- 1 Le générique masculin est utilisé sans discrimination et uniquement dans le but d’alléger le texte.
1Dans le numéro 33 de la revue Distance et médiations des savoirs, Peraya (2021) interroge le rapport et le recours à la recherche des ingénieurs pédagogiques, s’appuyant notamment sur l’enquête de Christensen et Osguthorpe (2004) pour qui « la représentation que construisent les ingénieurs pédagogiques à propos des théories du design pédagogique, des ressources et des informations professionnelles joue un rôle dans les décisions stratégiques qu’ils sont amenés à prendre au quotidien. Aussi leur objectif est-il d’identifier l’utilisation consciente que font les ingénieurs pédagogiques des théories dans leurs choix stratégiques ». Il évoque aussi les études de Basque et ses collègues (2014) qui indiquent que « les théories sont utilisées de manière variée et importante, que l’attitude des ingénieurs pédagogiques1 est ambivalente, car souvent ils ne savent comment les appliquer, enfin que les théories qu’ils utilisent sont souvent limitées et qu’ils confondent les théories prescriptives et descriptives. »
2C’est sur cette utilisation et la conscience de cette utilisation de concepts et de théories issus de la recherche que nous souhaitons porter notre regard et partager notre pratique dans le cadre de nos missions au sein du Centre National d’Enseignement à Distance (CNED). Nous constituons l’équipe du service « Métiers de la conception de la Direction des Formations et Services ». Notre service a un rôle de coordination et d’animation métier en direction des « responsables de formation chargée d’ingénierie de formation » (RF-CIF) pour l’ensemble des missions relevant de la conception des contenus et des services pédagogiques. Nous travaillons sur les processus d’ingénierie, sur l’accompagnement des auteurs et sur la résolution de problématiques d’ingénierie pédagogique telles que l’évaluation sommative par les QCM ou encore la préparation à distance des épreuves orales d’examen. Nous avons toutes les trois préalablement occupé des postes d’ingénieure pédagogique, de RF-CIF au CNED et nous avons également une expérience antérieure dans l’enseignement en présence. Ces expériences nous confèrent une connaissance du terrain indispensable à nos missions.
3Les RF-CIF sont répartis sur plusieurs sites géographiques, chacun ayant des portefeuilles de formations spécifiques et donc des pratiques et des problématiques de conception particulières. Un des objectifs du service « Métiers de la conception » est donc d’harmoniser, à un niveau transversal, des pratiques et des modèles de familles de formations afin non seulement de créer une identité pédagogique « CNED », mais également de documenter et accompagner le travail des ingénieurs de formation au regard des contraintes en termes de délais et de moyens qui sont les leurs aujourd’hui. Dans ce cadre, nous pilotons des chantiers de modélisation ; ceux-ci sont conduits par famille de formations (BTS, Collège, Concours, etc.) ou par type de parcours (Blocs de compétences, etc.) dans le cadre d’un travail collaboratif – à visée normative – avec les différents sites.
4Dans cette contribution, nous développerons ainsi cet aspect de nos missions qui est au cœur de nos préoccupations : la modélisation. Nos collègues Rozenn Jarnouen et Isabelle Mauclair (2021) indiquent que « La modélisation est aujourd’hui l’un des enjeux forts autour de l’empreinte de l’établissement. Elle répond aux nécessités d’optimisation des coûts de conceptions, et à l’harmonisation des contenus pour étendre un style et un savoir-faire propre au CNED, créer ’une marque CNED’. »
5Si le CNED est l’opérateur public de l’enseignement à distance pour la continuité de la scolarité des élèves ne pouvant se rendre en classe (décret 2009-238 du 27 février 2009), il est aussi un organisme de formation tout au long de la vie en étant aux côtés des adultes qui entament un parcours de formation. Permettre d’acquérir de nouvelles compétences durant sa vie active pour le retour ou le maintien dans l’emploi, pour la reconversion ou encore pour sécuriser ou optimiser les parcours professionnels, c’est l’une des missions du CNED, expert de la formation à distance (FAD). Le CNED est impliqué dans la recherche en matière d’ingénierie de la FAD à travers l’édition de la revue scientifique Distances et Médiations des Savoirs (DMS) et constitue actuellement un terrain de recherche pour une thèse sur les données d’apprentissage.
