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Éditorial

Daniel Peraya, Monique Grandbastien et Pierre Mœglin

Texte intégral

1Ce numéro 39 de Distances et médiations des savoirs se compose de 3 articles de recherche, dont le premier est complété par la republication de l’article de 2014 qui lui sert de point de départ. Il propose ensuite les résultats de notre enquête sur le lectorat de DMS, de trois notes de lecture et des contributions à notre rubrique coutumière « Débat-discussion » consacrée cette année à la place occupée par la référence à la distance dans les plans stratégiques des universités et leurs politiques de numérisation.

2Malgré sa richesse et l’intérêt qu’il ne manquera pas de susciter auprès de nos lectrices et de nos lecteurs, il pourrait courir le risque de tout numéro varia : « D’un varia, l’on ne peut généralement attendre qu’une simple juxtaposition de points de vue hétérogènes sur des objets disparates » (Mœglin et al., 2022). Mais ce n’est le cas ni des articles ni des contributions aux différentes chroniques de ce numéro 39. Il est aisé en effet de lui trouver une cohérence globale. Les deux premiers articles ont pour thématique les MOOC, tandis que le deuxième et le troisième se caractérisent par une approche méthodologique mixte extrêmement rigoureuse. Par ailleurs, des fils conducteurs traversent l’entièreté de ce numéro qui montrent quelle contribution apportent ces différents textes à la structuration de notre domaine, à ses questionnements et à l’exploration de son périmètre, enfin à son évolution. Mais aussi dans quelle mesure chacun de ces numéros conduit à organiser et renforcer notre communauté scientifique. En d’autres termes, un numéro varia, et celui-ci en particulier, est aussi l’occasion de croiser les regards et les points de vue, que se soit en synchronie ou en diachronie, pour éclairer le rôle de DMS-DMK, son propre positionnement et ses perspectives de développement.

3Ces questions sont d’autant plus importantes aujourd’hui que, à la suite de la crise sanitaire et du confinement, la formation à distance dont chacun a dû bon gré mal gré s’accommoder s’est vue aussi thématisée et réfléchie, analysée par de nombreuses communautés scientifiques et professionnelles pour lesquelles elle ne constituait pas, a priori, un objet d’intérêt ou de recherche. Tel est d’ailleurs l’objet du colloque que DMS organise en partenariat avec le Cned et l’Open University les 20 et 21 octobre prochain1. Cette période de généralisation contrainte de la formation à distance a provoqué d’une certaine manière un décloisonnement disciplinaire de l’observation et de l’analyse des pratiques qui s’accompagne plus que vraisemblablement d’un élargissement du périmètre et des cadres de référence traditionnels de notre domaine. De plus, la numérisation qui touche toutes les pratiques universitaires, certes, pédagogiques mais aussi celles de l’administration, de la gestion et de la gouvernance des établissements ne peut qu’interroger notre revue, son positionnement et son périmètre, plus fondamentalement la question de la distance ou mieux des distances. Ces questions rejoignent aussi celles que se pose notre lectorat, comme le montrent les résultats de l’enquête qui lui a été consacrée et dont nous publions dans cette livraison une synthèse. Quant à la nécessité de mener une réflexion sur l’impact de la numérisation de toutes les pratiques universitaires sur la conception de la distance, elle fait l’objet de la rubrique « Débat discussion » cette année.

4Le texte de F. Acquatella et V. Fernandez était à l’origine une commande de la revue. Il s’agissait de proposer une relecture commentée d’un ancien texte de P. Mœglin « L’enseignement supérieur au défi du numérique. MOOC : de l’importance d’un épiphénomène » (Mœglin, 2014). En cours de route, le projet s’est mué en une étude bien plus développée qu’elle n’était envisagée au départ – ce dont nous nous réjouissons évidemment. Pourtant ceux-ci posent le même regard critique sur le « phénomène MOOC ». Ils confirment et documentent certaines des analyses de P. Mœglin, y compris celles formulées dans ses écrits plus récents, par exemple le risque de faire « glisser l’économie des MOOCs vers une économie plus proche de celle des industries culturelles que de celle des industries éducatives » (Mœglin, 2016).

