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La formation professionnelle entre injonction à la numérisation et impératif de sobriété

Vocational Training between Injonction to Digitalize and Imperative for Sobriety
Anca BOBOC et Jean-Luc METZGER

Résumés

L’incitation à pratiquer la sobriété numérique s’est ajoutée aux processus de rationalisation gestionnaire auxquels les acteurs de la formation sont soumis. Or, la sobriété ne consiste pas seulement à réduire les empreintes environnementales et énergétiques, mais aussi sociales. Ces trois types d’empreintes, interdépendantes et en tension, sont inégalement distribuées selon les catégories socioprofessionnelles, le genre, l’âge, le lieu, etc. Aussi, les mesures envisagées pour réduire ces empreintes, faute d’être adaptées aux différentes configurations, peuvent aggraver des inégalités ou en créer de nouvelles, ce qui pèse sur leur acceptabilité et leur efficacité. Ce risque de rejet est accru par la complexité des régulations à différents niveaux, aussi bien nationaux qu’internationaux. Pratiquer la sobriété dépend alors des capacités d’initiatives des formateurs, de leurs marges d’action, donc des facteurs collectifs et organisationnels propres à chaque contexte local. Mais les solutions « clés-en-main » n’existent pas. Tout est à construire, à commencer par les indicateurs ad hoc permettant d’évaluer localement l’importance de ces empreintes et de mesurer, ultérieurement, l’efficacité des mesures expérimentées. En remettant au centre le travail des formateurs, cet article propose un cadre de réflexions exploratoire et prospectif, et pose la question d’une désindustrialisation de la formation.

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Texte intégral

Position du problème

1Si la formation professionnelle tout au long de la vie (FTLV) a pris, depuis le début des années 2000 et sous l’impulsion des pouvoirs publics, une importance croissante, elle a également changé de nature. Il s’agit dorénavant de responsabiliser les individus dans l’acquisition et le maintien de leurs compétences professionnelles, en individualisant les parcours de formation. Cette injonction à la responsabilisation, qui s’applique également aux professionnels de la formation, s’inscrit plus généralement dans un ensemble de processus de rationalisation gestionnaire, concernant aussi bien les entreprises (management néolibéral) que les services publics (Nouvelle Gestion publique). Très tôt, cependant, avait été pointé le risque que cette responsabilisation et cette individualisation ne redoublent les inégalités structurelles d’accès à la formation professionnelle (Le Douaron, 2002). Les principaux facteurs identifiés concernaient le niveau de qualification, la taille de l’entreprise, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle et le genre. Plusieurs études empiriques des années 2000 et 2010 ont confirmé ce diagnostic (Quenson, 2012 ; Lambert et Marion-Vernoux, 2014 ; INSEE, 2018).

2En parallèle, depuis le début des années 2000, se sont succédé plusieurs vagues incitant à utiliser le numérique dans la formation continue et professionnelle (Benedetto-Meyer et Boboc, 2021, p. 166-183 ; Collin et al., 2022 ; Santelmann, 2019) et à mobiliser des « pédagogies innovantes » (Lemaître, 2007 et 2018 ; Bernard et Fluckiger, 2019). Cette nouvelle étape dans l’industrialisation de la formation (Mœglin, 2016), caractérisée par la flexibilisation des apprentissages, permettrait de se former plus vite et plus efficacement pour s’adapter à des rythmes d’innovation allant s’accélérant. Plus récemment, le mouvement de numérisation a été accentué par la mise à distance des formations, décision prise pour limiter les conséquences sanitaires de la pandémie de COVID-19. Dans ce cadre, des organismes et départements internes de formation ont cherché à expérimenter la réalité virtuelle ou la réalité augmentée dans des parcours pédagogiques (Barbe et Boboc, 2022).

3Simultanément, les effets négatifs provoqués par les usages professionnels du numérique ont amené les pouvoirs publics à inciter les établissements d’enseignement à réduire leur bilan carbone et leur facture énergétique. Cette ardente obligation nécessite, préalablement, qu’ils inventent les moyens d’évaluer leurs empreintes, notamment leurs émissions de gaz à effets de serre (GES) et identifient des pistes d’action pour les diminuer. Quant aux formateurs, ils sont invités à réduire l’empreinte numérique de leurs activités. Or, plusieurs recherches montrent que la mise en œuvre de mesures visant la sobriété énergétique peut accroître les inégalités socioéconomiques (Zélèm, 2016). Le risque est grand qu’il en aille de même pour la sobriété numérique.

4Ainsi, les acteurs du domaine se trouvent au cœur de trois processus de rationalisation gestionnaire : développer la FTLV, numériser les formations et intégrer la sobriété dans les pratiques. Or, l’articulation entre ces injonctions paradoxales n’a rien d’évident. D’autant plus, comme nous le soulignerons, qu’aux empreintes environnementales et énergétiques s’ajoutent les empreintes sociales du numérique, dimensions le plus souvent ignorées. C’est pourquoi, nous cherchons à identifier les conditions requises pour que ces acteurs puissent effectivement prendre en compte l’ensemble des contraintes appelées à transformer leurs activités. Plus précisément, nous dégageons, à titre exploratoire, un ensemble de réflexions issues de la littérature, à partir desquelles nous proposons un cadre de recherches programmatiques pour en approfondir les facettes les moins documentées.

5Ainsi, nous discuterons, tout d’abord, le sens et les enjeux liés aux usages de la notion de sobriété : au-delà de l’apparent consensus qui en accompagne l’emploi, deux conceptions opposées s’affrontent, l’une prônant la simple adaptation de l’industrie à une croissance verte, l’autre en appelant à un changement radical des modes de vie, de production et de consommation. Puis, nous examinerons les différentes facettes de sa mise en œuvre, potentielle et effective, dans le champ de l’éducation et de la formation professionnelle, en nous interrogeant sur la capacité réelle des acteurs concernés à développer un agir sobre. Ce qui nous amènera à souligner la complexité de l’effort demandé. En effet, non seulement les solutions (méthodologiques, techniques, métrologiques, etc.) demeurent, pour l’essentiel, à inventer, mais leur conception et leur mise en œuvre dépendent d’une multiplicité de niveaux d’acteurs, aux intérêts souvent divergents, voire contradictoires.

