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OMEZ Henri-Jean

OMEZ Henri Auguste Joseph à l’état civil ; OMEZ Jean en religion
Étienne Fouilloux

Résumé

Né le 27 juillet 1892 à Tourcoing (Nord), mort le 5 septembre 1968 à Lille (Nord)
Supérieur du séminaire Saint-Basile à Lille, fondateur du Centre d’études Istina.

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Historique

Notice mise en ligne le 04/05/2017

Texte intégral

• Vestition pour la Province de France : 30 septembre 1911 au Saulchoir de Kain (Belgique)
• Profession simple : 30 septembre 1912 au Saulchoir de Kain (Belgique)
• Profession solennelle : 3 août 1919 au Saulchoir de Kain (Belgique)
• Ordination sacerdotale : 22 juillet 1922 au Saulchoir de Kain (Belgique)

1Né à Tourcoing le 27 juillet 1892, Henri Omez appartient à l’une de ces grandes familles du Nord qui sont des pépinières de vocations sacerdotales et religieuses. Des huit enfants de ses parents, le comptable Auguste Omez et Pauline Leblanc, sept entreront dans les ordres, deux filles et cinq garçons, deux pour le diocèse de Lille et trois dans la province dominicaine de France : à la suite d’Henri, ses cadets Réginald (né Alphonse, 1895) en 1914 et Marie-Joseph (né Joseph-Charles, 1902) en 1919. Après des études secondaires à l’Institution du Sacré-Cœur, ancien collège communal que dirige son grand-oncle maternel Mgr Henri Leblanc, études conduites jusqu’au baccalauréat ès lettres, il entre au noviciat en 1911 sous le nom de Jean et fait profession simple le 30 septembre 1912 : des doutes sur sa vocation ont été dissipés par le provincial Raymond Boulanger en personne. Ses études au Saulchoir de Kain-la-Tombe, près de Tournai, studium de la province de France en exil, sont interrompues par son incorporation dans l’armée le 10 octobre 1913. Il est caporal lors de l’éclatement de la guerre en 1914. Son unité, le 33e régiment d’infanterie en garnison à Arras, est engagée d’emblée en Belgique, puis en France du Nord, dans ce qu’il est convenu d’appeler la bataille des frontières et y subit des pertes importantes. Grièvement blessé et laissé pour mort sur le terrain le 15 août 1914, il est secouru et guéri par les services de santé allemands. Le voilà prisonnier pour toute la durée de la guerre.

Avis du décès d’Henri-Jean Omez qui, donné pour mort, aurait été tué le 30 août 1914.

Archives dominicaines de la Province de France/Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule (dir.), Dictionnaire biographique des frères prêcheurs en ligne.

2Dans les camps d’Allemagne où il est enfermé – il y retrouve son confrère du couvent du Saulchoir Joseph-Thomas Delos – se produit une rencontre décisive : celle de camarades de captivité russes par lesquels Omez découvre un univers religieux qui lui était inconnu. Ce fut, semble-t-il, un coup de foudre dont il ne se remettra jamais. Il se promet alors de consacrer sa vie au retour de la Russie dans le giron catholique. Dans cette perspective, il commence à apprendre le russe et à se familiariser avec la liturgie orientale.

3Libéré après l’armistice de 1918, il rentre au Saulchoir pour y achever sa formation religieuse. Il fait sa profession solennelle le 3 août 1919 et il est ordonné prêtre, au Saulchoir, le 22 juillet 1922. Dès 1923, une possibilité inattendue de satisfaire sa vocation russe se fait jour : sur incitation de la Congrégation romaine pour l’Église orientale, via l’Œuvre d’Orient, la province de France accepte de prendre en charge un séminaire chargé de former des prêtres russes de rite byzantino-slave. La maison Saint-Basile ouvre ses portes en septembre 1923 dans le centre de Lille, 59, rue de la Barre, sous la direction du père François Foulon, dépourvu de toute expérience orientale. Le jeune Jean Omez, qui a demandé le 7 juin à rejoindre la future fondation, y arrive le 11 novembre sans avoir fini ses études : il obtient son lectorat en théologie le 8 juillet 1924.