6En tant qu’institution de formation à distance « native » (Peraya, 2021), le CNED dispose d’un « mode d’organisation et de gestion de type industriel qui implique, notamment, une stricte division du travail » (ibid.) et une spécialisation des tâches. Ce type de gestion implique bien entendu la maîtrise des délais et des coûts de production et de manière de plus en plus prégnante, une ingénierie basée sur la granularisation et la modularisation qui suppose un référencement précis dans notre système d’information pour permettre la réutilisation (re-use) et le réagencement (re-arrange) des grains pédagogiques pouvant servir différents dispositifs de formation.
7Dans un contexte en mutation, où le métier d’ingénieur pédagogique évolue au fil des changements conjoncturels (réformes, nouveaux référentiels, évolution de la formation à distance, etc.) comme en témoignent les propos de Rozenn Jarnouen et Isabelle Mauclair (2021), la mission de conception des dispositifs de formation est le lieu de rencontre des activités professionnelles des RF-CIF. C’est dans ce cadre et avec la pluralité des profils d’ingénieurs pédagogiques au sein du CNED que la modélisation des formations constitue le principal point de convergence des activités et offre l’occasion de développer une intelligence collective riche de cette diversité pour laquelle la recherche agit comme un phare, un repère autour duquel se regrouper.
8La modélisation est la conception d’un modèle. Le dictionnaire Le Robert2 précise qu’il s’agit de la présentation (d’un phénomène complexe) sous forme de modèle formel. Selon l’Encyclopédie Universalis3, la notion de modèle a une origine technologique : le modèle est la « maquette », l’objet réduit et maniable qui reproduit en lui, sous une forme simplifiée, « miniaturisée », les propriétés d’un objet de grandes dimensions. Pour Morgan et Morrison (1999), un modèle est un instrument de médiation : c’est un outil d’investigation qui opère la médiation entre la théorie et le réel. Cette dernière définition permet d’éclairer la démarche de modélisation au CNED, pilotée par notre service. En effet, entrer dans une démarche de modélisation, c’est construire un outil de connaissance répondant à des problématiques de terrain à la lumière de théories et concepts issus de la littérature scientifique. Les propos de Marchive (2003) peuvent compléter cette approche : « Le modèle théorique n’est donc jamais pure construction mentale. Il est toujours lié, de manière plus ou moins directe, au monde (objet, action) qu’il entend modéliser et a donc toujours, même implicitement, une source empirique. »
9La modélisation a d’abord une fonction de conception et pour ce faire, elle en regroupe tous les acteurs (quels que soient leur métier et leurs autres missions). Par sa démarche, elle répond à la nécessité d’avoir des « modèles mentaux partagés » au sein de notre institution (Basque, Zakorovotnaya et Boursier, 2014 cités par Peraya, 2021). La démarche de modélisation entre dans le cadre de travaux collaboratifs impliquant plusieurs métiers. Les ingénieurs pédagogiques sont associés à ces chantiers en fonction de leurs portefeuilles de formations, de leurs préoccupations du moment et/ou de leurs appétences. À travers des ateliers en commun animés par notre service « Métiers de la conception », il s’agit de résoudre une ou plusieurs problématiques. En partant d’une analyse basée sur des données de terrain, recueillies notamment au travers de questionnaires d’évaluation des formations, telles que les besoins et attentes des publics cibles, les contraintes internes et externes, nous formulons des problématiques à résoudre. Les travaux se déroulent de manière collaborative et impliquent chaque participant dans une réflexion collective. Cette démarche de travail permet de fédérer les acteurs autour d’objectifs communs, de problématiques à résoudre ensemble, grâce à la richesse du collectif et la diversité de profils des acteurs. Par exemple, pour la modélisation des formations en blocs de compétences, nous avions identifié quatre grandes problématiques relatives au public adulte en formation continue, notamment l’individualisation de parcours. Par cette démarche, la pratique de modélisation constitue le point de convergence des pratiques de conception et apporte une dynamique de pensée axée sur le diagnostic de problèmes, l’exploration d’hypothèses de solutions et la résolution de problématiques complexes.
