1Depuis plus de quarante ans, une approche systémique de l’enseignement et de l’apprentissage en enseignement supérieur souligne le rôle médiateur des représentations que les étudiants construisent à propos des environnements d’apprentissage, sur les effets de ceux-ci (pour une synthèse : Richardson, 2005 ; Entwistle, 2018). Il en résulte un large consensus parmi les chercheurs sur le caractère co-construit des environnements d’enseignement et d’apprentissage par l’étudiant et le ou les concepteurs de ceux-ci. Rappelons que cette approche était déjà présente dans les définitions du concept de dispositif de formation partagées par des auteurs francophones comme Peraya (1999), Charlier (2000), Linard (2002), Paquelin (2009), mais aussi dans l’approche du concept de « learning environment » proposée par Lowyck (2014). Dans cette perspective, qui rejoint celle que nous adoptons également, le dispositif implique nécessairement :
l’intentionnalité agissante du concepteur et des utilisateurs […]. Au plan pratique, le dispositif est également un objet « entre-deux » […] : c’est un moyen de médiation qui organise de façon plus ou moins rigoureuse un champ de relations fonctionnelles entre humains et outils, buts et moyens, intentions et actions. La nature mixte du dispositif, entre physique et mental, en fait un objet épistémique idéal de manipulation et d’exploration, pratique et théorique. […] Quand on veut bien s’intéresser à la réalité de ses usages spontanés, le dispositif agit comme un révélateur qui met en évidence toutes les conditions humaines non strictement rationnelles de l’action efficace : en particulier les tensions entre intention et réalisation, objectif et stratégie, pratique et théorie, contraintes sociales et autonomie individuelle. (Linard, 2002, p. 2).
2Lorsque l’on étudie la dynamique de co-construction des environnements d’enseignement et d’apprentissage, c’est à cet objet de recherche que l’on s’intéresse : cet entre-deux, dynamique qu’est l’activité d’apprentissage associant intentions, stratégies, actions de l’apprenant et ressources dans un contexte précis, celui de la formation. Un tel objet suppose une approche épistémologique cohérente et un cadre théorique valide tirant parti des travaux antérieurs et guidant, par les questions ouvertes et les instruments qu’il offre, la recherche ultérieure. C’est l’ambition de cette contribution que de proposer cette approche et ce cadre ouvrant à de futures recherches répondant aux enjeux actuels.
3L’approche épistémologique est constructiviste et interactionniste. Elle considère que
l’intelligence et la connaissance sont des processus-produits dynamiques, incarnés dans un sujet qui se construit progressivement en même temps qu’il construit son monde (de sujets et d’objets) au cours d’interactions significatives et motivées avec son environnement (Linard, 1994, p. 10).
4Pour décrire cet objet dynamique qu’il s’agit d’appréhender dans ses caractéristiques multidimensionnelles, singulières, situées et dynamiques, l’approche par les configurations apparaît adaptée. Cette notion de configuration est associée au « paradigme indiciaire » pour lequel c’est la singularité d’une situation qui permet de la connaître. Cette notion est utilisée dans le champ d’études des récits de vie par Bertaux-Wiame (1992) : « Chaque parcours n’est pas connu à l’avance, mais est issu de situations interactives qui sont à identifier et à analyser comme autant de configurations pertinentes » (Bertaux-Wiame, 1992, citée par (Charlier, 1996, p. 122). Nous ajoutons que ces configurations peuvent être reconnues par les chercheurs, autorisant à comprendre leur émergence en fonction de certaines régularités. Ainsi, pour dire les choses simplement, il s’agira de répondre à la question des conditions dans lesquelles un phénomène apparaît (quand ? et comment ?), plutôt qu’à celle interrogeant les raisons de son émergence (pourquoi ?).
5Pour décrire ces configurations, les modèles systémiques sont les plus adaptés. Ainsi quatre ensembles de variables seront considérés : (1) l’étudiant avec ses caractéristiques individuelles ; (2) l’environnement d’enseignement et d’apprentissage tel que conçu par l’enseignant avec son « learning design » ou son type pour faire référence aux travaux d’Hy-Sup ; (3) les représentations et les comportements qui émergent de leurs interactions et (4) les apprentissages – perçus ou objectivés – issus de ces interactions.
6Dans cette contribution, ce sont les interactions avec les environnements d’enseignement et d’apprentissage hybrides qui sont envisagées. Ce type d’environnement se déploie de plus en plus dans les institutions de formation (voir à cet égard le récent Colloque national « Hybridation des formations » organisé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France1). En outre, il offre aux étudiants une certaine flexibilité et la diversité des expériences qui en résulte est encore peu documentée.
7Selon les établissements d’enseignement supérieur, ces environnements de formation reçoivent des appellations diverses : cours hybrides, cours hybrides en ligne, mais aussi cours comodaux (« Hyflex ») (Beatty, 2006, 2007 ; Gobeil-Proulx, 2019), ce qui n’en facilite pas la mobilisation à des fins de recherche. Selon leurs caractéristiques, mais aussi selon les spécificités de leurs acteurs (enseignants et étudiants), ces environnements d’enseignement et d’apprentissage relèvent de représentations différentes et entraînent des expériences qui ne sont pas toujours comparables. Ils constituent donc un objet de recherche particulièrement pertinent pour l’étude de la dynamique de co-construction des environnements d’enseignement et d’apprentissage et des configurations qui en émergent.
