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Soutenir les stratégies volitionnelles et améliorer l’expérience des étudiants en formation à distance. Quels potentiels pour le design tangible ?

Supporting Volitional Strategies and Improving the Distance Learning Experience: What Potential for Tangible Design?
Gaëlle Molinari et Elsa Schneider

Résumés

Le but de cette étude est d’explorer les potentiels du design tangible pour soutenir la volition en formation à distance. Des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de six étudiantes pour rendre compte de leur expérience d’apprentissage à distance. L’analyse phénoménologique interprétative (API) des entretiens met en évidence des difficultés qui peuvent être atténuées par la mise en œuvre de stratégies volitionnelles comme la structuration du temps et de l’environnement, la gestion des émotions et de la motivation, et la recherche de soutien social. L’API révèle également une hétérogénéité des usages en termes de stratégies volitionnelles. Une boîte à outils a été développée selon une approche itérative de type « through design ». Cinq objets tangibles sont proposés pour répondre de façon personnalisée aux besoins des étudiants en termes de stratégies : « le tube de récompense » (Reward Tube) pour les inciter à se récompenser après l’effort ; « l’album des victoires » (Victories Album) pour les aider à documenter leurs réussites ; « le thermomètre émotionnel » (Emotional Thermometer) pour les amener à prendre conscience de leurs émotions et de leurs besoins ; « la casquette d’apprentissage » (Learning Cap) pour signaler à leurs proches le besoin de ne pas être dérangés ; et « le gardien du temps » (Time Guard) pour fractionner le temps et prendre régulièrement des pauses.

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Texte intégral

Introduction

1Cette étude a pour contexte une formation universitaire hybride qui s’adresse à des adultes ne pouvant pas suivre une formation traditionnelle avec des lieux et des horaires fixes. L’apprentissage dans ce contexte est souvent vécu comme une expérience solitaire (Kaufmann et Vallade, 2020) associée à une certaine « pression à l’autorégulation » (Cosnefroy, 2010, p. 32). Comme le décrit Cosnefroy, l’autorégulation consiste en la prise de contrôle par les étudiants de leur apprentissage, et cette demande d’autonomie est plus élevée en formation à distance qu’en formation traditionnelle. Cette pression à l’autorégulation peut s’expliquer par le fait que les étudiants à distance ont, pour un grand nombre d’entre eux, non seulement à étudier et produire pour leur formation, mais également à assumer en parallèle des activités professionnelles et familiales. L’autorégulation demande aux étudiants de fournir un effort soutenu sur de longues périodes. Un tel effort, s’il n’entraîne pas de bénéfices, notamment s’il ne s’accompagne pas d’un sentiment de progression et d’accomplissement, peut provoquer de la fatigue mentale, une baisse de la motivation voire un désengagement (Boksem, Meijman et Lorist, 2006).

2La présente étude est le fruit d’une collaboration interdisciplinaire entre les domaines des technologies éducatives et du design d’interaction. Dans cette étude, nous nous sommes questionnées sur le potentiel des objets tangibles comme outils pouvant s’intégrer au scénario d’accompagnement des étudiants à distance, et aider ces derniers à maintenir leur motivation tout au long de la formation. Nous avons procédé en deux étapes. Des étudiants en formation universitaire hybride ont d’abord été interrogés sur leur expérience d’apprentissage dans l’objectif de rendre compte de leurs difficultés à « se mettre au travail et y rester » (Cosnefroy, 2010, p. 18). Ces difficultés ainsi identifiées, plusieurs objets tangibles ont été ensuite conçus pour soutenir la mise en œuvre de différentes stratégies volitionnelles reconnues comme favorisant l’engagement et la persistance en formation (Houart, 2017).

Ancrage théorique de l’étude

Expérience d’apprentissage et engagement

3Cette étude s’inscrit dans une approche centrée sur l’expérience des apprenants. La notion d’expérience renvoie à la façon dont les apprenants perçoivent et donnent sens à la situation d’apprentissage ainsi qu’aux émotions qu’ils ressentent dans cette situation. Pour Boud et Prosser (2002), une telle approche postule que : 1) l’apprentissage est toujours situé dans un contexte spécifique (« learning is always situated in a particular context », p. 238) ; 2) un même contexte d’apprentissage est perçu différemment par les apprenants (« students perceive the same learning context in different ways », p. 238) ; et 3) la perception du contexte est associée non seulement à la façon dont les apprenants abordent l’apprentissage, mais également à leurs résultats d’apprentissage (« and this variation in ways of perceiving the context is fundamentally related to how they approach their learning and to the quality of their learning outcomes », p. 238). Selon cette approche, l’expérience d’apprentissage doit donc être au cœur du processus de conception d’un dispositif de formation.

4Boud et Prosser (2002) s’appuient ainsi sur l’approche centrée expérience pour développer un cadre de conception et d’évaluation qui s’adresse aux dispositifs de formation intégrant les nouvelles technologies. Ce cadre propose quatre axes sur lesquels il est important d’agir pour améliorer l’expérience d’apprentissage : la prise en compte du contexte (1), l’engagement (2), la nécessité de mettre au défi les apprenants (3) et de les amener à mettre en pratique ce qu’ils apprennent (4). Dans la présente étude, nous avons fait le choix d’intervenir sur l’axe de l’engagement. L’engagement est défini comme un construit multidimensionnel associé à (au moins) trois dimensions : il est comportemental, émotionnel et cognitif (Fredricks, Filsecker et Lawson, 2016). Il est ainsi associé à des comportements observables (par exemple, participation, effort, attention), des émotions (positives et négatives), des croyances motivationnelles (par exemple, sentiment d’efficacité personnelle, perception de la valeur de la tâche), des processus et stratégies pour apprendre en profondeur et réguler l’apprentissage (par exemple, réflexion critique, autorégulation métacognitive). Il est considéré comme un facteur de la réussite académique (Molinari, Poellhuber, Heutte, Lavoué, Widmer et Caron, 2016 ; Pirot et De Ketele, 2000) et comme un des piliers du bien-être. Il est ainsi un prédicteur de l’expérience positive en contextes de travail et d’apprentissage (Schueller et Seligman, 2010).