6C’est qu’en effet, la réduction des empreintes du numérique, non seulement requiert de nouvelles régulations internationales et nationales pour harmoniser les conditions de la concurrence – entre économies, entreprises, établissements de formation, etc. –, mais doit se baser sur des expérimentations propres à chaque configuration. Ces régulations résultent de rapports de force jusqu’ici dissymétriques entre institutions publiques (nationales et supranationales), entreprises multinationales, branches professionnelles et organisations syndicales. Sans un cadre législatif adapté, sans des décisions de politique environnementale volontaires, les incitations à la sobriété et les chartes de bonne conduite ne conduiront pas à une réduction significative des empreintes du numérique. Mais une fois ces cadres construits, leur déclinaison au niveau de chaque entité, des équipes et des contextes locaux est déterminante.

7Dit autrement, le développement effectif de la sobriété numérique dans la formation professionnelle dépend des facteurs macropolitiques (internationaux, nationaux, législatifs, etc.), mais aussi des initiatives des formateurs, de leur capacité d’action et donc des facteurs collectifs et organisationnels propres à chaque contexte local. C’est à ce niveau que les acteurs peuvent inventer, par expérimentations et délibération, des solutions pratiques pour rendre cohérentes, compatibles, des décisions prises aux niveaux supérieurs.

8C’est pourquoi nous insistons sur la nécessité de renforcer les capacités d’agir des professionnels de la formation, afin qu’ils soient en mesure, non seulement de coconcevoir les conditions d’un numérique sobre, mais également d’inventer des modes d’organisation du travail limitant les risques d’inégalités liées à la mise en œuvre des mesures de sobriété.

9On peut dès lors faire l’hypothèse qu’en tenant compte de ces facteurs et en élargissant la prise de décision aux différentes catégories d’acteurs concernés, des équilibres plus pertinents seraient réalisés entre présence et distance, entre réduction d’émissions de GES – diminution du nombre de déplacements –, et limitation des empreintes sociales du numérique – par l’application de mesures de sobriété.

Sobriété numérique

10La plupart des sites spécialisés qui promeuvent l’écoresponsabilité ou la lutte contre le réchauffement climatique mobilisent le terme de sobriété sans pour autant le définir. L’absence de définition explicitement partagée conduit à englober sous un même terme des conceptions, des finalités et des réalités différentes, révélatrices d’enjeux socioéconomiques.

La sobriété : un thème abondamment traité

11Dans son acception la plus générale, la sobriété désigne un ensemble de comportements et de pratiques qui consistent à user avec modération, ou avec retenue, d’un ou plusieurs types de biens et de services. Elle concerne également l’attitude qui privilégie la simplicité, le refus de ce qui est vain ou superflu. Elle peut désigner la volonté de changer les comportements au niveau individuel au moyen de dispositifs ad hoc, par exemple les nudges. Elle correspond également à l’incitation à modifier le fonctionnement des organisations, afin qu’elles économisent les ressources non renouvelables (Beuscart et al., 2020). La sobriété semble alors être synonyme de lutte contre le gaspillage et dédiée à la production-consommation de biens strictement indispensables. Pour D. Bourg et A. Papaux (2010), la sobriété constitue une capacité collective à définir des limites et se réfère à un équilibre dans la consommation. Elle caractérise en cela un projet de société, sobre et durable, dans lequel la lutte contre les empreintes des activités humaines peut prendre des formes plus ou moins démocratiques (Cézard et Mourad, 2019 ; Tignol, 2020 ; Bourg, 2022).

12Les enjeux autour du thème de la sobriété étant nombreux et interdépendants, plusieurs angles ont été jusqu’ici envisagés. Les uns se concentrent sur la modernisation du système productif, mais sans vraiment s’attaquer aux principes régissant l’économie : marchés concurrentiels, financiarisation à l’échelle globale et priorité accordée à la croissance, qualifiée alors de « verte » ou de « durable » (OCDE, 2011 et 2016 ; Veltz, 2022). En même temps, ces approches ne négligent pas les dimensions systémiques et structurelles de la sobriété qui supposent aussi des changements sociétaux (comportements des consommateurs, organisation collective des villes, nouvelles articulations avec le travail et l’emploi…). D’autres défendent un changement radical de modèle, rompant avec le technosolutionnisme et la création de valeurs pour l’actionnaire, privilégiant la territorialisation des activités (Latouche, 2006, 2019 ; Parrique, 2022).

13D’autres, enfin, l’envisagent comme l’une des facettes de la « transition écologique », où, grâce à la détermination des pouvoirs publics, le territoire sert de base à la conception d’innovations organisationnelles (démocratie participative, par exemple), porteuses d’un développement économique « soutenable » (The Shift Project, 2022).

14La sobriété peut être « volontaire », en l’absence d’injonctions contraignantes. Elle peut aussi être imposée par les circonstances – rareté des biens disponibles et/ou des revenus. Elle relève alors de l’adaptation contrainte et risque de se muer en surconsommation, dès que les individus ou les organisations peuvent échapper à la rareté. Elle peut encore être imposée par des décisions de politique économique, ce qui implique que les individus et les organisations acceptent de – ou trouvent un intérêt à – changer leurs habitudes de consommation, leurs modes de vie. Selon que les conditions d’application des décisions sont négociées ou non avec les intéressés, selon qu’elles incluent ou non des procédures différenciées en fonction des différentes catégories sociales, les mesures visant la sobriété imposée seront plus ou moins bien acceptées et appliquées.

Dimensions de la sobriété numérique

15Si ces considérations se retrouvent à propos de la sobriété numérique, celle-ci présente certaines caractéristiques distinctives.

16En effet, idéalement, la sobriété numérique consiste à réduire l’ensemble des empreintes générées par les dispositifs numériques (terminaux, éléments des réseaux, etc.) sur l’ensemble de leur « cycle de vie », de leur fabrication à leur destruction/recyclage, en passant par leur transport, leur stockage, leur promotion, leur vente et leurs usages. Dans cette perspective, trois grandes catégories d’empreintes peuvent être identifiées : l’empreinte environnementale qui prend, notamment, en compte l’extraction des minerais nécessaires à la fabrication des différents types d’équipements ; l’empreinte énergétique, qui concerne en particulier, les centres de données ; et l’empreinte sociale, bien moins souvent évoquée, concernant les conséquences sociales, politiques, professionnelles, cognitives et culturelles des usages du numérique (Ferreboeuf, 2018 ; Bordage, 2019 ; Desmurget, 2019 ; Flipo, 2020 ; Courboulay, 2021).

