Remerciements : ce travail de recherche a bénéficié du soutien financier au titre du Programme d’Investissements d’Avenir dans le cadre du projet DéPHy (ANR-20-NCUN-0004 DEPHY).
1La nécessaire continuité pédagogique dans laquelle les universités sont engagées depuis le début de la crise sanitaire au printemps 2020 a bouleversé les conceptions et les pratiques de la formation et des apprentissages appuyées sur les usages numériques. Les contraintes spatiales ou techniques, et en particulier les limites de l’accès aux réseaux de communication, ont déclenché une marche forcée vers la production et l’usage des ressources pédagogiques numériques, notamment sous forme de vidéos ou de modules d’autoformation, de documents textuels, iconographiques ou multimédias, pouvant être consultés en autonomie et de manière asynchrone, dans des dispositifs hybrides, en comodalité ou entièrement à distance.
2Si la ressource tout autant que les dispositifs pédagogiques, en particulier numériques, ont été largement étudiés par la recherche (Burton et al., 2011 ; Lameul, Jézégou, Trollat et Carré, 2009 ; Massou, 2021 ; Massou et Lavielle-Gutnik, 2017 ; Paquelin, 2014 ; Peltier et Peraya, 2013 ; Peraya, 2017), les bouleversements actuels nécessitent de réinterroger cet « objet pédagogique » (Bourda, 2002) selon différents angles : celui de la production et des usages des ressources pédagogiques numériques, mais aussi celui de leur perception par les étudiants bénéficiaires.
3Notre étude aborde deux axes de l’offre et des usages des ressources pédagogiques proposées pendant la période de continuité pédagogique du printemps 2020. Nous analysons d’une part le lien entre les difficultés exprimées par les étudiants et les ressources ou modalités pédagogiques dont ils disposent. Nous nous intéressons ensuite à la perception que ces étudiants ont de l’efficacité des dispositifs et ressources proposés. Pour cela, nous avons tiré profit d’une enquête menée à l’université de Strasbourg auprès des étudiants, dont nous avons exploité les réponses portant sur l’accès aux ressources pédagogiques numériques proposées par les enseignants durant la période de continuité pédagogique du printemps 2020 et les représentations qu’ils s’en faisaient (6423 questionnaires ont été retournés, dont 3662 étaient complets).
4Nous nous attacherons dans une première partie à définir notre objet d’étude et à dresser l’état de la littérature sur notre sujet ; nous présenterons dans une seconde partie l’étude empirique que nous avons menée auprès des étudiants de l’université de Strasbourg, avant de conclure sur des perspectives d’action et de recherche.
5La littérature propose diverses appellations pour la notion de ressource pédagogique. Les termes d’« objet d’apprentissage » (Pernin, 2003), de « ressource d’éducation et d’apprentissage » (Bibeau, 2003), de « ressource éducative » (Contamines, George et Hotte, 2003), libre ou non, sont par exemple utilisés aussi bien dans les publications scientifiques que professionnelles et techniques. Ces dénominations recouvrent des définitions souvent proches, mais avec des niveaux de généralité, ou de précision, variés (Noël, 2007). Les acceptions les plus englobantes considèrent ainsi que la ressource pédagogique (ou éducative) représente « toute entité, numérique ou non, qui peut être utilisée pour l’éducation, la formation ou l’apprentissage » (AFNOR, 2010). Les ressources pédagogiques multimédias par exemple « constituent l’ensemble des informations, documents, logiciels, programmes, banques de données, etc. qui permettent de véhiculer, de transmettre ou d’appréhender des concepts et contenus d’enseignements » (Puimatto, 2004). Nous faisons le choix d’adopter cette définition large pour notre étude. Nous entendrons donc la ressource pédagogique comme une ressource de tout type (textuelle, iconographique, multimédia par exemple), produite spécifiquement dans un objectif d’enseignement et d’apprentissage (Noël, 2007), pédagogique par « destination » plus que par « opportunité » (Bruillard et Baron, 2019). Dans le même sens, nous y associons les dispositifs de communication tels que les chats et les forums, « la conversionnalité » (Massou, 2021), considérant que ceux-ci participent de l’accompagnement et de l’usage des ressources (Pernin, 2003).