Apprentissage autorégulé, motivation et volition

5Notre travail repose sur le constat d’un enseignant qui dispense ses cours dans un dispositif hybride de formation : « Les étudiants, bien que fortement motivés par la formation expriment des difficultés à maintenir constant leur engagement tout au long du cours. Ils sont souvent fatigués en milieu de semestre, parfois découragés, voire irritables, et il est alors difficile de leur demander un effort de participation à des activités qui demandent réflexion et analyse ». Ce constat rejoint les témoignages d’étudiants en situation de formation traditionnelle, témoignages recueillis par Houart (2017) lors d’entretiens méthodologiques. Les étudiants rapportent ainsi rencontrer des problèmes à se mettre au travail, à maintenir leur attention sur les tâches demandées, et ce même s’ils se disent motivés. Ces observations ont conduit Houart à développer un nouveau modèle de l’apprentissage autorégulé dont l’une des visées est de définir des stratégies d’intervention permettant de soutenir la volition en milieu universitaire.

6L’apprentissage autorégulé réfère aux processus par lesquels l’apprenant planifie, surveille, ajuste et évalue, de façon active et autonome, ses cognitions, motivations, émotions et comportements ainsi que son contexte d’apprentissage (Pintrich, 2004 ; Zimmerman, 2002). La mise en œuvre de ces processus n’est pas systématique. L’apprenant ne régule pas (ou ne peut pas) réguler son activité de façon constante et dans tous les domaines. Ceci s’explique notamment par le fait que « l’autorégulation fatigue » et que « la force autorégulatoire est limitée » (Cosnefroy, 2010, p. 32-33). Pour Schmeichel et Baumeister (2004, cités par Cosnefroy, 2010), s’autoréguler veut dire inhiber certains automatismes qui pourraient avoir des effets délétères sur l’apprentissage (Cosnefroy donne comme exemple d’automatismes le fait de rapidement se décourager). Or, l’inhibition est un processus de contrôle qui a un « coût » : il puise dans un stock de ressources qui est commun aux activités d’apprentissage et qui doit être régulièrement renouvelé. L’autorégulation est, par ailleurs, dirigée par un but qui va servir de point de référence pour l’évaluation de la progression de l’apprentissage.

7Dans les modèles de l’apprentissage autorégulé proposés par Pintrich (2004) et Zimmerman (2002), trois phases d’autorégulation sont classiquement distinguées qui se réalisent de façon séquentielle ou simultanée : les phases de prospection, de performance et de rétrospection. La prospection est une phase de planification (but, plan d’action, temps, effort, auto-observation) et d’activation (connaissances antérieures et métacognitives ; perceptions de soi, de la tâche et du contexte) en amont de la tâche. La performance s’organise en deux phases interreliées qui ont lieu pendant la tâche : le monitoring (prise de conscience et suivi) et la régulation (contrôle et ajustement). La rétrospection consiste en une évaluation réflexive (jugements cognitifs et réactions émotionnelles) du résultat d’apprentissage. Les trois phases concernent l’ensemble des dimensions de l’apprentissage, cognitive, motivationnelle, émotionnelle, comportementale et environnementale.

8Le modèle de l’apprentissage autorégulé pour l’action (Houart, 2017) a la particularité d’intégrer la volition comme une autre des dimensions de l’apprentissage à réguler. Il décrit la motivation, la volition et la cognition comme étant orchestrées par la métacognition. Dans ce modèle, la volition est considérée comme un processus distinct, mais interdépendant de la motivation. La motivation concerne la formation des intentions ; elle est notamment désignée comme une « motivation de choix » par Heckhausen (1991). Elle est rattachée à la phase de prospection du modèle de Pintrich, et est associée à des processus de prise de décision et de planification des objectifs à atteindre. D’après Viau (2000), la motivation prend sa source dans les perceptions que les apprenants ont d’eux-mêmes et de leur environnement comme la valeur qu’ils accordent à l’activité d’apprentissage (utilité perçue), la perception qu’ils ont de leur capacité à réaliser cette activité avec succès (sentiment d’auto-efficacité) ou à contrôler le déroulement et les conséquences de cette activité (contrôlabilité perçue).

