- 1 Voir l’article de Françoise Thibault (2007) qui reprend l’historique de ces propositions en rappela (...)
1Dans une communication datée du 17 juin 1999, François Peccoud, alors président de l’université technologique de Compiègne et animateur d’un groupe de travail dédié à l’enseignement à distance à la conférence des présidents d’universités, présentait les axes stratégiques pour le développement de ce mode d’enseignement, appelant à une reconfiguration de l’organisation universitaire en réponse à l’évolution d’une offre d’accès au savoir en dehors des universités. Quinze ans après ces propositions1, de multiples initiatives ministérielles ont vu le jour, interpellant l’observateur sur les conséquences de ces projets et réalisations sur l’évolution des centres de télé-enseignement universitaires (CTEU), dont les premiers ont été créés en 1963.
- 2 Voir Chantal Acheré, « Histoire de la Fédération Interuniversitaire de l'Enseignement à Distance (F (...)
2L’enseignement à distance est, depuis le début des années 19602, un axe de développement retenu par de nombreuses universités cherchant ainsi à répondre aux contraintes des étudiants dits empêchés, comprenons dans l’incapacité de se rendre sur le campus pour suivre les cours magistraux et assister aux travaux dirigés en présentiel. Depuis leur dénomination originelle aux déclinaisons variées (département d’enseignement à distance, centre d’enseignement à distance), les CTEU ont vécu des évolutions dans un contexte de fortes mutations technologiques, organisationnelles et économiques des établissements. La multiplicité des appellations actuelles en sont le témoin : centre de formation ouverte et à distance à l’université de Bourgogne, centre d’enseignement multimédia universitaire à l’université de Caen. La simple modification de dénomination ne peut traduire un quelconque changement au-delà d’une intention institutionnelle de montrer une volonté de rapprocher offre en présence et à distance, marquée parfois par la fermeture de ce centre et la relocalisation des activités d’enseignement à distance au sein des unités de formation et recherche (comme à l’université Bordeaux Montaigne).
- 3 L’auteur, outre ses travaux de recherche sur la thématique des technologies éducatives, a été duran (...)
3Dans un tel contexte, comment l’inscription institutionnelle des CTEU est-elle propice à ces évolutions ? Qu’en est-il des reconfigurations organisationnelles au sein des établissements d’enseignement supérieur et comment prennent-elles en compte de nouvelles articulations entre présence et distance ? Telles sont les questions auxquelles cet article propose d’apporter quelques éclairages à partir de la connaissance3 de ce domaine et de la mise en regard des évolutions observées dans des universités québécoises.
- 4 Conservatoire national des arts et métiers.
4Le faible nombre de recherches sur ces dispositifs nuit à la compréhension de leurs fonctions et de leur transformation (Dessus et Marquet, 2003). Les travaux réalisés à ce jour par les équipes de chercheurs traitent le plus souvent de l’usage d’un dispositif et ses conséquences sur l’apprentissage. Ils abordent marginalement les questions liées au fonctionnement des entités en charge de la formation à distance au sein des établissements d’enseignement supérieur français en lien avec leur ancrage institutionnel. Le périmètre de l’analyse présentée dans cet article est défini par les établissements membres de la FIED, sans toutefois traiter de la spécificité du Cnam4 dont les caractéristiques sont trop singulières. Cependant, les pratiques de cet établissement seront mobilisées pour éclairer des pistes de reconfiguration au sein des universités, écoles et instituts d’enseignement supérieur.
- 5 Source http://www.formasup.education.fr/, dernière consultation le 21 septembre 2014. Ce site réper (...)
- 6 Centre national d’enseignement à distance. Bien que cette entité ne soit pas un établissement d’ens (...)
- 7 Fédération interuniversitaire de l’enseignement à distance.
- 8 Identification de l’offre opérée le 21 septembre 2014 à partir des données fournies par les établis (...)
- 9 La FIED, par l’appel annuel à cotisation établie sur la base des étudiants inscrits à distance éval (...)
- 10 Il n’est pas possible de comparer terme à terme l’évolution des effectifs inscrits à la formation à (...)
- 11 Source Robert Saucier, CLIFAD, http://www.clifad.qc.ca/upload/files/documentation/avis-etudes-memoi (...)
- 12 Source : Bureau de la formation à distance, Université Laval.
- 13 Si quatre enquêtes ayant donné lieu à publication ont été conduites de 2003 à 2006 en France (enquê (...)
5Ces centres ou services, selon leur dénomination locale, sont des objets multiformes dont la contribution institutionnelle majeure est d’organiser la mise en œuvre d’une offre de formation à distance dans une diversité de contextes et de ressources. Il est aujourd’hui difficile de qualifier cette offre proposée par les établissements d’enseignement supérieur français, conséquence de sa diversité qui ne répond pas à des critères partagés par l’ensemble de la communauté. En témoigne l’hétérogénéité des 3 000 formations proposées à distance au niveau de l’enseignement supérieur5, au sein ou en dehors de l’existence d’un CTEU. Ces formations sont proposées par deux opérateurs majeurs que sont le Cned6 et le Cnam (Glikman, 2002). Les établissements adhérents à la FIED7 offrent 958 formations8, soit un tiers de l’offre nationale répertoriée, du diplôme d’accès aux études universitaires au doctorat (un établissement propose à lui seul 33 doctorats à distance). Cinq cent soixante-cinq de ces formations sont diplômantes. Trois cent quatre-vingt-treize unités d’enseignement organisées ou non en certificat complètent cette offre. Cet ensemble concerne 2 %9 des étudiants de l’enseignement supérieur et résulte davantage d’initiatives locales que d’une réelle concertation entre établissements. Les effectifs des étudiants inscrits à distance semblent ne pas avoir évolué depuis 1987 (Thibault, 2004) alors que les effectifs d’étudiants québécois inscrits à un cours à distance n’ont cessé d’augmenter depuis une vingtaine d’années malgré des obstacles rencontrés (Gérin-Lajoie, Potvin, 2011). Le nombre « d’inscription cours »10 à distance est passé dans les universités québécoises de 33 999 en 1995 à 77 208 en 2011, soit une augmentation de 227 % sur la période considérée11. Au cours de l’année universitaire 2013-2014, l’université Laval à Québec a enregistré 52 000 « inscriptions cours »12, ce qui représente 15 % des crédits délivrés (12 % en 2010-2011). L’absence de données précises sur les pratiques françaises13 exprime un intérêt modéré des acteurs institutionnels pour cette modalité. Le morcellement des travaux ne permet pas de suivre avec la précision des études longitudinales l’évolution des publics et des pratiques de formation à distance.