17Parmi ces dernières, on compte : le détournement à des fins de contrôle et d’influence des données de connexion ; les surcharges informationnelle et cognitive, dont les effets sont accentués par les interruptions fréquentes, ce qui engendre une dispersion de l’attention et une impossibilité de prendre du recul ; le stress lié à l’accélération des échanges ; la difficulté à discuter de vive voix avec des apprenants/formateurs lorsque certains points paraissent difficiles à comprendre, etc. Ces empreintes sociales sont d’autant plus importantes qu’elles peuvent accroître les inégalités socioprofessionnelles existantes et en créer de nouvelles. Nous revenons plus loin sur ce point.

18D’une manière plus générale, la volonté de cet article est de souligner le fait que les trois catégories d’empreintes sont à la fois socialement déterminées et interdépendantes. De plus, comme nous l’indiquons par la suite, ces empreintes reflètent et renforcent des dynamiques inégalitaires : non seulement la consommation de ressources, d’énergie ou des données est inégalitairement distribuée, engendrant ainsi des impacts très différents selon la CSP, le parcours individuel, le genre, le lieu de résidence, etc., mais ces empreintes accroissent les dissymétries en matière d’accès aux savoirs, aux positions de pouvoir, à la santé, etc.

19Sur cette base, un très grand nombre de sites, d’articles, de conférences, de rapports, d’associations, d’institutions publiques, de Think et Do Tank, etc., prennent explicitement pour cœur de leur activité l’information et le conseil à l’action en matière de « sobriété numérique », envisagée comme modalité pour réduire les empreintes du numérique. La consultation de ces sources – le plus souvent numériques – donne l’impression qu’existe un double consensus. D’une part, il semble très généralement admis que, de leur conception à leur destruction, en passant par leurs usages, les composantes du numérique engendrent des effets nuisibles sur l’environnement et sur la consommation de ressources. D’autre part, les discours se multiplient sur l’urgence de réduire ces effets. Si, fondamentalement, les principes à appliquer et les objectifs à atteindre sont très proches, les priorités pour agir ne sont toutefois pas les mêmes. Certains insistent plutôt sur le déploiement de solutions high tech, s’inscrivant donc dans la perspective de la « croissance verte » portée par le technosolutionnisme – promotion d’innovations-marchandises réputées « propres », déploiement de nouvelles générations de réseaux, digitalisation accrue des firmes et des services publics, priorité accordée à l’initiative des entreprises, etc. (OCDE, 2016 ; Veltz, 2022). Tandis que d’autres tentent de faire entendre un discours alternatif, mettant au centre de la sobriété le partage et la coopération au sein de collectifs autoorganisés, que complètent parfois la coconception et l’expérimentation de dispositifs low tech (Bihouix, 2022 ; Bordage, 2019).

  • 1 La note INSEE Focus de juin 2023 (n° 300) souligne, par exemple, que les considérations écologiques (...)

20Il semble, cependant, que la sobriété numérique ne soit une priorité ni pour les consommateurs (Elgaaied-Gambier et al., 2020 ; Guillard et al., 2023), ni pour les collectivités territoriales (Donse et Galaup, 2019). Plusieurs facteurs en seraient la cause : 1/ chez les utilisateurs individuels, absence de prise de conscience de l’impact environnemental et énergétique de leurs pratiques du numérique1 ; 2/ connaissances et maîtrise insuffisantes des outils et des différentes empreintes qu’ils peuvent générer à l’usage ; 3/ sentiment que la sobriété numérique n’est pas de leur responsabilité, mais plutôt de celle des entreprises et de l’État ; 4/ et pour les collectivités locales, la priorité accordée à la fois à la sobriété énergétique et au développement économique des territoires. Quant aux entreprises, le souci d’adopter la sobriété numérique – fonctionnement interne, processus productif, marchandises commercialisées – demeure encore embryonnaire, au mieux expérimental et consiste souvent à signer des chartes ou des engagements – par exemple, « L’engagement sobriété » des acteurs du numérique et des télécommunications, signé le 6 octobre 2022 en France.

21Mais le plus significatif, dans l’ensemble de ces intentions affichées est ce dont elles ne traitent que de façon incidente : le travail et la formation. Il est frappant de constater que la plupart des publications disponibles, à de très rares exceptions près (Drouilleau-Gay et Legardez, 2020 ; Cerland-Kamelgarn et Granier, 2022), ignorent la sphère du travail, son organisation et la place des salariés. Certes, il arrive que soit évoquée la nécessité d’anticiper sur la formation initiale et la reconversion vers des métiers plus conformes à l’impératif de sobriété. Le plus souvent, cependant, cette dimension centrale, incontournable dans la transition écologique, n’est abordée qu’à la fin du raisonnement, comme s’il allait de soi que les mondes sociaux du travail pouvaient s’adapter automatiquement, sans à-coups ni inertie, aux décisions de politique environnementale.

22Cette façon d’envisager l’avenir, tout d’abord, néglige la complexité des problèmes à résoudre, le plus souvent dans l’urgence, notamment : repenser les hiérarchies et les découpages institutionnels et disciplinaires pour que la réduction des empreintes des activités prime sur toute autre recherche d’intérêts ; concevoir des programmes de formation adaptés, non seulement aux différents secteurs d’activités actuels et émergents, mais également aux différentes populations, selon leur degré de maîtrise du numérique et des nouvelles pédagogies, tout en tenant compte des spécificités de leurs contextes locaux ; prendre en compte les inégalités en matière de capacités à suivre des enseignements qui remettent en cause, de façon radicale, des pratiques jusqu’alors valorisées ; surmonter les risques de lassitude des professionnels de la formation qui ont déjà dû tenter de mettre en œuvre des réformes successives, obéissant à des objectifs de rationalisation gestionnaires ; prendre en compte les pratiques et les souhaits des acteurs locaux de la formation en matière de sobriété et soutenir leur capacité d’action pour la mise en œuvre de ces mesures.

23Dans le cas de la formation en entreprise, à ces contraintes, s’ajoutent celles liées aux exigences d’une économie compétitive et financiarisée, visant à diminuer et à fragmenter les temps de formation, tout en limitant le contenu à des savoirs pratiques directement opérationnels, le plus souvent pour obtenir des labels et certificats « verts ».