5Revenons à ce texte-prétexte, paru deux ans seulement après que le New York Times a publié son article marquant The Year of the MOOC (2012) et au moment où les MOOC connaissaient un engouement et un succès sans borne, suscitaient des appréciations sans grand regard citrique. P. Mœglin se livre à une analyse critique documentée de ces nouvelles formes d’enseignement à distance, il déconstruit un certain nombre d’idées reçues et de discours prosélytes auxquels ils ont donné naissance. Par exemple, les MOOC n’ont pas suscité un intérêt massif de la part des entrepreneurs de l’industrie éducative et culturelle et, du point de vue pédagogique, ils s’inscrivent dans la continuité de courants antérieurs bien plus qu’ils ne créent une réelle rupture. L’une des premières conséquences en serait sans doute que seules « les grandes plateformes dont l’offre comprend des MOOC à côté d’autres ressources, [puissent] tirer leur épingle du jeu, au prix de la vassalisation des universités qu’elles associent. » Deuxièmement, il y aurait un risque que les plateformes « éducatives » en position dominante utilisent les données personnelles recueillies à des fins commerciales comme le font les réseaux sociaux. Troisièmement, la relation au savoir et la nature des connaissances se trouvent modifiées : « De cette évolution vers un savoir fractal réorganisé par de nouveaux intermédiaires, mais ne profitant véritablement qu’à ceux qui sont préparés à l’acquérir, les MOOC ne sont qu’un épiphénomène, mais c’est justement ce qui en fait l’importance. »

6Le titre de l’article de F. Acquatella et V. Fernandez annonce la couleur : la rupture annoncée – sans doute souhaitée – s’est révélée une « promesse non tenue » et les MOOC, selon l’expression de R. Schuman (2013) que citent les auteurs, doivent être considérés comme des « lousy products », ce que « reconnaissait déjà en 2013 S. Thrun, l’un des pionniers des MOOC et fondateur de Udacity ». Les auteurs examinent en profondeur les causes de cet déconvenue dont certaines sont bien connues : un taux de pénétration relativement bas par rapport au « marché de la formation mondiale dont la taille couvre plusieurs centaines de millions de prospects », une surestimation du nombre d’utilisateurs actifs, un taux de persistance plus faible encore que dans les dispositifs de formation à distance et enfin, facteur important, la disparition progressive du certificat gratuit proposé par les grands acteurs des MOOC. Ce dernier point entre en contradiction avec « le message initial en faveur d’une révolution pédagogique passant par la démocratisation des savoirs, leur diffusion gratuite et, surtout, leur libre valorisation par chaque étudiant. » Mais il nous intéresse singulièrement, car la question des raisons de l’entrée en formation des participants à une formation à distance, particulièrement à un MOOC, comme celle du maintien de leur motivation tout au long de la formation est centrale pour les acteurs de la formation à distance tant le taux de persistance constitue le talon d’Achille de ces dispositifs. Une importante littérature lui est consacrée et cette thématique fait l’objet de la recherche présentée dans ce numéro par L. Meekers et ses collègues, travail mené dans le cadre particulier du MOOC « L’innovation dont vous êtes le héros ». Une autre raison évoquée par les auteurs est la piètre qualité des capsules vidéo sur lesquelles repose la stratégie d’apprentissage au cœur des MOOC. Il ne s’agit pas seulement de leur qualité technique, mais aussi de « l’absence de toute préoccupation scénographique » qui renforce une pédagogie transmissive. DMS-DMK arrivait à de semblables observations notamment dans l’article de Peltier et Campion (2018) ou encore à travers les différentes contributions à la rubrique « Débat discussion » (DMS-DMK, nos 17, 18, 19, 20, 2017) consacrée à cette question : les vidéos des Mooc annoncent-elles un retour de la télévision scolaire ? Les auteurs semblent croire à un renouveau des capsules vidéo à partir des technologies de l’intelligence artificielle et le cumul de nombreuses données collectées. La personnalisation du parcours d’apprentissage, mais aussi du séquençage vidéo selon le niveau de l’apprenant, pourrait ainsi améliorer l’expérience d’apprentissage des inscrits aux MOOC. Nous pensons que les solutions technologiques constituent, certes, des avancées potentielles, mais elles ne résoudront évidemment pas les défaillances de la scénarisation. De plus, il nous semble qu’il faut en même temps renforcer les dispositifs d’appropriation par les apprenants, donner à ceux-ci la possibilité d’annoter les podcasts, de partager leurs commentaires et les mettre en discussion, éventuellement en temps réel, avec leurs collègues. Or de tels dispositifs existent déjà mais restent cependant trop peu usités.

