Repenser l’approche critique de l’éducation aux médias et à l’information
Petit, L. (2020). L’éducation aux médias et à l’information. Presses universitaires de Grenoble.
Texte intégral
1Laurent Petit propose dans L’Éducation aux médias et à l’information. Repenser l’approche critique, paru aux PUG en octobre 2020, une genèse des différentes perspectives en éducation aux médias et à l’information en France pour ensuite proposer une approche renouvelée, notamment pour prendre en compte le développement des grandes plateformes numériques.
2Laurent Petit est professeur en sciences de l’information et de la communication à la Sorbonne Université (Inspé, GRIPIC). Il a réalisé de nombreuses recherches sur le développement de ressources numériques pédagogiques et l’industrialisation de la connaissance. Refonder l’éducation aux médias et à l’information passe selon lui par la reformulation et l’articulation de quelques notions clés : le document, l’information, le média. Il invite par ailleurs dans son ouvrage à clarifier différentes perspectives théoriques et propose des modalités d’articulation de certaines d’entre elles.
3L’ouvrage commence par une approche généalogique qui resitue l’éducation aux médias, en amont de l’horizon numérique, et redonne visibilité aux mères et pères fondateurs de ce champ de recherche et d’action. L’auteur expose notamment les travaux de Geneviève Jacquinot qui ancre la pédagogie par l’image dans une « sémiologie de la didactique » ; ceux de René La Borderie qui initie un programme d’Initiation à la culture audiovisuelle dès 1966 ; ou encore ceux Jacques Gonnet qui est à l’origine de la création du CLEMI dont il fut le directeur jusqu’en 2004 et qui marqua l’introduction de l’éducation aux médias d’information à l’école.
4Cette approche généalogique des théories fondatrices des différentes perspectives en éducation aux médias et à l’information est par ailleurs mise en regard avec les enjeux multiples d’institutionnalisation de ce champ de recherche et de pratiques. L’auteur explique notamment que c’est dans les approches pédagogiques et les usages des médias dans l’éducation (d’abord le cinéma, puis la télévision), que nait le champ de recherche-action qui lie éducation et médias, éducation par les médias et analyse des médias. De cette histoire, il ressort que l’éducation aux médias en France a pris dès ses débuts plusieurs directions : l’éducation à l’image et à la culture de l’image, l’éducation à la communication et l’éducation aux médias d’information. Ces directions manifestent déjà la richesse de ce champ de recherche en France, dont Laurent Petit souligne à plusieurs reprises la dimension sinon irréconciliable du moins profondément divergente, dès l’origine. Il explique, entre autres, comment l’éducation à l’information est devenue prépondérante, et ce notamment avec la création du CLEMI (centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information).
5Le développement des recherches en sciences de l’éducation et en sciences de l’information et de la communication n’a fait qu’en élargir le champ. Soucieux de construire un référentiel commun, Laurent Petit explore la piste de la « transliteracie » (avec Alexandre Serres, Eric Delamotte, Vincent Liquète, Divina Frau-Meigs, notamment), qui sous couvert de convergence fait le pari audacieux de rapprocher trois secteurs aux méthodologies bien distinctes : médias, documentation et informatique (Petit 2020, p. 102-103). Il montre ensuite en quoi les divergences de conception de l’information et des médias apparaissent majeures.
6Laurent Petit constate alors que loin de favoriser une disciplinarisation de l’éducation aux médias ou de la translitteracie, c’est l’informatique dont la disciplinarisation est annoncée en 2020 dans le cursus scolaire : « ce succès tient selon nous à sa capacité à se présenter comme une science enseignable à l’école », conclut-il. Des logiques politiques favorables au développement de compétences techniques annoncées dans différents rapports officiels – notamment le rapport Fourgous de 2010 sur l’équipement numérique des établissements scolaires, le rapport du CNNum Jules Ferry 3.0 (2014) qui promouvaient largement le développement de l’enseignement de l’informatique, sans compter le rapport de l’Académie des sciences de 2013 cité par Laurent Petit – peuvent aussi expliquer cette décision. Elle se situe dans la droite ligne des parcours de certification B2i, ou PIX qui cherchent à valoriser voire à développer les compétences techniques des jeunes face aux outils numériques.
