1Cet article propose un retour d’expérience de l’impact de la distance dans la transmission des savoirs en visioconférence dans un institut de formation en masso-kinésithérapie (IFMK). La crise sanitaire que nous traversons aujourd’hui a bouleversé de nombreuses dimensions de notre vie sociale, nous rappelant notamment l’importance de l’accès à l’éducation. Même si depuis près d’un siècle la formation à distance est devenue une modalité à part entière pour transmettre un savoir et varier les modalités d’enseignement et d’apprentissage, la question de la transmission des savoirs à distance a pris une toute autre dimension. Cette modalité pédagogique est intéressante dans plusieurs contextes. Elle permet l'accès à la formation sur des territoires éloignés tout en diminuant les coûts financiers. Elle est aussi, dans un contexte de pandémie une des solutions pour assurer la continuité pédagogique. Ces avantages identifiés, il nous paraît utile d’en étudier son efficience. Les études de recherche et d’évaluation de l’enseignement à distance pointent la difficulté d’obtenir des preuves valables de son impact. L’objectif de cet article est de réexaminer et de suggérer des stratégies d’évaluation afin d’obtenir des preuves sur l’efficacité de l’enseignement à distance.
2En effet depuis les années dix-neuf cent quatre-vingt-dix, la visioconférence (Macedo-Rouet, 2009) fait partie du paysage technologique dans la formation initiale ou professionnelle. Mais comme le souligne (Jézégou, 2007)) dans sa revue de littérature, la distance ne doit pas uniquement se réduire à ce paramètre. Jacquinot (1993) identifie six dimensions spécifiques de la distance : spatiale, temporelle, technologique, socio-culturelle, socio-économique et pédagogique. Ces différents prismes d’analyse de la distance montrent la complexité d’un tel enseignement avec une variété de paramètres entrant en compte dans le phénomène d’apprentissage. Ainsi, nous souhaitons dans cette étude nous centrer spécifiquement sur l’acquisition des savoirs théoriques (ST) lors d’une formation par visioconférence (VC) en formation initiale. Nous formulons l’hypothèse que l’enseignement à distance par l’intermédiaire d’un cours magistral permet d’acquérir les mêmes savoirs théoriques qu’en présentiel. Nous répondons à cette hypothèse en interrogeant les ST suite à la participation à distance à cet enseignement dans un institut de masso-kinésithérapie (IFMK). Nous exploiterons ensuite les résultats en étudiant les vecteurs qui caractérisent la distance transactionnelle (Jézégou, 2014; Moore, 1993). La structure, le dialogue et l’autonomie sont évoqués. Une analyse quantitative, à un grain plus fin, nous permet de comprendre les ressorts personnels de l’apprentissage des apprenants par un questionnaire portant sur la motivation, d’appartenance et de comportement (Jézégou et Bebbouchi, 2019). Nous traitons exclusivement dans cet article le paramètre motivation.
3Nous émettons l'hypothèse que l’acquisition des savoirs théoriques est équivalente dans une population d’étudiants en formation initiale en présentielle versus à distance par la médiation de la visioconférence (VC).
4Nous présentons dans cette partie le cadre conceptuel de notre étude en commençant par définir le contexte lié à la profession de kinésithérapeute. Puis nous identifions la notion de distance transactionnelle, et nous développons ensuite les paramètres qui peuvent interférer dans l’enseignement à distance par les vecteurs de motivation des apprenants.
5Depuis l’arrêté du 5 septembre 2015, une nouvelle réforme de la formation initiale a vu le jour. Là où l’ancien modèle proposait une formation centrée sur les savoirs disciplinaires, la réingénierie amène un changement de paradigme. Elle est caractérisée par une approche par compétence. Cette modification annoncée a fait suite aux accords de Bologne. Le métier de kinésithérapeute est une profession de santé pouvant s’exercer en salariat, mais également en libéral. En grande majorité, la formation initiale prépare ces futurs professionnels à une pratique libérale (environ 80%). Ces praticiens présentent une forte concentration sur des bassins proches des grandes villes, posant ainsi des problématiques de désertification sur certaines zones rurales. Pour permettre l’accès au soin de façon égalitaire, le conseil régional a mis en place des antennes (IFMK dépendante du CHU de Toulouse) dont l’objectif est de faciliter l’installation des futurs professionnels dans ces zones de faible densité professionnelle. Cette nouvelle organisation entraîne une transmission des savoirs différente et fortement basée sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC). En grande partie, les antennes régionales bénéficient de la visioconférence pour la présentation des savoirs théoriques afin de réduire les coûts. Ainsi pour exemple, le cours magistral est retransmis de l’Institut vers l’antenne en présentiel et de manière synchrone. L’utilisation de cet artefact met en exergue la notion de distance et ainsi pose des questions sur son efficacité pédagogique.
