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Débat discussion

La présence : élément participant à la création de l’alliance pédagogique

Chantal Bois

Texte intégral

Introduction

1Cette contribution, nous l’espérons, permettra d’engendrer des réflexions concernant le concept de présence en nous référant au texte de cadrage présenté par Daniel Peraya et Didier Paquelin et à la contributions de Bernard Blandin la section Rubrique débat discussion DMS (2023). En fait, Peraya et Paquelin (2023) présentent la perspective d’aller vers une redéfinition du concept de présence en formation à distance en faisant valoir d’emblée ce que Blandin avait émis comme paradoxe lors de l’analyse des résultats d’une recherche, les étudiants n’ayant aucun contact avec leur enseignant lors d’une formation s’étaient sentis plus proches de leur enseignant et avaient eu une relation plus intime avec lui que lors d’expériences traditionnelles (Blandin, 2004 in Peraya et Paquelin, 2023). Ils avaient donc ressenti une proximité avec leur enseignant. Bien que souvent le concept de présence ait été défini en l’abordant par celui de la distance, nous proposons de nous concentrer sur le sentiment de présence ressenti par l’étudiant. Ce que Peraya et Paquelin (2023) décrivent comme une présence au monde, présence reliée au paradigme phénoménologique de Blandin (2023) et à une présence intentionnelle favorisant l’autodétermination de l’étudiant. Ce sentiment de présence serait ressenti, selon Lafleur et al. (2019), si un lien relationnel et une collaboration entre l’enseignant et l’étudiant est possible. Ce qui renforcerait le paradoxe de Blandin. Selon Proust-Androwkha (2020) qui cite Jézégou, le sentiment de présence « génère une proximité consciente dans l’imaginaire, tout en relevant principalement de formes émotionnelles et de ressentis socio-affectifs qui, eux, sont bien réels […] » (p. 65). Il pourrait alors s’agir d’un ressenti comparable à celui généré par une présence physique. Ce qui pourrait permettre à l’apprenant à distance de ressentir également une proximité avec l’enseignant et de pouvoir ainsi créer un lien avec lui (Papi, 2016). Le concept de présence à l’autre pourrait être redéfini par la nécessité de créer une relation pédagogique voire une alliance pédagogique entre les étudiants et l’enseignant. Cette relation que nous aborderons sous le prisme de l’alliance pédagogique permettrait, selon plusieurs chercheurs (Telio, Regehr et Ajjaw, 2016), de motiver l’apprenant et possiblement d’accéder à la réussite académique. L’enseignant initie la création de cette alliance pédagogique par les interactions qu’il génère avec les étudiants (Le Gall, 2012 ; Ellyson, 2017). Il serait donc essentiel pour l’enseignant de porter une attention particulière aux compétences communicationnelles qu’il mobilise pour interagir avec les étudiants.

2Il sera question dans cette contribution de partager les relations que nous faisons entre le concept de présence et la création d’une alliance pédagogique qui suppose la mobilisation, par l’enseignant, de compétences communicationnelles. Pour ce faire, nous appuierons notre propos à partir des résultats de notre recherche doctorale dont le sujet porte sur l’analyse de la mobilisation de compétences communicationnelles par des enseignants à distance pour la création d’une alliance pédagogique afin de soutenir la dynamique motivationnelle étudiante. Nous débuterons en revenant sur l’origine de la notion d’alliance pédagogique et la définition que nous proposons. Par la suite, les différentes compétences communicationnelles nécessaires à la création de cette alliance pédagogique seront présentées en gardant en tête que la présence de l’enseignant est nécessaire pour mobiliser ces compétences communicationnelles. De plus, nous tenterons de répondre, entre autres, aux questions suivantes : Comment se construit la valeur de la présence chez les apprenants ? Et comment le concept de présence à distance présente de nouvelles dimensions pouvant être approfondies par la recherche et ainsi permettre d’élaborer des éléments pour redéfinir la présence ?