- 14 17,5 % des programmes proposés par l’université Laval (Québec) à la rentrée 2014 sont accessibles à (...)
- 15 Le nombre d’inscription aux MOOC proposés par la plate-forme France université numérique était quat (...)
6Parmi les raisons de cette stagnation des inscriptions françaises à distance nous relevons la nature de l’offre qui est parcellisée, limitant de fait la réalisation d’un cursus complet à distance. Certains diplômes sont proposés partiellement à distance, par exemple une seule année sur l’ensemble d’un cursus de licence. Cette absence d’action commune entre établissements qui permettrait la mise en commun de ressources et de modules limite les possibilités d’assurer une continuité et la permanence de l’accès à distance à une offre de formation en proposant des cursus complets et avec des effectifs annuels suffisants. Rappelons que seulement 1 % des formations contractualisées14 en 2005 était proposée à distance (Albero et Thibault, 2006, p. 65). Ainsi les CTEU ou structures similaires accueillent des effectifs variables (de 500 à 5 000 étudiants par an), sans que cela soit en rapport direct avec les effectifs globaux inscrits dans l’établissement ni même avec le déploiement d’infrastructures et d’équipements numériques des établissements et des étudiants. Le constat établi renforce l’une des conclusions du rapport Albero et Thibault selon laquelle « le développement des TIC n’a pas entraîné un développement inédit de l’enseignement à distance » (Albero et Thibault, 2006, p. 97). Le récent phénomène des MOOC15 (Massive Open Online Courses) viendra peut-être contredire ce constat dans les prochains mois.
- 16 Les points d’accès à la téléformation sont des lieux mis en place par des groupements partenariaux (...)
- 17 Le magazine Marianne dans son édition du 19 au 25 octobre 2013, titrait l’un de ces articles « Univ (...)
- 18 Ce terme est apparu dans le vocabulaire des acteurs de la formation professionnelle sur proposition (...)
7Depuis plus d’une dizaine d’années, de multiples initiatives institutionnelles concernent l’évolution des pratiques d’enseignement dans un contexte de technologisation des modalités pédagogiques. De grands projets ministériels, tels que celui des « campus numériques », exprimaient explicitement le vœu d’articulation entre les différentes modalités de formation en présence et à distance : « l’appel à projets campus numériques français a d’emblée pensé la formation ouverte et à distance (FOAD) comme une modalité de formation étroitement liée avec les formations classiques. Une telle position s’est construite sur la reconnaissance des multiples enjeux communs à ces deux modalités de formation. » (Averous et Touzot, 2002, p. 9). Ces auteurs notaient la diversité des pratiques de ces campus numériques : « ils peuvent aller de la simple diffusion de supports pédagogiques sous forme numérique à la formation ouverte assurée plus ou moins à distance (FOAD), en passant par le tutorat et le travail de groupe à distance, et par des services administratifs ou culturels variés » (ibid., p. 9). Discours en phase avec les enjeux d’aménagement territoriaux dans le cadre desquels la formation ouverte et à distance devient l’un des fers de lance de nouvelles modalités pédagogiques, et tout particulièrement en accompagnement des pratiques de formation tout au long de la vie qui s’est notamment concrétisée par la mise en place de points d’accès à la téléformation16 (P@T) répartis sur l’ensemble du territoire. Le début des années 2000 est marqué par ces discours promotionnels comme le rappelle cet extrait du quotidien Le Monde daté du 30 septembre 2000 dans lequel nous pouvions lire « La rentrée marque la conversion des universités aux nouvelles technologies », expression d’un messianisme17 technologique supposé faire inévitablement évoluer les pratiques pédagogiques. Notons que l’évolution lexicale par laquelle « enseignement à distance » est remplacé par « formation ouverte et à distance » est un marqueur langagier d’intention de changement. Ce vocable emprunté au registre de la formation professionnelle18 migre vers la sphère universitaire, sans toutefois que les pratiques se transforment véritablement.
8Des campus numériques à l’objectif ministériel du plan de développement de l’économie numérique, qui prévoyait la numérisation de 100 % des documents pédagogiques pour 100 % des étudiants, et plus récemment au projet France université numérique (FUN), force est de constater que l’offre et les pratiques ne semblent pas à la hauteur des attentes ministérielles et ne sont pas ancrées dans une stratégie d’établissement explicitement définie. Les intentions exprimées, soit dans les mesures pour ce qui est du projet France numérique 2012, soit dans les actions pour le projet FUN, sont similaires sans que nulle mention soit faite des organisations existantes qui ont historiquement la charge de la formation à distance dans les établissements d’enseignement supérieur :
-
« Contribuer au développement territorial en développant les pratiques de formation à distance à la fois pour les étudiants en formation initiale et les adultes en reprise d’études (en relation avec les projets de sécurisation des parcours professionnels) » (France Numérique 2012)19 ;
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- 20 Lancée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en octobre 2013, France univ (...)
« Proposer une offre innovante de formations en ligne pour répondre aux besoins croissants de formation continue » (FUN, action 5)20.
9Ces projets expriment une double intention : d’une part la centration sur un public de formation continue et, d’autre part, l’attente d’une diffusion des pratiques numériques dans une diversité de contextes pédagogiques. Les propos tenus expriment un mode de marchandisation des formations qui, par la rationalisation de la production de ressources numériques, promeut un modèle multimodal et hybride qui articule des activités d’apprentissage en présence et à distance. Ces politiques publiques partagent un enjeu commun, l’innovation pédagogique définie comme une nécessité et la voie d’un mieux faire pédagogique pour contribuer à la réussite des étudiants du premier cycle ou répondre aux besoins de la formation continue. L’argumentation est avant tout idéologique et sous-tend l’existence d’un lien fertile entre l’instrumentation de l’acte de formation et d’apprentissage et le développement des connaissances, lien dont la démonstration n’est pas avérée. La démarche récemment engagée par le ministère de l’Enseignement supérieur pour la production de MOOC en est l’illustration : l’ouverture de l’université au plus grand nombre comme vecteur d’attractivité de l’enseignement supérieur français, la mise en œuvre d’une plateforme technique nationale et la rationalisation de la production qui définit, via un cahier des charges commun, les caractéristiques de qualité de ce qui est attendu. Démarche soutenue par une forte volonté politique, qui fait de cet objet un attracteur étrange qui enrôle des équipes universitaires et interuniversitaires en dehors de tout cadre habituel d’intervention, favorisant des alignements de ressources et d’acteurs initialement étrangers les uns aux autres. Il est intéressant de noter que les premiers MOOC produits ne sont en aucun cas des exemples d’innovation pédagogique, bien au contraire. La rationalisation de la scénarisation pédagogique rappelle les modèles behavioristes, quand bien même serait développée l’évaluation par les pairs. Le recours à cette dernière modalité est par ailleurs motivé par la maîtrise des coûts d’accompagnement, qui repose sur le principe économique de la servuction en engageant l’étudiant dans la production du service par sa contribution à l’évaluation des travaux réalisés par des pairs.