9La volition, quant à elle, concerne la mise à exécution des intentions et leur régulation protectrice face à de potentiels obstacles et distractions (internes et externes). « La volition est le processus du passage de l’intention à l’acte » (Broonen, 2007, p. 8) ; on parle également de « motivation exécutive » ou de « motivation en action » (Dörnyei et Ottó, 1998 ; Heckhausen, 1991). Elle est associée à la phase de performance, et renvoie à des processus de maintien de l’attention et de l’effort pour atteindre les objectifs fixés (Achtziger et Gollwitzer, 2018). La distinction entre motivation et volition trouve sa pertinence dans le fait que la fixation d’un objectif n’entraîne pas systématiquement la mise en œuvre d’un plan d’action ou dans le fait qu’un plan d’action en cours d’exécution peut s’arrêter à tout moment pour diverses raisons, entraînant alors la non-réalisation de l’objectif poursuivi. Par ailleurs, dans le cas de projets à long terme comme c’est fréquemment le cas pour les projets de formation, les objectifs initiaux peuvent évoluer au fil de temps. Enfin, l’atteinte de l’objectif qu’est le développement d’une expertise dans un domaine donné est un processus lent et coûteux cognitivement qui demande de la persévérance.

10Dörnyei et Ottó (1998) identifient une large palette de facteurs volitionnels dont 1) des facteurs internes liés à l’évaluation immédiate et continue de la situation (appraisal process) comme la qualité perçue de l’expérience d’apprentissage, la perception que les apprenants ont de la relation de contingence entre leurs actions et leur résultat d’apprentissage, la progression et le degré d’autonomie perçus dans la réalisation des activités demandées, 2) des facteurs externes tels que la façon dont l’apprentissage est structuré (le scénario pédagogique), le(s) groupe(s) dans le(s)quel(s) les apprenants évoluent et le climat de classe, et 3) l’efficacité des stratégies d’autorégulation mises en œuvre dont les stratégies volitionnelles que nous allons décrire maintenant.

Stratégies volitionnelles

11Les propos de l’enseignant à distance (ci-dessus), les témoignages des étudiants interrogés par Houart (2017), et les recherches sur la motivation en contexte d’apprentissage nous enseignent que « rien ne garantit la pérennité (du niveau initial de motivation) au cours de l’apprentissage » (Cosnefroy, 2010, p. 29), et que le niveau et la qualité de l’engagement varient au cours du temps. Malgré cela, force est de constater qu’il existe encore peu de recherches sur la dimension temporelle de l’engagement (Dörnyei, 2000) en formation à distance, sur les facteurs explicatifs de sa fluctuation dans le temps, ou encore sur la façon de soutenir la motivation en action.

12Houart (2017) utilise son modèle pour proposer des pistes d’actions visant à favoriser l’engagement et la persévérance. Ces pistes s’appuient sur deux des quatre conditions requises pour une prise de contrôle de l’apprentissage : l’auto-observation et la mobilisation d’une large palette de stratégies d’autorégulation (Cosnefroy, 2010). Les étudiants sont ainsi invités à prendre conscience et à améliorer leurs stratégies de mise au travail et de maintien de l’effort. La théorie du contrôle de l’action (Kuhl, 1987) est l’une des premières à décrire ces stratégies volitionnelles dont la fonction est de protéger les intentions comportementales. Pour Cosnefroy, ces stratégies jouent un rôle crucial en formation à distance : elles leur permettent de se focaliser sur l’activité d’apprentissage au détriment d’activités concurrentes issues notamment des sphères professionnelles et privées.

13Deux catégories de stratégies volitionnelles sont classiquement distinguées : des stratégies internes qui agissent sur l’attention, la motivation et les émotions, et des stratégies externes qui agissent sur l’environnement d'apprentissage (Baillet, Dony, Houart, Poncin et Slosse, 2016 ; Corno et Kanfer, 1993 ; Kuhl, 1987). Les stratégies externes consistent à aménager son lieu de travail, réduire les distractions potentielles, optimiser le temps alloué aux différentes activités prescrites, rechercher des informations supplémentaires et solliciter de l’aide (auprès des enseignants et/ou des pairs). Les stratégies internes consistent à contrôler son attention (notamment en se fixant des objectifs), gérer sa motivation (par exemple, activer des buts de maîtrise, renforcer son sentiment d’efficacité personnelle, se récompenser) et contrôler ses émotions (par exemple, anticiper les émotions ressenties en cas de succès ou d’échec).

Des objets tangibles pour soutenir la volition

14Nous nous intéressons au potentiel de soutien à l’autorégulation des objets tangibles et dans cet article, à la façon de concevoir ces objets de sorte à encourager les étudiants à distance à développer et utiliser des stratégies volitionnelles. L’adjectif « tangible » renvoie à « ce qui est perceptible par le toucher » et « dont la réalité est évidente, indéniable » (définitions issues du site CNRTL1). Les objets tangibles désignent des objets présents, matériels et haptiques qui ont donc une réalité physique dans un lieu, un environnement et un contexte (Klanten, Ehmann et Hübner, 2009). Par ailleurs, de par le signifiant – que Norman (2008) définit comme « la part perceptible d’une affordance » (p. 19) – dont ils sont porteurs et leur nature manipulable, les objets tangibles invitent à être utilisés et déclenchent chez leurs utilisateurs une série de gestes et d’actions qui leur sont spécifiques. Enfin, si le design d’objets tangibles éducatifs est récent, mais encore relativement rare, il est toutefois porteur de potentialités pédagogiques, car ils offrent des « ancrages physiques, concrets, et visuels » (Fleck, Baraudon, Frey, Lainé et Hachet, 2018) pour la construction de connaissances sur des phénomènes complexes, invisibles et intangibles.