  • 2 « L’heutagogie se définit comme l’étude de l’apprentissage autodéterminé où l’enseignant cède la re (...)

7Le deuxième article de recherche, signé par L. Meekers, A. Kumps, K. Boumazguida, G. Temperman et B. De Lièvre porte sur les critères qui poussent des étudiants inscrits au MOOC « L’innovation dont vous êtes le héros » offert par l’université de Mons (Belgique) à choisir entre deux parcours différents offrant chacun des modalités d’apprentissage contrastées. Dans le premier cas, il s’agit d’un « parcours plutôt transmissif » et linéaire à la manière de xMOOC, appelé « Parcours performance », au cours duquel les étudiants peuvent s’autoévaluer grâce à des quiz formatifs tandis qu’en fin de parcours ils sont soumis à une évaluation sommative. Une attestation de suivi est délivrée gratuitement aux apprenants qui satisfont aux conditions prévues (un score de 50 % au plus aux évaluations intermédiaires et 70 % à l’évaluation finale). Le second parcours, nommé « Parcours contributif », s’apparente à un courant « plutôt connectiviste » et créatif : il se rapproche des cMOOC et propose une participation plus active des étudiants. Par exemple, ils sont amenés, à réaliser, seuls ou en groupe, « au moins 6 diapositives accompagnées d’un texte explicatif en abordant les thématiques d’au moins 3 modules différents issus de la formation ». Les documents produits peuvent être partagés avec les autres apprenants inscrits. Les productions sont évaluées par l’équipe pédagogique et la réussite donne droit à une attestation de suivi. Ces deux parcours relèvent pour les auteurs de la distinction entre pédagogie et heutagogie2 qui sert de base à la classification générale des MOOC en deux catégories principales, les xMOOC (instructivistes) et cMOOC (connectivistes). L’analyse de la distribution des inscriptions montre que presque la totalité des apprenants (93 %) choisit le parcours « Performance ». Les chercheurs souhaitent donc répondre à deux questions : a) pourquoi les apprenants choisissent-ils massivement les modalités transmissives de la formation ? b) dans quelle mesure y a-t-il une différence entre les apprenants « enrôlés » (pour lesquels le cours fait partie de leur cursus) et les apprenants spontanés (des étudiants de « spontanés ») concernant les critères de choix du parcours ?

8Cet article de recherche présente un cadre théorique et une démarche méthodologique extrêmement rigoureux. La conception du dispositif expérimental en deux parcours distincts se fonde sur le cadre de référence des MOOC tandis que l’analyse des motifs d’entrée en formation s’appuie sur les travaux de Carré (2001). Le cadre initial de Carré a été opérationnalisé en sous-catégories issues d’une analyse sémantique des réponses des apprenants à la question ouverte « pourquoi ? » (seconde question de recherche) destinée à élucider les raisons de leur choix pour l’un ou l’autre des parcours. L’instrumentalisation de l’analyse sémantique en amont par le logiciel NVIVO et le traitement des données pourraient être proposés comme modèle méthodologique pour la préparation de nos étudiants de mémoire ou de thèse.

9Les résultats sont détaillés et minutieux. Nous en retiendrons certains susceptibles de créer une forme d’intertextualité entre les différents articles. Les premiers motifs évoqués pour expliquer le choix du parcours transmissif sont d’abord « la clarté des consignes, les échéances prévues, la facilité, les difficultés techniques et les modalités de travail » (57 %), regroupés sous le motif hédonique de Carré. Quelle que soit l’appartenance au groupe d’étudiants, le motif hédonique arrive toujours au premier rang. Par contre, le motif économique et la possibilité d’obtenir une attestation de participation « ne semblent pas être un critère déterminant dans le choix de parcours du côté des étudiants universitaires. Seulement 2 réponses l’évoquent. » Ce motif arrive en quatrième position devant des sous-catégories du motif hédonique. Par contre, pour les étudiants spontanés, ce motif se classe en troisième position : ils « ont estimé que cette valorisation est importante et procure une plus-value à leur carrière ». Les auteurs nous mettent en garde : le petit nombre d’étudiants ayant suivi le parcours contributif interdit une quelconque généralisation. Leur recherche montre cependant que l’obtention d’une attestation ne constitue pas toujours un motif d’entrée en formation. Autrement dit, la persistance dans la formation ne pourrait, dans certains contextes, ne pas être directement et automatiquement liée à un motif économique comme l’ont suggéré F. Acquatella et V. Fernandez. 