6Lorsque nous utilisons la visioconférence dans un cadre de formation initiale, nous mettons en évidence le paramètre de distance. Jacquinot (1993) cite dans sa recherche la distance spatiale, temporelle, technologique, socio-culturelle, socio-économique et pédagogique. La distance spatiale et temporelle (synchrone et asynchrone) représente la forme la plus simple de la distance, mais qui a elle seule ne peut expliquer la spécificité de l’enseignement à distance. La distance technologique est liée à la facilité d’utilisation du système, dans notre cas de visioconférence avec ses dysfonctionnements, ainsi que l’ergonomie de cet artefact technologique. Nous traitons ensemble la distance socio-culturelle et la distance socio-économique. Elles soulignent les écarts qui peuvent exister entre les habitués du système éducatif et les exclus alors que le facteur économique est orienté sur la notion de rentabilité d’un tel système. Nous ne traiterons pas dans ce travail ces deux paramètres de la distance. Enfin la distance pédagogique va être un facteur d’analyse qualitatif important de l’impact de l’utilisation de la visioconférence en formation à l’IFMK. Une des résultantes étudiées dans l’apprentissage à distance est la création de communauté de travail (« community of inquiry ») (Anderson et al., 2009; Garrison, 2003; Saba, 2003). Le développement de cette communauté favorise la collaboration entre les apprenants et facilite l’acquisition des connaissances. Nous argumentons nos propos par la mise en évidence du modèle socio-constructiviste dans lequel l’apprenant va construire ses connaissances par le dialogue, les différences d’opinions et la confrontation avec autrui.
7Nous pouvons voir de par ces multiples éléments que l’abord de la distance dans l’enseignement reste complexe à appréhender. Moore (1993) a lui aussi essayé d’apporter sa contribution pour clarifier cette notion de distance. Par cet auteur, nous retrouvons le concept de distance transactionnelle (DT) que nous allons maintenant expliciter. Il définit cette théorie par « un espace psychologique et communicationnel entre l’enseignant et l’apprenant, mais aussi entre les apprenants, dans une situation éducationnelle » (Moore, 1993, p.23). La DT est construite essentiellement sur deux piliers : la structure et le dialogue.
8La structure est la manière dont la finalité pédagogique est construite. Deux modèles peuvent ainsi être décrits : un modèle pédagogique ouvert laissant beaucoup de liberté aux apprenants et un modèle fermé dans lequel le formateur va imposer son objectif pédagogique et va ainsi contraindre fortement l’étudiant. Cette lecture de la structure doit donc permettre d’évaluer le degré d’ouverture pour les objectifs pédagogiques, les stratégies d’enseignement ou l’évaluation.
9Le dialogue répond par l’animation qui peut exister entre les différents intervenants du système pédagogique mis en place ; ainsi sont intégrés dans ce système les apprenants et les formateurs. Ce déterminant de la DT peut être analysé par les vecteurs de communication connus (communication verbale et non verbale).
10Nous avons posé la théorie de Moore (1993) concernant la DT avec comme éléments nous permettant une analyse plus fine, la structure et le dialogue. Ces éléments bien qu’utiles ne vont pas être suffisants pour expliciter l’impact de la distance dans notre recherche. L’artefact utilisé, la VC, nécessite un engagement (Marks, 2000; Newmann, 1992) fort de la part de l’apprenant. En effet, bien que synchrone, participer à un cours magistral à distance peut être un élément qui favorise l’isolement. Le paradigme sociocognitif de Bandura (1986) nous permet de compléter les éléments apportés par Moore (1993). Il introduit trois déterminants dans son paradigme. Le premier, est l’environnement (contexte, situation), le second est le paramètre personnel (histoire de l’apprenant, compétences acquises, relation sociale, etc.) et pour finir, l’attitude et la réaction de l’apprenant. Cette triade interagit en permanence de manière inégale. La modification d’un des déterminants va avoir une influence sur les deux autres. Par exemple, le changement de l’environnement va forcément produire des ajustements sur les comportements, mais aussi sur le déterminant personnel de la personne. Bandura le nomme « le modèle de déterminisme réciproque » (Bandura, 1986). Dans notre cas d’étude, l’environnement est un cours magistral en VC. Le sujet dont nous devons prendre en compte les caractéristiques et le comportement est l’étudiant en IFMK. Cette interaction entre les déterminants nous permet d’analyser la motivation de l’étudiant dans un environnement. Nous mettons le focus sur les caractéristiques du sujet (motivation intrinsèque et extrinsèque) qui vont nous renseigner sur le comportement de l‘étudiant dans cet environnement numérique. Nous utilisons la théorie de l’autodétermination de la motivation (Deci et Ryan, 1985). Ces auteurs catégorisent la motivation en motivation intrinsèque, extrinsèque et amotivation. Tout d’abord la motivation intrinsèque pour laquelle l’apprenant va s’engager par une sensation de plaisir et de satisfaction liée à la tâche mise en jeu. L’objectif recherché est de se procurer des émotions positives. L’apprenant la perçoit comme une récompense à son action. Ceci étant vécu intérieurement par l’étudiant.