4Pendant quatre ans, entre 1923 et 1927, il complète avec détermination sa formation orientale. Pleinement « persuadé de la nécessité de connaître les langues russe et vieux-slave, la théologie et la mystique russes en général, le monde russe et l’histoire des rapports entre Rome et la Russie pour prendre pleinement la responsabilité de la formation d’un clergé destiné à pénétrer efficacement dans le milieu russe » (lettre au provincial Raymond Louis, 5 février 1925), il paie de sa personne en obtenant la permission de se laisser pousser la barbe, comme les moines orthodoxes. Au cours de l’été 1924, un long voyage de découverte en Europe centrale et orientale en compagnie du père Christophe-Jean Dumont, étudiant au Saulchoir, lui permet de prendre contact avec les milieux unionistes au congrès de Velehrad (Moravie), de percevoir aux côtés du métropolite ukrainien uni André Szeptyckyj les affrontements entre latins et orientaux dans l’est de la Pologne et même de visiter la laure russe de Potchaiev. Après avoir rencontré les milieux unionistes de Belgique et avoir assisté au congrès d’études orientales de Ljubljana, en juillet 1925, il part pour Rome apprendre le rite russe auprès d’un Français orientalisé haut en couleurs, le père Cyrille Korolevskij, avec lequel il est en relations épistolaires depuis quelques mois : revenu à Lille en novembre, il dispose désormais de la faculté de célébrer la liturgie byzantino-slave. Et il est à Londres en octobre 1926 pour un nouveau congrès oriental. À un moment où Rome caresse des espoirs de « conversion » de la Russie, le père Omez a rapidement pris rang dans la mince cohorte de prêtres et de religieux occidentaux qui s’attachent à comprendre « les grandes traditions de nos frères séparés, traditions qui sont notre bien commun comme le leur, à tant de titres » (lettre à Cyrille Korolevskij, 10 février 1925).

Le séminaire Saint-Basile

Le séminaire Saint-Basile

Affecté depuis novembre 1923, Henri-Jean Omez au séminaire Saint-Basile de Lille, avec François Foulon (à sa droite).

Archives dominicaines de la Province de France/Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule (dir.), Dictionnaire biographique des frères prêcheurs en ligne.

5En interne, le tableau est moins brillant. Les vocations pour Saint-Basile sont rares et volatiles. D’autant que l’inexpérience du père Foulon et de son successeur le père Paul Duchaussoy (1926-1927) ne facilitent pas leur éclosion : n’ayant guère de sympathie pour l’Orient, ils soumettent les séminaristes à des pratiques occidentales qui leur sont étrangères et freinent la russification de Saint-Basile, que souhaite ardemment Omez, désolé qu’il y ait « une si grande distance entre la psychologie russe et l’atmosphère de la maison » (lettre au père Louis, 12 octobre 1924). Déplorant aussi la médiocre réputation du séminaire « dans le milieu ecclésiastique de Lille avec lequel nous fusionnons si peu ! » (lettre au père Louis, 10 janvier 1925), il multiplie les liturgies et les conférences pour réduire ce fossé et fournir au séminaire des ressources bienvenues : une liste de souscripteurs de la fin 1925 ou du début 1926 tourne à l’annuaire des patrons du Nord. Aussi les frictions se multiplient-elles entre le père Omez, que soutient son protégé Dumont, affecté à Saint-Basile pour la rentrée 1926, et des supérieurs qui se plaignent de son indocilité et de son extraversion. Omez souligne de son côté l’inaptitude de Foulon puis de Duchaussoy aux fonctions dont ils ont hérité par obéissance, sans les désirer, et dont ils ignorent « presque tous les tenants et aboutissants » (lettre au père Louis, 28 janvier 1927). Le courrier de Saint-Basile avec le provincial de France est plein de ces bisbilles qui entravent le fonctionnement d’une maison sans « aucun crédit à Rome », tant à la Congrégation pour l’Église orientale qu’à la Commission pro Russia qui prend sa succession, c’est-à-dire auprès du Lillois Michel Bourguignon d’Herbigny, homme de confiance du pape Pie XI pour les rapports avec la Russie. « L’histoire du séminaire depuis quatre ans est celle d’un suicide », affirme brutalement Omez dans sa lettre au provincial du 14 juillet 1927.