15La démarche qui a été adoptée dans cette étude pour la conception des objets tangibles est centrée utilisateur. Elle s’inscrit dans la mouvance des technologies positives lesquelles désignent un axe de recherche récent sur la conception et l’usage de technologies pour promouvoir le potentiel humain et favoriser la « croissance positive d’individus, de groupes et d’institutions » (Gaggioli, Villani, Serino, Banos et Botella, 2019, p. 1). Un des ancrages théoriques de cet axe est le courant de la psychologie positive dont l’article de Seligman et Csikszentmihalyi (2000) constitue l’un des actes fondateurs. La visée de la psychologie positive est de rendre compte des processus et des facteurs qui contribuent à l’épanouissement et au fonctionnement optimal (Gable et Haidt, 2005). Dans l’axe des technologies positives, le bien-être, les émotions positives, mais également d’autres dimensions comme le sens de l’expérience, l’autonomie, l’engagement et la qualité des relations, sont considérées à la fois comme but de conception et comme facteur d’usage (Hassenzahl et Tractinsky, 2006). Trois catégories de technologies positives sont distinguées en fonction de leur objectif qui peut être 1) hédonique (générer des expériences agréables), 2) eudémonique (faire vivre des expériences engageantes, valorisantes et épanouissantes), et 3) social (favoriser les échanges et les relations au sein et entre les communautés et institutions) (Gaggioli, Riva, Peters et Calvo, 2017). Notre visée, à travers la conception d’objets tangibles pour soutenir la volition chez les étudiants à distance, est donc eudémonique.

16L’approche de conception est de type through design. Elle consiste à créer de manière itérative des objets afin d’explorer leur potentiel pour l’atteinte d’un état désiré (Zimmerman, Stolterman et Forlizzi, 2010). Dans le contexte de notre étude, l’état désiré est l’amélioration de l’expérience d’apprentissage des étudiants en les aidant à s’autoréguler et à maintenir leur motivation. Selon Zimmermann et al. (2010), une approche par le design cherche à appréhender les problèmes sociétaux de manière holistique en s’appuyant sur les résultats de recherches transdisciplinaires. Une telle approche vise à générer des savoirs sur les usagers des prototypes. Elle permet aussi aux designers de développer des savoir-faire en matière de création, de modélisation et de résolution de problèmes. Ainsi, plus que d’observer l’existant, il s'agit d’essayer de transformer un système à travers des propositions d’artefacts en créant une sorte de laboratoire grandeur nature.

17L’intérêt du design tangible est double. D’une part, la plupart des stratégies volitionnelles sollicitent une mise en mouvement (interne et externe), et certaines sont associées à des actions physiques concrètes (s’isoler, se relaxer, jouer, etc.). Elles sont donc propices au design d’objets tangibles qui, associés à des rituels d’actions, vont demander de faire (ou rappeler qu’il faut faire) et vont, par conséquent, encourager le passage à l’action. D’autre part, ces stratégies demandent aux étudiants d’accomplir d’autres gestes que des gestes purement digitaux. Le design tangible est une démarche novatrice au regard de la palette d’outils qui sont actuellement proposés pour soutenir l’autorégulation et qui sont majoritairement numériques comme l’application Pomodoro Tracker2. Cette application a été conçue pour aider les utilisateurs à rester concentrés sur leur tâche, et prend appui sur la technique Pomodoro (Cirillo, 2018), une méthode de gestion du temps qui propose d’utiliser un minuteur pour diviser le travail en plusieurs périodes de 25 (ou 45) minutes entrecoupées de pauses de 3 à 5 minutes3.

Méthode de l’étude

18Cette étude s’est organisée en trois temps : 1) une revue de littérature pour identifier les difficultés rencontrées en formation à distance et répertorier les stratégies volitionnelles (le cadre théorique ci-dessus) ; 2) la passation auprès d’étudiantes à distance d’entretiens semi-directifs visant à explorer leur expérience d’apprentissage ; et 3) la conception d’objets tangibles selon une approche itérative de type through design.

Un regard sur l’expérience d’apprentissage à distance

19Six étudiantes, âgées entre 22 et 50 ans, ont volontairement participé à cette étude. Au moment de l’interview, elles sont à des niveaux différents du Bachelor en Psychologie, formation de 9 semestres proposée en format hybride (alternance de trois semaines à distance et d’une journée en présence). L’hétérogénéité en termes d’âge et le fait que les personnes interrogées soient toutes des femmes sont représentatifs de la population engagée dans la formation. Les interviews se sont déroulés par Skype, et ont duré entre 50 et 90 minutes.

20La grille de questions ouvertes utilisée pour les entretiens semi-directifs a été conçue à partir de la revue de littérature présentée ci-dessus. Cette grille s’organisait en trois thèmes : l’expérience générale de la formation (par exemple : Comment vivez-vous votre formation à distance ? En quoi diffère-t-elle de ce que vous avez pu vivre avant ?) (Thème 1) ; l’aménagement de l’espace de travail et les stratégies pour se motiver (par exemple : Pouvez-vous me décrire le ou les endroits où vous avez l’habitude de travailler, la façon dont vous les organisez ? Effectuez-vous des rituels avant de vous mettre au travail, des pauses en cours d’activité ?) (Thème 2) ; la présence sociale et les interactions avec les pairs (par exemple : Comment vous sentez-vous par rapport aux autres étudiants et à la classe ? Lorsque vous travaillez seul(e) chez vous, savez-vous ce que font les autres étudiants, êtes-vous en contact avec certains d’entre eux ?) (Thème 3). En amont des entretiens, les étudiantes ont été invitées à envoyer des photos de leur(s) lieu(x) d’étude. Ces photos ont été utilisées comme supports aux questions du Thème 2.