6Les ressources pédagogiques sont considérées comme « essentielles à la qualité de l’enseignement » (Littlejohn, Falconer et McGill, 2008, p. 8). Selon Littlejohn, Falconer et McGill, qu’elles soient sélectionnées ou produites par l’enseignant, elles présentent au moins trois avantages à être intégrées dans un enseignement : la pertinence par rapport aux contenus enseignés, l’adaptation aux modalités pédagogiques choisies pour la formation, la validité attestée par l’expertise de l’enseignant qui les propose. Le développement de l’enseignement à distance de ces dernières décennies, et plus largement du numérique dans la formation, « s’est accompagné d’un développement et d’une mise à disposition accrue de contenus et ressources numériques » (Bourdenet, Dillaerts, Pirolli et Salam, 2019, p. 3). L’enseignement à distance contraint et généralisé au printemps 2020, dû à la pandémie de Covid-19, a engendré une production encore multipliée de ressources pédagogiques. Ces ressources « de crise » sont cependant le plus souvent bricolées, improvisées, peu éditorialisées, limitées à l’usage restreint d’un groupe d’étudiants, à un contexte spécifique de formation. Elles s’inscrivent dans un alignement pédagogique souvent dégradé, puisqu’elles sont déterminées par la contrainte technique et l’urgence plus que par l’objectif d’apprentissage et la valeur ajoutée visée pour favoriser les apprentissages étudiants (Villiot-Leclercq, 2020). Elles ont peu évolué par rapport au contexte antérieur à la pandémie, avec « un phénomène de calque entre les ressources du présentiel et celles de la distance, sur un modèle potentiellement transmissif » (Miras et Burrows, 2021, p. 202).
7Le chantier en cours portant sur la question des ressources pédagogiques numériques apparaît comme étant celui de la production et de l’accès, mais aussi des usages et de l’appropriation par les publics visés (ici les étudiants), en tenant compte des cadres prescrits ou libres de la consultation des ressources (Paquelin, 2009). Mais le lien entre production et usage des systèmes, comme des ressources, ne vient pas de soi. En effet, « qu’il s’agisse de matériel ou de ressources pédagogiques, d’un dispositif, la production finale reste souvent muette sur les conditions d’usages, semblant oublier l’importance du processus d’appropriation par l’enseignant et l’apprenant » (Paquelin, 2020). Les études disponibles s’intéressent ainsi aux usages étudiants, à l’appropriation et aux effets perçus ou réels, en particulier sur leurs apprentissages (Massou, Papi et Pulker, 2020). L’utilité perçue peut être considérée comme « le degré avec lequel une personne considère que l’utilisation d’un système donné pourra améliorer sa performance dans son travail » (Davis, 1989). En ce sens, nous pouvons rapprocher la notion d’utilité à celle d’efficacité, qui doit permettre d’atteindre l’objectif fixé (Pottiez, 2020). Ces sujets rejoignent les travaux portant sur la qualité des dispositifs de formation appuyés sur le numérique. Les critères investigués sont associés aux notions d’ « usabilité », d’accessibilité, d’adaptation aux objectifs visés, de capacité à engager l’apprenant dans l’appropriation (Littlejohn et al., 2008), d’usages et de non-usages de l’information (Le Coadic, 1997 ; Papi, 2012 ; Simonian et Audran, 2012) ou du système (Boléguin, Guillon et Kennel, 2019). En prenant modèle sur les attentes pour les usages de l’information (Badillo et Pélissier, 2015), nous pouvons ainsi décrire la ressource pédagogique comme devant être à la fois : attractive, visuelle, voire ludique ; simple de prise en main et d’accès ; rapide, répondant immédiatement au besoin ; pertinente et exhaustive, ne nécessitant pas de recherche ou de consultation complémentaire ; adaptée voire personnalisée ; compatible, c’est-à-dire consultable sur différents supports et formats, téléchargeable ; assistée et guidée, tout en respectant la volonté d’autonomie de l’usager.
8L’inconnue des dynamiques d’offre de ressources pédagogiques demeure la connaissance de leurs effets sur les apprentissages étudiants. L’effort de recherche portant sur les bénéfices des technologies numériques peine à en établir une plus-value significative (Bernard, Borokhovski, Schmid et Tamim, 2018). Concernant plus spécifiquement les ressources, certains travaux ont établi cependant un lien entre les usages décrits plus haut et les potentialités d’apprentissages, et font la preuve « qu’une grande majorité d’étudiants s’emparent des ressources numériques mises à disposition, mais qu’ils le font, pour la plupart, dans une perspective très instrumentale (de « bachotage ») » (Massin, 2019), ne favorisant pas les apprentissages en profondeur (Michaut et Roche, 2017). Ces effets dépendent également des « caractéristiques individuelles des apprenants et de leurs propres interprétations des dispositifs » (Charlier, Deschryver et Peraya, 2006). Différentes entrées pourraient être privilégiées pour améliorer la connaissance des bénéfices des usages des ressources par les étudiants, en développant les études basées sur les typologies de ressources plutôt que générales, ou en adoptant l’angle de la fonction pédagogique des dispositifs numériques (Tricot, 2020) par exemple.