24De plus, minimiser l’importance et la complexité des enjeux de formation, présente le risque de disqualifier le rôle que pourraient jouer les formateurs dans l’invention des multiples solutions requises par un développement durable. Inverser la perspective, en partant, au contraire, des possibilités actuelles des organismes de formation, des savoirs et savoir-faire, mais aussi des capacités d’initiative de leurs salariés, ne permettrait-il pas d’anticiper sur de probables échecs, engendrés par la mise en œuvre de mesures de sobriété ignorantes des réalités « du terrain » ?

Sobriété numérique et formation

  • 2 Nous utilisons la catégorie de capacitation dans la perspective développée par Amartya Sen, pour dé (...)

25En effet, un engagement effectif et durable dans la transition écologique implique, tout d’abord, de permettre la capacitation2 générale des citoyens en matière d’empreintes du numérique, selon des pédagogies adaptées aux différentes catégories de population. Il serait intéressant de tester à cette occasion la pratique de la délibération collective, comme démarche pédagogique à part entière. L’idée, ici, est de donner à l’ensemble de la population non seulement les connaissances en la matière, mais également l’envie de s’investir personnellement dans ce qui s’apparente à une évolution significative de leur mode de vie. Faute d’un tel investissement collectif, le risque est grand que se multiplient les formes de réticence, de manifestations d’opposition, et que s’allient lobbies industriels, défenses d’intérêts locaux et instrumentalisations idéologiques.

26Ensuite, la mise en œuvre concrète des mesures requises nécessite : a) de former les professionnels aux nouveaux métiers de l’économie verte – formation initiale en particulier – ; b) de permettre aux travailleurs déjà en poste, d’acquérir des compétences complémentaires liées à la transition environnementale – formation continue, par exemple, dans le cadre de reconversion, à commencer par les professionnels de la formation eux-mêmes ; c) et d’évaluer afin de soutenir la capacité des salariés à intégrer effectivement les préoccupations environnementales dans le cadre de leur travail, car l’évolution vers des pratiques plus « sobres » ne peut être effective qu’à condition que cette contrainte soit, simultanément, pour eux l’opportunité de participer au renouvellement de leur activité (Descamps et al., 2022 ; Drouilleau-Gay et Legardez, 2020 ; Bazillier, 2016).

27C’est dire combien les professionnels de l’éducation et de la formation apparaissent comme des acteurs incontournables. Dit autrement, « la formation n’est pas seulement à considérer comme un appui de la transformation des compétences, mais aussi comme un moteur impulsant une meilleure prise de conscience des problématiques environnementales » (Baghioni et Moncel, 2022, p. 4).

28Or, comme le soulignent Sarah Descamps et ses collègues (2022), les préoccupations environnementales du numérique sont encore peu intégrées dans les cursus scolaires, même au niveau de l’enseignement supérieur et se limitent à des recommandations très générales. Quant aux formations professionnelles (bâtiments, énergie, commerce, etc.), elles prennent en compte la sobriété via les normes environnementales, les labels, la règlementation, aspects qui motivent les entreprises, avant tout, pour l’accès à des marchés (Beraud et al., 2022).

29La soumission à chacune de ces exigences nécessite de triompher de nombreuses difficultés, à commencer par l’identification des objectifs, pédagogies, contenus, etc., de ces formations, mais aussi le type d’emplois visés, des compétences associées, de leurs volumes, de leur évolution dans le temps, etc., particulièrement pour le secteur de la formation proprement dit. Ce qui, en toute logique, requiert de disposer, préalablement, d’indicateurs légitimes ad hoc, qui restent pour l’essentiel à inventer. Précisons toutefois que ces indicateurs n’ont pas à être systématiquement quantifiés – les empreintes sociales notamment se prêtant mal à la mathématisation – et leur usage ne doit pas se substituer à une connaissance fine des réalités qu’ils sont supposés représenter. Ces difficultés sont renforcées par l’injonction ou l’incitation diffuse à numériser les formations, sachant que cette modalité, non seulement accroît les empreintes environnementales et énergétiques du numérique, mais également les empreintes sociales.

30En effet, plusieurs travaux ont montré, d’une part, que la numérisation d’une partie de la FTLV posait des problèmes, en particulier du fait de la granularisation des savoirs (Boboc et Metzger, 2015 ; Eneau, 2019 ; Pouts-Lajus et Leccia, 2006), d’autre part, qu’elle introduisait de nouvelles sources d’inégalité (Boboc et Metzger, 2019a ; Melnik-Olive, 2022), notamment du fait de la fragmentation des espaces-temps de formation. Les salariés doivent se former de plus en plus pendant « les interstices » laissés vacants dans leur emploi du temps, mais sans toujours disposer des mêmes latitudes d’aménagement (Benedetto-Meyer et al., 2019). Les recherches identifient également le développement d’un rapport instrumental à la formation : la construction de savoirs est réduite à l’acquisition de connaissances jugées strictement nécessaires à l’exécution des tâches, au détriment de la dimension réflexive de la formation (Boboc et Metzger, 2019b). Et ce, d’autant plus que la numérisation de la formation s’inscrit dans des contextes à la fois plus concurrentiels et plus incertains. Comme la FTLV s’envisage sur plusieurs décennies, chaque nouvelle formation risque d’accroître ce processus de polarisation progressive entre, d’une part, un sous-groupe d’individus autonomes et responsables, gérant seuls leur employabilité, parfaitement adaptés à des univers professionnels en constante reconfiguration ; d’autre part, un sous-groupe d’individus décrochant progressivement, ce décrochage étant amplifié par le recours aux dispositifs numériques.

31Encore faut-il que les institutions et les organisations, publiques et privées, prennent des décisions permettant aux nouveaux professionnels de déployer pleinement les savoirs et savoir-faire récemment acquis. En d’autres termes, informer les citoyens, former les travailleurs, ne suffit pas : les configurations empiriques de production et de consommation, doivent être accompagnées de politiques réduisant les inégalités existantes et limitant les risques d’en engendrer de nouvelles, y compris du fait des mesures de lutte contre le changement climatique.