6Sans illusion sur l’avenir de la maison, les religieux qui y sont affectés s’efforcent d’assurer leurs arrières du côté dominicain. Le projet soumis par Omez aux supérieurs, le 7 mai 1927, qui plaide pour une complète russification du séminaire, suggère en effet la création, à côté de celui-ci, d’une bibliothèque et d’un centre d’information « sur la pensée religieuse du milieu russe actuel et sur les méthodes de pénétration doctrinale ». « Cela suppose une large information théologique, philosophique, historique et psychologique et aussi des échanges effectifs avec les Russes actuellement influents parmi leurs compatriotes », poursuit un projet qui dépasse de beaucoup la seule formation de prêtres russes : rien moins que la naissance d’un « foyer de rencontres et d’échanges entre les amis de l’Union, catholiques et orthodoxes ». Les autorités provinciales soutiennent auprès de Rome le démarrage de cette « œuvre d’études slaves constituant un centre où pourraient se grouper tous ceux que ces études intéressent et ceux qui veulent travailler à l’union des Églises » (lettre du père Gillet au cardinal Sincero, secrétaire de la Congrégation orientale, 6 août 1927). Ce sont ces documents auxquels le père Dumont et ses successeurs se référeront ensuite pour dater la naissance du Centre Istina.

Professeur au séminaire Saint-Basile

Professeur au séminaire Saint-Basile

Archives dominicaines de la Province de France/Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule (dir.), Dictionnaire biographique des frères prêcheurs en ligne.

7Quelques mois plus tard, changement de décor. Le père Duchaussoy renonce à son tour et le père Martin-Stanislas Gillet, élu provincial par le chapitre de juillet 1927, souhaite le remplacer par le père Omez, son ancien étudiant du Saulchoir. Mais la Congrégation orientale, la Commission pro Russia et Mgr d’Herbigny ne l’entendent pas de cette oreille : ils trouvent Omez trop jeune et pas assez sûr. Nommé supérieur par intérim le 30 septembre 1927, il ne sera jamais titularisé. Sous sa houlette et avec le renfort du père Antoine Hubatzek, d’origine tchèque, qui vient de faire un an d’études russes à Rome, la maison Saint-Basile connaît quatre années de relative stabilité et d’incontestable rayonnement. Le séminaire remplit enfin la mission pour laquelle il a été créé : cinq de ses étudiants sont ordonnés prêtres. Le bilan est mince, car vingt-huit postulants y sont passés. Et ils n’ont guère de successeurs. Les tournées estivales de recrutement aux confins de la Russie sont décevantes (Omez et Hubatzek, 1927 ; Omez et Dumont, 1928 ; Dumont et Richter, 1929). Peu nombreuses, les vocations sont captées par le collège russe de Rome, confié aux jésuites, qui ouvre ses portes en 1929.

8La bonne insertion du père Omez dans le tissu catholique du Nord et l’appui du jeune évêque de Lille, Mgr Liénart, permettent en revanche un rayonnement placé à partir de 1929 sous l’égide du Centre dominicain d’études Istina (Veritas en russe). Doué de réels talents oratoires, Omez multiplie les conférences d’initiation à l’Orient accompagnant des liturgies rendues accessibles par les traductions du père Hubatzek et par sa chorale. Commencent alors, dans le Nord, en Belgique et au-delà, les tournées du « cirque oriental » (Hubatzek dixit), qui font connaître Saint-Basile et assurent son équilibre financier. De façon plus discrète, Omez et Dumont participent au cercle lillois pour l’union des Églises qui se réunit aux Facultés catholiques entre 1928 et 1930. Il se pourrait même qu’Omez ait voulu en prendre la direction, ce qui aurait précipité sa fin et ce qui expliquerait que Dumont n’en dise rien dans sa contribution postérieure à un livre sur Antoine Martel, alors qu’il en a été nommé secrétaire et que le slavisant en poste à Lille en était l’un des piliers.