9La nécessité d’accompagnement à l’appropriation des objets d’apprentissage apparaît ici fondamentale dans la mesure où « toute ressource médiatisée, quelle que soit sa granularité ou son degré de complexité (un graphique, un diaporama, une séquence vidéo, un podcast, etc.) est le fruit d’un processus de médiatisation, même artisanal. Aussi, sous-estimer ces processus peut occulter l’articulation entre ceux-ci et leurs effets en termes de médiation et, par conséquent, annihiler toute possibilité d’envisager certains effets dus aux dispositifs médiatiques sur les différentes facettes du comportement de l’apprenant » (Peraya et Peltier, 2020, p. 7). L’enjeu est bien, en effet, de ne pas laisser l’étudiant seul face aux ressources éducatives, mais d’accompagner la mise à disposition de ces ressources par une ingénierie pédagogique intégrant des activités et des interactions (Caron, 2021).
10Nous avons souhaité interroger le point de vue des étudiants sur la mise à disposition et l’usage des ressources pédagogiques pendant la période de continuité pédagogique de 2020. Notre étude se place à un moment charnière des usages des outils numériques pour enseigner et apprendre. Le passage soudain au tout distanciel au printemps 2020 a engendré des difficultés et des pratiques d’enseignement et d’apprentissage nouvelles dont on ne sait pas encore comment elles s’inscriront dans le temps. Quelles sont ces pratiques ? Comment la contrainte, mais aussi l’opportunité du distanciel, ont-elles modifié l’approche de la ressource pédagogique en particulier pour les étudiants utilisateurs ? En quoi ont-elles été un levier ou un frein pour leurs apprentissages ?
11Nous formulons l’hypothèse selon laquelle la mise à disposition de ressources pédagogiques numériques pour les étudiants pendant la continuité pédagogique du printemps 2020 aurait permis de compenser, au moins en partie, leurs difficultés pour étudier. Nous pensons en particulier que les ressources permettant l’interactivité et les échanges ont été ressenties comme bénéfiques pour les apprentissages.
12Notre enquête, basée sur un questionnaire en ligne administré par courriel à l’ensemble des étudiants de l’Université de Strasbourg, a été réalisée en juin 2020. Cette enquête, diligentée par la gouvernance de l’université, portait sur différentes dimensions liées à la période de confinement du printemps 2020 : la continuité pédagogique (ressources et méthodes d’enseignement à distance), les difficultés rencontrées par le groupe étudiant (en matière de conditions de vie et d’étude, de socialisation, de communication, d’accès au numérique) et la perception étudiante de l’efficacité de la réponse institutionnelle. 6423 répondants ont retourné leurs questionnaires parmi lesquels 3662 étaient exploitables (complets), ces derniers constituant notre matériau dans le cadre de ce travail. Nous avons en effet souhaité, à partir de l’enquête générale, exploiter les données nous permettant d’analyser le lien entre d’une part les freins et les leviers aux apprentissages et d’autre part les ressources pédagogiques numériques proposées, dans la perception qu’en ont eue les étudiants. Pour ce faire, nous avons analysé les résultats de l’enquête associés aux réponses portant sur les ressources pédagogiques, les modalités d’enseignement et les caractéristiques individuelles des étudiants (tableau 1), en les croisant d’abord avec l’expérience plus ou moins difficile des apprenants (tableau 2), ensuite avec les différents types de difficultés rencontrées (tableaux 3 et 4). Différentes méthodes de traitement et de tests statistiques (ANOVA, Student, analyse factorielle des données mixtes) (tableaux 5 et 6 et figures 1 et 2) nous ont permis d’étudier à la fois les difficultés à étudier exprimées par les étudiants avec leurs caractéristiques académiques (niveau et domaine d’étude), leurs conditions d’étude au printemps 2020, mais également les types de ressources auxquels ils ont eu accès et l’évaluation de l’efficacité perçue qu’ils ont faite de ces ressources. Une typologie empirique de ces ressources a été construite à partir de ce qui a été proposé par les enseignants lors de la première période de continuité pédagogique, qui s’est également appuyée sur les items d’autres enquêtes conduites sur la même période (Genevois, Lefer-Sauvage et Wallian, 2020 ; IH2EF, 2020 ; Patros, 2020 ; Synlab, 2020).
- 1 Nous nous focalisons sur les écarts avec un seuil de signification ≥ 0,1 et les écarts à la moyenne (...)
