Paquette, G. (2002). L’ingénierie pédagogique. Pour construire l’apprentissage en réseau. Presses de l’Université du Québec.
Concevoir une formation à distance ne s’improvise pas. Entretien avec France Henri
Plan
Haut de pageNotes de l’auteur
« Pionnière de la formation à distance au Québec, la contribution de la professeure honoraire Henri a marqué la naissance et l’essor de la pédagogie de l’enseignement supérieur à distance. Ses travaux ont permis à des enseignants-chercheurs d’intégrer les outils de communication médiatisée par l’ordinateur dans leur pratique. Première chercheuse québécoise à offrir une compréhension théorique globale permettant de mettre en place l’apprentissage collaboratif (en présence ou à distance), ses travaux ont notamment été reconnus par l’UNESCO et la Banque mondiale. » (Texte accompagnant la remise de la nomination de France Henri en tant que membre de l’Ordre d’excellence en éducation du Québec 31 mai 2022)
Texte intégral
1France Henri, professeure honoraire de l’Université TÉLUQ, vient de recevoir une importante distinction décernée par le gouvernement du Québec. Elle a été décorée en tant que membre de l’Ordre de l’excellence en éducation, et ce, en hommage à son engagement dans le milieu universitaire et la formation à distance (fad).
2À cette occasion, DMS publie le résumé d’un entretien au cours duquel France Henri partage avec nous sa vision de la problématique de la formation à distance, son expérience dans le domaine de même que les questions issues de sa pratique d’enseignante et de chercheuse dans un contexte de formation à distance.
Apprendre seul à distance, comment est-ce possible ?
3Comment peut-on apprendre à distance ? Cette question, incontournable pour toute personne qui enseigne ou forme, devient d’autant plus importante alors que l’apprenant se trouve en dehors des dispositifs présentiels. La question est d’autant plus vive qu’il s’agit de personnes aux profils très variés qui se retrouveront seules et pour lesquelles l’engagement dans une formation à distance constitue un projet important qu’il s’agit de réussir.
4Selon France Henri, pour apprendre, l’étudiant doit s’investir dans la réalisation d’activités spécifiquement conçues dans cette perspective. Cette exigence est incontournable. La lecture d’un texte, par exemple, ne constitue pas en soi une activité d’apprentissage. Cette lecture sera d’abord associée à un objectif ou au développement d’une compétence et sera traitée de manière conséquente par l’apprenant en l’associant à diverses autres activités telles que l’analyse critique, l’analyse comparative, la réalisation d’un projet, l’analyse d’un cas, une réflexion personnelle ou un débat. Les productions qui émanent de l’activité pourront être présentées sous diverses formes concrètes, par exemple un résumé, un tableau comparatif, un modèle conceptuel ou une présentation médiatisée. Ces productions pourront être commentées, critiquées, valorisées par d’autres étudiants et formateurs et par l’étudiant lui-même. Cette dernière étape d’évaluation fait partie intégrante du processus d’apprentissage. Tel que modélisé dans la figure 1, le processus d’apprentissage comprend ainsi six constituantes principales : quatre intrants incluant un objectif d’apprentissage, des ressources, une activité d’apprentissage, et la production de l’apprenant de même qu’un processus de traitement et un processus d’évaluation. Ces six constituantes sont régies par l’étudiant, par le formateur et par les autres apprenants.
5De cette représentation du processus d’apprentissage réalisée en langage MOT (Modélisation par Objets Typés) émerge l’idée du scénario pédagogique composé d’un ensemble d’activités de natures diverses qui orchestrent l’apprentissage visé. Afin de répondre aux besoins des apprenants à distance, les activités ne porteront pas uniquement sur des objectifs disciplinaires. Elles pourront également soutenir la socialisation, briser l’isolement, renforcer le sentiment d’efficacité personnelle ou susciter le plaisir de produire des connaissances et d’apprendre ensemble.