10Ensuite, de nombreuses raisons du choix en faveur de l’un ou l’autre des dispositifs – pour le parcours « Performance », par exemple un parcours plus facile, favorisant le travail individuel, mieux encadré, moins chronophage, moins créatif, demandant moins de maîtrise des logiciels de présentation, etc.) – semblent relever de la perception qu’a l’apprenant du dispositif de formation, autrement dit de ce que D. Paquelin appelle le dispositif perçu et le dispositif projeté (2009) par rapport aux dispositifs prescrit et approprié. Pour cet auteur, tout dispositif connaît quatre états : celui issu de la prescription des concepteurs, le dispositif tel que le comprend l’apprenant lorsqu’il en prend connaissance, la manière dont il prévoit de l’utiliser et, enfin, la manière dont il l’utilise réellement. Telles sont les étapes du passage du prescrit au vécu, à l’appropriation. Ce cadre suggère qu’il serait sans doute instructif d’étudier les motifs d’engagement de l’apprenant selon une approche identique à chacune de ces étapes, et bien sûr leur éventuelle évolution. Enfin, ces différents motifs, sans doute prescrits par les formes éducatives, mais intériorisés par les participants tout au long de leurs années de formation ne semblent pas favoriser l’innovation pédagogique.

11L’article d’A. Bistodeau, F. Lafleur et F. Michelot porte sur les évaluations à distance (e-assessment) sous surveillance par caméra et sur les perceptions d’étudiants universitaires en contexte de pandémie à l’université du Québec à Trois Rivières (UQTR). Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, les examens présentiels ont été supprimés et, dans l’urgence, remplacés par des évaluations à distance. Craignant dans ces conditions une augmentation sensible de la fraude et du plagiat, de nombreuses universités se sont équipées de moyens technologiques tels que les logiciels de télésurveillance. À l’UQTR, qui ne possédait pas de telles technologies, le choix s’est porté sur l’environnement de visioconférence Zoom qui, s’il ne permet pas d’interdire la consultation de documents non autorisés, rend néanmoins possible l’identification visuelle des apprenants (par comparaison avec une photo ou la carte d’identité) et la limitation de la communication orale.

12Pour comprendre l’expérience vécue par les apprenantes (75 % de l’échantillon) et les apprenants (25 %), les auteurs formulent les questions de recherche suivantes :

  1. Les étudiants se considéraient-ils comme bien préparés pour cet examen en ligne sous surveillance caméra ?

  2. Dans quelles conditions ont-ils réalisé cet examen ?

  3. Quelles sont leurs perceptions quant à leur confort avec les outils, la validité de l’examen, l’aspect pratique de l’examen sous surveillance caméra, la fiabilité et la sécurité des outils, le respect de la vie privée et la limitation de la tricherie ?

  4. Les étudiants considèrent-ils comme importants les enjeux posés par l’évaluation à distance sous surveillance caméra ?

  5. Leurs âge, genre et statut (étudiant parent, étudiant en situation de handicap, international ou primo-entrant) ont-ils eu une incidence sur leurs perceptions.

13Il s’agit d’une enquête descriptive, d’un sondage réalisé à l’aide d’un questionnaire anonyme comportant divers types de questions (échelles d’accord et questions ouvertes), distribué en ligne aux étudiant·e·s ayant passé un examen en ligne à la session d’octobre 2020. Les répondants sont relativement peu nombreux puisque sur les 14 999 répondants potentiels, seuls 396 ont rempli le questionnaire.

