Éditorial
Texte intégral
1Sous un autre titre – puisque le titre initial « Distances et Savoirs » continue d’appartenir à notre éditeur antérieur – converti au tout numérique grâce à Revues.org et offrant désormais ses articles en accès libre, voici Distances et Médiation des Savoirs, désormais édité par le seul Cned. Nous sommes heureux et fiers d’en présenter le premier numéro. Si la rédaction en chef, le comité éditorial et le projet de la revue restent solidement inscrits dans la continuité des dix années précédentes, ces changements nous donnent l’occasion d’en actualiser les ambitions.
- 1 De 2003 à 2011 :
– 9 volumes publiés, à raison de 4 numéros par volume/année (600 pages/an)
– 21 numé (...)
2Plusieurs constats nous avaient conduits au lancement de 2003. Confortés par un succès grandissant au long de la décennie1 ces constats restent d’actualité. Nous en rappellerons donc les principaux, au nombre de quatre, tout en nous autorisant au passage à esquisser les perspectives nouvelles sur lesquelles ils ouvrent aujourd’hui.
3Le premier constat que nous faisions au moment de la création de Distances et Savoirs était celui de la croissance et de la diversification prévisibles de la formation à distance, de ses usages, de ses dispositifs et des modes médiatisés d’enseignement et d’apprentissage qui lui sont associés. Comme on le sait en effet, l’enseignement par correspondance a débuté au cours de la première moitié du xixe siècle et son succès s’est ensuite d’autant moins démenti qu’entre les années 1930 et les années 1970, la radio et la télévision sont opportunément venues compléter l’envoi postal. À partir du début des années 1980, toutefois, le reflux de plusieurs grands programmes, par satellite notamment, et la crise qui a gagné beaucoup de ses institutions, sans épargner les « méga-universités » à quelques notables exceptions près, pouvaient donner l’impression que l’heure du déclin avait sonné. La décennie qui vient de s’écouler montre qu’il n’en est rien : la croissance des besoins ainsi que la singularisation et la personnalisation des apprentissages corrélées à la multiplication et à la dissémination des terminaux fixes et mobiles, des applications, des programmes et des réseaux, y compris de ceux que l’on dit « sociaux », ont au contraire incité de plus en plus fortement opérateurs, institutions publiques et privées, collectivités, enseignants et apprenants à développer les pratiques à distance d’accès au savoir, en classe, au domicile et sur les lieux de travail. Au début des années 2000, l’on parlait de e-learning, de formation en ligne, ouverte et à distance, d’enseignement sur mesure et en juste à temps et de cyberformation ; les termes ont donc changé mais la vitalité de la formation à distance et le renforcement de ses liens avec les autres secteurs des industries éducatives sont plus visibles que jamais.
4Deuxième constat : nous prévoyions à l’époque que la distance n’allait pas éliminer le présentiel, mais nous pressentions que ce serait au prix de l’hybridation des pratiques et modes de formation. Ce phénomène étant aujourd’hui avéré, il nous faut envisager d’élargir le champ de la revue aux relations que la formation à distance entretient avec les quatre autres grands secteurs qui, avec elle, composent les industries éducatives : édition, informatique, ludo-éducatif et systèmes d’information et de gestion. Est-ce à dire qu’entre ces cinq secteurs, un mouvement de convergence pousse à leur confusion progressive dans le grand tout des « Tices » ? C’est en effet ce que bien des experts prédisent. La réalité nous paraît être toute autre, cependant : la formation à distance continuera de requérir un type d’organisation et de production des ressources, des modalités pédagogiques et une économie qui ne sont ni celles du manuel, ni celles du didacticiel et des environnements informatisés, encore moins celles du Serious Game et des autres produits éducatifs non formels, ni non plus celles des plates-formes. Ainsi, entre spécificité idéaltypique et mélange des genres, faudra-t-il nous montrer aussi attentifs que possible aux liens privilégiés que pratiques et dispositifs tissent dans la panoplie des industries éducatives et dans les usages de leurs produits respectifs. Il le faudra d’autant plus que, par ailleurs, nous faisons l’hypothèse qu’au cœur de ces industries, le poids des fonctions et des outils de médiation devrait aller croissant. D’où, entre « Distances » et « Savoirs », cette interposition de « Médiations » dans le nouveau titre de la revue et l’importance que nous attachons à la réflexion – engagée ici mais qui se prolongera de numéro en numéro – sur ce que médier veut dire.