13L’enquête a permis d’identifier un certain nombre de caractéristiques individuelles (tableau 1 ci-dessous) associées significativement1 aux difficultés rencontrées par les étudiants (tableau 2 ci-dessous). Le fait d’être âgé de 30 ans et plus (moins de 6 % du total des répondants) est fortement défavorable (+6,2 pts à la moyenne des étudiants en difficulté), tout comme un statut de boursier (+3,2 pts), l’inscription dans une licence générale (+3,3 pts), en première année post-baccalauréat (+3,4 pts), en psychologie (+13,6 pts), en histoire (+8,5 pts), en sciences de la vie (+6,5 pts) ou en sciences politiques (+6 pts). Avoir vécu seul ou en colocation pendant le confinement renforce également les difficultés (respectivement +9,1 et +7,7 pts), tout comme le fait d’être resté à Strasbourg ou dans l’Eurométropole (+5,4 pts). La qualité de l’accès au réseau Internet a également joué : une connexion bas débit et l’absence d’un accès 4G renforcent les contraintes pour étudier (+15,7 pts et + 6,2 pts). Les caractéristiques significativement associées à l’absence de difficultés sont également clairement identifiables : le fait d’être un homme (+3,2 pts), de préparer une licence professionnelle (+23,9 pts), un diplôme en management (+16,2 pts), de s’être replié dans la sphère familiale pendant le confinement (+2,7 pts), dans le Bas-Rhin ou en dehors du département (+4,2 pts et 3,4 pts) ont réduit les contraintes.
14Parmi les difficultés exprimées, les étudiants ont d’abord évoqué un manque de motivation (53 %), d’organisation dans les études (40 %) et une faible socialisation dans le groupe des pairs (39 %). Les informations reçues de l’administration n’étaient pour eux ni claires, ni précises, ni suffisantes (pour 37 %) et les liens avec les enseignants trop rares (36 %). La charge de travail exigée était ressentie comme trop lourde (32 %) et les attentes enseignantes peu compréhensibles (32 %). Enfin, 31 % des étudiants ont déclaré avoir étudié dans de mauvaises conditions et près d’un sur cinq manquait d’autonomie.
Tableau 1. Liste des questions exploitées de l’enquête
Tableau 2. Caractéristiques étudiantes et difficultés à étudier
1535 % des répondants à notre enquête ont considéré qu’ils manquaient de ressources pour étudier. L’analyse plus détaillée des relations entre les différentes difficultés exprimées par les étudiants d’une part, les ressources pédagogiques d’autre part (tableaux 3 et 4), confirme notre hypothèse. Elle permet de montrer combien l’absence de ces ressources augmente le risque pour les répondants de faire face à des contraintes. En dehors des polycopiés dématérialisés dont l’apport n’apparaît pas différenciateur, l’ensemble des ressources pédagogiques ont été favorables, mais à des degrés différents. Les stratégies favorisant le synchrone en premier lieu : travaux de groupe (+7,7 pts), les enseignements en visioconférence (+7,1 pts) et les exercices en ligne (+6,8 pts) et les chats (+4,4 pts) ; en second lieu l’asynchrone : diaporamas (+3,5 pts), capsules vidéos (+3 pts) ou forums (+ 3pts).
16Le manque d’organisation (« Je n’arrivais pas à m’organiser ») concerne moins souvent les répondants qui ont bénéficié de capsules vidéo (-11,3 pts) ou de diaporamas (-3,6 pts), qui ont suivi des cours en visioconférence (-4,4 pts), qui ont travaillé en groupe (-4,3 pts), en ligne (-2,8 pts) et qui ont échangé par chats (-3,5 pts).
17Parmi les étudiants démotivés (« Je n’ai pas réussi à me motiver »), on retrouve moins fréquemment les diaporamas (-3,5 pts), les capsules vidéo (-2,2 pts), surtout la visioconférence (-5,4 pts), les exercices en ligne (-4,6 pts), les travaux de groupe (-4 pts) et les chats (-3,7 pts) et dans une moindre mesure les forums (-2,5 pts).
18L’ensemble des ressources ont été sources de difficulté pour les étudiants contraints dans son espace de travail, le plus souvent en termes d’équipement et de connexion (« Je n’ai pas d’endroit pour étudier dans de bonnes conditions ») : les exercices en ligne (+6,8 pts), les visioconférences (+6,5 pts), les travaux de groupe (+6,7 pts), les chats (+6,3 pts), les forums (+4,8 pts), les diaporamas (+7 pts) et les capsules vidéo (+3,9 pts).
19Le manque de ressources (« Il me manquait des documents ») est associé à l’ensemble des propositions pédagogiques : diaporamas (+8 pts), capsules (+6 pts), polycopiés (+5,2 pts), exercices en ligne (+7,1 pts), visioconférences (+6,9 pts), forums (+5,8 pts), travaux de groupe (+5,3 pts) et chats (5,4 pts).
20Les critiques concernant le manque d’explicitation des attentes (« Je ne comprenais pas les attentes des enseignants ») sont plus souvent associées aux cours en ligne (+7,8 pts), aux exercices (+7,7 pts), aux travaux de groupe (+4,3) aux chats (+4,4 pts), mais également aux capsules (+4,8 pts) et aux diaporamas (+4,3 pts).