14La méthodologie de cette recherche est extrêmement rigoureuse : la validité des instruments de recueil de données et les échelles de mesure, notamment celles du SPEAQ, ont été testées, les différents questionnaires sont construits de manière pertinente en fonction des questions de recherche pour lesquelles il doivent permettre de recueillir des réponses. Quant aux dimensions et aux facteurs étudiés, ils font l’objet d’un traitement statistique spécifique, identique et systématique selon les catégories auxquelles ils appartiennent. Enfin, les résultats des analyses quantitatives sont mis en regard avec les analyses de contenus des réponses ouvertes et mis en relation avec les différentes catégories descriptives des répondants (primo-arrivants, étudiants parents, étudiants en situation de handicap, étudiants internationaux). Les auteurs parviennent dans la discussion et la conclusion à une intéressante synthèse et à la proposition de quelques pistes de recherches ultérieures. Par exemple, ils invitent à mener une réflexion sur les modalités d’évaluation que souhaitent mettre en place les enseignants, ils rendent compte des remarques des étudiants pour qui certains travaux plus personnels, des exercices plus créatifs, rendraient la fraude moins facile, etc. Ces pistes ouvrent un important chantier surtout lorsque l’on sait que dans bien des cas les modalités d’évaluation sont rarement conçues en même temps que le dispositif de formation comme le recommande pourtant une ingénierie pédagogique cohérente.

15Une nouvelle chronique « La vie de la revue » rend compte de l’enquête de lectorat qu’ont menée en 2021 F. Paquienséguy et M. Miguet à la demande du comité scientifique de la revue. Ses résultats nous font prendre conscience du rôle que pourrait jouer une telle chronique dans et pour la revue.

16L’enquête en ligne (35 questions fermées et 18 ouvertes) dont les auteures nous proposent les résultats a été conçue en collaboration avec un groupe d’étudiants de deuxième année de DUT gestion des entreprises et des administrations de l’IUT de Nantes. Elle était justifiée d’abord par le fait qu’aucune enquête de ce type n’avait jamais été entreprise. De plus, depuis 2012, « DMS-DMK est pleinement une revue scientifique numérique en ligne, disponible à l’international, sans distinction de public. » Dans ces conditions, c’est le positionnement de la revue qui est spécifique et non plus sa cible. En conséquence, l’enquête s’est orientée vers cette question centrale : « le positionnement de la revue est-il clairement perceptible par son lectorat et reste-t-il pertinent au regard de la concurrence dans un contexte d’édition ouverte ? » Or de notre lectorat, nous n’avions qu’une image assez sommaire et formelle construite à partir des statistiques disponibles sur la plateforme Journals d’OpenEdition.

17Que nous apprennent les résultats de l’enquête ? Nous épinglerons certaines perceptions qui rencontrent nos réflexions formulées au début de cet éditorial : DMS-DMK cherche à structurer notre domaine, ses questionnements et à explorer son périmètre. De manière générale, la revue est considérée comme une revue francophone de référence dans le domaine et sa ligne éditoriale est plutôt clairement identifiée par son lectorat. Certains répondants, dans les entretiens menés sur base volontaire, reconnaissent le projet éditorial de la revue : « DMS-DMK permet de suivre partiellement un domaine de recherche, c’est une revue structurante et qui permet de découvrir de nouveaux auteurs ». La revue contribue aussi à structurer, à dynamiser, une communauté scientifique et ses activités puisque « pour 23 % des répondants et répondantes, la lecture d’un article a entraîné des contacts et/ou une collaboration avec un auteur ou une auteure de la revue. La plupart (56 %) soulignent que des articles ont influencé leurs propres travaux de recherche » ou encore « Si DMS-DMK leur permet de dresser un état de l’art, de mener une veille, elle leur a également permis d’identifier une référence, de découvrir une approche qui les aura à un moment donné influencé et aidé dans leur démarche de chercheur. » Dans cette perspective aussi, le lectorat apprécie que la revue soit le lieu de discussions, de débats et de confrontations autour de thèmes controversés ou tout simplement actuels du domaine, car c’est une des missions de toute revue scientifique.

18Les lectrices et les lecteurs formulent toutefois des attentes et des besoins auxquels aujourd’hui la revue ne répond pas encore entièrement. Ils suggèrent aussi de nouvelles thématiques ou de nouvelles rubriques, parfois régulières, ou encore de nouveaux contextes consacrés par exemple à la formation professionnelle, à la méthodologie, à la vulgarisation scientifique ou encore à l’actualité du domaine. Dans cette direction, un projet de numéro thématique consacré à « la méthodologie dans tous ses états » nous habite depuis quelque temps. Reste à le concrétiser et ceci constitue d’une certaine façon un appel à notre lectorat.