5Troisième constat, fait à l’époque de Distances et Savoirs et toujours d’actualité : celui de la multiplicité des distances, géographiques, temporelles, culturelles, sociales, psychologiques, idéologiques, politiques, linguistiques, etc. Autant de distances que, simultanément, la formation aide à dépasser et qui lui font obstacle. Or, la diffraction de ces distances couvre un éventail si large que le concours du plus grand nombre de disciplines en sciences humaines et sociales et au-delà est bienvenu. Durant la décennie écoulée, notre ouverture pluri- et interdisciplinaire a déjà été significative, comme en témoigne la présence régulière, parmi nos auteurs, de chercheurs en sciences de l’information et de la communication, sciences de l’éducation, informatique, gestion, philosophie, sociologie et psychologie. D’autres disciplines, telles que l’économie, la géographie, l’histoire, la linguistique, l’anthropologie, le droit et même l’esthétique (par exemple autour de la notion de design) ont été moins présentes, alors qu’elles ont d’utiles contributions à produire. Nous comptons les solliciter plus activement pour les prochains numéros.
6Quatrième constat posé en 2003 : celui du penchant de la recherche française dans ce domaine à se replier sur les travaux académiques et hexagonaux. Aussi, dans l’éditorial du premier numéro, invitions-nous nos lecteurs et auteurs à ne pas rester « prisonniers (…) des frontières institutionnelles et des barrières linguistiques ». Et nous nous sommes nous-mêmes appliqués à nouer d’étroites relations à l’international d’une part, avec les autres grandes revues du champ, comme en témoignent les collaborations de Distances et Savoirs avec l’American Journal of Distance Education (http://0-www-tandfonline-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/toc/hajd20/current), et avec son rédacteur en chef, Michael Graham Moore, nos deux revues publiant réciproquement des articles de l’un et de l’autre (cf. D&S, vol 7, n°4/2009 notamment) et avec l’Asian Journal of Distance Education (http://www.asianjde.org/), et ses rédacteurs en chef Paul Kawachi et Ramesh C. Sharma, auquel nous avons aussi ouvert nos pages pour mieux faire connaître les réalités de la recherche en Asie (cf. D&S vol. 9, n°1/2011 en particulier ). Et nous avons d’autre part été attentifs dès nos tout premiers numéros (D&S, vol 1,n °4/2003) aux associations professionnelles concernées par la formation à distance, comme le Forum Français pour la Formation à Distance (http://www.fffod.org/). Nous poursuivons avec Distances et Médiations des Savoirs cette ouverture internationale et institutionnelle puisqu’à présent 9 pays sont représentés dans le comité éditorial, international, tout en étant francophone.
7Beaucoup reste à faire toutefois dans le champ élargi que nous nous donnons désormais : c’est à quoi nous souhaitons employer les ressources de Distances et Médiations des Savoirs, comme l’une de nos priorités de la prochaine décennie.
8Le présent numéro reflète bien nos acquis et nos projets. Continuité tout à fait concrète entre Distances et Savoirs et Distances et Médiations des Savoirs, puisque deux auteurs, Thérésa Assude et Jacques Béziat, dont nous n’avions pu publier les travaux faute de place dans l’un des deux tomes résultant de l’appel à contribution « Où va la distance » (D&S, vol9, n°3 et 4/2011) poursuivent ici l’aventure. Ils pourront eux-mêmes dans un prochain numéro de DMS évoquer l’évolution de leurs réflexions, peut-être répondre aux questions qu’ils se posaient éventuellement en 2011, mais l’on verra dès à présent que certains des thèmes qu’ils exposent ici, sont un thème récurrent et nécessaire dans notre champ, par exemple celui de l’évolution du métier de tuteur en ligne dans un dispositif numérique, comme l’analyse Jacques Béziat, ou encore celui du parcours de formation dans un dispositif hybride pour Thérésa Assude. Nous y revenons plus loin.