8La recherche Hy-Sup a mis en lumière plusieurs types (ou « learning design ») de dispositifs ou d’environnement d’enseignement et d’apprentissage en fonction d’un certain nombre de caractéristiques (techno)pédagogiques en articulation avec les approches d’enseignement (postures) (Deschryver et Charlier [dir.], 2012 ; Lebrun, Peltier, Peraya, Burton et Mancuso, 2014), et a souligné les effets différenciés de ces derniers sur les perceptions de l’apprentissage des étudiants (Deschryver et Lebrun, 2014) et du développement professionnel des enseignants (Lameul, Peltier et Charlier, 2014). Les travaux menés dans le cadre de ce projet ont montré notamment que 67 % des étudiants ne reconnaissaient pas le type de dispositif décrit par leurs enseignants. Pour comprendre ces différences de représentations, de premières explorations ont suggéré une corrélation positive des représentations des étudiants avec leurs approches d’apprentissage, en particulier pour les étudiants reconnaissant un dispositif de type « écosystème » (les dispositifs les plus développés, centrés sur l’apprentissage) avec l’adoption d’une approche d’apprentissage en profondeur.
9Dans une recherche plus récente, Charlier, Peltier et Ruberto (2021) ont mis en évidence l’existence de configurations spécifiques entre les motifs d’engagement, l’orientation des buts, la perception du dispositif et les ont associées aux effets sur les apprentissages rapportés par les étudiants. Huit configurations caractéristiques de cette dynamique ont pu être identifiées. Ces résultats encore exploratoires invitent à poursuivre l’investigation pour comprendre ce qui fait la différence dans l’interaction entre les caractéristiques des environnements et celles des étudiants aux projets, perceptions et pratiques d’apprentissage divers. D’autres études (Pécret, 2019 ; Felder, Baran, Molteni et Charlier, 2021) ont également porté sur ce processus de co-construction décrit du point de vue des étudiants. Cela reste toutefois des études qui, par leur petite ampleur, présentent une portée limitée.
10Décrire et comprendre la variété des co-constructions d’un même environnement d’apprentissage par des étudiants, pour en tirer des pistes concrètes au bénéfice des étudiants, des environnements et des institutions, constitue un objectif de recherche à la fois pertinent et ambitieux, d’autant plus complexe que la variété des environnements et que le nombre et la variété des profils d’étudiants augmentent. Les recherches antérieures offrent cependant des fondements utiles, tant en ce qui concerne la description des environnements d’apprentissage que de celle des processus de co-construction par les étudiants.
11Nous proposons un cadre d’analyse pour appréhender et comprendre la dynamique de co-construction des environnements d’apprentissage actuels, élaboré à partir de la synthèse de nos travaux communs et respectifs ainsi que des travaux d’autres auteurs. Ce cadre devrait fournir les bases d’un futur projet de recherche visant la description et la compréhension d’une diversité de configurations des environnements de formation en enseignement supérieur (Goodyear, 2020) pouvant être comprises selon une approche systémique (Bliuc et al., 2007 ; Charlier, Cosnefroy, Jézégou et Lameul, 2015), en tenant compte des conceptions pédagogiques de ces environnements (« learning design »), des caractéristiques des étudiants qui y participent, ainsi que des éléments contextuels pertinents.
12Dans la suite de cette contribution, une synthèse de cadres théoriques choisis et d’instruments de recueil de données à notre disposition est proposée pour soutenir, d’une part, la compréhension du processus de co-construction et, d’autre part, la description des dimensions de l’environnement sollicitées. Après avoir examiné les variables des environnements d’enseignement et d’apprentissage à considérer pour l’étude du processus de co-construction, les hypothèses possibles en vue de la mise en œuvre de projets de recherche portant sur les configurations qui émergent de ce processus de co-construction du point de vue de l’étudiant seront présentées. Face à la grande diversité des pratiques observées et au manque de référence commune des chercheurs (Peltier et Séguin, 2021), cette contribution se veut un appel à collaboration des chercheurs à un programme de recherche ambitieux.
13Nous l’avons souligné en préambule : de nombreux travaux de recherche relatifs à l’enseignement et à l’apprentissage dans l’enseignement supérieur relèvent d’une approche systémique, dans une perspective d’élaboration réciproque. Parmi ceux-ci, citons les travaux menés par Entwistle et différents collègues depuis plus de quarante ans. En 2018, dans un ouvrage intitulé « Student learning and academic understanding », Entwistle propose une synthèse relative aux différents travaux menés dans ce domaine et reprend, notamment, un modèle mettant en perspective les différentes caractéristiques des environnements d’enseignement et d’apprentissage et de leurs acteurs, ainsi que leurs influences réciproques à travers une trentaine de variables (Entwistle, 2018, p. 210).
14Dans la continuité des travaux d’Entwistle, Charlier, Cosnefroy, Jézégou et Lameul ont proposé un chapitre d’ouvrage publié en 2015 et intitulé « Understanding quality of learning in digital learning environments ». Ils y posent les bases théoriques d’une perspective de recherche visant à considérer les interactions entre différentes variables dans le contexte spécifiques des environnements d’enseignement et d’apprentissage hybrides : les caractéristiques personnelles des étudiants, celles de l’environnement d’enseignement et d’apprentissage, les caractéristiques issues de ces interactions, ainsi que les résultats d’apprentissage qui, en retour, influencent les caractéristiques individuelles et celles de l’environnement. Cette vision systémique et de causalité circulaire, ainsi que les variables identifiées, est représentée comme suit dans la figure 1 ci-dessous :
Figure 1. Perspective systémique et circulaire des interactions objectives et subjectives au sein des environnements d’apprentissage (d’après : Charlier, Cosnefroy, Jézégou et Lameul, 2015, p. 393, notre traduction)
15Les interactions dont il est question et la dynamique de causalité circulaire telle que proposée relèvent d’une élaboration réciproque que nous désignons sous le terme de « co-construction ». Cette façon d’envisager l’apprentissage n’est toutefois pas nouvelle. Les auteurs mentionnent à cet égard la théorie socio-cognitive (Bandura, 1986 ; Zimmerman, 2002), mais aussi les travaux de Cross (1981) à propos de l’engagement des adultes en formation, ainsi que ceux de Tinto (1975) et Biggs (2003) portant sur l’apprentissage dans l’enseignement supérieur.