9Ce rayonnement fait-il d’Omez un précurseur de l’œcuménisme de Vatican II, comme l’écrira son ami Dumont ? Il est difficile de trancher sur ce point, car le conférencier n’était pas un écrivain : trois textes seulement sous sa signature durant son mandat, dont le plus explicite est l’allocution au congrès eucharistique lillois de juillet 1929, publiée en plaquette deux ans plus tard : Les Églises d’Orient et l’unité chrétienne. Le père Omez y proposait à ses auditeurs un triple examen de conscience : une meilleure connaissance de l’Orient chrétien doit éviter la réduction du catholicisme au latinisme ; l’amour des chrétiens séparés doit écarter tout dénigrement de leurs valeurs et coutumes religieuses ; une prière fervente doit transcender les intérêts confessionnels dans l’unique vérité. L’application de tels principes entraîne un jugement nuancé sur les communautés « dissidentes », dont les tares présentes ne sauraient effacer l’héritage spirituel. Apprécier la philosophie religieuse russe n’empêche pas d’en regretter l’« illuminisme », ni de louer « la nécessité d’un magistère en matière de foi ». Il faut une « apologétique constructive » qui, loin de renvoyer les « dissidents » à leurs errements, les persuade que l’accomplissement de leur foi se situe dans la bergerie de Pierre. On ne saurait donc parler d’œcuménisme avant la lettre, mais d’un unionisme bienveillant, seul compatible avec l’encyclique Mortalium animos du 6 janvier 1928. C’est cependant trop pour Mgr d’Herbigny qui trouve que les dominicains de Saint-Basile devraient se cantonner dans la mission qui leur a été fixée : former des prêtres pour la Russie.

10Un faux pas du père Omez va entraîner sa chute. Depuis des années, il piaffe d’impatience aux portes de la Russie sans pouvoir y entrer. « Bon voyage en Finlande ! », lui écrit son frère Réginald le 27 juillet 1929. Mais sois prudent en Russie ! Tu as certainement ta fiche au service d’information de la police russe, et je suis persuadé que l’on ne serait pas fâché de trouver un prétexte pour interrompre ton action à Lille ! » C’est bien ce qui va se passer deux ans après cette tentative manquée. Fin octobre 1931, Omez obtient un visa pour l’URSS, en se présentant comme « professeur ». Il part précipitamment, après n’avoir prévenu que le Quai d’Orsay et l’évêque de Lille Mgr Liénart, pour un circuit de deux semaines (Moscou, Kiev et Odessa). La conjoncture de son voyage n’est guère favorable. En URSS, Staline élimine les oppositions, industrialise à marches forcées et collectivise les campagnes. Cette nouvelle révolution s’accompagne d’un regain de la lutte antireligieuse, auquel le pape Pie XI a riposté par un solennel appel à l’opinion publique le 2 février 1930. Or Omez revient, sinon converti, du moins séduit par ce qu’il a pu voir : « On forme là-bas une nouvelle génération d’esprit très réaliste, positif, préoccupé de « réalisations ». Beaucoup de méthode, de discipline, de contrôle et critique systématique de soi et de ses actes – mise en valeur intelligente des ressources de l’individu au profit de la collectivité – puissant et conquérant sentiment de solidarité puisé dans le travail côte à côte pour la réalisation du mieux-être chez les travailleurs ralliés aux Soviets » (lettre du père Hubatzek à son frère prêtre Gaston, 3 décembre 1931). Un tel écho est difficilement audible dans des milieux catholiques mobilisés contre la persécution religieuse en URSS depuis deux ans.