9Hybridation des pratiques et modes de formation ont été à l’étude dans D&S, ils le restent, et plus que jamais avec les deux études de cas successives de Barbara Class et Daniel Schneider, portant sur la conception d’une formation de formateurs dans un dispositif hybride. Dans le contexte d’une formation de formateurs d’interprètes la recherche relatée s’intéresse à deux promotions d’apprenants avec deux objectifs, celui de réaliser un modèle pour une formation centrée sur l’activité, et celui de formuler des règles de conception applicables dans d’autres contextes de formation d’adultes. Ce faisant les auteurs soulignent des constats d’ordre pédagogique, méthodologique et relevant de l’évaluation de la formation. Une évaluation dont l’évidence a priori ne signifie pas qu’elle est celle de la réalité du terrain : ainsi rappelle-t-on que « s’entendre sur l’orientation pédagogique à donner à la future formation constitue une première étape déterminante », « qu’identifier des outils cognitifs adaptés (i.e. cartes de conjecture, diagrammes d’activité) pour développer le curriculum et les activités peut se révéler utile pour projeter, de manière assez réaliste, le déroulement d’une formation » et qu’au « niveau de l’évaluation de la formation, développer une structure d’écoute du terrain, une fois que la formation est mise en place, peut s’avérer extrêmement précieux pour son évolution ». Quant aux règles de conception mises progressivement en application - et en quelque sorte déjà validées par l’accréditation accordée à cette formation par l’Organe d´accréditation et d´assurance qualité des hautes écoles suisses (OAQ) - une future recherche en 2014 permettra d’analyser leur portée tout en approfondissant la place de l’écrit dans cette formation particulière, les spécificités de l’hybridation et l’évolution des représentations sociales des enseignants.
10Un dispositif hybride, Pairform@nce, est, comme nous l’évoquions, le sujet de l’analyse de Thérésa Assude. Il ne s’agit plus de conception mais bien de l’appropriation du dispositif par les enseignants et les formateurs. Au cours de ses observations l’auteure constate que c’est bien l’hybridité, notamment l’alternance des phases présentielles et à distance, la possibilité d’échanger, de partager et d’analyser des documents avec d’autres qui ne sont pas sur le même lieu de travail qui permet d’élargir l’action didactique de l’enseignant. Le changement dans la culture professionnelle des enseignants par le biais de l’instrumentalisation numérique est en jeu, et l’auteure émet l’hypothèse qu’un contexte de formation a un potentiel fort lorsqu’il facilite l’émergence d’une expression personnelle et institutionnelle, de nouveaux besoins non anticipés au début du parcours de formation – et qu’il permet d’y répondre.
11Jacques Béziat, dans le cadre d’une approche systémique, explore quant à lui l’évolution des tâches du formateur à distance. S’appuyant sur trois études menées sur la licence en sciences de l’éducation du campus FORSE entre 2003 et 2011, il s’intéresse au travail d’accompagnement de l’étudiant qui apprend à distance. Passé le constat que « l’action du formateur s’adapte aux contraintes et aux contextes que forment la mise à distance de la formation et de la communauté, les instruments et les dispositifs techniques, et les objectifs de formation » l’auteur cherche à reformuler les rôles et les fonctions du formateur, à définir les outils méthodologiques et pragmatiques utiles au formateur face à un apprenant qu’il faut davantage responsabiliser dans son parcours de formation. Il souligne combien profonde est l’évolution du métier de formateur « en termes d’identité professionnelle, de représentions sur la relation enseigner/apprendre, et, dans une démarche réflexive, d’obligation d’avoir à se représenter sa propre action ».
12Après ces observations sur la conception du dispositif, son appropriation par les enseignants et les formateurs, ce sont les étudiants qui font l’objet d’une analyse fine dans l’article de Philippe Bonfils et Daniel Peraya. Les auteurs confrontent les dispositifs numériques institutionnels déployés dans des formations présentielles ou à distance (plateformes, campus virtuels, environnements virtuels de travail, etc.) à des dispositifs issus des sphères privées tels que les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.) ou de dispositifs collaboratifs ouverts, Google Docs par exemple. En s’appuyant sur les données récoltées lors de deux études menées auprès des mêmes étudiants à l’UFR Ingémédia, à 6 mois d’intervalle, ils s’attachent à montrer l’évolution des usages des dispositifs de type Web2.0 et les usages émergeants liés à l’apparition de nouveaux dispositifs tel le Smartphone.
13Le constat est que les étudiants, dans leur grande majorité, continuent à favoriser spontanément l’usage de dispositifs relationnels et synchrones (Skype) Autrement dit, ils semblent choisir préférentiellement des dispositifs particuliers orientés vers la réalisation d’une seule tâche ou d’un faisceau de fonctionnalités étroitement liées à la réalisation de celle-ci. Les auteurs suggèrent que « ce partage de nouvelles pratiques sociotechniques numériques, basées sur une logique de la relation, est susceptible d’engendrer un nouveau mode de prise de décision collective, une autre conception de l'identité des individus et de leur mode d'appartenance à des groupes ».