11La motivation extrinsèque est soumise à des facteurs externes avec comme déterminant la régulation externe, la régulation introjectée, la régulation identifiée et la régulation intégrée (Fig.1). Nous définissons maintenant ces quatre paramètres de motivation extrinsèque avec :
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La régulation externe : le comportement de l’apprenant est régulé par l’environnement externe, par exemple, les notes de cadrage du formateur au cours d’un enseignement
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La régulation introjectée : l’apprenant intériorise un discours intérieur en se culpabilisant, par exemple, « ce n’est pas bien si je n’assiste pas à ce cours magistral »
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La régulation identifiée : dans ce cas, l’étudiant se dit que l’activité est bénéfique pour lui et que même s’il ne l’apprécie pas, elle va pouvoir lui amener des éléments nécessaires à sa progression
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La régulation intégrée : l’activité est en adéquation avec ses valeurs et cette cohérence fait qu’il va pouvoir accepter cette activité plus aisément.
Figure 1 : les 6 types de régulation pour chaque classe de Motivation (Heutte, 2016, 2017)
12Nous terminons de décrire ces paramètres de motivation par le terme d’amotivation qui peut être interprété comme un sentiment que l’apprenant peut ressentir et pour lequel il ne retrouve plus de sens entre son action et le résultat obtenu (Thill et Vallerand, 1993). Il s’agit en évidence d’un vecteur négatif envers l’engagement vers une tâche prescrite. Volontairement, nous ne traiterons pas dans ce travail le paramètre « déterminant personnel ».
13En utilisant cette théorie de la motivation nous souhaitons expliciter les différences qui peuvent exister entre un groupe d’apprenants en présentiel versus en VC dans le cadre d’un cours magistral. Nous nous centrons donc sur le comportement de nos étudiants en y associant l’environnement et la personne avec son histoire, sa culture, sa spécificité, son identité.
14Nous vous présentons dans cette partie la méthodologie de notre travail. Nous abordons afin de mettre à l’épreuve notre hypothèse successivement la population, l’intervention sur le terrain, la comparaison avec le groupe contrôle et nos indicateurs d’évaluation.
15Nous ciblons des apprenants en formation initiale de masso-kinésithérapie étudiants à Toulouse n= 60 et Rodez n= 16. Nous faisons participer les étudiants en première année de kinésithérapie, 16 de Toulouse et 16 de Rodez. Les étudiants toulousains sont volontaires. Un consentement éclairé associé à une explicitation de l’étude sont proposés aux apprenants participant à cette recherche.
16Nous étudions l’apprentissage des ST en cours magistral (CM) en VC. Un groupe d’étudiants de Toulouse participe en présentiel (GP) à un CM alors qu’un groupe d’apprenants de Rodez assiste en visioconférence (GVC). Les apprenants à distance reçoivent en permanence durant le CM la transmission du document (visuel) à l’écran. Ils peuvent voir le formateur à distance et sont aussi en capacité de poser des questions au formateur avec un retour son (auditif). Les étudiants de ce groupe sont ensemble dans une salle de cours, avec un formateur qui veille à la bonne réalisation de la séance sur le plan technique. Le formateur en présentiel est un professionnel aguerri, il relance régulièrement les apprenants en présentiel et à distance pour d’éventuelles remarques, questions ou commentaires. La durée du CM est de deux heures et sans aucune pause.
Figure 2 : flux de l’étude
17Nous souhaitons en premier lieu répondre à notre hypothèse par un questionnement sous forme de QCM afin d’évaluer les ST. Cette évaluation est réalisée à la suite du CM dans la salle de cours. Un questionnaire de 10 questions est soumis à chaque étudiant (GP et GVC). Chaque question conforme est cotée un point et chaque question non conforme est comptabilisée zéro. Un score global sur 10 permet d’évaluer l’acquisition des ST. Ce questionnaire est distribué aux apprenants avant (T1) et après le cours magistral (T2). Il est anonymisé et recueilli sur un tableur permettant de numéroter les différents questionnaires des apprenants. Nous avons fait le choix d’étudier l’acquisition des ST sur du moyen terme en évaluant les deux groupes à 30 jours de la présentation du CM (T3).