21Les interviews retranscrits ont fait l’objet d’une analyse phénoménologique interprétative (API). L’API a été utilisée pour saisir et rendre compte de l’expérience vécue en formation à distance. Il s’agit de s’intéresser à ce que vivent les étudiantes, à la façon dont elles donnent sens à leur vécu au sein de la formation. Dans ce type d’analyse, le chercheur « reste au plus près du discours », et procède selon une double herméneutique : il « essaye de faire sens de la manière dont le sujet fait sens de son expérience subjective », son interprétation reposant sur la littérature scientifique associée à la problématique abordée (Fasse, Sultan et Flahault, 2014, p. 181). L’API a fait émerger 4 thèmes hyperonymes décrits ci-après.

Thème 1 : Difficultés à gérer de front travail, études, famille et loisirs

22Un des défis majeurs est d’allouer du temps aux activités d’apprentissage pendant les périodes à distance, de « jongler » entre ces tâches et celles liées à la vie professionnelle, personnelle et familiale. La formation à distance est associée à une « charge de travail importante », et est vécue comme quelque chose qui est « fait à côté du reste » ; qui peut entrer en conflit avec les autres sphères de vie et entraîner une perte « de la qualité de vie familiale » ; qui implique des « contraintes », « concessions », « responsabilités », « d’avoir ton propre rythme » et d’être « organisée » ; qui amène à être « pas mal stressée » et parfois « dure avec toi-même ». Le côté « dur » peut se retrouver dans le fait que certaines étudiantes enchaînent les activités professionnelles et de formation sans s’accorder de pauses. Cela témoigne d’une certaine porosité entre les différentes sphères et ici, entre la sphère professionnelle et celle de la formation.

« La charge de travail est importante, parce que c’est quelque chose qu’on fait à côté du reste. Et à côté du reste, il reste peu de temps. » [Étudiante 1]

« On a plutôt à faire à des gens qui sont quand même pas mal stressés, qui doivent cumuler leur vie professionnelle et leur vie familiale. » [Étudiante 2]

« Tu dois vraiment avoir ton propre rythme, c’est une liberté immense, mais en même temps c’est beaucoup de contraintes. Enfin pas de contraintes, mais de responsabilités, parce que tu dois vraiment être organisée et être dure avec toi-même parfois. » [Étudiante 3]

« Moi aussi, je peux le dire clairement, on perd de la qualité de vie familiale parce qu’on doit faire des concessions sur des choses sur lesquelles on faisait pas avant. » [Étudiante 2]

« Je peux tout de suite enchaîner à 17 heures avec çà (…), mais c’est très contraignant quand même parce que c’est vrai qu’à 17 heures quand on coupe la partie professionnelle dans l’ordinateur, on a envie de se dire « ahh », mais non non non en fait, il faut tout de suite réattaquer sinon c’est fichu. » [Étudiante 1]

Thème 2 : Difficultés à aménager un espace de travail adéquat

23Une autre difficulté est de créer un lieu qui soit optimal pour apprendre. Les étudiantes étudient principalement chez elles. Leur espace de travail n’est pas uniquement dédié à la formation. Il s’agit, par exemple, d’une « table de cuisine », d’un « bureau à côté de mon lit » ou d’une « table de salon ». Ce lieu se partage ainsi entre plusieurs sphères d’activités et plusieurs personnes, ce qui est vécu comme « anxiogène » ou comme source de « stimulations externes ». Les interruptions sont perçues comme pouvant impacter la quantité de travail. Les photos reçues montrent que les étudiantes ont souvent aménagé leur espace d’études de sorte à recréer une ambiance de bureau. Le choix de ce lieu semble également participer à la mise en route des activités (« une table, sinon c’est hors de question, je vais m’affaler » [Étudiante 3]). La confusion entre espace privé et espace d’études est parfois telle que les étudiantes ont besoin de sortir de chez elles pour s’accorder un vrai moment de liberté.

« À des moments çà peut devenir terriblement anxiogène de se retrouver dans le même espace où on doit gérer sa vie et en même temps son travail d’études. » [Étudiante 2]

« À un moment donné, moi j’avais mis mon bureau face au mur ce qui fait que ça évitait des stimulations externes, mais c’est plus possible donc maintenant je suis face à ma fille cadette qui bosse sur son bureau et qui parle beaucoup. » [Étudiante 5]

« Il y a des moments (…) tout à coup les gens ils arrivent dans mon univers (…) tout le monde rentre à la maison (…) çà devient horrible parce qu’ils me coupent complètement dans mon élan alors que je pourrais travailler tellement plus. » [Étudiante 2]

« Pour s’accorder un vrai moment de liberté, intellectuel, il faut vraiment sortir de chez soi. Parce que chez moi, c’est les cours. » [Étudiante 2]

Thème 3 : Difficultés à tenir sur la longueur, à voir ses progrès, à se récompenser