- 21 La publication du rapport Bertrand « Soutenir la transformation pédagogique dans l’enseignement sup (...)
10Retenons de l’ensemble de ces initiatives entreprises depuis une dizaine d’années l’absence de transformations21 profondes en pédagogie universitaire, maintenant dans une marginalité institutionnelle et fonctionnelle la production et la diffusion d’une offre de formation à distance. Cette marginalisation est la résultante d’une hypercentralisation de la fonction « enseignement à distance » qui a bénéficié jusqu’en 1997 de crédits ministériels spécifiques (Thibault, 2007). Le constat établit par Françoise Thibault montrant que ces services « œuvrent tendanciellement plutôt dans les marges » (2006) demeure d’actualité, rappelant les faibles interdépendances entre ces services et les autres composantes de l’institution universitaire. Ces derniers ne semblent pas avoir été des acteurs proactifs de l’innovation pédagogique, sans doute en raison de l’absence de lien avec une entité dédiée à la formation des enseignants et à l’accompagnement au développement d’initiatives pédagogiques. Le développement des technologies d’information et de communication s’est davantage traduit, en dehors des fonctions gestionnaires, par un enrichissement des pratiques présentielles que par un déploiement de pratiques hybrides ou à distance. Le statut spécifique de ces entités en charge de la formation à distance est renforcé par un ensemble de mesures : définition de droits spécifiques, règles spécifiques de rémunération des enseignants. Mais n’est-ce pas ce statut et ce positionnement des services et centres d’enseignement à distance qui sont aujourd’hui à questionner ?
- 22 À titre d’exemple, le rapport Bravo recommandait pour ses bienfaits identifiés, l’usage des technol (...)
11Si les observations attestent d’un écart avec les intentions notifiées dans les documents et discours officiels, il serait erroné d’affirmer l’absence d’évolution des pratiques pédagogiques à l’ère numérique et des organisations telles que les CTEU, même si elles peuvent paraître éloignées des visées programmatiques des rapports produits au cours de cette période22. Après avoir longtemps été évoquée comme l’une des raisons du faible développement de l’offre de formation à distance en France, la reconnaissance des activités des enseignants-chercheurs inhérentes à ces modalités pédagogiques comme composantes du service statutaire participe à ces évolutions en légitimant les activités des enseignants dans le contexte de la formation à distance par un nouveau cadre réglementaire sur lequel nous reviendrons. S’il s’agit là d’une condition nécessaire, nous montrerons par la suite qu’elle ne peut être suffisante et que l’ensemble des universités françaises n’a pas à ce jour défini les modulations de services en lien avec la formation à distance.
12Traditionnellement, l’enseignement à distance a été initié au sein des établissements d’enseignement supérieur en réponse aux problèmes d’une catégorie d’apprenants traités à part, voire en marge des autres publics. Il s’agit davantage de traiter de l’exclusion d’un public que d’offrir un panel de possibilité de situations de formation à l’ensemble des étudiants. Ce régime du cloisonnement des publics a établi dès l’origine une distinction structurelle entre présence et distance. Cette marginalité se retrouve dans le positionnement institutionnel de ces services qui, s’ils sont explicitement présents dans les organigrammes, n’ont pas de représentativité dans les instances de gouvernance telles que le conseil des études et de la vie universitaire. Leur ancrage institutionnel est plus administratif que pédagogique, comme en témoignent, d’une part, leurs faibles relations avec les UFR ou départements des établissements et, d’autre part, leurs fortes relations avec les services centraux que sont les scolarités et les services informatiques, ce qui en fait des services administratifs gestionnaires. La qualité des relations entre ces différentes composantes est davantage liée aux acteurs en présence qu’à un ancrage stratégique et structurel durable de cette fonction au sein des établissements. Comme le rappelait en 2006 Françoise Thibault, « dans tous les cas, la faible implication des CA et des CEVU traduit une tendance à la marginalisation des services d’enseignement à distance perceptible au travers de la faible intégration de l’offre EAD dans l’offre globale de formation des établissements présentée sur les sites web de nombreuses universités » (Thibault, 2006, p. 39). Depuis toutes ces années, la fonction « enseignement à distance » est demeurée et demeure en majorité périphérique à l’offre de formation et n’est que très rarement mise en œuvre pour répondre à la diversité des besoins et pratiques de formation des étudiants et à l’évolution des contextes d’apprentissage. La technologisation des pratiques ne semble pas renforcer le positionnement stratégique des CTEU. Le déploiement d’une plateforme de formation à distance et la production des ressources numériques conduit les CTEU à établir des relations avec d’autres services universitaires pour bénéficier de compétences techniques dont ils ne disposent pas. Cette dynamique est parfois accélérée par l’intégration des fonctions techniques dans la direction des systèmes d’information de l’établissement. Quelques évolutions de positionnement de cette activité sont observées au sein de certains établissements qui ont intégré l’offre de formation à distance au sein de services de formation continue en raison de la proximité des pratiques gestionnaires et financières et pour offrir à ce public spécifique une offre adaptée à sa situation. Plus rares sont ceux qui ont fait évoluer l’organisation initiale vers une intégration de cette modalité directement au sein des unités de formation, cherchant par cette dynamique à donner une valeur à la formation à distance équivalente à la formation sur campus.
- 23 Thibault F. (2006), »L’enseignement universitaire à distance en France. Enquête auprès des membres (...)
- 24 L’arrêté du 31 juillet 2009 fixant le référentiel national d’équivalences horaires pour les enseign (...)
- 25 Ces analyses sont issues d’une enquête administrée en 2012 auprès des directeurs et responsables ad (...)