21Les manques en termes d’information (« Les informations que je recevais n’étaient pas assez claires, précises, nombreuses ») concernent avant tout les cours en visioconférences (+ 8 pts) et les exercices en ligne (+6,1 pts) et dans une moindre mesure les capsules vidéo (+3,9 pts) et les diaporamas (+3,2 pts).
22Les difficultés d’affiliation à la matrice disciplinaire peuvent être investiguées à la fois à partir des relations avec la communauté enseignante (« Il n’y avait pas assez de lien avec les enseignants ») et la promotion (« Il n’y avait pas assez de lien avec les camarades »). Le manque de socialisation à l’intérieur de la promotion a été logiquement moins fréquemment évoqué lorsque les répondants ont bénéficié de travaux de groupes (-4,3 pts), de chats (-3,3 pts) et d’exercices en ligne (-3,4 pts). Le manque de lien avec les enseignants a été moins souvent évoqué parmi les étudiants qui ont bénéficié de l’ensemble des ressources utilisées pendant la période (sauf pour les polycopiés) : d’abord avec les cours en ligne (-9,2 pts), les exercices en ligne (-8,7 pts), les travaux de groupe (-5,7 pts), les chats (-6,4 pts), les diaporamas (-5 pts) et les capsules (-4 pts) et dans une moindre mesure les forums (-3,1 pts).
23Les cours en visioconférences et les exercices en ligne sont cités plus souvent par les répondants qui déclarent une surcharge de travail (+3,9 pts et +4,2 pts), mais qui semblent avoir cependant tiré profit des polycopiés (-2,5 pts). Enfin, les étudiants les moins autonomes (« Je manquais d’autonomie ») sont surreprésentés parmi ceux qui ont bénéficié de capsules vidéo (+3,5 pts) et de polycopiés (+7,1 pts), alors que la visioconférence (-5,1 pts), les travaux de groupe (-3,3 pts) et les chats (-2,1 pts), tous synchrones, sont favorables.
Tableau 3. Types de difficultés et ressources pédagogiques
24L’analyse du point de vue des étudiants montre, d’une part, que toutes les ressources pédagogiques considérées (diaporama commenté, visioconférence, cours au format texte, chat, activités en ligne, forums, travaux groupe et capsules vidéo) sont jugées plutôt efficientes et, d’autre part, que les cours en visioconférence et les capsules vidéo sont les mieux perçues avec un niveau d’efficacité moyen de 3,7 sur 5.
25Plusieurs répondants, dans les réponses aux questions ouvertes, apprécient par exemple « les différentes vidéos des cours permettant de les revoir si besoin, les sessions en visioconférence pour poser des questions ». À peu de chose près, la diffusion de cours au format texte est jugée, en moyenne, aussi efficace (3,1) que les activités nécessitant davantage d’interactions, telles que les travaux de groupe (3), les chats (3) ou les forums (2,9). Cet apprentissage collaboratif impliquait en effet une gestion et une organisation contraignantes dont plusieurs répondants témoignent dans les réponses aux questions ouvertes : la difficulté à entrer en contact, le besoin d’une connexion de qualité, les emplois du temps respectifs à concilier. Les difficultés exprimées concernant l’utilisation des documents au format PDF portent essentiellement sur leur longueur et le manque de supervision pour les exploiter. Sont ainsi évoquées « des centaines de pages « pdf » à lire sans indication bien précise » et le fait que « c’était difficile d’étudier avec seulement des documents et sans les commentaires et remarques des profs ». Certains étudiants regrettent d’ailleurs que « sur Moodle, certains professeurs ont déposé parfois trop de ressources. Ils ont oublié de préciser quelles étaient les ressources nécessaires à lire, quelles était les ressources ’pour aller plus loin si nous sommes intéressés’« . Ce sentiment d’une efficacité moindre lorsque les étudiants ne sont pas en contact avec leur enseignant est confirmé par le fait que 57 % de ceux qui ont ressenti des difficultés évoquent un manque de lien, alors qu’ils sont 71 % à estimer avoir plutôt bien voire très bien communiqué avec eux. Ces résultats corroborent ceux de l’Observatoire national de la vie étudiante (Patros, 2020) qui affichent une satisfaction à 75 % concernant les contacts avec les enseignants. Plusieurs critiques portaient sur les chats qui « étaient vraiment chaotiques », générant une perte de temps « énorme à retrouver les questions et les réponses des professeurs ».