16La question sous-jacente à laquelle font référence les auteurs, récurrente dans la littérature et dans les préoccupations de terrain, est celle de la réussite et de ses facteurs favorisants. Nous ne détaillerons pas ici les nombreuses publications abordant cette thématique, mais nous signalerons toutefois les récentes synthèses (état des recherches) proposées par Michaut (2022) et par De Clercq et al. (2022).
17Nous allons à présent reprendre les variables représentées dans le modèle proposé par Charlier et al. (op. cit.) en les complétant, le cas échéant, par des variables complémentaires proposées par d’autres auteurs, afin d’enrichir le modèle initial. Dans une perspective d’opérationnalisation, nous mentionnerons également les dimensions pouvant être retenues pour de futures recherches ainsi que les instruments de recueil disponibles pour les variables retenues.
18S’agissant des variables individuelles, et sur la base de l’état de la littérature, les auteurs (op.cit.) en retenaient cinq reprises dans le modèle (cf. Figure 2) : 1) les aptitudes cognitives ; 2) le passé académique ; 3) le niveau de connaissances relatif au sujet abordé ; 4) les conceptions du savoir et de l’apprentissage ; 5) les caractéristiques de la personnalité. Cette sélection était basée sur le consensus relevé dans la littérature à propos de la validité empirique de ces variables.
19Pour notre part (voir tableau 1 ci-dessous), nous retiendrons les variables individuelles qui ont été mises en relation avec les variables caractérisant les interactions entre étudiants et environnements. Parmi ces variables, les conceptions de l’apprentissage ont été corrélées avec les approches d’apprentissage (Marton, Dall’Alba et Beaty, 1993) (voir tableau 3), ainsi que les expériences d’apprentissage antérieures (Bourgeois, 2019 ; Eccles et Wigfield, 2023) pouvant influencer les représentations par rapport aux environnements d’enseignement et d’apprentissage, en particulier l’expérience de réussite dans cet environnement abordée pouvant influencer le sentiment d’efficacité personnel. La notion de disposition à apprendre par soi-même (« disposition to understand for oneself ») élaborée par Entwistle et McCune (2013) nous semble également intéressante à prendre en compte parce qu’elle considère que les approches d’apprentissage mobilisées par les étudiants, en plus d’être influencées par la perception de l’enseignement et par les caractéristiques de l’environnement, sont sous-tendues par une forme de stabilité individuelle. Soulignant l’existence d’une stabilité substantielle des différences individuelles dans le processus cognitif (Entwistle et McCune, op. cit., p. 268, notre traduction), les auteurs suggèrent un lien entre les caractéristiques motivationnelle et métacognitive des individus à travers la notion de disposition. Ainsi la notion de disposition à apprendre par soi-même est-elle définie de la façon suivante :
the disposition to understand for oneself [is described] as having three main elements, similar to those found in thinking dispositions. First, there are the learning processes used (cognitive skills as an aspect of ability), seen in the interplay of relating ideas and the critical use of evidence with careful attention to detail. The second component of the disposition is the willingness to put in the necessary time, effort, and concentration to apply the learning strategies effectively (using organized effort), while the final element relates to several forms of alertness to the context within which the learning is taking place or might take place in the future. (p. 269)
20Une échelle de cinq items prenant en compte les aspects motivationnels et métacognitifs permettant de déterminer le degré de disposition à apprendre par soi-même est proposée par ces auteurs.
21Le tableau 1 ci-dessous récapitule et détaille chacune des variables retenues en mentionnant les cadres de référence associés et, lorsque cela est possible ou pertinent, l’existence d’un instrument de recueil de données approprié pour l’étude des dimensions proposées.
Tableau 1. Variables individuelles retenues
- 2 Items traduits de l’anglais (notre traduction).
Variables
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Dimensions
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Cadres/sources de référence
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Instruments pour le recueil de données
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Conceptions de l’apprentissage
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Apprendre, c’est :
- augmenter son savoir
- mémoriser et reproduire
- appliquer
- comprendre
- voir quelque chose de manière différente
- changer en tant que personne
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Marton et al. (1993)
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- Catégories issues des travaux de Marton et al. (1993) (pour des approches compréhensives et qualitatives)
- Conceptions of learning inventory (COLI) (Purdie et Hattie, 2002) (d’après Marton et al. 1993)
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Disposition à comprendre par soi-même
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- Intention de comprendre par soi-même2
- Volonté de fournir un effort
- Processus d’apprentissage contribuant à cette intention
- Suivi de son propre apprentissage
- Conscience des liens avec des contextes réels
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Entwistle et McCune (2013, p. 276)
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Disposition to understand scale (Entwistle et McCune) (5 items)
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Expériences antérieures
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- Perception de la réussite antérieure dans des environnements similaires, sous l’angle du sentiment d’efficacité personnel
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Eccles et Wigfield (2023) et Bourgeois (2019)
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22En ce qui concerne les environnements d’enseignement et d’apprentissage hybrides, le modèle de description et d’analyse le plus complet à ce jour, en français et en anglais (Peltier et Séguin, 2021) est celui proposé dans le cadre des travaux Hy-Sup (Deschryver et Charlier [dir.], 2012). C’est également celui repris dans le chapitre de Charlier et al. (2015). Bien que la typologie des dispositifs hybrides de formation issue de ces travaux ne reflète sans doute plus la nature et la diversité des environnements d’enseignement et d’apprentissage présents dans l’enseignement supérieur aujourd’hui, le cadre descripteur reste une référence indispensable pour l’analyse des configurations co-construites dans l’interaction des variables individuelles et de contexte. Ce cadre mériterait toutefois d’être enrichi et modifié à la lumière de l’approfondissement de ses dimensions et de l’ajout de deux nouvelles dimensions, celle de l’évaluation des apprentissages et celle de l’évaluation des dispositifs. Nous considérons qu’elles peuvent jouer un rôle important dans la différenciation des environnements décrits et perçus.