18Nous étudions les vecteurs intrinsèques aux apprenants qui peuvent amener des éléments explicatifs dans notre étude notamment dans l’apprentissage autodirigé de l’apprenant (Fenouillet et Heutte et Vallerand., 2015 ; Jézégou, 2007).
19L’Échelle de Motivation en Formation des Adultes (EMFA) (Fenouillet et al., 2015) est utilisée pour évaluer la motivation. Créée par Fenouillet, Heutte et Vallerand (2015) cette échelle se base sur la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2000). Nous administrons ce questionnaire de 24 questions par l’intermédiaire d’un document papier rempli à la main par l’étudiant, en présentiel, quelques minutes après le CM. Elles se composent d’une échelle de Likert avec 7 niveaux. Le 1 correspondant à “Ne correspond pas du tout” et le 7 à “Correspond très fortement”. Elle permet de mesurer 4 sous-échelles : la motivation intrinsèque à la connaissance, la régulation externe (motivation extrinsèque), l’introjection (motivation extrinsèque), l’identification (motivation extrinsèque), l’intégration (motivation extrinsèque) et l’amotivation. Nous analysons, une fois les résultats recueillis à l’aide de la clé de codification comme décrit dans la partie analyse statistique.
20Nous utilisons pour évaluer la motivation, l'Échelle de Motivation en Formation d’Adulte (EMFA). Nous avons catégorisé selon Fenouillet les 6 différents paramètres en motivation intrinsèque à la connaissance (questions 3, 8, 14, 20), régulation externe (questions 1, 6, 13, 19), introjectée (questions 6, 12, 18, 23), identifiée (questions 4, 9, 15, 18), intégrée (questions 2, 11, 17, 24), et amotivation (question 5, 10, 16, 22). Selon les indications de l’auteur (Fenouillet et al., 2015), une somme des différentes questions nous permet d’établir un score pour les six déterminants de motivation.
21Nous exposons ensuite aux tests statistiques les différentes données des apprenants pour apporter des éléments d’explication à notre travail. Dans un premier temps, nous utilisons les échantillons des 2 groupes afin de savoir s’ils suivent une loi normale pour ensuite tester statistiquement par le t Student, l’existence de différence significative entre les 2 groupes.
22Les scores recueillis à T1, T2 et T3 sont ensuite comparés statistiquement. Nous évaluons si les deux groupes respectent une loi normale dans un premier temps. Puis, dans un second temps, nous testons par le test t Student l’hypothèse Ho pour laquelle il n’existe pas de différence entre les deux groupes (graphique 1). Nous suivons ensuite la même méthodologie pour évaluer sur les différents temps l’évolution des savoirs théoriques par groupe (graphique 2 et 3).
23Pour finir notre analyse, nous effectuons un test de Pearson afin d’objectiver des corrélations entre les différents éléments du test EMFA (motivation intrinsèque et extrinsèque) et les résultats numériques des évaluations des savoirs théoriques.
24Nous vous présentons les résultats des savoirs théoriques, du questionnaire EMFA et des corrélations en liaison entre les deux précédents paramètres.
25Nous pouvons identifier (graphique 1) les différentes évaluations des savoirs théoriques. Nous rappelons au lecteur que c’est par un QCM que nous avons pu évaluer les apprenants des deux groupes. Nous pouvons voir sur ce graphique qu’au temps T2 (immédiatement après le CM) et T3 (1 mois après le CM) une augmentation des ST pour les deux groupes. Entre T2 et T3, le GP passe de 5.3 à 5 alors que GVC passe de 5.1 à 5. Entre T1 et T2, il existe également une amélioration du score (GP : de 3.4 à 5.3 et pour GVC de 3.2 à 5.1).
Graphique 1 : acquisition des savoirs théoriques (Toulouse) à T1, T2 et T3
26Pour affiner nos résultats, nous avons voulu savoir par les tests statistiques si nos différences étaient significatives. Nous avons retenu l’hypothèse nulle au temps T1 entre le groupe Toulouse (p<0.05) et Rodez. Pour T2 et T3 l’hypothèse nulle est validée avec un p>0.05. Nous pouvons penser qu’entre le groupe GP et GVC il n’existe pas de différence suite au CM que l’étudiant soit en présentiel ou en visioconférence (Graphique 1).
27Nous avons ensuite comparé au sein de chaque groupe les différences chronologiques observées. Nous notons pour le groupe GP une amélioration du score entre T1 et T2 puis une diminution entre T2 et T3.