Henri-Jean Omez en URSS en 1931

Henri-Jean Omez en URSS en 1931

Henri-Jean Omez pendant le voyage en URSS avec, sous le bras, Krokodil, journal satirique qui paraît en URSS depuis 1922.

Archives dominicaines de la Province de France/Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule (dir.), Dictionnaire biographique des frères prêcheurs en ligne.

11De retour à Lille, Omez trouve une lettre de Mgr d’Herbigny, qui regrette de ne pas avoir été mis au courant du voyage, en demande un rapport et en proscrit toute trace écrite. Convoqué à Rome pour s’expliquer, le religieux est reçu par Pie XI début janvier lors d’une audience discrète qui engendre un grave malentendu. Selon lui, le pape aurait confirmé l’interdiction de publier, mais pas celle de parler. Les autorités romaines affirment au contraire que Pie XI « avait recommandé personnellement et expressément au P. Omez, au moment de son séjour à Rome, de ne donner aucune nouvelle de son voyage et de ne pas faire de conférences publiques sur la Russie » (lettre du père Louis, désormais socius du maître général, au provincial Jourdain Padé, 24 juin 1932). Alors que les dénonciations commencent à pleuvoir, Omez multiplie, pour les désamorcer, des causeries privées dans les cercles les moins susceptibles d’accepter un point de vue nuancé sur l’URSS : devant les anciennes élèves du collège lillois Blanche de Castille (15 février 1932) ou devant leurs maris les patrons du Nord, à Mouvaux le 15 avril. La préfecture de Lille et le ministère de l’Intérieur s’inquiètent d’une telle publicité, tout comme l’ambassade de France à Moscou et le Quai d’Orsay, préoccupés d’éventuelles retombées néfastes sur les catholiques en Russie. Car la presse ne tarde pas à se saisir de l’affaire. Sous un titre accrocheur, « La Guépéou dans la Chapelle », Charles Maurras reprend à son compte, dans L’Action française du 13 février 1933, l’indignation d’un de ses correspondants sur la conférence aux anciennes de Blanche de Castille. Et le journal communiste du Nord L’Enchaîné ironise sur ce moine qui effarouche les grandes bourgeoises. Mais Rome est intervenue depuis longtemps : le 24 juin 1932, la curie généralice des dominicains informait le provincial de France que le père Omez était démis de sa charge de supérieur du séminaire Saint-Basile et qu’il devait être assigné dans un couvent extérieur à la région lilloise pour avoir contrevenu à la volonté pontificale.

12Convaincu que Mgr d’Herbigny est le véritable auteur du coup qui lui est porté et tenté de se révolter en criant à l’injustice, Omez quitte Lille le 22 juillet 1932 sans pouvoir emporter autre chose que ses affaires personnelles. Le père Dumont hérite de la gérance du séminaire, alors qu’il est outré de la sanction contre son ami et qu’il souhaite se retirer dans un couvent. Omez trouve l’apaisement au Saulchoir près d’un autre pestiféré, le père Antonin-Dalmace Sertillanges. La fermeture par Rome du séminaire Saint-Basile, en octobre 1932, lui rend espoir. Elle libère d’un poids mort le Centre dominicain Istina avec lequel il souhaite continuer de collaborer. En vain : le 14 décembre 1932, la curie généralice répond négativement à deux de ses demandes : écrire dans La Vie intellectuelle sur les questions russes et surtout « organiser, directement ou indirectement, un Centre d’études ou d’action pour les dites questions russes ». Le 29 décembre, après l’intervention à Rome en sa faveur du cardinal Liénart, Mgr d’Herbigny lui fait deux contre-propositions qu’il décline : soit seconder Mgr Evreinov à la paroisse russe catholique de Paris, soit effectuer une mission de prospection auprès des Russes disséminés dans le sud-ouest de la France. Alors qu’Omez compte sur la fidélité de Dumont, celui-ci s’éloigne de lui, car il réprouve ses récriminations envers les supérieurs : « Si justifiées que soient certaines de vos critiques, vous savez bien que personne ne peut vous suivre sur ce terrain et vous vous préparez des déconvenues plus amères encore que celles que vous venez de connaître », lui écrit-il le 29 décembre 1932. En résidence au couvent parisien du Faubourg Saint-Honoré et à la disposition du provincial, Omez se sent lâché, même s’il peut emprunter des livres et des documents à Lille. Le divorce entre les deux amis est très douloureux.