Tableau 4. Types de difficultés et modalités d’enseignement
26L’analyse ANOVA (tableau 5) donne ensuite à voir l’effet différenciateur des niveaux d’étude et des spécialités dans lesquelles sont inscrits nos répondants : le niveau d’étude, sur la base du système Licence-Master-Doctorat (LMD), joue en effet un rôle important dans l’évaluation de l’efficacité de certaines ressources pédagogiques. Les tests réalisés montrent ainsi une différence statistique très significative (p-valeur inférieure à 0,0001), d’un niveau à l’autre, dans le jugement porté sur l’efficience des diaporamas commentés et des chats. Le niveau d’étude ne modifie cependant pas le jugement porté par les étudiants sur le recours aux documents textuels, aux visioconférences ou aux forums. Cette différence est également peu significative (p-valeur inférieure à 0,01) en ce qui concerne l’efficacité perçue des capsules vidéo, des activités en ligne et des travaux de groupe.
Tableau 5. Résultats des ANOVA
27Plus précisément, les comparaisons deux à deux (tests de Student, tableau 6) ont permis de mettre en évidence que les principales différences de jugement entre les étudiants de licence et de master concernent les capsules vidéo et les diaporamas commentés. En effet, les étudiants de premier cycle semblent avoir davantage de mal à s’approprier ces ressources que les étudiants de master. Un étudiant de licence témoigne ainsi que « certains professeurs […] faisaient juste les cours par vidéo et nous n’avions rien pour revoir après : déjà un cours par vidéo est beaucoup plus éprouvant et difficile à suivre alors si nous n’avions pas de support pour revoir après c’est très compliqué. Le fait que certains professeurs n’aient pas le matériel adapté : pas de caméra ou de micro pour pouvoir faire des cours de bonne qualité par internet. Un cours à distance est beaucoup plus compliqué à suivre qu’en temps réel, il faut donc plus de support ou des supports de meilleure qualité pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions et pouvoir avoir un travail efficace, ainsi un support audio ou vidéo que l’on peut réécouter ou revoir ainsi qu’un polycopié ou un diaporama est l’idéal ».
28Les chats apparaissent comme une méthode moins efficace pour les étudiants de licence et de master que pour les doctorants : il existe une différence statistiquement très significative dans l’évaluation de l’efficacité de ce type de ressource entre ces catégories d’étudiants. La complexité de la gestion des questions-réponses dans les grands groupes de licence pourrait expliquer cette difficulté. Un répondant de licence regrette d’ailleurs le fait que « certains étudiants les sollicitent [les enseignants] par ailleurs beaucoup trop lors des séances de chats ou par email, les enseignants sont monopolisés par une poignée d’étudiants ; cela m’a découragée de prendre contact avec eux ».
29Les domaines d’étude, quant à eux, ont une influence peu significative sur la perception de l’efficacité des activités en ligne et des travaux de groupe. L’appréciation moyenne des activités en ligne est de 3,3 pour chaque domaine d’étude (à l’exception de la santé : 3,6) et celle des travaux de groupe est de 3 pour tous les domaines d’étude, sauf pour les étudiants de santé (2,9) et d’arts, lettres et langues (2,7). Cette différence devient statistiquement significative (p-valeur inférieure à 0,001) lorsque les étudiants évaluent l’efficacité du recours aux forums (avec une évaluation moyenne qui va de 2,8, pour les étudiants de sciences économiques, gestion et sciences politiques, à 3,2 pour ceux d’arts, lettres et langues) au cours des périodes de continuité pédagogique ; elle est très significative lorsqu’on considère l’utilisation de documents textuels dans ces conditions (de 2,9 dans les domaines pluridisciplinaires à 3,4 en sciences humaines et sociales).
Tableau 6. Résultats des tests de Student
- 2 Cette méthode peut être vue comme un mélange de deux méthodes d’analyse factorielle : l’Analyse en (...)
30Notre matériau de recherche a en dernier lieu été valorisé par le biais d’une analyse factorielle des données mixtes2 (figure 1). Le cercle de corrélation permet de rendre compte des analyses géométriques effectuées : plus la flèche se rapproche d’un axe et du bord du cercle, plus la variable correspondante est corrélée avec les autres flèches de même type. On peut ainsi définir des proximités entre variables suivant différents axes. La réunion des variables les plus fortement corrélées entre elles permet de caractériser les différents axes produits par l’analyse et de dégager des profils de répondants ayant des caractéristiques communes (figure 2). Ainsi, nous pouvons voir apparaître les tendances d’appréciation plus ou moins fortes chez nos étudiants des différents types de ressources pédagogiques, selon le domaine d’étude ou le niveau de diplôme. Cette approche met en évidence des différences d’appréciation de l’efficacité des différentes ressources utilisées pendant la période de continuité pédagogique selon le niveau et le domaine d’étude des sujets : en l’occurrence, l’axe 1 correspond à l’efficacité du recours aux chats, aux forums et aux activités en ligne ; l’axe 2 représente quant à lui les domaines d’étude et l’axe 3 les niveaux de formation ; l’axe 4 reflète une opposition dans le jugement de l’efficacité des diaporamas commentés, d’une part, et des forums et des chats, d’autre part (figure 1). Lorsqu’on projette les domaines et les niveaux sur ces axes (figure 2), on s’aperçoit alors que les étudiants en doctorat et/ou engagés dans les domaines des arts, lettres et langues ainsi que des sciences et technologies trouvent plus efficaces les forums et les chats, tandis que les étudiants de master et/ou en sciences humaines et sociales, en santé, en droit, économie, gestion, sciences politiques ont une meilleure appréciation de l’efficacité des diaporamas commentés.