24Les étudiantes rapportent vivre des périodes de surcharge mentale (particulièrement avant les examens), et « beaucoup de pression » qu’elles s’imposent elles-mêmes et/ou qui peut venir de leurs proches. Au cours de ces périodes, elles ressentent ne pas être à la hauteur de ce qui leur est demandé (« le saut d’obstacles unijambiste »), ne plus être en capacité d’assimiler ce qu’il y a à apprendre (« je pouvais plus rien prendre en plus ») et être au bord de « craquer ». Il est fait référence ici à un déséquilibre perçu entre les compétences personnelles et les demandes associées à la tâche, déséquilibre reconnu pour générer de l’anxiété (Csikszentmihalyi, 1990, cité par Heutte, 2014), mais également à un épuisement des ressources (Baumeister et Vohs, 2018) qui serait lié à l’intensité de l’apprentissage (autorégulé) sur de longues périodes. Les étudiantes expriment avoir des difficultés à rester motivées sur la longueur (« le bachelor, ça va très lentement » [Étudiante 2]), à se rendre compte de leurs progrès, et ce malgré leurs efforts (« on cravache comme des dingues et on avance à peine »). Ces difficultés entraînent du doute, du découragement voire de la colère (« on se sent un petit floué »). Elles peuvent également affecter leur sentiment d’auto-efficacité, certaines se jugeant parfois très durement (« je suis une grosse flemmarde »). Enfin, les étudiantes ne se donnent que très rarement l’opportunité de se récompenser.

« Moi j’ai failli craquer à la fin du premier semestre, les examens c’était quelque chose qui était très difficile. » [Étudiante 2]

« Mais j'arrivais plus. C'était comme si les informations (…) j'avais mis ce que je pouvais mettre à l'intérieur, c'était bon, je pouvais plus rien prendre de plus. » [Étudiante 2]

« Alors il y a aussi la pression des proches qui sont toujours tellement sûrs qu'on va réussir, et ça c'est très dur. » [Étudiante 5]

« Il y a certains modules - c'est le cas, par exemple, dans le semestre dans lequel je suis - où on cravache comme des dingues et on avance à peine (…) c’est vrai qu'au bout d'un moment, ça décourage et puis on se sent un petit peu floué (…) c'est vraiment le saut d'obstacles unijambiste (…) ! » [Étudiante 1]

« Moi, j'ai toujours quand même pas mal de doutes. » [Étudiante 5]

« Parce que je me dis que, que je suis une grosse flemmarde et que voilà, c'est un peu dans ces moments-là, effectivement, où je me sens un peu nulle. » [Étudiante 3]

« Je me dis, si j’arrive à comprendre ce chapitre, ce soir, je vais boire une bière. » [Étudiante 3]

« Alors, ça dépend de mon état. Souvent, je célèbre avec du sommeil intensif ! » [Étudiante 5].

Thème 4 : Les séances en présence pour se réengager, le groupe virtuel pour se soutenir

25Les étudiantes évoquent l’importance des regroupements présentiels : ils introduisent du physique, du concret et rendent « la chose réelle » ; ils permettent de réengager, de « rallumer l’étincelle ». À la question relative au sentiment d’appartenir à un groupe, les réponses sont mitigées : certaines étudiantes s’identifient clairement à un groupe (« je sais qui sont les miens ») tandis que d’autres se sentent dans un « entre-deux ». Les journées en présence sont souvent utilisées pour créer des groupes informels qui ont une double fonction pendant les périodes à distance : une fonction cognitive pour se distribuer les tâches et alléger la charge de travail, et une fonction motivationnelle pour se soutenir et partager ses émotions. Enfin, des étudiantes préfèrent travailler seules, considérant cette modalité comme une spécificité de la formation à distance à laquelle il faut s’accommoder.

« Le fait de se voir toutes les semaines çà rallume l’étincelle si tu en as besoin, je trouve ça complètement indispensable, cette partie de se voir en réel. » [Étudiante 4]

« Oui, c’est mon groupe. Je vois d’ailleurs tout de suite quand deux volées viennent au même cours, je sais qui sont les miens. » [Étudiante 4]

« Alors je sais pas si je me sens dans une identité universitaire, je ne suis pas très sûre, je pense que je suis un peu dans l’entre-deux. » [Étudiante 5]

« Avec un groupe, on essaie de se soutenir, de bosser un petit peu ensemble, partager des résumés (…) Sinon, c’est trop dur. Tout seul dans son coin, c’est l’horreur. » [Étudiante 5]

« J’ai l’université sur ma table, et donc voilà, alors je veux bien travailler toute seule un peu (…) Je dirais pas que c’est un inconvénient, disons que c’est dans l’essence même en fait de la formation à distance, c’est un choix. » [Étudiante 6]

26De façon générale, les entretiens révèlent des difficultés qui peuvent être atténuées par la mise en œuvre d’une ou plusieurs stratégies volitionnelles. Les thèmes 1 et 2 se rapportent ainsi aux stratégies de structuration du temps et de l’environnement, le thème 3 aux stratégies de gestion de la motivation et des émotions, le thème 4 aux stratégies d’accroissement des ressources disponibles notamment via le soutien social.

27Les entretiens ont fait l’objet d’une analyse des sentiments (sentiment analysis) pour rendre compte d’une relation entre leur polarité (négative, neutre, positive) et la mobilisation par les étudiantes de stratégies volitionnelles. Pattern (De Smedt et Daelemans, 2012), un module d’exploration de données utilisant le langage de programmation Python, a été utilisé pour évaluer la polarité des transcriptions textuelles des entretiens selon une approche syntaxique. Pattern compare chaque transcription à un lexique (français) d’adjectifs qui sont associés chacun à un score de polarité. Ce score est inférieur à 0 pour un adjectif de polarité négative comme c’est le cas pour « abominable » dont la polarité est de -0.90. À l’inverse, il est supérieur à 0 pour un adjectif de polarité positive comme c’est le cas pour « formidable » dont la polarité est de +0.85. Pattern évalue également le contexte dans lequel les adjectifs sont utilisés. Il donne ainsi un score de polarité négatif à une portion de texte qui contient à la fois une négation et un adjectif à polarité positive comme c’est le cas pour l’expression « ce n’est pas beau ». Les résultats de l’analyse des sentiments indiquent que les étudiantes dont la polarité du discours reflète une expérience de formation plutôt négative sont aussi celles qui relatent des difficultés à déployer des stratégies volitionnelles. C’est, par exemple, le cas pour Fanny dont le discours a été évalué comme étant le plus négatif (polarité de 0.04) et dont le spectre des stratégies révèle des difficultés à instaurer un rythme régulier et à interagir avec ses pairs (figure 1 ci-dessous). En revanche, Agathe dont le discours a été évalué comme étant le plus positif (polarité de 0.15) met en œuvre une large variété de stratégies.