- 26 L’université Laval propose une enveloppe de 8 000 dollars à l’auteur d’un cours pour financer son d (...)
13Faut-il lire une expression de l’exception française qui n’a pas su adapter un fonctionnement et les règles qui régissent l’enseignement à distance (Thibault, 2006)23 ? Nous retrouvons cette marginalité dans l’organisation même de ces services qui sont souvent dotés de moyens mesurés à l’aune des enjeux stratégiques définis par les gouvernances, dont la traduction se lit dans les contrats entre les établissements et l’organisme de tutelle. Sans doute est-ce l’une des premières explications de cette exception nationale. La faible dotation en ressources humaines de ces services demeure, confirmant le constat établi par Michel Averous et Gilbert Touzot en 2002. Cette marginalité, qui traduit une contradiction entre les attentes stratégiques et les moyens mobilisés, se concrétise également par l’absence de critères de mesure de cette pratique pédagogique. La tentative de retenir comme indicateur de performance le nombre de crédits ECTS (European Credits Transfer System) obtenus à distance a très vite disparu des contrats quadriennaux puis quinquennaux, là où le ratio de crédits obtenus à distance sur le nombre total de crédits obtenus est un critère de pilotage du développement de la formation à distance dans les universités québécoises. De même, la singularité de la reconnaissance institutionnelle des heures effectuées par les enseignants explique tout autant qu’elle exprime le positionnement institutionnel des CTEU. Pendant de très nombreuses années, jusqu’en 2009, date de promulgation de l’arrêté portant sur la modulation de service des enseignants-chercheurs (2009)24, cette activité pédagogique était réalisée sous le régime spécifique des heures complémentaires, tendance confirmée en 2013 (67,2 % des heures sont rémunérées au titre d’heures complémentaires, source enquête FIED 201225). Cet arrêté du 31 juillet 2009 approuve le référentiel national d’équivalences horaires qui reconnaît par exemple la « responsabilité d’un module de formation ouverte à distance ou autre forme d’enseignement non présentiel impliquant assistance directe et évaluation des étudiants » (source : Journal officiel de la République française n° 0187 du 14 août 2009). À ce jour, la question de cette reconnaissance demeure pleine et entière dans de nombreuses universités qui n’ont pas défini les modalités de cette modularisation. Si la reconnaissance est la condition sine qua non, pour engager des enseignants dans cette dynamique, reste à mobiliser un soutien financier26 au développement de la formation à distance.
- 27 Les modalités de rémunération vont du plus simple au plus complexe : de l’équivalent en présentiel (...)
14Ainsi, la diversité des modèles économiques27 des CTEU exprime la difficulté d’ancrage de ces pratiques cherchant à attirer par une rémunération convenable d’éventuels enseignants. Cette économie, fondée pour partie sur les recettes générées par les inscriptions des étudiants, conduit certains centres à répartir la rémunération correspondant à la conception du cours sur quatre années, introduisant une notion d’amortissement.
15Cette première analyse montre l’enjeu de redéfinition de leur ancrage institutionnel et de leur mode organisationnel afin que ces pratiques ne soient plus la face cachée de l’institution universitaire (Albero et Thibault, 2004). Comme le rappellent ces auteures, « la prédominance d’un modèle traditionnel classique » fondé sur le face-à-face pédagogique et l’acte de transmission explique pour partie l’état actuel de l’offre de formation à distance conçue selon un modèle éditorial qui privilégie la production de ressources et l’évaluation de l’assimilation des contenus plutôt que l’accompagnement des apprenants dans leur processus d’apprentissage. Ce constat trouve son origine dans la procédure d’élaboration de l’offre de formation à distance. Les structures en charge de la formation à distance sont avant tout des lieux de production de ressources répondant à un cahier des charges qui résulte de la maquette d’habilitation conçue selon un mode présentiel. L’offre de formation à distance est élaborée à partir des maquettes dans 70 % des cas (source enquête FIED 2012). Certains ajustements peuvent être apportés portant sur l’annualisation de la formation, mais qu’il s’agisse des supports de cours de type imprimé ou des séquences audiovisuelles, l’usage de ces ressources est pensé selon le triptyque assimilation-entraînement-évaluation.
16Trois conséquences majeures à cette pratique limitent les possibilités de prendre en compte certaines caractéristiques de la formation à distance : les volumes horaires sont définis sur la base des heures de cours magistraux et de travaux dirigés et non pas sur la définition d’un temps d’apprentissage ; les modalités et les contraintes des évaluations sont en grande majorité identiques à celles définies pour le présentiel ; enfin, la nature des activités d’apprentissage proposées à distance est celle du présentiel, fondée sur l’assimilation de connaissances et non pas sur des pédagogies actives plus propices à l’engagement des étudiants et au soutien de leur persévérance à distance. L’adaptation des modalités d’évaluation parfois observée suppose une anticipation de la part des responsables pédagogiques afin que les instances de l’établissement puissent valider des modalités d’évaluation spécifiques. Certains dispositifs sont conçus selon des modalités plus socioconstructivistes, tout particulièrement pour les offres de formation à distance destinées à un public d’adultes en reprise d’études. Ces situations s’observent notamment lorsque l’activité d’enseignement à distance est prise en charge par le service commun de formation continue (un tiers des répondants à l’enquête FIED 2012) et/ou lorsque la formation proposée ne relève pas d’une procédure nationale d’habilitation, ce qui est le cas par exemple pour les diplômes d’université.
- 28 UNT : Universités numériques thématiques.
- 29 Au moment de l’appel à projet « Campus numérique », la FIED avait déposé un projet portant sur les (...)
- 30 Initiée en 2000 par le ministère de la Recherche et des Technologies, l’opération Campus numérique (...)
