire ceux du 7 septembre 1915, du 24 septembre 1919, du 19 décembre 1919 ainsi que celui du 30 septembre 1921. Nous avons également consulté les articles en lien avec le théâtre yiddish d’Izchak Löwy publiés dans les numéros du 29 septembre 1911, du 22 décembre 1911, du 29 décembre 1911, du 12 janvier 1912, du 26 janvier 1912, du 16 février 1912, du 23 février 1912 ainsi que du 13 juin 1913. Enfin, nous nous sommes également reportés au numéro du 6 juin 1924 qui publia la page en hommage funèbre à Kafka.

15 Cette juridicité est, certes, critiquée et historicisée par Derrida mais demeure néanmoins et malgré tout concentrée sur l’idée de droit plutôt que sur celle d'histoire. Derrida dit également qu’« il y a lieu de penser, ensemble, sans doute une certaine historicité de la littérature » mais ne la pense jamais, en ce qui concerne « Devant la Loi ».

16 Hartmut Binder, « Franz Kafka and the Zionist weekly Selbstwehr », Leo Baeck Institute Yearbook 12 (1967), p. 135.

17 Kateřina Čapková, Czechs, Germans, Jews? National Identity and the Jews of Bohemia, traduit du tchèque par Derek Paton and Marzia Paton, New York, Berghahn Books, 2012, p. 178.

18 Par exemple, sur le tout premier numéro du 1er mars 1907, on trouve la mention « Eigetümer und Herausgeber : Ein Konsortium. – Verantwortlich für die Redaktion : Robert Eisler. – Druck von Richard Brandeis in Prag. »

19 Achim Jaeger, « Nichts jüdisches wird und fremd sein. » in : Aschkenas – Zeitschrift für Geschichte und Kultur der Juden 15/2005, 155.

20 Ibid., 156-157. Toutes les traductions de l’allemand vers le français sont, sauf mention différente, d’Alexia Rosso. Original : « Wir wollen (...) dazu bewegen [den Juden] nicht der Paria zu sein ».

21 « eine Kriegserklärung gegen alles Morsche, Halbe, Faulende im Judentume und eine kräftige, vernehmliche Bejahung der jungen, selbstbewussten, keimenden Kräfte und Bestrebungen im jüdischen Volke ».

22 À ce propos, voir : Scott Spector, « Prague Territories, National Conflict and Cultural Innovation » in Franz Kafka’s Fin de Siècle, Berkeley, University of California Press, 2000, p. 160-168.

23 Voir : Achim Jaeger, op. cit., 156.

24 Dès le premier article programmatique du premier numéro (du 1er mars 1907), la rédaction affirme ainsi : « Selbst müssen wir uns helfen und wehren, müssen uns zusammenschliessen und stolz und frei die Zugehörigkeit zu unserem Volke bekennen und betätigen (...) Deshalb gehören – dies sei offen ausgesprochen – unsere Sympathien allen jungjüdischen Renaissancebestrebungen, deshalb stehen wir, wohlgemerkt bei strengster Wahrung unserer Objektivität und Unabhängigkeit, dem Zionismus als einer lebenerhaltenden, zukunftsreichen und edlen Bewegung unbedingt freundschaftlich gegenüber (...) » Traduction : « C'est par nous-mêmes que nous devons nous aider et nous défendre, nous unir et fièrement et librement reconnaître et œuvrer pour l'appartenance à notre peuple (…). C’est pourquoi nos sympathies se dirigent vers – ceci est affirmé ouvertement – toutes les jeunes aspirations de renaissance juive, c’est pourquoi nous adoptons, malgré la préservation stricte de notre objectivité et de notre indépendance, une position bienveillante vis-à-vis du sionisme que nous considérons comme un mouvement vivant, un mouvement d’avenir et un mouvement noble (…). »

25 Jaeger, op. cit., p. 157.

26 Ibid., p. 161.

27 Achim Jaeger, op. cit., p. 162.

28 Ces petites annonces, publiées sur les deux dernières pages, apparaissent dès le premier numéro de la revue.

29 Achim Jaeger, op. cit., p. 162-186.

30 Ainsi que le formule Harmut Binder (op. cit.) ; comme la Tchécoslovaquie ne vit le jour qu’en 1918, il faut sans doute comprendre l’association sioniste tchèque.