19Enfin, l’enquête ouvre sur des perspectives de recherche : « Au-delà du cas étudié, extrêmement restreint et ciblé, des questions de recherche se dessinent sur la structuration interne des revues scientifiques, les métadonnées qui en permettent l’identification, les pratiques documentaires, l’évolution de la lecture savante et de l’archivage personnel, les compétences du lecteur ou de la lectrice. »

20On le voit, les résultats de l’enquête tracent de nombreuses pistes de travail. Nous espérons que la lecture de cette contribution, au-delà de l’intérêt qu’elle soulève, vous donnera l’envie, lectrices et lecteurs, d’en suivre certaines et de vous y engager... De de faire ainsi en sorte que Distances et médiations des savoirs devienne un peu plus votre propre revue.

21Le volume propose ensuite trois notes de lecture qui toutes ramènent aux préoccupations centrales de DMS-DMK : l’ingénierie de la formation dont l’importance a été soulignée lors de la crise sanitaire, la continuité pédagogique qui a mis au premier plan la formation à distance et une réflexion plus générale sur le numérique dans la formation.

22C. Aymé présente l’ouvrage coordonné par C. Pélissier et Stephen Lédé, L’Ingénieur pédagogique dans le supérieur (2022). Ce livre et sa thématique ne pouvaient échapper aux chroniqueuses de DMS-DMK. En effet, la période de confinement qui a vu tous les établissements de formation à basculer vers le « tout à distance » a rendu visible l’importance des ingénieurs pédagogiques pour la réussite des formations à distance, mais aussi combien leur effectif étaient trop faibles dans les universités, leur métier peu reconnu institutionnellement. Les thèmes développés dans les différents chapitres de l’ouvrage font écho aux contributions publiées dans la rubrique « Débat-discussion » tout au long des années 2019 et 2020. Nous retiendrons une proposition originale qui rompt avec une littérature dominante. Peut-être a-t-on tort de parler de la mutation du métier de l’ingénieur pédagogique. En effet la mutation devrait sans doute être considérée comme l’un des fondements de ce métier.

23A. Seurrat s’est attelée à la lecture du numéro 48 de la revue Recherches en éducation (2022), intitulé « Hors les murs ». Ce numéro, qui prend la forme d’un dossier, propose une analyse critique de la formule « continuité pédagogique », « envisagée comme une catégorie d’action publique qui combine injonction morale (le droit à l’école) et technique (enseigner à distance) ». A. Seurrat relève dans l’éditorial « un questionnement très éclairant sur la circulation de cette formule et son étoilement sémantique », mais regrette de ne pas avoir retrouvé ce même questionnement dans les quatre articles du dossier. Développons un exemple. Le sens actuel de l’expression continuité pédagogique s’est fixé à la suite des crises sanitaires majeures. Lors de l’épidémie de la grippe aviaire en 2006, en 2009 du virus H1N1, « la continuité pédagogique est évoquée comme un basculement vers l’enseignement à distance dans l’éventualité de la fermeture des établissements scolaires ». Avec la crise sanitaire de la Covid-19, le confinement s’impose comme une réalité brutale et comme une « déspatialisation » mais aussi comme une « détemporalisation » de l’enseignement et en conséquence comme une déstructuration de l’espace-temps de la forme scolaire classique. Or, comme le faisait remarquer J.-F. Céci (2018), la forme scolaire pourrait évoluer sous la pression d’événements qui lui sont extérieurs. À lire la note de lecture, il ne semble pas que les articles de ce dossier aient interrogé la continuité pédagogique sous l’angle de son impact, à court et à moyen terme, sur la forme scolaire. On ne peut que le regretter tant la continuité pédagogique et la forme scolaire nous paraissent liées.