Graphique 2 : acquisition des savoirs théoriques (Toulouse) à T1, T2 et T3
28Le tableau ci-dessous nous permet d’objectiver qu’il existe une différence significative entre le moment T1 et T2 et T1 et T3. Par contre, pas de différence significative entre les acquis des ST un mois après le CM (Tableau 1)
Tableau 1 : différence d’acquisition à T1, T2 et T3 groupe GP
29La même analyse a été faite ensuite pour le groupe GVC. Nous observons une amélioration du score entre T1 et T2 puis une diminution entre T2 et T3 (Graphique 2).
Graphique 3 : acquisition des savoirs théoriques (Rodez) à T1, T2 et T3
30Le tableau ci-dessous nous permet d’objectiver des résultats identiques. Il existe une différence significative entre le moment T1 vs T2 et T1 vs T3. Par contre, pas de différence significative entre les acquis des ST un mois après le CM (Tableau 2).
Tableau 2 : différence d’acquisition à T1, T2 et T3 groupe GVC
31Nous rappelons l’utilisation du questionnaire EMFA avec comme objectif de mesurer les paramètres motivationnels de deux groupes. Nous observons sur le graphique les différences. Nous retenons que le groupe GVC présente des scores supérieurs pour la motivation externe intégrée et un score plus élevé pour le paramètre d’amotivation. Pour le reste, les scores du GP sont meilleurs (graphique 5).
Graphique 4 : Évaluation des paramètres liés à la motivation : 1 =Motivation interne ; 2= Motivation externe intégrée ; 3= Motivation externe identifiée ; 4= Motivation externe introjectée ; 5= Motivation externe régulation externe ; 6= Amotivation
32Nous nous interrogeons ensuite la question d’en évaluer la significativité pour en discerner les différences. Dans un premier temps, nous relevons entre les deux groupes une différence significative pour la motivation extrinsèque identifiée et pour la motivation extrinsèque intégrée (tableau 3).
Tableau 3 : récapitulatif du test EMFA
33Dans un second temps, nous tentons de mettre en exergue les corrélations entre les paramètres de motivation (intrinsèque et extrinsèque) et les scores de ST pour en discerner leur influence. Le test de Pearson va nous permettre d’objectiver cette relation (tableau 4 et tableau 5). Concernant le groupe GP, nous trouvons deux corrélations significatives entre la « Motivation intrinsèque à la connaissance » et le « ST » (corrélation positive) et la « motivation extrinsèque identifiée (corrélation négative).
Tableau 4 : tests de Corrélation entre le questionnaire EMFA et le score des savoirs théoriques GVC
34Même analyse pour le groupe GVC, avec dans ce cas aucune corrélation mise en évidence (Tableau 5).
Tableau 5 : tests de Corrélation entre questionnaire EMFA et Score des savoirs théoriques GP
35Nous avons identifié des améliorations identiques en termes d’acquisition des ST entre les deux groupes pour T1 vs T2 et T1 vs T3.
36L’analyse de la motivation extrinsèque souligne des différences significatives pour « l’identifiée » (plus élevée pour le GP) et « l’intégrée » (plus élevée pour le GVC).
37Au terme de ce travail, nous rappelons l’hypothèse de départ : l’acquisition des savoirs théoriques est équivalente dans une population d’étudiants en formation initiale en présentiel versus à distance par la médiation de la visioconférence. Nous avons tout d’abord évalué quantitativement les ST. Puis secondairement, nous avons étudié l’autonomie et le comportement au-delà de l’acquisition des savoirs. En utilisant le questionnaire d’EMFA, nous avons voulu argumenter nos résultats en nous centrant sur le contrôle psychologique de l’étudiant selon deux environnements différents le présentiel et la visioconférence.
38L’acquisition de savoirs fait appel à leur mobilisation de manière pertinente dans des situations précises avec des connaissances à acquérir, des problèmes à résoudre, des tâches à effectuer. Cette précision est importante, elle renvoie d’une part à une composante extrinsèque relative à l’environnement dans lequel les apprenants évoluent. Et, d’autre part, elle est liée à des caractéristiques intrinsèques attachées aux individus. Dans les paragraphes qui suivent, nous allons tour à tour discuter de ces deux piliers en suivant les trois vecteurs du modèle de déterminisme réciproque.