31 Binder, op. cit., 135.

32 Voir le numéro de Selbstwehr du 27 août 1914, p. 1.

33 Siegmund Kaznelson publiait également sous le pseudonyme de Albrecht Hellmann.

34 Binder, op. cit., 136.

35 Pour répondre à la hausse de la concurrence pendant la guerre, Selbstwehr fusionna en 1922 avec le Jüdisches Volksblatt (Mährisch-Ostrau), édité entre 1919 et 1922 par Hugo Hermann, fondateur et chef de file de l’association sioniste « Bar Kochba ». Ces deux journaux représentaient les plus grands organes de presse juifs de la nouvelle République tchécoslovaque et leur fusion signifiait par conséquent une stabilité financière et une extension de visibilité ainsi que de leur réseau de journalistes et écrivains. La fusion s’explique donc comme une façon de répondre à la concurrence d’une part, mais aussi comme la conséquence d’un changement géographique de l’organisation sioniste locale dans le contexte de la création de la Tchécoslovaquie. La fusion devait s’incarner jusque dans le titre même de la revue, de sorte que Selbstwehr. Unabhängige jüdische Wochenschrift devint Selbstwehr. Jüdisches Volksblatt. Le journal put passer dès lors à un plus grand format. Il commença à afficher la date juive et multiplia, parmi ses colonnes, les publicités promouvant le retour en Erez Israël. Voir à ce propos : Jaeger, op. cit., p. 166-167

36 Harmut Binder et Achim Jaeger mentionnent tous deux que pendant l’été 1917, la direction de la revue revint à Nelly Thierberger, membre de l’organisation sioniste Klub jüdischer Frauen und Mädchen dont faisaient également partie la femme de Max Brod, Elsa Brod née Taussig et la sœur de Franz Kafka, Ottla Kafka. Toutefois, sur le papier, les mentions légales n’évoquaient alors que le nom d’Emil Margulies Nelly Thierberger quitta la rédaction en 1919 lorsque Felix Weltsch en prit la tête. Il pourrait être intéressant d'approfondir la question par un travail de recherche sur le rôle de Nelly Thierberger et des femmes dans la direction de Selbswehr.

37 Binder, op. cit., 137.

38 Binder, op. cit., 145.

39 Jaeger, op. cit., 201.

40 Voir à ce sujet Marthe Robert, Seul comme Franz Kafka, Calmann Levy, 1979. Il existe quelques exceptions notables comme le récit « Notre synagogue » ou « L'animal dans la synagogue », mais ce ne sont pas celles-ci qui sont publiées dans Selbstwehr.

41 Ce « ou » n'est pas nécessairement inclusif.

42 Kurt Wolff, avant de se disputer avec Rowohlt et développer sa propre maison d’édition où il amena par la suite Kafka, était le plus étroit associé de la Rowohlt Verlag qui avait son siège à Leipzig.

43 Binder, op. cit., p. 137 : In my research on Franz Kafka I have found that no other newspaper – no other book even – is mentioned in Kafka's Letters and Diaries as often as the Selbswehr

44 Comme nous le savons, la parabole Vor dem Gesetz y est publiée en 1915, bien avant, donc, l’arrivée à la tête du journal de Felix Weltsch.

45 Binder, op. cit. p. 137.

46 À ce sujet, il sera possible de consulter les numéros de Selbstwehr VI, 51, 2-3 (20.12.1912) ; VII, 23, 3 (6.6.1913) ; VII, 25, 2 (20.6.1913) où les nouvelles Das Urteil et Der Heizer ont été l’objet de recensions, rédigées par le journaliste sioniste Hans Kohn ainsi que le numéro du 19 décembre 1919 qui fit la recension de « Ein Landartz, Kleine Erzählungen » et « In der Strafkolonie », publiés tous deux par la Kurt Wolff Verlag cette même année.