La présence au cœur de la création de l’alliance pédagogique

3Le concept de l’alliance pédagogique est un concept que nous avons défini en analysant son origine, soit l’alliance thérapeutique. Ce qui nous a amenée à considérer le fait que « prendre soin » de l’autre est un ingrédient important dans la définition de l’alliance pédagogique, car cela nécessite que l’apprenant ressente la présence de son enseignant afin de bâtir un climat de confiance (Watt et al., 2017). Ce « prendre soin » de l’autre est également en lien avec l’empathie mutuelle nécessaire pour la création de l’alliance pédagogique. Selon Blandin (2023), cette relation avec l’autre permettrait une coconstruction possible par le fait qu’elle est à l’intersection de la mésologie et de la phénoménologie. Ce que nous évoquons également dans notre définition de l’alliance pédagogique, ce : « serait une co-construction et une co-création entre l’enseignant et l’apprenant afin de pouvoir résoudre un problème commun dans un climat de communication favorisant les différentes confiances et permettant une compréhension de l’autre dans un acte d’intersubjectivation facilitant la communication et résultant d’un changement académique inhérent à l’enseignant et aux étudiants. Ce changement serait orienté vers la motivation et la réussite académique de l’apprenant » (Bois, 2023, p. 59). L’alliance pédagogique résulterait d’une coconstruction entre enseignant et étudiant fondée sur la création de liens de confiance. Ce qui serait possible grâce aux actes d’intersubjectivation définis par (Stern, 2005) comme une communication, des échanges réalisés par une collaboration et une compréhension mutuelle entre l’enseignant et les étudiants. L’alliance pédagogique supposerait une résonance entre l’enseignant et l’apprenant, à eux-mêmes et aux autres, leur permettant de s’engager dans la réalisation des activités du cours (Rosa, 2021). Il s’agirait d’une présence résonnant en continu à l’autre pour lui permettre de cheminer académiquement. Cette dynamique serait rendue possible par les interactions que l’enseignant aurait avec les étudiants. Elles favoriseraient le ressenti d’un sentiment de présence au sein de cet espace numérique qui soutiendrait la création d’une relation avec l’étudiant (Blandin, 2004/2023). Ce qui fait écho à ce qu’énoncent Suzuki et al dans les propos de Blandin (2023), à savoir, la subjectivité de la perception de présence. Ainsi, l’alliance pédagogique pourrait permettre une meilleure autodétermination des étudiants et un ressenti de leur part quant à la présence de l’enseignant dans leur cheminement scolaire, c’est-à-dire comment l’étudiant perçoit la présence de l’enseignant tout au long de son cours.

Comment se construit la valeur de la présence chez les apprenants ?

4Cette question sera abordée en discutant des éléments qui, selon nos recherches, donnent de la valeur à la présence. La valeur de la présence pour les apprenants est possible, selon Ellyson (2017), grâce aux interactions entre l’enseignant et l’étudiant et à l’alliance pédagogique pouvant être créée par ces interactions. Selon notre définition de l’alliance pédagogique, l’enseignant aurait donc à se questionner sur ses compétences communicationnelles afin d’établir des interactions avec les étudiants et ainsi construire la valeur de la présence.

Les interactions nécessaires à la présence

5Les interactions entre l’apprenant et l’enseignant sont au cœur de la création d’un ressenti de présence chez les apprenants (Caron, 2021). Et plus précisément, Akyol et Garrison (2008) présentent un savoir-agir de l’enseignant, ce qui réfère ici au concept de compétence, qui viendrait contribuer au sentiment de présence en permettant à l’enseignant d’entrer en relation avec l’apprenant. Ce savoir-agir de l’enseignant contribuerait à la création d’une alliance pédagogique avec l’étudiant par la mobilisation des compétences communicationnelles les plus efficaces lors des interactions qu’il a avec les étudiants. Tel que défini par Tardif (2006, p. 22) une compétence est « un savoir-agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations ». Ce serait lorsque l’enseignant mobiliserait les compétences communicationnelles les plus efficaces pour les étudiants qu’il participerait au renforcement de la valeur de sa présence. C’est dans cette perspective que nous nous intéressons aux compétences communicationnelles de la personne enseignante. Compétences dont la mobilisation contribuerait à l’édification d’un sentiment de présence et à la création de l’alliance pédagogique (Watts et al., 2017). La valeur de la présence serait donc importante dans la création de l’alliance pédagogique parce qu’elle se retrouverait dans les descripteurs des compétences communicationnelles de l’enseignant.