17Cette marginalisation des centres de télé-enseignement se retrouve lors des projets initiés nationalement, tels que les campus numériques, les UNT28 ou plus récemment les MOOC. Alors qu’ils sont acteurs historiques de la formation à distance, leur contribution à ces dynamiques est quasi inexistante29. Dans ces trois cas, l’hypothèse d’un temps trop court entre l’idée et le lancement effectif de ces opérations n’a pas permis l’établissement de synergies et le partage de compétences. La situation des CTEU serait-elle la conséquence d’un processus de destruction créatrice consécutive à ces projets nationaux ? L’entrée technologique de ces opérations a sans doute contribué à ce constat de séparation entre ces initiatives et les CTEU. Ces entités souffriraient-elles d’une image fondée sur la diffusion de cours par voie postale, image d’un temps révolu ? Comment, dans un tel contexte, développer l’offre de formation à distance, rappelant que les CTEU ont su maintenir leur permanence là où de nombreuses initiatives engagées suite au programme Campus numérique30 n’ont pu se pérenniser ? Avant d’apporter des éléments de réponse à ces questions nous proposons de revenir sur les publics de la formation à distance, pour mieux les connaître et identifier leurs attentes et afin d’apprécier les écarts potentiels avec les attendus de modernité promus dans les discours institutionnels. Nous mobiliserons des données d’enquêtes réalisées en France et au Québec dans le but d’expliquer les différences observées dans ces deux pays et de proposer des pistes de reconfiguration des pratiques de formation à distance.
18Il est aujourd’hui acquis que l’enseignement à distance ne peut rester une activité relevant d’un seul secteur spécialisé au sein des établissements d’enseignement supérieur. À cela plusieurs raisons : 1) tout d’abord, l’évolution des pratiques d’enseignement qui, par la mise en place d’environnements numériques de travail, proposent aux étudiants des documents pédagogiques, en présence ou à distance et développant peu ou prou des modalités organisationnelles hybrides ; 2) ensuite, l’évolution même des pratiques étudiantes qui se traduit par une utilisation accrue de supports numériques de diverses origines et revisitent ainsi la notion de distance qui s’inscrit davantage dans une recherche de proximité spatiale et a‑spatiale (Paquelin, 2011) ; 3) enfin, les projets de production de documents numériques via notamment les universités numériques thématiques (UNT) inversent une situation antérieure qui se traduisait dans l’enseignement supérieur par l’absence de manuels pédagogiques et voit aujourd’hui se constituer une bibliothèque de plus de vingt mille ressources pédagogiques numériques.
19Les porosités observées entre les pratiques en présence et à distance remettent en question la logique initiale de différenciation entre ces modalités. Les étudiants organisent leurs activités d’apprentissage dans différentes spatialités physiques, sur et hors campus, favorisées en cela par la permanence de l’accès à des ressources proposées ou non par l’établissement dans lequel ils sont inscrits et à des pratiques de communication médiatisées que facilitent les équipements des étudiants. Ces évolutions interrogent les établissements d’enseignement supérieur sur leur rôle et leur organisation.
20Ainsi, le rapport de l’étudiant au dispositif de formation à distance a fortement évolué et suppose une reconfiguration des fonctions et du fonctionnement des CTEU et autres instances similaires. La diversité du public et de ses attentes se caractérise par deux figures d’apprenants : 1) l’étudiant qui cherche à disposer de documents pédagogiques, qu’ils soient d’ailleurs produits par l’université dans laquelle il est inscrit ou par un autre établissement ; 2) les étudiants qui sollicitent via ces dispositifs un service d’accompagnement pédagogique tel que le tutorat.
21Pour les établissements, une nouvelle problématique émerge : comment maintenir l’attractivité des formations, dans leurs contenus et modalités, dans un contexte d’hyperconnectivité, d’immédiateté, de multiplication des sources informationnelles, de mobilité ? Comment est-il possible, par des pratiques de formation à distance, hybrides, bi-modales, d’accompagner les étudiants dans la réussite de leurs études ? Quelles sont les conséquences organisationnelles observées et/ou souhaitées ? Quels sont les modèles économiques sous-jacents ? Ces évolutions sont-elles la résultante d’opportunités ou bien des constructions de nouvelles organisations fondées sur de nouveaux principes d’actions explicites ? Faut-il lire dans ces dynamiques des formes transitionnelles à partir desquelles pourraient se stabiliser de nouvelles pratiques pédagogiques universitaires ?
22Cette problématique de la reconfiguration des pratiques est posée depuis de nombreuses années comme en témoigne cet extrait d’un rapport de l’UNESCO paru en 1963 qui rappelle la nécessité d’aligner à la fois la dynamique de développement des techniques et les modèles organisateurs de l’acte pédagogique :
- 31 S’il est fait mention dans ce rapport de moyens notamment audiovisuels, ce propos sera réactualisé (...)
« Il semble également que l’apparition de ces moyens31 doive conduire à des mutations profondes dans l’organisation scolaire, caractérisée par une redistribution des espaces, des périodes d’instruction (horaires, années scolaires), la coordination des tâches des professeurs (enseignement en équipes), la redistribution des pratiques pédagogiques (exercices individuels, échanges de vues en petits groupes, présentation collective à de larges groupes, soit de façon linéaire, soit avec feed-back). » (UNESCO, 1963, p. 48)
23Nous questionnerons la possibilité de reconfiguration de l’organisation des centres et services d’enseignement à distance en appuyant notre analyse à la fois sur les attentes des étudiants engagés dans une pratique de formation à distance et sur l’organisation de la formation dans une université québécoise francophone dont l’offre à distance et le nombre d’inscrits ne cessent d’augmenter depuis bientôt dix ans.
24La figure traditionnelle de l’étudiant « empêché » demeure prégnante dans les représentations des acteurs de la formation à distance, celui-ci ne disposant pas, comme en présence, d’informations sur les caractéristiques qui définissent ce public. Le recours à ces dispositifs s’inscrit dans une spatialité géographique qui correspond à l’espace vécu au quotidien par l’étudiant et dans une temporalité qui lui est propre. L’analyse des données relatives à la localisation géographique des étudiants montre, sur certains terrains observés, qu’ils se situent à proximité de l’établissement dans lequel ils sont inscrits. L’étude conduite auprès des étudiants inscrits à distance à l’université Bordeaux Montaigne a montré que 56 % de la population étudiée habitait à moins de 5 kilomètres de l’établissement dans lequel ils étaient inscrits pour les cours à distance (Paquelin, 2008). En raison de leur contexte socio-économique, leur pratique de la formation à distance est très souvent complémentaire à un suivi de cours et de travaux dirigés en présentiel (Paquelin, 2008). Cette proximité relative s’observe dans des contextes où l’espace est plus étendu : 80 % des étudiants inscrits à l’université Laval (Québec) habitent dans un rayon au plus égal à 156 kilomètres. Il s’agit moins aujourd’hui de gérer la question de la distance géographique, de l’empêchement classique à suivre des cours en présentiel, que de mettre à disposition des supports et activités pédagogiques dans un environnement numérique qui accompagne l’évolution des pratiques de formation des étudiants et de leur rapport à l’institution.