10Les travaux de modélisation sont organisés selon différents chantiers identifiés lors de l’analyse de départ et la problématisation des sujets. Pour mener ces chantiers, une série d’ateliers est organisée, à échéances régulières, selon le canevas suivant : la phase 1 est l’occasion de présenter le chantier, le contexte et la méthodologie de travail ; la phase 2 prévoit un point sur l’existant et dessine des perspectives ; la phase 3 analyse la couverture des besoins par l’existant et les besoins restant à couvrir : la phase 4 est dédiée à l’idéation et la recherche de solutions appuyée par l’état de l’art ; enfin, la phase 5 est le moment d’opérer des choix entre les différentes solutions envisagées. Les phases 4 et 5 sont les plus nourries par les apports de la recherche qui apporte des pistes de solution et aident à la prise de décision. Ces étapes de modélisation à un niveau transversal sont ainsi l’occasion d’amener des résultats de recherche dans une démarche collective. Les ateliers conjuguent les savoir-faire et savoirs des ingénieurs pédagogiques et les apports de la recherche pour poser des bases de réflexion, mettre en regard et débattre. Partir de théories et concepts permet de poser une vision « scientifique » et d’harmoniser les concepts retenus dans des modèles partagés au niveau de l’établissement. Pour reprendre l’exemple de la modélisation des formations en blocs de compétences, ces formations s’adressant à un public adulte, nous avons redéfini nos représentations des spécificités de l’apprentissage des adultes grâce aux travaux de Philippe Carré (2020).
11Peraya souligne « l’inadéquation des textes scientifiques aux besoins des acteurs de terrain », une inadéquation que l’on pourrait vivre du fait de la complexité de manipulation des concepts, des méandres des références, mais surtout de la profondeur des propos qui rendent difficile le retour à l’application sur le terrain. La démarche de modélisation peut dépasser ce manque d’adéquation, car elle colore les textes scientifiques d’une surface beaucoup plus opérante. Les textes sont examinés, lus à travers le prisme d’une recherche de solution à une problématique. Cette démarche oriente insensiblement vers des textes scientifiques qui compilent des résultats ou en dégagent des applications, et vers les neurosciences qui sont celles qui ont le plus avancé ces dernières années, venant conforter ou déstabiliser des paradigmes pédagogiques. Le plus souvent, les résultats de recherche sont des ingrédients d’organisation et de construction des ateliers, des sources d’inspiration pour trouver l’angle d’attaque des sujets à aborder et des échanges à mener au sein du groupe de travail.
12Utiliser les résultats de la recherche est donc une culture commune au sein des pratiques de modélisation ; la recherche constitue un point d’ancrage. Inclure cette pratique dans le processus de conception dans notre institution a comme effet d’harmoniser les pratiques entre les ingénieurs pédagogiques, en nourrissant la pensée par des compléments d’enquête, des inspirations et des explorations.
13À l’inverse, certains objets de notre réflexion n’ont pu trouver d’ancrage dans la littérature scientifique. C’est le cas du sujet de la métrique du temps-apprenant en apprentissage à distance : parallèle entre le temps-apprenant à distance et en présence, le temps passé à la lecture de tel ou tel type de support, etc. Lors de notre quête de ressources sur cette problématique dans les résultats de recherche sont apparus un grand nombre d’articles sur le rapport au temps des apprenants (désynchronisation, gestion du temps, engagement), mais peu voire pas, sur les méthodes de définition du temps-apprenant en FAD. Nous nous sommes donc appuyés sur les travaux de Philippe Carré (2020) pour poser des éléments de cadrage sans toutefois pouvoir établir une méthodologie formelle : « Il s’agit aujourd’hui de passer d’une métrique de la formation basée sur l’unité de temps passé par les stagiaires devant leur formateur à une équation, certes beaucoup moins simple, des temps nécessaires à l’apprenant, acteur coresponsable du développement de ses compétences, pour atteindre des objectifs de résultat. »
- 4 Hodent, C. (2021). Le game UX appliqué à la conception d'une ressource ludo-éducative. Conférence I (...)