39Dans notre travail l’environnement est modifié selon l’appartenance au groupe GP ou GVC. Dans l’un des groupes, les apprenants sont en contact direct avec le formateur et peuvent ainsi se sentir plus concernés et moins ressentir la distance. Cette facilité pouvant peut-être amener un engagement plus conséquent. Le groupe GVC est quant à lui à distance et assiste à ce CM dans cet environnement. En nous basant sur la théorie sociale cognitive (Jézégou, 2014 ; Bandura, 1999), nous retenons dans ce cas précis un environnement imposé. Ce dernier est catégorisé en « imposé », laissant peu de choix aux étudiants. Il existe donc un contrôle fort du formateur sur l’apprentissage des apprenants (Jézégou, 2014). L’étudiant ne peut pas (ou très peu) exercer de contrôle sur la situation pédagogique. Dans cet environnement imposé, ces derniers doivent exprimer des qualités d’autodétermination et d’autorégulation pour faire face à la situation. L’autodétermination (Zimmerman, 2007) doit amener l’apprenant à se fixer un but bien précis et se réguler au fil du temps (autorégulation) pour garder le cap vers cet objectif final. Dans notre travail, cela pourrait être d’acquérir des ST pour les mobiliser dans ses pratiques (développement de compétences). Les travaux de Moore (1993) dans sa théorie de DT explorent cette dimension par « la structure ». Pour lui, la structure peut être ouverte et plus ou moins fermée. Nous pensons que dans un CM, la structure est fermée ayant pour conséquence selon ses écrits de majorer la DT. En effet, plus la structure est fermée, plus la distance augmente. Associée à la structure, Moore (1993) décrit « la présence ». Elle permet par le dialogue d’amener de la discussion, des échanges autant entre les apprenants qu’entre le formateur et ces derniers. Nous notons que plus le dialogue est grand, moins la DT est importante. Dans notre étude, le dialogue est peu important dans la mesure où il se caractérise par des échanges principalement verticaux entre le formateur et les apprenants en présentiel ou à distance. Dans ce recensement lié au dialogue, il aurait été intéressant de noter durant le CM, les différentes interactions pour en objectiver les récurrences des deux groupes. Durant cette phase, il nous semble que le modèle pédagogique est principalement béhavioriste. Dans un second temps, nous pensons qu’une communauté se crée a posteriori pour résoudre éventuellement des problèmes liés à la distance (Cain et al., 2007; Chen, 2001; Foucault et al., 2003). Ainsi, un système d’entraide permet de rendre plus facile l’apprentissage, qu’il soit en présentiel ou à distance comme le cite Bandura (1999). Il s’établit un environnement construit pour s’adapter à cet environnement. Nous passons donc d’un environnement imposé (le CM) à la construction d’un environnement qui permet de faire face au média utilisé. Certains auteurs (Garrison, 2003; Saba, 2003) parlent de « community of inquiry » qui est une communauté d’apprentissage centrée sur la collaboration et la coopération entre les apprenants pour maintenir l’objectif fixé personnellement (autodétermination). L’évaluation des ST nous permet d’identifier les conséquences de cette communauté que nous pensions plus présente à distance. Selon le graphique 1, 2 et 3, nous ne trouvons aucune différence entre le temps T2 et T3. Entre ces deux espaces temps, les apprenants ont certainement établi des stratégies pour être en capacité de maîtriser leurs savoirs via une « community inquiry ». Les résultats ne mettent pas en évidence la distance comme élément marqueur de cette communauté. Il nous semble donc qu’entre les deux groupes, la construction d’un environnement d’aide, de partage et de dialogue n’est pas différente.
40Il s’agit d’une construction d’un environnement social où les apprenants font preuve d’agentivité. Il est marqué au niveau comportemental par des qualités d’engagement et de motivation comme nous allons l’analyser maintenant.
41Dans cette partie, nous développons les caractéristiques liées à la motivation pour en déterminer des différences éventuelles entre les deux groupes (GP et GVC). Pour cela, nous analysons les résultats du questionnaire EMFA.
42Décrivons ce qu’est la motivation pour pouvoir aller plus loin dans notre analyse. Celle-ci est considérée comme un motif qui va mener à l’action. La personne motivée se donne un sens et va essayer de l’atteindre par ses différentes actions. Lévy-Leboyer (2011) pense que la motivation « est un processus qui se décompose en trois étapes :se donner un objectif à atteindre, décider de faire un effort pour l’atteindre et persister dans cet effort. » (2011, p.31-32). Analysons maintenant les différents paramètres liés au questionnaire EMFA.
