1Cet ouvrage s’adresse en priorité aux enseignants de collèges et de lycées, qui sont désireux de former les élèves à l’acquisition de l’oral, une compétence scolaire encore mal définie, et qui sont à la recherche de ressources pour accompagner au mieux les élèves dans ce qui relève aussi d’une construction identitaire et citoyenne. Gwenaëlle Chambonnière, professeure de lettres modernes et formatrice dans l’académie de Créteil, propose un ouvrage dans lequel s’articulent approche théorique et recommandations pratiques.
2À partir d’observations de situations pédagogiques en classe qu’elle retranscrit, elle propose des outils, ouvre des pistes de réflexion et renvoie à des lectures complémentaires – accessibles via des QR codes –, pour les lecteurs souhaitant approfondir un sujet en particulier. L’auteure replace la notion d’oralité dans l’histoire de l’enseignement et en analyse l’évolution dans le cadre des discours institutionnels.
3Dès le premier chapitre, elle nous rappelle que les premières préoccupations autour de l’oral concernent principalement l’élocution et la lecture à voix haute. En effet, la parole de l’élève occupe une place importante dans l’espace de la classe et une attention particulière est portée à son expression personnelle.
4Cependant l’oral est encore un objet mal interprété et plusieurs idées reçues persistent. Comme par exemple, celle que l’oral est à appréhender de manière verticale : l’enseignant questionne et distribue la parole. Une autre idée reçue : l’oral est à évaluer avec des exercices dont les critères sont calqués sur ceux de l’écrit, alors que l’oral ne mobilise pas les mêmes mécanismes cognitifs. Elle souligne l’intérêt d’enseigner l’oral spécifiquement, afin de le décloisonner de l’enseignement des langues et du français, auxquels il est souvent associé, et de familiariser les élèves avec « la langue scolaire » (p. 7).
5L’auteure nous présente également les apports des différents champs de la recherche universitaire qui traitent de la question de l’oral. Le domaine psycholinguistique s’intéresse par exemple au développement du langage chez l’enfant, la linguistique apporte un regard neuf sur le « français parlé » (p. 16), la recherche en sociolinguistique met l’accent sur le fonctionnement de la parole au sein d’un groupe classe, en didactique enfin on analysera davantage une discipline comme un discours et comment l’oral peut participer à la construction des savoirs.
6Néanmoins une question demeure : comment enseigner l’oral ? Gwenaëlle Chambonnière propose des éléments de réponse au chapitre 2. Le premier levier qu’elle convoque est celui de l’explicitation des consignes et des objectifs lors d’une séance pédagogique. En effet, les malentendus pédagogiques sont souvent liés à des situations dans lesquelles l’élève ne maîtrise pas la langue scolaire. Cette pratique requiert la prise de conscience de l’enseignant des éléments de langage spécifiques à sa discipline. Elle invite également à favoriser les activités métalangagières avec les élèves, c’est-à-dire une mise à distance du langage pour en faire un objet de réflexion (ex : la reformulation). L’auteure se demande également comment faire de l’oral un outil de construction des savoirs. Elle présente certains éléments qui pourraient y conduire, tel que le conflit socio-cognitif, qui repose sur l’idée que les interactions sociales participent aux apprentissages, en invitant les élèves à confronter leur point de vue. Le dernier levier évoqué est le recours aux activités métacognitives, qui place l’individu en situation de réflexion sur sa propre activité cognitive (par exemple : un bilan des acquis ou des connaissances).
7Le chapitre suivant aborde la question de la lutte contre la méconnaissance de l’oral. Cette méconnaissance contribue aux fausses représentations et c’est pourquoi l’auteure préconise la mise en place d’un apprentissage à la grammaire de l’oral, au même titre que l’écrit. En effet, selon elle, l’oral est souvent présenté en opposition à l’écrit, de manière dévalorisée. Elle s’appuie sur les travaux de recherche de Coppaux et sur une analyse critique des recommandations officielles, en proposant une relecture qui prendrait en compte les spécificités de la grammaire orale.