- 5 Principes présentés notamment dans le cadre du colloque In-Fine en 2021 à l’occasion de la conféren (...)
14Élargir le champ de notre veille vers des domaines moins évidents, mais tout aussi enrichissants pour nos pratiques de conception est aussi une condition pour intégrer des solutions innovantes aux modèles que nous concevons. Besma Ben Salah (ce numéro) conforte cette position en évoquant l’apport de la psychologie cognitive et des neurosciences pour l’expertise techno-pédagogique. S’inspirer notamment de la psychologie cognitive appliquée à la conception de jeux vidéo nous apporte de nouveaux principes et concepts qui viennent inspirer, éclairer et parfois débloquer des chaînes d’idéation. C’est le cas des principes sur lesquels s’appuie Célia Hodent (2021)4, docteur en psychologie cognitive, pour la conception de jeux vidéo5. Ces principes sont particulièrement inspirants dans nos travaux, car ils sont applicables à nos environnements de formation qui s’appuient sur les technologies numériques (e-learning) ; ils contribuent ainsi à la conception d’espaces d’apprentissage optimisés du point de vue de l’expérience utilisateur (User eXperience).
15Certains chantiers de modélisation s’appuient moins sur la recherche : ce sont les cas où les ingénieurs pédagogiques disposent de nouvelles pratiques et de résultats de recherche digérés et déjà appliqués dans leurs pratiques de conception. Les consensus sont ainsi plus évidents à établir, les applications de concepts déjà expérimentés. Dans ces situations, le retour d’expérience et l’analyse qui en découle constituent un travail réflexif, un va-et-vient entre la pratique et la re-problématisation dans un nouveau contexte de conception.
16Selon Peraya (2021), « problématisation et état de l’art marquent le point de passage entre les postures de praticien réflexif et de praticien-chercheur ». Nos pratiques pourraient ainsi s’inscrire dans une posture de praticien chercheur, en partie seulement, car par souci d’opérationnalisation, nous cherchons dans la littérature scientifique des travaux de recherche déjà effectués avec des propositions de solutions et de mises en application et parce que notre travail ne suit pas les protocoles de la recherche ni ne publie de résultats. La notion de praticien modélisateur pourrait naître d’une posture à mi-chemin entre le praticien réflexif et le praticien chercheur qui « s’affirme dans la problématisation des situations : si le praticien réflexif reste dans une trajectoire ancrée dans la pratique, le praticien chercheur les problématise dans une perspective théorique et épistémologique » (Schön, 1994, cité par Peraya, 2021). Le concept de “passeur” auquel fait référence Céline Douzet dans ce numéro vient éclairer cette posture et nous invite à pousser plus avant la réflexion sur ce rôle à jouer.
17Ces moments de réflexion collective sont l’occasion pour les ingénieurs pédagogiques de prendre du recul sur leur approche de l’ingénierie et de la conception et ainsi de remettre en conscience leur utilisation des résultats de la recherche. D’autant que les échanges riches et constructifs qui naissent dans les ateliers de modélisation, notamment à l’occasion de l’introduction de notions et de concepts issus de la littérature scientifique, témoignent, comme le constate Peraya (2021) dans son article « S’intéresser aux acteurs de l’ingénierie et de l’accompagnement pédagogique », du haut niveau de la formation des ingénieurs pédagogiques.
18Dans nos pratiques de modélisation, la recherche est une aide à la décision, elle permet d’émettre ou de valider des hypothèses de solutions. Dans cette démarche, la modélisation aide à prendre de la distance, à remettre en conscience des théories derrière nos choix et à convaincre les ingénieurs pédagogiques de l’intérêt de les expliciter et les partager. L’utilisation consciente de la recherche est la condition pour aller vers la création progressive d’un système partagé d’outils intellectuels (concepts, théories, mécanismes, état de fait, grandeurs estimées, inférences) directement utilisables dans la pratique de conception du CNED. Cette démarche rappelle celle du conseiller pédagogique (Schaub, ce numéro) dans son rôle de facilitateur de compréhension commune de théories et de modèles pour les rendre opérationnels.