Figure 1. Cercle de corrélation des variables quantitatives avec les axes 1 et 4. Analyse factorielle des données mixtes (AFDM).
Figure 2. Position des niveaux et domaines d’étude sur les axes 3 et 4.
31Du point de vue des ressources proposées, ainsi qu’en témoignent nos répondants, notre étude a montré que les typologies des ressources mises à disposition des apprenants pendant cette période ne variaient guère de celles observées par la littérature dans des contextes moins exceptionnels (Bourdenet et al., 2019 ; Massin, 2019 ; Papi, 2012) : elles sont essentiellement constituées de documents textuels et, dans une moindre mesure, de diaporamas commentés, de documents téléchargeables et consultables hors ligne (Villiot-Leclercq, 2020). Cette tendance semble témoigner du fait que « les enseignants tentent de projeter, sur les nouveaux dispositifs d’instrumentation de la formation, des comportements et des pratiques liés à l’enseignement présentiel frontal » (Peraya et Peltier, 2020) qui laisse à penser que la ressource pédagogique numérique, en temps de pandémie, est utilisée non pas tant comme complément, intégrée ou conçue dans une démarche d’ingénierie pédagogique, en mode transmissif, que comme remplacement d’un enseignement empêché.
32Du côté de la perception de ces ressources par les étudiants, et de leur lien avec les leviers et les freins aux apprentissages, nos résultats contribuent aux connaissances dont nous disposons sur la perception qu’ont les bénéficiaires des ressources pédagogiques numériques proposées dans le contexte de l’enseignement à distance contraint depuis mars 2020, ainsi que de leur utilité. Nous avons pu identifier différents éléments signifiants qui permettent de confirmer en partie notre hypothèse. La mise à disposition de ressources pédagogiques numériques pour les étudiants pendant la continuité pédagogique du printemps 2020 a permis de compenser, au moins en partie, leurs difficultés pour étudier. Les réponses aux questions ouvertes illustrent cependant combien, quelles que soient les ressources utilisées, les étudiants insistent sur l’accompagnement nécessaire par l’enseignant pour se les approprier : consignes claires, interactions, rétroaction (Albero et Kaiser, 2009). Ce constat amène à repenser la question de l’autonomie des publics dans leurs apprentissages à distance (Jézégou, 2008), en particulier pour l’usage et l’appropriation des ressources pédagogiques, et rejoint le sujet des pratiques pédagogiques enseignantes (Barbot et Jacquinot-Delaunay, 2008).
33Cela renforce la deuxième partie de notre hypothèse, considérant que les ressources permettant l’interactivité et les échanges ont été ressenties comme bénéfiques pour les apprentissages, mais seulement en partie. En effet, les difficultés d’accès numérique ou le manque de maîtrise des outils ou des modes d’interaction représentent des freins à l’appropriation des ressources et aux apprentissages en ligne.
34Nos résultats montrent par ailleurs que l’efficacité des ressources apparaît moins marquée par la matrice disciplinaire (Lahire, 1997) que par le niveau, résultats qui ne vont pas dans le sens d’autres études (Brandl, 2020). En effet, les facteurs comme le statut de néo-bachelier, la facilité d’accès au numérique et les difficultés ressenties sont peu différenciateurs dans la perception qu’ont les répondants des ressources pédagogiques mises à leur disposition. Nous aurions par exemple attendu que « le concept de conflit instrumental, qui rend compte de l’incompatibilité entre les objets didactiques, les objets pédagogiques et les objets techniques qui cohabitent dans une situation d’enseignement-apprentissage faisant intervenir un système technique » (Marquet, 2012) s’applique dans notre contexte.