23Les dimensions constitutives d’un dispositif hybride de formation initialement identifiées sont les suivantes : 1) l’articulation présence/distance ; 2) l’accompagnement humain ; 3) les formes de médiatisation et 4) les formes de médiation liées à l’usage d’un environnement technopédagogique ; 5) le degré d’ouverture du dispositif. Ces dimensions, déclinées en quatorze composantes identifiées à partir d’une analyse factorielle, ont permis la description sur une base empirique des learning design de six types de dispositifs. : trois centrés sur l’enseignement et les contenus d’apprentissage et trois centrés sur l’apprentissage et les activités des étudiants (Burton et al., 2011 ; Lebrun et al., 2014). Ci-après nous interrogeons ces cinq dimensions en revenant au cadre théorique initial de la recherche (Deschryver et Charlier [dir.], 2012) et en ajoutant des nouvelles dimensions afin de soutenir une nouvelle enquête empirique fondée sur celui-ci et non pas sur les résultats de 2012.
24Depuis la pandémie de Covid-19, de nouvelles modalités touchant à l’articulation présence/distance se sont généralisées. La dimension articulation présence/distance ne s’inscrit donc désormais plus dans une logique binaire, telle qu’abordée dans le questionnaire Hy-Sup (composantes 1 et 2 du modèle Hy-sup3), mais dans celle d’une pluralité de déclinaisons qui invite à interroger les modalités d’apprentissage proposées et surtout les choix opérés par les étudiants sous l’angle : 1) du sens que ceux-ci donnent à ces choix au sein d’un parcours significatif en fonction de leur projet et de leur perception de celui proposé par la formation ; 2) de la perception des formes de présence – pédagogique, cognitive et sociale (Jézégou, 2010) – associée à ces modalités. Pour décrire et analyser ces différentes modalités d’articulation présences/distance, nous proposons de retenir la classification des différentes formes de cours hybrides proposées par l’Université Laval (Québec)4 : 1) cours en classe (entièrement présentiel) ; 2) cours présentiel-hybride (alternance de séances en présence et à distance, synchrones ou asynchrones) ; 3) cours à distance-hybride (distance synchrone et asynchrone) ; 4) cours à distance asynchrone ; 5) cours à distance synchrone avec enregistrement et mise à disposition en différé ; 6) cours comodal (présence et distance synchrone et asynchrone, modalité à choix pour l’étudiant).
25Concernant les activités à distance, outre leur nature (De Clercq et al., 2022), ce sont également les espaces de leur réalisation qui pourraient être documentés : activités associées à des activités professionnelles, privées, de loisir et surtout la manière dont les étudiants les sollicitent, et leur donnent sens dans un parcours significatif en fonction de leurs projets et de leur perception de celui proposé par la formation. À cet égard, les travaux portant sur l’apprentissage dans différents contextes et en particulier l’alternance formation pratique (Merhan et al., 2021) sont particulièrement pertinents.
26Le questionnaire Hy-Sup a retenu plusieurs des formes de médiatisation proposées dans le modèle de Peraya (2008) à travers les fonctions médiatisées suivantes : accompagnement (composante 3 du modèle Hy-Sup), gestion (composante 4), interaction (composantes 4 et 7), information (composante 5), production (composante 6), évaluation (composantes 6 et 8). Or le modèle initialement proposé par Peraya (op. cit.) concerne les fonctions constitutives de toute formation. L’enjeu consiste à identifier lesquelles parmi les huit fonctions identifiées (information, gestion, production, interaction, accompagnement, évaluation, métaréflexion, awareness ou sentiment de présence) sont perçues comme étant médiatisées. Il nous semble important, par conséquent, d’interroger l’ensemble des formes de médiatisation et non pas seulement une sélection d’entre elles. Ici aussi la question de l’ouverture et de la liberté de choix laissée aux étudiants devrait être prise en compte. S’agissant de la fonction d’évaluation, il pourrait être intéressant d’y ajouter une dimension spécifique, celle de l’évaluation de l’environnement par l’étudiant, ainsi que sa perception de la manière dont les apprentissages sont évalués.
- 5 Une autre forme de médiation, la médiation sensori-motrice, a également été documentée par Peraya ( (...)