19S’appuyer sur la recherche en opérant une veille sur les sujets qui nous préoccupent est aussi le moyen de vérifier si les théories sont toujours d’actualité, si elles ont évolué ou ont été révisées. Prenons l’exemple du neuromythe des « styles d’apprentissage » VAK (visuel, auditif, kinesthésique) populairement adopté dans le milieu de l’éducation : « Si un neuromythe contient une part de vérité (p. ex., il est vrai que les sensations visuelles, auditives et kinesthésiques sont traitées par des régions distinctes du cerveau), il contient également une part de fausseté (par exemple, il est faux d’affirmer que le cerveau de chaque individu possède une région sensorielle « dominante » qu’il faut stimuler davantage pour optimiser l’apprentissage, puisque les diverses régions sensorielles corticales partagent entre elles de nombreuses interconnexions synaptiques) » (Rousseau, et al., 2018). Cette étape de re-questionnement et de vérification des savoirs que nous avons intégrés mentalement lors de notre formation ou à travers nos pratiques professionnelles est indispensable pour sécuriser le chemin qui doit nous mener à la résolution des problématiques dans le cadre de la construction d’un modèle de formation. Par l’ajustement des représentations mentales, elle permet également la construction d’une base commune de « modèles mentaux ».
20La présence, dans certains ateliers, de métiers autres que celui de RF-CIF, graphiste par exemple, contribue à cette externalisation des savoirs. La confrontation à d’autres visions ou approches agit comme une activité réflexe : celle de la recherche de points d’appui solides, les concepts. En évoquant la dimension symbolique de l’image (fixe ou animée) et son effet sur l’apprenant, notre collègue graphiste a rapproché les concepts de signifié/signifiant de nos préoccupations pédagogiques. Remontés à la surface de la conscience, ils permettent de mettre en évidence les sciences multiples, fonction des parcours de chacun, à l’œuvre dans l’ingénierie de formation.
21On constate à travers nos pratiques que la FAD se nourrit des sciences de l’éducation et de la formation, des sciences de l’information et de la communication, des sciences techniques, des sciences liées au travail telles que l’approche psychosociologique et l’approche ergonomique de la formation des adultes. Dans ce contexte, notre service Métiers de la conception constitue un « nœud », selon la terminologie informatique, de trois types de savoirs : les savoirs techniques d’ingénierie qui permettent de construire concrètement un dispositif de formation, les savoirs scientifiques de la formation qui explique comment ce dispositif fonctionne, et l’ensemble constitué de ces savoirs et de l’approche UX design qui permet de concevoir un dispositif centré sur l’expérience de l’utilisateur.
22Pour Las Vergnas (2017), la formation est « un champ de pratique et un objet de recherche nourris de concepts importés ». Il évoque trois catégories de concepts : concepts importés, adaptés, et les concepts originaux issus « d’objets n’appartenant qu’aux sciences de l’éducation comme les « rapports aux savoirs ». » L’utilisation consciente de la recherche passe ainsi par l’identification des savoirs issus de ces différentes disciplines et des disciplines elles-mêmes qui viennent irriguer nos travaux de modélisation.
23Les références présentées ci-après pour illustrer notre utilisation de la recherche ou de travaux inspirants au sein des pratiques de modélisation sont intégrées à la documentation destinée aux RF-CIF pour accompagner leur mission de conception : modèles (design structurel, pédagogique, éditique, d’accompagnement), fiches pratiques de mise en œuvre, briques pédagogiques transversales, etc.
24Trois sources majeures irriguent nos récents travaux de modélisation du collège : la méta-analyse d’Hattie (2017), la conférence de Masson (2019) et la documentation du conseil scientifique de l’éducation nationale sur la métacognition et les piliers de l’apprentissage.