14Nous menant de la responsabilisation de l’apprenant à distance évoquée par Jacques Béziat, à l’autodidaxie individuelle ou collective Pascal Cyrot et Christophe Jeunesse analysent les traces écrites laissées en commentaire des vidéos Youtube. Leurs explorations révèlent la dimension sociale des apprentissages médiatisés par l’ordinateur dans le cadre de l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux virtuels contemporains. Elles visent à démontrer les processus d’auto-apprentissage permis par les vidéos en ligne ainsi que le fait que cet auto-apprentissage ne peut être un exercice purement solitaire. L’autoformation s’appuie sur des dimensions « sociales » et participatives, qui si elles ne sont pas totalement nouvelles, permettent une mesure plus aisée de ces interactions autour notamment des commentaires des vidéos qui se veulent explicatives.
15Ce « sujet apprenant » fut à l’ordre du jour du colloque JOCAIR 2012 (Amiens, les 6, 7 et 8 septembre 2012), et Cédric Fluckiger porte ici pour DMS un regard singulier sur le colloque. L’auteur, lui-même intervenant, avait proposé une réflexion critique sur la manière dont la recherche sur les apprentissages instrumentés en réseau envisageait la question du sujet de ces apprentissages, à partir des actes des deux précédents colloques JOCAIR (2e et 3e édition). Au-delà de ce regard sur le colloque Cédric Fluckiger invite ici « à la discussion à partir d’un point de vue et d’une interrogation théorique personnels sur les recherches telles qu’elles se sont données à voir dans ce colloque ». Et DMS se joint à l’invitation…
16Inviter à la discussion … voici un souhait renouvelé par le conseil scientifique, de D&S à DMS, et rien de tel que de commencer soi-même à jouer un rôle de médiation, quelle que soit celles des significations du terme médiation l’on choisit.
17Ainsi avons-nous invité quelques membres du comité éditorial à expliciter ce que « médiation » - désormais ajouté à notre titre - signifie pour eux. Ces premiers éclairages en appellent évidemment d’autres, approfondissant et/ou critiquant les points de vue présentés et contribuant ainsi à une explicitation des concepts et processus en jeu dans ces médiations.
18Après quoi, médiateurs eux-mêmes ?, deux lecteurs critiques nous offrent leurs notes de lecture.
19Alain Payeur livre une analyse fine et incitative de l’ouvrage « Le numérique au cœur des partenariats » coordonné par Lise Vieira, Claude Lishou et Noble Akam, Presses universitaires de Dakar, 2011.
20De son côté Françoise Thibault propose une lecture d'autant plus utilement critique de TIC et métiers de l’enseignement supérieur. Emergences et transformations. sous la direction de Marie-José Barbot et Luc Massou que nous envisageons de consacrer un prochain numéro à partir de cet ouvrage.
21Nous ne saurions clore ce premier numéro de DMS sans ouvrir d’autres pages, celles que Jean-François Cerisier nous suggère dans la bibliographie qu’il a assemblée sur le thème « La culture numérique dans le champ de l’éducation». Après avoir explicité ses choix bibliographiques il les organise en trois parties : Technologies numériques et médiation instrumentale, Dimension culturelle des usages du numérique : l’exemple des médias sociaux, La culture numérique dans le champ de l’éducation.
22Ce premier numéro offre donc une production et une expression scientifiques particulièrement denses et riches pour cette année 2012. Il témoigne bien de notre effort à la fois continu et renouvelé pour défricher avec tous nos auteurs et nos lecteurs ce champ de Distances et Médiations des Savoirs.
Notes
1 De 2003 à 2011 :
– 9 volumes publiés, à raison de 4 numéros par volume/année (600 pages/an)
– 21 numéros thématiques
– Plus de 400 auteurs
– Près de 95000 consultations d’articles en texte intégral sur le site de CAIRN en 2011.
– 4 colloques : trois au Cned (2004, 2009, 2012), un à l’Unesco en 2008
– 50 textes internationaux sur l’EAD et le droit à l’éducation, projet initié par D&S :
http://www.distanceetdroitaleducation.org/
Pour citer cet article
Référence électronique
Martine Vidal, Monique Grandbastien et Pierre Mœglin, « Éditorial », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 1 | 2012-2013, mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/78 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.78
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