7L’ouvrage de Laurent Petit propose dès lors une analyse politique et institutionnelle de la place et des conceptions de l’éducation aux médias et à l’information dans les politiques publiques. L’intérêt de cette approche est de montrer en quoi les tensions qui traversent le champ de l’EMI sont autant théoriques que politiques. Il explique notamment comment le ministère de l’Éducation nationale, malgré la place accordée à l’éducation aux médias et à l’information dans la loi et la communication officielle, n’est pas enclin à créer une nouvelle discipline chargée de l’éducation aux médias et à l’information. Le rapport Beccheti-Bizot (2007), que Laurent Petit commente, n’y était du reste pas favorable, préférant élargir le champ de compétences et les programmes des enseignants de disciplines déjà existantes en français, en histoire-géographie, en langues vivantes notamment. Les enseignants documentalistes représentent, il est vrai, un apport particulièrement précieux pour développer avec leurs collègues des activités dans ce champ, dans les établissements scolaires. Si le poids des institutions internationales et en particulier de l’UNESCO est important dans l’histoire de l’EMI, comme le souligne Laurent Petit, le rôle des politiques publiques éducatives, mais aussi celles de la régulation des médias ne l’est pas moins. L’EMI n’a-t-elle pas été sollicitée au niveau européen pour « armer » les publics face au choix d’une faible régulation des médias numériques opéré par les directives européennes SMA et SMAd en 2007 et 2010 ?
8Dans la troisième partie de son ouvrage, l’auteur propose des modalités pour articuler les regards au sein de l’EMI dans une perspective ancrée en sciences de l’information et de la communication. Il propose dès lors de combiner l’économie politique des industries du numérique et des médias audiovisuels, pour laquelle il s’appuie sur les travaux de Philippe Bouquillion, Bernard Miège, Pierre Mœglin, à la sémiotique des médias et des écrits d’écrans, pour laquelle il s’en réfère aux analyses d’Yves Jeanneret, Emmanuel Souchier et Joëlle Le Marec. Il mobilise également la socio-sémiotique ainsi que plus marginalement de la sociologie des usages. Il montre en quoi ces approches font partie des champs de recherche indispensables pour nourrir une approche nécessairement pluraliste des médias et des plateformes, auxquels on pourrait ajouter celles qui traitent de la construction de l’information journalistique ainsi que de la représentation du genre et de la diversité sociale et culturelle des publics, champs particulièrement dynamiques aujourd’hui.
9Afin d’illustrer la mise en œuvre de l’articulation de ces approches, Laurent Petit étudie dans un dernier chapitre le « cas », du moteur de recherche Google, envisagé sous l’angle de ses rapports ambivalents avec les médias d’information, mais aussi de son modèle économique et de ses algorithmes de recommandation. Laurent Petit invite enfin à poursuivre cette démarche casuiste afin d’alimenter l’exploration de la complexité et la richesse du champ de l’éducation aux médias. Cette démarche pourra à la fois nourrir de nouvelles recherches en EMI, mais aussi aider les jeunes et leurs enseignants à donner du sens à leurs expérimentations numériques quotidiennes en croisant concrètement des approches complémentaires.
10Pour mettre en perspective cet ouvrage, nous pouvons mettre en avant deux aspects : l’importance de la clarification et de la vulgarisation des concepts et approches de l’EMI et son institutionnalisation dans les cursus universitaires.
- 1 Ceci est notamment un des objectifs de l’ouvrage : Jehel S. et Saemmer A. (dir.) (2020). Éducation (...)
11Comment articuler les différentes perspectives théoriques que l’éducation aux médias et à l’information peut solliciter ? Laurent Petit propose dans son ouvrage de contribuer à cet objectif. L’enjeu est également de rendre accessibles et de mettre à disposition d’un public élargi, et notamment des enseignants, ces perspectives1. Face à la profusion actuelle de ressources institutionnelles, journalistiques ou techniques qui opacifient ces divergences, ne faut-il pas, sans attendre, étayer les ressources théoriques des enseignants et des formateurs qui, enjoints par les pouvoirs politiques de lutter contre les « fake news », ne peuvent attendre pour investir ce champ ?
12Comme le montre Laurent Petit, l’éducation aux médias et à l’information est à la fois très présente dans les discours politiques et publics et en même temps peine à trouver une place spécifique dans l’enseignement secondaire et supérieur. C’est justement dans cet objectif de renforcement et de visibilité de ces questions que la CPDirSic (Conférence Permanente des Directeurs de laboratoires en Sciences de l’Information et de la Communication), a travaillé sur les contenus et compétences de formations (DU en EMI) dans plusieurs universités et écoles de journalisme.
Notes
1 Ceci est notamment un des objectifs de l’ouvrage : Jehel S. et Saemmer A. (dir.) (2020). Éducation critique aux médias et à l’information en contexte numérique. ENSSIB.
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Référence électronique
Sophie Jehel et Aude Seurrat, « Repenser l’approche critique de l’éducation aux médias et à l’information », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 38 | 2022, mis en ligne le 22 juin 2022, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/7967 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.7967
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