25La question de l’autonomie, très présente en FAD puisque l’apprentissage à distance suppose un prérequis d’autonomie, est particulièrement prégnante pour le collège, l’analyse préalable mettant en lumière un besoin d’autonomie à deux niveaux, celui de l’élève et celui des adultes accompagnateurs qui déclarent ne pas disposer des ressources pour le faire. Dans notre quête de sources documentaires, deux titres d’articles retiennent notre attention. Le premier, « Les voix de la distance », apporte une définition à forte corrélation avec celle qui compose notre problématique : « L’autonomie ainsi visée se caractérise par une capacité comportementale à utiliser les ressources mises à sa disposition, notamment les ressources technologiques, par une capacité cognitive à conduire et analyser son apprentissage, ainsi que par une capacité identitaire permettant de saisir le sens et les moyens de son apprentissage. » (Barbot et Jacquinot-Delaunay, 2008 cités par Guillemet 2014, paragraphe 12). Le second, « Accompagnement à l’autonomie d’apprentissage dans les cours en ligne offerts aux masses », pose une question proche de notre problématique (Brudermann et Pélissier, 2017). Toutefois, cette étude de cas empirique et interprétative ne peut apporter de solution directe adaptée au cas des élèves de collège. Brudermann et Pélissier nous guident toutefois vers le concept d’autorégulation (Wenden, 1998) – c’est-à-dire la capacité des individus à prendre le contrôle de leur apprentissage – et vers le raisonnement fractal « raisonner de manière fractale : un groupe de concept est lui-même regardé comme étant un concept lui-même » (Las Vergnas, 2017) et par un effet collatéral vers celui de sentiment personnel d’efficacité (Bandura cité par Carré, 2004). Ce nouveau chemin théorique nous fournit l’inspiration pour trouver notre propre solution. Ainsi de rebonds en rebonds, sans trouver dans les articles de situations suffisamment proches pour être exploitées directement, nous retournons à la question de base, « comment apprend-on ? ». Dehaene (2013) propose un cadre, dessiné par des résultats de la recherche en sciences cognitives, composé de quatre piliers : l’attention, l’engagement actif, le retour sur erreur et la consolidation. Ces piliers nous offrent des pistes pratiques, opérationnelles à présenter aux apprenants et à leurs parents et elles sont immédiatement adoptées par les membres du chantier. Une culture commune s’est construite autour de ces quatre piliers qui fondent à leur tour la stratégie pédagogique du collège. Comment alors appliquer ces principes dans la conception pour que les apprenants puissent retrouver ces appuis ? Inspirés, alignés sur les piliers, nous procédons par hypothèses et retenons qu’avec la création de situations d’engagement, l’apport d’information sur les objectifs de ces situations et la mise à disposition d’outils, nous pourrons contribuer à développer un sentiment d’efficacité personnelle. Masson (2019) apportera la touche finale, la touche décisionnelle, avec ses trois principes pour apprendre et enseigner dans le supérieur : activer les neurones à plusieurs reprises, espacer les activités et cultiver un état d’esprit dynamique. Nous sommes loin du supérieur, pourtant, cette présentation des principes, appuyés sur les résultats de la recherche, qui fait le travail de sélection des textes transposables et généralisables, est très précieuse, en temps, en efficacité. C’est à la fois une source d’inspiration et de décision. L’inspiration, car les participants de l’atelier de modélisation ressentant un sentiment de créativité, ont pu s’émanciper de leur modèle actuel. Décisif, car il a permis de rallier les différents points de vue autour d’un apport scientifique. Le troisième principe, « cultiver un état d’esprit dynamique », en boucle avec l’autorégulation, nous a poussés plus avant sur la notion de feedback, pour laquelle la méta-analyse d’Hattie (Proust, 2020) permet de préciser les feedbacks qui produisent des effets. Tous ces éléments sont inscrits dans le modèle du collège.
- 6 Ludovia Magazine (2013, 4 juin). Interview de M. Lebrun. Les compétences au cœur du dispositif péda (...)