Les compétences communicationnelles favorisant les interactions

6Étant donné que peu de recherches ont abordé le concept de compétences communicationnelles de l’enseignant dans la perspective de création de l’alliance pédagogique par les interactions qu’il a avec les étudiants et ultimement, pour soutenir l’autodétermination de ces derniers, nous nous sommes intéressée à l’identification et à l’analyse de ces compétences communicationnelles. Ainsi pour une meilleure compréhension du lien que nous faisons avec le concept de présence, nous croyons pertinent d’aborder ce que nous entendons par compétences communicationnelles de l’enseignant. Celles-ci contribueraient potentiellement à la réussite des étudiants. Dans le cadre de notre thèse de doctorat, nous avons mesuré l’écart de motivation calculé des étudiants dans tous les types de motivation, de l’amotivation à la motivation intrinsèque, sur le continuum de Deci et Ryan (2000) en lien avec les compétences communicationnelles mobilisées par l’enseignant durant un cours suivi pendant une session de 15 semaines dans une université canadienne. Nous avons pu voir une augmentation de la motivation intrinsèque chez les étudiants. Ainsi, les compétences communicationnelles identifiées participaient à la création de l’alliance pédagogique, car elles généraient les phases du cycle de la création de l’alliance pédagogique.

7La figure 1 présente la spirale des phases de la création de l’alliance pédagogique. La première phase de cette spirale nécessite un climat de confiance entre l’enseignant et les étudiants. Par la suite, l’enseignant et les étudiants se sentent plus à l’aise d’être empathiques, authentiques et congruents dans leurs propos. Ils s’acceptent mutuellement et ont un regard positif l’un envers l’autre. Tous ces éléments permettent une co-construction, une co-création et une collaboration entre l’enseignant et les étudiants. Ce qui résulte en la création de l’alliance pédagogique.

Figure 1. Ingrédients essentiels à la création de l’alliance pédagogique

Figure 1. Ingrédients essentiels à la création de l’alliance pédagogique

8Ces compétences communicationnelles ont préalablement été identifiées par une recension des écrits permettant de construire un référentiel de compétences communicationnelles en lien avec le processus de création et de renouvellement de l’alliance pédagogique. Ce sont ces compétences communicationnelles qui ont été reprises lors de la passation d’un questionnaire aux étudiants afin de voir s’ils étaient capables de les identifier durant une session. Cinq registres de compétences communicationnelles ont fait partie d’un processus en évolution permettant la création de l’alliance pédagogique entre l’enseignant et les étudiants. La première compétence communicationnelle est celle qui permet d’initier l’alliance pédagogique par l’enseignant qui désire entrer en contact avec les étudiants. Cette compétence participe à donner des balises pour les interactions nécessaires à l’initialisation de l’alliance pédagogique. Un enseignant qui écrit un message aux étudiants pour leur souhaiter la bienvenue dans le cours est l’expression de sa présence et une invitation faite aux personnes étudiantes à interagir. Par la suite, l’enseignant développe l’alliance pédagogique avec les étudiants en mobilisant des compétences spécifiques qui permettent aux étudiants de comprendre la structuration du cours et à l’enseignant de réajuster certaines composantes du cours en fonction des interactions avec ces derniers. Dans le processus de création de l’alliance pédagogique, l’enseignant mobilise la compétence communicationnelle permettant de maintenir l’alliance pédagogique. Il pourra utiliser des stratégies de communication pour entrer en relation avec les étudiants, par exemple, l’enseignant s’assurera de donner de la rétroaction aux étudiants à la suite de la réalisation d’une activité qu’elle soit formative ou sommative. Il pourra également coconstruire avec l’étudiant son cheminement dans le cours. Cela contribue aux actes d’intersubjectivation dans le cours afin de créer l’alliance pédagogique grâce aux interactions entre l’enseignant et les étudiants. Vient par la suite, la compétence communicationnelle de renouveler l’alliance qui permet à l’enseignant et à l’apprenant de revoir leur relation et de décider si l’étudiant a toujours besoin de cette alliance selon les objectifs ciblés ou s’il est temps de clore l’alliance. L’enseignant saura repérer les besoins des étudiants. Et finalement, pour conclure, c’est le temps de faire le bilan et d’entrevoir des pistes d’amélioration. C’est le temps d’un partage d’expériences réalisées dans le cours (Bois, 2023). Ainsi, l’enseignant mobilisant ces compétences communicationnelles dans le but de créer une alliance pédagogique avec ses étudiants permettrait à l’étudiant de ressentir un sentiment de présence. Chaque compétence communicationnelle présente dans le cycle de l’alliance pédagogique construirait la valeur de la présence pour l’apprenant.