6Ainsi, dès 1990, France Henri a proposé à l’Université TÉLUQ de concevoir un premier cours basé sur un scénario d’apprentissage collaboratif réalisé à distance via un forum de discussion. Cette proposition avait pour but de briser l’isolement des étudiants et d’enrichir leur expérience d’apprentissage. Toujours ouverte à l’innovation, l’institution a relevé le défi. Cela signifiait que cette technologie, nouvelle à l’époque, allait permettre aux étudiants de travailler ensemble pour résoudre un problème, accomplir une tâche, créer une production, réaliser un projet ou encore échanger sur l’expérience d’apprentissage que le cours leur fait vivre.
7Pour réussir ce défi posé à l’ingénierie pédagogique, la recherche fut centrale et a dû sans cesse se développer. L’analyse des traces laissées par les étudiants dans les forums est alors devenue fascinante. Ainsi, l’analyse des échanges dans les forums de discussion est devenue l’objet de la thèse de doctorat de F. Henri pour en tirer une méthode encore largement citée aujourd’hui (Henri, 1992).
8Cette méthode d’analyse des forums centrée sur l’appréhension du processus d’apprentissage du point de vue social, cognitif et métacognitif vise à saisir dans quelles conditions l’acte d’apprendre peut survenir et à mieux cerner les conditions favorables pour l’usage des forums.
Quelle pratique, quelle méthode pour concevoir une formation à distance ?
9En fad, le concept de cours implique la création d’un « environnement d’apprentissage ». Il s’agit de créer pour l’apprenant un espace dans lequel il trouvera un ensemble complet de ressources pour lui faire vivre une expérience d’apprentissage optimale. Pour arriver à créer un tel environnement, trois incontournables : le recours à une méthode d’ingénierie pédagogique, une équipe aux compétences complémentaires et une pratique de « mise à l’essai » de la formation avant son déploiement institutionnel.
10Ainsi, pour la mise à l’essai d’un cours incarné dans un environnement d’apprentissage soutenu par les technologies, on fait appel à un nombre restreint d’étudiants aux profils différents. Ces mises à l’essai permettent de relever et de corriger les difficultés que le cours peut présenter pour les étudiants, mais aussi pour les personnes tutrices. Elles permettent ainsi d’évaluer les effets de la formation sur les apprentissages. Cette pratique permet de générer de précieuses informations pour modifier et améliorer le cours et faire en sorte qu’il soit plus accessible aux étudiants et qu’il leur permette d’atteindre les objectifs d’apprentissage visés.
11En formation à distance, l’enseignant ne peut être le seul artisan de son cours. Il en partage la responsabilité avec des collègues aux compétences diverses. La conception, le développement, la médiatisation, la diffusion d’un cours à distance ainsi que l’accompagnement des étudiants reposent sur un travail d’équipe. Plusieurs expertises sont alors mises à contribution : le professeur spécialiste du domaine de connaissances, le technologue de l’éducation aguerri aux méthodes d’ingénierie pédagogique, les spécialistes de la médiatisation qui vont produire les ressources de l’environnement d’apprentissage médiatisé et les personnes tutrices qui accompagneront les apprenants tout au long du cours.
12L’Université TÉLUQ a été un excellent terrain pour développer et appliquer l’ingénierie pédagogique. La MISA (Méthode d’Ingénierie de Systèmes d’Apprentissage), développée à compter des années 1990 par une équipe sous la direction du professeur Gilbert Paquette (2002), collègue de France Henri, se fonde sur la technique de modélisation des connaissances dite « par objets typés » pour représenter les différents types d’objets composant un environnement d’apprentissage.
13La MISA permet de concevoir notamment un scénario d’apprentissage constitué d’une séquence d’activités cognitives, métacognitives, motivationnelles, de socialisation et d’apprentissage. À l’image du modèle initial présenté ci-dessus (Fig.1), chaque activité intègre six composantes : 1) ressource (tout type d’entrée dans le processus) ; 2) processus (une série d’actions en vue d’atteindre une fin particulière) ; 3) sortie (résultat du processus, un objet réifié) et 4) évaluation. Cet ensemble cohérent dont les composantes sont scientifiquement imbriquées permet à l’étudiant de donner un sens à son activité.