32Ces considérations prennent tout leur sens dans le cadre d’analyse développée par A. Sen (1999). Son approche par les capabilités (capabilities) articule libertés et capacité d’agir. Si les capacités relèvent d’un savoir-faire quelque chose, les capabilités relèvent du fait d’être en mesure de faire quelque chose ; elles sont donc un pouvoir d’être et de faire. Les capabilités sont le résultat des processus sociaux. Elles s’appuient sur des ressources mobilisables par les individus (ex. disposer d’un ordinateur), mais des facteurs de conversion sont nécessaires pour les rendre effectives (ex. ce n’est pas parce que l’on dispose d’un ordinateur que l’on développe des usages). En reprenant les réflexions esquissées par A. Sen sur les contingences qui peuvent conduire à des variations dans la « conversion » (Sen, 1999, pp. 26-7), I. Robeyns distingue plusieurs catégories de facteurs de conversion (Robeyns, 2000), comme les facteurs individuels (dispositions, savoirs, savoir-faire), sociaux (contexte sociopolitique et culturel, normes sociales) et environnementaux (ex. les infrastructures). L’intérêt de ces catégories d’analyse est de souligner le fait que, si des individus ou des collectifs ne parviennent pas à s’inscrire dans une dynamique d’évolution positive, cela ne s’explique pas seulement par l’état présent de leurs compétences, mais aussi par le manque de certaines ressources pendant leur parcours et par le décalage entre leurs dispositions et les cadres d’action actuels (facteurs de conversion absents).

33Ainsi, pour que les individus et les collectifs soient en capacité d’agir, il est indispensable qu’ils disposent de facteurs de conversion. Ainsi, les capacités d’agir ne deviennent effectives que si des facteurs de conversion favorisent la mise en œuvre des savoirs dispensés, c’est-à-dire, dans le cas de la FTLV appliquée à transition écologique, que des dispositifs institutionnels et organisationnels permettent, d’une part, d’expérimenter des solutions ad hoc, d’autre part, de contourner les difficultés rencontrées à cette occasion.

34Car l’impératif de réduire les empreintes du numérique dans le champ de la formation présente plusieurs facettes. Pour mettre en œuvre les objectifs fixés lors des différentes COP (Conférence des parties), certains métiers devront intégrer de nouvelles compétences, tandis que d’autres seront créés. Qu’il s’agisse de formation initiale ou continue, il faudra compléter les cursus professionnels de connaissances générales relatives aux préoccupations environnementales et énergétiques, par des savoirs spécialisés relatifs aux différents domaines d’activité (construction, transports, énergie, etc.). Et, d’un autre côté, les organismes et les établissements de formation doivent, dans leur propre pratique, implémenter des dispositifs permettant de réduire les empreintes de leur activité formative.

35L’empreinte sociale du numérique nous intéresse tout particulièrement, car elle prend un relief accru dans le cadre de la formation : face aux effets cognitivement perturbants et à la remise en cause des savoirs enseignés, les individus, qu’ils soient apprenants ou professionnels de la formation – ces derniers étant aussi dans une démarche d’apprentissage face au double impératif de numérisation et de sobriété – ne disposent pas des mêmes capacités pour s’adapter aux nouvelles configurations d’apprentissage et aux dynamiques qui les caractérisent. En effet, selon les dispositions, les connaissances et méta-connaissances acquises, mais aussi selon les positions dans la division du travail, la place dans l’organisation, les politiques de formation institutionnelles, etc., apprenants et formateurs ne bénéficient pas des mêmes facteurs de conversion. Si les uns sont en mesure de tirer avantage de ce type de dynamiques, d’autres se trouvent progressivement exclus des dispositifs numériques de formation. D’autant plus si l’on envisage la question dans le cadre de la FTLV. Aussi est-il indispensable de prendre en compte les conséquences inégalitaires des empreintes sociales, en préalable à toute numérisation, pour concevoir et mettre en œuvre des mesures de sobriété.

Inégalités face à l’impératif de sobriété numérique

36En effet, tout d’abord, notons que la question de la sobriété en général se pose de façon radicalement différente selon le niveau de revenus, la catégorie sociale, le lieu de résidence. Une étude, réalisée par Oxfam en 2021, révélait de fortes disparités en matière d’émissions de CO2, selon les niveaux de ressources des populations, que l’on se place dans une perspective mondiale ou locale. Par exemple, pour atteindre collectivement les objectifs de l’Accord de Paris (réduire le réchauffement à 1,5 °C d’ici 2030), « les plus riches devraient réduire leurs émissions actuelles de carbone d’environ 97 % », alors que la moitié la plus pauvre de la population mondiale n’aurait rien à changer à son bilan carbone (Oxfam International, 2021).

37Les mêmes constats en termes d’inégalités peuvent être transposés en matière de sobriété numérique. En effet, les pratiques du numérique sont très différenciées selon les catégories sociales, le niveau de formation, les revenus, l’âge, etc. (Credoc, 2023). Les populations modestes et les moins diplômées ont, de fait, des usages « sobres » – moins équipés, moins connectés, consommant moins d’énergie. De plus, leurs usages sont avant tout « utilitaires » (Pasquier, 2018). De fait, ils pratiquent une sobriété subie et les empreintes que leurs pratiques engendrent sont déjà réduites. Aussi les incitations/injonctions à fournir des efforts pour tendre vers plus de sobriété numérique, devraient concerner, en priorité les catégories les plus favorisées.

38Plus généralement, pour que l’effort demandé soit pertinent du point de vue de l’intérêt général, et qu’il apparaisse légitime aux yeux des différentes catégories sociales, la sobriété devrait résulter de négociations prenant en compte la diversité de leurs positions, de leurs usages et de leurs besoins. Or, de telles mesures sont de la responsabilité des pouvoirs publics : leur rôle étant de compenser les dynamiques inégalitaires en discriminant les incitations à la sobriété selon les catégories sociales. Ces considérations prennent tout leur sens en matière de politiques de formation, à la fois pour contribuer à réduire les inégalités socio-économiques – ou à éviter de les aggraver – (Bazillier, 2016) et pour permettre la capacitation des professionnels de la formation.

39Nous retrouvons ici l’importance des facteurs de conversion institutionnels, tels qu’ils pourraient être envisagés pour concevoir les mesures à prendre en matière de sobriété numérique. Mais avant de les étudier plus en détail, rappelons les spécificités de la formation professionnelle, qui n’ont cessé d’évoluer avec le mouvement de rationalisation qu’elle a suivi ces dernières années.