- 32 Enquête quantitative réalisée auprès d’étudiants inscrits en formation à distance à laquelle ont co (...)
25Le public de la formation à distance présente de multiples différences par rapport à celui qui suit les cours sur le campus. S’engager dans une formation à distance est avant tout un choix pour 66,7 % des étudiants qui ont répondu à une enquête réalisée en septembre 201232 portant sur les attentes d’étudiants français et québécois vis-à-vis des cours à distance. Un choix pour lequel l’argument premier est la flexibilité temporelle permise par cette modalité dans le cheminement et la réalisation des activités d’apprentissage (49 % des répondants), suivi des contraintes liées à des horaires de travail pour 22,2 % de cette population. Quand bien même cette offre existe ou existerait en présence, ils sont 19,30 % à avoir une préférence pour les cours sur campus tout en demeurant à distance et seulement 14 % des répondants choisiraient le cours en classe si cela était possible...
- 33 Ce pourcentage est rappelé dans la majorité des études convoquées dans cet article. Il dénote une c (...)
- 34 30 % des répondants à l’enquête FIED 2012 sont des services communs de formation continue qui prenn (...)
26Cette population inscrite à un cours ou une formation à distance présente des caractéristiques sociodémographiques qui la différencient de la population étudiante présente sur le campus, notamment en termes d’âge et d’occupation professionnelle. Ils sont 71 %33 à avoir une activité salariée à temps plein ou temps partiel, ce qui est plus important que le pourcentage de la population étudiante totale en cela que les stages n’étaient pas considérés comme des emplois lors de cette enquête. L’analyse des populations étudiantes françaises et québécoises constituant l’échantillon de cette étude montre des différences qui expriment une pratique plus développée de la formation tout au long de la vie au Québec qu’en France. En effet, les étudiants québécois suivant un cours à distance sont plus âgés et occupent plus fréquemment un emploi que les étudiants français. Ceci, d’une part, renforce l’intérêt de cette pratique pour répondre aux besoins croissants de formation continue et les besoins d’adaptation des modalités pédagogiques pour tenir compte des spécificités de ce public. Ainsi conviendrait-il de penser en complémentarité l’offre de formation continue et à distance, à l’instar de qu’ont entrepris certains établissements34, en reliant structurellement et organiquement deux services initialement séparés.
27Majoritairement équipés d’un ordinateur, trois étudiants sur quatre sont inscrits à un réseau social avec d’importantes variations selon les âges (47,9 % des 45 ans et plus ne sont pas inscrits sur un réseau social contre 13 % pour les 18-24 ans). Leur pratique des réseaux sociaux bien que différente (82,4 % des étudiants québécois sont inscrits sur un réseau social, alors que ce n’est le cas que de 72,6 % des étudiants français) ne se traduit pas par des attentes de type travail collaboratif. En effet, 79 % des répondants déclarent vouloir travailler seuls tout en souhaitant que les enseignants soient disponibles pour répondre à leurs questions éventuelles (100 % des répondants) et qu’ils commentent leur production (99 %). Et 86 % des étudiants qui ont participé à l’enquête souhaitent une posture proactive des enseignants. S’ils sont motivés pour s’engager pleinement dans cette modalité de formation en affirmant, pour 97,9 % d’entre eux, tout mettre en œuvre pour conduire à terme leur projet, ils expriment inquiétude et anxiété vis-à-vis de la situation qui leur sera proposée : 51 % expriment un sentiment d’anxiété, anxiété plus forte chez les étudiants français (60 % d’entre eux se déclarent anxieux en début de formation contre 40 % des étudiants québécois). Ces caractéristiques expliquent pour partie les attentes des étudiants envers l’organisation du dispositif de formation à distance et la nature de l’accompagnement proposé à la fois par les enseignants, mais également par les autres étudiants et leur propre entourage.
28Le développement des pratiques de formation à distance semble donc lié à une évolution du public d’étudiants caractérisée par une croissance du pourcentage de cette population en activité professionnelle. Ce public potentiel, à l’intérêt croissant pour des modalités de formation différentes plus en phase avec leur propre contexte, existe. S’il existe des similitudes entre les deux publics, français et québécois, quelles sont les raisons qui expliquent ce différentiel de croissance de l’offre de formation à distance entre les universités françaises et les universités québécoises, et plus particulièrement au sein des établissements retenus dans cette étude ?
- 35 Berge et Muilenburg (2001) ont identifiés trois principaux « facteurs-obstacles » au développement (...)
29Nous cherchons à présent à comprendre le développement continu de l’offre de formation à distance en appuyant notre analyse sur des données collectées auprès de l’université Laval à Québec. Nous verrons comment trois « facteurs-obstacles »35 observés par Gérin-Lajoie et Potvin en 2011 ont été surmontés pour assurer et assumer ce développement.
30Le préalable à toute reconfiguration des structures en charge de l’enseignement à distance est l’ancrage de cette pratique dans le plan stratégique de l’établissement. Les contrats quadriennaux puis quinquennaux des établissements d’enseignement supérieur français font peu mention de cette modalité. Or, comme en atteste la politique de l’université Laval, cette modalité est avant tout une réponse opérationnelle à une orientation stratégique. Cet établissement développe la formation à distance pour répondre à trois objectifs majeurs36 : mettre en place les conditions qui favorisent le recrutement d’étudiants de qualité, accroître leur fidélisation et augmenter leur réussite, accentuer l’internationalisation des programmes de formation. Ces objectifs sont réaffirmés en 2012 comme le mentionne le plan Horizon 201737 qui définit les orientations de développement : « l’Université entend accroître la flexibilité de ses programmes de formation, diversifier les horaires de cours, accentuer l’offre de cours en ligne et hybrides, et accroître l’offre de formations interdisciplinaires ». Dans ce contexte, la distance n’est pas une finalité, mais une modalité qui contribue à la réalisation d’objectifs stratégiques institutionnels. Depuis 1972, soit une dizaine d’années après les CTEU, date de création du service pédagogique universitaire de cet établissement, le nombre de cours à distance produits et le nombre d’inscrits n’a cessé de progresser. Cette évolution s’est traduite dès 2008 par la mise en place d’un bureau des services pédagogiques pour accompagner les enseignants dans cette pratique en complément des services de technopédagogie facultaires. En 2010, 49 programmes étaient offerts à distance et les 500 cours proposés accueillaient 31 000 étudiants. En 2013, l’offre est de 67 programmes complets à distance38, plus de 650 cours39 pour 47 512 « inscriptions40 cours » (40 928 « inscriptions cours » en 2011-2012). La production permanente de nouveaux cours participe à l’accroissement des inscriptions (89 nouveaux cours proposés en 2011-2012, et 91 en 2012-2013). Pour l’année 2012-2013, les étudiants à distance représentaient 14,9 % en équivalent temps plein des inscrits (au maximum 2 % en France) : 11 272 étudiants étudient à la fois sur le campus et à distance (sur 31 057 étudiants équivalent temps plein) et pratiquent cette bi-modalité pour un taux de réussite d’au moins 75 %, ce qui se concrétise par l’obtention de 138 976 crédits québécois (120 301 en 2011-2012), soit une croissance de cette modalité de formation de 13,6 % en 2011-2012 et 15,5 % en 2012-2013. Cette forte progression tient à l’exercice de la bi-modalité qui permet à l’étudiant québécois de suivre des cours sur campus et des cours à distance. Un étudiant inscrit à distance suit en moyenne 1,4 cours à distance pour un total annuel de dix cours lorsqu’il suit un programme (exemple une année de maîtrise). Cette évolution traduit concrètement les choix institutionnels et l’intérêt des étudiants pour ces modalités qui leur permettent de réaliser leur projet dans une proximité spatiale compatible avec leur vécu quotidien tant professionnel que personnel.