35Quelques limites à notre étude doivent être mentionnées. L’enquête sur laquelle s’appuie cette étude ne se limitait pas à notre sujet d’analyse. Elle portait sur le vécu des étudiants de l’université de Strasbourg du premier confinement et de la continuité pédagogique du printemps 2020. Si son spectre très large a pu inciter un grand nombre d’étudiants à répondre, peu de questions ont traité de l’accès aux ressources pédagogiques et la formulation de celles-ci n’était pas toujours adaptée à une analyse rigoureuse de la notion d’usages et d’utilité perçue. Des questions auraient pu être intéressantes, dont nous ne disposions pas, par exemple la fréquence d’usage ou la notion de ressource libre, ou que nous n’avons pas traitées, comme le ressenti sur l’évaluation à distance qui nous a semblé dépasser le sujet de notre étude sur l’usage des ressources pédagogiques numériques pour apprendre.
36L’enquête n’interrogeait pas par ailleurs les pratiques des étudiants de ces ressources, ou l’accès libre à la « multitude de sources documentaires grâce à Internet » (Cosnefroy, 2014), ni ne faisait réellement de lien entre ces usages et les apprentissages (Tricot, 2007 ; Tricot et Chesné, 2020). Une ressource est un maillon dans le processus d’enseignement et d’apprentissage qui doit s’intégrer dans une ingénierie pédagogique, et n’existe pas en soi, ne génère pas son propre usage ni des apprentissages.
37Des travaux restent à entreprendre, qui permettraient de mettre en regard l’approche des enseignants avec la perception des étudiants que nous avons analysée. Les termes de « bricolage » (Perrenoud, 1983) et d’« improvisation » (Perrenoud, 1983) ont été largement employés, dans cette période d’urgence et d’anticipation impossible, pour décrire les pratiques d’enseignement actuelles. Les politiques institutionnelles locales et nationales fondent d’importants espoirs et entendent impulser des dynamiques en faveur de la production et du partage des ressources pédagogiques et, pour les enseignants, la production et l’utilisation des ressources pédagogiques présentent un intérêt certain (Kennel et Schorle-Stéfan, 2020). Du point de vue de l’institution, ces dernières enrichissent, voire améliorent, l’enseignement et les apprentissages et permettent un gain de temps par leur réutilisation ultérieure ; a contrario, une telle production nécessite une expertise (Arthaud, 2006) et une charge de travail conséquente (Bourdenet et al., 2019) et présente le risque de formater la formation, dans la mesure où elle amènerait les enseignants à utiliser les mêmes ressources et dans ce sens limiterait leur liberté académique. Sur ce point, une nouvelle enquête permettrait d’identifier les caractéristiques de la transformation des pratiques numériques enseignantes suite à la crise sanitaire et à la continuité pédagogique.
38La question de la production et de l’utilisation des ressources pédagogiques dans les formations de l’enseignement supérieur revêt aujourd’hui une nouvelle dimension : celles-ci se multiplient, prennent des formes nouvelles (typologies, niveau d’éditorialisation) sans que soit toujours évaluée leur appropriation par les étudiants. Il nous semble important de poursuivre également des recherches, en lien avec les courants d’études sur les pratiques enseignantes et la dynamique de l’open education, sur les usages étudiants et leurs bénéfices, en mettant en relation les modèles d’ingénierie des dispositifs hybrides, souvent très élaborés et qui proposent une approche intégrée, scénarisée et accompagnée des ressources (Burton et al., 2011).
39Notre travail de recherche visait à étudier le lien entre les difficultés rencontrées par les étudiants pendant la première période de continuité pédagogique du printemps 2020 et les ressources pédagogiques mises à leur disposition, ainsi que leur perception de l’efficacité de ces ressources.
40Nous avons pu montrer le lien positif entre l’accès aux ressources pédagogiques numériques et le niveau ressenti de difficultés chez les répondants, quand ceux-ci disposaient des équipements et outils suffisants pour y accéder. L’absence de ressources a en effet augmenté les difficultés perçues par les étudiants.
41Dans le même sens, nous constatons que toutes les ressources pédagogiques considérées sont appréciées des bénéficiaires. Si les ressources favorisant le lien social, avec les enseignants en particulier, sont considérées comme bénéfiques, les échanges et l’interactivité, les travaux de groupe par exemple, sont également pointés comme pouvant ajouter de la difficulté aux apprentissages à distance. L’enquête nous a par ailleurs permis d’identifier l’effet du niveau d’études, plus encore que de la matrice disciplinaire, sur l’accès aux ressources et la perception de leur utilité.
42Alors que les politiques nationales en France incitent fortement les établissements à produire et à partager largement des ressources pédagogiques pour répondre à la nécessité de l’enseignement à distance ou de l’hybridation en contexte contraint par la pandémie de Covid-19, il est important que la recherche continue d’enrichir les connaissances sur l’objet qu’est la ressource pédagogique dans ses multiples facettes et ses effets sur les apprentissages étudiants.