27Selon le cadre de la communication éducative médiatisée (Meunier et Peraya, 1993/2010), médiatisation et médiation sont indissociables. Il s’agit en effet ici de considérer la médiation non pas aux sens traditionnels de médiation humaine ou de médiation des savoirs, mais dans une perspective communicationnelle pour laquelle le média – ou l’instrument selon la terminologie adoptée par Rabardel (1995) – par la position d’intermédiation qu’il occupe entre le sujet et l’objet de son activité transforme, de fait, la représentation et le déroulement de l’activité et engendre des effets spécifiques selon ses caractéristiques médiatiques. Les formes de médiatisation jouent donc un rôle majeur dans les effets recherchés ou constatés. Il est possible de lier le type d’objectifs pédagogiques recherchés ou perçus (objectifs cognitifs, relationnels, méthodologiques, etc.) aux formes de médiatisation (fonctions médiatisées), ainsi qu’aux six formes de médiations identifiées par Peraya (1999 ; 2010) et Peraya et Peltier (2012) : 1) épistémique ; 2) cognitive ou sémiocognitive ; 3) praxéologique ; 4) relationnelle ; 5) réflexive ; 6) posturale5. Cela permet, d’une part, l’analyse de l’alignement pédagogique à travers les objectifs, les choix de médiatisation et des formes de médiation associées et, d’autre part, celle de la congruence (convergence entre intentions pédagogiques et perceptions par les étudiants). Dans le cadre du questionnaire Hy-Sup, seules les médiations réflexives et relationnelles, à travers une seule composante (comp. 9), ont été identifiées par l’analyse factorielle. Nous proposons, pour une nouvelle enquête, d’en prendre en compte l’intégralité pour les raisons énoncées ci-dessus.
28Dans le cadre de la recherche Hy-Sup, la question de l’accompagnement a été traitée sous l’angle de l’accompagnement méthodologique (comp. 10), métacognitif (comp. 11) et par les pairs (comp. 12). L’ensemble des dimensions de l’accompagnement initialement mentionnées dans le cadre conceptuel de la recherche (accompagnement cognitif, affectif et métacognitif) (Deschryver et Charlier [dir.], 2012, p. 8) devrait être retenu et revu en tenant compte des travaux de Jézégou (2010 ; 2022) pour couvrir la diversité des approches et des pratiques en la matière. En effet, le cadre initial de la recherche Hy-Sup ne faisait pas référence aux travaux de Jézégou sur les formes de présence. Or, il serait pertinent de les mobiliser pour deux raisons. Tout d’abord, parce que ces formes de présence ont été bien définies et étayées théoriquement par l’auteur. Ensuite, parce que la perception des formes de présence offertes – pédagogique, cognitive et sociale (Jézégou, 2010, 2012) – en ce qu’elles répondent aux besoins d’autonomie, de compétence, d’affiliation et d’intérêt de l’étudiant serait à investiguer. C’est, d’une certaine manière, ce que Vandercammen (2010) a réalisé dans sa thèse en identifiant les fonctions d’aide à l’apprentissage proposées par l’enseignant et perçues par les étudiants qui réussissent. En particulier, les présences pédagogique – communication de la structure du dispositif et guide dans les apprentissages – et sociale – soutien au développement de relations interpersonnelles pourraient être étudiées. De manière générale, c’est la perception de la présence par les étudiants et ses déterminants qui devrait être appréhendée.
29Enfin, pour interroger et confronter les points de vue des enseignants et des étudiants, les modalités d’accompagnement, proactive ou réactive, décrites par De Lièvre et Depover (2001) pourraient également être abordées.
30Dans le cadre du projet Hy-Sup, le degré d’ouverture, c’est-à-dire le « degré de liberté de l’étudiant face aux situations d’apprentissage (Jézégou, 2002 et 2008) » (Peraya, Charlier et Deschryver, 2014, p. 20) est considéré au même titre que les autres dimensions constitutives des dispositifs hybrides de formation. Aujourd’hui, celle-ci nous semble occuper une position centrale dans la dynamique de co-construction des environnements, car il ne s’agit plus seulement pour l’étudiant d’opérer des choix relatifs aux méthodes pédagogiques (comp. 13) et aux ressources d’apprentissage (comp. 14) tel que cela a été envisagé dans le cadre du questionnaire Hy-Sup. Ainsi, l’ouverture mériterait d’être considérée sous l’angle des quatorze composantes identifiées par Jézégou (2010) (accès, lieu, temps, rythme, objectifs, cheminement, séquence, méthodes, format, contenus, évaluation, support, outils de communication, personnes-ressources) à travers l’élaboration du questionnaire GEODE permettant d’appréhender le degré d’ouverture d’un environnement éducatif.
31Dans le cadre de la recherche Hy-Sup, l’évaluation des apprentissages n’a pas été spécifiquement retenue comme une dimension permettant de différencier les différents types de dispositifs hybrides de formation et a été traitée comme un des facteurs permettant de qualifier l’orientation pédagogique d’un dispositif :
Globalement, un dispositif centré sur l’apprentissage (prise en compte des expériences et connaissances antérieures des étudiants, activités et modalités d’évaluation suscitant des démarches de compréhension, accompagnement, apprentissage collaboratif, liberté de choix des contenus et méthodes, etc.) favorisera une approche [d’apprentissage de l’étudiant] en profondeur. (Deschryver et Letor, 2012, p. 114)
32Il nous semble toutefois important de lui accorder une place particulière dans la mesure où l’évaluation des apprentissages (learning assessment) est reconnue dans la littérature comme une variable influençant les approches d’apprentissage et les résultats de l’apprentissage (p. ex. Gijbels et al., 2005). La perception de l’alignement constructif (Biggs, 1987), c’est-à-dire, d’une part, celle des activités proposées dans une perspective d’élaboration active des connaissances et, d’autre part, celle de l’adéquation des objectifs tels que formulés, des contenus d’apprentissage, des activités et de l’évaluation envisagées, constitue également un élément susceptible d’orienter les comportements adoptés par les étudiants (Fitzallen, Brown, Biggs et Tang, 2017). Le questionnaire développé par Fitzallen, et al. (op. cit.) (Constructive Alignment Learning Experience Questionnaire, CALEQ) destiné à confronter les perceptions des étudiants décrites ci-après, pourrait être utilisé pour étudier de manière globale la perception des formes d’évaluation, des objectifs d’apprentissage attendus, des activités et des formes d’accompagnement :
The goal is to use this tool to gather evidence of students’ perceptions of a given unit in relation to: (1) the intended learning outcomes of the unit, (2) how well the teaching/learning activities in that unit help students achieve those outcomes, (3) how well the assessment tasks address what students are supposed to learn, and (4) how feedback given to students supports expected learning.6
33L’évaluation de l’environnement vécu par l’étudiant, à travers la perception du degré de participation qui lui est accordé, nous paraît également constituer une approche intéressante permettant de différencier les différents environnements. Le degré de participation des étudiants, entendu comme la possibilité qui leur est accordée d’être des agents actifs, pourrait être abordée sous l’angle des trois formes de participation des étudiants au design pédagogique identifiées par (Bovill, Cook-Sather et Felten, 2011) :
1) Students as co-creators of teaching approaches;
2) Students as co-creators of course design;
3) Students as co-creators of curricula.