Sobriété numérique et formation professionnelle

40Le fait que les entreprises soient appelées à intégrer la sobriété numérique dans leur fonctionnement ne va pas de soi. En effet, cette obligation remet en cause la rentabilité de leur modèle économique, et ce d’autant plus que le secteur d’activité est concurrentiel. Dès lors, quand elles s’engagent dans la réduction de leurs empreintes environnementales, énergétiques et sociales, les entreprises « privilégient des stratégies adaptatives de court terme et inscrites dans des sentiers de dépendance technologique » (Baghioni et Moncel, 2022, p. 4). Sans être radicaux, ces efforts conduisent à introduire de nouveaux procédés de fabrication, une nouvelle organisation du travail. En d’autres termes, même envisagée à minima, la mise en œuvre des mesures de sobriété – et de la sobriété numérique en particulier – questionne les gestes professionnels, l’activité, l’organisation productive et les chaînes de valeurs.

41Par conséquent, pour que les démarches de sobriété numérique se développent en entreprise, la formation doit intégrer les configurations concrètes de travail, qu’il s’agisse de celles des formateurs eux-mêmes ou de celles de leurs apprenants. Cette nécessité de concevoir et dispenser la formation en tenant compte des contextes, suppose que l’engagement dans la sobriété numérique fasse l’objet de discussions/délibérations au sein des collectifs de travail.

42Plus concrètement, former à la sobriété numérique en entreprise demeure un exercice complexe, où la plupart des éléments sont à concevoir ou adapter localement. Si l’objectif est bien de faire acquérir aux salariés des compétences génériques concernant les empreintes numériques de leurs activités, les formations doivent être conçues et dispensées en limitant leurs propres empreintes. Cela passe par la recherche d’équilibre entre la réduction des empreintes environnementales et énergétiques, d’une part, et la réduction des empreintes sociales, ce qui revient à équilibrer présence et distance dans les parcours de formation, en fonction des enjeux de l’entreprise, des contenus de la formation. De plus, comme nous venons de l’évoquer, la conception et la dispense doivent tenir compte des situations de travail pour que les apprenants puissent développer des « activités sobres numériquement » dans leur contexte local. Ces exigences minimales montrent l’ampleur des conditions requises : les acteurs de la formation ont-ils les capacités à les assumer ? Les apprenants seront-ils en capacité, une fois les formations suivies, de développer des activités numériquement sobres ?

43On peut en douter, dans le contexte contemporain de réorganisations incessantes au sein des entreprises et de rationalisation de la formation.

44D’une part, ces réorganisations permanentes (Metzger, 2012 ; Tiffon, 2021) brouillent la compréhension de l’organisation et invisibilisent l’activité effective des différentes catégories de salariés, entravant ainsi l’apprentissage collectif. D’autre part, la numérisation de la fonction RH renforce l’emprise des décisions stratégiques sur la conception des formations. En effet, celles-ci doivent s’articuler à la construction gestionnaire des « besoins » en compétences, établis selon les principes de standardisation de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences (GPEC). Or, les indicateurs ainsi élaborés présentent généralement le risque d’être déconnectés des contextes professionnels d’application, ce qui accroît l’éloignement des formateurs vis-à-vis de la réalité vécue par leurs apprenants, tout en dégradant la qualité des échanges entre formateurs et apprenants pendant la dispense de la formation (Boboc, Metzger, 2016). Enfin, la croyance dans la toute-puissance de la technologie a poussé parfois à imaginer que le fait de mettre à la disposition des salariés des outils numériques, comme les « catalogues en ligne » pour s’informer sur l’offre de formation ou bien les « formations en ligne », suffirait aux salariés pour construire leur parcours de formation, voire pour se former. Dans les faits, l’éloignement entre formateurs et apprenants s’en trouve accru.

45Le mouvement de rationalisation de la formation s’est traduit également par la réduction des effectifs, en particulier des acteurs chargés de faire le lien entre les catalogues de formation et les apprenants – or, ces derniers pouvaient jouer un rôle important dans la définition des « besoins » effectifs en compétences, par exemple, en identifiant, avec les salariés, les formations susceptibles de les intéresser, en recueillant constamment leurs suggestions pour faire évoluer les offres, etc. À cela se sont ajoutés le recours plus important à des partenaires externes pour la conception et la dispense de formations, ainsi que l’achat de modules « sur étagère », plus difficilement remodelables en fonction de la réalité sociale de chaque entreprise.

Repenser le travail des formateurs pour réduire les empreintes du numérique

46Ainsi, qu’ils travaillent au sein d’organismes de formation, d’établissement d’enseignement (publics ou privés) ou au sein des départements spécialisés de grandes entreprises, les acteurs de la formation sont au cœur de cette double injonction (numériser et réduire les conséquences de la numérisation). D’un côté, ils paraissent les plus légitimes pour réduire l’empreinte socio-culturelle du numérique, car c’est en fonction des choix effectués à leur niveau, que peuvent être accrues ou diminuées les conséquences sociales de la numérisation de la formation, notamment les inégalités d’accès aux connaissances objectives et d’adoption d’une posture réflexive vis-à-vis de la multiplicité des sources d’informations. Mais, d’un autre côté, ces choix, à commencer par celui de numériser ou non telle ou telle formation, ne dépendent pas que d’eux. Ils doivent composer avec les décisions des pouvoirs publics et avec les stratégies des directions en matière de formation et de transition écologique : objectifs visés par le recours à la numérisation, moyens financiers alloués, place et statut de la formation professionnelle, types de pédagogie privilégiée, importance accordée par l’institution aux impératifs de sobriété, etc.

47Ces facteurs influencent leur capacité effective à résoudre le paradoxe de la numérisation sobre. Sont-ils en mesure de maîtriser la consommation d’énergie et de matières premières des formations qu’ils conçoivent, dispensent, animent ? Sont-ils à même d’anticiper sur les inégalités entre apprenants que leur formation pourrait engendrer ou accroître ? Les organismes dans lesquels ils travaillent disposent-ils de dispositifs pour évaluer les impacts de chaque formation numérisée ? Peuvent-ils les aider à identifier les solutions à privilégier et à obtenir l’accord, voire l’adhésion, de toutes les catégories d’acteurs impliqués ? La réponse à ces interrogations dépend, d’une part, de la capacité de ces acteurs à établir des équilibres entre numérisation et sobriété numérique, ainsi qu’entre présentiel et distanciel. Cette capacité dépend elle-même des marges de manœuvre et des moyens qu’ils peuvent négocier avec leur hiérarchie. Il faut, d’autre part, tenir compte de ce qu’ils ont pu construire préalablement dans leurs parcours de formation. Par ailleurs, entrent en jeu les capacités préalablement acquises par leurs apprenants, tout au long de leur vie professionnelle, ainsi que le rapport à la formation que ces derniers ont développé (instrumental ou réflexif).