Figure 1 : polarité émotionnelle des discours et stratégies volitionnelles

Figure 1 : polarité émotionnelle des discours et stratégies volitionnelles

28En haut sont représentées le long de la ligne les valeurs de polarité émotionnelle des discours des étudiants interrogés et en bas, le spectre des stratégies volitionnelles (fréquence d’usage telle que rapportée par les étudiantes). Les prénoms sont des prénoms d’emprunt.

Des objets tangibles pour soutenir la volition

29L’analyse de l’expérience d’apprentissage à distance révèle donc une hétérogénéité des usages en termes de stratégies volitionnelles. Certaines étudiantes ont à leur disposition un répertoire relativement étendu de stratégies qu’elles peuvent utiliser de façon sélective selon le contexte et les problèmes auxquels elles sont confrontées. D’autres en revanche, ne peuvent mettre en œuvre qu’un nombre limité de stratégies.

30Ce constat a orienté la ligne directrice de conception. Une boîte à outils tangibles (figure 2) a été ainsi créée à destination des étudiants pour un usage individuel et à domicile pendant les périodes à distance. L’idée était de leur permettre de choisir un objet ou une combinaison d’objets susceptibles de les aider à mettre en route une ou plusieurs stratégies volitionnelles en fonction de leurs besoins du moment. Par ailleurs, au vu de l’anxiété exprimée à plusieurs reprises lors des interviews, une dimension ludique a été introduite dans les objets, et ce dans l’intention de réduire la tension. Le prototype actuel de la boîte à outils est le résultat de trois itérations de conception successives : à partir d’une revue de littérature sur l’expérience d’apprentissage en formation à distance (itération 1) ; du résultat des interviews des étudiants (itération 2) et ; du résultat des interviews et d’une revue de littérature plus spécifique sur l’autorégulation et les stratégies volitionnelles (itération 3). La boîte à outils contient, pour le moment, cinq objets : le tube de récompense (Reward Tube), l’album des victoires (Victories Album), le thermomètre émotionnel (Emotional Thermometer), la casquette d’apprentissage (Learning Cap), et le gardien du temps (Time Guard). Les trois premiers objets font référence aux stratégies de contrôle de soi. Le tube de récompense et l’album des victoires visent ainsi à soutenir le sentiment d’efficacité personnelle par le biais de l’auto-encouragement et l’auto-récompense. Ils peuvent également participer à une meilleure gestion des ressources cognitives et de l’effort en favorisant le fractionnement des tâches et des buts en sous-tâches et sous-buts. Le thermomètre émotionnel vise à favoriser la régulation des émotions, et plus particulièrement à encourager les étudiants à prendre conscience de leurs états émotionnels et des besoins qui peuvent leur être associés. Les deux derniers objets font référence aux stratégies de contrôle du contexte d’apprentissage. La casquette d’apprentissage fait référence aux stratégies de structuration de l’environnement de travail, et vise à protéger les étudiants de l’irruption de distractions. Ainsi, elle leur permet d’indiquer aux personnes qui partagent leur espace de travail au moment où ils étudient qu’ils ont besoin de calme et de concentration. Le gardien du temps vise à encourager les étudiants à structurer leur temps de travail et en l’occurrence, à se définir des doses de travail optimales. Une description plus détaillée des objets est proposée dans le tableau 1.

Figure 2 : la boîte à outils tangibles des étudiants à distance (prototype)

Figure 2 : la boîte à outils tangibles des étudiants à distance (prototype)

Discussion

31La présente étude s’inscrit dans la lignée des travaux encore peu nombreux sur la volition en formation à distance (Deimann et Bastiaens, 2010). L’un des objectifs est de rendre compte des obstacles que les étudiants à distance peuvent rencontrer dans leur effort à se maintenir motivés tout au long de la formation. Elle met ainsi en évidence différents types de difficultés dont : le défi de devoir gérer en parallèle et en continu plusieurs sphères d’activités (études, vie professionnelle, personnelle et familiale) ; l’aménagement chez soi d’un lieu optimal pour se concentrer et apprendre ; le maintien d’un effort cognitif soutenu sur une longue durée, cet effort pouvant être perçu comme encore plus important lorsqu’il est couplé à un sentiment de solitude ou lorsque les attentes de réussite des proches sont vécues comme une pression psychologique ; la prise de conscience des progrès réalisés et la capacité à se récompenser de façon appropriée à chaque objectif atteint ; l’aptitude à se constituer en communautés d’apprenants et à se servir du groupe comme soutien cognitif et affectif. Les résultats suggèrent, par ailleurs, une possible relation entre le vécu émotionnel des étudiants à distance et les stratégies volitionnelles déployées. Ainsi, une expérience positive d’apprentissage serait associée à la mise en œuvre d’une palette diversifiée de stratégies pour réguler tant les conditions internes (attention, motivation et émotions) que les conditions externes (temps, environnement physique et social) de l’apprentissage.