34Les nouveaux éléments que nous apportons nécessitent une refonte complète du questionnaire initialement développé par Burton et al. (2011) afin d’établir une nouvelle typologie et un nouvel instrument d’autopositionnement. Le tableau 2 ci-dessous récapitule les différentes variables à interroger, les cadres de référence associés et les instruments de recueil de données disponibles.
Tableau 2. Variables caractéristiques de l’environnement
Variables
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Dimensions
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Cadres/sources de référence
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Instruments
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Articulation présence/distance (intégrant les modalités de participation aux activités d’apprentissage)
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1) cours en classe (entièrement présentiel) ; 2) cours présentiel-hybride (alternance de séances en présence et à distance, synchrones ou asynchrones) ; 3) cours à distance-hybride (distance synchrone et asynchrone) ; 4) cours à distance asynchrone ; 5) cours à distance synchrone avec enregistrement et mise à disposition en différé ; 6) cours comodal (présence et distance synchrone et asynchrone, modalité à choix pour l’étudiant).
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https://www.ulaval.ca/etudes/formules-denseignement (consulté le 18 mars 2024)
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Questionnaire exploratoire envisageant le sens donné aux activités et aux contextes de leur réalisation
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Formes de médiatisation
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Médiatisation des fonction de/d’ : - Information - Gestion - Production - Interaction - Accompagnement - Évaluation - Métaréflexion - Awareness
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Peraya (2008)
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Questionnaire exploratoire pour interroger les formes de médiatisation et les formes de médiation perçues (Peltier et al., 2023)
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Formes de médiations
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- (Sémio)cognitive - Épistémique - Réflexive - Relationnelle - Posturale - Praxéologique
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Peraya (1999, 2010) ; Peraya et Peltier (2012)
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Accompagnement
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Degré de présence - Socio-cognitive - Socio-affective - Pédagogique Modalités d’accompagnement - Réactive - Proactive
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Jézégou (2010, 2012)
De Lièvre et Depover (2001)
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Grille d’évaluation de la présence en e-learning (GEPE) (Jézégou, 2022)
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Degré d’ouverture
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- « Composantes spatio-temporelle » (accès, lieu, temps, rythme) - « Composantes pédagogiques » (objectifs, cheminement, séquence, méthodes, format, contenu, évaluation) - « Composantes de la communication éducative médiatisée » (supports d’apprentissage, outils de communication, personnes-ressources)
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Jézégou (2005, 2010)
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Questionnaire GEODE (2010)
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Évaluation des apprentissages
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Perception : - Objectifs d’apprentissage - Adéquation des activités pour atteindre les objectifs - Adéquation des formes d’évaluation par rapport aux objectifs - Du soutien apporté aux apprentissages à travers les feedbacks
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Questionnaire CALEQ Fitzallen et al. (2017)
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Évaluation de l’environnement par les étudiants
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Perception du degré de participation accordé aux étudiants
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Bovill, Cook-Sather et Felten (2011)
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35La diversité des notions utilisées pour caractériser les interactions singulières entre étudiants et environnements d’apprentissage institutionnels est multiple. Parmi celles-ci, nous retiendrons la notion de « study orchestration » proposée par Meyer (1991, p. 297). Il s’agit, pour l’auteur, de considérer à la fois la singularité des approches individuelles d’apprentissage, l’influence du contexte dans la mise en œuvre de ces approches, ainsi que les différentes conceptions de l’apprentissage. Dans cette perspective, Meyer, Parsons et Dunne (1990) ont exploré la notion de « dissonant study orchestration ». Cette notion est intéressante, car elle souligne les tensions qui peuvent se jouer lorsque les perceptions de l’environnement d’enseignement et d’apprentissage et les comportements d’apprentissage sont en décalage (« mismatch »). Vermunt et Verloop (1999), quant à eux, proposent la distinction entre congruence et frictions constructives et destructives. Sans entrer ici dans les détails, nous dirons simplement que les frictions portent sur ce qui résulte de la rencontre entre le degré de prise en charge de la régulation des apprentissages par l’environnement et les compétences d’autorégulation de l’étudiant. Par exemple, une friction destructive intervient lorsqu’un étudiant tente de mettre en œuvre des stratégies d’autorégulation qui lui sont propres dans un contexte où l’enseignant exerce un contrôle fort et impose les stratégies à déployer dans une perspective qui n’est pas la même que celle de l’étudiant. À l’inverse, une friction constructive résulte d’une situation où l’étudiant est amené, avec succès, à déployer de nouvelles stratégies d’apprentissage qu’il n’avait pas eu l’occasion d’expérimenter auparavant.