14Enfin, ainsi que le montrera, la présentation ci-dessous de l’ouvrage de Paquette et al. (2022, à paraître), la méthode d’ingénierie des systèmes d’apprentissage (MISA) a profondément évolué au rythme de l’évolution technologique et, comme nous le verrons plus bas, porte désormais le nom de méthode d’ingénierie des environnements numériques d’apprentissage (MIENA).
Pour l’établissement, comment faire vivre des cours à distance de qualité ?
15Du point de vue de l’institution de formation à distance, une formation ne s’improvise pas. Ainsi, le travail des équipes pédagogiques qui a cours à l’Université TELUQ ne se limite pas à ce rigoureux processus de conception et de mise à l’épreuve des environnements d’apprentissage. Pour soutenir l’étudiant dans son apprentissage, il importe de lui offrir un accompagnement. Pour ce faire, les personnes en charge de cet accompagnement, personnes tutrices ou enseignants, s’avèrent des acteurs indispensables qui interviennent tout au long de la diffusion des cours pour accompagner les étudiants, répondre à leurs questions et, au besoin, communiquer avec l’étudiant afin d’assurer qu’il progresse bien, comme il l’avait prévu. Ce souci de l’étudiant, cette préoccupation constante, n’a cessé d’accompagner le travail de France Henri.
Comment assurer la pertinence sociale de la formation ?
16La formation à distance n’est pas simplement une formation de masse, une formation pour un grand nombre, comme la publicité l’indique à juste titre. C’est aussi une formation qui entend répondre aux besoins spécifiques et changeants des apprenants. Pour connaître ces besoins, à nouveau, le rôle des personnes tutrices est indispensable. Au plus près de la vie des apprenants, ces personnes sont à leur écoute et en viennent à connaître leurs objectifs, leurs questions et leurs difficultés. Ils sont en permanence attentifs au sens donné à la formation par les étudiants et soucieux de répercuter ces informations aux équipes pédagogiques.
17La formation à distance représente une « nouvelle chance » pour de nombreux apprenants, en particulier les femmes. Ce modèle de formation s’avère pour elles une opportunité unique d’obtenir un diplôme universitaire tout en assumant les charges familiales et professionnelles. Le sens qu’elles accordent à leur formation apparaît fortement chaque année lors des cérémonies de collation des grades. Moments extrêmement émouvants où les lauréates témoignent de leur reconnaissance et partagent avec la communauté universitaire, leur joie et leur fierté.
En conclusion
18Il faut souligner six contributions scientifiques remarquables offertes par France Henri et ses collègues.
19Henri, F. et Kaye, A. (1985). Le savoir à domicile. Presses de l’Université du Québec.
Dès 1985, en collaboration avec Anthony Kaye de l’Open University britannique, France Henri publie aux Presses de l’Université du Québec Le savoir à domicile, premier ouvrage en langue française sur la formation à distance. Ce collectif rassemble neuf chapitres organisés en trois parties qui mettent en évidence les enjeux, valeurs et principes de la formation à distance, les caractéristiques de l’acte pédagogique en formation à distance, de l’usage des médias et de la communication pédagogique. Le savoir à domicile est encore aujourd’hui une référence majeure pour comprendre les fondements et la problématique de la formation à distance.
20Henri, F. (1992). Computer conferencing and content analysis. Dans A. Kaye (dir.), Collaborative learning through computer conferencing (p. 117–136). Springer.