43Nous traitons en premier lieu la motivation intrinsèque qui comme présentée dans le cadre théorique fait appel à la notion de plaisir, de sensation, de récompense. Les résultats en comparaison des 2 groupes ne démontrent aucune différence significative avec un p = 0.182. Nous pensons de par ces résultats que la distance dans ce cadre expérimental ne modifie pas la motivation intrinsèque des apprenants à distance. Malgré la distance, le ressenti interne des étudiants permet de dégager des comportements positifs pour apprendre. Cette DT est marquée nous le rappelons par une structure fermée et un dialogue durant le CM limité. Nous pourrions penser que cela affecte l’envie d’apprendre de nos apprenants et ainsi diminue la motivation intrinsèque à la connaissance. Au contraire, nous avons testé les corrélations existantes entre les scores du QCM et les facteurs de motivation (tableau 4 et 5). Ces derniers nous indiquant que la corrélation est significative entre la motivation intrinsèque à la connaissance et les évaluations des ST. En d’autres termes, les scores de ST sont proportionnels au niveau de motivation intrinsèque. Ce résultat paraissant logique dans la mesure où ce paramètre de la motivation est majeur dans le continuum de l’autodétermination (Heutte et al., 2016). En prenant du plaisir à acquérir des nouvelles connaissances théoriques, l’acquisition est plus aisée comme nous le démontrent les scores du QCM. Il est probable que les étudiants GVC ont déterminé un objectif précis en termes d’apprentissage et que la régulation les amène à s’adapter de la meilleure des façons pour acquérir des ST.
44En se référant au continuum de l’autodétermination de Heutte (2016), elle est mineure par rapport à la motivation intrinsèque, car elle dépend de facteurs externes. Elle est donc plus difficile à réguler pour l’apprenant, car elle ne dépend pas directement de lui. Nous rappelons qu’il existe dans cette catégorie, la régulation externe, l’introjectée, l’identifiée, l’intégrée et l’amotivation. Les plus favorables à l’autodétermination sont l’intégrée et l’identifiée. Les résultats recueillis dans notre étude font apparaître des différences significatives pour l’identifiée (p< 0,043) et l’intégrée (p< 0,037) entre les deux groupes (Tableau 3). La motivation extrinsèque identifiée renvoie à un engagement de l’apprenant dans lequel même s’il lui parait que l’activité n’est pas essentielle pour lui, il va la prendre à cœur, car il sait qu’elle lui servira lors de son activité professionnelle future par exemple. Il peut avoir un discours interne comme « je n’apprécie pas ces cours en VC, mais je sais qu’il faut passer par là pour acquérir des compétences cœur de métier et ainsi devenir un bon professionnel. ». Le groupe GP (22.7 versus 21.7) obtient un score plus important lui permettant peut-être par la présence de plus s’engager que les apprenants du GVC et ainsi moins subir l’évènement par sa présence en cours. Il peut ainsi avoir l’impression de pouvoir interagir avec la situation vécue. Les étudiants à distance peuvent ainsi souffrir d’un manque d’intérêt, peut-être par un sentiment d’abandon (Desmarais, 2000). Concernant la motivation extrinsèque intégrée, le groupe GVC (20,06) obtient un score plus élevé que le groupe GP (15,89). L’explicitation de ces résultats nous paraît complexe avec les données en présence. Il nous semble que le groupe GVC par cet environnement particulier perçoit la tâche (CM) en relation avec ses propres valeurs. L’environnement imposé peut permettre à l’apprenant de retrouver des valeurs qui lui sont propres. Il va pouvoir interférer avec sa communauté d’apprentissage et évoluer dans un système collectif dans lequel le dialogue qui lui faisant défaut en VC va le rendre acteur de sa formation. Il ne subit plus l’environnement imposé. Il construit son environnement personnel d’apprentissage et augmente sa motivation. Il aurait peut-être été intéressant d’interroger les apprenants (entretien individuel) pour identifier les valeurs des deux groupes en présence pour pouvoir les rapprocher de la motivation intégrée.
45Selon Deci et Ryan (2002), elle se définit par une absence de motivation ce qui pourrait être compréhensible dans cet environnement imposé avec peu de flexibilité. Lorsqu’un apprenant n’est pas motivé, il n’agit pas et son comportement reste passif. D’autres auteurs (Abramson et al., 1978 ; Bandura et Locke, 2003) expliquent ces raisons d’amotivation. La première est l’habituation que peut avoir un apprenant à se résigner et ne pas lutter pour aller vers l’objectif désiré. La seconde est la dévalorisation que peut se représenter l’étudiant par perception d’un manque d’efficacité personnelle. Selon la théorie de la DT, la distance est pesante pouvant amener l’apprenant à se sentir abandonné et loin de la source pédagogique. Les résultats sont tout autre puisqu’il n’existe pas de différence significative entre les deux groupes (5,39 pour le GP ; 8,63 pour le groupe GVC). Certes, l’amotivation est plus importante pour le groupe GVC, mais elle demeure après test statistique identique au groupe GP. Nous pouvons penser qu’avec un échantillon plus large, la significativité aurait été objectivée. Pour argumenter cette possibilité, nous soulignons que la structure est fermée et que le vecteur social est aussi peu présent.