36Au-delà de cette diversité de notions utilisées, encore peu d’études, à l’exception notamment de celles menées par Ellis et Goodyear (2013), Felder et al. (2021), Charlier et al. (2021) cherchent à caractériser les configurations qui émergent de ces interactions avec les environnements d’enseignement et d’apprentissage médiatisés (hybrides ou entièrement à distance) pour les décrire, les caractériser, les reconnaître et en connaître les effets. Pour ce faire, ces auteurs mobilisent la notion d’environnement personnel d’apprentissage (EPA) (Felder, 2019) qui constitue un objet de recherche particulièrement pertinent pour appréhender grâce à sa modélisation l’activité d’apprentissage de l’étudiant en interaction avec un environnement d’apprentissage et son évolution (Charlier et al., 2022). Cette notion est définie comme suit :
L’EPA est à la fois un modèle mental explicatif et culturel de l’activité d’apprentissage et le produit d’un processus de construction et de régulation mené par l’apprenant au sein d’un système d’activité d’apprentissage. Ce dernier produit à son tour un EPA, qui s’organise en une représentation subjective d’un ensemble d’instruments d’apprentissage en lien avec un projet d’apprentissage. Les instruments sont composés d’artefacts et de schèmes exprimant les actions menées dans une intention d’apprentissage, actions qui utilisent des artefacts techniques, matériels ou numériques, qui appliquent des artefacts pédagogiques que sont les stratégies cognitives et métacognitives et les formes de médiatisation des connaissances, qui visent l’acquisition d’artefacts didactiques que sont les connaissances et les compétences, et qui observent des artefacts sociaux que sont les individus ou les groupes, les règles et valeurs internes ou celles externes à l’individu. (Felder, 2019a, p. 89).
37L’EPA constitue également un objet de recherche permettant de rendre compte, si l’on adopte une perspective longitudinale, les stratégies d’autorégulation adoptées par l’apprenant (Felder, 2027). En comparant les modèles représentant l’EPA des étudiants au fil de leurs interactions avec un même environnement d’apprentissage ou lors des transitions vécues entre environnements (Charlier et al., 2022) on peut littéralement voir les stratégies mises en œuvre par l’étudiant.
38Nous sommes ici au cœur de la dynamique de co-construction. À cet égard, les représentations et les comportements entretiennent un rapport étroit. Nous proposons de retenir les variables intégrant variables représentationnelles et variables comportementales suivantes.
39Tableau 3. Variables représentationnelles et comportementales
Variables
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Dimensions
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Cadres/sources de référence
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Instruments
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Study orchestration
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Configurations associant approches d’apprentissage et perception de l’environnement
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Meyer (1991) Meyer et Parsons (1989) Meyer, Parsons et Dunne (1990)
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Course Perceptions Questionnaire (CPQ) et Approaches to Studying Inventory (ASI) (Entwistle et Ramsden, 1983)
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Frictions - congruence
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- Degré de contrôle de l’environnement - Compétences d’autorégulation
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Vermunt et Verloop (1999)
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YEPA® outil de modélisation des EPA (Felder, 2019)
https://yllyl.ch/29353-2/ (consulté le 18 mars 2024)
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EPA et stratégies d’autorégulation
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- Schèmes d’apprentissage - Ressources - Stratégies d’apprentissage - Stratégies d’autorégulation
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Felder (2019) Charlier et al. (2022)
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YEPA (op.cit.)
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40Comprendre la dynamique de co-construction des environnements d’enseignement et d’apprentissage par les étudiants conduit à ouvrir un programme de recherche très ouvert et ambitieux. Des cadres théoriques issus de la psychologie de l’apprentissage, des sciences de la communication, de la pédagogie universitaire, de la formation des adultes et de la technologie de l’éducation sont convoqués. Leur articulation est complexe et nécessite encore un travail approfondi d’interrogation des approches épistémologiques, des concepts mobilisés, des méthodes pour éviter flou, approximation et recouvrement. La démarche entamée ici est donc à considérer comme un point de départ. Sa légitimité est cependant assurée par son enracinement dans une perspective adoptée par des prédécesseurs reconnus comme Entwistle pour ce qui concerne plus spécifiquement la pédagogie universitaire. Comprendre l’apprentissage des étudiants nécessite d’accepter de prendre en compte la complexité. La faisabilité et la rigueur guideront le chercheur dans la réalisation d’une recherche appréhendant un nombre limité de variables, mais située dans un cadre commun. C’est à cette condition et, en particulier, en faisant référence aux caractéristiques des environnements d’enseignement et d’apprentissage étudiées décrites au moyen d’un outil d’autopositionnement renouvelé (leur type ou learning design) que nous éviterons le langage de sourd au sein d’une communauté de chercheurs qui malheureusement ne situent pas leurs travaux par rapport à une définition précise des dispositifs au cœur desquels pourtant leur recherche se réalise (Peltier et Séguin, 2021).
41Parvenues à ce stade, plusieurs pistes permettant d’orienter le programme de recherche se dessinent. Tout comme la recherche Hy-Sup, elles invitent à envisager un programme en deux volets.
42Le premier volet concerne la révision de la typologie des dispositifs tenant compte de l’évolution des pratiques. La révision des dimensions à considérer pour identifier par une recherche empirique les nouveaux types de dispositifs mis en place aujourd’hui par leurs dimensions caractéristiques (« learning design ») est une première étape indispensable pour comprendre la dynamique de co-construction d’environnements d’enseignement et d’apprentissage par les étudiants. Elle peut prendre en compte l’ensemble des dimensions envisagées dans le tableau 2 et procéder par élaboration et itération d’une enquête à large échelle pour laquelle le premier questionnaire sera nécessairement long. De façon à favoriser l’acceptabilité d’un tel questionnaire, la technique du questionnaire accompagné pour laquelle le questionnaire est présenté par un chercheur qui accompagne et enregistre la passation peut être envisagée.