Des facteurs organisationnels nécessaires…

48En d’autres termes, la capacité des formateurs à maîtriser ce système d’injonctions, à numériser en toute sobriété, va dépendre de facteurs de conversion organisationnels. Parmi ces derniers, sont particulièrement structurantes les politiques de formation, propres à chaque organisation. Sensibilisent-elles les acteurs à la sobriété, proposent-elles de dispositifs (procédures, moyens financiers, formations…) pour aborder concrètement cette question ?

49On peut, par exemple, faire l’hypothèse que ces politiques joueraient un rôle capacitant si elles permettaient aux formateurs, eux-mêmes en posture d’apprentissage : d’expérimenter sans crainte d’être sanctionnés ; de construire des indicateurs adaptés aux contextes locaux, non nécessairement quantitatifs et indépendants de la logique gestionnaire (Craipeau, Metzger, 2007) ; de mettre en place des espaces de délibération entre pairs, afin qu’ils partagent leurs expériences en matière de sobriété. Ces espaces permettraient également de débattre de la pertinence et de l’intérêt des différents indicateurs mis en place localement, de leurs limites, etc. Ces pratiques délibératives horizontales, pour durer dans le temps, pourraient bénéficier de politiques d’entreprise impliquant la « chaîne managériale », celle-ci étant incitée à aider leurs collaborateurs à résoudre le paradoxe de la numérisation sobre. Par exemple, cette aide pourrait consister à allouer à leurs collaborateurs des temps spécifiques pour expérimenter, mettre au point et suivre ces solutions ad hoc.

… à compléter par des facteurs institutionnels…

50Mais aussi nécessaires que soient ces facteurs organisationnels, ils demeurent fragiles, car dépendants de la capacité des managers à agir et à construire des compromis entre les besoins et les contraintes des différents échelons de la ligne managériale, des arbitrages qu’ils peuvent opérer entre numérisation et sobriété, des moyens qu’ils peuvent dégager pour la construction de ces nouveaux équilibres. Pour être plus durables, ces politiques organisationnelles, centrées sur la formation, gagneraient à être complétées par des directives concernant l’évolution des métiers, afin, notamment, de prendre en compte des compétences concernant à la fois les empreintes sociales du numérique, les inégalités qu’elles engendrent et les moyens de les résoudre. En d’autres termes, il semble indispensable que les politiques d’entreprise soient repensées, afin que la réduction des empreintes des activités devienne une pratique « spontanée », non seulement pour les acteurs de la formation, mais aussi pour l’ensemble des salariés, une pratique intégrée dans l’ensemble des processus productifs, et ne soit plus considérée comme un obstacle ou une contrainte gestionnaire de plus.

  • 3 La France a ainsi été condamnée pour préjudice écologique et inaction climatique par le tribunal ad (...)

51Or, une telle ambition ne va pas de soi et gagnerait, sans doute, à l’instauration d’un authentique dialogue social autour de ces sujets, en partenariat avec les organisations représentatives des salariés. Il y a fort à parier que ces instances voient s’affronter logiques gestionnaires de court terme et logiques environnementales de long terme, notamment au travers d’un conflit des priorités entre catégories d’indicateurs. Pour que la logique gestionnaire soit contenue, les politiques publiques en matière de sobriété, par leur volontarisme, notamment en matière de droit du travail, pourraient jouer un rôle institutionnel majeur. Force est toutefois de constater que ces politiques se caractérisent, jusqu’à présent, par une inertie remarquable, laissant, dans une large mesure, l’initiative aux directions d’entreprises (signatures de chartes, engagements non contraignants) ou composant avec leurs lobbyistes3.

52C’est ce que confirme l’Organisation internationale du travail dans un rapport de 2022 (Ilo, 2022) soulignant que la plupart des mesures prises par les entreprises en matière de développement durable s’étaient, jusqu’en 2021, concentrées sur la production des biens et services « verts » (ex. panneaux solaires), sur la recherche des processus de production plus écologiques (ex. énergies renouvelables, matières premières durables), voire sur les démarches durables concernant le lieu de travail (transport domicile-travail, gestion de l’énergie et des déchets sur le lieu de travail, télétravail et restauration durable – achat à des producteurs locaux, produits biologiques…). C’est également ce qui se dégage à la lecture des articles de ce numéro de DMS, ainsi qu’à la lecture de l’entretien et de la recension de ce numéro et du numéro précédent : les démarches de sobriété dans la formation professionnelle semblent encore être peu nombreuses. Et ce, d’autant plus que le contenu même de ce qui devrait être enseigné fait l’objet de débats (Descamps et al., 2022).

… pour compenser l’inégale distribution des facteurs collectifs et individuels

53Bien entendu, l’invention de solutions ad hoc, empiriquement élaborées par essais-erreurs, n’attend pas l’instauration de politiques publiques et de choix organisationnels managériaux. Ce peut tout particulièrement être le cas au sein de collectifs constitués de différents spécialistes de la formation, mais leur impact sur la réduction des empreintes du numérique demeure limité aux pratiques du collectif d’innovateurs et risque fort d’avoir une durée brève, ne serait-ce qu’à cause de la lassitude des acteurs de l’innovation (Alter, 1993), des réorganisations ou bien encore des évolutions professionnelles de leurs membres. Ce à quoi s’ajoutent, dans le cas particulier de la sobriété numérique, des tensions entre les représentations de la sobriété que les individus élaborent au sein de leur organisme et celles qu’ils ont développées en tant que simples citoyens, tensions qui peuvent les amener à connaître des conflits éthiques et des pertes de sens au travail (Coutrot et Perez, 2022).