- 41 Le plan stratégique Horizon 2017 de l’Université Laval formule ainsi l’objectif numéro 2 : « Innove (...)
31Du côté de l’organisation, cette dynamique est soutenue à la fois par un engagement financier (300 000 $ canadiens en 2012, soit environ 211 000 euros), mais également par un soutien institutionnel assuré par le comité de valorisation des enseignements qui réunit l’ensemble des doyens facultaires. Les équipes enseignantes sont ainsi encouragées et soutenues dans le développement de ces pratiques, qui s’organisent à partir d’un environnement numérique d’apprentissage commun à l’ensemble des modalités pédagogiques proposées et dont le pivot est le « plan de cours » (ou syllabus), document contractuel qui définit l’organisation des enseignements, les ressources pédagogiques, la bibliographie et les modalités d’évaluation. Cette offre crée un potentiel de situations d’apprentissage pour l’étudiant qui peut ainsi élaborer un parcours de formation en suivant des cours sur campus et à distance. L’inscription au niveau d’un cours permet un véritable exercice de l’ouverture par la flexibilité qu’elle autorise et qui est recherchée par les étudiants dont l’un des enjeux est de rendre compatibles les exigences universitaires et leur contexte personnel41. De plus, la possibilité de se désinscrire d’un cours dans un délai de dix jours sans conséquence financière et pédagogique participe à la diminution de l’anxiété des étudiants qui, par cette possibilité de rétractation, peuvent s’assurer de sa faisabilité dans leur propre contexte et renforcer leur engagement et leur persévérance. Pour compléter ce dispositif organisationnel, les étudiants qui ont choisi de se désengager d’un cours à distance peuvent compléter leur formation pour obtenir les éventuels crédits manquants en fin de session de printemps, selon un mode accéléré.
32La reconnaissance de cette activité de formation à distance dans le service des enseignants au même titre qu’une charge de cours en présence permet de lever l’un des obstacles au développement de cette modalité. Cependant, il est une différence institutionnelle importante entre les systèmes français et québécois : le premier pratique les heures complémentaires, là où le second définit au préalable un cadre horaire à l’intérieur duquel est géré l’ensemble des activités définies par la convention collective. Un ensemble de dispositions complète cette reconnaissance, telles que l’aide à la conception de matériel pédagogique ou bien encore l’existence d’un prix d’excellence en pédagogie universitaire, distinction annuelle décernée aux enseignants dont les pratiques pédagogiques sont jugées novatrices. Dans un tel contexte, la formation à distance n’est pas pensée comme modalité supplétive proposée à des étudiants « empêchés », mais davantage comme une modalité d’aide à la réussite des étudiants en leur permettant, en fonction de leur situation, de définir une organisation de la formation favorable au succès de leur projet de formation.
33Sortir la formation à distance de la marginalité dans laquelle elle est confinée depuis cinquante ans au sein des universités françaises suppose de repenser l’organisation au niveau de l’établissement pour l’inscrire durablement comme modalité pleine et entière qui participe à la mise en œuvre de la stratégie de l’établissement. Si la figure classique de l’étudiant à distance demeure, il ne paraît plus pertinent aujourd’hui de réduire ces modalités de formation à une simple réponse à un besoin d’extension territoriale des établissements, mais bien de considérer cette modalité comme partie intégrante d’une offre de formation sans distinction.
- 42 Une université bi-modale est un établissement d’enseignement supérieur qui propose aux étudiants le (...)
34L’analyse de l’expérience québécoise qui a notamment montré une capacité à surmonter les « facteurs obstacles » ouvre des perspectives de développement de la FAD qui peut être facilité par l’exercice de la bi-modalité42, offrant aux étudiants la possibilité d’élaborer un parcours de formation qui articule des cours sur campus et des cours à distance. Les expériences conduites dans des universités étrangères sont sources d’inspiration et de repères pour initier et accompagner cette dynamique, pour autant que les universités françaises prennent le temps de comprendre les processus par lesquels les objectifs sont définis et atteints, pour que les expériences issues d’universités étrangères ne soient pas reprises comme des exemples mais acceptées comme des possibles. La pratique conventionnelle de la distance et des hybridations présence/distance sous forme de regroupements n’est pas à bannir, elle correspond à un public, notamment en formation continue, et à un public qui ne suit pas des cours régulièrement sur le campus. Ces différents formats, loin d’être incompatibles, ouvrent un large potentiel de situations qui peuvent être actualisées par les apprenants en fonction de leur contexte et possibilités. Des expériences conduites au sein d’universités françaises portant sur le développement de la bi-modalité sont prometteuses. Prenons le cas du DAEU littéraire proposé par le service de formation continue de l’université Bordeaux Montaigne selon une modalité en présence et une modalité à distance. Cette organisation ouvre la possibilité pour l’adulte en reprise d’études, d’organiser son projet de formation en fonction de son contexte personnel et de suivre les cours sur campus pour certains modules et à distance pour d’autres. Dans ce dispositif, l’étudiant a la possibilité en cours d’année de changer de modalité pour un module, pouvant ainsi passer du mode distance au mode présence et réciproquement, sans conséquences financières. Les effets de cette possibilité sur la réussite des étudiants ont été observés sur trois années avec des résultats en faveur de cette bi-modalité par rapport au tout à distance en retenant deux critères : le taux de présence à l’examen et la réussite aux évaluations (cf. tableau 1).