8L’oral engage plusieurs dimensions : le corps, les gestes, la voix, le regard. L’auteure dédie le chapitre 4 à l’enseignement de ces dimensions en classe. Pour permettre à l’élève de prendre conscience du rôle du regard dans une situation de communication, l’auteure propose des exercices pour apprendre à l’élève à détacher son regard des notes, ou au contraire s’adresser à son interlocuteur en le regardant. En s’appuyant sur des exemples en classe, elle suggère également de travailler sur l’effet de la posture sur l’auditoire. Enfin, la voix, élément indispensable pour produire du sens, peut être maîtrisée par les élèves à l’aide d’exercices de respiration ou de projection. Ces recommandations visent à dépasser les marqueurs socio-culturels que constituent certaines attitudes corporelles.
9Dans le chapitre 5, l’enseignement de l’écoute est également présenté comme un élément indispensable lors d’une formation à l’oral. Il s’articule autour de trois axes : l’écoute de soi, l’écoute de l’autre, l’écoute pour apprendre. L’écoute de soi tout d’abord, en instaurant un cadre sécurisant, et la classe coopérative apparaît comme un environnement propice à cet apprentissage. En effet, dans ce format de classe, l’enseignant se place en retrait après avoir donné les consignes, met à disposition des outils pédagogiques des élèves et observe les usages. Ensuite, vient l’écoute de l’autre. Pour cette une activité difficile, qui requiert de l’attention et une absence de jugement, l’auteur propose des stratégies métacognitives adaptées. Et enfin l’écoute pour apprendre, qui consiste à savoir prendre des notes, à devenir un auditeur expert capable de comprendre un message implicite, ou un message à plusieurs voix. Elle clôture ce chapitre en donnant des conseils pour construire un modèle d’écoute.
10Au chapitre 6, l’auteure consacre une partie de sa réflexion aux différents moyens que peuvent mettre en œuvre les enseignants pour accueillir et faire vivre la parole des élèves. Son analyse porte sur trois points : la communication, la citoyenneté et l’esprit critique. À partir d’une étude du rapport Boissinot, elle identifie les points de blocages qui limitent la prise de parole de l’élève en classe : une communication verticale qui véhicule souvent des stéréotypes de genre, un manque d’écoute et de légitimité ressentis par les élèves. De ce constat découlent plusieurs actions possibles pour déployer la parole de l’élève à l’école : instaurer un cadre bienveillant et prendre en compte les centres d’intérêt des élèves. Le conflit de loyauté que peuvent ressentir les élèves en classe, c’est-à-dire la confrontation entre leur culture familiale et la culture scolaire, peut être évitée en apprenant aux élèves à identifier ce qu’elle appelle des actes de langage périlleux c’est-à-dire des actes de langage qui font pression sur l’interlocuteur (rompre la parole, exercer un chantage, proférer une menace…). Dans une perspective de développement d’une parole citoyenne, elle décrit un environnement scolaire dans lequel l’expression personnelle de l’élève est marginalisée car la priorité est donnée aux savoirs. C’est pourquoi Gwenaëlle Chambonnière insiste sur l’importance de mobiliser leur parole dans les instances représentatives et les sensibiliser à la parole démocratique. Enfin, pour former à l’esprit critique, elle rédige un focus sur la discussion philosophique et donne des idées d’expérimentations en classe.
11Elle aborde ensuite au chapitre 7, la question de l’enseignement des genres à l’oral, difficile à appréhender, car les genres dominants (exposé, débat, récitation) éclipsent souvent ceux moins formels. Elle définit les genres scolaires comme des pratiques sociales qui deviennent des pratiques scolaires, et qui sont par conséquent changeants. Son étude se concentre ensuite sur deux exercices en particulier : l’exposé et le débat, les avantages et les limites de ces exercices et des outils pour les pratiquer en classe. Dressant enfin une typologie des genres de l’oral aux examens, avec généralement des attendus très codifiés, elle fait notamment le point sur l’exercice particulier du grand oral au lycée et donne des pistes pour un meilleur accompagnement des élèves.
12Le chapitre 8 traite des grandes difficultés de l’enseignement de l’oral et en particulier de son évaluation. Bien que celle-ci apparaisse dans le livret de compétences cycle 4, les grilles d’évaluation qui existent, sont fournies à titre purement indicatif, et il n’existe pas de progression par âge. L’auteure soumet donc une idée de progression qui se focalise sur une seule tâche à évaluer, et une complexification à apporter à chaque niveau. Elle suggère également au chapitre 8 de travailler l’oral en fonction des scénarios pédagogiques les plus courants et propose des exemples de grilles d’évaluation.