46Le comportement des acteurs est un facteur important que nous devons prendre en compte, mais il paraît intéressant de souligner les particularités des deux groupes. Le GP présentiel est un groupe de 64 apprenants avec une organisation à grande échelle dans le cadre de l’apprentissage. Ce grand nombre fait que les relations entre les apprenants restent plus anonymes et le socioconstructivisme certainement moins présent. Dans l’autre environnement, nous retrouvons 16 étudiants au sein d’une structure plus flexible et bienveillante. Il est possible, mais non confirmé par l’ensemble des résultats (surtout les ST) que cette petite communauté à distance a compensé la distance par la mise en place d’une construction d’un environnement socio-constructif. Cette adaptation par un groupe communautaire va permettre dans un cadre théorique d’auto-détermination de garder les objectifs et certainement au final de l’atteindre par la force de cette « community inquiry ». Cette collaboration pouvant être une adaptation efficiente pour affronter la distance. Nous pensons qu’en accord avec la motivation extrinsèque intégrée décrite plus haut, les valeurs du groupe GVC sont centrées sur la notion de groupe, de collaboration et de partage.
47Nous présentons dans cette partie les limites de ce travail de recherche avec des commentaires sur l’échantillon, les données qualitatives et pour finir l’analyse des données. Tout d’abord, la taille de la population est réduite. Nous avons dû nous adapter à la taille de la promotion de la ville de Rodez qui n’est constituée que de 16 étudiants. Cet échantillon réduit pouvant amener un manque de puissance à nos calculs statistiques. Il serait possible de faire cette même étude en recueillant l’ensemble des promotions (quatre promotions) pour augmenter la taille de l’échantillon. Nous avons également voulu par un QCM évaluer les ST. Nous ne pouvons pas à l’aide de ces quelques questions résumer l’acquisition de ces savoirs uniquement par les réponses des apprenants. Cela étant relevé, nos résultats peuvent amener une tendance pour ensuite pouvoir les discuter.
48Nos données sont essentiellement quantitatives. Nous pensons qu’il serait très intéressant de mettre en place des entretiens semi directifs pour explorer plus précisément le ressenti des apprenants. Une analyse du verbatim serait très certainement explicative des différences éventuelles entre les deux groupes. Pour finir, nous avons recueilli d‘autres données comme les échelles de comportement, le sentiment d’appartenance que nous exploiterons sur un autre article et qui éclairera nos résultats.
49Pour conclure ce travail, nous rappelons l’hypothèse de départ : l’enseignement à distance par l’intermédiaire d’un cours magistral en VC permet d’acquérir les mêmes savoirs théoriques qu’en présentiel. Selon les résultats recueillis, nous n’observons pas de différence significative entre les deux groupes (GVC et GP) après le CM. Par contre, nous identifions une différence significative int ra groupe avant et après le CM. Il est aussi identifié pour les deux groupes en présence, une différence significative un mois après le CM. Nous pouvons en déduire que notre hypothèse est validée. L’acquisition des ST persiste également à moyen terme dans le groupe GVC.
50Puis nous avons essayé d’expliciter par le modèle d’autorégulation nos résultats. La motivation intrinsèque n’est pas sensible à la distance comme nous le démontre la similitude entre les groupes. Nous avons illustré que la motivation extrinsèque est significativement différente pour l’identifiée (plus forte pour le groupe GP) et l’intégrée (plus forte pour le groupe GVC). Ce dernier résultat, difficile à commenter peut nous amener à penser que l’apprenant à distance a peut-être élaboré, dans un souci d’efficience, son environnement personnel d‘apprentissage. Il est possible que par un sentiment d’abandon, lié à la distance, les étudiants construisent un environnement libre, social et non imposé. Les apprenants s’adaptent à cet environnement imposé et très structuré.
51Notre recherche appelle deux types de conclusions : l’une centrée sur la conception et l’évaluation d’un cours magistral en VC, et l’autre sur le transfert des connaissances acquises au travers de ce mode d’enseignement à distance. Pour rendre efficace la présentation des savoirs théoriques par l’intermédiaire des cours magistraux en visioconférence, nous pensons qu’il est nécessaire que leur conception s’appuie sur une connaissance des processus cognitifs impliqués dans ce type d’enseignement pour adapter ces environnements aux apprenants en vue de faciliter les apprentissages. Mais cette démarche serait incomplète si elle s’arrêtait à la conception de cours magistraux en visioconférence. Des recherches complémentaires s’avèrent nécessaires pour évaluer rigoureusement les connaissances acquises à l’aide de tels environnements à distance.