54C’est pourquoi, tout particulièrement dans la période contemporaine, souvent qualifiée de transition (énergétique, écologique, etc.), où tous les aspects de l’activité professionnelle sont susceptibles d’être remis en cause, les facteurs institutionnels et organisationnels prennent un relief si important. Ils guident, soutiennent ou au contraire entravent les collectifs de travail dans leurs efforts pour innover, notamment en cherchant à corriger les inégalités entre professionnels de la formation, inégalités, rappelons-le, découlant elles-mêmes du parcours des acteurs, aussi bien dans leur sphère privée que professionnelle. Dans ce contexte de tâtonnement généralisé, où tous les acteurs naviguent à vue, où les boussoles perdent le nord – puisque les indicateurs alternatifs à ceux de la gestion n’existent pas encore ou n’ont pas encore acquis la légitimité suffisante –, l’impératif de responsabilisation et d’individualisation des parcours de formation ne peut que déstabiliser les individus, qu’ils soient formateurs ou apprenants, qu’ils conçoivent des formations avec le numérique ou qu’ils essaient de suivre des cours à distance.

Élaborer un numérique sobre : choisir la désindustrialisation ?

55Ainsi, mettre en œuvre, dans le cadre de la formation professionnelle, l’impératif de sobriété numérique, au sens où nous l’avons définie, requiert idéalement un large spectre de conditions institutionnelles et organisationnelles (facteurs de conversion au sens d’A. Sen). Mais la réalisation de ces conditions ne va pas de soi. En effet, les démarches de sobriété : remettent en cause les modèles économiques des entreprises – agissant sur des marchés très concurrentiels où la création de valeur pour l’actionnaire demeure la priorité – ; et bouleversent à nouveau des organisations du travail soumises, depuis des décennies, à de fréquentes recompositions et particulièrement chamboulées par les conséquences de la crise sanitaire. Pour triompher de ces difficultés, une solution consisterait à intégrer de façon systémique et systématique les préoccupations de sobriété numérique, le plus en amont possible, aussi bien dans la formation que dans l’activité de travail.

56Une telle exigence se déploie dans trois directions : concevoir les formations en partant des situations de travail des apprenants et en concertation avec eux ; permettre aux formateurs d’acquérir les compétences requises par une telle évolution ; et, bien sûr, repenser l’organisation du travail, de manière à permettre aux apprenants de mettre en œuvre, en situation de travail, les connaissances acquises pendant la formation. Ces constructions passent par l’analyse fine des activités de travail des formateurs et des apprenants, en les considérant dans toute la complexité de leur configuration empirique. C’est dans cadre, nous semble-t-il, que l’étude des empreintes locales du numérique prend tout son sens, et qu’il est pertinent d’en imaginer la réduction. C’est aussi à cette échelle que pourrait s’effectuer la comparaison entre les apports du distanciel et du présentiel, en matière de sobriété. Et ce, aussi bien dans chaque formation que sur la durée d’un parcours individuel sur la durée d’une carrière (FTLV). Il s’agit, en d’autres termes, d’inverser la perspective dominante et de placer le travail des formateurs au centre des démarches visant la sobriété numérique.

57Plus généralement, ces constats soulignent la portée heuristique des enjeux environnementaux de la numérisation de la formation tout au long de la vie. En effet, la prise en compte effective de ces enjeux revient à questionner l’ensemble des processus impliqués dans l’industrialisation de la formation (Mœglin, 2016). Et, de la même manière que Guillaume Vuillemey (2022) en appelle à une démondialisation, ne serait-il pas nécessaire, pour tendre vers la sobriété, d’envisager une désindustrialisation de la formation ? Cette dernière consisterait, comme nous venons de l’exposer, à retisser le lien entre formation professionnelle et activité de travail, en renforçant l’autonomie des formateurs. Il pourrait s’agir, par exemple, de leur permettre, par expérimentations et avec le soutien d’experts, de construire des indicateurs ad hoc, en fonction de leurs contextes locaux. Grâce au suivi de ces indicateurs, ils détermineraient les solutions pédagogiques les plus adaptées à une pratique numériquement sobre, la proportion de présentiel et de distantiel, les apports et les limites des dispositifs de gestion pesant sur leurs métiers, etc. Ils auraient ainsi la possibilité de faire évoluer rapidement des procédures ou indicateurs autrefois considérés comme rigides pour les adapter à des nouvelles contraintes locales. Ce qui, bien sûr, nécessiterait des conditions socio-organisationnelles favorables.

58Les démarches de sobriété numérique pourraient alors se baser sur les principes de la rationalisation professionnelle (Gadrey, 1994), en substitution ou en tension avec la rationalité instrumentale, l’usage intensif des dispositifs de gestion et la « mystique de la croissance » (Méda, 2013).

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Notes

1 La note INSEE Focus de juin 2023 (n° 300) souligne, par exemple, que les considérations écologiques ne sont pas prioritaires lors de l’achat d’un équipement numérique : seuls 20 % des internautes considèrent l’efficacité énergétique de l’appareil et 14 % son éco-conception comme un critère important pour acquérir un smartphone ou un ordinateur. Ces préoccupations écologiques sont un peu plus présentes chez les jeunes, mais restent minoritaires par rapport au critère du prix.

2 Nous utilisons la catégorie de capacitation dans la perspective développée par Amartya Sen, pour désigner l’ensemble des soutiens apportés par l’environnement social pour permettre aux individus de disposer d’une puissance d’agir effective. L’acquisition de ces capacités, spécifiques de chaque contexte – ici, le double impératif de numériser les formations tout en faisant œuvre de sobriété –, suppose que les individus aient pu acquérir préalablement les dispositions requises pour tirer profit des possibilités de l’environnement. Tout va alors dépendre des choix effectués par les institutions publiques, les organisations privées (associations, entreprises) et les collectifs (familles, proches, voisinage, syndicats, collègues, etc.). L’absence de capacitation est source d’inégalités.

3 La France a ainsi été condamnée pour préjudice écologique et inaction climatique par le tribunal administratif de Paris dans son jugement du 14 octobre 2021. Voir également (Bourg et Chapoutot, 2022).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anca BOBOC et Jean-Luc METZGER, « La formation professionnelle entre injonction à la numérisation et impératif de sobriété »Distances et médiations des savoirs [En ligne], 43 | 2023, mis en ligne le 13 octobre 2023, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/9219 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.9219

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Auteurs

Anca BOBOC

Département des sciences sociales (SENSE) d’Orange Innovation, anca.boboc@orange.com

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Jean-Luc METZGER

Centre Pierre Naville, Université d’Évry-Paris Saclay, metzger_jean-luc@orange.fr

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