Tableau 1 : Taux de réussite au DAEU selon la modalité de formation choisie (source D. Paquelin, 2009).
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2005-2006
(N = 439)
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2006-2007
(N = 373)
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2007-2008
(N = 341)
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Présence
(N = 277, 63 %)
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Réussite
(N = 148, 53,4 %)
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Présence
(N = 165, 44,2 %)
|
Réussite
(N = 115, 69,7 %)
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Présence
(N = 173, 50,7 %)
|
Réussite
(N = 104, 60 %)
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Présentiel
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64,75 %
(N = 169)
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53,85 %
(N = 91)
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50,91 %
(N = 112)
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72,32 %
(N = 81)
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57,70 %
(N = 127)
|
59,10 %
(N = 75)
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Distance
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57,38 %
(N = 70)
|
42,86 %
(N = 30)
|
32,79 %
(N = 40)
|
55,00 %
(N = 22)
|
33,70 %
(N = 30)
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53,30 %
(N = 16)
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Bi-modal
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67,89 %
(N = 38)
|
71,05 %
(N = 27)
|
43,33 %
(N = 13)
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92,31 %
(N = 12)
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50,00 %
(N = 16)
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81,30 %
(N = 13)
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- 43 Paquelin D., Choplin H. et al. (2006), « Campus numérique et innovation pédagogique : l’hypothèse d (...)
- 44 ENVAM, campus numérique environnement et aménagement est l’un des rares dispositifs qui montre la p (...)
35Les CTEU sont susceptibles d’assurer une fonction transitionnelle si une véritable décision est prise par les gouvernances des établissements d’enseignement supérieur de faire de la formation à distance un levier pour répondre à l’évolution des besoins et des contextes des étudiants. Ces entités peuvent accompagner la conception de modalités pédagogiques qui articulent présence et distance, et qui tiennent compte à la fois des enjeux stratégiques, des capacités de l’organisation, des acteurs (administratifs, pédagogiques) et des étudiants à se mettre en mouvement pour établir de nouvelles pratiques, règles et normes d’action. Les reconfigurations organisationnelles nécessaires pour répondre à l’évolution des pratiques et des besoins des étudiants dans l’enseignement supérieur sont caractérisables et empruntent à de multiples dimensions. Elles supposent tout à la fois des actions de déverrouillage, au sens de E. Rogers (1962), propices à la mise en mouvement de l’organisation, et la réunion de conditions pour produire des « histoires à succès » qui montrent la capacité des acteurs et du système à produire de nouvelles formes pédagogiques. Cette dynamique engage l’institution dans un positionnement stratégique où la question n’est pas d’organiser la production de ressources numériques, mais bien la conception d’activités d’apprentissage situées dans la « zone proximale d’acceptabilité » (Paquelin, 2009, p. 105) des enseignants, du personnel administratif et des étudiants. L’enjeu est que ces processus d’innovation, engageant à la fois les dimensions « pédagogiques, logistiques, organisationnelles et institutionnelles ne se produisent pas à petite échelle » (Jacquinot et Fichez, 2008, p. 261), mais s’inscrivent dans une reconfiguration spatiale, temporelle et axiomatique, comme nous en avions fait l’analyse lors d’une recherche conduite sur les campus numériques (Érte CANIP 2003-2008, « Campus numérique et innovation pédagogique »)43. Cette transformation suppose l’acceptation d’une reconfiguration des frontières de l’action, mobilisant une diversité d’acteurs et plusieurs registres : organisationnel, compétences, économiques44, valeurs pédagogiques. La reconfiguration du registre organisationnel suppose que des acteurs partagent une vision commune et des principes communs. En complément des leviers mobilisés par l’université Laval précédemment évoqués pour surmonter les « facteurs obstacles », la mise en œuvre d’une inscription au niveau de l’unité d’enseignement et non pas au niveau du diplôme permet d’offrir explicitement aux étudiants la possibilité de suivre les cours sur campus ou à distance. Cela revient à communiquer lors de l’inscription des étudiants sur les modalités proposées (présence versus distance), pratique développée par le Cnam. Cette nouvelle organisation suppose une révision du système d’information de l’établissement afin que la modalité « à distance » soit traitée comme toute autre unité d’enseignement. Des procédures dématérialisées d’inscription sont à mettre en place pour tenir compte des candidats à la formation à distance qui sont dans l’impossibilité de répondre à des exigences administratives fondées sur une culture du papier et qui les obligent à remplir des documents imprimés ralentissant toute la procédure d’inscription avec les risques de débuter la formation avec retard. Reconfigurer les frontières de l’action suppose que les modalités présence et distance soient considérées avec les mêmes exigences de qualité, les mêmes investissements et les mêmes valeurs pédagogiques, pour constituer un ensemble de pratiques cohérentes et convergentes. Agissant comme un espace protégé, contenant les risques et les craintes inhérentes au changement, ces organisations évoluées peuvent devenir le « lieu » de l’édification d’un nouveau cadre de référence et de règles pour l’action. Un espace-temps social intermédiaire qui permet aux acteurs d’accéder à un nouveau sentiment de sécurisation professionnelle, assurant la construction et l’acceptation de nouvelles règles sociales propice à une transformation durable des pratiques de formation à distance (Giddens, 1987).
36Ce processus de transformation ne résulte pas de la simple adaptation des acteurs à un contexte nouveau. Cette reconfiguration relèverait de ce que Simondon (1964) nomme un processus d’individuation, c’est-à-dire un processus par lequel il y aurait accomplissement d’une transformation créatrice qui résulte à la fois d’une adaptation des acteurs par modification de leur relation à leur environnement et d’une co-élaboration de nouvelles règles. Cette reconfiguration ouvre vers une régionalisation de l’action qui suppose de nouvelles interactions entre services et unités de formation orientées vers l’atteinte d’un projet commun qui ne peut plus être la simple gestion des services des enseignants, mais orientées vers la production d’un service de qualité au bénéfice de l’étudiant.