32L’autre objectif de cette étude est de participer à la réflexion sur la conception de dispositifs d’intervention innovants capables de soutenir l’autorégulation et la volition en formation à distance (Houart, 2017). La piste proposée ici est celle des objets tangibles qui, parce qu’ils sont manipulables et permettent un feedback multimodal (visuel, auditif, haptique), peuvent encourager et faciliter la mise en œuvre d’actions concrètes par les étudiants. L’approche de conception est originale dans le sens où elle intègre d’une part, les connaissances théoriques actuelles sur les processus volitionnels en contexte de formation et d’autre part, le vécu d’apprentissage à distance tel que recueilli par des entretiens semi-directifs auprès de six étudiantes. L’article présente le résultat des trois premières itérations de conception. Il s’agit d’une boîte à outils proposant cinq objets tangibles (le tube de récompense, l’album des victoires, le thermomètre émotionnel, la casquette d’apprentissage et le gardien du temps) pour répondre de façon personnalisée et contextualisée aux besoins des étudiants en termes de stratégies volitionnelles à déployer. Une dimension ludique a été intentionnellement intégrée au processus de conception dans le but de favoriser la réduction des tensions et de l’anxiété régulièrement vécues par les étudiants à distance. Parmi les 5 objets, les trois premiers font référence aux stratégies internes et visent à favoriser la régulation de la motivation et des émotions tandis que les deux derniers font référence aux stratégies externes et visent à favoriser la structuration du temps et de l’espace de travail.

Conclusion

33Cette étude porte sur les processus d’autorégulation à l’œuvre en formation à distance. Plus précisément, elle s’interroge sur la façon d’aider les étudiants à distance à développer des stratégies d’autorégulation pour se mettre au travail et s’y maintenir lorsqu’ils étudient seuls à leur domicile.

34La conception d’objets tangibles a été envisagée comme piste de solution pour soutenir cette autorégulation. Parmi ces objets, plusieurs ont été fabriqués par le biais de technologies rattachées au mouvement maker et à la philosophie du faire soi-même (Berrebi-Hoffmann, Bureau et Lallement, 2018) comme l’impression 3D et la découpe laser. L’objectif derrière l’utilisation de ces machines de fabrication digitale est de montrer que ces objets peuvent être conçus facilement et pour un moindre coût par tout à chacun.

35Les limites de l’étude concernent le fait que ce dispositif tangible n’a pas encore fait l’objet d’une phase d’évaluation auprès des futurs utilisateurs, phase qui permettrait de rendre compte non seulement de l’impact des objets sur les stratégies volitionnelles, mais également de la façon dont les étudiants se les approprient et les utilisent sur le long-terme. Les objets présentés dans cet article sont à l’état intermédiaire, et plusieurs itérations de conception sont encore nécessaires avant une évaluation en conditions réelles, notamment une phase de conception participative impliquant la confrontation du prototype actuel de la boîte à outils avec les étudiants. Des itérations supplémentaires permettraient, par ailleurs, de mieux réfléchir l’intégration des objets tangibles aux dispositifs d’accompagnement prévus par les équipes pédagogiques pour soutenir l’apprentissage durant les périodes à distance. Il serait ainsi intéressant d’étudier la complémentarité de ces objets destinés à l’autorégulation avec le rôle du tuteur comme soutien externe à la régulation de la motivation et des émotions. La boîte à outils actuelle pourrait également s’enrichir de nouveaux objets tangibles qui intègrent la dimension sociale de la motivation. Les résultats des interviews montrent l’importance des groupes informels (créés par les étudiants eux-mêmes en fonction des affinités) dans le maintien de l’engagement, et mettent en lumière le rôle des journées en présentiel dans la consolidation et la pérennité de ces groupes. Une réflexion est donc à mener autour de la conception d’objets tangibles pour favoriser la mise en œuvre de stratégies sociales de régulation comme la recherche d’aide et le partage des émotions entre étudiants (Avry et Molinari, 2018 ; Molinari, Avry et Chanel, 2017 ; Molinari, Trannois, Tabard et Lavoué, 2016) ou encore d’objets à utiliser pendant les journées en présentiel pour renforcer le sentiment d’appartenance au groupe. Enfin, les objets présentés dans cet article et le processus de conception sous-jacent constituent une base de travail intéressante pour le développement de dispositifs mixtes capables de faire communiquer des systèmes numériques et des objets tangibles dans l’objectif de soutenir l’autorégulation en formation.

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Table des illustrations

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Titre Figure 2 : la boîte à outils tangibles des étudiants à distance (prototype)
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Pour citer cet article

Référence électronique

Gaëlle Molinari et Elsa Schneider, « Soutenir les stratégies volitionnelles et améliorer l’expérience des étudiants en formation à distance. Quels potentiels pour le design tangible ?  »Distances et médiations des savoirs [En ligne], 32 | 2020, mis en ligne le 12 décembre 2020, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/5731 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.5731

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Auteurs

Gaëlle Molinari

TECFA, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève et UniDistance, gaelle.molinari@unige.ch

Articles du même auteur

Elsa Schneider

Département Media Design Haute école d'art et design de Genève, elsaclschneider@gmail.com

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