24H. Boët s’est lui intéressé à l’ouvrage de J. Boissière et É. Bruillard. L’École digitale (2021). Il considère que ce livre « offre une occasion précieuse de réflexion aux professionnels du secteur, aux chercheurs, mais aussi aux parents d’élèves, et plus largement aux citoyens préoccupés par l’avenir de l’éducation. » « Décrivant l’avènement du numérique comme une rupture anthropologique, J. Boissière et É. Bruillard voient avant tout dans l’école digitale un moyen et un idéal politiques pour inclure le plus grand nombre. Sur les contours à lui donner, ils font part de leurs positions. Celles-ci sont nuancées, souvent critiques, mais toujours optimistes. Et ce, en rendant le débat – suivant une idée qui leur est chère – plus accessible et plus ouvert. »

25Le numéro se termine par la rubrique « Débat discussion » qui accueille trois contributions : celles d’É. Bruillard et M. Khaneboubi, de F. Gravelle, M.-H. Masse-Lamarche, J. Monette, C. Gagnon, F. Montreuil et L.-P. Lachance Demers et de F. Michelot. Celles-ci complètent les contributions précédentes, notamment celles de D. Kern et de G. Forestier ainsi que celle de L. Massou et prolongent de ce fait le débat. É. Bruillard et M. Khaneboubi développent leur contribution autour de quatre thématiques identifiées comme des problèmes de « taille » dans les établissements d’enseignement supérieur : les plans numériques, le développement et la réutilisation des ressources numériques, la formation à distance et enfin les transformations. Cette contribution enrichit le débat, car elle permet d’avoir le point de vue d’acteurs de terrain ayant assisté à la mise en œuvre d’un plan stratégique dans leur institution. La contribution de F. Gravelle et de ses collègues se focalise sur l’importance d’un plan stratégique dans une institution et du rôle de la gouvernance dans la transformation de l’éducation à l’ère du numérique. L’un des aspects que nous soulignerons est la similitude qu’observent les auteurs entre les axes stratégiques identifiés dans leur contexte professionnel, le scolaire, et ceux repérés à travers la lecture des plans stratégiques numériques des universités. Enfin, le texte de F. Michelot nous permet de cibler les réalités rencontrées par les établissements universitaires francophones au Canada  dans la mise en œuvre de la formation à distance et fait différentes recommandations dans la réalisation d’un plan stratégique intégrant la formation à distance.

26Les différentes réflexions apportées par les auteurs nous permettent d’entrevoir de nouvelles perspectives et de nouvelles réalités dans un environnement changeant et avec de nouvelles réalités sociétales post-pandémiques. La place importante des plans stratégiques numériques dans les établissements universitaires, tout comme l’intégration de la formation à distance dans ces derniers, laisse entrevoir de nouvelles pistes de réflexion.

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Bibliographie

Céci, J.-F. (2018). Les technologies peuvent-elles modifier la forme universitaire ? Certainement ! Distances et médiations des savoirs, 22. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.2356

Moeglin, P. (2014). L’enseignement supérieur au défi du numérique. MOOC : de l’importance d’un épiphénomène. Revue futuribles, 398, 5-23. https://www.futuribles.com/fr/revue/398/lenseignement-superieur-au-defi-du-numerique-mooc-/

Pappano, L. (2012, 4 novembre). The Year of the Mooc. The New York Times. https://www.nytimes.com/2012/11/04/education/edlife/massive-open-online-courses-are-multiplying-at-a-rapid-pace.html

Paquelin, D. (2009). L’Appropriation des dispositifs numériques de formation. Du prescrit au vécu. L’Harmattan.

Peltier, C. et Campion, B. (2018). Constructions langagières, relation et cognition dans les capsules vidéo des MOOC. Distances et médiations des savoirs, 21. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/DMS-DMK.2125

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Notes

1 https://www.cned.fr/l-actualite-de-la-formation/le-cned-de-a-a-z/decouvrez-le-programme-du-colloque-la-formation-a-distance-resolument

2 « L’heutagogie se définit comme l’étude de l’apprentissage autodéterminé où l’enseignant cède la responsabilité du processus d’apprentissage à l’apprenant qui négocie l’apprentissage et détermine quoi et comment apprendre » (Blaschke, 2012).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Daniel Peraya, Monique Grandbastien et Pierre Mœglin, « Éditorial »Distances et médiations des savoirs [En ligne], 39 | 2022, mis en ligne le 27 octobre 2022, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/8133 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.8133

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Auteurs

Daniel Peraya

Université de Genève, TECFA

daniel.peraya@unige.ch

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Monique Grandbastien

Professeur émérite, université de Lorraine

monique.grandbastien@loria.fr

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Pierre Mœglin

Université Sorbonne Paris Nord, LabSic

pierre.moeglin@wanadoo.fr

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