À l’aube des années 1990, la formation à distance s’ouvre à l’usage des technologies numériques. Les forums de discussions, appelés à l’époque téléconférences assistées par ordinateur (TAO) s’avèrent un lieu d’échange unique, une source intarissable d’informations sur la dynamique qui anime le groupe d’apprenants, les stratégies d’apprentissage qu’ils emploient, les connaissances qu’ils acquièrent et les habiletés qu’ils développent. Toutefois, à l’époque, les praticiens de la formation à distance ne disposaient pas de méthodes spécifiquement adaptées à l’analyse de la dynamique des échanges entre des apprenants et des apprentissages qui pouvaient en résulter. Dans ce chapitre, France Henri présente la méthode qu’elle a développée en s’appuyant sur une approche cognitiviste qui accorde une importance première au processus de l’apprentissage plutôt qu’à son produit. Le but de cette méthode étant de découvrir comment l’apprenant s’approprie l’information et comment il la traite pour produire ses connaissances et les intégrer à ses structures cognitives. La méthode proposée prend en compte la participation, la présence sociale, l’interactivité entre les apprenants de même que les dimensions cognitives et métacognitives des échanges. Elle se veut également un outil de support et de promotion de l’apprentissage collaboratif.
21Charlier, B. et Henri, F. (2010). Apprendre avec les technologies. Presses universitaires de France.
Cet ouvrage collectif présente aux lecteurs sous une forme synthétique et abordable les concepts centraux du domaine : média, dispositif, innovation. Il donne l’accès aux méthodes pour la conception des environnements d’apprentissage et propose une réflexion sur les impacts de l’apprentissage avec les technologies, aujourd’hui et demain. En rassemblant les contributions d’auteurs issus des différentes disciplines contributives de la technologie de l’éducation (informatique, psychologie, sciences de l’éducation) et les témoignages de chercheurs à l’origine de son développement ainsi qu’à des praticiens, cet ouvrage encore d’actualité constitue un incontournable en langue française pour la formation des étudiants et formateurs.
22Henri, F. (2019). Paradigmes et logiques de formation. (Hommage à Monique Linard) Dans B. Albero, S. Simonian et J. Eneau (dir.), Des humains et des machines. Raison et Passions.
Dans ce chapitre, France Henri développe un argumentaire en soutien au développement de l’autonomie de l’apprenant en tant que finalité et moyen. Elle aborde ce problème de manière pragmatique en se référant aux méthodes d’ingénierie pédagogique dont elle reconnaît la force tout en reconnaissant ses faiblesses. Elle propose une ingénierie pédagogique qui serait repensée en fonction du développement de l’autonomie et d’un usage efficace des technologies.
23Paquette, G., Basque, J., Henri, F. (2022, à paraître). Apprendre et enseigner sur le Web. Quelle ingénierie pédagogique ?
Cet ouvrage collectif porte sur l’évolution de l’ingénierie pédagogique et fournit une perspective historique du domaine. On y retrouve l’analyse des nouvelles orientations à donner aux méthodes d’ingénierie pédagogique sous l’impulsion de l’évolution récente des technologies numériques de même que les manières d’adapter le processus général d’ingénierie pédagogique à différents types d’environnements numériques d’apprentissage (ENA) qu’ils soient personnalisés, interculturels ou ouverts massivement (CLOM). Dans cette perspective de spécialisation des méthodes de l’ingénierie pédagogique, l’ouvrage présente une nouvelle Méthode d’Ingénierie des Environnements Numériques d’Apprentissage sous l’acronyme de MIENA. Au final, cet ouvrage vise à contribuer à l’actualisation des pratiques en ingénierie pédagogique et à la formation de nouveaux praticiens, formateurs et chercheurs dont nos sociétés de l’ère numérique axées sur le savoir ont de plus en plus besoin.
Table des illustrations
![]() |
|
---|---|
Titre | Figure 1 : le processus d’apprentissage |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/docannexe/image/7949/img-1.png |
Fichier | image/png, 37k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Bernadette Charlier et France Henri, « Concevoir une formation à distance ne s’improvise pas. Entretien avec France Henri », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 38 | 2022, mis en ligne le 14 juin 2022, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/7949 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.7949
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page