47 Voir : Binder, op. cit. et Evelyn Torton Beck, Kafka and the Yiddish Theater, Madison, Wisconsin, 1971.

48 Franz Kafka, Œuvres complètes, Tome III, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984, p. 968.

49 Brod Max, Der Prager Kreis, Stuttgart ; W. Kohlhammer Verlag, 1966.

50 À ce sujet, voir, par exemple, Ibid., p. 715-716.

51 Binder, op. cit, p. 144.

52 Brod Max, Der Prager Kreis, op. cit.

53 Original : « wir stehen der Welt und dem jüdischen Leben nicht indifferent und parteilos gegenüber (…) bestimmte Richtung im Jüdentum, die nationale »

54 Traduction :« La nouvelle année du sionisme. »

55 Traduction :« Les tentations de l’assimilation. »

56 Franz Kafka, Oeuvres complètes, Tome III, trad. de l'allemand par Jean-Pierre Danès, Claude David, Marthe Robert et Alexandre Vialatte. (édition de Claude David) Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984, p. 358.

57 Ibid., p. 359.

58 Ibid., p. 366.

59 Ibid., p. 371.

60 Claire Morelon, « L’arrivée des réfugiés de Galicie en Bohême pendant la Première Guerre mondiale : rencontre problématique et limites du patriotisme autrichien », Histoire@Politique 2016/1 (n° 28), p. 1.

61 Reiner Stach, « Die Wiederkehr des Ostens » in : Kafka. Die Jahre der Entscheidungen, Frankfurt am Main, S. Fischer, 2002, p. 564.

62 Ibid., p. 566.

63 Claire Morelon, op. cit., p. 2-3.

64 Reiner Stach, op. cit., p. 564.

65 Claire Morelon, op. cit., p. 3.

66 Ibid., p. 2

67 Voir notamment les numéros du 20 septembre 1914, du 10 octobre, 1914, du 13 novembre 1914, du 28 novembre 1914, du 11 décembre 1914, du 29 décembre 1914. Le numéro du 8 janvier 1915, le premier de l’année, était en outre un numéro spécial dédié à la situation des réfugiés galiciens. Le numéro du 15 janvier 1915 continue de faire mention des aides locales mises en place pour les populations déplacées.

68 Claire Morelon, op. cit., p. 5.

69 Ibid., p. 6.

70 Claire Morelon, op. cit., p. 7.

71 Ibid., p. 6-8.

72 Reiner, Stach, op. cit., p. 568.

73 La mère de Max Brod.

74 Une réfugiée de Galicie.

75 Mitzwe désigne une action charitable, Schmatte signifie « querelles ». Cf. Pléiade, tome III, p. 1397.

76 Franz Kafka, Œuvres complètes, Tome III, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984, p. 368.

77 Franz Kafka, Journal, trad. de l'allemand par Marthe Robert, Paris, Le Livre de Poche, 1982, p. 670.

78 Voir par exemple :14 avril 1915 « les jeunes filles galiciennes à une leçon sur Homère ».

79 Pléiade, III, p. 384.

80 numéro du 20 septembre 1914.

81 Original : « Angesicht dieses Elends darf aber kein jüdisches Herz zweifeln ; man muß helfen ».

82 titre : Das Hilfwerk für die jüdischen Flüchtlinge aus Galizien.

83 Reiner Stach, op. cit., p. 574.

84 Claire Morelon, op. cit., p. 1 et 6.

85 « Heute müssen wir dieser Gewohnheit untreu werden » « Unsere Hoffnung, dass der Krieg in dem abgelaufenen jüdischen Kalenderjahr sein Ende finden wird, hat sich nicht erfüllt. » (Traduction : « Aujourd’hui, nous nous voyons dans l’obligation d’être infidèles à cette habitude » « Notre espoir que la guerre cesse pendant l’année qui vient de s’écouler ne s’est pas réalisé » )

86 « Zwei ungeheuerliche Ereignisse insbesondere kennzeichnen das abgelaufene Jahr als eines der furchtbarsten in der ganzen jahrtausendealten jüdischen Geschichte : der Zug der galizischen Juden nach Westen und der Zug der russischen Juden nach Osten. »

87 « die galizische Frage »

88 Tiré du recueil de poèmes à paraître Max Brod, Das gelobte Land; ein Buch der Schmerzen und Hoffnungen, Leipzig, KWV, 1917.