13En s’appuyant en partie sur le rapport de synthèse « Numérique et apprentissages scolaires » du CNESCO, elle développe au dernier chapitre la question du déploiement numérique dans la société et à l’école, qui offre une grande richesse de possibilités pour l’enseignement de l’oral.
14Le rapport du CNESCO sur lequel s’appuie l’auteure, énonce 3 critères pour une bonne appropriation de l’outil numérique : « l’utilité (pour mieux enseigner/apprendre), utilisable (facile à prendre en main), acceptable (compatible avec l’organisation du temps, de l’espace, avec les tâches les valeurs, les motivations. » (p. 195). Le numérique est également un outil intéressant pour travailler l’écoute et la compréhension orale. L’écoute de documents sonores peut participer à une meilleure compréhension orale car ils permettent de gérer le rythme de l’écoute à sa guide (pauses, retours en arrière, répétitions). Il faut veiller néanmoins selon elle à ne pas mettre les élèves en situation de surcharge cognitive. Elle met l’accent sur l’importance de bien structurer pédagogiquement l’écoute de documents sonores, en les couplant par exemple à des animations/interventions par l’enseignant·e. Certains outils du numérique peuvent également servir à produire des oraux, ou les évaluer, c’est le cas de certains outils d’enregistrement en ligne, comme Vocaroo. Néanmoins l’usage des outils en classe est limité par la fracture numérique, qu’il s’agisse du mauvais équipement des établissements scolaires ou de la faible maîtrise technologique et informationnelle des élèves (Baron G-L., Bruillard E., 2008).
15L’ouvrage de Gwenaëlle Chambonnière est construit de manière à faciliter le parcours de lecture. En effet, on y trouve des synthèses en fin de chaque chapitre et des QR codes renvoyant à des outils méthodologiques (tutoriels, guides). L’on peut alors se poser la question de la pertinence et de l’usage fait de ces QR codes par les lecteurs souhaitant approfondir un sujet relié. Il s’agit en effet d’un mode de communication valorisé dans les formations faites aux professeurs par les institutions (formations PAF, Réseau CANOPÉ, Rectorats…). Mais si l’usage des QR codes dans les manuels scolaires a fait l’objet de recherches (Temperman et al., 2018), l’efficacité doit être étudiée de plus près dans le cadre d’un public de formateurs. Bien qu’il s’agisse d’un ouvrage destiné aux professionnels de l’éducation, qui vise à donner des outils immédiatement utilisables, l’on peut regretter une posture encore trop prescriptive. Une prise de distance réflexive, notamment sur la question du numérique, est nécessaire afin que les professionnels de l’éducation prennent l’ampleur des enjeux sous-jacents.
16Au-delà de cette problématique, les outils pédagogiques proposés par l’auteure sont variés et riches. La bonne volonté des enseignants à les mettre en place peut toutefois se heurter à une réalité de terrain complexe et à une pluralité des profils d’élèves : élèves nouvellement arrivés en France, élèves porteurs de troubles cognitifs… Comment, par exemple, intégrer un élève ne parlant pas français ? Comment accompagner la parole d’un élève porteur d’un trouble cognitif ? L’auteure, consciente de cette problématique, n’écarte pas la question de l’hétérogénéité des élèves, néanmoins celle-ci mériterait d’être approfondie car elle répond à un réel besoin pédagogique des enseignant·e·s.
17La volonté de l’auteure est de traiter de la question de l’oral de façon globale, de manière à ce que chacun·e puisse s’en emparer. Elle fait donc référence à plusieurs bulletins officiels de différentes disciplines scolaires, en essayant d’embrasser le paysage du collège et celui du lycée. On peut regretter toutefois l’effacement de certaines figures incontournables de l’enseignement de l’oral dans la vie d’un établissement scolaire : CPE, SpyEN, professeur·e-documentaliste, infimièr·e scolaire, etc. Ceci alors qu’il est question dans l’ouvrage de climat scolaire, d’éducation aux médias et à l’information, ou de numérique, thèmes qui traversent toute la communauté éducative. Dans le cas des professeurs-documentalistes, cette question est d’autant plus importante que la revue professionnelle des professeurs-documentalistes fait état d’une grande variété d’initiatives et de réflexions dans ce domaine (Inter CDI, 2020).
18Il serait ainsi important pour l’auteure d’enrichir cette réflexion sur l’oral par des analyses de situations pédagogiques avec ces différents acteurs de la communauté éducative, qui accueillent et font exister la parole de l’élève.