9La figure 2 présente les liens entre les compétences communicationnelles, l’alliance pédagogique et la présence. Les compétences communicationnelles contribuent au cycle de l’alliance pédagogique entre l’enseignant et l’étudiant favorisant un climat de confiance qui facilite la collaboration entre ces acteurs de l’acte éducatif et contribue à la présence de l’enseignant à tous les moments du cycle de l’alliance pédagogique. Si l’enseignant mobilise les compétences communicationnelles nécessaires aux interactions et à sa participation dans le cycle de l’alliance pédagogique, il pourrait possiblement favoriser chez l’apprenant le sentiment de présence à distance en créant un sentiment de proximité éducative.

Figure 2. Représentation de la présence dans la création du cycle de l’alliance pédagogique

Figure 2. Représentation de la présence dans la création du cycle de l’alliance pédagogique

10En somme, les compétences communicationnelles participant au processus de l’alliance pédagogique contribuent au tissage d’un lien étroit, une collaboration constante entre l’enseignant et l’étudiant. Cette collaboration est possible grâce à la résonance de l’enseignant sur les étudiants et des étudiants sur l’enseignant. Ce qui assurera, tel que Lafleur et al. (2019) le mentionne, à l’étudiant le ressenti d’un sentiment de présence, car ils se sentent reconnus et acteurs de cette coconstruction. Les actes d’intersubjectivation entre l’enseignant et les étudiants participeraient d’une compréhension mutuelle de l’objectif commun visé. Et ce, même si cette relation, que nous avons nommée alliance pédagogique à la suite des actes d’intersubjectivation possibles entre l’enseignant et l’étudiant, est en différé, c’est-à-dire qu’elle n’est peut-être pas toujours présente en temps réel (Page, 2015).

11Ainsi, l’enseignant aurait la possibilité de contribuer au sentiment de présence par la création de l’alliance pédagogique en mobilisant des compétences communicationnelles au bon moment dans le cycle de l’alliance pédagogique. Nous postulons que l’enseignant qui conçoit son cours de sorte qu’il planifie la création de cette alliance pédagogique pourra penser que les étudiants ressentiront un sentiment de présence qui, peut-être, favoriserait leur réussite. C’est aussi ce que Côté et al. (2017) pensent lorsqu’ils parlent d’un sentiment de présence à distance. La conception du cours à distance est d’autant plus importante, car elle donnerait le pouvoir à l’enseignant de planifier une structure et des interactions rendant possible la création de l’alliance pédagogique (Petit, Lameul et Taschereau, 2020).

12Bref, en prenant comme prémisses les résultats de notre recherche en contexte universitaire canadien, la valeur de la présence dans la formation à distance pourrait se construire en s’assurant que l’enseignant crée une alliance pédagogique avec les apprenants. Il aurait alors à mobiliser les compétences communicationnelles les plus efficaces dans les interactions avec les étudiants dans la collaboration possible grâce aux actes d’intersubjectivation qu’il aurait avec eux. De plus, la valeur du sentiment de présence pourrait également être reliée au climat de confiance présent dans l’alliance pédagogique. Étant donné que la création de l’alliance pédagogique nécessite une compréhension mutuelle pour arriver à une collaboration vers un objectif commun, il est pertinent de penser que plus la confiance est présente entre les acteurs de la relation éducative, plus la valeur de la présence se construirait, car il y aurait non seulement une collaboration, mais une coconstruction, une cocréation pour l’atteinte de l’objectif commun.

Comment le concept de présence à distance présente de nouvelles dimensions pouvant être approfondies par la recherche et ainsi permettre d’élaborer des éléments pour redéfinir la présence

13Nos propos précédents apportent des éléments soulevant des conditions et des pratiques communicationnelles en lien avec le sentiment de présence. Selon ce que nous avons présenté jusqu’ici, il convient de dire que les compétences communicationnelles de l’enseignant permettent de réaliser des interactions susceptibles de participer à la création de l’alliance pédagogique. Et que cette alliance est nécessaire pour permettre aux étudiants de ressentir un sentiment de présence. Ainsi, les compétences communicationnelles et l’alliance pédagogique sont deux dimensions participant à la redéfinition de la présence.