43Pour réaliser une seconde étape d’identification et de compréhension des configurations co-construites tenant compte du nombre de variables à considérer et de leurs interactions, nous suggérons de retenir parmi les variables médiatrices celles qui articulent représentations des environnements d’enseignement et d’apprentissage et comportements ou stratégies, et ce pour trois raisons. La première est que par définition elles représentent le mieux la construction par l’étudiant de son propre environnement, la seconde est, du moins pour ce qui concerne le concept de « study orchestration », parce que des recherches empiriques ont mis en évidence des relations significatives avec les effets sur l’apprentissage, enfin parce que ces variables sont susceptibles d’évoluer avec des changements apportés aux environnements. Il s’agit des concepts de « study orchestration » et d’EPA. Les travaux de Vermunt et Verloop (1999) et leurs concepts de friction et d’alignement permettent quant à eux de caractériser les changements observés au niveau des configurations observées (study orchestration et EPA). En ce qui concerne les variables individuelles seront retenues les variables associées à ces variables médiatrices ou à leurs composantes : conceptions de l’apprentissage, expériences d’apprentissage antérieures et disposition à apprendre par soi-même. Concernant les variables de l’environnement, tout en n’omettant pas la nécessité de décrire les learning design des dispositifs hybrides en se fondant sur une typologie renouvelée sur une nouvelle enquête empirique la dimension principale pour ce qui concerne le processus de co-construction serait le degré d’ouverture de celui-ci (Pécret, 2019).
44Ainsi, le modèle conceptuel suivant pourrait guider de futures recherches :
Figure 2. Modèle révisé
45Un tel modèle, même incomplet, peut sembler difficile à mettre en œuvre compte tenu du nombre important de variables retenues. Chaque équipe de recherche, une fois assuré le premier volet d’identification empirique des learning design ou types de dispositifs, devra faire des choix parmi les variables à prendre en compte en ce qui concerne les caractéristiques individuelles des étudiants, les variables d’interaction et les types d’effets évalués.
46Dans cette perspective, des hypothèses possibles pourraient être de deux natures : descriptive et compréhensive.
47 1. Descriptive
48Pour chaque type d’environnement, un nombre limité de configurations caractérisant les interactions « étudiant-environnements » pourront être identifiées. Ces configurations pourront être caractérisées comme une représentation des frictions constructives ou destructives ou comme congruentes.
49 2. Compréhensive
50Ces configurations évolueront vers une meilleure congruence, une friction constructive ou destructive en fonction de l’adaptation du degré d’ouverture et de présence offert par le dispositif et perçus par l’étudiant. Les configurations qualifiées de congruentes ou relevant de frictions constructives seront associées, par les étudiants, à une perception plus positive des effets sur leurs apprentissages ainsi qu’à des effets objectivés plus marqués.
51Sur le plan méthodologique, le design de recherche le plus adapté serait l’étude de cas multiple (Yin, 2009) utilisant des méthodes mixtes qui par son volet quantitatif permet de construire des connaissances valides et transférables tout en permettant par le volet qualitatif d’appréhender en profondeur le point de vue des acteurs et leurs pratiques situées.
52Ce texte constitue une première contribution à l’élaboration d’un modèle intégrateur permettant d’aborder la dynamique complexe de co-construction des environnements d’apprentissage hybrides. À ce titre, nous invitons la communauté de chercheuses et de chercheurs à le considérer comme un point de départ et, par conséquent, à le discuter, à l’expérimenter et à l’enrichir.
53Un important travail de sélection et de construction d’instruments de recueil de données devra être réalisé. En effet, si des instruments existent. Certains sont anciens ou développés en anglais. Cela commence par une définition et une compréhension de la nature des concepts mobilisés. C’est ce que nous avons proposé dans cet article. Cependant, sur le plan empirique, pour les instruments existants, un travail de mise à jour, de traduction et de validation doit être réalisé. Ceci devra permettre de vérifier l’indépendance des variables étudiées et leurs relations entre elles. En outre, une approche mixte de recherche ouvrant à l’analyse et à la modélisation de pratiques d’apprentissage d’étudiants supposera une formation des chercheurs aux entretiens d’explicitation et aux langages et outils de modélisation YEPA©.
54Enfin, il s’agira de conduire des analyses fines des données produites de manière à les rendre communicables à la communauté des chercheurs et des praticiens. Ce qui supposera, comme cela a été fait dans le cadre de la recherche Hy-Sup un travail de médiation scientifique de qualité. À cet égard, nous renvoyons le lecteur aux propositions de Bedin et Aussel dans le volume 3 du « Traité de méthodologie de la recherche en sciences de l’éducation et de la formation » dirigé par Albéro et Thiévenaz (2022) car elles soulignent la nécessité de tenir compte de trois conditions pour assurer un retour pertinent aux acteurs de terrain : la pertinence (« l’adéquation entre les intentions des propositions restitutives et les besoins réels des destinataires »), l’appropriation (« concordance entre les potentialités individuelles ou collectives des participants [cognitives, axiologiques, praxiques] et les caractéristiques de la démarche mise en œuvre [fond, forme] ») et l’efficacité (« rapport entre des effets escomptés et les retombées effectives de l’enquête, soit au plan individuel et collectif ») (op. cit., vol. 3, p. 117-118).