13Que faire désormais d’un religieux profondément atteint dans sa vocation ? Utiliser ses compétences orientales, mais ailleurs qu’en Russie : en Égypte par exemple, où deux religieux de Jérusalem, les pères Antonin Jaussen et Marie-Dominique Boulanger, préparent la création de ce qui deviendra l’Institut dominicain d’études orientales. Le père Omez arrive au Caire fin octobre 1933. Il ne lui faut pas plus de deux mois pour se brouiller avec des confrères qui lui reprochent de critiquer ouvertement le pape, les autorités romaines ou celles de l’Ordre, de manifester une sympathie pour l’URSS qui risque de compromettre leur installation en Égypte et enfin d’y subir de mauvaises influences (même s’il joue un rôle non négligeable dans la vocation de Georges Anawati). Un télégramme le rappelle en France dès avant la fin de l’année 1933. Il est envoyé ensuite à Alger, avec une mission semblable : aider à l’implantation d’un couvent. Mais l’archevêque d’Alger, Mgr Leynaud, demande son rappel le 13 juin 1934 : il a publiquement reproché aux évêques français leur manque de réaction face aux expulsions des religieux et aux inventaires des églises avant guerre. Même reproche d’intempérance verbale et même exclusion de la part de Mgr Lemaître, archevêque de Carthage, en novembre 1934. Le père Omez, qui souhaite être assigné dans un couvent d’Allemagne, pour études, ne trouve de stabilité qu’à Berlin, entre 1935 et 1939, comme aumônier de la colonie française, poste auquel « il donne une impulsion extraordinaire » (Ambroise-Marie Carré). L’historien aimerait connaître son opinion sur la montée en puissance du Troisième Reich, mais il reste sur sa faim, faute de témoignage de l’intéressé sur ces années cruciales.

14Son âge, quarante-sept ans, n’empêche pas le père Omez d’être de nouveau mobilisé en 1939 : on l’envoie en mission en novembre auprès de la légation française aux Pays-Bas, avant que le rouleau compresseur allemand ne le pousse en exode jusqu’à Lyon. Il est alors intégré aux Chantiers de jeunesse, créés en zone « libre » par le régime de Vichy pour encadrer les classes d’âge en déshérence de service militaire, comme aumônier de la région Alpes-Jura. Peut-être a-t-il été recruté par son confrère Marcel-Denys Forestier, aumônier national des Chantiers, qui y place plusieurs dominicains comme le père des Alleux (Vandevoorde) ou le père Amiable. De cette expérience témoigne un article « Pour une santé de la jeunesse française » dans le troisième cahier de la collection « Rencontres », Jeunesses et communauté nationale, publié à Lyon en 1941. Il s’agit d’une apologie des Chantiers de jeunesse, appelés à doter leurs membres d’une éducation physique, intellectuelle, morale et patriotique que l’école, publique ou privée, aurait été incapable de leur donner.

15Après la guerre, on retrouve le père Omez au couvent du Faubourg Saint-Honoré, mais sans charge ni affectation précise. Il se consacre principalement à la tâche pour laquelle il s’est fait une vraie réputation en France, mais aussi en Europe, en Afrique du Nord et jusqu’au Canada : la prédication. Limité dans ses activités par une surdité croissante, il est atteint en 1962 par une maladie qui ne tarde pas à provoquer « la disparition quasi complète de sa mémoire et sa conscience », hormis quelques « moments fugitifs de lucidité » (Nicolas Rettenbach). Il meurt le 5 septembre 1968 à Lille, dans la maison des Frères de Saint-Jean-de-Dieu où il a été accueilli. D’une certaine manière, on peut penser qu’il est mort en 1932 quand il a été exclu de la mission russe à laquelle il avait voué sa vie.