Les compétences communications favorisant la présence de l’enseignant

14En effet, les compétences communicationnelles que l’enseignant mobilise pendant la durée de son cours pourraient aider l’étudiant à ressentir ou non un sentiment de présence par la résonance de l’un sur l’autre dans leurs interactions par une fonction agentive qui pousse l’étudiant à agir (Peraya et Paquelin, 2023). Ces interactions peuvent avoir lieu sous toutes les formes cognitive, affective et sociale et participent au sentiment de présence. L’enseignant serait dans une bonne position pour regarder ses pratiques communicationnelles avec les étudiants et développer une façon de faire les communications, un agir communicationnel qui renforcerait sa présence auprès des étudiants. De plus, cet agir communicationnelle contribuerait à une compréhension mutuelle entre les individus (Habermas, 1992). L’identification par l’enseignant des compétences communicationnelles qu’il choisit de mobiliser pourrait lui permettre de cibler les pratiques communicationnelles soutenant un sentiment de présence chez les étudiants et ainsi favoriser leur autodétermination.

15Dans la redéfinition du concept de présence, l’élément du savoir-agir au niveau de la communication apporte peut-être un point important pour assurer une présence aux étudiants. La présence est donc beaucoup plus qu’une présence physique. Elle serait selon Barbier (2009) un acte de reliance, c’est-à-dire un lien en continu que l’enseignant crée avec les étudiants pour être en collaboration avec eux, c’est ce que nous appelons une alliance pédagogique. C’est aussi une prémisse que Vygotsky reliait à la création d’une relation pédagogique. Une reliance qui permet de connaître l’autre et de se connaître soi-même dans un mouvement de compréhension de va-et-vient. Selon Berque (2018) in Blandin (2023), ce phénomène propre au paradigme mésologique présenterait une dualité qui serait définie non pas par une opposition entre les éléments objectifs et les éléments subjectifs, mais par une « trajection » qui exprime le va-et-vient. « Trajection », mot inventé par Berque, qui permettrait de constater la présence active lors des interactions entre l’enseignant et les étudiants.

16En d’autres mots, la valeur du sentiment de présence pourrait être reliée aux compétences communicationnelles mobilisées par l’enseignant lors des interactions qu’il a avec les étudiants pendant le cours. Compte tenu du fait que les compétences communicationnelles permettent de créer une alliance pédagogique dans une collaboration entre l’enseignant et les étudiants, la valeur de la présence dans la « trajection » serait possiblement augmentée. De plus, étant donné que l’enseignant est un élément important dans la création de l’alliance pédagogique, car il en est l’initiateur, il serait important qu’il puisse analyser ses compétences communicationnelles qui lui seront nécessaires dans ses interactions.

17Un autre aspect pouvant aider à la redéfinition du concept de présence pourrait être l’importance accordée par l’étudiant aux feed-back que l’enseignant lui donne lors des interactions qu’il a en continu avec lui. Si l’étudiant reçoit régulièrement du feedback de l’enseignant qui le motive à persévérer, c’est que l’enseignant mobilise les compétences communicationnelles les plus efficaces. Les interactions entre l’enseignant et l’étudiant favoriseraient la persévérance et possiblement amélioreraient l’autodétermination de l’étudiant.

L’alliance pédagogique planifiée favorisant le sentiment de présence

18L’alliance pédagogique que l’enseignant parviendrait à créer avec les étudiants, s’il mobilise les bonnes compétences communicationnelles, permettrait à ces derniers de ressentir une présence. Dans la redéfinition du concept de présence, l’intersubjectivation apporte, selon nous, la compréhension de l’autre. Il est plus qu’évident qu’il n’est pas question d’être près physiquement d’une autre personne, mais bien d’être en résonance avec cette autre personne. C’est donc un processus mettant en jeu des interactions de toutes sortes (synchrone, asynchrone ou un peu des deux) afin de coconstruire le cheminement de l’étudiant dans le cours. L’enseignant pourra cocréer son cours avec les étudiants en collaborant avec eux, en écoutant leurs commentaires, en remettant en question la conception de son cours (contenu, structure, etc.).