26Dans le cadre des chantiers, la problématique de l’évaluation est récurrente. Se référer à Lebrun6, Paquay et Roegiers (1999) pour l’évaluation des compétences, Huver et Springer (2011) pour la distinction entre contrôle et évaluation, De Ketele et Roegiers (2009) pour les étapes du processus d’évaluation ou Meirieu (1991) pour la question de l’individualisation, a permis de confronter, de confirmer ou d’illustrer différentes approches.
27Apporter un sentiment de proximité dans la FAD nécessite un système de réponse composé de plusieurs briques pédagogiques. La typologie descriptive de Motheeram, Herselman et Botha (2018) relative aux fonctions des Open badges nous a permis de cibler les badges de motivation et de réussite en réponse au besoin des adultes en formation professionnelle continue. L’utilisation du principe d’affordance par Celia Hodent dans la conception de jeux vidéo (la forme suit la fonction) a accompagné nos choix de représentation des repères dans le parcours apprenant. Les espaces d’apprentissages de la designer Rosan Bosch7 nous ont inspiré une classification par lieu de réalisation (« Mountain », « Campfire », « Cave », etc.) d’activités stimulantes que nous étions en train de modéliser. Enfin, la typologie de fonctions tutorales proposée par Jacques Rodet8 a alimenté nos réflexions lors de la conception d’un dispositif d’accompagnement destiné à lutter contre l’abandon et rompre l’isolement du public adulte en formation continue.
28Le besoin du CNED demeure paradoxal : industrialiser tout en permettant l’individualisation des formations, normaliser sa conception tout en maintenant l’esprit de création, fabriquer une identité singulière tout en étant composé d’identités multiples. La modélisation, par sa démarche et par le recours aux résultats de la recherche, semble permettre de se libérer de ce paradoxe. Au cours des modélisations des formations du collège ou des formations en blocs de compétences, la recherche a eu des effets d’ancrage autour de concepts, anciens et nouveaux, et de décentrage par rapport à son savoir et savoir-faire, effets bénéfiques pour permettre le partage et le choix de solutions lors de la constitution des modèles. Tous les savoirs, scientifiques, théoriques, et les savoirs d’expérience sont convoqués pour la résolution des problématiques examinées lors des chantiers de modélisation. Les résultats de la recherche sont apportés par notre équipe et ponctuellement par les participants. Ce recours pourrait être renforcé, car il constitue une véritable source de consolidation de nos pratiques d’ingénierie pédagogique, stimule la créativité et renforce le sentiment de compétence des ingénieurs pédagogiques. Faut-il pour cela trouver les résultats qui puissent nous concerner directement. Accéder à la littérature, la consulter (et se réapproprier les codes et protocoles), en dégager les principes opérationnels, suppose un travail conséquent. La technique de la veille n’est pas complètement adaptée, du fait de notre démarche de résolution de problématiques. Peut-être que davantage de méta-analyses, de recherches appliquées ou de conseils pour s’orienter dans la littérature scientifique nous permettraient une meilleure exploitation des résultats. Une autre piste serait de renforcer le lien entre nos recherches de solutions et les solutions que la recherche nous offre en constituant un terrain pour la recherche-action ou la Recherche orientée Conception (RoC). Pour nous, l’intérêt de combiner les visions terrain et scientifique réside principalement dans l’apport d’une expertise scientifique à nos hypothèses de solutions pour viser la réussite des apprenants. Pour que ces deux univers se rencontrent et construisent des sujets partagés, il faudrait, comme le souligne Peraya (2021), « que soient prises en compte – donc considérées comme légitimes – et la « curiosité initiale » et les questions de recherches dans leur formulation « brute » des ingénieurs pédagogiques ». Considérant le questionnement de Peraya (ibid.) autour de l’articulation entre les approches des chercheurs et celles des ingénieurs pédagogiques, « La réussite des apprenants ne pourrait-elle pas constituer le premier objet frontière ? », une voie ne pourrait-elle pas être ouverte vers une collaboration bidirectionnelle entre les acteurs de la conception au CNED et les acteurs de la recherche ?