89 Comme pour les autres numéros dans lesquels Kafka fut publié plus tard, il est important de notifier la proximité spatiale entre les textes de Kafka et de Brod dans ce numéro. Rappelons ici qu’il s’agissait alors du premier numéro de Selbstwehr dans lequel Kafka était publié, et que les contributions et contacts de Brod avec la revue y a sans doute joué un grand rôle.

90 C'est d'ailleurs précisément d'avoir « trompé » l'homme de la campagne que K. accuse le gardien dans Le Procès.

91 Kafka lui-même, dans son journal, ne cessera de remarquer la profonde dévotion des juifs de l'Est. Dès l'entrée du 1er octobre 1911, il écrit : « trois juifs pieux, manifestement originaires d 'Europe orientale. En chaussettes. Penchés sur le livre des prières, le châle de prière rabattu sur la tête, ils sont devenus aussi petits que possible. »

92 Et, même en faisant de l'homme de la campagne un am ha hares (littéralement « homme ou peuple du pays »), il est désormais acquis que derrière ce mot ne se cache pas seulement « l'ignorant », « le simplet » ne connaissant pas le sens de la Torah tel que le caricaturaient les pharisiens ou perushim (c'est à dire « séparés » du peuple de la campagne par leur érudition), mais bel et bien un affrontement historique et social entre ces deux groupes. Les am ha hares étaient le peuple qui habitait les campagnes palestiniennes (les pêcheurs, les agriculteurs et éleveurs), au plus bas de l'échelle sociale. Ils s'affrontèrent à plusieurs reprises aux pharisiens, plus riches et cultivés, qui les regardaient du haut en bas depuis la ville en hauteur qu'était et demeure Jérusalem. Cf. Heinz Polizer, Parable and paradox, Cornell University Press, Ithaca, 1962.

93 N'oublions pas les propos de Claire Morelon sur la hausse du prix des denrées agricoles et l'état de pénurie relative dû à la guerre : cf. ibidem.

94 Crépon Marc, « L'impossible anamnèse (Kafka et Derrida) » (chap. II), dans La Vocation de l'écriture : la littérature et la philosophie à l'épreuve de la violence, Paris, Odile Jacob, 2014, p. 66.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Mario Ranieri Martinotti et Alexia Rosso, « « Devant la loi » de Franz Kafka : une parabole des réfugiés dans l’hebdomadaire sioniste Selbstwehr »Les Dossiers du Grihl [En ligne], 13-2 | 2019, mis en ligne le 09 novembre 2019, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dossiersgrihl/7573 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dossiersgrihl.7573

Haut de page

Auteurs

Mario Ranieri Martinotti

Mario Ranieri Martinotti étudie actuellement à l’Ecole normale supérieure de Paris. Il est diplômé de l’université Paris-Sorbonne (Paris IV) et de Sciences Po et détenteur du master 1 « Théorie de la littérature » co-accrédité par l’EHESS, l’ENS et Paris-Sorbonne pour lequel il a rédigé un mémoire intitulé « Devant la loi. » La parabole des réfugiés. Intéressé aux rapports entre histoire, littérature et philosophie ainsi qu’à la traduction, ses recherches portent en ce moment sur les théories du réalisme développées par E. Auerbach et G. Lukács. Passionné également par le septième art, il a co-animé la nuit du cinéma « Ecrans de l’exil » le 10 et 11 novembre 2018 dans le cadre des journées des actualités de la non-violence de l’Ecole normale. Il a par ailleurs co-fondé le journal étudiant d’idées et d’engagement La Gazelle.

Alexia Rosso

Germaniste et diplômée du Master « Théorie de la littérature » (Sorbonne Université, ENS, EHESS), Alexia Rosso est également traductrice de l’allemand (éditions Excès, éditions Slatkine & Cie). Ses intérêts de recherche portent sur les études de genre, l’étude du champ littéraire et la formation du canon. En 2019, elle a rédigé son mémoire sur la réception de l’écrivaine juive de Prague Auguste Hauschner (1850-1924) sous la direction de Mandana Covindassamy (ENS).

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search