19Il serait possible de penser qu’un indice pour identifier la perception de la présence chez l’apprenant serait la qualité de l’alliance pédagogique créée entre l’enseignant et les apprenants. Un enseignant qui n’arriverait pas à créer une alliance pédagogique avec les étudiants ou certains des étudiants ne pourrait probablement pas leur permettre de ressentir le sentiment de sa présence, il n’y aurait pas cette résonance qui contribue à la reliance entre les acteurs de l’acte éducatif. Ainsi, un enseignant pourrait créer une relation pédagogique, mais ne pas créer d’alliance pédagogique, ne pas initier, développer ce processus de coconstruction intersubjectivée qui reconnait l’apprenant comme acteur et contribue à sa présence agentive. C’est une différence que nous faisons entre la relation pédagogique et l’alliance pédagogique qui permet une compréhension mutuelle.

20Dans la conception d’un cours à distance, un enseignant planifierait non seulement le contenu théorique, mais également les actes d’interactions possibles pour créer une alliance pédagogique avec les étudiants. Lors de la pandémie de la COVID-19, Vachon et Charest (2021) ont remarqué comment cet élément, c’est-à-dire le fait de planifier les communications avec les étudiants, était souhaité pour l’expérience étudiante. En effet, les étudiants se disaient plus satisfaits s’ils avaient des interactions de toutes sortes (humaines, programmées, etc.) que ce soit en modalité synchrone ou asynchrone ou un peu des deux. Vaughan et Garrison (2005) avaient déjà fait ce constat plusieurs années auparavant en précisant que ces interactions participeraient aux présences sociale, cognitive et d’enseignement contribuant à la relation pédagogique et ainsi à la réussite scolaire de l’étudiant.

Conclusion

21Le concept de présence semble en être un central pour l’étudiant, car il permettrait de le motiver et de l’engager dans ses activités d’apprentissages. C’est pourquoi nous avons exposé les liens entre le concept de présence et les compétences communicationnelles que l’enseignant mobilise pour créer l’alliance pédagogique et lui permet d’être en co-élaboration avec l’étudiant. Cette collaboration qui s’établit dans la confiance pourrait contribuer au sentiment de présence ressenti par l’étudiant.

22Et la création de cette alliance nécessiterait des actes d’intersubjectivation dans la visée de résoudre une problématique commune, tout en favorisant la confiance dans le cheminement scolaire de l’étudiant. Il n’est donc plus question d’opposer présence et distance. Notre démarche présentant des liens avec la création d’une alliance pédagogique vient apporter des éléments qui pourraient être considérés pour la redéfinition du concept de présence. En effet, le concept de présence chez l’enseignant pourrait être vu comme un état permettant à l’apprenant de cheminer dans un climat de confiance et de collaboration. L’étudiant pourra réagir en ayant le pouvoir d’agir par la collaboration qu’il a avec son enseignant.

23Le concept de présence pourrait être redéfini à partir d’un état psychique qui permet à l’apprenant d’être confiant que ce qu’il fait est dans la bonne voie parce qu’il ressent la présence de l’enseignant à tout moment et ainsi présenter des actes d’engagement dans ses études. La présence qu’elle soit analysée pour l’enseignement en présentiel ou à distance présenterait une définition qui n’aurait pas de lien avec la distance. Que le cours soit en présentiel ou à distance, l’enseignant pourrait mobiliser adéquatement les compétences communicationnelles afin de créer des actes d’intersubjectivation avec les étudiants et favoriser un sentiment de présence. Évidemment, cette approche communicationnelle devrait être validée dans une formation en présentiel, ce qui pourrait apporter une contribution intéressante de la formation à distance à la formation en présentiel.

24Enfin, à la vue de ces quelques éléments présentant certaines conditions ou pratiques communicationnelles, l’enseignant pourrait être un acteur essentiel dans le ressenti de sa présence pour les étudiants. La création d’une alliance pédagogique entre l’enseignant et les étudiants participerait au sentiment de présence de l’enseignant. Ainsi, la présence physique est un élément bien distinct de la présence psychique.

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Bibliographie

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Table des illustrations

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Titre Figure 2. Représentation de la présence dans la création du cycle de l’alliance pédagogique
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Pour citer cet article

Référence électronique

Chantal Bois, « La présence : élément participant à la création de l’alliance pédagogique »Distances et médiations des savoirs [En ligne], 42 | 2023, mis en ligne le 19 juin 2023, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/9176 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.9176

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Auteur

Chantal Bois

Université Laval, Canada, Québec, chantal.bois.1@ulaval.ca

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