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Sources

Nicolas Rettenbach, Ut sint unum, 15 janvier 1969, p. 1-2. — Ambroise-Marie Carré, Ut sint unum, 1er avril 1969, p. 7-10. — Étienne Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne du XIXe au XXe siècle. Itinéraires européens d’expression française, Paris, Le Centurion, 1982. — Christophe-Jean Dumont, notice « Omez (Henri-Auguste-Joseph) », encyclopédie Catholicisme, fascicule 44, 1983, colonne 83. — Antoine Wenger, Rome et Moscou, 1900-1950, Paris, Desclée de Brouwer, 1987, p. 358-359. — Léon Tretjakewitsch, Bishop Michel d’Herbigny SJ and Russia. A Pre-Ecumenical Approach to Christian Unity, Würzburg, Augustinus Verlag, 1990. — Dominique Avon, Les Frères prêcheurs en Orient. Les dominicains du Caire (années 1910-années 1960), Paris, Les Éditions du Cerf, 2005, p. 229-234. — Cyrille Korolevskij, Knyga bytija moego (Le livre de ma vie). Mémoires autobiographiques (Giuseppe Maria Croce éditeur), Archives secrètes vaticanes, 2007, tome III, p. 1046-1049 et 1054-1061. — Constantin Simon, Pro Russia. The Russicum and Catholic Work for Russia, Rome, 2009, p. 251-267. — Étienne Fouilloux, « Une longue marche vers l’œcuménisme : Istina (1923-1967) », Istina, juillet-septembre 2010, p. 271-287. — Laura Pettinaroli, La politique russe du Saint-Siège (1905-1939), École française de Rome, 2016.

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Œuvre

« L’Église et le problème de l’unité chrétienne d’après M. N. Berdiaeff », Les Documents de La Vie intellectuelle, 20 octobre 1929, p. 10-22. — « À propos de l’unité chrétienne de l’Orient et de l’Occident. Un opuscule du Bx Humbert de Romans (1273) », ibid., 20 novembre, p. 198-211. — Les Églises d’Orient et l’unité chrétienne, Lille, Istina, 1932, 16 p. — « Pour une santé de la jeunesse française », Jeunesses et communauté nationale, Lyon, Éditions de l’Abeille, « Rencontres », 3, 1941, p. 31-41.

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Table des illustrations

Légende Avis du décès d’Henri-Jean Omez qui, donné pour mort, aurait été tué le 30 août 1914.
Crédits Archives dominicaines de la Province de France/Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule (dir.), Dictionnaire biographique des frères prêcheurs en ligne.
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Fichier image/jpeg, 796k
Titre Le séminaire Saint-Basile
Légende Affecté depuis novembre 1923, Henri-Jean Omez au séminaire Saint-Basile de Lille, avec François Foulon (à sa droite).
Crédits Archives dominicaines de la Province de France/Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule (dir.), Dictionnaire biographique des frères prêcheurs en ligne.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dominicains/docannexe/image/1931/img-2.jpg
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Titre Professeur au séminaire Saint-Basile
Crédits Archives dominicaines de la Province de France/Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule (dir.), Dictionnaire biographique des frères prêcheurs en ligne.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dominicains/docannexe/image/1931/img-3.jpg
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Titre Henri-Jean Omez en URSS en 1931
Légende Henri-Jean Omez pendant le voyage en URSS avec, sous le bras, Krokodil, journal satirique qui paraît en URSS depuis 1922.
Crédits Archives dominicaines de la Province de France/Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule (dir.), Dictionnaire biographique des frères prêcheurs en ligne.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dominicains/docannexe/image/1931/img-4.jpg
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Pour citer cette notice

Référence électronique

Étienne Fouilloux, « OMEZ Henri-Jean », Dictionnaire biographique des frères prêcheurs [En ligne], Notices biographiques, O, mis en ligne le 04 mai 2017, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dominicains/1931

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Étienne Fouilloux

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