Jacques Perriault, souvenirs en trois points
Texte intégral
1Parler du rapport de Jacques Perriault avec l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), anciennement AUPELF-UREF serait réducteur.
2La terminologie francophonie avec un f minuscule est, selon Onésime Reclus, ce qui désigne les espaces géographiques où la langue française est parlée. La Francophonie avec un F majuscule est, selon l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), l’ensemble des gouvernements, des états qui ont en commun l’usage du français dans leurs travaux ou leurs échanges. On parle également de l’espace francophone qui représente une réalité culturelle. Il réunit celles ou ceux qui au-delà de leur origine géographique se sentent appartenir à la culture francophone. Par extension, il existe aussi un espace scientifique francophone, de plus en plus réduit du fait de l’importance des publications en anglais.
3Jacques agissait dans ces trois espaces sans en faire réellement la distinction. Il avait cependant un tropisme particulier pour l’espace scientifique francophone, représenté au niveau institutionnel par l’Agence universitaire de la francophonie.
4Le rôle de Jacques dans les institutions francophones est déjà lointain. Pour ma part, le premier contact date des années 80 lorsque j’ai pu l’approcher via ses travaux sur le langage Logo lors d’une invitation des services culturels de l’Ambassade de France à Lisbonne. Parlant avec une grande assurance, peu enclin à s’entretenir en privé avec quiconque ne faisait pas écho aux problématiques qu’il portait, Jacques a su captiver son auditoire, fait à l’époque d’enseignants portugais francophones. Ce qui séduit immédiatement chez Jacques c’est son éclectisme. Cette terminologie philosophique me semblait convenir à la pensée de Jacques à la fois très articulée, mais difficilement classable dans un seul registre.
5Jacques Perriault a su détecter très tôt le rôle que jouerait la technologie dans l’enseignement. C’est donc naturellement que dès les années 80 il s’est investi plus que d’autres dans le langage Logo et ses applications dans l’enseignement. Il a su populariser les thèses que Seymour Papert avait développé au sein du Groupe de recherche sur l’Épistémologie et l’Apprentissage qu’il avait créé au Média Lab du MIT. Pour la première fois, l’auditoire composé de professeurs de français a pu se familiariser avec le constructionnisme, une théorie de l’apprentissage développée par Papert à partir des thèses constructivistes de Jean Piaget et promue par Jacques Perriault. L’auditoire, composé d’une centaine d’enseignants, fut séduit et lors des échanges on a pu constater que les enseignants y voyaient un complément à leur action pédagogique, les élèves pouvaient acquérir un savoir profond issu de l’action. Ce savoir faisait résonnance aux thèses de Gaston Bachelard selon lequel il existait chez chaque individu des savoirs enfouis à même d’émerger selon certaines conditions. Par extrapolation, les enseignants présents au débat déclaraient chercher à enrichir les situations susceptibles de faire réfléchir les élèves et d’améliorer leurs connaissances de base.
6Le deuxième point de la présence de Jacques en tant que compagnon de route de l’institution francophone a lieu dans les années 90. De par son appartenance au Centre national d’enseignement à distance (CNED), notamment par la création du Laboratoire de recherche sur l’industrie de la connaissance (le Laric), Jacques fut invité à participer au Consortium international francophone de formation à distance (CIFFAD). Ce consortium, créé à la fin des années 80 lors du Sommet de la francophonie à Québec, s’était donné pour mission de « coordonner » un réseau d’établissements francophones de formation à distance. Deux personnalités furent ciblées par les promoteurs de ce réseau, Sir John Daniel, vice-chancelier de l’université ouverte, l’Open University, et Jacques Perriault. Ils seront suivis ensuite par Michel Serres. Les réflexions et analyses apportées par Jacques furent bénéfiques au travail du consortium, je retiendrai deux points qui ont ensuite influencé la programmation de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), les industries de la connaissance et la nécessité de prendre en compte une norme commune. Auparavant, l’AUF portait le projet d’université par satellite (UNISAT) créée au début des années 90 suite à un rapport de Pierre Mœglin. Jacques proposa d’ouvrir la formation à distance en Francophonie en déployant au niveau international un projet d’industrie des contenus et s’affranchir ainsi de l’unilatéralité Nord/Sud. C’est à partir de ces réflexions que l’AUF commença à déployer au sein de ses campus numériques un vaste programme de formation de rédacteur de contenus pour la formation à distance. Dans ces tiers lieux universitaires, la médiation humaine compensait la présence de la technologie. Notons que ces campus numériques s’étaient fortement inspirés de la notion d’espaces numériques chers à Jacques. De plus, sans y faire jamais référence, la Francophonie, dans les années 2000, a repris l’idée de Maison des savoirs pour en déployer quatre, en République démocratique du Congo, au Burkina Faso, en Moldavie et au Vietnam.
7Le troisième point illustrant l’influence de Jacques sur certaines des actions de la Francophonie fut son travail de moteur au côté d’Henri Hudrisier et Mokhtar Benhenda dans la normalisation des accès aux savoirs. Pour Jacques, il semble que la normalisation des accès à ces savoirs fut une condition essentielle et incontournable pour, à la fois, faciliter leur circulation et respecter la diversité de leurs sources. Pour lui, cette normalisation devait contribuer non seulement à combler le fossé séparant les pays du Nord et du Sud, mais aussi à préserver le pluralisme culturel de l’humanité. Ce sont des principes fondateurs de la Francophonie politique. On pourrait y ajouter le pluralisme linguistique. Jacques a su convaincre l’AUF de l’importance de s’investir au plus haut niveau de l’ISO dans un tel chantier tout en souhaitant rester à distance de l’institution afin de préserver sa liberté de chercheur. Il a été l’instigateur avec Henri Hudrisier de la tenue d’un comité de normalisation ISO SC36 dans les locaux de l’AUF, place de la Sorbonne, et a permis une rencontre des membres de ce comité avec le président du Sénat français.
8Comme nous pouvons le constater à travers cette très brève évocation du compagnonnage de Jacques avec la Francophonie, il a su, par son pragmatisme, sa bienveillance et son tropisme pour l’interdisciplinarité, éclairer un certain nombre de chemins tout en gardant sa distance critique. La Francophonie dite scientifique doit à cet humaniste d’avoir été dérangée dans ses certitudes.
Pour citer cet article
Référence électronique
Didier Oillo, « Jacques Perriault, souvenirs en trois points », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 37 | 2022, mis en ligne le 08 mars 2022, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/7444 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.7444
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page